M. le président. La parole est à M. Mahéas,
M. Jacques Mahéas. Ma question s'adresse à Mme le ministre de l'emploi et de la solidarité.
Les élections des représentants des salariés et des employeurs dans les conseils de prud'hommes vont se dérouler le 10 décembre prochain. Il est utile de rappeler ici l'importance de ces élections prud'homales et le rôle irremplaçable de cette juridiction paritaire, qui règle les litiges du travail entre les salariés et les employeurs. Cette originalité française doit être défendue et préservée. Aussi peut-on se réjouir que 15 554 358 personnes, soit 5 % de plus qu'en 1992, se soient inscrites cette année sur les listes électorales.
Mais nous pouvons aussi avoir des motifs d'inquiétude. Dans une quarantaine de départements, des listes se présentent sous le sigle CFNT dans le collège « salariés ». Il s'agit, en fait, de la Confédération française nationale des travailleurs, succédané du Front national.
Le Front national n'en est pas à son coup d'essai. Dans mon département, la Seine-Saint-Denis, le portrait de M. Le Pen, décagoulé, est utilisé dans la propagande officielle de la FNEML pour les élections à la chambre de commerce et d'industrie qui se déroulent lundi prochain.
La tactique paraît différente pour les élections prud'homales.
M. Alain Vasselle. Qui a ouvert la voie au Front national ?
M. Jacques Mahéas. Ainsi que l'ont déjà dénoncé les organisations syndicales, le Front national entend introduire un débat politique dans une instance chargée de juger les litiges du travail.
Cette dérive et cette politisation des prud'hommes sont dangereuses pour notre démocratie, et les révélations du journal Libération, ce matin, sur l'existence d'un véritable réseau de l'ombre, à savoir le département protection-sécurité, témoignent, une fois encore, des activités en marge de notre démocratie de ce groupe extrémiste.
M. Philippe François. Grâce au soutien socialiste ! (Protestations sur les travées socialistes.)
M. René-Pierre Signé. Qui négocie avec eux ?
M. Jacques Mahéas. Comme par hasard, c'est un socialiste qui dénonce effectivement la présence du Front national à ces élections prud'homales ; ce n'est pas vous ! (Protestations sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. Veuillez poser votre question, monsieur Mahéas.
M. Jacques Mahéas. Madame la ministre, ma question est très simple : que compte faire le Gouvernement pour assurer les garanties d'impartialité, d'équité et d'égalité de tous, indispensables au bon fonctionnement des conseils de prud'hommes ? (Applaudissements sur les travées socialistes et sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à Mme le ministre.
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Monsieur le sénateur, ainsi que vous l'avez rappelé, le 10 décembre prochain auront lieu, comme tous les cinq ans, les élections aux conseils de prud'hommes : l'ensemble des employeurs et des salariés de France, ainsi que les chômeurs, seront invités à élire leurs représentants. Vous avez souligné l'originalité de cette institution, qui est, en Europe, le seul tribunal - si je puis dire - paritaire à juger les litiges issus du code du travail. (Murmures sur les travées du RPR.)
Je rappelais simplement ce que sont les conseils de prud'hommes.
M. Dominique Braye. Nous les connaissons, merci !
M. Alain Gournac. Ne nous faites pas la leçon, madame le professeur ! (Rires sur les travées du RPR.)
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Je ne souhaite nullement vous donner de leçons.
Si je rappelais cette originalité, monsieur le sénateur, c'était pour expliquer à quel point les préoccupations exprimées par M. Mahéas étaient importantes. En effet, pour cette institution, constituée par des organisations patronales et syndicales représentatives, il est très inquiétant, comme nous venons de le constater par le biais d'informations en provenance des préfectures, de voir qu'effectivement, dans une quarantaine de départements, des listes appartiennent non pas à ces organisations représentatives mais, à l'évidence, à une organisation proche d'un parti politique dont les valeurs, les idées et les pratiques ont bien peu de points communs avec les élections prud'homales et la défense du droit du travail dans notre pays. (Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
Il est vrai, monsieur le sénateur, que l'élection de telles listes ferait courir un risque grave...
M. Dominique Braye. Alors, interdisez-les !
Un sénateur du RPR. Interdisez le Front national !
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. ... au bon fonctionnement de ces instances, car chaque salarié a droit à un jugement équitable, sans prise en considération de son origine, de sa nationalité ou de sa religion. Or, justement, ces listes insistent sur la qualité particulière des salariés qu'ils entendent défendre.
Cette situation nous préoccupe, et je pensais que nous pouvions tous nous rejoindre sur ce sujet.
M. Dominique Braye. Nous n'avons pas, comme vous, soixante-seize députés élus grâce aux voix du Front national, madame le ministre !
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. J'ai donc constaté, avec regret, que le précédent gouvernement, qui avait été, comme nous, informé par des organisations syndicales de ce risque, n'ait pas, dans les délais, c'est-à-dire avant le dépôt des listes, procédé à la modification législative qui s'imposait.
M. Josselin de Rohan. Mais vous pouviez le faire !
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Non, je ne le pouvais pas, monsieur le sénateur, parce qu'il était trop tard. Des délais sont prévus pour les dépôts de listes. Nous avons consulté le Conseil d'Etat à ce sujet ; nous avons même essayé de prendre un décret. Mais nous avons été impuissants.
Un sénateur du RPR. Faites-le pour la prochaine fois !
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Nous le ferons pour la prochaine fois. Dès le mois de janvier, nous modifierons la loi ; mais je regrette que le précédent gouvernement, qui aujourd'hui proteste par vos voix contre la présentation de telles listes, lesquelles ne représentent en rien les intérêts des employeurs et des salariés, n'ait rien fait pour empêcher leur dépôt.
M. Dominique Braye. Soixante-seize socialistes élus avec les voix de Le Pen !
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Le risque existait bien et il était tout à fait possible d'intervenir. Je tiens à souligner, par ailleurs, que les listes comportant des irrégularités ont fait l'objet de contestations. Ce cas s'est déjà produit dans cinq départements. (Applaudissements sur les travées socialistes et sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)

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