DIVERSES MESURES URGENTES
RELATIVES À L'AGRICULTURE
Adoption des conclusions du rapport
d'une commission
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion des conclusions du rapport (n° 155,
1997-1998) de M. Gérard César, fait au nom de la commission des affaires
économiques et du Plan sur la proposition de loi (n° 8 rectifié, 1997-1998) de
MM. Gérard César, Alain Pluchet, Michel Alloncle, Louis Althapé, Henri Belcour,
Jean Bernard, Roger Besse, Jean Bizet, Yvon Bourges, Jacques Braconnier, Gérard
Braun, Dominique Braye, Jean-Pierre Camoin, Auguste Cazalet, Désiré
Debavelaere, Michel Doublet, Gérard Fayolle, Hilaire Flandre, Philippe
François, Yann Gaillard, Alain Gérard, François Gerbaud, Charles Ginésy, Adrien
Gouteyron, Georges Gruillot, Bernard Hugo, Jean-Paul Hugot, Jean-François Le
Grand, Maurice Lombard, Jacques de Menou, Roger Rigaudière, Louis Souvet,
Martial Taugourdeau, Jacques Valade, Alain Vasselle, Serge Vinçon et les
membres du groupe du Rassemblement pour la République, apparentés et rattaché
administrativement, MM. Jean Huchon, Louis Moinard, Alphonse Arzel, Bernard
Barraux, Michel Bécot, Marcel Deneux, Francis Grignon, Pierre Hérisson, Rémi
Herment, Kléber Malécot, Louis Mercier, Jean Pourchet, Jacques Rocca Serra,
Michel Souplet et les membres du groupe de l'Union centriste et rattachés
administrativement, MM. Henri Revol, Jean-Paul Emin, Mme Janine Bardou, MM.
Jean Boyer, Marcel-Pierre Cleach, Jean-Paul Emorine, Mme Anne Heinis, MM. Jean
Pépin, Jean Puech, Jean-Pierre Raffarin, Charles Revet et les membres du groupe
des Républicains et Indépendants, apparenté et rattaché administrativement, MM.
Jean-François-Poncet, Georges Berchet, Fernand Demilly, Bernard Joly,
Jean-Marie Rausch, Raymond Soucaret, Jacques Bimbenet, Paul Girod, Pierre
Jeambrun, Pierre Laffitte, André Vallet, Jean Grandon, Jacques Habert, Philippe
Adnot, Philippe Darniche, Hubert Durand-Chastel, Alfred Foy, Jean-Pierre
Lafond, André Maman et Alex Türk, portant diverses mesures urgentes relatives à
l'agriculture.
Dans la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur.
M. Gérard César,
rapporteur de la commission des affaires économiques et du Plan.
Monsieur
le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'objectif du texte de
la commission des affaires économiques et du Plan est de permettre l'adoption
de mesures urgentes en faveur de notre agriculture.
La commission considère comme primordiales ces dispositions. Cette
appréciation procède, monsieur le ministre, d'une analyse minutieuse de
l'environnement national, communautaire et international dans lequel évolue
notre agriculture.
A l'échelon national, l'année 1996 a été marquée par une quasi-stagnation du
revenu agricole. Par ailleurs, les crédits affectés au ministère de
l'agriculture et de la pêche ayant trait à l'installation et à la modernisation
sont en baisse, alors que l'on constate une hausse des dépenses
d'administration de plus de 2 %. En outre, en reportant au premier semestre de
1998 l'examen du nouveau projet de loi d'orientation agricole, monsieur le
ministre, le Gouvernement a pris le risque de présenter un texte soit trop
tardivement pour influer sur les propositions de la Commission européenne au
sujet de la réforme de la politique agricole commune, soit trop tôt pour en
tenir compte.
La commission regrette, par ailleurs, l'orientation qui se dégage du document
préparatoire au projet de loi d'orientation agricole présenté au mois de
septembre dernier par le Gouvernement. Il m'a semblé que ce document était
construit sur l'hypothèse que la France disposait de deux agricultures. L'une
serait compétitive, adonnée à la production de masse, capable d'affronter le
marché mondial, dépourvue de vocation territoriale et relevant de la
juridiction européenne. L'autre, très axée sur la qualité, mais moins
productive, souffrant de handicaps naturels, fragile, bénéficierait
prioritairement des aides nationales.
Cette distinction nous laisse perplexes, monsieur le ministre, car d'abord
elle est sommaire et, ensuite, elle pourrait, se révéler dangereuse. En effet,
si l'on concentrait la majeure partie du bénéfice d'un traitement communautaire
sur les exploitations qui relèvent de la logique de marché, c'est vers elles
qu'iraient l'essentiel des crédits européens.
A l'échelon communautaire et international, la commission constate que,
quelques années à peine après la dernière réforme de la politique agricole
commune, un nouvel exercice reprend, qui risque de remettre en cause les
fondements sur lesquels la politique agricole commune était construite.
Le schéma soumis par Bruxelles dans le cadre de l'Agenda 2000 n'est certes pas
définitif. Mais il traduit malheureusement un alignement anticipé sur les
positions de Washington.
Les conséquences d'une telle attitude sont très sérieuses, monsieur le
ministre.
D'une part, la Commission renonce à aborder la future négociation à partir
d'un modèle commun, conforme aux réalités agricoles européennes telles qu'elles
existent.
D'autre part, pour réaliser cette adaptation, elle n'envisage qu'un seul
instrument, la baisse systématique de tous les prix. Stratégie sommaire, qui,
même si elle correspond à certains de nos objectifs, tourne le dos, pour
l'essentiel, à notre conception d'une agriculture enracinée dans la diversité
historique de ses terroirs.
Face à la situation créée par les propositions de Bruxelles, il serait
regrettable que la France se contente de réactions ponctuelles, concernant tel
ou tel aspect particulier du dossier. C'est une reconstruction d'ensemble des
propositions de la Commission européenne que la France doit proposer.
Le texte que la commission des affaires économiques vous propose, monsieur le
ministre, reprend la quasi-intégralité des mesures figurant dans la proposition
de loi signée par l'ensemble de la majorité sénatoriale. Il la complète par des
mesures urgentes relatives à l'organisation économique et au contrôle des
structures.
Ces conclusions, que nous allons examiner à la veille du Conseil européen du
Luxembourg, revêtent, dès lors, une valeur de symbole. C'est un signal fort que
le Gouvernement français doit s'efforcer de prendre en compte.
Ces conclusions ne s'opposent en aucune façon au futur projet de loi
d'orientation agricole ; elles le préparent en permettant la mise en place de
mesures dont notre agriculture a besoin rapidement et ouvrent un véritable
débat sur des questions aussi fondamentales que le fonds agricole, le contrôle
des structures, l'organisation économique, le statut du conjoint,
l'installation, la coopération en agriculture et la politique de qualité
alimentaire.
C'est pourquoi la commission des affaires économiques souhaite que ces
dispositions fassent l'objet du consensus qu'appellent la sauvegarde et la
promotion d'un modèle agricole français spécifique au sein de l'Union
européenne et dans le monde en général.
Les conclusions de la commission comptent vingt-sept articles, dont dix-huit
proviennent de la proposition de loi n° 8 rectifiée. Je tiens à vous préciser,
monsieur le ministre, que ce texte a été soumis, au cours de nos auditions, à
l'ensemble des organisations professionnelles, qui y sont en grande partie très
favorables.
Le titre Ier porte sur l'entreprise agricole et comprend deux articles :
L'article 1er introduit une nouvelle rédaction de l'article relatif au
financement des exploitations agricoles. Le texte proposé apporte deux
innovations.
En premier lieu, il est mentionné expressément que l'attribution de l'aide
financière prend en compte l'intérêt du projet d'un point de vue économique,
environnemental et social. On trouve ici le souci d'affirmer la
trifonctionnalité de l'agriculture, c'est-à-dire ses fonctions économique,
sociale et territoriale.
En second lieu, l'aide accordée peut être interrompue, ou même faire l'objet
d'un remboursement.
L'article 2 institue un fonds agricole et en définit les modalités de
transmission.
L'entreprise agricole aujourd'hui n'est pas reconnue en tant que telle, car
elle n'existe qu'à travers l'addition de différents actifs mobiliers ou
immobiliers.
Cet article, monsieur le ministre, consacre l'autonomie juridique de
l'entreprise agricole organisée autour d'un fonds agricole, comme cela a été
fait pour l'artisanat.
La commission considère comme urgent que, après la reconnaissance de
l'exploitation sur un plan économique, la question de son organisation
juridique soit abordée.
Le problème de la cessibilité du bail rural est au coeur du débat sur la
reconnaissance de l'entreprise agricole en tant qu'universalité juridique. La
commission considère que si, à terme, il semble opportun en la matière de
franchir une étape supplémentaire en ouvrant de nouveaux cas de cessibilité du
bail, cette démarche doit être progressive et s'effectuer en concertation avec
l'ensemble des organisations concernées.
Outre la question du bail rural et de sa cessibilité éventuelle, la création
de ce fonds agricole soulève inévitablement le problème de l'hypothétique
valeur patrimoniale des références de production.
La commission propose un dispositif permettant la transmission, à titre
gratuit, en même temps que celle du fonds, des références de production ou
droits à aides.
Selon les informations obtenues, la création d'un fonds agricole est à même
d'éviter le démembrement d'exploitations viables. Ainsi, l'estimation du nombre
d'exploitations concernées pourrait être de 2 000 à 5 000 par an.
Le titre II porte sur le contrôle des structures des exploitations
agricoles.
La commission a souhaité insérer un titre supplémentaire relatif au contrôle
des structures, une réforme du contrôle étant de plus en plus urgente.
L'inadaptation actuelle de ce système empêche, en effet, environ un millier
d'installations chaque année.
Ce titre II relatif aux structures agricoles comprend six articles.
L'article 3 comporte, monsieur le ministre, plusieurs innovations.
Tout d'abord, il est précisé que l'exploitation des biens peut être effectuée
à titre individuel ou sociétaire ; il est ainsi pris acte de l'importance
actuelle du développement des sociétés en agriculture.
Par ailleurs, la lutte contre le démembrement d'entreprises viables, qui
n'apparaissait dans aucun texte, devient l'un des objectifs prioritaires du
contrôle.
L'article 4, quant à lui, regroupe l'ensemble des opérations soumises à
autorisation préalable dans un même dispositif.
Outre une fusion de l'ensemble des opérations soumises à autorisation
préalable, les innovations les plus importantes sont les suivantes.
Les exploitations individuelles et les sociétés sont assimilées en matière de
contrôle des structures lors de l'installation, de l'agrandissement ou d'une
réunion d'entreprises agricoles. Ce traitement diffère donc du droit en
vigueur.
L'article 4 prévoit, en outre, qu'intervient un contrôle des démembrements en
cas de suppression d'une exploitation dont la surface est au moins égale à
l'unité de référence, en cas d'opération ramenant la surface d'une exploitation
en dessous du seuil de référence et en cas de suppression d'un bâtiment
essentiel pour l'entreprise.
La commission juge qu'il est urgent, monsieur le ministre, que soit harmonisé
un tel contrôle, tant sur le plan des personnes physiques ou morales que sur
celui de la nature des opérations réalisées.
L'article 5 fixe les différentes modalités d'examen de la demande
d'autorisation par l'autorité administrative en matière de contrôle des
structures.
L'article 6 est un article de coordination.
L'article 7 modifie l'article L. 331-8 du code rural. En effet, le dispositif
actuel n'offre comme seule possibilité à l'autorité administrative que de
transmettre le dossier au procureur de la République en cas de non-respect de
la réglementation du contrôle des structures. En outre, le code rural prévoit
comme unique sanction économique l'impossibilité de bénéficier des aides
publiques à caractère économique ; cette réglementation se révèle donc peu
opérante. Or, les dispositions proposées permettent, tout en respectant les
droits de la défense, une gradation des mises en demeure avant d'aboutir à la
sanction pécuniaire.
La commission considère, monsieur le ministre, comme urgente la mise en place
d'une véritable mesure administrative permettant de sanctionner véritablement
ceux qui ne respectent pas la loi.
L'article 8 fixe les modalités permettant la contestation de la sanction
pécuniaire proposée à l'article 7.
Le titre III porte sur l'organisation économique de la production et sur
l'organisation interprofessionnelle agricole.
La commission souhaite insérer un nouveau titre afin de proposer un règlement
rapide des difficultés rencontrées actuellement par les organisations de
producteurs ainsi que par les organisations interprofessionnelles agricoles. Ce
titre comporte deux articles.
L'article 9 tend à proposer une refonte des organisations de producteurs afin
de développer et de clarifier l'organisation économique de ceux-ci.
Le texte proposé par cet article se différencie sur un certain nombre de
points du droit existant.
L'article 9 précise que toute personne morale, pourvu qu'elle soit constituée
volontairement et majoritairement de producteurs, peut être reconnue comme
organisation de production, au lieu d'énumérer une liste limitative comme le
fait actuellement le code rural.
La double règle concernant la formation d'une organisation de producteurs est
simplifiée puisqu'il est précisé que toute organisation de producteurs doit
couvrir un secteur de production pour accroître la valorisation des productions
agricoles dans le respect des règles communautaires.
Le contrôle, effectué par les producteurs, est absent de la législation
existante à l'instar de la fixation de seuils minimaux.
Il en est de même pour la distinction entre les deux types d'organisations de
producteurs, l'un relatif à la mise au marché, l'autre à la commercialisation.
Cette disposition, prévue à l'article 3, est ignorée actuellement par le code
rural.
Les conclusions de la commission énumèrent l'ensemble des mesures que peuvent
édicter les organisations de producteurs. Par ailleurs, contrairement à la
législation existante, il est clairement indiqué que ces règles « s'imposent »
aux membres des organisations de producteurs. Enfin, la prise en compte du
facteur statistique afin de mieux gérer l'offre est un élément important.
Si le principe de la priorité des aides publiques à la production organisée
est maintenu, sa modulation en fonction du degré d'organisation de
l'organisation de producteurs et de services apportés aux membres est une
innovation.
La commission considère comme nécessaire, monsieur le ministre, une telle
démarche, qui consiste à encourager le regroupement des producteurs.
On peut estimer que deux tiers des organisations de producteurs se trouveront
dans le niveau supérieur de l'organisation économique et un tiers au niveau
inférieur.
L'article 10 actualise les dispositions relatives à l'organisation
interprofessionnelle en tenant compte des nouvelles conditions économiques :
Sur la constitution des organisations interprofessionnelles, le texte proposé
prévoit que l'organisation interprofessionnelle regroupe aussi des
organisations professionnelles de la distribution.
Alors que le dispositif législatif actuel est silencieux sur le retrait de la
reconnaissance sur ce point, le texte proposé pour l'article 1er prévoit les
modalités de ce retrait.
En outre, sont précisées les différentes missions exercées par ces différentes
organisations. A cette occasion, les organisations interprofessionnelles
veulent et peuvent associer en tant que de besoin les organisations
représentatives des consommateurs.
Ce dispositif ne se traduit pas par des dispositions juridiques
supplémentaires, monsieur le ministre ; au contraire, il tient compte des
simplifications ou améliorations suggérées par les organisations elles-mêmes.
Il vise, en particulier, à favoriser la prise en compte de la distribution dans
les politiques de filière et à associer, lorsque c'est souhaitable, les
consommateurs.
Le titre IV porte sur des dispositions fiscales. Il comprend trois
articles.
L'article 11 vise à accorder aux associés de coopératives le bénéfice de
l'abattement sur les dividendes que les coopératives reçoivent de leurs
filiales et qu'elles reversent à leurs sociétaires.
L'article 12 modifie la rédaction de l'article 730
bis
du code général
des impôts, permettant ainsi de substituer au droit proportionnel un droit fixe
pour la cession de parts de sociétés civiles agricoles en matière de droits
d'enregistrement.
L'article 13 a pour objet d'étendre aux parts sociales de coopératives la
déduction des sommes consacrées à l'acquisition et à la création
d'immobilisations nécessaires à l'acquisition de stock ou de produits
animaux.
Le titre V porte sur le statut du conjoint. Il comprend huit articles.
L'article 14 est relatif au conjoint « collaborateur ».
L'objectif de la réforme est non pas seulement de créer au profit des
conjoints un nouveau statut leur garantissant des droits à retraite améliorés,
monsieur le ministre, mais aussi de passer d'un « statut résiduel » à un statut
délibérément choisi lorsque ces conjoints n'ont pas souhaité devenir
co-exploitant ou associé de société.
L'article 15 modifie le code rural relatif au droit à la retraite forfaitaire
des conjoints présumés participant aux travaux de l'exploitation. Selon les
prévisions effectuées par la commission, la rachat de points permettra à ceux
qui l'effectueront d'acquérir un supplément de retraite d'environ 6 000 francs
par an moyennant des cotisations de 44 000 francs, soit un délai de
récupération d'un peu plus de sept ans.
On peut évaluer le nombre de ces conjoints âgés de cinquante-cinq à soixante
ans participant aux travaux qui auront racheté des points avant de prendre leur
retraite à environ 5 100 personnes par an, soit 25 500 personnes de 1998 à
2003.
L'article 16 tend à insérer dans le code rural un nouvel article relatif à la
retraite des conjoints « collaborateurs d'entreprise ».
Les conjoints qui opteront pour ce nouveau statut acquerront dorénavant des
droits non plus seulement à la retraite forfaitaire mais également à la
retraite proportionnelle, à concurrence de seize points par an.
Toutefois, les effets de cette réforme ne se feront sentir que
progressivement. Aussi, la commission souhaite qu'une possibilité de rachat de
points de retraite proportionnelle soit proposée aux conjoints qui, ayant eu le
statut de conjoint participant aux travaux, opteront pour le statut de conjoint
collaborateur ou accéderont à celui de chef d'exploitation.
La commission estime, monsieur le ministre, que cette mesure ne devrait
entraîner aucun coût budgétaire durant la phase 1998-2003. Elle pourrait même
se traduire temporairement par des recettes supplémentaires résultant des
rachats de points à taux avantageux.
Au-delà de 2003, compte tenu de la démographie et des conditions
réglementaires prévues pour le rachat, les effectifs des conjoints susceptibles
d'être concernés par la mesure se réduisent par rapport à la période
antérieure. La mesure n'entraîne aucun coût pour le BAPSA jusqu'en 2001.
Ensuite, le coût augmente progressivement et sera de toute façon limité.
L'article 17 complète le code rural en précisant qu'il appartient au chef
d'entreprise de payer la cotisation de retraite du collaborateur d'entreprise.
C'est une disposition de coordination.
L'article 18 permet la prise en charge totale des frais de remplacement en cas
de maternité.
L'article 19 vise à insérer dans le code rural un article permettant au
conjoint survivant ou divorcé de bénéficier d'une créance de salaire différé.
Le mécanisme proposé tend à étendre la créance du salaire différé au conjoint
survivant du chef d'entreprise agricole qui a participé directement et
gratuitement à l'activité de l'entreprise pendant au moins dix ans.
L'article 20 tend à compléter le code civil compte tenu de la création d'une
créance de salaire différé au profit du conjoint survivant ou divorcé.
L'article 21 modifie les dispositions du code rural relatives à la
détermination de l'assiette des cotisations dues au régime de protection
sociale des personnes non salariées des professions agricoles. Cette réforme
présente un grand nombre d'avantages, monsieur le ministre.
Concernant les exploitants, la mise en place d'une assiette forfaitaire
provisoire de cotisations sociales permet d'assurer que les cotisations
sociales appelées aux exploitants dès le début d'activité seront
représentatives des revenus réellement dégagés par l'activité.
D'un point de vue financier, la disposition concernant le transfert entre
époux devrait permettre d'écarter le risque d'« évasion d'assiette » à laquelle
on pouvait assister dans certains cas.
Cette réforme aura donc une incidence financière faible, contribuant plutôt à
mettre fin à des situations mal comprises par les intéressés et à avoir un
effet de moralisation sur le prélèvement.
Le titre VI porte sur le titre d'emploi saisonnier agricole et les groupements
d'employeurs. Il comprend deux articles.
La création, au début de l'année 1997, du titre « emploi saisonnier agricole »
par voie réglementaire concernerait 600 000 saisonniers. Cet article vise donc
à consacrer, par la voie législative, ce dispositif que la commission considère
comme une réelle avancée.
L'article 23 permet aux CUMA, les coopératives d'utilisation de matériel
agricole en commun, de participer aux groupements d'employeurs sans
inconvénient fiscal au titre de la taxe d'apprentissage et de la taxe
professionnelle.
Ce système devrait être, monsieur le ministre, sans incidence financière
puisque l'exonération de la taxe d'apprentissage et de la taxe professionnelle
est d'ores et déjà accordée aux exploitants agricoles, aux groupements
d'employeurs composés d'exploitants agricoles et aux CUMA.
Le titre VII porte sur la qualité et la valorisation des produits agricoles et
alimentaires. Il comprend quatre articles.
L'article 24 vise à la création d'un institut national de la qualité des
produits agricoles et alimentaires.
Cet article a notamment pour objectifs d'améliorer la lisibilité des signes
officiels de qualité et leur promotion auprès des consommateurs et des
opérateurs économiques ; d'assurer la coordination, en particulier entre
l'institut national des appelations d'origine, l'INAO, et la Commission
nationale des labels et certifications, la CNLC, pour permettre une meilleure
cohérence entre les appellations d'origine contrôlées, les AOC, les labels, les
certifications de conformité et la certification du mode de production
biologique, sans empiéter sur leurs fonctions respectives ; enfin, d'établir un
lien permanent avec les instituts de recherche, mais aussi avec les organismes
pouvant assurer le développement des démarches de qualité.
L'article 25 modifie le code de la consommation, en offrant la possibilité de
mentionner un nom géographique sur les labels et certifications de conformité
en dehors de l'indication géographique protégée.
Le code de la consommation dispose qu'un label ou une certification de
conformité ne peut mentionner un nom géographique si celui-ci n'est pas
enregistré comme indication géographique protégée.
Une telle disposition interdit donc à un produit générique de mentionner sa
provenance dans le cadre d'un label ou d'une certification, alors qu'il peut le
faire dans le cadre du droit général. Elle freine le développement des labels
et certifications de conformité, oriente vers l'indication géographique
protégée des produits qui n'en relèvent pas et ne répond pas aux attentes des
consommateurs, qui souhaitent être informés sur la véritable origine du
produit.
C'est pourquoi il est proposé de modifier le code de la consommation pour
autoriser un produit bénéficiant d'un label ou d'une certification de
conformité à mentionner un nom géographique, en l'absence d'indication
géographique protégée.
Cependant, si ce n'est pas une indication géographique protégée, cette mention
ne pourra pas figurer dans la dénomination de vente du produit.
L'article 26 modifie le code de la consommation en rendant nécessaire, pour
les organismes certificateurs, l'accréditation par une instance reconnue par
les pouvoirs publics.
La modification du code de la consommation a pour objet de se conformer à la
réglementation européenne en rendant l'accréditation par le comité français
d'accréditation, le COFRAC, obligatoire, et en transférant cette compétence
d'accréditation de la commission nationale des labels et certifications au
COFRAC.
L'article 27, enfin, modifie le code de la consommation afin de corriger les
distorsions de concurrence entre les produits certifiés et les produits
standards.
Sous réserve des ces observations, je demande au Sénat d'adopter la
proposition de loi dans le texte résultant des conclusions de la commission.
(Applaudissements sur les travées du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Louis Le Pensec,
ministre de l'agriculture et de la pêche.
Si vous le permettez, monsieur
le président, j'interviendrai en fin de débat.
M. le président.
Très bien, monsieur le ministre.
J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la
conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour
cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République, 58 minutes ;
Groupe socialiste, 49 minutes ;
Groupe de l'Union centriste, 41 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 25 minutes ;
Réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe,
9 minutes.
Je rappelle au Sénat que, à la reprise de la séance, il a été décidé que nous
siégerions ce soir après le dîner, si nécessaire. Nous « pousserons » jusqu'à
vingt heures, mais pas au-delà.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Deneux.
M. Marcel Deneux.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je serai le
seul orateur à prendre la parole au nom du groupe de l'Union centriste, car mon
ami Jean Huchon, qui aurait souhaité intervenir ce soir, a dû regagner son
Maine-et-Loire natal.
Monsieur le ministre, pourquoi se soucier de l'agriculture quand on est membre
du Gouvernement d'un grand pays développé, où la population active agricole
diminue sans cesse et représente désormais environ 5 % de la population active
totale, où la surproduction agricole ne cesse de croître en volume ?
Je vois deux séries de raisons pouvant motiver un tel souci : les unes sont
politiques, les autres économiques.
J'aimerais tout d'abord développer les premières.
Vous avez tenu, monsieur le ministre, lors d'un récent débat dans cette
assemblée, les propos suivants : « La fonction principale que j'assigne à
l'agriculture, c'est de produire pour l'alimentation. » Nous en avons pris
note.
Cela signifie donc que l'agriculture doit produire pour nourrir les hommes,
c'est-à-dire assurer une fonction vitale, au sens étymologique du terme - il
faut manger pour vivre. Mais en France, aujourd'hui, de même qu'en Europe,
continent qui est déjà notre marché, et dans tous les pays où ne se pose plus
la question de la subsistance des populations, les comportements alimentaires
ont profondement changé au cours des années récentes.
En effet, sur la fonction de nutrition se greffe aujourd'hui une exigence
essentielle pour tous les opérateurs économiques qui contribuent à la
fourniture de denrées alimentaires pour les hommes, à savoir les attentes des
consommateurs en matière de qualité et de sécurité sanitaire.
Il est une autre raison politique que je tiens à évoquer, qui, bien que peu
souvent exprimée, est cependant présente dans nos réflexions. En effet, sans
apparaître « ringard », on peut affirmer, monsieur le ministre, que la
population agricole joue aujourd'hui dans notre pays un rôle particulier, que
l'on a de la peine à identifier du fait de sa localisation en milieu rural et
du fait de la nature du travail en agriculture, individuel et à responsabilité
personnelle ; pourtant, confrontée à la réalité des conditions de vie en
milieux difficiles, cette population contribue d'une manière particulière à
apporter au pays des valeurs nécessaires à son équilibre social, que le monde
urbain, trop jeune encore sans doute, n'a pas jusqu'à présent réussi à
développer au même degré.
S'agissant des raisons économiques qui justifient que l'on s'intéresse à
l'agriculture, il faut noter que les politiques économiques suivies par la
majorité des pays industriels visent à amener les prix des matières premières
agricoles au niveau le plus bas possible, souvent en dessous des prix de
revient.
C'est là une première difficulté, car on crée, par diverses mesures de
correction ou de compensation, par des dispositions catégorielles de nature
économique ou sociale mais rarement fiscale, par des décisions administratives
de toute nature liées à l'imagination souvent fertile des organisations
agricoles et des fonctionnaires des différents ministères qui interviennent
dans ce dossier, les conditions d'une économie agricole toujours
artificielle.
C'est le schéma simple, qui se complique avec l'intervention de l'Union
européenne, laquelle élabore elle aussi une politique agricole commune et des
mesures d'application spécifiques. S'ajoutent encore à ce dispositif, depuis
quelques années, les règles de l'organisation mondiale du commerce, l'OMC, et
des mesures régionales très peu coordonnées entre elles.
Les raisons que je viens d'exposer, monsieur le ministre, sont sans doute
celles qui motivent l'action de tout gouvernement d'un pays développé ayant une
capacité de production agricole permettant au moins l'autosuffisance.
Mais notre pays, la France, jouit d'une situation géographique particulière,
détient une surface agricole par habitant au-dessus de la moyenne, bénéficie
d'un climat tempéré, présente une répartition des conditions naturelles et des
conditions de production permettant toutes les productions végétales et
animales.
Bref, monsieur le ministre, la France est un pays qui, en moins de quarante
ans, est devenu le premier exportateur de produits agricoles transformés dans
le monde, devant les Pays-Bas, et le deuxième exportateur de produits agricoles
non transformés, devant les Etats-Unis. Ces deux postes ont contribué au solde
positif du commerce extérieur de la France dans une proportion allant de 35 % à
40 % au cours des cinq dernières années.
Lorsque l'on possède une telle richesse, on se doit de la regarder avec les
yeux de Chimène et de lui prodiguer en permanence une sollicitude
particulière.
Tout d'abord, il est essentiel que les agriculteurs tirent la meilleure part
de leur revenu de la vente de leurs produits, et les prix de marché doivent
être aussi élevés que possible. Ce point doit constituer une préoccupation
permanente, car les mesures complémentaires en faveur de l'agriculture
coûteraient d'autant moins cher.
A ce propos, est-il légitime que le consommateur français, dont le pouvoir
d'achat est convenable, ne consacre pas une partie suffisante de ses revenus à
son alimentation ? J'ai donné la réponse à cette question à travers le constat
que j'ai dressé au début de mon intervention s'agissant du comportement
inéluctable des gouvernements des pays industrialisés riches en matière de prix
des denrées alimentaires et, par voie de conséquence, d'agriculture et de
revenu agricole. Nous avons d'ailleurs tacitement accepté cette situation.
Le décor est ainsi à peu près campé.
Vous avez, monsieur le ministre, la responsabilité de l'administration du
premier secteur économique français, dont les performances peuvent être
constantes en termes d'apport à la croissance et à l'équilibre socio-économique
du pays, mais aussi en matière d'aménagement du territoire et de qualité de
l'environnement.
En effet, les performances de ce secteur peuvent être maintenues, à condition
que l'on ne se trompe pas dans les orientations qu'il faut donner à
l'agriculture. Or c'est sur ce dossier que vous avez un rôle essentiel à jouer,
c'est sur ce dossier que se bâtit le souvenir qui restera, monsieur le
ministre, de votre passage rue de Varenne.
Nous avons appris, pour la plupart d'entre nous par la presse, que vous aviez
mis en place des groupes de travail en vue de la préparation d'un texte
d'orientation. On nous dit que leur composition est hétérogène, mais ils
travaillent activement. Cependant, la représentation nationale n'a pas encore
été consultée, ce qui donne toute son importance au débat de cet après-midi.
Que faut-il faire pour l'agriculture ? Le monde change, et l'environnement de
notre pays et de notre agriculture se modifie chaque jour. Par conséquent,
l'agriculture et l'industrie agroalimentaire doivent aujourd'hui, dans le
contexte général d'évolution de nos sociétés, faire face à de nouvelles
exigences. Les questions de santé, le respect de l'environnement, la gestion
des espaces ruraux constituent ainsi autant de défis à relever.
A cet égard, nul ne peut nier les mutations ni refuser la réalité.
Gardons-nous de l'erreur qui consisterait à laisser croire qu'il suffirait de
s'adapter en fonction du passé pour être maître de l'avenir. Monsieur le
ministre, la France n'échappera pas aux défis qui s'annoncent et qui imposeront
parfois de véritables ruptures avec le passé.
Ainsi, l'agriculture, mais aussi, à un degré moindre, la forêt française,
devront être prêtes à affronter le défi que constituent le futur élargissement
progressif de la politique agricole commune aux pays d'Europe centrale et
orientale et l'internationalisation croissante des échanges dans le cadre de
l'organisation mondiale du commerce.
Il est donc nécessaire de créer les meilleures conditions pour relever ce
défi, en anticipant et en agissant de manière volontariste, voire offensive.
Vous ne ferez pas l'économie, monsieur le ministre, d'une réflexion sur le
secteur agricole et alimentaire, composé, pour la plus grande partie,
d'entreprises nombreuses et familiales. Vous constaterez alors que, pour créer
de la valeur ajoutée et des emplois, c'est-à-dire pour conserver un nombre
important d'agriculteurs, il faut poursuivre la politique déjà engagée, qui
consiste à relancer l'installation des jeunes, à accentuer l'effort de
formation et de qualification des actifs et à favoriser le développement de la
capacité d'innovation des entreprises.
Il vous faudra également revoir, parfois avec courage, le statut des
exploitations et des personnes non salariées qui y travaillent, rouvrir le
dossier de la fiscalité des entreprises et des successions, étudier à nouveau
la question de la transmission des droits à produire, redéfinir les missions de
l'enseignement agricole, donner plus de cohérence aux relations entre la
recherche agronomique et les objectifs de la politique agricole et
alimentaire.
Il vous faudra encore, monsieur le ministre, envisager comment pourrait être
amplifié le rôle de la filière agricole et agroalimentaire, aujourd'hui forte
de la qualité de ses produits, de sa diversité et de ses savoir-faire
régionaux, afin qu'elle devienne le véritable créateur d'emplois en milieu
rural, enrayant dans certaines régions l'inéluctable déclin de la population
active agricole, lié à l'âge des agriculteurs en place et à la trop faible
taille des exploitations qui se libèrent. Il sera nécessaire, à ce stade, de
réfléchir au rôle de la coopération agricole et à son ancrage particulier au
territoire.
Pour prendre en compte l'aménagement du territoire dans votre démarche, il
serait bon, monsieur le ministre, que vous vous penchiez sur la politique des
structures des exploitations agricoles, sur les conditions de leur transmission
et de leur agrandissement, sur le fonctionnement des commissions
départementales d'orientation et sur le rôle joué par les sociétés
d'aménagement foncier et d'établissement rural, les SAFER. Il conviendra
également, à cet égard, d'inclure dans le champ de votre réflexion le secteur
forestier, lequel recèle un potentiel important, qui, sous certaines conditions
restant à préciser, pourrait permettre de constituer une filière bois
performante.
Vous devrez aussi, monsieur le ministre, nous indiquer comment vous comptez
soutenir les initiatives en cours, dont certaines sont déjà porteuses de
réussites, visant à faire jouer un rôle à l'agriculture française en matière de
fourniture d'énergie : la biomasse, les biocarburants relèvent en effet de la
production agricole !
Je vous ai livré une longue série de réflexions, trop longue, certes, monsieur
le ministre, et incomplète, j'en suis sûr, mais je ne doute pas que vous saurez
l'incorporer dans vos futurs projets et la transformer en mesures
techniques.
En conclusion, je souhaite que vous preniez la dimension réelle du problème :
nous avons une agriculture forte, mais inégalement forte, dont la vocation est
nationale, européenne et internationale, mais qui s'inquiète de son avenir.
Bref, notre agriculture attend un texte ouvrant des perspectives et précisant
mieux les contours de son devenir.
Il reste cependant à tenir compte d'une contrainte importante, qui justifie
notre débat de cet après-midi : le calendrier.
En effet, il faut que soit définie, en raison des négociations en cours à
l'échelon de l'Europe et de l'OMC, une position française solide, s'appuyant
sur une loi d'orientation déjà votée.
Nous espérons, monsieur le ministre, que vous ferez tout ce qui est en votre
pouvoir pour respecter les délais qui nous sont imposés et répondre à nos
attentes.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et du RPR.)
M. le président.
La parole est à M. Grandon.
M. Jean Grandon.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il y a une
dizaine de jours, lors de la discussion du budget du ministère de
l'agriculture, nous nous étions élevés contre certaines carences dudit budget.
J'avais moi-même relaté un manque de visibilité sur le volet social.
Cette proposition de loi portant diverses mesures urgentes relatives à
l'agriculture répond, dans une large mesure, aux préoccupations exprimées
alors. Elle a une ambition sociale et les mesures qu'elle prévoit sont bonnes
pour notre agriculture. Tout cela garantit l'avenir de la profession et la
prépare à affronter, dans les meilleures conditions, les négociations
européennes et internationales de demain.
Le processus d'installation des jeunes agriculteurs est accentué, et ce afin
de faire perdurer une agriculture dynamique par le renouvellement de ses forces
vives.
Plusieurs décisions spécifiques vont dans la bonne direction, notamment celle
qui permet le contrôle des structures des exploitations agricoles.
Ambitieuse, cette proposition l'est, car elle confère un statut de
collaborateur d'entreprise au conjoint non exploitant du chef
d'exploitation.
Ce statut permettra de faire bénéficier le conjoint de droits à la retraite
des non-salariés des professions agricoles, ainsi que d'une retraite
forfaitaire sous certaines conditions. Il met fin aux situations critiques de
personnes qui, ayant travaillé toute leur vie sur l'exploitation, se voient
privées de toute reconnaissance sociale pour leurs vieux jours.
La revalorisation des droits les plus faibles est prise en considération, ce
qui est important au regard de la modicité des sommes perçues par les retraités
du secteur agricole.
Cette proposition de loi répond aux préoccupations de notre monde économique
contemporain. Elle vise notamment à lutter contre le chômage par la
simplification des formulaires d'embauche des saisonniers agricoles.
De plus, elle protège le consommateur par la création d'un institut national
de la qualité des produits agricoles et alimentaires chargé du contrôle des
utilisations des AOC et des labels.
Toutes ces dispositions, ces objectifs multiples mais complémentaires, vont
dans le sens d'une garantie de l'avenir du monde agricole et surtout d'un
nouveau pacte entre la nation et les agriculteurs.
Autant de raisons, de motifs, de considérants pour voter la proposition de loi
qui nous est soumise. (
Applaudissements sur les travées du RPR.
)
M. Jacques Habert.
Très bien !
M. le président.
La parole est à M. Bony.
M. Marcel Bony.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la
déclaration que je vais vous lire a été rédigée par mon collègue et ami Fernand
Tardy, qui est membre du groupe socialiste et vice-président de la commission
des affaires économiques. Il aurait souhaité vous la présenter lui-même, mais
il a dû partir précipitamment en province pour une raison impérative.
Le groupe du RPR de la commission des affaires économiques du Sénat soumet au
suffrage des sénateurs une proposition de loi portant diverses mesures urgentes
relatives à l'agriculture.
Dans son exposé des motifs, comme dans le communiqué de presse diffusé le jour
de la discussion du rapport en commission des affaires économiques, le
promoteur du projet souligne le caractère urgent de cette proposition de loi,
qui doit, paraît-il, influencer et conforter les positions françaises lors des
discussions sur la réforme de la politique agricole commune à Bruxelles, et
regrette le peu d'empressement du gouvernement Jospin pour présenter un nouveau
projet.
Cet argument est mensonger et fallacieux.
(M. Philippe François
s'exclame.)
En effet, lors de la présentation du projet de loi d'orientation Vasseur, le
ministre de l'agriculture d'alors avait regretté le retard du projet de loi
présenté par l'ancien gouvernement par rapport « aux discussions sur la réforme
de la politique agricole commune, déjà bien engagées à Bruxelles ».
Par la suite, la discussion de ce projet de loi a été retardée plusieurs fois
par le gouvernement Juppé.
Puis, il y a eu la dissolution, et, à notre connaissance, ce ne sont pas les
socialistes qui ont dissous l'Assemblée nationale, mais bien le Président de la
République, issu des rangs du RPR.
S'il y a du retard pour l'adoption d'un projet de loi d'orientation agricole,
les responsables sont le gouvernement d'Alain Juppé, le Président de la
République et l'ancienne majorité, c'est-à-dire ceux qui, aujourd'hui,
déplorent ce retard.
Après la dissolution, et dès son discours d'investiture devant le Parlement,
M. Lionel Jospin a indiqué qu'il reprendrait « le plus rapidement possible » la
loi d'orientation.
Bien entendu, cette loi devait être modifiée, puisque nous n'avons ni la même
philosophie ni les mêmes opinions sur le développement futur de notre
agriculture.
Ces modifications concernant une loi importante de plus de 160 articles ne
peuvent pas se faire rapidement, et la discussion du texte gouvernemental aura
lieu au cours du premier semestre de l'année 1998, comme l'a précisé à
plusieurs reprises M. le ministre de l'agriculture.
Je tenais donc, dans un premier temps, à rétablir les responsabilités de
chacun dans le retard concernant ce texte de loi.
Fallait-il déposer une proposition de loi pour pallier ce retard ? Nous
répondons par la négative.
Cette proposition de loi est, en effet, une duperie.
Elle reprend les principaux chapitres de la loi d'orientation Vasseur. Le
groupe du RPR ne semble pas avoir encore compris que les Français ont voulu un
changement de politique
(M. Philippe François s'exclame.)
, y compris
dans le secteur agricole, et ce n'est pas en remplaçant le texte Vasseur
mort-né par une proposition de loi émanant de ses amis que l'on va dans le sens
indiqué par le suffrage universel.
Cette proposition de loi est une duperie car ses promoteurs savent bien
qu'elle n'a aucune chance de venir en discussion devant l'Assemblée nationale,
le Gouvernement étant maître de l'ordre du jour. Et, y viendrait-elle, qu'elle
n'aurait aucune chance d'être votée par la majorité de l'Assemblée
nationale.
M. Philippe François.
On le dira aux organisations syndicales !
M. Marcel Bony.
Cette proposition de loi est une duperie, car elle accumule les mesures sans
en chiffrer l'impact budgétaire, qui est considérable.
A ce sujet, je veux souligner que si cette proposition de loi comportait
dix-sept articles lors de son dépôt, elle en comptait déjà vingt-sept lors de
la discussion en commission des affaires économiques, et ce avant qu'aucun
amendement ne soit déposé.
Je ne doute pas que les démagogues qui ont rédigé ce texte ajoutent de
nouveaux articles par voie d'amendements. Pourquoi se gêner quand on a comme
unique but de faire une opération politicienne à quelques mois de la discussion
de la loi d'orientation agricole proposée par le gouvernement Jospin sur le
même sujet ?
M. Philippe François.
Faux ! Mensonge !
M. Marcel Bony.
Cette proposition de loi est, en effet, une duperie : à qui fera-t-on croire
que les négociateurs de Bruxelles attacheront de l'importance à un texte non
voté, déposé par les opposants au Gouvernement, qui, lui, négocie à Bruxelles
et qui, grâce à la pugnacité et à la compétence de son ministre de
l'agriculture, M. Louis Le Pensec, a déjà obtenu des modifications
significatives de la nouvelle politique agricole commune, dans le sens voulu
par les organisations professionnelles de notre pays ?
Mais, aux yeux du groupe socialiste du Sénat, le dépôt de cette proposition de
loi a une signification beaucoup plus grave pour le fonctionnement de la Haute
Assemblée !
M. Jean François-Poncet, président de la commission des affaires économiques
et du Plan, pourrait en témoigner : le groupe socialiste a toujours participé
avec sérieux aux travaux de cette commission. Certes, très souvent, nous
n'avons pas été d'accord avec les positions des commissaires de la majorité.
Cependant, nous avons participé assidûment à des commissions d'études
importantes dont les travaux ont fait l'objet de publications que nous avons
souvent approuvées.
A aucun moment nous n'avons essayé, par des manoeuvres quelconques, de nous
servir du travail du législateur à des fins purement électorales.
Ce sérieux des commissaires de la commission des affaires économiques et du
Plan va être mis en cause par des pratiques consistant, pour l'opposition, à
présenter des textes doublant des textes gouvernementaux.
M. Philippe François.
Faux !
M. Marcel Bony.
Ces textes n'ont aucune chance d'être votés par le Parlement, mais ils offrent
une panoplie de mesures utilisable comme support d'une campagne électorale !
M. Philippe François.
Nous sommes le Parlement !
M. Marcel Bony.
De telles pratiques sont indignes du Sénat et elles marquent d'une ombre
inutile la qualité de nos anciennes relations.
Cette proposition de loi est un texte d'opportunité, c'est un texte
politicien, c'est un texte pernicieux, car c'est le commencement d'un processus
fait de travaux inutiles, mal étudiés, qui ne peut que ternir l'image de marque
de la commission des affaires économiques et du Sénat.
Parce qu'ils ne veulent en aucune façon être les complices de tels
agissements, les commissaires socialistes de la commission des affaires
économiques, qui ont quitté la commission au cours du débat, et les membres du
groupe socialiste ne prendront pas part à la discussion des articles. Ils
entendent ainsi protester contre des pratiques qui n'ont rien à voir avec le
travail parlementaire normal.
Nous le disons tout net à M. le président de la commission des affaires
économiques : jamais ce texte n'aurait dû franchir la barrière de la
commission, jamais il n'aurait dû venir en discussion devant la Haute
Assemblée.
Beaucoup de membres centristes de la commission nous ont d'ailleurs fait part
de leur indignation. Certains ont quitté, sans bruit, la séance. Il a fallu
toute l'autorité du président de cette commission pour rassembler les
différentes fractions de la majorité sur ce texte inutile. En échange de quoi ?
Contre la promesse que son groupe en serait aussi signataire ! Ainsi, pour
quelques bénéfices électoraux, le président de la commission des affaires
économiques s'est associé à cette manoeuvre indigne du Parlement !
Les commissaires du groupe socialiste, outrés, sauront se souvenir, dans leurs
positions futures, de son attitude.
Le combat politique peut être rude, difficile, mais, jusqu'à ce jour, il
régnait au Sénat une certaine sérénité grâce aux relations que nous entretenons
les uns avec les autres.
La proposition de loi déposée par le groupe du RPR...
M. Philippe François.
Par la majorité du Sénat, et pas seulement par le groupe du RPR !
M. Marcel Bony.
... et soutenue maintenant par les autres groupes de la majorité sénatoriale,
est un texte qui va à l'encontre de cette harmonie maintenue à travers nos
diversités.
Se servir de textes législatifs comme d'instruments exclusifs de propagande
est très dangereux pour notre crédibilité.
Gardons nos forces, notre sagesse, nos connaissances plurielles pour amender,
corriger, bonifier le futur texte de loi d'orientation en préparation
aujourd'hui, en étroite collaboration avec le monde professionnel agricole,
plutôt que de vouloir refaire le monde seuls, à des fins politiciennes !
Le groupe socialiste réprouve cette pratique et laissera à la majorité de la
Haute Assemblée la responsabilité de ce mauvais coup que nous dénonçons.
J'ajouterai, monsieur le président, paraphrasant le mot de Boissy d'Anglas,
que si l'Assemblée nationale est l'imagination de la République, le Sénat
risque aujourd'hui, par une telle démarche, de ne plus en être la raison.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président.
La parole est à M. Vigouroux.
M. Robert-Paul Vigouroux.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, qui pourrait
insinuer que le Sénat néglige l'agriculture ? Le 5 novembre, nous avons tenu un
débat de six heures ; le 2 décembre, pendant sept heures trente, nous avons
librement discuté du budget de l'agriculture, discussion au cours de laquelle
chacun a pu s'exprimer comme je l'ai fait.
Nous devons, dans les prochains mois, examiner la loi d'orientation que vous
présenterez, monsieur le ministre.
L'essentiel n'est pas de défendre le passé. Il est de défendre l'avenir. La
terre n'est pas nostalgique d'un pouvoir. Les agriculteurs, les viticulteurs,
les éleveurs et les autres sont cependant inquiets et délivrent ce message aux
élus que nous sommes dans ce monde si paradoxal, où la famine côtoie la
surproduction.
Voici un débat de fin d'année ou, plutôt, une proposition de loi. Ses raisons
? Qu'importe si une avancée en résulte, car les objectifs communs sont en cause
: communs pour nous, communs dans l'Europe commune.
Vous pourrez donc, monsieur le ministre, nous livrer vos perspectives, au-delà
de la loi de finances, nous indiquer les grands lignes de la politique agricole
française que vous défendrez, dès demain, au Conseil européen. Ce débat va
permettre d'orienter la politique agricole européenne, à laquelle nous sommes,
sur ces diverses travées, je pense très attachés, car la majorité des sénateurs
emporte plus de terre à ses souliers que de goudron.
Si la diversité de l'Europe, dans le domaine agricole ou tant d'autres, pose à
chaque pays ses propres problèmes lors des nécessaires accords, nous ne devons
pas oublier que solidarité et entente en son sein sont indispensables sur le
marché mondial.
La défense de notre agriculture, de son effort économique, passe
nécessairement par un bon positionnement dans les marchés mondiaux, dans une
Europe unie et décidée à se faire respecter. Nous savons aussi que
l'agrandissement de l'Europe ajoutera quelques difficultés à surmonter ; le
chemin est encore long.
La proposition de loi qui nous est présentée par la majorité sénatoriale
envisage en six titres notre destin agricole, du producteur au consommateur,
comme un rappel des lois qui, au long de ces dernières années, ont réglementé
l'agriculture dans le sens de la modernisation et du développement, en 1960,
1962, 1980 et 1995.
Des successions de lois, dont aucune n'efface les autres, et, de
réglementation en réglementation, le législateur n'enserre-t-il pas trop le
citoyen dans un corset qui devient carcan ? Une réglementation trop rigoureuse,
c'est comme les « passages cloutés » de nos rues : on ne la respecte pas.
D'autant qu'en plus des droits et des devoirs du milieu agricole, et ce dans
des contrées différentes, et de la diversité de la production, nous connaissons
depuis peu la pression des consommateurs, devenus, en raison des scandales et
des problèmes de pollution, très exigeants sur les produits d'origine agricole.
Nous avons vu s'installer des commerces spécialisés, et des labels s'afficher
parfois. En ce domaine aussi apparaît une alimentation à deux niveaux, car les
prix diffèrent.
La qualité du vendu ne doit pas, de plus, être facteur elle-même de
pollution.
La pollution est liée, pour les céréales, à une production trop intensive, à
l'emploi d'engrais chimiques et de pesticides, et, pour la production de viande
bovine, à l'emploi des farines contaminées. Sinistre euphémisme que d'utiliser
le terme « farine » quand on songe à partir de quoi ces produits alimentaires
sont fabriqués. A ma connaissance, encore aucun fabricant n'a été inquiété ni
poursuivi.
Pis, ne vient-on pas d'apprendre que le Gouvernement britanique avait annoncé,
ce 3 décembre, une série de mesures visant à interdire la commercialisation de
nouveaux produits d'origine bovine, telle la côte de boeuf, un risque, fût-il
minime, d'une transmission à l'homme de la fameuse « maladie de la vache folle
» étant réapparu ? Une frontière biologique qui fait sourire, sourire
tristement. La maladie est, ou n'est pas, transmissible à l'homme : voilà
l'absolue vérité.
La pollution est liée également, pour les producteurs de porcs, à un rejet
trop important des nitrates dans les nappes phréatiques.
Je souhaite, monsieur le ministre, que, lors des futures négociations avec nos
partenaires européens, vous obteniez que soient intégrés tous ces faits.
Cette réforme pour le XXIe siècle doit nous permettre, tous ensemble, de nous
défendre dans la nouvelle OMC face aux Etats-Unis ; la loi d'orientation aura
pour but de fixer nos objectifs dans les prochaines décennies.
La politique agricole commune européenne ne peut être dissociée de
l'aménagement du territoire, de la protection de la nature, de la
désertification des campagnes, de la concurrence mondiale.
Il faut préserver nos atouts liés à la labélisation des produits. Qui n'est
pas amateur d'un bon poulet de Bresse, d'un canard de Challans, d'une viande
d'agneau de pré-salé... sans oublier les pieds et paquets de Marseille...
M. Philippe François.
Ah, ça c'est bon !
M. Robert-Paul Vigouroux.
... la viande du Limousin et le boeuf de Bazas... ma liste est loin d'être
exhaustive ! Les Japonais ont su faire connaître le fameux boeuf de Kobé. Mais
encore faut-il continuer à trouver ces produits entièrement naturels et pouvoir
aussi les acheter !
Vous indiquez, mes chers collègues, que l'agriculture représente 85 % de notre
territoire et 3,5 millions d'emplois induits. Pour conserver ce tissu, il est
important de développer l'installation des jeunes, même non issus de ce
milieu.
On a souvent évoqué, ces dernières années, la nécessité d'en faire les «
jardiniers » de la nature. Je l'ai lu, monsieur le ministre, dans vos projets :
vous souhaitez qu'une aide financière de l'Etat, sous forme de contrats, soit
proposée à ces jeunes afin qu'ils entretiennent l'espace rural. Cela leur
permettrait de ne pas trop s'endetter dès leur intallation.
Un autre point important est de les inciter à se regrouper beaucoup plus en
CUMA pour que le coût de la mécanisation soit moins lourd pour chacun.
Monsieur le ministre, la proposition de loi présentée par la majorité
sénatoriale sera, selon toute vraisemblance, votée dans cet hémicycle.
M. Philippe François.
Nous l'espérons !
M. Robert-Paul Vigouroux.
Vous présenterez au début de l'année 1998 votre propre projet, dont nous
débattrons alors.
A chaque année sa récolte. Pour moi, j'attendrai le printemps !
M. le président.
La parole est à M. François.
M. Philippe François.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, pour ce qui
me concerne, il est évident que je ne peux pas cacher la satisfaction que
j'éprouve, contrairement à d'autres, une proposition de loi déposée par la
totalité de la majorité sénatoriale examinée aujourd'hui par la Haute
Assemblée.
En effet, ce texte nous permettra d'adopter des mesures urgentes en faveur de
notre agriculture, mesures qui répondent aux demandes légitimes des
organisations professionnelles et du monde agricole en général.
Cette proposition de loi tend, d'une part, à créer de la valeur ajoutée et des
emplois, à maintenir un nombre important d'agriculteurs, à poursuivre la
relance des installations de jeunes agriculteurs et, d'autre part, à faire de
la politique de la qualité alimentaire un atout décisif dans la compétition
internationale.
Je ne reviendrai pas, bien sûr, sur l'excellent rapport de notre collègue
Gérard César, qui a brillamment présenté le dispositif. Je m'associe
pleinement, bien entendu, aux nouvelles dispositions introduites par la
commission des affaires économiques, même si les socialistes ne nous ont pas
fait l'honneur de participer à nos travaux !
Je souhaite néanmoins attirer votre attention, monsieur le ministre, sur trois
dispositifs phares qui sont, à mes yeux, essentiels pour l'avenir de notre
agriculture.
Le premier est l'entreprise agricole.
L'article 1er fixe les objectifs prioritaires de l'aide financière de l'Etat
accordée aux entreprises agricoles. Cette aide doit ainsi aller en premier lieu
vers l'installation des jeunes agriculteurs, la modernisation, le regroupement,
la reconversion partielle ou totale des entreprises en vue d'améliorer leur
viabilité, et elle doit prendre en compte l'intérêt du projet d'installation en
matière économique, environnementale et sociale.
En outre, cette aide peut être aussi interrompue, voire faire l'objet d'un
remboursement, si l'entreprise ne satisfait plus aux conditions de mise en
valeur de l'espace agricole ou forestier - ne l'oublions pas - soit au schéma
directeur départemental des structures agricoles, soit enfin au projet
départemental d'orientation de l'agriculture. Les choses sont claires, nettes
et bien bordées.
De plus, l'entreprise agricole n'étant pas reconnue en tant que telle
aujourd'hui, l'article 2 reconnaît un fonds agricole, comme cela a été fait, je
le rappelle, pour le commerce et l'artisanat avec l'article 22 de la loi du 5
juillet 1996.
N'est-il pas urgent, monsieur le ministre, qu'après la reconnaissance de
l'exploitation agricole sur un plan économique la question de son organisation
juridique soit abordée ?
En effet, cette mesure permet non seulement la transmission et le nantissement
du fonds agricole ainsi constitué en vue de favoriser l'installation d'un jeune
agriculteur, mais aussi une clarification entre le patrimoine privé de
l'exploitant et son patrimoine professionnel, notamment en cas de difficultés,
comme nous en avons toujours rencontré dans le monde agricole.
La reconnaissance de ce fonds nécessite par ailleurs la mise en place d'un
registre des fonds agricoles qui pourrait pleinement s'inscrire dans le
registre de l'agriculture prévu dans le code rural.
Par conséquent, le dispositif proposé me semble trouver sa place dans la
relance de la politique d'installation amorcée en 1995. Il est à même d'éviter
le démembrement d'exploitations viables, qui disparaissent à raison de 2 000 à
5 000 par an, et il apporte une contribution générale à la politique de
l'emploi, puisque de 2 à 3 emplois sont liés indirectement à une installation
agricole.
Le deuxième point majeur, monsieur le ministre, est le statut du conjoint. Il
vient d'être évoqué par mon collègue M. Grandon. J'y reviendrai donc
brièvement.
Le texte crée un nouveau statut, celui de conjoint collaborateur d'entreprise,
l'objectif étant ici d'offrir aux conjoints d'agriculteurs qui ne souhaitent
pas devenir coexploitants ou associés de société un nouveau statut amélioré par
rapport à l'actuel statut de conjoint participant aux travaux, dans la mesure
où les droits d'assurance.
Le texte institue également une assiette forfaitaire provisoire de cotisations
sociales pour les chefs d'exploitation ou d'entreprise agricole qui débutent
dans leur activité.
Il prévoit également que les conjoints ayant participé aux travaux avant de
s'installer en qualité de chef d'exploitation verront leurs cotisations assises
sur la part correspondant à leur participation aux bénéfices dans les revenus
du foyer fiscal.
Enfin, pour le conjoint reprenant l'exploitation, l'assiette des cotisations
sera constituée par les revenus dégagés par le cédant.
Quand on sait que la retraite forfaitaire actuelle du conjoint participant aux
travaux est modeste, le dispositif proposé me semble constituer une évolution
majeure.
En effet, aujourd'hui, dans le meilleur des cas, cette retraite forfaitaire
est tout au plus égale à l'allocation aux travailleurs salariés, soit 17 417
francs par an en valeur 1997 - vous voyez à quel point je peux être précis. Et
ce sont près de 139 000 conjoints d'exploitants agricoles qui se trouvent
actuellement dans cette situation.
Le dispositif permet donc aux conjoints qui opteront pour ce nouveau statut
d'acquérir dorénavant des droits non plus seulement à la retraite forfaitaire,
mais aussi à la retraite proportionnelle, à concurrence de seize points par an,
moyennant le versement par le chef d'exploitation d'une cotisation de 12,5 %
sur une assiette fixée forfaitairement à quatre cents fois le SMIC. C'est clair
!
Au terme d'une carrière de 37,5 années accomplies dans ces conditions, les
intéressés seront assurés de percevoir une pension de retraite globale,
retraite forfaitaire et retraite proportionnelle cumulées, de 29 249 francs
exactement par an en valeur 1997, soit une amélioration de l'ordre de 71 % par
rapport au statut actuel.
J'évoquerai un troisième et dernier point : la qualité et la valorisation des
produits agricoles.
Le texte qui nous est soumis crée l'institut national de la qualité, chargé
d'orienter la politique des signes de qualité et d'origine en France.
Cet institut a notamment pour objectif l'amélioration de la lisibilité des
signes officiels de qualité et leur promotion auprès des consommateurs et des
opérateurs économiques, la coordination entre l'institut national des
appellations d'origine et la commission nationale des labels et certifications
pour permettre une meilleure cohérence entre tous les signes de qualité
existants, et l'établissement d'un lien permanent avec les instituts de
recherche et les organismes de développement des démarches de qualité.
Le texte offre, par conséquent, la possibilité de mentionner un nom
géographique sur les labels et certifications de conformité, en dehors de
l'indication géographique protégée. Il se conforme, en outre, à la
réglementation européenne en rendant obligatoire l'accréditation par le comité
français d'accréditation. Il encadre, enfin, l'utilisation de l'indication de
provenance.
Par conséquent, le dispositif proposé fait de la politique de qualité un
élément essentiel de notre politique agricole et alimentaire. Je tiens à
rappeler que ce dispositif correspond à une recommandation de notre groupe
exprimée lors de l'épisode dramatique de la crise de la vache folle. Une
véritable politique de qualité tant au plan national que communautaire est,
vous n'en doutez pas, monsieur le ministre, le gage de la pérennité et du
développement de notre agriculture.
Toutes ces mesures sont essentielles pour affirmer le modèle agricole français
et pour assurer son avenir au sein de l'Union européenne.
Comme l'a souligné notre rapporteur, cette proposition de loi ne s'oppose en
aucune façon au futur projet de loi agricole que vous allez soumettre au
Parlement, monsieur le ministre. Elle prépare un avenir positif, en permettant
la mise en place de mesures dont notre agriculture a besoin aujourd'hui, en
ouvrant un véritable débat sur les questions fondamentales qu'elle soulève.
A la veille du Conseil de Luxembourg, cette proposition de loi revêt bien, dès
lors, une valeur de symbole. En l'occurence, monsieur le ministre, l'enjeu est
de taille : c'est la défense de notre modèle agricole.
Dans un environnement international et communautaire incertain, il est en
effet impératif de doter notre agriculture des instruments nécessaires pour lui
permettre de répondre pleinement aux attentes de notre société.
N'oublions pas que la perspective qui se présente pour de nombreux produits
agricoles n'est pas très prometteuse en Europe. A supposer que la politique
actuelle soit maintenue, un fort écart subsistera, malheureusement, nous le
savons tous, entre les prix de l'Union européenne et les prix mondiaux au cours
des prochaines années dans beaucoup de secteurs.
Or, compte tenu des engagements qui ont été contractés dans le cadre du cycle
de l'Uruguay, s'agissant en particulier des aides à l'exportation, des
excédents non exportables apparaîtront sans aucun doute après l'an 2000 dans
l'Union européenne.
Un excédent structurel était déjà prévu pour la viande bovine avant que la
situation ne se dégrade et ne s'aggrave avec la crise de la vache folle.
Cette crise, qui a entraîné, dès le mois de mars 1996, un effondrement des
cours de la viande bovine et un fort recul de la consommation, n'a fait
qu'amplifier des excédents structurels qui existaient depuis longtemps en
Europe et dont les origines sont multiples.
Des difficultés croissantes vont aussi se présenter dans les secteurs des
céréales, du sucre, du vin, de l'huile d'olive, du lait écrémé en poudre et
pour certains autres produits laitiers, l'Union européenne risquant de perdre
de plus en plus de terrain sur des marchés mondiaux en expansion.
Ce phénomène va irrémédiablement s'aggraver avec les propositions de réforme
de la Commission de Bruxelles, qui préconise la suppression de la protection
aux frontières, la réduction des subventions à l'exportation et la refonte des
aides intérieures.
Monsieur le ministre, sachez que le groupe du Rassemblement pour la République
s'oppose fermement à ces propositions, qui ne préservent ni la préférence
communautaire ni l'identité agricole européenne.
M. Christian de La Malène.
Très bien !
M. Philippe François.
Nous n'accepterons jamais le fait que la Commission européenne n'ait pas la
volonté politique de défendre de façon différenciée les intérêts de chacun de
nos secteurs agricoles et qu'elle ne tienne pas compte des spécificités
régionales de l'Europe.
Par conséquent, la proposition de loi que nous examinons aujourd'hui est un
signal d'alarme que nous adressons au Gouvernement.
Pour conclure, je tiens à dire que je juge regrettable le comportement de nos
collègues socialistes, qui ont refusé de participer au débat démocratique que
menait la commission des affaires économiques.
Je regrette que notre collègue Marcel Bony ait cru devoir sortir de la salle
des séances. Je ne lui en veux pas des propos qu'il a tenus, pas plus que je
n'en veux à notre collègue Fernand Tardy, qui a rédigé l'intervention ; je
pense qu'il s'est laissé aller à quelque excès dans sa rédaction.
J'estime toutefois nécessaire de relever le caractère insultant de certains
mots.
Je ferai d'abord remarquer qu'il ne s'agit pas d'une proposition de loi du
seul groupe du RPR, mais qu'elle émane de l'ensemble de la majorité du Sénat de
la République.
Je dirai ensuite que le Gouvernement n'a jamais annoncé le dépôt d'un projet
de loi sur l'agriculture avant le débat que nous avons eu le 5 novembre, où
nous avons dit - c'est moi-même qui, de cette tribune, l'ai fait,
rappelez-vous, monsieur le ministre - que nous avions l'intention de déposer
une proposition de loi sur le sujet.
Il se trouve que, trois jours après, le Premier ministre a annoncé, à la
radio, qu'il envisageait de déposer un projet de loi.
Les propos mensongers de nos collègues sont donc bien insultants, et je tiens
à ce qu'il soit acté que je les considère comme tels.
Je regrette que ceux qui ont parlé de « duperie » et de « mensonge » ne soient
pas présents : on pourrait dire que, pour leur part, ils font preuve de
lâcheté.
(Applaudissements sur les travées du RPR et de l'Union centriste.)
M. Louis Le Pensec,
ministre de l'agriculture et de la pêche.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Louis Le Pensec,
ministre de l'agriculture et de la pêche.
Monsieur le président, je dois
sur-le-champ corriger une inexactitude dans les propos que vient de tenir M.
François.
C'est dans le discours de politique générale qu'il a prononcé au mois de juin
que M. le Premier ministre a fait part de la volonté du Gouvernement de déposer
un projet de loi d'orientation agricole.
M. le président.
La parole est à M. Bizet.
M. Jean Bizet.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, soucieuse de
l'avenir du territoire national et des hommes qui le composent, la majorité
sénatoriale a pris la décision de déposer une proposition de loi portant
diverses mesures urgentes relatives à l'agriculture.
N'y voyez là, monsieur le ministre, aucune manoeuvre politique ou stratégique
quelconque.
Considérez plutôt notre inquiétude, reflet de l'inquiétude de nos agriculteurs
face aux échéances qui s'annoncent.
Au-delà de cette proposition de loi, qui est examinée ce jour même par notre
assemblée, c'est un signal fort que nous adressons aux chefs d'Etat européens ;
qui se réuniront les 12 et 13 décembre à Luxembourg, signal pour rappeler que
l'agriculture française ne doit pas être oubliée ou sacrifiée au sein des
grands débats géopolitiques.
Nous voulons démontrer que l'agriculture européenne peut garder son identité
et sa spécificité, cette approche ne procédant pas d'une vision réductrice,
passéiste ou protectionniste. Il s'agit tout simplement de la projection d'un
modèle agricole qui nous est propre et que nous devons faire partager à nos
partenaires en le rendant conforme aux règles de l'OMC.
Pourquoi une telle attitude, une telle approche me direz-vous ? Tout
simplement parce qu'elle est la seule à bien prendre en compte le territoire et
les hommes, ces deux paramètres déterminant le fondement et l'équilibre de
notre société.
Ce texte s'inspire, en effet, en grande partie du projet de loi d'orientation
déposé par M. Philippe Vasseur, le 6 mai dernier, sur le bureau de la Haute
Assemblée, qui avait fait l'objet d'importantes concertations avec l'ensemble
des organisations professionnelles et était fondé, sur le concept d'un «
nouveau contrat entre l'agriculture et la société ».
Ce concept est plus que jamais d'actualité dans une « société d'inquiétude »,
qui a perdu un certain nombre de ses valeurs et de ses repères.
Parmi les sept titres de cette proposition de loi, qui couvrent, me
semble-t-il, une grande partie des activités agricoles, je voudrais m'attacher
à préciser les points qui concernent le problème des structures et de
l'organisation économique.
L'inadaptation actuelle du contrôle des structures empêche environ un millier
d'installations chaque année. Il convient, en effet, de pallier la dérive de la
création des formules sociétaires, utilisées à seule fin de détourner la
politique de contrôle des structures et qui favorise l'agrandissement des
exploitations.
Cet état de fait existe dans beaucoup de départements français, et il est
préjudiciable au renouvellement des générations.
Sans constituer un environnement législatif par trop coercitif, nous devons
adapter notre politique des structures aux réalités d'aujourd'hui et aux
objectifs de demain, conserver un nombre suffisant d'exploitations familiales à
taille humaine et donner aux formules sociétaires une réglementation plus
claire assortie d'éventuelles pénalités.
Je souhaite, monsieur le ministre, que les modifications des articles du code
rural correspondantes retiennent toute votre attention.
Je me réjouis de la modernisation des organisations de producteurs instituées
par la loi du 8 août 1962. Il était, en effet, important que ces groupements de
producteurs s'insèrent désormais dans l'organisation commune des marchés et se
trouvent ainsi soumis aux directives communautaires.
J'ai noté avec grand intérêt la priorité donnée, en matière d'aide publique, à
la production organisée et, surtout, la modulation de cette aide publique en
fonction du degré d'organisation.
J'ai noté également la rationalité de l'organisation interprofessionnelle par
produit et son articulation entre le plan national et les différentes zones de
production.
En ce qui concerne les rapports avec la grande distribution, si l'on peut se
réjouir des avancées qui ont été réalisées par rapport à l'ordonnance de 1986,
de nombreux progrès restent à faire, la présence de ses représentants au sein
des organisations professionnelles étant importante. La recherche d'un meilleur
partage de la valeur ajoutée est et doit rester une orientation majeure des
organisations de producteurs. A cette fin, la place de la coopération est
fondamentale. Il conviendrait de créer un fonds de modernisation des industries
agro-alimentaires et, notamment, de la coopération.
En effet, les coopératives doivent relever le défi en adaptant les produits
agricoles à des marchés de plus en plus segmentés et conquérir leurs parts
grâce à des produits mieux identifiés.
Or, l'organisation économique actuelle des coopératives répond surtout à une
logique de filière. Il faudrait donner aux coopératives les moyens financiers
leur permettant de s'adapter à ces nouveaux enjeux.
Permettez-moi, monsieur le ministre, au-delà des objectifs de cette
proposition de loi, de replacer l'agriculture française dans son contexte
international et de vous parler des biotechnologies.
L'agriculture française a fait, au cours de la dernière décennie, des progrès
considérables en termes de productivité, une productivité qui l'a portée aux
tout premiers rangs des pays producteurs et exportateurs de produits agricoles
transformés.
Cela dit, les progrès réalisés en termes tant de restructuration que de
productivité s'essoufflent et il importe aujourd'hui d'aborder de nouvelles
orientations pour notre agriculture.
Les biotechnologies font partie intégrante de ces évolutions. La France ne
doit pas s'en désintéresser.
Voilà une quinzaine d'années, nous étions en avance sur le plan de la
recherche fondamentale, de l'aveu même des Américains. Aujourd'hui, ce sont les
firmes américaines qui ont une avance importante dans les domaines
d'applications industrielles.
Je salue à nouveau le courage politique et la clairvoyance dont vous avez fait
preuve en prenant la décision, le 27 novembre 1997, d'autoriser la culture du
maïs transgénique.
Je regrette la cacophonie qui s'est fait entendre depuis au sein du
Gouvernement, et je redoute les conséquences induites sur nos industries de
transformation de déclarations qui tiennent plus de l'idéologie que de
l'approche scientifique.
Le 19 septembre dernier, la Commission européenne a adopté un règlement, dit «
règlement nouveaux aliments », prévoyant un étiquetage spécifique obligatoire
des denrées alimentaires produites à partir du soja, du maïs génétiquement
modifiés, dès lors qu'il n'y avait pas équivalence par rapport à un aliment
conventionnel, non issu des biotechnologies.
Cette réglementation n'a que peu clarifié la situation puisqu'elle ne
définissait pas la notion d'équivalence. Dès lors, des appréciations
différentes peuvent apparaître entre les divers pays de l'Union européenne.
Ce flou juridique a conduit les industriels français de l'agroalimentaire à
définir, le 20 novembre dernier, en concertation avec les entreprises de la
distribution, une position commune en la matière, préconisant de faire figurer
sur l'étiquette des aliments contenant une protéine nouvelle, issue du
transgène, la mention suivante : « issu d'organisme génétiquement modifié », ou
« génétiquement modifié », ou encore « modifié par les biotechnologies modernes
».
En pratique, cette mention aurait concerné les farines de soja, les protéines
de soja et leurs dérivés, les farines, les semoules et gluten de maïs, qui
entrent dans la composition de certains aliments.
Cette solution, adoptée d'ores et déjà par certains de nos partenaires
européens, semblait fondée sur le bon sens. J'ai cru comprendre qu'elle
recueillait l'assentiment des administrations françaises concernées. Elle
permettait de répondre à l'impératif de transparence en matière alimentaire,
tout en étant réaliste.
Ces orientations ont été remises en cause par la proposition du 3 décembre
dernier de la Commission européenne : dans un nouveau projet de règlement, elle
souhaite que l'étiquetage soit obligatoire dès lors qu'un aliment contient de
l'ADN génétiquement modifié ou, si l'aliment n'en contient pas, s'il est
possible d'y prouver la présence de protéines génétiquement modifiées.
Cette nouvelle définition du critère d'équivalence que propose de donner la
Commission est trop large et conduira inévitablement à une banalisation de la
mention « contient des OGM » sur les étiquettes de nombreux produits, y compris
ceux dont la composition sera identique aux produits conventionnels, ce qui
nuit à la bonne information du consommateur.
Si l'option de la Commission est retenue, c'est en effet la quasi-totalité des
dérivés du soja et du maïs qui devraient être étiquetés. Reste à savoir si le
consommateur pourra s'y retrouver.
M. Gérard César,
rapporteur.
Effectivement !
M. Jean Bizet.
Je ne le pense pas.
En outre, la Commission recommande d'apposer, dans certains cas, sur
l'étiquette des aliments, la mention « est susceptible de contenir des
organismes génétiquement modifiés ».
Cette formulation très floue ne peut qu'entraîner la confusion et une
inquiétude légitime dans l'esprit du consommateur. Ne revient-elle pas à dire
que les industriels de l'agroalimentaire ne maîtrisent pas la composition de
leurs produits ? Comment une telle information sera-t-elle ressentie par le
consommateur ?
Les préjudices qui pourraient en résulter pour nos entreprises françaises,
très présentes sur ce secteur, sont lourds. Leurs représentants se sont
d'ailleurs inscrits en faux contre le projet de règlement et en ont averti la
Commission européenne.
Le Comité permanent pour les denrées alimentaires, composé de représentants
des Etats membres, doit se réunir pour discuter de la proposition de la
Commission le 17 décembre prochain. S'il n'adopte pas la proposition de la
Commission, celle-ci sera renvoyée au Conseil des ministres, qui devra en
décider.
Je tenais, monsieur le ministre, à attirer votre attention sur ce point
précis. Je formulerai maintenant trois souhaits.
Premièrement, il ne faudrait pas que le projet de règlement soit adopté en
l'état, car le consommateur ne s'y retrouverait pas.
Deuxièmement, il conviendrait de mettre en place dans les quinze Etats membres
une définition harmonisée de la notion d'équivalence, fondée sur la présence de
protéines modifiées à partir de certains seuils.
Troisièmement, il importerait de définir des méthodes scientifiques de
contrôle harmonisées, permettant la vérification des mentions portées sur les
étiquettes.
Je vous remercie, monsieur le ministre, de bien vouloir prendre conscience de
cette problématique et d'apporter une réponse rapide sur ces trois derniers
points.
(Applaudissements sur les travées du RPR et de l'Union
centriste.)
M. le président.
La parole est à M. Belcour.
M. Henri Belcour.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, notre monde
paysan connaît actuellement une crise sévère. Certes, il faut être objectif et
le reconnaître : cette crise n'est pas récente et ses causes sont avant tout
profondément structurelles.
On a souvent accusé notre Haute Assemblée - et je me suis laissé dire que
certains continuent ces temps-ci à la montrer encore du doigt - d'être
l'émanation outrancière de la sphère rurale et de lui accorder une attention
tout particulière pour une importance qui, selon les mêmes, est devenue bien
relative. Les principaux intéressés que sont les habitants de nos campagnes
auront toute latitude pour apprécier. Ils savent au moins que le Sénat, qui
leur prête toujours une oreille attentive, perçoit parfaitement les
explications de la véritable crise d'identité qu'ils subissent.
Tout d'abord, le modèle de développement instauré par les grandes lois
d'orientation mises en place par le général de Gaulle en 1960 et en 1962
demande à être redéfini, bien qu'ayant fait ses preuves durant plusieurs
décennies.
Par ailleurs, alors que des efforts en matière de productivité sont consentis
sans relâche, le revenu agricole diminue sans cesse.
En outre, la politique agricole commune, devenue incontournable, est
aujourd'hui plutôt mal vécue et passe pour être davantage une contrainte qu'un
atout. Plus globalement, le monde rural sent son décalage avec les villes
s'accentuer, alors même qu'il se voit éloigné des véritables centres de
décision, qu'ils soient nationaux, communautaires ou internationaux.
Il faut donc reconnaître que les difficultés sont nombreuses et que le milieu
agricole s'avère très complexe. Par voie de conséquence, les remèdes sont loin
d'être aisés à définir et à appliquer.
Au total, à certains moments, les agriculteurs peuvent apparaître durement
éprouvés. Il pèse alors sur eux une grave menace de découragement et de
démobilisation. Ils ont besoin d'un véritable projet fédérateur qui leur donne
encore des perspectives d'avenir.
Leurs organisations professionnelles, dont le dynamisme n'est plus à
démontrer, ne sauraient être mises en cause. Il suffit pour cela d'évoquer le
grand rassemblement qui s'est tenu mardi, à Charolles, et qui, tout en prouvant
la capacité de mobilisation des syndicats agricoles, a une fois de plus révélé
leur aptitude à proposer des alternatives réalistes. Telle est notamment la
volonté de nos éleveurs du Massif central.
En fait, la balle est dans le camp du politique. Et c'est là où nous nous
devons d'intervenir.
Après un débat fructueux qui a permis à notre Assemblée de faire le point sur
la situation de notre agriculture, après l'examen des crédits prévus pour
l'année à venir, et au moment même où un Conseil européen doit préparer les
négociations concernant la future Organisation mondiale du commerce, il faut à
présent agir sans tarder.
C'est ce à quoi s'est attachée la majorité sénatoriale en élaborant cette
proposition de loi.
Tout à l'heure, mon collègue Gérard César, au nom de la commission des
affaires économiques et du Plan, a parfaitement défini les enjeux et détaillé
les dispositions de ce texte.
Pour ma part, je soulignerai la nécessité de certaines mesures qui sont ainsi
prônées.
S'agissant des entreprises agricoles, il est proposé de fixer les objectifs
prioritaires des aides financières de l'Etat. A cet égard, on ne saurait
ignorer l'importance de la transmission des exploitations pour la pérennité de
l'agriculture, et ce plus particulièrement dans les zones défavorisées. C'est
pourquoi l'effort en faveur de l'installation des jeunes agriculteurs est une
nécessité impérieuse.
Rappelons, à ce sujet, que les chiffres ne cessent de diminuer : alors que
l'on comptait 33 000 installations en 1987, on n'en dénombrait plus que 15 000
en 1995. En ce qui concerne un département qui me tient à coeur - la Corrèze
bien sûr ! - l'association départementale pour l'aménagement des structures des
exploitations agricoles a examiné, cette année, 80 dossiers d'installation,
contre 109 l'an dernier.
Or, s'il perdure, ce phénomène affectera de manière funeste la vie des
terroirs, par le défaut de mise en valeur des potentialités naturelles locales
susceptibles d'induire à la fois des emplois et de la richesse.
Aussi ne peut-on que se féliciter de voir cet impératif traduit dans le
présent texte. Prévoir une priorité des aides relatives à l'installation des
jeunes dans des entreprises modernes et viables, c'est assurer les conditions
nécessaires à la pérennisation d'une véritable agriculture compétitive.
En matière fiscale, il est proposé de substituer aux droits proportionnels un
droit fixe pour la cession de parts de sociétés civiles agricoles. Là aussi, il
est particulièrement opportun d'alléger les coûts de transmission des
entreprises en matière de droits d'enregistrement.
On contribue ainsi au développement des exploitations sociétaires, dont les
bienfaits en agriculture ne sont plus à démontrer.
Sur le plan social, il faut remédier rapidement à la situation de précarité
avancée dans laquelle se trouvent aujourd'hui de nombreux retraités agricoles.
En prévoyant un statut mieux défini du conjoint d'exploitant, il est envisagé,
notamment, une amélioration en matière de droit à la retraite
proportionnelle.
Rappelons à ce sujet que le projet de loi d'orientation préparé par M.
Philippe Vasseur comprenait, à la demande du Président de la République, un
volet concernant les retraites des agriculteurs. Ce dispositif avait pour objet
la revalorisation progressive des pensions les plus faibles, de manière à
assurer aux chefs d'exploitation, à leurs conjoints et aux aides familiaux un
niveau minimal de revenus comparable à celui qui existe dans les autres
secteurs d'activités. Le présent texte donne suite à cette volonté.
Je souhaite évoquer à présent un point qui me paraît également essentiel dans
le cadre des actions à favoriser dans le domaine agricole et alimentaire.
Pour ma part, je suis tout à fait convaincu, comme bon nombre d'exploitants,
qu'une agriculture moderne et performante, compétitive sur les marchés et
dynamique à l'exportation, doit s'appuyer sur des productions de qualité et
d'authenticité. Nos concitoyens - des faits récents le prouvent - sont et
seront de plus en plus exigeants à ce sujet. Il était donc indispensable de
rappeler cet impératif dans un texte d'orientation. Cela est fait par le biais
de la création d'un Institut national de la qualité des produits agricoles et
alimentaires.
Dans ce domaine, les deux instances existantes, à savoir l'Institut national
des appellations d'origine, ainsi que la Commission nationale des labels et
certifications, accomplissent parfaitement leurs missions. Une instance chargée
d'orienter la politique de signes de qualité et d'origine en France était
néanmoins nécessaire.
Les différentes dispositions qui figurent dans la présente proposition de loi
ne sauraient s'opposer à un futur projet de loi d'orientation agricole. Notre
but est essentiellement d'ouvrir un débat préparatoire, rendu nécessaire par
l'impérieuse sauvegarde et la promotion d'un type français d'agriculture
spécifique au sein de l'Union européenne.
Ces propositions, soumises au Sénat à la veille du Conseil de Luxembourg, ne
sauraient laisser le Gouvernement indifférent. Elles sont, pour la plupart,
ardemment attendues et soutenues par l'ensemble des acteurs du monde agricole.
Il est donc indispensable de redéfinir une cohérence entre la loi d'orientation
et la réforme de la politique agricole commune.
Les agriculteurs attendent rapidement un cadre d'action, monsieur le ministre.
C'est à cette condition que nous pourrons infléchir le débat communautaire. Ne
décevons pas nos agriculteurs !
(Applaudissements sur les travées du RPR et
de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à M. Paul Girod.
M. Paul Girod.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, j'ai été un
signataire un peu tardif, mais un signataire résolu, de cette proposition de
loi, bien que j'aie par instant, sur tel ou tel point, sinon quelques états
d'âme du moins quelques réticences.
Monsieur le ministre, si j'ai signé cette proposition de loi, c'est parce que
je crois qu'en cette période d'incertitude les agriculteurs ont besoin qu'on
leur adresse un signe.
La réforme de la politique agricole commune inquiète de nombreuses personnes.
La mondialisation des marchés inquiète, elle, l'ensemble de nos compatriotes,
lesquels oublient que, dans cette mondialisation, il y a un
« challenge
»
, comme disent les Américains, terme qui est interprété chez eux comme un
motif d'émulation, d'espoir et de volonté, mais qui est souvent perçu chez nous
comme un motif de démobilisation, de crainte et de repli.
Nos agriculteurs doivent sentir que la représentation nationale et, si
possible, le Gouvernement ont pour eux un minimum d'attention et souhaitent les
aider à disposer des instruments qui leur permettent de moderniser leurs
exploitations, de s'adapter à la fois aux conditions nouvelles des marchés sur
lesquels ils déversent leurs produits et à l'évolution des marchés mondiaux.
Or notre pays souffre d'un certain nombre de handicaps, qui tiennent peut-être
à nos traditions, mais aussi à la nécessité de créer un équilibre entre la
conception civile que nous avons de l'exploitation et la manière dont le
ministère de Bercy - après celui de la rue de Rivoli : M. Deneux connaît bien
les combats qui sont menés depuis vingt-cinq ans ! - aborde la question de
l'imposition de l'agriculture, oubliant totalement les caractéristiques très
spécifiques de cette activité, l'énormité des capitaux engagés rapportés au
chiffre d'affaires annuel et, bien entendu, aux bénéfices que peut dégager
l'exploitation.
Tout cela mérite que l'on ouvre à nouveau une série de débats, car les
agriculteurs ont besoin d'entrevoir les prémices d'une solution.
Monsieur le ministre, même si, personnellement, sur le fond, je peux avoir
quelque perplexité, je crois que les pistes qui vous sont tracées au travers de
cette proposition de loi ont au moins le mérite de réveiller un certain nombre
d'assoupissements intellectuels, voire moraux, qui avaient tendance à s'emparer
de notre pays s'agissant des rapports de notre population, de nos gouvernants
et du Parlement avec notre agriculture, qui demeure l'une des forces majeures
de notre pays.
N'oublions pas qu'elle est l'une de nos forces exportatrices les plus sûres et
les plus constantes ni qu'elle est exposée à des concurrents très résolus qui
veulent l'empêcher d'accéder aux marchés internationaux.
Notre agriculture a besoin de s'adapter.
Il faut encourager l'installation des jeunes et réorganiser les structures.
Nos agriculteurs ont besoin de sécurité dans les domaines juridique, financier
et fiscal.
Cette proposition de loi ouvre des pistes de réflexion que nous devons
explorer. Nous ne pouvons pas laisser le voile de l'oubli, ou de
l'indifférence, recouvrir une nouvelle fois tous les problèmes du monde
agricole.
C'est la raison pour laquelle, monsieur le ministre, je me réjouis de ce
débat. J'espère que vos réponses apporteront un message d'espoir que nous
pourrons transmettre aux agriculteurs, qui constituent une partie importante de
la population de nombreux départements, dont celui que je représente. Nos
agriculteurs ont en effet besoin de voir s'ouvrir devant eux des perspectives
autres que le fameux « paquet Santer », qui, entre nous soit dit, a de quoi
inquiéter s'il n'est pas assorti de contrepartie.
(Applaudissements sur les
travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union
centriste.)
M. le président.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Mes chers collègues, après avoir consulté M. François, vice-président de la
commission des affaires économiques, il ne me semble pas que nous puissions
achever l'examen de cette proposition de loi d'ici à vingt heures.
Nous allons donc interrompre maintenant nos travaux ; nous les reprendrons à
vingt-deux heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-neuf heures trente, est reprise à vingt-deux
heures, sous la présidence de M. Paul Girod.)