M. le président. « Art. 16. - Le 5° bis de l'article 157 du code général des impôts est complété par les mots :
« toutefois, à compter de l'imposition des revenus de 1997, les produits, avoirs fiscaux et crédits d'impôt restitués procurés par des placements effectués en actions ou parts de sociétés qui ne sont pas admises aux négociations sur un marché réglementé, à l'exception des intérêts versés dans les conditions prévues à l'article 14 de la loi n° 47-1775 du 10 septembre 1947 portant statut de la coopération aux titres de capital de sociétés régies par cette loi, ne bénéficient de cette exonération que dans la limite de 10 % du montant de ces placements ; ».
Sur l'article, la parole est à M. Angels.
M. Bernard Angels. Le présent article a pour objet de combattre les abus qui ont été constatés par l'administration fiscale et qui permettent à certains contribuables bien conseillés d'échapper à l'impôt sur le revenu.
Vous le savez, mes chers collègues, le plan d'épargne en actions est un instrument d'épargne défiscalisé destiné à encourager les épargnants à investir en actions afin de renforcer les fonds propres des entreprises.
Les PEA peuvent comprendre des titres cotés en bourse et des titres non cotés. A l'origine, ces derniers étaient admis sur la base de conditions strictes ; mais la loi de finances de 1995 a supprimé ces conditions. Elle a en particulier levé les conditions relatives à l'origine de la détention. Celle-ci ne résulte plus d'une cession à l'occasion de la constitution d'une société ou d'une augmentation de capital. Le titulaire du plan d'épargne en actions, son conjoint, ses ascendants ou ses descendants, n'ont par ailleurs plus l'obligation de détenir plus de 25 % des droits dans les bénéfices de la société.
Du fait de ces modifications, nous avons assisté à des pratiques abusives. Certains détenteurs de PEA ont ainsi acquis des parts de leur entreprise et perçu de substantiels dividendes en lieu et place de leurs salaires, qui ont été minorés d'autant.
Au total, ces versements ont été effectués en franchise d'impôt et les salaires diminués ont été, en proportion, moins taxés à l'impôt sur le revenu.
Pour toutes ces raisons, le Gouvernement propose de plafonner l'exonération des produits afférents aux titres non cotés détenus dans un PEA.
Nous ne pouvons que souscrire à cette mesure, et ce d'autant qu'en la matière les garanties protégeant les contribuables rendent difficile l'application de l'abus de droit et de l'instruction qu'a élaborée récemment l'administration pour sanctionner les abus constatés sur les PEA.
En conclusion, cet article 16 met en place une très bonne mesure.
M. le président. Je suis saisi de deux amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion commune.
Par amendement n° I-18, M. Lambert, au nom de la commission des finances, propose de supprimer l'article 16.
Par amendement n° I-42 rectifié, M. Marini et les membres du groupe du Rassemblement pour la République proposent, dans le texte présenté par l'article 16 pour compléter le 5° bis de l'article 157 du code général des impôts, de remplacer les mots : « à compter de l'imposition des revenus de 1997 » par les mots : « à compter du 24 septembre 1977 » et les mots : « 10 % du montant de ces placements » par les mots : « 25 % du montant de ces placements ».
La parole est à M. le rapporteur général, pour défendre l'amendement n° I-18.
M. Alain Lambert, rapporteur général. Mes chers collègues, il s'agit par cet amendement de nous poser une question extrêmement importante : à quoi sert la loi dans l'organisation de la société ? Autrement dit, la loi, comme nous le pensons tous, doit-elle avoir une portée générale ou peut-elle être utilisée pour régler des cas particuliers ?
C'est dans ces mêmes termes que j'avais posé la question au précédent gouvernement. L'actuel gouvernement conserve l'héritage du précédent et, en la circonstance, il nous présente à nouveau une mesure que nous avons rejetée l'an passé.
En l'occurrence, l'année dernière, l'Assemblée nationale, dans sa précédente composition, avait adopté une mesure que le Sénat avait ensuite rejetée, et la commission mixte paritaire avait bien voulu se rendre à nos arguments.
Mes chers collègues, même si nos échanges ont été parfois vifs au cours de l'après-midi, je veux éviter la moindre ambiguïté et je me tourne donc vers les travées socialistes de cet hémicycle pour dire qu'il ne s'agit pas de favoriser le comportement que notre collègue M. Bernard Angels a décrit, qu'il n'est pas question de permettre à des salariés de transformer des rémunérations salariales en dividendes et d'utiliser ainsi les PEA pour échapper à l'impôt.
Le procédé qu'a décrit M. Angels - je n'aurais pas su le faire mieux que lui - constitue bien un abus. Mais, pour lutter contre cet abus, il existe une procédure dans notre droit, celle de l'abus de droit.
Or, les gouvernements - je n'aime pas mettre en cause l'administration - hésitent, semble-t-il, à utiliser cette procédure. Monsieur le secrétaire d'Etat, si elle n'est pas performante, réformons-la !
Nous avons d'ailleurs proposé à votre prédécesseur de la revoir afin de la rendre plus facilement applicable. Il n'a pas dit que c'était une mauvaise idée, mais il n'y a pas donné suite.
Lorsque l'instruction fiscale est parue le 30 avril 1997, précisément pour traiter de l'abus de droit en matière de PEA, nous nous sommes dit : voilà un Gouvernement qui tient compte des débats du Sénat et qui se dote de l'outil administratif qui va permettre d'engager des procédures d'abus de droit !
Dès lors, monsieur le secrétaire d'Etat, de deux choses l'une : soit cette instruction n'atteint pas l'objectif qui lui était fixé, soit vous avez connu, dans les procédures engagées, des déconvenues qui vous ont convaincu que ce dispostif ne fonctionnait pas.
Mais, dans cette hypothèse, vous devez une information au Sénat. Combien de procédures d'abus de droit avez-vous engagées ? Combien n'ont pas abouti ? Combien avez-vous décelé d'abus réels de droit et d'utilisations des PEA pour dissimuler des rémunérations salariales en dividendes ?
Mes chers collègues, j'ai le sentiment, ou le pressentiment, comme je l'ai dit au précédent gouvernement - et je le dis au présent gouvernement avec beaucoup plus de modération - que nous légiférons pour une dizaine de contribuables en France.
Je vous en supplie, mes chers collègues, ne nous laissons pas aller à cette tentation !
Ce qui me fait penser que le Gouvernement a perçu le danger de la législation qu'il nous propose, c'est qu'il a déjà ajouté - ce que le précédent gouvernement n'avait pas fait - les revenus des parts de sociétés coopératives.
Il s'est aperçu, sans doute parce que certains établissements financiers lui ont signalé le danger, que ce dispositif allait avoir des effets extrêmement pervers.
J'ai un autre pressentiment, c'est qu'il y aura d'autres effets pervers et que l'on vous proposera dans les années qui viennent d'ajouter des exceptions aux exceptions afin d'éviter que cette législation ne produise des effets désastreux.
Alors, monsieur le secrétaire d'Etat, la recommandation que je fais au Sénat est la même que l'année dernière : il convient de rejeter cette proposition. Cependant, auparavant, nous allons vous écouter, pour savoir combien de procédures en abus de droit ont été engagées au cours de l'année qui vient de s'écouler, combien n'ont pas abouti et pourquoi.
Mes chers collègues, essayons d'avoir une législation fiscale qui soit lisible, qui soit facilement applicable et ne créons pas des incertitudes juridiques ou fiscales auprès des contribuables de bonne foi au motif qu'il existe dans notre pays quelques contribuables qui ne jouent pas le jeu. Ces contribuables-là sont conseillés par des cabinets extrêmement spécialisés ; il faut, certes, les combattre en la circonstance, mais avec les armes qui conviennent, c'est-à-dire avec des procédures qui les condamnent et qui feront que la loi ne sera pas devenue un piège pour les personnes de bonne foi, un piège auquel continueront d'échapper celles qui sont de mauvaise foi. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR, des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Marini, pour défendre l'amendement n° I-42 rectifié.
M. Philippe Marini. Il s'agit d'un amendement de repli.
Je partage l'approche, l'analyse, les préconisations de M. le rapporteur général mais, dans l'hypothèse où la solution qui est proposée par la commission des finances ne serait pas retenue, et en fonction, naturellement, des avis qui seront exprimés par le Gouvernement, je défends ce dispositif de repli qui améliore le texte voté par l'Assemblée nationale afin de ne pas pénaliser les investisseurs en capital-risque.
C'est une erreur de fixer le plafond de déductibilité à 10 %, car c'est le taux habituel pour des valeurs cotées sur un large marché.
Or le capital-risque, comme son nom l'indique, présente un risque. Il a un effet de levier qui peut être puissant, mais, dans certains cas, on perd toute sa mise ; c'est dans la nature même du capital-risque.
M. le secrétaire d'Etat en est lui-même convaincu, puisqu'il nous propose, dans le projet de loi de finances, un dispositif, d'ailleurs tout à fait opportun, tendant à favoriser le capital-risque.
Il me semble que la limite prévue par le Gouvernement est un peu basse, et que la mesure serait un peu moins destructrice si cette limite était de l'ordre de 25 %. Voilà pourquoi, dans un souci de réalisme, je suggère cet amendement.
J'y ajoute un dernier élément : il me semble que cette disposition restrictive ne doit pas s'appliquer rétroactivement à des sommes versées ou restituées avant l'annonce du projet de loi de finances car, là encore - je reprendrai l'argument utilisé tout à l'heure par notre collègue M. René Ballayer - c'est une question de confiance.
Modifier après coup les conditions dans lesquelles on a déterminé une décision d'investissement n'est pas correct pour le marché. Voilà pourquoi la remise en cause de cette disposition fiscale incitative ne me semble raisonnablement possible - si l'on veut le faire - qu'à compter de la date d'annonce du projet de loi de finances.
M. le président. Quel est l'avis de la commission sur l'amendement n° I-42 rectifié ?
M. Alain Lambert, rapporteur général. La commission pense qu'il serait utile d'entendre le Gouvernement, monsieur le président.
M. le président. Quel est donc l'avis du Gouvernement sur les amendements n°s I-18 et I-42 rectifié ?
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. Avec ces deux amendements, nous retrouvons la sérénité. En effet, avec le rapporteur général, le Gouvernement est d'accord pour considérer que la plupart des contribuables sont de bonne foi. Mais il existe des contribuables de mauvaise foi, et nos avis divergent sur la façon de traiter leur cas et de les poursuivre.
M. le rapporteur général souligne, une fois n'est pas coutume, la continuité gouvernementale sur ce sujet. Je dois dire que la continuité sénatoriale, notamment celle de votre rapporteur général, est encore plus proverbiale !
S'agissant de l'abus de droit, je peux vous rassurer : un certain nombre de procédures de répression sont en cours, mais elles sont difficiles à appliquer, et ce pour deux raisons.
Tout d'abord, par définition, pour poursuivre des abus de droit, il faut en être informé. Or, pour déceler les contribuables de mauvaise foi, qui sont une toute petite minorité, il faudrait que les services fiscaux effectuent des investigations à très grande échelle, ce qui demanderait des moyens importants.
Ensuite, une fois qu'il y a une présomption d'abus de droit, il faut que l'administration fiscale en apporte la preuve. Il faut que les actes litigieux aient eu un caractère fictif ou il faut prouver que le contribuable a cherché à éluder ou à atténuer la charge fiscale qu'il aurait dû normalement supporter. Vous savez que la jurisprudence, qui est habituellement très soucieuse de protéger les droits du contribuable, est très exigeante quant à la charge de la preuve en la matière.
En théorie, la solution que propose M. Lambert est bonne. Elle traite les cas un par un. Mais elle est très lourde en termes de moyens et elle est aléatoire. Le Gouvernement propose donc une méthode plus sommaire, mais plus efficace.
M. Marini m'a posé deux questions.
La première est relative au capital-risque. Il a tout à fait raison de souligner le fait que nous avons tous intérêt à le développer. Celui-ci se manifeste en général par des parts de société non cotées.
Monsieur Laffitte, vous qui avez aussi quelque compétence en la matière, ces entreprises nouvelles à haute technologie ne distribuent généralement pas de dividendes. Comme M. Marini l'a très bien indiqué, si cet investissement risqué est réussi, le capital est multiplié, mais s'il échoue, le capital est perdu.
Je pense donc très sincèrement que le capital-risque est hors sujet.
M. Marini a enfin évoqué la question de la rétroactivité. Il s'agit de savoir si l'on peut, dans un projet de loi de finances, adopter des dispositions concernant les revenus de cette année qui seront effectivement taxés l'an prochain.
M. Michel Charasse. Voyez plutôt les décisions du Conseil constitutionnel !
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. Le Conseil constitutionnel, comme le dit M. Charasse, a effectivement souvent tranché en la matière. Il l'a encore fait récemment à propos des plus-values à long terme qui figuraient dans le projet de loi portant mesures urgentes à caractère fiscal et financier.
Le recours qui a été introduit au nom de cet argument de rétroactivité n'a pas été accepté par l'Assemblée. C'est pourquoi je suis défavorable aux deux amendements proposés, même si je ne suis pas insensible aux préoccupations qui les sous-tendent.
M. le président. La commission est-elle maintenant en mesure de donner son avis sur l'amendement n° I-42 rectifié ?
M. Alain Lambert, rapporteur général. Au cours de l'après-midi, j'ai invité M. le secrétaire d'Etat, compte tenu de ma constitution quelque peu rustique, à répondre très brutalement à mes questions.
Vous m'avez répondu, monsieur le secrétaire d'Etat, qu'un certain nombre de procédures d'abus de droit avaient été engagées. Combien l'ont été depuis un an ?
Mes chers collègues, nous sommes en charge de l'une des oeuvres les plus belles d'une existence humaine. Selon Portalis, qui nous regarde : « La loi permet, interdit, ordonne. » Tout est dit dans cette formule ! Ce que nous proposent les gouvernements successifs, c'est que nous soyons les greffiers des services qui rencontrent, toute la journée, des difficultés liées au comportement d'un certain nombre de nos concitoyens.
Dans cette course aux contribuables de mauvaise foi, vous n'en sortirez pas !
M. René Régnault. Surtout si vous les encouragez !
M. Alain Lambert, rapporteur général. Il nous faut une loi de portée générale et des moyens nous permettant d'engager les procédures nécessaires pour faire condamner ceux qui auront abusé du droit. Sinon, c'en est fini : la législation sera un filet effroyable qui enfermera toute initiative honnête des Français, mais les poissons que vous recherchez s'échapperont, car ils auront trouvé d'autres solutions !
Mes chers collègues, sur une question de cette importance, ne reculez pas ! C'est toute l'idée que vous devez vous faire de votre rôle dans la société française qui est en jeu. Vous êtes le législateur, celui qui édicte la norme. Cette norme - organisons-nous pour avoir des moyens procéduraux qui le permettent - doit pouvoir être exécutée. Dotons ceux qui sont au service de la France dans l'administration des moyens de procédures nécessaires pour que tous les abus soient réprimés.
Monsieur le secrétaire d'Etat, notre désaccord n'est pas d'ordre politique - je n'ai esquivé aucun désaccord politique depuis le début de cette discussion - mais il porte sur un thème élevé : le rôle de la loi dans l'organisation de la société.
Nous ne devons pas nous laisser conduire sur le chemin que la modernité tente de nous éclairer, celui qui consiste à vouloir régler par la loi les plus menus détails de la société. C'est une impasse dans laquelle la Haute Assemblée, qui est exemplaire en matière de réflexion, ne doit pas s'engager !
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° I-18, repoussé par le Gouvernement.
M. René Régnault. Le groupe socialiste vote contre.
(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, l'article 16 est supprimé et l'amendement n° I-42 rectifié n'a plus d'objet.
Article 17