Mes chers collègues, j'étais saisi d'une motion tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité, mais je constate que celle-ci n'est pas soutenue.
En conséquence, je vais mettre aux voix l'article unique de la motion.
M. Pierre Fauchon. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Fauchon.
M. Pierre Fauchon. Monsieur le président, mes chers collègues, j'avais préparé une intervention pour répondre aux arguments que j'attendais de nos excellents collègues Dreyfus-Schmidt et Badinter, que je connaissais pour les avoir déjà entendus dans les couloirs ainsi qu'à l'occasion d'une réunion de la commission des lois. Dans les circonstances actuelles, je ne vais pas vous infliger une réponse à des propos que vous n'avez pas entendus, et alors que vous avez certainement hâte d'en terminer avec cette affaire.
Pour être exceptionnelle, cette affaire n'en était pas moins normale, même si elle a été transformée, assez bizarrement, en une affaire dramatique. Je voudrais donc simplement dire un mot à ceux d'entre nous - je sais qu'il y en a quelques-uns - qui ont paru surpris de l'interprétation que nous faisions de la Constitution.
Comme l'ont excellemment exposé, tout à l'heure, le président Jacques Larché et notre collègue Patrice Gélard, la question est de savoir si nous sommes bien, en l'occurrence, dans le cadre d'une hypothèse prévue par les textes, s'il s'agit bien d'une question d'ordre économique ou social. Or notre culture politique est tout entière imprégnée du Contrat social de Jean-Jacques Rousseau, lequel, s'il vise précisément ce genre de problèmes, ne fait nullement état d'aide sociale ou de politique sociale - concepts qui n'existaient d'ailleurs pas à cette époque, du moins dans leur acception actuelle - ce qui prouve bien que, fût-ce au niveau des termes mêmes, la discussion est toujours possible.
Nous proposons, nous, une interprétation du texte de la Constitution. Nous la proposons, mais nous ne sommes pas en état de l'imposer ! Elle ne peut cependant être considérée comme absurde a priori , car chacun sait que, quand on parle de questions économiques et sociales, généralement, on « ratisse » large ! C'est une formule qui, traditionnellement, englobe des quantités de questions, car tout est toujours, par un bout ou par un autre, social ou économique.
Par ailleurs, pourquoi n'aurions-nous pas le droit - et j'aurais voulu, m'exprimant ainsi, me tourner du côté gauche de l'hémicycle, mais je constate qu'il n'y a personne - pourquoi n'aurions-nous pas le droit, dis-je, d'interpréter la Constitution ? Les lois ordinaires sont bien interprétées tous les jours par les tribunaux ! Et ceux qui suivent l'évolution de la jurisprudence ne se privent pas pour en rajouter ! Ainsi, tous les praticiens du droit savent que, si l'article 1384 du code civil ne comporte que trois lignes, il fait aujourd'hui l'objet de vingt ou trente pages dans les répertoires juridiques et que l'on a créé, en un siècle, une base qui remplit les prétoires et qui nourrit une très grande partie de la jurisprudence actuelle. Or il ne vient à personne l'idée de critiquer le droit d'interprétation des tribunaux !
Certes, nous sommes ici en matière constitutionnelle. Mais le Conseil constitutionnel se prive-t-il d'interpréter la Constitution ? Non content de s'appuyer sur des textes, sur des préambules, mais aussi sur des vérités et des principes relevant du droit constitutionnel apparenté, qui sont secrétés par ce même conseil année après année...
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. Oui !
M. Pierre Fauchon. ... sans aucun contrôle supérieur - mais je les crois a priori je les crois raisonnables - le Conseil constitutionnel interprète bien la Constitution !
Alors, depuis quand, nous qui sommes la source du droit - et du droit constitutionnel - n'aurions-nous pas la possibilité de dire ce que nous pensons de ce que nous avons fait ? Cette situation est tout de même extravagante ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du RPR.)
Cela me paraît être tout simplement le bon sens.
J'ajoute que cela pose d'autant moins de problèmes que, à la différence de ce qui se passe dans certains cas, nous ne sommes pas le juge définitif de la question que nous posons.
Au demeurant - je ne veux pas rouvrir le débat ni offenser personne - n'avons-nous pas discuté ici-même, voilà huit jours, de la situation de notre collègue M. Charasse au regard de certaines dispositions constitutionnelles ? Pour moi, les convocations devant le juge d'instruction ne constituaient pas vraiment des poursuites, mais, pour des raisons que je comprends parfaitement, vous avez considéré, mes chers collègues, qu'il fallait porter un jugement général sur cette affaire, en englobant parmi les poursuites les convocations devant le juge d'instruction.
A l'occasion de ce débat, j'ai entendu mon confrère M. Dreyfus-Schmidt - j'emploie le mot confrère intentionnellement, car il est avocat comme moi - soutenir que les convocations adressées par un juge d'instruction adressées à une personne non mise en examen mais simple témoin constituaient une circonstance de poursuites. Or, véritablement, un juriste de métier ne peut soutenir une telle thèse ! D'autres peuvent le dire, mais pas un juriste de métier !
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. Surtout un bâtonnier !
M. Pierre Fauchon. Surtout un bâtonnier, nous sommes bien d'accord. Cela ne tient pas la route !
Quoi qu'il en soit, politiquement, nous avons livré notre interprétation, et nous avions parfaitement le droit de le faire.
Cependant, nous étions les maîtres définitifs de la solution alors que, aujourd'hui, nous sommes dans une situation de codécision partagée avec ceux qui, avec nous, font la Constitution, à savoir l'Assemblée nationale et le Chef de l'Etat.
Nous proposons, nous, une interprétation. Nous avons parfaitement le droit de le faire ! L'Assemblée nationale dira, elle, ce qu'elle voudra dire. Et le Chef de l'Etat fera, lui, ce qu'il voudra faire. Si nous n'aboutissons pas, eh bien nous n'aurons pas abouti ! Mais il n'y a pas de quoi s'insurger devant le droit qui nous appartient, comme à chaque assemblée, de dire : « Moi qui suis à la source de la loi, voici comment je la comprends, voici comment je l'interprète. » Je voulais simplement signaler cela à ceux de nos collègues qui avaient des hésitations.
Sur le fond, je crois que M. Marini et le président Larché ont fort bien dit ce qu'il y avait à dire : il est tout de même navrant, alors que cette question de la nationalité nous place sous le regard des étrangers et des enfants nés d'étrangers, d'observer cette façon que nous avons de changer notre loi tous les trois ans. Je ne fais de reproche à personne : nous l'avons fait nous-mêmes, vous le faites, et nous le referons dans trois ans.
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. Oui, nous le referons dans trois ans !
M. Pierre Fauchon. Mais, vraiment, est-ce convenable ? Non, ce n'est pas convenable, et c'est la raison pour laquelle je crois sincèrement - en dehors de tout l'amusement politique que nous pouvons trouver dans cette affaire, et, bien sûr, nous en trouvons un : Dieu merci ! sinon, la vie serait trop triste - je crois sincèrement, dis-je, qu'il serait tout à fait souhaitable que la France décide ce qu'elle veut, et qu'elle le décide durablement. Or elle ne peut le faire qu'à travers un référendum.
C'est pour toutes ces raisons que mon groupe a signé et votera tout à l'heure la présente motion. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je rappelle qu'en application de l'article 68 du règlement l'adoption par le Sénat d'une motion concluant au référendum suspend, si elle est commencée, la discussion du projet de loi.
Je mets aux voix l'article unique de la motion.
En application de l'article 59 du règlement, le scrutin public est de droit.
Il va y être procédé, dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?...
Le scrutin est clos.
(Il est procédé au comptage des votes.) M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 66:
Nombre de votants | 219 |
Nombre de suffrages exprimés | 217109 |
Pour l'adoption | 216 |
Contre | 1 |
La motion est adoptée. (M. Ceccaldi-Raynaud applaudit.)
Je vais la transmettre sans délai à M. le président de l'Assemblée nationale.
En conséquence, la discussion du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, après déclaration d'urgence, relatif à la nationalité est suspendue.
Mes chers collègues, je vous propose d'interrompre nos travaux pendant quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-sept heures, est reprise à dix-sept heures cinq, sous la présidence de M. Jean Delaneau.)