FINANCEMENT DE LA SÉCURITÉ SOCIALE POUR 1998
Discussion d'un projet de loi

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 1998, adopté par l'Assemblée nationale (n° 70, 1997-1998). [Rapport n° 73 (1997-1998) et avis n° 79 (1997-1998)].
Dans la discussion générale, la parole est à Mme le ministre.
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, comme je l'ai dit devant la commission des affaires sociales et lors de mon audition sur la politique familiale, je me félicite que la représentation nationale puisse débattre de l'avenir de notre système de protection sociale pour la seconde fois cette année. L'accès à la santé, le droit à la retraite, l'aide aux familles constituent, en effet, les fondements essentiels de la solidarité entre les citoyens comme entre les générations.
Comme vous le savez, nous engageons ce débat dans un contexte difficile marqué par des déficits massifs : depuis quatre ans, le déficit du régime général s'élève à environ 50 milliards de francs par an.
Les prévisions font apparaître un déficit de 37 milliards de francs pour 1997 et de 33 milliards de francs pour 1998. Le projet de loi adopté par les députés, en première lecture, a confirmé la volonté du Gouvernement de ramener le déficit du régime général à 12 milliards de francs et, si la conjoncture le permet, de retrouver l'équilibre en 1999.
A cet égard, nous devons tous être modestes. Trop souvent, on a annoncé une disparition du « trou », comme l'on dit, de la sécurité sociale, sans que les résultats aient été à la hauteur de nos espérances.
Les Français, vous le savez bien, quoique très attachés à notre système de protection sociale, doutent, voire s'interrogent fortement sur notre capacité collective à garantir son avenir.
Tel est bien l'enjeu de notre discussion qui, je l'espère, donnera lieu à un véritable débat démocratique au cours duquel les arguments de fond, les faits et les chiffres seront préférés à des défenses qui, parfois, apparaissent un peu corporatistes, ou à des jugements un peu hâtifs.
Je suis convaincue qu'ici tout le monde fera en sorte que nous ayons cet échange démocratique, que mérite bien l'avenir de notre protection sociale.
Personne ne contestera le fait, quelles que soient par ailleurs nos divergences, qu'une sécurité sociale en déficit c'est une sécurité sociale affaiblie et ce sont des solidarités à notre cohésion sociale menacées.
Ainsi, pour conforter la sécurité sociale, nous avons souhaité asseoir son avenir sur une base de financement plus large. Nous avons tenu à rééquilibrer les contributions des revenus du capital et du travail, à supprimer les avantages disproportionnés accordés à certains et à réorienter l'effort en direction des plus modestes.
Par ailleurs, nous estimons que l'amélioration de la santé de nos concitoyens nécessite une implication plus forte des professionnels et, évidemment, des « usagers » eux-mêmes. L'expérience, une fois encore, nous montre qu'une politique comptable trop centralisée et technocratique ne constitue pas une véritable politique de santé.
Notre projet ambitionne donc de réduire de deux tiers le déficit prévu pour le régime général en 1998, en veillant à ce que les mesures proposées soient cohérentes avec les politiques structurelles que nous engageons, pour aller au-delà d'un simple redressement comptable.
J'aborderai tout d'abord la réforme du financement.
Nos mécanismes de financement sont, aujourd'hui encore, trop exclusivement concentrés sur les revenus du travail. Il en résulte, notamment, une faiblesse chronique des recettes, pour beaucoup à l'origine des déficits que nous connaissons.
Je vous rappelle que la part des salaires dans la valeur ajoutée a diminué d'environ 10 % depuis le début des années quatre-vingt dans notre pays.
En outre, la concentration des prélèvements sur les revenus du travail contribue à en renchérir le coût, ce qui constitue un obstacle à l'emploi ; nous le savons pertinemment.
C'est pourquoi nous vous proposons une réforme d'ampleur du financement de la protection sociale, qui se traduit par un basculement quasi-intégral des cotisations maladie des actifs salariés et des retraités vers la contribution sociale généralisée, la CSG.
Cette réforme est fondamentale, car la sécurité sociale disposera ainsi d'une base de financement élargie et plus équilibrée, d'une assiette plus dynamique à partir de laquelle nous obtiendrons des ressources en augmentation année après année.
Cette réforme répond également à une exigence de justice sociale, celle de rééquilibrer les prélèvements entre les revenus du travail et ceux du capital. Il est juste, en effet, que l'ensemble des revenus soient appelés à contribuer. C'est ainsi que s'exprime la solidarité de tous devant la maladie.
Ce rééquilibrage sera d'ailleurs prolongé par l'extension de l'assiette du prélèvement de 1 % actuellement affecté à la Caisse nationale de l'assurance maladie des travailleurs salariés, la CNAMTS et à la Caisse nationale des allocations familiales, la CNAF, à l'ensemble des revenus de l'épargne assujettis à la CSG. C'est donc, au total, plus de 20 milliards de francs qui seront prélevés sur les revenus du capital et qui contribueront au financement.
Le basculement des cotisations maladie vers la CSG permet ainsi un accroissement substantiel du pouvoir d'achat des actifs salariés d'environ 1,1 %. Il se traduit également par une hausse du pouvoir d'achat des exploitants agricoles et de celui de 80 % des indépendants non agricoles.
Cette réforme favorise l'emploi puisqu'elle augmente le pouvoir d'achat, donc la consommation, ce dont a besoin aujourd'hui notre pays pour asseoir sa croissance.
Nous faisons en ce domaine - je le dis sans esprit de polémique - un autre choix que nos prédécesseurs. Je vous rappelle en effet que, en 1996, le pouvoir d'achat du salaire net moyen a diminué de 1,3 % du fait des prélèvements. C'est ce que vient de confirmer une étude récente de l'INSEE. C'est sans doute l'une des raisons qui expliquent une croissance moins forte de la consommation dans notre pays par rapport à nos principaux partenaires européens et un taux de croissance insuffisant.
Par cette réforme du financement, le Gouvernement vous propose, au contraire, de conjuguer soutien à la croissance et recherche d'une plus grande justice dans les prélèvements. Il s'agit donc d'une réforme d'équité, car la cotisation maladie est aujourd'hui injuste : elle pèse surtout sur les revenus du travail, avec des taux inégaux selon les catégories ; elle revêt même, parfois, un caractère dégressif, comme c'est le cas, par exemple, pour les travailleurs indépendants non agricoles.
Je sais que la commission propose un autre choix en revenant sur ce transfert et en proposant un relèvement de la CSG de 0,1 point. J'avoue ne pas très bien saisir cette logique, car ce n'est pas en rognant sur le pouvoir d'achat des salariés qu'on relancera la consommation et la croissance ! J'écouterai cependant MM. les rapporteurs avec grand intérêt.
Si je ne vous ai pas convaincus, je vous demande d'écouter avec attention les arguments d'un grand connaisseur de notre système de protection sociale : « La structure de financement de l'assurance maladie apparaît de plus en plus inadaptée. Ses ressources reposent encore, à titre quasiment exclusif, sur les cotisations sociales, contrairement à l'évolution amorcée dans les autres branches. Cette situation a plusieurs conséquences.
« D'une part, on l'a rappelé, l'équilibre de cette branche est particulièrement dépendant de la conjoncture économique et de l'évolution de la masse salariale.
« D'autre part, elle est source d'iniquité, puisque, à revenu égal et pour des prestations identiques, l'effort demandé aux assurés est très variable selon la structure de leurs revenus, les cotisations sociales ne pesant essentiellement que sur les revenus d'activité.
« Or, comme l'a souligné le conseil des impôts, la structure des revenus tend à évoluer au profit des revenus du patrimoine dont la part est passée de 7 % à plus de 11 % dans les revenus des ménages. »
Ces propos sont tout simplement extraits d'un rapport de la commission des affaires sociales. Le grand connaisseur de notre système de protection sociale - peut-être l'aurez-vous reconnu - n'est autre que M. Descours. (Exclamations sur les travées socialistes, ainsi que sur certaines travées du RDSE. - M. Descours s'exclame également.)
J'ai de bonnes lectures, monsieur le rapporteur !
M. Emmanuel Hamel. Excellentes !
M. Charles Descours, rapporteur de la commission des affaires sociales pour les équilibres financiers généraux et l'assurance maladie. Je vous en félicite !
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Vérité en 1996, erreur en 1997 ? Ce qui était vrai hier l'est encore aujourd'hui, me semble-t-il. Il serait curieux que des changements soient intervenus en un an sur des problèmes aussi structurels.
Il faut se rendre à l'évidence : la réforme de la CSG engagée par la gauche en 1991 - elle a été reprise, d'ailleurs, par les gouvernements successifs entre 1991 et aujourd'hui - et à laquelle nous faisons franchir cette année une étape essentielle est une réforme juste. Elle est, de plus, rendue nécessaire pour garantir la pérennité et l'efficacité du système de financement de l'assurance maladie.
Par conséquent, ne nous opposons pas sur de faux prétextes ! Je ne pense pas que vous considériez que les revenus du capital et du patrimoine ne doivent pas être taxés autant que les autres revenus, comme c'est le cas aujourd'hui dans tous les pays. On comprendrait mal que la France demeure en retard.
J'ajoute, enfin, que nous avons eu le souci, à la différence de nos prédécesseurs, de ne pas pénaliser les retraités et les chômeurs.
Nous vous proposons, en effet, de différencier la hausse de la CSG qui concerne les revenus d'activité et celle qui s'applique aux revenus de remplacement. Il s'agit d'éviter une baisse du pouvoir d'achat des chômeurs et des retraités. La quasi-totalité d'entre eux acquittent des cotisations maladie à hauteur de 2,8 %, ce qui représente le niveau de la hausse de CSG que nous vous proposons.
La politique conduite précédemment, par l'accumulation des prélèvements entre le RDS et la hausse des cotisations maladie, avait entraîné une baisse de 3 % du pouvoir d'achat de la pension de base du retraité imposable entre 1993 et 1997.
Les propositions que nous vous soumettons feront contribuer pour plus de 20 milliards de francs les revenus du capital. Elles s'inscrivent dans notre démarche de réforme structurelle du financement de notre système de protection sociale. C'est un premier pas.
La question de l'assiette des cotisations patronales est posée. Nous nous proposons d'étudier une réforme de l'assiette de ces cotisations qui la rende plus favorable à l'emploi. Faut-il prendre en compte la valeur ajoutée ou une autre assiette ? Faut-il moduler l'assiette en fonction du rapport masse salariale-valeur ajoutée, ce qui pénalise les entreprises qui ont choisi d'engager des investissements autres que productifs ou le remplacement des hommes par les machines ?
Voilà ce sur quoi nous travaillons. Cette réforme n'est pas simple. Il faudra notamment vérifier qu'elle n'entraîne pas d'effets pervers ni des transferts trop lourds d'un secteur à l'autre. Nous sommes néammoins déterminés à l'engager dès la prochaine loi de financement.
M. François Autain. Très bien !
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Je voudrais maintenant aborder les dispositions relatives à la politique familiale. Ayant déjà eu l'occasion d'en débattre avec vous la semaine dernière, je m'attarderai donc moins sur ce sujet, sachant que nous aurons certainement l'occasion d'y revenir lors de nos discussions.
Notre débat sur la politique familiale doit s'apprécier à la fois au regard non seulement de la situation de la branche famille, dont le déficit est de 13 milliards de francs en 1997, mais aussi de l'évolution de la place de la famille dans nos sociétés.
Les raisons du déficit ont été rappelées, en particulier par M. Fourcade. Si le déplafonnement intervenu en 1990 a entraîné une perte de 7 milliards de francs, 63 milliards de francs d'excédents accumulés ont été affectés aux autres branches en 1993. Enfin, la loi de 1994, qui n'était pas financée, pèse aussi sur la situation actuelle.
Je le répète ici, reconnaissons que nous avons tous une part de responsabilité dans le déficit actuel de la branche famille et parlons plutôt de l'avenir !
La famille constitue, chacun s'accordera sur ce point, la cellule de base de notre organisation sociale. Elle est le lien irremplaçable entre les générations. Elle assure un rôle éducatif évident. Elle s'avère être un refuge pour les jeunes, et même pour les moins jeunes, face aux difficultés de la vie. C'est là où se construisent affectivement les enfants, là où ils ont leurs premiers repères. Mais la famille subit aujourd'hui la crise, tout comme notre société. Elle n'est protégée ni des tensions sociales ni de la paupérisation d'une partie de la population. Aussi la famille doit-elle être aidée et confortée.
M. Emmanuel Hamel. Très bien !
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Les premières initiatives du Gouvernement montrent que telle est son ambition. Il a quadruplé le montant de base de l'allocation de rentrée scolaire, revalorisé les allocations logement, créé un fonds pour l'accès aux cantines scolaires, programmé la réhabilitation de 120 000 logements supplémentaires. Ce sont près de 10 milliards de francs qui ont ainsi été apportés en cinq mois aux familles les moins favorisées.
Je comprends mal les critiques formulées à ce sujet. Qui a été condamné par le Conseil d'Etat pour les décisions prises en 1993 et en 1995 en matière de revalorisation ou plutôt de non-revalorisation des prestations familiales ? Qui a gelé les prestations familiales en 1996 ? Qui a augmenté la TVA qui affecte le pouvoir d'achat des familles les plus modestes, celles qui consomment ? Qui a prélevé plus de 120 milliards de francs sur les familles entre 1994 et 1996 ?
Pour ce qui nous concerne, nous n'entendons pas poursuivre une telle politique. Vous l'avez constaté dans les premiers choix du Gouvernement. Nous vous proposons le choix d'une politique de développement et de solidarité.
Notre système d'aide aux familles - et c'est une spécificité française - s'avère plus favorable pour les revenus les plus élevés.
Un déficit majeur, une redistribution à rebours, les difficultés de nombreuses familles modestes, voilà ce qui nous a conduits à renforcer l'effort en faveur des familles les plus en difficulté et à conditionner l'octroi des prestations familiales à un plafond de ressources. Ce n'est pas une dénaturation de la politique familiale comme je l'entends parfois ; c'est tout simplement la définition, dans une période de crise pour la branche famille, d'une politique familiale de solidarité.
Croyez bien, et nous en sommes tous d'accord, que si la situation n'avait pas été telle, personne n'aurait pensé effectivement à supprimer les allocations familiales des familles les plus aisées.
M. Emmanuel Hamel. Libérez-vous des tabous financiers !
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. La mise sous condition de ressources concernera moins de 8 % des foyers qui perçoivent aujourd'hui les allocations familiales, soit environ 4 % des familles avec enfants. Cette disposition heurte, je le sais et je peux le comprendre, les convictions de ceux qui sont attachés à l'universalité de cette prestation, mais n'oublions pas que la logique profonde de la politique familiale est une logique de solidarité.
On s'assure contre un risque. Avoir un enfant n'est pas un risque ; c'est une chance. Ce n'est pas comme le fait de tomber malade, de devenir âgé ou d'être touché par le chômage. Si nous souhaitons avoir un réel débat de fond, il faut le rappeler.
Les associations familiales et les organisations syndicales ont exprimé des réserves sur la voie qui a été choisie. Elles ne contestent pas la nécessité d'introduire plus de solidarité dans notre politique familiale, mais elles souhaitent y parvenir par une réforme fiscale, notamment par une réforme du quotient familial. Nous en avons débattu avec elles et nous continuerons de le faire.
Le Gouvernement s'est engagé à réexaminer cette question. Il est disposé à envisager qu'une réforme fiscale soit substituée à la mise sous conditions de ressources des allocations familiales, sous réserve d'un consensus avec les associations familiales et les organisations syndicales sur ce point.
J'entends d'ailleurs que cette réflexion ne se limite pas aux seules aides financières car la politique familiale doit être envisagée dans sa globalité ; la réduction de la durée du travail ainsi que les politiques en matière d'éducation et de logement contribuent à aider les familles dans l'éducation de leurs enfants.
Nous nous appuierons sur les consultations qui ont déjà été réalisées et qui se poursuivront dans la perspective d'aboutir pour la Conférence de la famille qui s'ouvrira en 1998.
C'est aussi le souci de réduire des avantages disproportionnés qui nous a conduits à proposer de limiter à 50 % le montant des cotisations prises en charge dans le cadre de l'AGED. Je ne reviendrai pas sur le débat qui a déjà eu lieu dans cette enceinte.
Cette prestation est concentrée sur un nombre très restreint de familles puisqu'elles ne sont que 66 000. En fait, 30 000 seront touchées par la baisse du plafond pour les emplois familiaux et celle de l'AGED.
Ce mode de garde reste, en France, extrêmement aidé puisque après ces deux réformes, nous rembourserons encore aux familles, si je puis dire, entre 40 % et 60 % du coût d'une employée à domicile à temps plein, ce qui n'existe dans aucun autre pays.
Ceux qui critiquent l'effort que nous engageons pour financer des emplois-jeunes, qui sont utiles à des centaines de personnes, trouvent parfois normal - et je ne le comprends pas - que 80 000 francs puissent être versés, comme c'est le cas aujourd'hui en France, à une famille. Or ce sont justement ces familles qui auraient le plus de facilités pour financer ces emplois et qui, je le rappelle, seront encore aidées à un niveau oscillant entre 40 % et 60 % du coût après notre réforme.
M. Alain Gournac. Il faut de vrais emplois !
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Tous les élus, qu'ils soient de droite ou de gauche, que j'ai rencontrés ces jours-ci à propos des emplois-jeunes semblent considérer qu'il s'agit de vrais emplois.
M. Claude Estier. Absolument !
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Il ne faut pas tenir deux discours, l'un ici et l'autre sur le terrain, monsieur le sénateur !
Cette mesure répond donc à un souci de justice, en visant à apporter une aide équilibrée aux ménages, quel que soit leur choix personnel en matière de garde d'enfants.
Je comprends toutefois les problèmes posés à certains couples par cette disposition et n'ignore pas les difficultés qu'ils rencontrent pour trouver, dans certains cas, notamment en région parisienne, des modes de garde adaptés. Aussi, pour les familles dont les revenus s'élèvent à moins de 300 000 francs, un amendement adopté par l'Assemblée nationale a prévu d'atténuer, pour cette année, l'effet de la mesure.
J'espère que nous pourrons débattre de ce sujet sereinement. Mon souci est d'aider les familles les plus modestes et d'avoir sur cette question un débat digne et de qualité.
A cet égard, je voudrais vous rappeler ce que déclarait M. Juppé en 1996 : « Faut-il aider toutes les familles exactement de la même manière, quel que soit leur niveau de revenu ? En posant cette question, j'ai conscience de m'attaquer à un tabou qui remonte à 1945 ! C'est la doctrine bien connue : on n'aide pas la famille, on aide l'enfant.
« Je pense que le P-DG qui gagne 100 000 francs par mois n'est pas dans la même situation que le smicard. Il n'est pas normal d'aider tout le monde de la même façon. »
M. Alain Gournac. Oui, « de la même façon » ! Il n'est pas question de suppression !
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Nos moyens étant limités, il y a deux solutions : ou bien nous mettons sous conditions de ressources les prestations qui ne le sont pas, ou bien nous corrigeons les inégalités par l'impôt, en réintroduisant les allocations dans la base taxable.
Pourquoi ces réflexions qui ont été faites voilà deux ans et qui n'ont pas donné lieu, il est vrai, à des réalisatons concrètes ne nous serviraient-elles pas de base pour débattre correctement aujourd'hui ? C'est la question que je souhaitais vous poser.
M. François Autain. Très bien !
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Ces propos devraient inciter la majorité sénatoriale à faire preuve de nuances, et j'ai apprécié ceux qui l'ont fait lors du débat que nous avons eu sur la politique familiale.
J'évoquerai maintenant les problèmes des retraites et des personnes âgées. Le Gouvernement souhaite consolider les régimes par répartition. A travers eux s'exprime clairement la solidarité entre les générations. Eux seuls peuvent offrir les garanties que nous devons à nos aînés. Ils resteront le socle de nos systèmes de retraite.
Bien sûr, la capitalisation, c'est-à-dire la capacité pour certains de nos concitoyens d'épargner pour leur retraite, peut avoir sa place mais sous certaines conditions. Toutefois, elle ne trouvera pas cette place en affaiblissant les régimes de sécurité sociale, fondés sur la répartition, ni en étant réservée à une minorité de privilégiés. Elle doit rester un complément qui ne peut prétendre se substituer à la répartition.
Nos régimes de retraite subissent, pour la plupart, des charges croissantes et doivent se préparer au choc démographique de l'après-2005. Avec plus de 3 millions de chômeurs, nos concitoyens ne sont pas spontanément prêts à supporter un coût fortement croissant pour assumer les retraites.
Nous avons toutefois, en ce domaine, un devoir d'explication, de pédagogie et de lucidité. Tous les régimes sont à des degrés divers, confrontés à ces exigences. Chacun, dans le cadre de ses spécificités, j'allais presque dire de sa culture, doit préparer son avenir et relever le défi démographique. La réflexion sur l'avenir de nos systèmes de retraite, engagée depuis le livre blanc de 1991, doit se poursuivre.
Autre défi lié au vieillissement, la prise en charge de la dépendance.
M. Jean-Pierre Fourcade, président de la commission des affaires sociales. Ah !
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Les personnes âgées aspirent à vivre chez elles le plus longtemps possible. A cet égard, l'adoption d'une proposition de loi émanant du Sénat et instituant une prestation spécifique dépendance a suscité beaucoup d'espoirs, mais sa mise en oeuvre provoque aujourd'hui des réactions. Cette loi n'est pas celle que nous aurions proposée, mais elle est votée et en application depuis presque six mois.
Certains avaient manifesté des inquiétudes quant aux risques d'inégalités d'un département à l'autre. Elles se sont même aggravées du fait des modalités d'application et des pratiques très restrictives adoptées par certains départements.
Toutefois, je tiens à le souligner, la nouvelle législation comporte plusieurs avancées, comme la mise en place d'une véritable coordination gérontologique, qui implique de nouvelles méthodes de travail pour l'ensemble des partenaires concernés par l'aide aux personnes âgées dépendantes. Il s'agit d'une avancée importante qui pourrait d'ailleurs être transposée dans le domaine du handicap. Je crois qu'il faut effectivement garder ces positions.
Doit-on, pour autant, abroger la loi, comme certains le demandent ? Très franchement, cette solution ne me paraît pas réaliste. Nous devons d'abord examiner les améliorations à apporter à la loi votée.
Nous souhaitons aussi avancer rapidement sur la voie de la réforme de la tarification des établissements...
MM. Jean Chérioux et Michel Mercier. Très bien !
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. ... en engageant sans tarder une concertation nécessaire, mais qui reste à mener, avec l'ensemble des partenaires concernés.
M. Jean Chérioux. Très bien !
M. Henri de Raincourt. C'est indispensable !
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Je vais réunir, la semaine prochaine, le comité national de gérontologie. Je traiterai de cette question avec l'ensemble des partenaires qui seront autour de la table. Nous devons travailler autour de deux axes : la réforme des aides à domicile et celle de la tarification des établissements.
Si nous réussissons, avant l'été, à avancer dans ces deux domaines, nous pourrons modifier la loi pour qu'elle n'ait pas d'effets pervers tout en gardant ses effets positifs. C'est en tout cas ce que je souhaite.
J'espère que nous nous retrouverons sur ce terrain avec les différents partenaires concernés, qu'il s'agisse des conseils généraux, des professionnels ou des intéressés eux-mêmes.
Avant d'évoquer l'assurance maladie, je voudrais vous indiquer dans quel état d'esprit M. Kouchner et moi-même abordons le problème de la santé.
Il s'agit de répondre aux besoins tels qu'ils sont et là où ils sont, d'assurer à tous l'accès à des soins de qualité et d'améliorer l'efficience de notre système pour utiliser au mieux les ressources qui y sont allouées. C'est à partir de ces principes que nous envisageons la question de la maîtrise des dépenses de santé.
Leur niveau élevé dans notre pays - 9,8 % du PIB, soit le troisième rang des pays de l'OCDE - indique que cette maîtrise est possible sans nuire à la qualité des soins. Ce taux élevé ne nous permet d'ailleurs pas de nous féliciter de résultats sanitaires supérieurs à ceux des pays de niveau de développement comparable.
Il s'agit donc bien de maîtriser les dépenses de santé et non les seules dépenses d'assurance maladie, car, dans notre pays, le niveau de prise en charge des soins est particulièrement faible. Il ne s'élève qu'à 73,5 %, ce qui nous place parmi les derniers pays du classement de l'OCDE. Cela explique que l'accès aux soins soit très difficile pour les personnes les plus vulnérables.
Dans cette situation, on ne peut rechercher l'équilibre des régimes de l'assurance maladie par la baisse continuelle des niveaux de remboursement. De telles mesures, on le sait, sont sans efficacité structurelle. Elle n'en aggravent pas moins les difficultés d'accès aux soins des plus défavorisés. La voie de la hausse des charges sociales nous est également interdite. Aussi, la maîtrise des dépenses de santé reste-t-elle un impératif.
Cependant, nous pensons qu'il faut cesser de considérer notre système de santé comme une machine à dépenser qu'il faudrait brider de manière autoritaire et centralisée. N'oublions pas qu'il est avant tout au service de nos concitoyens et de leur santé.
Nous le régulerons non pas en l'étouffant sous des objectifs et des enveloppes, mais en engageant les politiques structurelles, en concertation avec les professionnels de santé, et en donnant la parole aux citoyens et aux élus. C'est le sens des états généraux de la santé que M. Bernard Kouchner et moi-même préparons et qui se réuniront à partir du printemps prochain.
Ces états généraux seront un moment fort de dialogue entre les professionnels, les élus et nos concitoyens.
C'est dans cet esprit que nous vous proposons de fixer l'objectif national des dépenses d'assurance maladie pour 1998 à 613,6 milliards de francs, soit une progression de 2,23 % par rapport à l'année précédente.
Ce taux d'évolution est largement inférieur à celui des recettes et représente une contribution implicite au rééquilibrage des dépenses d'assurance maladie d'environ 9 milliards de francs.
L'enveloppe consacrée au secteur médico-social progressera de 3,15 % pour permettre de mieux faire face à l'ampleur des besoins des personnes âgées dépendantes et des personnes handicapées. Il s'agit d'améliorer la prise en charge des premières par la création de 7 000 lits de section de cure médicale et de 2 000 places de services de soins infirmiers à domicile.
Par ailleurs, les moyens supplémentaires consacrés aux personnes handicapées s'élèveront à 250 millions de francs en 1998, contre 100 millions de francs seulement en 1997. Nous pourrons ainsi mieux répondre au manque de places, qui a été mis en évidence par l'amendement Creton, et aux besoins des traumatisés crâniens et des personnes atteintes de handicaps rares ; nous pourrons également améliorer la détection précoce des handicaps chez les enfants. L'enveloppe des dépenses d'assurance maladie consacrée à l'hospitalisation publique augmente, dans notre projet de budget, de 2,2 % pour 1998, après une année 1997 où l'évolution avait été brutalement limitée à 1,25 %.
Nous savons les effets que des coupes budgétaires fortes et aveugles peuvent entraîner pour de nombreux hôpitaux, notamment pour ceux qui mènent depuis des années une politique courageuse de restructuration et de bonne gestion, et dont l'activité se développe grâce à la qualité des services qui y sont rendus.
Il serait vain de croire que les hôpitaux évolueront sous l'effet d'une asphyxie budgétaire.
Je considère aujourd'hui que le plan Juppé ne s'est intéressé aux hôpitaux qu'à travers cet encadrement budgétaire. Notre objectif est de mettre en place une réforme de l'hôpital, et non de la tutelle. Il faut adapter l'hôpital et ses activités aux besoins et aux attentes de la population, notamment en matière de sécurité, d'efficacité et de proximité.
Notre priorité doit être la qualité des soins et la sécurité des patients. M. Bernard Kouchner vient d'installer le conseil d'administration de l'ANAES, l'Agence nationale d'accréditation et d'évaluation en santé...
M. Charles Descours, rapporteur pour les équilibres financiers généraux et l'assurance maladie. Enfin !
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Je vous rappelle, monsieur Descours, que nous sommes en fonctions depuis quelques mois seulement.
M. Alain Gournac. On vous verra à l'oeuvre !
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. L'ANAES permettra d'apporter à nos concitoyens des garanties quant à la qualité des structures au sein desquelles ils sont accueillis.
L'adaptation de notre système hospitalier doit aussi être guidée par la recherche de l'efficience des structures de soins. Nous savons tous que d'importantes disparités existent en ce domaine, depuis quinze ans de budget global où les dotations budgétaires se bornaient, à quelques ajustements près, à reconduire les actions passées. Nous disposons maintenant des données du programme de médicalisation des systèmes d'information.
Certes, cet outil est encore imparfait, et certains le jugent trop technocratique. Cela est vrai, mais il peut, utilisé avec discernement, nous permettre d'orienter l'allocation des moyens et de corriger les inégalités de moyens entre régions comme entre établissements de santé.
Enfin, notre système hospitalier doit s'adapter pour mieux répondre aux besoins. Les techniques évoluent, les exigences de sécurité augmentent, les aspirations des patients se modifient et les caractéristiques des populations prises en charge changent.
Nous devons donc mieux appréhender les besoins à partir d'une connaissance plus précise de l'état de santé des populations région par région, mais aussi des comportements en matière de consommation. Nous devons également disposer d'un état des lieux plus précis sur l'état actuel des structures de soins, sur les manières dont les besoins de santé sont actuellement pris en compte. D'où notre décision de lancer, dès la fin de l'année 1997, la révision des SROS, les schémas régionaux d'organisation sanitaire.
Nous comptons associer les populations et les élus à cette révision. La recomposition de notre tissu hospitalier ne peut être le produit de décisions technocratiques, aussi éclairées soient-elles.
Je suis certaine qu'à partir d'un diagnostic partagé sur les besoins de santé, les risques spécifiques, l'analyse de la qualité à la fois de santé et de gestion des établissements, le dialogue est seul à même de favoriser les évolutions nécessaires.
La remise en chantier des SROS ne retardera pas les évolutions dont la nécessité est avérée. Nous nous donnerons les moyens de les mettre en oeuvre.
Le budget du ministère de l'emploi et de la solidarité prévoit, en effet, une enveloppe de 500 millions de francs, laquelle permettra de rapprocher deux structures hospitalières, de transformer, par exemple, un service de court séjour en unité de soins de longue durée. Il faut pouvoir investir, donc en avoir les moyens, pour faire évoluer l'hôpital.
De même, un fonds d'accompagnement social, pour favoriser la mobilité et la formation, sera financé sur le budget de l'assurance maladie à hauteur de 300 millions de francs.
Rien ne sera possible si nous ne donnons pas une perspective aux acteurs de terrain et sans mobiliser leur énergie et leurs talents. La pression sur les budgets n'est pas une fin en soi. Je n'en conteste pas la nécessité, mais il faut revenir à l'essentiel : la protection de la santé. C'est la mission du service public hospitalier, c'est la vocation des personnels hospitaliers, c'est le sens même de notre engagement dans la réforme de l'hôpital.
Pour la médecine de ville, l'objectif de 2,1 % est à la fois exigeant et confiant. Il traduit notre volonté de réorganiser progressivement mais concrètement notre système de santé. Il faut développer des réseaux, notamment avec les médecins référents, et renforcer les actions de santé publique ; les chantiers sont nombreux, M. Bernard Kouchner en parlera.
Malgré le volontarisme affiché dans les ordonnances de M. Juppé, l'informatisation était en panne. Au-delà des incantations, les pouvoirs publics ne s'étaient pas donnés les moyens de conduire un projet porteur de changements fondamentaux. Le projet avait été présenté et conçu comme un élément de contrôle et de coercition, alors qu'il doit être un outil à la disposition des professionnels et de la qualité des soins. Je pense, par exemple, aux informations que contiendra le volet d'information médical de la carte Vitale, au développement des logiciels d'information médicale et d'aide à la prescription, aux échanges que permettra le réseau Santé Social pour un meilleur suivi du patient.
Un véritable saut qualitatif aux retombées considérables est possible : pouvoirs publics, caisses et professionnels de santé doivent le réussir ensemble. Pour cela, une mission à l'informatisation du système de santé sera mise en place dans les prochains jours et permettra de coordonner l'action à la fois de la CNAM, de l'Etat et des professionnels de santé.
En ce qui concerne la régulation des dépenses, les mécanismes, dont nous héritons, ont suscité une vive opposition au sein du corps médical.
Pourtant, pour que ces mécanismes puissent prétendre à l'efficacité sur le long terme, il faut rechercher leur adhésion et leur participation.
M. Juppé a cru que l'on pouvait réguler notre système sans les médecins. Or, l'essentiel est de mettre en oeuvre des mécanismes qui conjuguent régulation et amélioration de la qualité des soins.
M. Alain Gournac. On verra à l'oeuvre ! Il est facile de critiquer.
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Il faut tout mettre en oeuvre pour impliquer plus directement les acteurs de terrain au contact des réalités. Sans concertation, on ne voit jamais. Alors faisons la concertation ; on verra ensuite ceux qui effectivement vont dans le sens que nous souhaitons tous, c'est-à-dire une amélioration de la santé de nos concitoyens et une protection sociale qui soit sauvée.
Je voudrais également évoquer le médicament. Tout le monde s'accorde à reconnaître qu'en France nous en consommons trop. La surconsommation de médicaments entraîne des interactions médicamenteuses dangereuses et conduit à des hospitalisations.
J'ai demandé à l'Observatoire des prescriptions un bilan, par classe thérapeutique, de l'adéquation entre les besoins et la consommation de médicaments.
Dans le cadre de la politique conventionnelle avec l'industrie pharmaceutique, le Gouvernement fixera pour 1998 des objectifs ambitieux de réduction des volumes. Une telle modération est d'ailleurs nécessaire pour que nous puissions attribuer les prix qu'il méritent aux médicaments nouveaux issus de l'effort de recherche des laboratoires.
Parallèlement, nous devons faire baisser les dépenses de promotion. Industrie pharmaceutique et sécurité sociale ont, en ce domaine, des intérêts convergents. Le présent projet de loi prévoit une augmentation de la taxe sur les dépenses promotionnelles. Elle touchera ceux d'entre eux qui dépensent le plus. La politique du médicament générique ne sera pas touchée par ce dispositif ; elle va, au contraire, changer d'échelle.
Pour conclure sur l'assurance maladie, nous prévoyons de majorer les droits sur le tabac de 1,3 milliard de francs pour lutter contre le tabagisme...
M. Charles Descours, rapporteur pour les équilibres financiers généraux et l'assurance maladie. Bravo !
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. ... ainsi que sur le tabac à rouler, le tabagisme étant un fléau majeur responsable de 60 000 morts par an.
J'ajoute, enfin, que le Gouvernement est conscient du fardeau que supporte la sécurité sociale du fait des déficits accumulés au cours de la législature précédente. Il a donc décidé d'apurer le passé. La dette sera reprise pour un montant de 87 milliards de francs par la CADES, la Caisse d'amortissement de la dette sociale. Il a été décidé de prolonger de cinq ans la CRDS, la contribution pour le remboursement de la dette sociale. La charge d'intérêt du régime général sera ainsi allégée de 3 milliards de francs.
L'ensemble de ces dispositifs doit nous conduire à ramener le déficit à 12 milliards de francs, soit une réduction majeure de l'ordre de 21 milliards de francs. Tel est le projet du Gouvernement.
Je voudrais à ce stade, et en conclusion, souligner le travail du Sénat, en remerciant plus particulièrement sa commission des affaires sociales. Celle-ci ne s'est pas contentée de rejeter ou de critiquer le texte qui parvenait de l'Assemblée nationale, elle a choisi de proposer un ensemble d'amendements qu'elle présente comme un contre-projet. Je ne sous-estime pas la vivacité des critiques qui vont être exprimées et je souhaite qu'elles le soient dans le cadre d'un débat véritablement démocratique. Je pense, à la lecture des rapports, que nous pourrons le réaliser.
Nous pouvons donc comparer le projet de la commission des affaires sociales, complété par la commission des finances, et celui du Gouvernement, amendé par l'Assemblée nationale.
Avant de dire en deux mots ce qui nous oppose, je souhaiterais malgré tout relever un point de convergence, qui est loin d'être anecdotique.
Les amendements du Sénat retiennent l'objectif de réduire à 12 milliards de francs le déficit pour 1998. Vous reconnaissez ainsi sans ambiguïté le bien-fondé et la validité du cap fixé par le Gouvernement ; c'est un premier pas.
Toutefois, je dois le dire, je reste perplexe sur la nature des mesures préconisées par la Haute Assemblée, lesquelles s'appuient sur une vision de la sécurité sociale qui n'en change pas la base, notamment en ce qui concerne le financement.
En abandonnant la substitution de la CSG à la cotisation maladie, vous renoncez à avoir une base plus dynamique et à taxer les revenus du capital. Vous préférez une mesure qui accroît encore les prélèvements sur l'ensemble des revenus du travail, sur les chômeurs et sur les retraités.
A vous lire, je comprends mal qu'il faille attendre l'assurance maladie universelle ou la réforme des cotisations patronales pour avancer, alors que vous reconnaissez vous-même la nécessité de progresser.
Je me refuse à vous suivre dans cette voie car je pense qu'il n'y a pas de temps à perdre pour avancer vers un équilibre de la sécurité sociale.
M. Charles Descours, rapporteur pour les équilibres financiers généraux et l'assurance maladie. Il n'y a, en effet, pas de temps à perdre !
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Attendre est une conception qui n'est pas la nôtre s'agissant du financement de la sécurité sociale.
J'en terminerai par une dernière remarque sur votre tentative de ne pas dégrader les comptes et de rester dans l'épure du texte voté par l'Assemblée nationale. Je parle de « tentative » car nous avons recalculé les conséquences de vos amendements et nous n'arrivons pas au même résultat.
Une partie des économies prévues par votre projet ne nous paraît pas relever de la réalité - j'aurai l'occasion d'y revenir au cours du débat. Je pense, notamment, à votre proposition visant à économiser 1,4 milliard de francs sur le fonctionnement des caisses. Peut-être y a-t-il des économies à faire...
M. Jean-Pierre Fourcade, président de la commission des affaires sociales. Sûrement !
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Nous y travaillons, notamment avec le président de la CNAM. Cependant, aujourd'hui, je ne peux vous suivre sans savoir véritablement où se situent ces économies et comment nous allons les faire. J'apprécierais que M. le président Fourcade ou MM. Huriet et Descours, présidents des conseils de surveillance de la CNAM et de l'ACOSS, l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale, précisent où ils ont trouvé ces économies et si leur dialogue fructueux avec les partenaires sociaux et les gestionnaires leur a effectivement permis de les dégager.
Les économies que vous projetez de réaliser sur l'assurance maladie, et qui varient d'ailleurs d'une commission à l'autre, sur l'ONDAM - Objectif national des dépenses d'assurance maladie - ne sont que la traduction d'une approche un peu comptable, permettez-moi de vous le dire.
M. Charles Descours, rapporteur pour les équilibres financiers généraux et l'assurance maladie. C'est ce que l'on vous a dit lors du débat sur la politique familiale !
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Nous allons le voir ! Il faut nous expliquer où vous réalisez les économies dans l'hôpital et dans la médecine de ville, autrement nous ne pouvons pas aligner des chiffres.
Pour l'ensemble de ces raisons, mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement ne peut suivre la majorité sénatoriale sur un projet qui lui paraît moins juste et peu efficace économiquement. Le débat nous permettra de discuter...
M. Alain Gournac. Tout de même !
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. ... des éléments généraux et, je l'espère, d'améliorer encore le projet de loi. (Applaudissements sur les travées socialistes et sur certaines travées du RDSE - Mme Luc applaudit également.).
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat à la santé. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale, les dispositions relatives à l'assurance maladie se résument à quelques chiffres. Vous savez pourtant l'importance que ces chiffres revêtent : c'est la santé de nos concitoyens qui est en question.
Or j'ai entendu les propos de M. le rapporteur... (Exclamations amusées sur de nombreuses travées).
M. Charles Descours, rapporteur pour les équilibres financiers généraux et l'assurance maladie. Vous ne m'avez pas entendu : je n'ai pas encore parlé ! (Sourires.)
M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat. Mais je vous lis, monsieur le rapporteur : j'ai cet avantage !
M. Emmanuel Hamel. Ce plaisir !
M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat. J'ai lu - et j'entendrai - dans vos propos comme un regret : auriez-vous souhaité non pas de la rigueur mais de la sévérité, non pas une maîtrise des dépenses mais un prolongement de la diète à laquelle nos hôpitaux ont été soumis ? Décidément, nos appréciations sur l'état de notre pays divergent !
S'agit-il seulement d'une pensée alternative sujette à fluctuations politiques ? Je ne peux pas le croire !
Les professionnels de santé approuvent-ils la manière dont le Gouvernement a fixé les objectifs de dépense ? Vous vous attristez. Ne disent-ils pas être pris à la gorge ? C'est vous qui, alors, criez au laxisme. Je le répète : il s'agit, vous le savez, monsieur le rapporteur, de la santé publique, sujet qui, je le souhaite, devrait dépasser nos querelles.
M. Alain Gournac. Cela, c'est de la polémique !
M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat. A vous entendre, on comprend mieux, rétrospectivement, ce qui a provoqué l'échec de la méthode employée par nos prédécesseurs, qui pensaient que seule l'arme des chiffres pouvait vaincre je ne sais quelle hargne dépensière qui se serait répandue comme une traînée de poudre dans les hôpitaux, dans les cabinets, dans les laboratoires.
Nous n'avons jamais nié la nécessité de la maîtrise, ni avant les élections législatives, ni après. Mais, comme trop d'impôts tuent l'impôt,...
M. Alain Gournac. Oui !
M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat. ... nous savons que trop de contraintes provoquent un effet dévastateur souvent inverse.
Ce qui nous intéresse, c'est de veiller à ce que l'argent que la collectivité consacre à l'assurance maladie soit utilisé pour améliorer la santé de nos concitoyens, pour assurer l'égalité de tous devant l'accès aux soins, et que ce montant financier soit ajusté en fonction des priorités de santé que nous avons définies.
Au cours des cinq mois qui se sont écoulés - et ce matin encore - nous avons, Martine Aubry et moi-même, reçu les représentants des professions de santé, du monde libéral comme du monde hospitalier, et certains plusieurs fois. J'ai visité de nombreux hôpitaux, certains qui connaissent des situations difficiles, d'autres - et avec vous en particulier, mesdames, messieurs les sénateurs - qui innovent remarquablement.
J'ai reçu les représentants des personnels hospitaliers, sur le plan national comme à l'occasion de mes déplacements, et je vais multiplier ces déplacements, prévus et imprévus.
J'ai entendu de la part de ces représentants et des élus - oui : et des élus ! - un langage responsable.
Là encore, à les entendre, j'ai mieux compris, rétrospectivement, l'échec de la méthode précédente. Je ne crois pas que le but poursuivi ait été décisif : cette maîtrise « rêvée » comme une fin en soi. Mais cette méthode ne convenait pas. Elle s'était trompée de cible. Elle s'était trompée d'époque.
Les mentalités ont évolué. Les personnels des hôpitaux, les professions paramédicales, les médecins ne demandent pas qu'on leur donne un chèque en blanc. Ils ne réclament pas toujours plus. Ils veulent qu'on leur donne les moyens de soigner nos concitoyens et qu'on les aide à le faire au mieux. En dialoguant avec eux, en informant le public, en organisant les états généraux, nous parviendrons à une prise en charge égalitaire, et ensuite seulement à la maîtrise.
Nous entendons non pas faire peser une contrainte aveugle et uniforme sur l'ensemble du système de santé, mais ajuster les ressources disponibles en fonction des besoins.
Oui, il y a des sources - des torrents, devrais-je dire ! - de dépenses inutiles, et parfois dangereuses. Il y a aussi des domaines dans lesquels il faut des moyens supplémentaires si l'on veut davantage de qualité et de sécurité.
Dépenses inutiles et parfois dangereuses ? La surconsommation des médicaments, nous en avons eu la confirmation à la fin de la semaine dernière, en offre un exemple criant, même si elle n'est pas seule en cause, bien entendu.
Vous savez que la France détient quelques records en la matière : nous dépensons, nous achetons et, surtout, nous consommons dix-neuf fois plus de veinotoniques et de vasodilatateurs qu'en Angleterre, et deux fois plus qu'en Allemagne.
Un sénateur du RPR. Cela ne sert à rien !
M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat. A rien du tout !
On relève quinze fois plus d'achats d'hypolipémiants dans notre pays qu'en Angleterre, et 2,4 fois plus qu'en Allemagne. Nous consommons deux fois plus d'antibiotiques qu'en Angleterre, et deux fois et demie plus qu'en Allemagne. Nous consommons trois à quatre fois plus de psychotropes que nos deux voisins.
Face à ces chiffres, qui sont ceux de l'Agence française du médicament...
M. Charles Descours, rapporteur pour les équilibres financiers généraux et pour l'assurance maladie. Excellente agence ! (Sourires.)
M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat. Et pour cause : dès qu'une idée émane du Sénat, elle est évidemment excellente, et nous ne pouvons manquer de nous rappeler que le Sénat est à l'origine de la création de cette agence. (Nouveaux sourires.)
Face à ces chiffres, qui ont été publiés la semaine dernière, Mme Aubry et moi-même avons demandé à l'Observatoire national de la prescription et de la consommation de médicaments en ville et à l'hôpital de confirmer et d'analyser plus finement ces résultats et de les confronter aux besoins réels de la population.
Vous m'objecterez, mesdames, messieurs les sénateurs, que les besoins réels de la population sont bien difficiles à apprécier et que les instruments nous manquent. Ces instruments, même partiels, existent cependant, et nous devons nous appuyer sur eux.
Nous devons ainsi prendre en compte les besoins de santé en matière de médicaments et d'hospitalisation comme en matière de visites en ville ou de consultations pour ajuster au mieux les dépenses, car c'est seulement à partir de la connaissance de ces éléments que la maîtrise sera possible.
Il y a matière à dépenser moins en soignant mieux, en évitant un certain nombre des effets indésirables mis en évidence par l'étude dont je viens de parler, qui a été menée dans l'ensemble des centres régionaux de pharmacovigilance à la demande de l'Agence française du médicament et qui a fait apparaître que, sur un jour donné, 10 % des personnes hospitalisées présentent au moins un effet indésirable dû aux médicaments, et dont au moins un tiers souffre d'effets graves.
C'est pour lutter contre cette surconsommation, problème majeur de santé publique, que nous vous proposons d'augmenter la taxe sur les dépenses promotionnelles et de la rendre progressive. Il ne s'agit pas d'une manière d'acharnement - non thérapeutique ! - sur l'industrie pharmaceutique, mais d'une nécessité qui découle des chiffres.
Nous préférons agir ainsi plutôt que comme l'a fait le gouvernement précédent, qui avait institué une taxe exceptionnelle et uniforme qui ne portait pas sur les seules dépenses promotionnelles. Or, mesdames, messieurs les sénateurs, vous n'aviez pas dénoncé cette taxe beaucoup plus lourde qui pénalisait indifféremment les efforts de recherche, que nous entendons promouvoir, et les excès de dépenses promotionnelles, sans modifier aucunement les comportements.
C'est pour aider les prescripteurs que nous mettrons en place une information indépendante en matière de médicaments. La formation médicale continue, justement rendue obligatoire, ne doit pas dépendre de l'industrie pharmaceutique, et donc ni de la presse médicale ni de la visite médicale.
Ces objectifs, nous les inclurons dans l'accord cadre que nous discutons avec l'industrie pharmaceutique, car nous entendons donner un véritable contenu à la politique conventionnelle pour les trois années à venir. L'industrie pharmaceutique doit connaître les objectifs du Gouvernement et prendre des engagements, que les conventions ont vocation à faire respecter de manière concertée.
Mais il y a des domaines vers lesquels il faut savoir réorienter les ressources dont nous disposons, pour mieux soigner. Je pense, notamment, à la sécurité dans les hôpitaux. Rien ne sert d'ériger des normes - vous le savez, puisque vous êtes les auteurs de propositions qui ont déjà pris forme de loi et qui aboutiront à un autre texte législatif en matière de sécurité sanitaire - si l'on ne donne pas les moyens aux hôpitaux de les respecter, si on n'en contrôle pas les conditions d'application.
Si nous donnons un peu plus de respiration aux hôpitaux, c'est notamment dans cette optique. Cela paraît indispensable lorsqu'on connaît les chiffres des affections nosocomiales et la rigueur des règles d'hygiène et de stérilisation que nous avons dû, encore très récemment, rappeler par voie de circulaire pour que ces règles soient respectées dans le secteur public et dans le secteur privé.
Vous le savez, notre politique hospitalière consiste à viser l'égalité des chances sur tout point du territoire. Cela signifie concilier les impératifs de sécurité auxquels je faisais allusion, en matière d'infections hospitalières en particulier - avec lesquels on ne transige pas - et la proximité, quand elle est nécessaire, quand elle est justifiée.
Cette proximité conduit à aider - et nous l'avons fait - certains petits établissements qui doivent non seulement être maintenus, mais aussi renforcés. Or, encore une fois, mesdames, messieurs les sénateurs, j'ai eu souvent l'occasion de visiter avec vous vos établissements de proximité, et j'ai pu alors constater que le discours n'était pas forcément le même sur place et à Paris. Ainsi, sans personnaliser le propos - ce que je souhaiterais faire car ces visites furent toujours enrichissantes - permettez-moi de rappeller qu'à ce moment-là le discours n'était pas un discours de rigueur ou de maîtrise, mais qu'il tenait compte des besoins de la population. Je vous en félicite !
Cette politique conduit aussi à favoriser les expériences innovantes, à encourager la solidarité interhospitalière, au-delà des différences de statut. J'ai eu l'occasion de le voir à Villeneuve-sur-Lot comme à Lillebonne la semaine dernière, à Brives ou à Tulle comme en région parisienne, à Dourdan très récemment mais aussi à Rambouillet.
Pour que cette harmonisation hospitalière soit mise en place, il faut du tact, mais surtout beaucoup de temps. De un an à deux ans sont nécessaires pour que les élus d'abord, les équipes hospitalières, les syndicats, le personnel et la population ensuite prennent la mesure de ces nécessités. Mais il faut surtout refuser toute méthode brutale. Cette politique est le contraire de l'immobilisme. L'hôpital est un organisme vivant et, sans oxygène, il s'atrophie, nous l'avons vu l'année dernière. Et l'oxygène dont je parle, ce sont les 2,2 % par rapport au 1,25 %. Alors, avec cet oxygène, l'organisme retrouve la force nécessaire au mouvement.
Nous entendons redonner une dynamique à l'hôpital, le remobiliser pour qu'il puisse accomplir ses missions. Pour cela, l'enjeu central est celui de la qualité.
Vous avez souligné, monsieur Descours, les retards pris dans l'installation de l'ANAES, l'Agence nationale d'accréditation et d'évaluation en santé.
M. Charles Descours, rapporteur pour les équilibres financiers généraux et l'assurance maladie. Oui, cela, je l'ai dit !
M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat. Il est exact que ces retards ont été importants. Il a fallu en effet un an, à quelques jours près, au précédent gouvernement pour prendre le décret précisant l'organisation et le rôle de l'ANAES.
Mais je souligne, monsieur le rapporteur, que les choses se sont ensuite accélérées. Ainsi, quand il s'est agi des nominations, les membres de l'ANAES ont été désignés par arrêté du 30 mai 1997, entre les deux tours des élections législatives. On ne pouvait pas faire plus vite !
Cette accélération a été si brutale qu'elle a soulevé de nombreuses protestations, et c'était certainement légitime. Il a donc été nécessaire de mener une consultation juridique sur ces textes et de proposer l'élargissement du conseil scientifique, solution d'ailleurs bien acceptée par tous, pour étendre le champ de compétences de cette instance. Cette dernière fonctionne maintenant, monsieur le rapporteur.
La mise en place des différents conseils, ainsi que la désignation de leurs présidents, du directeur général et du secrétaire général ont eu lieu, vous le savez, au début du mois d'octobre dernier.
La période de consultations de l'été a été mise à profit pour progresser dans la constitution des équipes et pour continuer d'avancer sur le guide de l'accréditation, qui est un signe de qualité.
Sans confondre vitesse et précipitation, le calendrier de travail fixé est extrêmement serré et ambitieux. En particulier, la procédure d'accrédition sera opérationnelle dès juin 1998. Vous le savez, tous les établissements français devront faire connaître la date d'accréditation qui leur paraîtra la meilleure avant 2001. Or, en France, les établissements à accréditer sont au nombre de 3 700.
Vous vous plaignez de la « respiration » accordée aux hôpitaux. Mesdames, messieurs les sénateurs, je me souviens des questions que vous nous avez posées à cet égard, et je suis certain que vous n'oubliez ni le manque de praticiens hospitaliers ni les postes vacants dans les hôpitaux : plus de mille ! Je doute fort qu'en augmentant la contrainte financière sur ces établissements on puisse recruter le nombre de médecins nécessaire. Ou alors, expliquez-moi comment ! Or il y a là un véritable enjeu de santé publique. Sachez que nos hôpitaux risquent de ne plus fonctionner par défaut de personnels hospitaliers, particulièrement de praticiens dans les spécialités que vous connaissez, notamment l'obstétrique, la gynéco-obstétrique, l'anesthésie, la psychiatrie et bientôt la chirurgie.
Pour notre part, nous nous sommes attachés à trouver des réponses concrètes à la pénurie constatée dans certaines spécialités. Nous avons ainsi constitué des groupes de travail sur les quatre premières disciplines que je citais. Oh ! ce ne sera pas le miracle, mais ce faisant nous nous efforçons de pallier, dans la plus large concertation, les manques certains apparus dans quelques hôpitaux de proximité, avant de mettre en oeuvre une réforme plus profonde.
Les réponses ne se déclinent pas uniquement en termes de statut ou de salaire. Le fonctionnement des équipes médicales doit être différent. Sur ce point, nous sommes en parfait accord. Des expériences originales et réussies d'astreintes communes sur plusieurs établissements doivent être mieux connues.
Par ailleurs, tant qu'il n'y aura pas de réforme de l'internat, d'une part, une adéquation entre les médecins formés dans les différentes disciplines et les besoins du pays, d'autre part, nous devrons chercher les moyens d'attirer les médecins vers ces spécialités déficitaires et de les garder à l'hôpital. Ce n'est pas en se récriant lorsque l'on desserre l'étau sur l'hôpital que l'on y parviendra.
De même, il nous faut manifester une volonté forte quand il s'agit de « santé publique », expression terriblement absente au mois de novembre 1995 !
M. Paul Blanc. Supprimez l'internat qualifiant !
M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat. Je suis parfaitement d'accord avec vous et j'entends que vous me souteniez dans cet effort, car nous ne ferons pas l'unanimité.
Le rapport annexé au présent projet de loi décrit clairement les objectifs du Gouvernement en matière de santé publique, objectifs que j'ai déjà longuement détaillés et que je ne reprendrai pas maintenant.
Il me paraît en revanche important d'insister, après Mme Aubry, sur les mesures de lutte contre le tabagisme.
Les façons de lutter contre le tabagisme sont connues : campagne d'éducation et d'information, interdiction de publicité et interdiction de fumer dans les lieux publics, augmentation du prix des cigarettes.
Cette dernière mesure est importante et efficace ; elle a toujours été efficace en France et dans les autres pays, nous le savons. Contrairement à certaines rumeurs, elle ne s'accompagne pas systématiquement du développement d'un marché parallèle. Ainsi, les importations illicites sont plus importantes en Italie et en Espagne, où les prix sont plus bas, que dans les pays d'Europe du Nord, où ils sont élevés !
La taxe de santé publique, créée par ce projet de loi, va dans ce sens, comme les discussions en cours pour éviter une guerre des prix du tabac dont les principales victimes sont les fumeurs ainsi encouragés. Notre objectif est clairement de diminuer la consommation.
Parallèlement, les fonds de prévention du tabagisme gérés par l'assurance maladie seront plus que doublés, puisqu'ils passeront de 20 millions de francs à 50 millions de francs, dès l'an prochain. Si nous n'avons pas voulu faire plus, c'est parce que les structures étaient incapables d'absorber plus, sauf à nuire à l'efficacité de leurs campagnes. Cela nous permettra tout de même de développer des actions de prévention, d'éducation et d'information sur les méfaits du tabagisme, en particulier à destination des jeunes. Je serai très heureux d'avoir avec vous le débat nécessaire sur les toxiques en général, les toxiques légaux et les toxiques illégaux, sur l'utilisation des psychotropes et sur la façon dont nous pouvons lutter contre tous les toxiques à la fois. Les temps sont mûrs pour que nous avancions.
Vous savez que nous avons refusé que la Coupe du monde de football, qui intéresse la jeunesse de notre pays, soit la vitrine d'une marque d'alcool et que la loi sur la prévention de l'alcoolisme soit ouvertement bafouée ou détournée quand le monde entier aura les yeux braqués sur la France.
Voilà qui illustre une nouvelle fois notre volonté de donner ses lettres de noblesse à la santé publique, et non pas seulement aux soins. Les soins sont certes indispensables et ils sont assurés efficacement par des équipes très souvent compétentes, mais notre système est trop axé sur le soin et ne prend pas suffisamment en compte la prévention et la santé publique.
Tout cela ne figure certes pas dans les dispositions qui vous sont soumises, mesdames, messieurs les sénateurs. Sachez cependant que tel est l'état d'esprit du Gouvernement, et que tel est le cap que nous maintiendrons en matière de santé publique. (Applaudissements sur les travées socialistes et sur celles du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
(M. Jean Delaneau remplace M. René Monory au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE M. JEAN DELANEAU
vice-président

M. le président. La parole est à M. Descours, rapporteur.
M. Charles Descours, rapporteur de la commission des affaires sociales pour les équilibres financiers généraux et l'assurance maladie. Monsieur le président, permettez-moi, tout d'abord, de remercier les membres du Gouvernement ici présents de me lire aussi attentivement ! (Sourires.) Cela étant, chacun pourra constater au cours du débat qu'il n'y a pas de contradiction dans mes propos. Si la majorité à l'Assemblée nationale change, si les gouvernements changent, la majorité sénatoriale et la commission des affaires sociales défendent, elles, l'une et l'autre, année après année, les mêmes principes.
M. Claude Estier. C'est pour cela qu'il faut que le Sénat change aussi ! (Sourires.)
M. Charles Descours, rapporteur pour les équilibres financiers généraux et l'assurance maladie. Je ne suis pas sûr que tous vos amis soient d'accord avec vous sur ce point, monsieur Estier. J'ai cru comprendre qu'un vrai débat s'est instauré au sein du parti socialiste sur la question de la limitation du cumul des mandats !
Madame le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, nous avons effectivement tous intérêt à engager un débat digne et de qualité sur la politique que vous nous présentez. Nous ne la soutenons pas et nous savons, tout comme vous je l'espère, le caractère un peu réducteur des arguments que vous avez avancés.
Il existe entre nous une divergence de fond, qui nécessiterait sans doute des développements plus longs que ce que nous autorise le débat d'aujourd'hui, mais un certain nombre d'arguments polémiques, comme les miens tout à l'heure, ne doivent pas nous empêcher de discuter de manière approfondie de la politique que nous défendons, les uns et les autres.
Je m'en tiendrai pour l'heure aux idées-forces dans cette intervention liminaire, me réservant d'entrer plus avant dans le détail lors de la discussion des articles.
Madame le ministre, nous devons tous en effet rester modestes. Siégeant depuis dix ans au sein de la commission des comptes de la sécurité sociale, j'ai vu passer nombre de ministres qui, à leur arrivée, professaient les meilleures intentions mais qui, malheureusement, au fur et à mesure des événements, révisaient leurs positions.
Mes chers collègues, aujourd'hui, pour la deuxième fois seulement, le Parlement est appelé à discuter d'un projet de loi de financement qui devrait traduire l'expression d'un meilleur contrôle de la nation sur l'évolution de la sécurité sociale et contribuer ainsi à sauvegarder un système auquel tous les Français sont légitimement attachés.
Or que constatons-nous dans le texte qui nous est proposé sinon, outre 14,5 milliards de francs de prélèvements nouveaux, et, pour assurer le bouclage, une reprise de la dette du régime général, des économies de dépenses exclusivement ciblées sur la famille ? Malheureusement, c'est la branche dont les dépenses progressent le moins vite et dont le déficit traduit notamment le poids des charges indues. Nul doute que ces dispositions auraient été mieux comprises si les économies avaient été elles-mêmes mieux réparties entre les autres branches. Mais non ! A la lecture de ce projet de loi, seule la branche famille est concernée.
Il nous faut pourtant, à nous, parlementaires, faire passer un message et un projet d'avenir aux gestionnaires des caisses, aux professionnels de santé, aux assurés sociaux, aux familles et aux retraités.
Ni l'institution d'un contrôle parlementaire sur la sécurité sociale, qui visait à promouvoir dans la gestion quotidienne de la protection sociale la traduction d'une vision d'ensemble et à long terme, ni les conclusions d'un débat national sur le montant des ressources allouées à la sécurité sociale et sur la manière dont elle les dépense ne sauraient se traduire par les mesures qui nous sont proposées dans ce projet de loi.
Ce débat, madame le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, permettra, je l'espère, de montrer qu'il existe une autre politique de protection sociale, fondée sur l'ajustement de l'évolution des prestations de sécurité sociale aux besoins de la population, la maîtrise des prélèvements et l'adaptation des conditions de gestion des caisses à l'évolution de notre société.
Evidemment, la discussion d'un projet fondé sur une telle politique aurait nécessité un débat d'une toute autre nature que celui que nous allons avoir. Un tel projet appellerait, en effet, une discussion sur la nature et le périmètre de l'offre de soins, sur l'adaptation des prestations aux attentes de la population et, monsieur Kouchner, comme vous l'avez dit, sur l'évolution des modes de vie des familles et sur le contenu des retraites de demain. Au lieu de quoi, nous aurons à débattre, article après article, des modes de taxation des laboratoires pharmaceutiques et des grossistes répartiteurs, des prélèvements injustes opérés sur la caisse des clercs de notaires ou sur la C3S, de l'alourdissement de 30 % de la fiscalité sur l'épargne et de toutes les dispositions qui, dans ce projet de loi, frappent les professions indépendantes et les professions libérales.
Bien sûr, nous parlerons de la famille ; du reste, nous avons déjà ouvert le débat ici, voilà quelques jours. Madame le ministre, vous avez décidé, pour l'année 1998 seulement, nous dites-vous, de remettre en cause les principes fondateurs de la politique familiale qui, depuis cinquante ans, ont permis d'instituer une indispensable solidarité au profit de l'enfant.
Sur chacun de ces sujets, nous montrerons par nos amendements qu'un autre projet était possible, un autre projet que nous estimons meilleur pour la sécurité sociale, pour les assurés sociaux et, madame le ministre, meilleur aussi pour les contribuables !
Avant d'évoquer la situation de l'assurance maladie, je vais donc examiner plus en détail les dispositions du projet de loi de financement de la sécurité sociale et le projet alternatif de la commission des affaires sociales.
Le projet de loi présenté par le Gouvernement vise à réduire le déficit de la sécurité sociale, qui passerait ainsi de 33 milliards de francs en tendanciel à 12 milliards de francs. Vous nous avez dit que nous étions d'accord sur ce point, ce qui est déjà d'importance. Mais, puisque vous avez contesté nos chiffres, permettez que je conteste aussi les vôtres ! Nous n'arrivons pas, nous, à une réduction d'une telle ampleur, alors que nous l'approuvons dans son principe, bien sûr. Il nous semble, notamment, que le déficit tendanciel de la branche maladie à été surévalué.
Mais laissons ces querelles de chiffres, qui sont ce qu'elles sont. C'est sur la manière dont ce déficit a été réduit que je voudrais argumenter. La lecture des mesures proposées dans le projet de loi est en effet une longue litanie de prélèvements nouveaux ou aggravés. Ainsi, le basculement des cotisations maladie sur la CSG représenterait 4,6 milliards de francs, selon vous. Or, madame le ministre, c'est en vain que nous avons demandé à vos services des précisions sur les modalités de calcul de cette estimation. Nous pouvons donc légitimement la mettre en doute.
M. Alain Gournac. Sans doute un problème de courrier !
M. Charles Descours, rapporteur pour les équilibres financiers généraux et l'assurance maladie. Je continue mon énumération : élargissement de l'assiette des prélèvements de 1 % perçus au profit des branches famille et maladie : 4,6 milliards de francs ; majoration des cotisations des clercs de notaire et des travailleurs indépendants : 0,5 milliard de francs ; augmentation des taxes sur les contrats de prévoyance, sur les dépenses de promotion des laboratoires pharmaceutiques et sur les ventes directes de médicaments remboursables : 1,1 milliard de francs.
Tout cela est à peu près de la même veine que les demandes d'économies que nous formulons nous-mêmes pour la gestion des caisses. On ne peut donc pas nous reprocher de chercher des recettes nouvelles dans des économies sur la gestion et, dans le même temps, trouver des recettes exactement de même nature !
J'aurai terminé mon énumération quand j'aurai cité la ponction sur la C3S et l'intégration de la caisse mutuelle d'assurance vieillesse des cultes, la CAMAVIC. Cela fera un régime de retraite en moins, et nous n'en compterons donc plus que cent cinquante-trois ! Il y a là un effort important que le Gouvernement engage en commençant sans doute par le régime le moins contesté ! (Sourires.)
Le tout cumulé représente 14,5 milliards de francs.
Passons du côté des dépenses, maintenant.
Le Gouvernement constate l'évolution des dépenses maladie et renonce à les maîtriser en retenant un objectif de 2,2 %, soit le taux d'évolution tendanciel calculé par la commission des comptes de la sécurité sociale.
Le Gouvernement concentre les économies sur la branche famille, avec la mise sous condition de ressources des allocations familiales - 4 milliards de francs - et la diminution de l'allocation de garde d'enfant à domicile, l'AGED, pour un montant de 750 millions de francs. Alors que la famille, personne ne peut le contester, représente 20 % seulement des dépenses de sécurité sociale, alors que c'est la branche dont les dépenses augmentent le moins vite, elle contribue pour moitié à la réduction du déficit ! Il y a là une distorsion avec les autres branches qui nous semble pour le moins injuste.
M. Alain Gournac. Ils ne sont pas à ça près !
M. Charles Descours, rapporteur pour les équilibres financiers généraux et l'assurance maladie. Vous avez reconnu, madame le ministre, que d'autres réponses, notamment fiscales, auraient pu être données aux questions qui étaient posées et vous soulignez désormais, à chaque occasion, le caractère provisoire, pour la seule année 1998, de la mise sous condition de ressources des allocations familiales. Pourquoi ne pas avoir retenu tout de suite cette solution ?
Vous avez beaucoup argumenté sur le fait que nous allions perdre l'année 1998. A vous entendre dire que les mesures que vous prenez concernant la famille ne sont pas très bonnes, que vous ferez mieux l'année prochaine, qu'il y aura donc une conférence sur la famille, que vous verrez bien, également, ce que vous ferez l'année prochaine concernant la maladie, en attendant la conférence sur la santé, nous avons le sentiment, compte tenu des chiffres que vous nous donnez, que c'est le budget présenté par le Gouvernement qui est un budget d'attente et que c'est le Gouvernement qui fait l'impasse sur l'année 1998. Pour notre part, dans notre projet de budget, nous estimons ne pas buter contre le même écueil.
Enfin, une économie de 3 milliards de francs résulte de la reprise de la dette de la sécurité sociale à hauteur de 87 milliards de francs. Cette mesure est fondée, mais elle devient contestable si elle ne s'accompagne pas de mesures tendant à réduire la progression des dépenses.
Il faut que les comportements soient plus responsables, car, en allongeant la durée de vie de la Caisse d'amortissement de la dette sociale - la CADES - vous succombez à une tentation à laquelle, selon nous, d'autres gouvernements succomberont ensuite, de sorte que, dans les années 2030, la CADES reprendra les déficits des années 2005 et suivantes. Si donc sur le principe nous n'avons rien à dire, nous estimons qu'il faut fixer un butoir pour que la CADES ne vive pas ad vitam aeternam.
Le contre-projet que je vais maintenant vous présenter, madame le ministre, a le même objectif que le vôtre : réduire à 12 milliards de francs le déficit de la sécurité sociale en 1998.
Nous voulons toutefois vous montrer qu'il est possible de parvenir à ce résultat sans procéder, comme vous le faites, à des prélèvements massifs, sans remettre en cause, comme vous le faites avec les mesures affectant la branche famille, les fondements de notre protection sociale et sans laisser filer les dépenses, comme vous le faites aussi, notamment pour la branche maladie.
Je présenterai ce contre-projet en suivant trois axes : sauvegarder la politique familiale, préserver la cohérence du financement de la sécurité sociale et rétablir un véritable objectif de maîtrise des dépenses. Je répondrai, chemin faisant, à un certain nombre de critiques, parfois polémiques, sur la façon dont nous présentons ce contre-projet.
En ce qui concerne la sauvegarde de la politique familiale, nous sommes opposés au projet du Gouvernement parce qu'il remet en cause l'un des fondements de cette politique. Si c'est ce que l'on veut, il faut organiser un vrai débat sur la politique familiale et non pas, au détour d'une loi de financement, prévoir des mesures qui traduisent un changement de politique alors qu'elles ne sont motivées que par des impératifs budgétaires.
Vous nous avez assuré que la mise sous condition de ressources, qui touche aujourd'hui les allocations familiales, ne déborderait pas le cadre de la famille. Mais vous savez, comme moi, que depuis longtemps des dispositions sont prêtes, au ministère des finances, visant à ne pas prendre en charge le petit risque maladie. Dès lors, qui nous prouve que vous-même ou votre successeur, après la branche famille, ne toucherez pas à la branche maladie ? C'est sur ce point que notre opposition est la plus ferme.
Enfin, nous proposons, c'est vrai, d'augmenter de 0,1 % la CSG. Madame le ministre, vous savez très bien que nous avons voté en 1994 une loi instituant l'indépendance financière des branches. Pour revenir sur les dispositions concernant la branche famille que vous avez proposées sans augmenter le déficit de 12 milliards de francs, il nous fallait donc trouver des ressources dans cette même branche, puisque nous ne pouvons pas passer d'une branche à une autre. D'où ce relèvement exceptionnel de 0,1 %, qui concernera seulement l'année 1998 puisque, nous aussi, nous regarderons les résultats de la conférence sur la famille. Nous verrons, l'année prochaine, ce que le Gouvernement nous aura proposé et la position que le Sénat aura prise.
J'en viens au deuxième axe de notre projet : préserver la cohérence du financement de la protection sociale.
Bien sûr, nous ne sommes pas contre le transfert des cotisations sur la CSG puisque, l'année dernière, nous l'avons voté, sous un gouvernement que nous soutenions. Faites-nous la grâce de croire que nous ne changeons pas aussi facilement d'idée d'une année à l'autre !
Cela étant, le président du conseil de surveillance de l'ACOSS que je suis ne sait pas, à l'heure où il vous parle, quels seront les effets induits par ce transfert de 1 % sur la CSG des cotisations, notamment sur toute la partie non salariale. Nous ne connaissons pas non plus les réactions qu'auront les Français, notamment les épargnants.
Clarifier les comptes, asseoir les ressources sur une assiette plus diversifiée et plus dynamique que la seule masse salariale, identifier ce qui relève de l'assurance ou de la solidarité, assainir les relations financières avec l'Etat, tels sont les enjeux d'une réforme du financement de la sécurité sociale. Nous y sommes favorables cette année comme nous l'étions l'année dernière.
En revanche, le basculement massif et inconsidéré des cotisations d'assurance maladie vers la CSG n'est pas acceptable. Les effets réels de ce basculement, qui porte sur des masses financières considérables, de l'ordre de 300 milliards de francs - tout à l'heure, vous avez argumenté sur des chiffres dix fois inférieurs - soit trois points de PIB, n'ont pas été mesurés, non plus que l'ampleur des compensations promises à telle ou telle catégorie, en premier lieu aux fonctionnaires.
J'ai auditionné soixante organisations de tous ordres. Je me suis aperçu au fil des auditions qu'un grand nombre de professions allaient subir une perte de pouvoir d'achat soit pendant la période d'activité, soit au moment de la retraite. Je citerai, entre autres, les médecins, les professionnels de la santé, les artisans et commerçants, les professions libérales. Le bâtonnier du barreau de Paris me disait ainsi qu'il participait moins aux grèves que ses collègues de province, mais que la mesure poserait des problèmes dramatiques dans un cabinet de groupe comme le sien, n'ayant pas droit au statut de société commerciale. Je crois, du reste, que Mme le garde des sceaux en a été informée.
De même, que va-t-il se passer pour les fonctionnaires des collectivités locales ? Qui va compenser la partie des revenus constituée de primes ; sur lesquelles nous allons dorénavant prélever la CSG ?
Le problème est encore le même pour les agents hospitaliers, qui perçoivent à peu près 15 % de primes. Une somme correspondante est-elle inscrite dans le budget des hôpitaux pour compenser cette différence, de manière qu'ils ne perdent pas de pouvoir d'achat ?
Quel sera l'impact, sur le comportement des ménages, de cette aggravation sans précédent des prélèvements sur l'épargne, plus de 20 milliards de francs si l'on y ajoute les autres mesures prévues dans le projet de loi de financement et dans le projet de loi de finances ? Comment réagiront les épargnants ?
Sans vouloir polémiquer plus que vous, madame le ministre, je rappelle tout de même que, selon les termes mêmes du rapport annexé au projet de loi qui émane du Gouvernement, il s'agit de distribuer du pouvoir d'achat aux actifs salariés afin « d'engager dans les meilleures conditions les négociations sur la réduction de travail ».
En résumé, en étant un peu rapide, comme vous l'avez été vous-même parfois, je dirai que les trente-cinq heures seront financées par une ponction sur l'épargne. Cela, ce n'est pas supportable. Nous voulions le dire et nous nous devons de le faire savoir.
Il est étonnant que cette fiscalisation intervienne alors qu'aucun calendrier précis n'est prévu pour la mise en place de l'assurance maladie universelle, qui constitue la contrepartie du financement par la solidarité de la branche maladie. Nous sommes d'accord pour distinguer ce qui relève du contributif de ce qui relève de la solidarité. Comme nous avons été d'accord pour la vieillesse, nous sommes d'accord pour la maladie, mais, là aussi, il faut que l'indispensable réforme de l'assiette des cotisations patronales progresse et que le rapport qui est en gestation débouche sur des décisions. Vous nous avez dit que les projets gouvernementaux seraient présentés l'an prochain. Nous aimerions savoir quand ils entreront en vigueur.
Madame le ministre, vous avez dit qu'avoir un enfant n'était pas un risque ; j'ajouterai que ce n'est pas un risque non plus d'être âgé. C'est en effet quelque chose qui est inscrit dans nos cellules. Si donc il y a un risque maladie, s'il n'y a peut-être pas un risque maternité, il n'y a pas, en tout cas, de risque de devenir vieux, car malheureusement, je ne vois pas comment nous pourrions l'éviter. Vouloir différencier la famille, la maladie et la retraite selon que c'est ou non un risque me paraît donc quelque peu artificiel.
J'en arrive au troisième axe de notre projet : rétablir un véritable objectif de maîtrise des dépenses.
Il est important de contenir la progression de l'objectif national de dépenses d'assurance maladie, l'ONDAM, et de faire en sorte que toutes les dépenses qui y figurent soient encadrées et se plient dans leur évolution à la même discipline que celle qui est acceptée par la médecine de ville et les établissements hospitaliers.
En outre, il est indispensable que soient confirmés des objectifs ambitieux en matière d'économies de gestion au sein des caisses de sécurité sociale, dans le cadre d'une clarification des missions et des tâches qui leur sont confiées.
Pour traiter de l'assurance maladie, je me référerai au rapport de la commission des comptes de la sécurité sociale. Dans ce rapport - vous ne l'avez pas assez souligné - il apparaît clairement - je m'en félicite - que les effets du plan Juppé ont entraîné de substantielles économies pour l'assurance maladie et que l'objectif de dépenses, au vu des six premiers mois de 1997, aurait de grandes chances d'être respecté sur l'ensemble de l'année, d'autant que le taux de dépenses de septembre, qui vient d'être publié, n'est pas si mauvais.
Ce serait là un succès des professionnels de santé - je veux les en féliciter - car ils ont intégré dans leur pratique quotidienne des comportements rigoureux allant dans le sens du juste soin.
Ce serait un succès aussi pour le Parlement et le précédent gouvernement. Avec cette première loi de financement, nous aurions ainsi prouvé qu'il est possible de maîtriser les dépenses sans rationnement des soins et sans aucun déremboursement - je suis d'accord avec ce que vous avez dit sur les pourcentages de remboursement : le plan Juppé n'aggravait pas les déremboursements.
Toutefois, atteindre l'objectif n'est pas tout à fait assuré. Avant-hier, madame le ministre, au congrès de MG France, vous avez lancé un vibrant appel aux professionnels pour qu'ils essaient d'y parvenir.
En effet, si le Gouvernement ne clarifie pas rapidement ses intentions en matière de maîtrise de dépenses, les dérapages observés au mois d'août pourraient se reproduire au cours du dernier trimestre et l'objectif de 1997 pourrait ainsi être dépassé.
Vous avez critiqué les ordonnances Juppé, mais vous n'avez pris aucune décision contraire, même si vous avez multiplié les retards et les critiques. Cela me paraît grave, car cette réforme est fragile et l'on pourrait voir ses effets annulés par le seul attentisme du Gouvernement.
Je me réjouis de l'installation de l'ANAES. Je rappelle toutefois que les décrets étaient pris depuis fin avril et qu'il s'est donc écoulé un certain temps jusqu'à cette installation.
S'agissant des hôpitaux, vous avez semble-t-il - c'est clair dans le rapport annexé au projet de loi et M. Kouchner, à l'instant, ne l'a pas démenti - reporté les restructurations à plus tard, à 1999 pour être précis, en les subordonnant à l'adoption de nouveaux schémas régionaux d'organisation sanitaire, les SROS.
Certains SROS existent déjà. Vous avez dit qu'ils n'étaient pas assez démocratiques, qu'il fallait les refaire. J'en prends acte, en relevant qu'il faudra au moins une année pour les refaire - vous le savez bien - et qu'il n'y aura donc pas de restructuration sanitaire en 1998.
Je vous retourne, dès lors, ce que vous avez dit tout à l'heure, à savoir qu'on ne peut pas faire l'impasse sur l'année 1998 ; vous dites que c'est nous qui la faisons ; moi, je pense que c'est le Gouvernement qui la fait.
Vous avez également estimé - je vous renvoie, là aussi, au rapport annexé - que les agences régionales de l'hospitalisation seraient des institutions insuffisamment démocratiques. De tels propos sont de nature à remettre en cause l'autorité des directeurs d'agences régionales, dotés de pouvoirs très forts, mais qui sont à la tête d'institutions nouvelles et donc fragiles.
Toujours en ce qui concerne les hôpitaux, monsieur Kouchner, ce n'est pas parce que vous fixerez un taux de progression d'ONDAM de 2,2 % que vous attirerez plus de médecins dans les hôpitaux. Vous savez très bien qu'il s'agit d'un problème de statut, de mode de vie et de salaire. Améliorez ce statut, et nous vous suivrons.
Je le répète, ce n'est pas parce que vous accorderez 1 milliard de francs supplémentaires que vous aurez plus de médecins, plus d'anesthésistes, plus de neurologues, plus de chirurgiens dans les hôpitaux !
M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat. Je n'ai pas dit cela !
M. Charles Descours, rapporteur pour les équilibres financiers généraux et l'assurance maladie. En ce qui concerne les soins de ville, là encore, la définition d'une politique est renvoyée à plus tard, après des états généraux de la sécurité sociale que vous avez annoncés pour le printemps, madame la ministre, mais qui se dérouleront plutôt en été et qui devraient se conclure à l'automne.
Nous soutenons tous l'informatisation mais elle prend également du retard : le lancement de la carte VITALE 1, qui devait commencer en décembre, vient d'être reporté au mois d'avril prochain. Un avenant conventionnel très contestable, qui avait été signé début juin par les partenaires sociaux, a été entériné par vous voilà seulement quelques semaines, ce qui est un délai beaucoup plus long que pour les conventions habituelles.
J'en viens à la politique du médicament. Ce n'est pas en instaurant une taxe supplémentaire que sera réglé le problème qui oppose les officines et l'industrie. Je crois qu'il y a là un vrai débat, mais que tous les partenaires devraient se réunir autour d'une table. En effet, ce n'est pas une taxe sur la vente directe ou non qui réglera la question de la distribution du médicament. Là aussi, nous y reviendrons au cours du débat.
Le projet de loi de financement de la sécurité sociale ne réduit le déficit que grâce à un alourdissement des prélèvements. Il y a la CSG, il y a la taxe sur le tabac, qui est une bonne chose. A ce propos, je vous rappelle que la majorité sénatoriale a voté la loi Evin avec, à l'époque, le soutien extrêmement modéré de nos collègues socialistes, qui s'étaient abstenus. (Sourires sur les travées socialistes.) La majorité sénatoriale n'a donc de leçon à recevoir de personne !
M. Georges Gruillot. Très bien !
M. Charles Descours, rapporteur pour les équilibres financiers généraux et l'assurance maladie. Par ailleurs, l'instauration de deux nouvelles taxes sur la promotion des médicaments me semble critiquable. Il faut poursuivre, dans ce domaine, la politique conventionnelle qui a été initiée depuis 1994.
Du côté des dépenses, l'objectif national des dépenses d'assurance maladie de 2,2 % ne me semble pas acceptable pour trois raisons essentielles.
Premièrement, ce taux n'était pas nécessaire pour procéder aux indispensables ajustements en faveur des professionnels de santé si l'objectif de 1997 est respecté.
Deuxièmement, ce taux permettra de financer l'offre hospitalière à périmètre constant et, je le répète, cela confirme le gel des restructurations en 1998.
Troisièmement - et cela est psychologiquement grave - ce taux est inéquitable, d'abord parce que le Gouvernement annonce que le taux hospitalier progressera plus que le taux des médecins libéraux. Je sais bien que le différentiel est de 0,10 %, mais vous savez très bien que les médecins libéraux, que vous recevez actuellement, ont le sentiment, à tort ou à raison, qu'on leur demande plus d'efforts qu'aux hôpitaux.
M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat. Ça, c'est vrai !
M. Charles Descours, rapporteur pour les équilibres financiers généraux et l'assurance maladie. Ainsi, vous alimentez la thèse selon laquelle les médecins libéraux seraient des boucs émissaires.
Madame le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, je reviens au secteur médico-social. A cet égard, l'amendement que nous présenterons est identique à celui que nous avons défendu l'année dernière sur le texte proposé par M. Jacques Barrot. Il n'y a donc aucune polémique sur ce point. Simplement, nous estimons que 70 milliards de francs de dépenses qui ne sont pas encadrées sont intolérables alors qu'on demande des efforts considérables aux professionnels ambulatoires et aux professionnels hospitaliers. Il faut que les autres dépenses, comme on dit, c'est-à-dire cette enveloppe « autres prescripteurs » de 70 milliards de francs, soient encadrées. Je ne suis pas le seul à l'affirmer, la Cour des comptes l'a dit avant moi. Les prescriptions faites par les médecins des hôpitaux et exécutées en ville sont de plus en plus importantes, notamment avec la sortie de la réserve hospitalière des médicaments très coûteux.
M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat. Tout à fait !
M. Charles Descours, rapporteur pour les équilibres financiers généraux et l'assurance maladie. Nous proposerons donc au Sénat de réduire l'objectif national des dépenses de l'assurance maladie de 3,3 milliards de francs. Cette réduction n'est pas une brimade supplémentaire à l'égard des professionnels de santé, mais sera le résultat de l'encadrement de dépenses telles que celles du secteur médico-social, même si ce dernier n'est pas très content de cette proposition pour cette année, pas plus qu'il ne l'était l'année dernière.
Pour la commission des affaires sociales, plusieurs options étaient possibles. Elle pouvait refuser de discuter le projet de loi. Madame le ministre, vous nous avez rendu hommage de ne pas avoir choisi cette voie et je vous en remercie. Elle pouvait également repousser l'ensemble des mesures dudit projet de loi, ce qui revenait au même.
Nous avons préféré proposer une autre politique et un texte qui sera profondément amendé. Le Sénat montrera ainsi, si vous le souhaitez, mes chers collègues, et si vous acceptez les conclusions des rapports de votre commission, qu'il sait être responsable et constructif et que, parfois, sur tel ou tel point, il l'est, me semble-t-il, plus que le Gouvernement. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Machet, rapporteur.
M. Jacques Machet, rapporteur de la commission des affaires sociales pour la famille. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, la France a toujours souligné l'attachement qu'elle portait à la famille.
Le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 affirme que « la nation assure à l'individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement ». Il précise en outre que « la nation garantit à tous, notamment à l'enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs. »
Avant d'examiner ce projet de loi de financement de la sécurité sociale avec sérénité - comme vous, madame la ministre - je souhaite rappeler solennellement que nous devons considérer la cellule familiale comme le socle essentiel de notre société. La famille est le lieu privilégié de l'éducation des enfants, de la transmission des valeurs, de respect et de la solidarité entre les générations. Elle est également le lieu où se construit l'avenir du pays.
Mes chers collègues, madame la ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, la politique familiale est donc non pas un coût mais un investissement pour la collectivité. (Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. Jean Chérioux. Très bien !
M. Jacques Machet, rapporteur pour la famille. Le Gouvernement ne semble pourtant pas partager cette conception. Il propose en effet, dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 1998, la mise sous condition de ressources des allocations familiales. Présentée comme une mesure de solidarité et de justice, cette disposition procède en réalité d'une seule volonté d'économies financières justifiée par le déficit que connaît la branche famille.
Dans un premier temps, j'ai donc choisi d'analyser les origines du déficit de la branche famille, ce qui m'amènera à constater que celui-ci témoigne à la fois du succès rencontré par la loi du 25 juillet 1994 relative à la famille et de la multiplicité des charges indues qui pèsent sur les finances de la branche.
Dans un deuxième temps, j'examinerai, pour les condamner, les mesures relatives à la famille proposées par le Gouvernement dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 1998, mesures qui remettent en cause les fondements de la politique familiale de notre pays.
Enfin, dans un dernier temps, j'exprimerai le souhait qu'un nouveau souffle soit donné à la politique familiale, dans la continuité des travaux menés par la Conférence de la famille.
Beaucoup a déjà été dit lors du débat sur la famille organisé au Sénat le 4 novembre dernier ; par conséquent, je serai bref.
Le déficit de la branche famille témoigne, je le répète, du succès rencontré par la loi du 25 juillet 1994 relative à la famille et de la multiplicité des charges indues qui pèsent sur elle.
La branche famille connaît aujourd'hui un déficit qui devrait atteindre 13,2 milliards de francs en 1997 et 11,8 milliards de francs en 1998. Les mesures proposées par le Gouvernement ramèneraient le déficit prévisionnel à 2,8 milliards de francs en 1998.
Je souhaite rappeler, mes chers collègues, que la branche famille n'a cependant pas toujours été déficitaire. Elle a connu, au contraire, jusqu'en 1994, des excédents réguliers qui ont souvent permis de financer les déficits des branches vieillesse et maladie. La séparation des branches de la sécurité sociale et l'obligation de l'équilibre financier pour chacune d'entre elles, prévues par la loi du 25 juillet 1994 relative à la sécurité sociale, sont intervenues au moment même où la situation de la branche famille connaissait les premières difficultés. Après avoir assuré un soutien solidaire aux autres branches, lorsqu'elle était excédentaire, la branche famille se retrouve seule face à son déficit.
Le déficit de la branche famille est imputable pour une part au succès rencontré par la loi relative à la famille de 1994, qui devrait finalement coûter six milliards de francs supplémentaires par rapport aux prévisions initiales.
A cet égard, je souhaite m'élever contre les critiques fréquemment exprimées qui soulignent le coût trop élevé de la loi du 25 juillet 1994 relative à la famille. Nous devrions, au contraire, nous féliciter du succès que cette loi a rencontré : la loi famille était nécessaire et a manifestement répondu à des besoins et à des attentes de la population. (M. Chérioux applaudit.)
Le déficit de la branche famille résulte aussi des charges tout à fait étrangères à sa vocation qu'elle supporte. Avant de décider de mesures aussi graves que la mise sous conditions de ressources des allocations familiales, le Gouvernement eût été bien inspiré de procéder à un réexamen d'ensemble des charges indues pesant sur la branche famille.
Celle-ci assure ainsi gratuitement pour le compte de l'Etat la gestion du revenu minimum d'insertion, le RMI, et de l'allocation aux adultes handicapés, l'AAH, pour un coût total de 1,5 milliard de francs. (Mme le ministre opine.) De même, le versement effectué par la caisse nationale d'allocations familiales à la caisse nationale d'assurance vieillesse des travailleurs salariés au titre de l'assurance vieillesse des parents au foyer atteint un montant, sans doute excessif, de près de 20 milliards de francs par an. Si le principe de cette cotisation n'est pas contestable, le montant versé soulève, quant à lui, certaines interrogations : il représente en effet à lui seul 8 % des dépenses de la branche.
Une remise à plat de l'ensemble des transferts et des charges supportés par la CNAF s'impose dans les meilleurs délais. Les responsables de cette caisse nous l'ont confirmé au cours de nos auditions.
Mes chers collègues, il ne s'agit pas pour moi ici de nier l'existence du déficit de la branche famille ; il s'agit simplement de mettre l'accent sur les aspects comptables de ce déficit, qui doivent conduire à relativiser l'importance que l'on peut lui accorder. Procéder, comme s'apprête à le faire le Gouvernement, à une réforme fondamentale de la politique familiale, du seul fait de ce déficit, serait une erreur lourde de conséquences.
Les mesures proposées par le Gouvernement dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale remettent en cause les fondements de la politique familiale.
A travers les diverses mesures qu'il comporte, le projet de loi de financement frappe particulièrement les familles auxquelles il impose un très lourd tribut. Le Gouvernement a manifestement souhaité transformer la politique familiale en une variable d'ajustement des comptes sociaux : la branche famille supporte en effet l'essentiel du poids des économies prévues par le projet de loi de financement. En outre, les effets des mesures défavorables décidées se conjugueront pour certaines familles. Enfin, faute de moyens suffisants, l'action sociale de la branche famille risque d'être compromise.
Pour la commission des affaires sociales, la mesure la plus choquante - je l'ai déjà dit, chacun l'a dit - et la plus inacceptable est naturellement la mise sous conditions de ressources des allocations familiales.
M. Jean Chérioux. Eh oui !
M. Jacques Machet, rapporteur pour la famille. Remarquons d'abord que la méthode du Gouvernement est extrêmement critiquable : elle se caractérise par une absence totale de concertation avec les partenaires sociaux et le mouvement familial.
M. Alain Vasselle, rapporteur de la commission des affaires sociales pour l'assurance vieillesse. Provocation !
M. Jacques Machet, rapporteur pour la famille. Certes, vous avez pris des engagements, madame la ministre, tout à l'heure dans votre intervention.
En outre, la décision du Gouvernement précède la réflexion de fond annoncée pour 1998. Etait-il nécessaire de bouleverser le cadre de la polique familiale à la veille d'un réexamen d'ensemble de cette politique ?
Présentée comme une mesure de justice et de solidarité, la mise sous conditions de ressources des allocations familiales répond au seul souci de faire des économies financières : où est la solidarité lorsqu'il s'agit uniquement de diminuer les prestations pour certaines familles sans reverser la différence aux plus modestes d'entre elles ?
La mise sous conditions de ressources remet en cause l'universalité des allocations familiales, principe fondateur de la politique familiale, et transforme cette dernière en une politique d'aide sociale à vocation redistributive : si cette mesure est votée, 82 % des prestations familiales seront versés sous conditions de ressources, contre 42 % auparavant.
Le Gouvernement prend une décision lourde de menaces pour l'avenir de notre système de protection sociale : il ouvre en effet la voie aux critères de ressources pour l'ensemble de la sécurité sociale. Demain, les prestations maladie seront-elles versées en fonction des ressources de l'intéressé ? Le Gouvernement prend également le risque de voir des parts croissantes de la population se détourner d'une protection sociale dont elles ne percevraient plus les prestations et donc le bien-fondé.
Avec cette mesure inconsidérée, le Gouvernement apporte un soutien inespéré et - je l'espère - involontaire à ceux qui souhaitent démanteler notre système de protection sociale.
S'agissant de la diminution de l'allocation de garde d'enfant à domicile, la commission des affaires sociales estime que cette mesure va pénaliser les femmes qui travaillent et risque de favoriser le développement du travail au noir. L'AGED permet en effet aux femmes actives - particulièrement aux cadres - de mieux concilier vie professionnelle et vie familiale. Elle vient suppléer le manque de places en crèches, qui est particulièrement flagrant dans certaines agglomérations. Sa réduction risque de conduire à des licenciements et encouragera à nouveau le recours au travail clandestin, ce qui se traduira in fine par une baisse des rentrées de cotisations sociales et par une augmentation du chômage.
Pourtant, mes chers collègues, une autre politique familiale est possible.
Notre pays a le devoir et - j'en suis convaincu - la capacité de donner un nouveau souffle à sa politique familiale.
La France a, depuis les années trente, mené une politique familiale vigoureuse, qui a permis un redressement démographique spectaculaire à partir de 1945. Aujourd'hui, grâce à cette politique familiale, notre pays bénéficie d'une situation démographique plus favorable que celle de ses partenaires : la natalité s'est redressée en 1996 pour la deuxième année consécutive ; le taux de fécondité s'établit à 1,72 en 1996, soit un chiffre nettement supérieur à ceux de l'Union européenne - 1,44 - de l'Allemagne - 1,30 - ou de l'Italie - 1,22. Nous pouvons nous en réjouir !
Or, pour être efficace, la politique familiale doit s'inscrire dans la durée. Il est donc à craindre que les mesures défavorables aux familles que s'apprête à faire voter votre Gouvernement n'érodent la confiance des Français dans l'avenir de la politique familiale, et ne se traduisent, à terme, par une diminution des naissances.
Mes chers collègues, je vous propose, au contraire, d'aller de l'avant, de réaffirmer avec force la nécessité, l'ardente obligation d'une politique familiale ambitieuse et volontariste.
M. Jean Chérioux. Très bien !
M. Jacques Machet, rapporteur pour la famille. Les propositions concrètes qui permettraient de donner un nouvel élan à la politique familiale existent, la qualité des réflexions issues des groupes de travail et du comité de pilotage de la Conférence de la famille en témoigne. Je me félicite, à cet égard, des débuts particulièrement prometteurs de la Conférence de la famille, instance de concertation et d'échange qui est indispensable pour l'élaboration d'une nouvelle politique familiale.
Sachons tirer profit du remarquable travail accompli sous l'égide de Mme Gisserot. Ce travail constitue, en effet, une base de réflexion relativement consensuelle et susceptible d'être acceptée par tous.
Madame la ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, la politique familiale ne devrait pas être un terrain d'affrontements politiques car il en va de l'avenir de notre pays. Cessons de nous déchirer ! Ayons une ambition commune pour la famille, ainsi que cela a été dit. Unissons nos efforts pour que la politique familiale soit véritablement la politique de la nation tout entière. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR, des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Vasselle, rapporteur.
M. Alain Vasselle, rapporteur de la commission des affaires sociales pour l'assurance vieillesse. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, les régimes de retraite couvrent douze millions de personnes et pèsent d'un poids considérable dans l'économie française. Les prestations versées par les régimes obligatoires représentaient, en 1995, 12,5 % de la richesse nationale.
La branche vieillesse ne donne pourtant pas lieu, dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale, à de longs développements. Nul ne peut cependant ignorer les problèmes que généreront dans les années à venir les déséquilibres grandissants.
L'adaptation de nos régimes de retraite aux évolutions démographique et économique est l'un des chantiers les plus difficiles des gouvernements successifs dans les vingt années à venir. On ne peut que regretter, madame la ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, que vous n'ayez pas mis à profit l'année 1998 pour poursuivre les réformes structurelles engagées par les précédents gouvernements. On pourrait donc, de ce point de vue, la considérer comme une année perdue.
Tout d'abord, je dresserai l'état des lieux de la branche vieillesse : je constaterai que les déficits se stabilisent mais que la situation reste toujours préoccupante à long terme.
Dans un deuxième temps, j'évoquerai les mesures ponctuelles et d'inspiration souvent critiquable contenues dans le projet de loi, mesures qui ne dispenseront pas d'un examen des problèmes immédiats et d'une réflexion en profondeur sur l'avenir des régimes de retraite.
Enfin, j'étudierai comment l'instauration de la prestation spécifique dépendance a conduit la branche vieillesse à redéfinir les axes prioritaires de son action sociale.
Je souhaiterais d'abord faire le point sur la situation des régimes d'assurance vieillesse. Si les déficits se stabilisent, je le disais à l'instant, la situation reste préoccupante à long terme.
Le déficit prévisionnel de la branche vieillesse a été estimé, pour 1997, à 8,5 milliards de francs et devrait atteindre, en 1998, selon l'évolution tendancielle retenue, 8,3 milliards de francs. Des dispositions figurant dans le projet de loi de financement devraient le ramener à 4,3 milliards de francs.
Si le déficit est donc a peu près stabilisé, il est pourtant loin d'être résorbé, et l'annexe C du projet de loi, à laquelle je vous invite à vous reporter, mes chers collègues, prévoit un nouveau déficit de 6,8 milliards de francs en 1999 et de 8,6 milliards de francs en l'an 2 000.
Le rythme d'évolution en volume des prestations versées se ralentit régulièrement depuis 1995. Cette évolution tient, d'une part, à une évolution démographique plus favorable - l'arrivée des classes creuses nées avant la guerre - et, d'autre part, aux effets de la réforme des retraites de 1993 que la Haute Assemblée avait approuvée et dont l'impact financier devrait être de 1,5 milliard de francs en 1997 et de 2 milliards de francs en 1998.
Il convient de rappeler que les mesures adoptées en 1993 prévoyaient un allongement progressif de 150 à 160 trimestres de la durée d'assurance prise en compte pour bénéficier d'une pension à taux plein, une extension de la période de référence de dix à vingt-cinq années et une indexation des pensions de retraite sur les prix à la consommation, valable cinq ans, jusqu'à la fin de l'année 1998, date à laquelle nous devions à nouveau en délibérer.
Pour importante qu'elle soit, cette réforme des retraites n'aurait pas suffi à elle seule à limiter l'aggravation des déficits. La stabilisation actuelle résulte aussi de l'augmentation des recettes de la CNAVTS depuis 1993. Elle provient du relèvement de 1,3 point du taux de la contribution sociale généralisée au 1er juillet 1993 et de la création du Fonds de solidarité vieillesse au 1er janvier 1994. Elle découle, ensuite, de la suppression de la remise mensuelle forfaitaire de quarante-deux francs au 1er septembre 1995. Elle vient, enfin, de la création de la Caisse d'amortissement de la dette sociale, plus connue sous le nom de CADES, et de la contribution de remboursement de la dette sociale, ainsi que de la taxe de 6 % sur les contributions à la prévoyance complémentaire, prévues par le plan de réforme de la protection sociale de novembre 1995.
Au total, en année pleine, on peut estimer à 58 milliards de francs l'effet sur le solde du régime général d'assurance vieillesse de l'augmentation des flux financiers qui lui sont destinés depuis 1993.
Mes chers collègues, on mesure ainsi l'effort important qui a été accompli par la collectivité pour sauvegarder la branche vieillesse du régime général. Des trois branches, c'est d'ailleurs celle qui tend le plus vers l'équilibre, même si celui-ci n'est pas complètement atteint.
Les régimes complémentaires, plus particulièrement ceux de l'AGIRC et de l'ARRCO, enregistrent quant à eux les premiers effets positifs des accords du 25 avril 1996.
Pour faire face aux difficultés annoncées, ces régimes ont emprunté la voie de la négociation collective, ajustant progressivement les règles de fonctionnement aux nouvelles contraintes financières. Les accords du 25 avril 1996 ont permis de préserver la situation pour les prochaines années en procédant à une augmentation des taux des cotisations et à une diminution des rendements.
Les effets de ces accords sont considérables : le solde de l'AGIRC, l'association générale des institutions de retraite des cadres, devrait être amélioré de 3,2 milliards de francs en 1997 et de 5,8 milliards en 1998 ; celui de l'ARRCO, l'association des régimes de retraites complémentaires, de 2 milliards de francs en 1997 et de 4 milliards de francs en 1998.
Pour ces régimes complémentaires, le contentieux du financement des droits à retraite pour les périodes indemnisées au titre du Fonds national pour l'emploi et du régime de solidarité n'est pas encore réglé. Je souhaite attirer votre attention sur ce point, madame la ministre, comme je l'ai fait en commission des affaires sociales : il importe de trouver dans les meilleurs délais une solution pour la mise en oeuvre de l'engagement de l'Etat de financer les droits de retraite attribués par ces régimes de retraites complémentaires.
Je crois qu'un engagement a déjà été pris, mais il ne porte que sur 200 millions de francs, ce qui est loin du compte.
Je crois cependant savoir, madame la ministre, que vous êtes prête à réexaminer l'évolution de ces deux régimes et à prévoir les dispositions qui permettraient de mettre un terme à cette situation.
S'agissant des régimes spéciaux de retraite, leur situation est toujours aussi difficile à appréhender. Leur financement est en effet assuré par des cotisations fictives d'employeurs ou par une subvention d'équilibre. Par ailleurs, leur solde étant par définition toujours nul, il n'existe aucun moyen de connaître leur situation réelle.
La commission des affaires sociales a bien conscience que la question des régimes spéciaux est un sujet délicat. Cependant, les perspectives démographiques de ces régimes ne semblent pas plus favorables que celles du régime des salariés.
La commission estime, par conséquent, qu'il est aujourd'hui indispensable d'engager une réflexion en profondeur sur la nature, les conditions d'équilibre et l'avenir de ces régimes, et ce après une très large concertation.
D'une manière plus générale, les perspectives à long terme de l'ensemble des régimes d'assurance vieillesse restent inquiétantes.
Du fait d'une évolution démographique défavorable - le départ à la retraite de la génération du baby-boom - la plupart des régimes vont connaître des besoins de financement croissants à partir de 2005.
Selon le rapport Briet, qui est consacré aux perspectives à long terme des retraites, le nombre de cotisants par retraité tomberait, entre 1995 et 2015, de 1,75 à 1,22 pour le régime général, de 2,53 à 1,40 pour les fonctionnaires civils, et de 3,62 à 1,33 pour les agents des collectivités locales ce qui montre la nécessité d'étudier très attentivement la situation préoccupante de la CNRACL.
Mon collègue M. Charles Descours n'a pas manqué d'attirer l'attention du Gouvernement sur ce point. Le président de la commission des affaires sociales y veillera lui aussi.
La réforme des retraites du régime général de 1993 aura, à terme, des effets certes positifs, mais insuffisants. En hypothèse moyenne, cette réforme placera le régime général dans une situation proche de l'équilibre pour 2005, elle réduira de moitié le besoin de financement résiduel à l'horizon de 2015, mais elle laissera entier le problème de la période ultérieure. A législation inchangée, le déficit du régime général pourrait être supérieur à 100 milliards de francs en 2015, ce qui signifierait un retour à des niveaux de déficit considérables.
Mes chers collègues, je pense que vous considérez avec moi que ces éléments sont inquiétants et appellent une véritable prise de conscience des problèmes qui se poseront. Il est encore temps ! N'attendons pas, madame la ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, qu'il soit trop tard !
Au regard de ces défis, que propose le Gouvernement dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale ? Des mesures ponctuelles, je l'ai dit tout à l'heure, d'inspiration que l'on peut considérer souvent comme critiquable, qui ne dispenseront pas d'un examen des problèmes immédiats ni d'une réflexion en profondeur sur l'avenir de notre système de retraite.
Pour limiter à 4,3 milliards de francs le déficit de la branche vieillesse en 1998, comparés aux 8,5 milliards de francs constatés à la fin de 1997, quelle est la solution choisie par le Gouvernement ? Une solution de facilité, celle qui a été dénoncée par mon collègue Charles Descours pour ce qui concerne la branche famille et la branche maladie.
Une fois de plus, au lieu de freiner les dépenses constatées, on choisit l'accroissement des prélèvements de 1,8 milliard de francs avec l'élargissement de l'assiette des prélèvements de 1 % sur les revenus du capital et le relèvement du taux de la taxe sur les contributions des employeurs à la prévoyance complémentaire, qui passerait de 6 % à 8 %, l'utilisation de l'excédent de la contribution sociale de solidarité des sociétés, l'intégration financière de la Caisse mutuelle d'assurance vieillesse des cultes, dont les ressortissants se préoccupent des répercussions qu'une telle intégration pourra avoir sur leur taux de contribution, notamment en ce qui concerne la maladie et les cotisations retraites - M. Chérioux vous interpellera sur ce point - et, enfin, la reprise partielle de la dette par la Caisse d'amortissement de la dette sociale.
La commission des affaires sociales regrette que le Gouvernement ait jugé nécessaire de procéder à une nouvelle augmentation des prélèvements. En outre, ces opérations ont souvent un caractère - veuillez excuser le terme - de « recettes de poche », et certaines d'entre elles ne sont pas reconductibles.
Deux problèmes essentiels doivent pourtant être rapidement examinés : l'impact sur les retraités de l'augmentation de la contribution sociale généralisée et l'actualisation du mode de revalorisation des pensions.
L'impact pour les retraités du basculement de la cotisation sociale d'assurance maladie sur la CSG est encore mal connu. M. Descours a bien expliqué tout à l'heure ce qui nous inquiétait de ce point de vue. Le Gouvernement prétend que cette opération sera neutre pour les retraités. La réalité est beaucoup plus complexe.
Nous pouvons affirmer aujourd'hui - M. Le Pensec l'a reconnu devant la commission et a dit que des mesures seraient prises pour rendre l'opération neutre mais, pour le moment, nous ne les connaissons pas - que certaines catégories de retraités, ceux des régimes de non-salariés non agricoles par exemple, seront perdantes.
De plus, le mode d'indexation de la revalorisation des pensions de retraite, qui s'effectue aujourd'hui sur l'évolution prévisionnelle des prix, doit être réexaminé avant la fin de l'année 1998, je l'ai dit tout à l'heure. Le Gouvernement n'a pas encore fait connaître s'il envisageait une modification de ce mode d'indexation. Peut-être nous donnerez-vous ce soir des informations sur vos intentions, madame la ministre.
Ces deux questions pourraient avoir une incidence forte sur le pouvoir d'achat des retraités. A cet égard, je souhaite rappeler combien notre commission est attachée au principe du maintien du niveau de vie des retraités. Parce que ce dernier est aujourd'hui légèrement supérieur à celui des actifs, les retraités sont parfois abusivement présentés comme des privilégiés. De nombreux retraités touchent pourtant encore de très faibles pensions ; 1 million de personnes âgées bénéficient du minimum vieillesse, ce qui n'est pas négligeable !
Avant d'évoquer l'avenir de notre système de retraite, je voudrais dire un mot de la situation de l'assurance veuvage.
L'assurance veuvage dégage aujourd'hui un solde excédentaire de 1,5 milliard de francs environ, solde qui vient diminuer le déficit de la branche vieillesse. Or, parallèlement, l'allocation veuvage versée est d'un montant très faible - j'insiste sur ce point, mes chers collègues - inférieur au RMI dès la deuxième année de versement. Cette situation est anormale ; il est grand temps, me semble-t-il, d'utiliser l'excédent de l'assurance veuvage pour améliorer la situation des veufs et des veuves.
M. Jean Chérioux. Très bien !
M. Alain Vasselle, rapporteur pour l'assurance vieillesse. Des mesures ont déjà été prises antérieurement, mais il faut aller beaucoup plus loin, car cette branche est exemplaire et permettrait de le faire.
Les problèmes rencontrés par les veuves et les veufs appellent naturellement une réflexion plus générale sur la question des droits dérivés. Dans les circonstances actuelles, une augmentation du taux de la réversion, porté de 52 % à 54 % en 1995, n'est pas envisageable, car le coût financier en serait trop élevé pour les régimes d'assurance vieillesse. Il n'en reste pas moins qu'un passage progressif vers le taux de 60 % est un objectif souhaitable.
Mes chers collègues, la réflexion sur l'avenir de notre système de retraite doit être pourvuivie. Cet avenir passe, pour la commission des affaires sociales, par une consolidation de la répartition et par un développement maîtrisé de la capitalisation.
La commission des affaires sociales souhaite réaffirmer solennellement que la retraite par répartition doit rester le socle de notre système d'assurance vieillesse.
M. Jean Chérioux. Très bien !
M. Alain Vasselle rapporteur pour l'assurance vieillesse. Que l'on ne fasse pas au Sénat de procès sur ce point ! Il l'a toujours réaffirmé et quand il a adopté le texte sur les fonds de pension, il ne l'a pas fait pour remettre en cause le système de retraite par répartition !
M. Jean Chérioux. Très bien !
M. Alain Vasselle, rapporteur pour l'assurance vieillesse. La période la plus faste des régimes de répartition est sans doute révolue : il faut désormais réfléchir aux mesures qui permettront d'assurer leur pérennité.
La loi du 25 mars 1997 créant les plans d'épargne retraite ouvre la voie à l'instauration en France de fonds de pension et d'un dispositif facultatif de retraite par capitalisation. Les décrets d'application de cette loi n'ont pas encore vu le jour et il ne semble pas que le Gouvernement ait l'intention de les faire paraître prochainement.
La loi du 25 mars 1997 risque donc ne jamais entrer en vigueur. On ne peut que le regretter. La retraite par capitalisation est aujourd'hui un complément indispensable à la retraite par répartition.
L'expérience des fonds de pension, telle qu'elle a été engagée par la loi du 25 mars 1997, devrait donc être poursuivie. Il est d'ailleurs particulièrement choquant que le Gouvernement, sans ouvrir un débat au Parlement sur une modification ou une abrogation de ce texte, bloque l'application de la loi en s'abstenant de prendre les décrets d'application. J'espère, madame la ministre, que vous nous apporterez quelques apaisements sur ce point dans votre réponse.
J'en viens maintenant à l'action sociale de la branche vieillesse, et je terminerai par cette question.
La prestation spécifique dépendance amène en effet la branche vieillesse à redéfinir les axes prioritaires de son action sociale.
Le vote par le Parlement de la loi du 24 janvier 1997 a constitué une étape considérable dans la prise en charge des personnes âgées dépendantes : elle a en effet ouvert la voie à une coordination des actions des différents acteurs qui était souhaitée depuis longtemps par tous les intervenants.
Cette coordination est considérée comme une chance pour les caisses de sécurité sociale : elle leur a permis de réexaminer et d'accroître l'efficacité et la cohérence des actions financées par leurs fonds d'action sociale.
La commission ne dispose à ce jour d'aucun véritable bilan de la mise en place de la prestation spécifique dépendance. En effet, le Comité national de la coordination gérontologique, qui a été institué par l'article 1er de la loi et qui doit théoriquement rendre public chaque année un rapport comprenant un bilan de l'application de la loi, ne s'est toujours pas réuni à ce jour ; je crois savoir qu'il devrait le faire prochainement.
Si la prestation spécifique dépendance à domicile semble aujourd'hui fonctionner de façon relativement satisfaisante dans la quasi-totalité des départements, la situation est moins favorable pour les établissements. Certaines informations font, en effet, état de disparités importantes dans le montant de la prise en charge suivant les départements. Il faut imputer cette situation à l'absence de réforme de la tarification. A cet égard, j'observe que le rapport annexé au projet de loi de financement précise que « le Gouvernement souhaite mener en 1998 l'indispensable réforme de la tarification des établissements accueillant les personnes âgées. »
Lors de votre audition par la commission des affaires sociales du Sénat, le 4 novembre dernier, vous avez déclaré, madame la ministre, que la réforme de la tarification serait présentée avant l'été 1998. Nous vous en donnons acte. Je me félicite de l'annonce de ce calendrier prévisionnel, je tiens à vous rappeler que tout retard supplémentaire dans la réforme de la tarification risquerait de compromettre la mise en place de la prestation spécifique dépendance en établissement et ne ferait que conforter les disparités constatées.
Par ailleurs, je prends acte de la volonté du Gouvernement, inscrite dans le projet de loi, de financer 7 000 lits de sections de cure médicale et 2 000 places nouvelles de services de soins infirmiers à domicile, qui n'avaient pas été ouverts faute de financements. Vous respectez donc, madame la ministre, l'engagement qui avait été pris par le précédent gouvernement.
Nous souhaiterions simplement connaître la situation réelle à ce jour, une fois que nous aurons assuré le financement de ces 14 000 lits et de ces 4 000 places. Combien de places de soins infirmiers à domicile et de lits de sections de cure y a-t-il encore à financer ? Je pense qu'il serait intéressant que nous fassions le point aussi rapidement que possible.
L'instauration de la prestation spécifique dépendance a amené la branche vieillesse à recentrer son action sociale sur certaines catégories de personnes âgées.
La mise en place de la PSD a ainsi abouti à un partage des compétences entre les départements et les organismes de la branche retraite : je vous rappelle, mes chers collègues, que les premiers prendront en charge les personnes âgées les plus dépendantes, classées selon la grille AGGIR de 1 à 3, dont les ressources sont inférieures au plafond de versement de la prestation spécifique dépendance ; les seconds recentreront leur action sur les personnes âgées non éligibles à la prestation spécifique dépendance, c'est-à-dire celles dont le niveau de dépendance mesuré selon la grille AGGIR est compris entre 4 et 6, quels que soient leurs revenus, ou entre 1 et 3, mais avec des ressources supérieures au plafond précité.
Le 5 juin 1997, la Caisse nationale d'assurance vieillesse a pris acte des adaptations nécessaires de son action sociale au nouveau contexte créé par la PSD, et il n'y a pas de croisement de financements possible en ce qui concerne les personnes éligibles à cette prestation.
Ces premiers éléments sont tout à fait encourageants. La loi instaurant la PSD est certainement perfectible, nous n'en doutons pas. La commission des affaires sociales est néanmoins profondément convaincue qu'elle pose des jalons importants pour l'avenir de la prise en charge des personnes âgées. A cet égard, le Sénat a bien agi en prenant l'initiative à travers la proposition de loi du président de la commission des affaires sociales, M. Fourcade, texte que nous avons cosigné avec plusieurs membres de cette Haute Assemblée. (M. Chérioux applaudit.)
Tels sont, monsieur le président, les quelques éléments de réflexion que je souhaitais soumettre aux membres du Gouvernement ainsi qu'à l'ensemble de mes collègues de la Haute Assemblée. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants, de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Jacques Oudin, rapporteur pour avis de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Monsieur le président, madame le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, pour la deuxième fois, nous examinons le projet de loi de financement de la sécurité sociale.
Chacun s'accorde à constater que ce texte de loi est un grand progrès par rapport à la période passée, car il permet - enfin ! - au Parlement de débattre de la situation et de l'avenir de notre système de sécurité sociale.
A cette occasion, il faut rendre hommage à l'action du gouvernement d'Alain Juppé, à qui nous devons à la fois la modification de la Constitution, la création de ce débat parlementaire, ainsi que la mise en oeuvre des principales dispositions qui donnent désormais au Gouvernement les moyens d'agir sur l'ensemble du dispositif de protection sociale.
Au nom de la commission des finances, je dresserai trois constats et je formulerai sept orientations qu'il nous paraît nécessaire de suivre pour une meilleure maîtrise de l'évolution des dépenses sociales et une meilleure cohérence de nos systèmes fiscal et social de taxation.
Le premier constat est une évidence.
Nos compatriotes sont profondément attachés à notre système de protection sociale tel qu'il a été créé, voilà plus de cinquante ans, par le général de Gaulle et constamment développé depuis, dans un cadre de forte solidarité qui préserve toutefois le principe de liberté.
Cette double contrainte de la solidarité et de la liberté nous impose de développer l'esprit de responsabilité à tous les niveaux et dans tous les secteurs. Cela est d'autant plus nécessaire que nous agissons dans un cadre partenarial où les acteurs sont nombreux et pas toujours parfaitement conscients des impératifs des équilibres financiers. Je me souviens d'un médecin disant : « on m'a appris à soigner, mais pas à compter ».
La commission des finances estime qu'au niveau atteint par les prélèvements obligatoires en France - et qui est un des plus élevés des pays développés - nous avons les moyens financiers de faire face à toutes les nécessités de la solidarité nationale.
Certes, cela nous impose des efforts de rigueur, de redéploiement des moyens, d'analyse de l'efficacité des dépenses existantes, afin d'orienter au mieux notre action vers les besoins les plus nécessaires.
Bref, il ne s'agit ni de réduire ni de rationner ; il s'agit de lutter contre les gaspillages, contre les dépenses improductives, contre les lourdeurs et les scléroses, afin de ne pas toujours dépenser plus, mais de dépenser mieux.
C'est ainsi que l'on assurera la pérennité de notre système de protection sociale.
Le second constat concerne le rôle du Parlement.
L'absence du Parlement dans le domaine de la sécurité sociale ne pouvait pas durer. La commission des finances était particulièrement préoccupée d'assister aux échecs répétés de plans dits de redressement et à la hausse continue des prélèvements sociaux.
J'avais, pour ma part, déposé en 1993, 1994 et 1995 des propositions de loi visant à réformer un système obsolète qui a pris fin avec la réforme constitutionnelle du 22 février 1996.
Désormais, nous pouvons légiférer avec une meilleure connaissance des données financières et sanitaires de notre système de protection sociale.
J'ai dit « meilleure » et je ne dirai pas « parfaite », car nous avons encore d'immenses progrès à accomplir.
Le système comptable de la sécurité sociale, bien qu'il ait été beaucoup amélioré au cours de ces dernières années à la suite des recommandations de la commission des comptes de la sécurité sociale, doit encore être perfectionné pour nous donner une vue parfaitement fiable et exhaustive des comptes sociaux.
Le rôle de la commission des comptes, que nous avons toujours défendu, doit être préservé et développé pour nous permettre de mieux apprécier l'évolution tendancielle des comptes pour les années futures.
Enfin, n'oublions pas l'appui que nous apporte la Cour des comptes, fidèle au rôle de conseil du Parlement que lui a dévolu la Constitution.
Depuis la loi de juillet 1994, la Cour des comptes remplit une mission de plus en plus importante pour contrôler l'ensemble des comptes sociaux et éclairer le Parlement.
Pour ce faire, la Cour des comptes a adapté ses structures et créé une nouvelle chambre à vocation uniquement sociale. Compte tenu de l'importance des masses financières en cause, c'était une nécessité.
La qualité des rapports de la Cour n'est plus à démontrer et nos commissions ont tout intérêt à s'appuyer davantage sur les capacités d'expertise de cette haute juridiction financière.
Nous avons toutefois un regret à formuler à propos de la précipitation dans laquelle nous travaillons en raison des délais impartis pour l'examen de la loi de financement de la sécurité sociale. La commission des finances, lors de la discussion de la loi organique, avait mis en garde contre cet écueil, dont nous constatons aujourd'hui les inconvénients.
Dans le domaine budgétaire, le débat d'orientation préalable qui se déroule au printemps constitue une véritable avancée. Madame le ministre, ne pourrait-il en être de même pour la loi de financement ?
Le troisième constat concerne l'évolution à terme de l'ensemble de nos comptes sociaux.
Cette évolution inquiète la commission des finances qui part du principe qu'il convient d'arrêter la croissance des prélèvements obligatoires et que l'effort de stabilisation doit porter autant sur les prélèvements sociaux que sur les prélèvements fiscaux.
La rigueur que nous souhaitons pour le budget de l'Etat doit trouver son équivalent dans les comptes sociaux, sachant que ceux-ci sont confrontés, en outre, à des contraintes démographiques qu'il faut pouvoir intégrer et dont nous a parlé M. Alain Vasselle.
Le 15 novembre 1995, le Premier ministre de l'époque, M. Alain Juppé, avait annoncé un plan d'ensemble de réforme, de modernisation et de responsabilisation de la sécurité sociale.
Ce plan était nécessaire. Il était attendu et il a été mis en oeuvre par un grand nombre de textes. Certes, cette réforme a suscité des remous, des mécontentements et des conflits, mais je constate qu'elle existe et que les instruments nécessaires sont désormais à la disposition du Gouvernement.
L'indispensable maîtrise des prélèvements obligatoires résulte d'une double nécessité : la première concerne les conséquences qu'un niveau excessif peut avoir sur la compétitivité et la localisation de notre système productif. Certaines études récentes, qui ont été menées, d'ailleurs, à la demande de la commission des finances, montrent l'étroite corrélation qui existe en France entre la hausse des prélèvements obligatoires et celle du chômage. Je vous renvoie à un graphique qui figure dans mon rapport écrit.
La seconde nécessité résulte de la mise en oeuvre de l'euro. Avec un marché unique et une monnaie unique, nous aurons, bien évidemment, une économie unifiée qui mettra davantage en évidence les dysfonctionnements liés aux disparités des niveaux des prélèvements obligatoires, que nous ne pourrons pas compenser par des fluctuations monétaires.
Il faut donc que nous ayons une politique cohérente et rigoureuse des prélèvements obligatoires.
Si la coordination gouvernementale peut se faire sous l'égide du Premier ministre, la commission des finances estime en revanche que notre organisation parlementaire présente des faiblesses liées au fait que les prélèvements fiscaux dépendent des commissions des finances et que les prélèvements sociaux sont du ressort des commissions des affaires sociales...
M. Jean-Pierre Fourcade, président de la commission des affaires sociales. Mais c'est le même Parlement !
M. Jacques Oudin, rapporteur pour avis. Il y a là un léger dysfonctionnement que nous n'avons pas su apprécier suffisamment tôt. Bref, une réflexion doit être menée sur ce problème.
Pour mettre en oeuvre une politique des prélèvements obligatoires cohérente sur le long terme, la commission des finances propose de déterminer et de respecter sept orientations fondamentales.
La première orientation est, bien entendu, de réduire le déficit global de la sécurité sociale par une action privilégiée sur la hausse des dépenses.
La commission des finances souhaite que l'équilibre soit atteint pour chaque branche, sans artifices et sans transferts déguisés, notamment entre les accidents du travail et l'assurance maladie. Cela dit, lorsque le déficit global de la sécurité sociale est transféré à la CADES, il s'agit d'un mécanisme qui va directement à l'encontre de la séparation des branches.
La deuxième orientation concerne la stabilisation de la croissance de l'ONDAM, l'objectif national de dépenses de l'assurance maladie.
Les dépenses de l'assurance maladie ont mobilisé, cette année, 600 milliards de francs, soit une augmentation de 1,7 % sur les dépenses de 1996.
Quelle augmentation faut-il accepter pour 1998, compte tenu de la situation de notre régime d'assurance maladie ?
Tous les esprits avertis savent qu'il existe de grandes sources d'économies possibles, qui devraient permettre de réaffecter les moyens pour atteindre plus d'efficacité financière et de meilleurs résultats sanitaires.
Qu'elles proviennent de l'IGAS, de la Cour des comptes, du médecin-conseil de la CNAM ou de la mutualité française, toutes les analyses concordent pour dénoncer les inégalités régionales, les surcapacités ici, les insuffisances ailleurs - à l'instant, M. le secrétaire d'Etat nous parlait des surconsommations étonnantes en France - bref, nous avons là l'exemple d'une utilisation parfois peu rationnelle de nos moyens.
Il faut donc mieux connaître, mieux évaluer, mieux contrôler et mieux réaffecter des ressources forcément limitées.
Or l'informatisation ne se développe pas assez vite, le PMSI - programme de médicalisation du système d'information - comme la carte VITALE 2 prennent du retard, les procédures d'accréditation n'avancent pas comme il serait souhaitable, les agences régionales de l'hospitalisation n'ont pas reçu toutes les directives nécessaires, bref, madame le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, vous avez en mains tous les moyens du pilotage que l'on est en droit d'attendre de vous. Mais, pour le moment, les résultats tardent.
Dans ces conditions, alors que la commission des comptes de la sécurité sociale faisait apparaître une hausse tendancielle des dépenses d'assurance maladie de 2,1 %, vous avez fixé la croissance de l'ONDAM à 2,2 %.
La commission des affaires sociales a souhaité ramener cette croissance à 1,8 %, contre 1,7 % en 1997.
Or la commission des finances estime que, désormais, il faut caler la croissance de l'ONDAM sur celle de l'inflation : le taux prévisible de cette dernière étant de 1,3 % en 1998, selon le Gouvernement, c'est donc à ce chiffre qu'il convient de fixer l'augmentation de l'ONDAM.
Puis-je ajouter que cette masse financière, qui s'établirait ainsi à 608 milliards de francs, devrait comprendre le fonds d'accompagnement social pour la modernisation des hôpitaux et le développement des actions de prévention de la CNAM, que vous avez placés en dehors de l'ONDAM ? Est-il raisonnable de fixer une limite à l'évolution de cet objectif tout en créant à côté des fonds spécifiques qui ne sont plus maîtrisés ?
A terme, pour être cohérente avec la position qu'elle a prise pour les dépenses budgétaires, la commission des finances estime que l'objectif qui devrait être visé est celui de la reconduction de l'ONDAM en francs constants.
La troisième orientation touche à la préservation de la politique familiale. Les choix que vous avez faits dans le domaine de la famille ne recueillent pas l'accord de nos commissions. Vous le savez : ils nous paraissent particulièrement dommageables pour l'avenir.
La politique démographique doit s'élaborer sur une période particulièrement longue et elle dépend de la politique de la famille. Toute l'Europe - et, bien entendu, la France - connaît un déclin démographique lourd de dangers. Tous les spécialistes vous diront que l'avenir de notre démographie se joue sur le troisième enfant. Toutes les analyses montrent que plus les familles ont d'enfants, plus leur pouvoir d'achat s'amenuise.
Dans ces conditions, notre ligne de conduite est clairement tracée - notre collègue Jacques Machet l'a longuement exposée : il faut aider toutes les familles, et particulièrement les familles nombreuses.
La commission des finances approuve donc toutes les propositions faites dans ce sens par la commission des affaires sociales.
La quatrième orientation est celle d'une politique cohérente d'imposition sur le revenu.
Cela nous amène au problème central de la CSG, la contribution sociale généralisée, puisque, désormais, nous avons et nous aurons une double imposition sur le revenu avec des bases différentes : une imposition progressive avec l'impôt sur le revenu et une imposition proportionnelle avec la CSG.
La coexistence de ces deux types d'impositions nous a amenés l'an dernier, sous le précédent gouvernement, à accepter le principe d'un premier basculement entre les cotisations sociales et la CSG, à la condition toutefois que puisse intervenir une baisse concomitante de l'impôt sur le revenu pour éviter que ne soit accrue la taxation globale des revenus.
Or, vous avez abandonné le plan d'allégement de l'impôt sur le revenu.
De surcroît, la basculement que vous nous proposez se traduit par une surtaxation globale de 4,6 milliards de francs, d'autant moins acceptable que les compensations sont inéquitables et se font essentiellement au détriment des non-salariés.
La cinquième orientation est d'avoir, en parallèle, une politique cohérente de taxation de l'épargne.
Par nature, une large partie de l'épargne est mobile. Dans une Europe à monnaie unique, toute erreur dans la taxation de l'épargne risque d'entraîner des déplacements importants de cette même épargne et donc de l'assiette taxable.
Personne ne conteste que les revenus de l'épargne doivent contribuer à l'effort de solidarité sociale. Dès lors que nous refusons la hausse de la CSG, la commission des finances estime qu'il est possible d'accepter l'extension de l'assiette des contributions sociales existant par ailleurs sur l'épargne, à condition d'en réduire le taux.
Nous préférons un taux plus faible sur une base plus large plutôt que l'inverse. C'est une question de bon sens, et vous trouverez les raisons de ce choix longuement développées dans mon rapport écrit.
La sixième orientation consiste à avoir une plus forte cohérence dans les taxations sociales.
Sous la pression des besoins sur lesquels vous ne vous êtes pas donné les moyens d'une maîtrise suffisante, vous multipliez les taxes sans prendre l'exacte mesure des conséquences de certaines de vos décisions.
C'est la raison pour laquelle la commission des finances n'est pas favorable à l'augmentation du taux de la taxe sur la prévoyance supplémentaire. ni au bouleversement de la fiscalité applicable au secteur de la distribution des médicaments, ni à l'affectation du produit de la C3S, la contribution de solidarité sociale sur les sociétés, au régime général alors qu'elle avait été créée au bénéfice des régimes des non-salariés. En outre, elle estime inutile de créer une contribution sociale spécifique sur les tabacs, alors qu'il est plus simple d'accroître les droits de consommation existants.
Enfin, la septième et dernière orientation consiste à préconiser une politique d'équilibre à long terme.
Cela implique un préalable : que vous ayez, que nous ayons tous le courage de regarder l'avenir avec rigueur et clairvoyance - M. Vasselle l'a rappelé tout à l'heure.
Nous avons déjà évoqué la stabilisation souhaitable de la croissance de l'ONDAM.
Nous avons souligné l'importance d'une vision à long terme de notre politique démographique et des régimes de retraite.
Cela est vital pour notre pays, cela ne l'est pas moins pour l'équilibre de l'ensemble de nos régimes de retraite.
L'équilibre des régimes de retraite du secteur public est loin d'être résolu ; c'est un euphémisme. Le cas de la CNRACL, la caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales, est l'exemple même d'une mesure à court terme dont on refuse de voir l'engrenage fatal vers lequel elle nous conduit.
Dans le projet de loi de financement, il nous est demandé d'autoriser un endettement, alors qu'aucune mesure ne nous est présentée pour un rééquilibrage futur. Je vous renvoie aux développements que consacre mon rapport écrit à ce sujet, mais la position de la commission des finances est claire : elle refuse la logique de l'endettement sans politique de redressement.
Tout déficit se traduisant par un endettement à long terme, je conclurai mon propos en évoquant la CADES, la Caisse d'amortissement de la dette sociale.
La CADES est un bon outil qui sert un mauvais objectif : l'apurement des déficits sociaux au moyen d'une augmentation des prélèvements.
Faute d'avoir pu résoudre les problèmes d'équilibre de nos comptes sociaux, nous reportons toujours davantage sur les générations de nos enfants et de nos petits-enfants les conséquences des errements de nos politiques actuelles.
La CADES est un bon outil en ce qu'elle permet de cantonner la dette, de la limiter dans le temps et de lui affecter une ressource spécifique.
Nous l'avons créée pour treize ans, afin d'apurer un endettement cumulé de 140 milliards de francs.
Par le présent projet de loi de financement, il nous est demandé d'y affecter 87 milliards de francs supplémentaires et d'en prolonger l'existence de cinq ans - jusqu'au 31 janvier 2014 - faute de quoi il aurait fallu augmenter le taux de la contribution de remboursement de la dette sociale de 0,5 à 0,7 point.
La commission des finances émet un avis favorable sur cette mesure, à la condition expresse que la loi précise bien que la CADES sera supprimée le 31 janvier 2014 et que ses biens seront dévolus à l'Etat.
Certes, nous ne l'ignorons pas, une loi peut défaire ce qui a été fait par une précédente loi. Toutefois, il y a là un engagement solennel qui a été pris devant la nation, et cet engagement implique au moins nos consciences ainsi que celles de nos successeurs.
Certains pourront estimer que les positions prises par la commission des finances sont trop rigoureuses ou trop contraignantes. Nous ne le croyons pas.
Nous avons atteint un niveau relativement exceptionnel de protection sociale. Or l'efficacité de celle-ci, à enveloppe constante, peut être considérablement améliorée. Tel est, pour nous, l'enjeu.
Faute d'en avoir pris conscience suffisamment tôt, d'autres pays développés ont dû faire des révisions déchirantes. C'est à cet effort de clairvoyance et de rigueur que nous vous invitons pour garantir la pérennité, l'efficacité et l'équité de notre système de protection sociale. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indép»endants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires sociales.
M. Jean-Pierre Fourcade, président de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, après les exposés, aussi dense que précis, des quatre rapporteurs, je souhaite limiter mon propos à une observation et à deux questions de fond.
Mon observation est la suivante : compte tenu de l'ampleur des masses financières dont nous allons traiter - un peu plus de 1 700 milliards de francs, en dépenses comme en recettes - l'information du Parlement aurait dû être plus précise.
En effet, bien qu'un volume considérable de documents et de rapports soit joint au projet de loi, manquent encore un certain nombre d'éléments qui nous permettraient de mieux fonder notre jugement.
Il manque ainsi un état précis des flux financiers et des transferts d'un régime à l'autre, notamment en matière de retraite. Il manque une décomposition des objectifs de dépenses, distinguant nettement ce qui relève des prestations, ce qui constitue des éléments annexes des prestations et ce qui relève des frais de gestion. Il manque également des hypothèses macroéconomiques permettant de mesurer les conséquences des prélèvements que le Gouvernement se propose d'aggraver. Cela vaut, bien sûr, pour le basculement des cotisations maladie sur la CSG.
Dès lors que, dans une société aussi fragilisée que la société française, on propose des transferts de plusieurs dizaines de milliards de francs, seul un ensemble d'études d'impact permet d'en apprécier les effets. Or toutes ces études d'impact, à l'évidence, ne sont pas disponibles.
Madame la ministre, je me réjouis, comme vous - c'est un point sur lequel nous sommes tous d'accord - que la représentation nationale ait pour la deuxième fois à débattre de l'avenir de notre système de sécurité sociale. Toutefois, il faudra encore perfectionner votre méthode et nous fournir, non pas plus de chiffres globaux, mais des études d'impact et des éléments financiers qui nous permettront d'affiner notre jugement.
J'en viens à mes deux questions.
Tout d'abord, les moyens de rééquilibrer les comptes de notre régime général de sécurité sociale qui sont prévus dans ce texte sont-ils bien choisis ?
Quant à ma seconde question, elle concerne le moyen terme et elle est donc, à ce titre, source d'une bien plus grande préoccupation : que va devenir la contribution sociale généralisée ?
S'agissant du premir point, tout le monde est d'accord sur la nécessité de réduire les déficits ; vous l'avez vous-même souligné, madame la ministre, c'est le point de convergence entre le Gouvernement, la commission des affaires sociales et, je le suppose, la totalité de cette assemblée.
En effet, tolérer un déficit chronique des comptes sociaux, c'est accepter de faire payer le prix de notre « train de vie social » d'aujourd'hui aux générations futures, alors que, on le sait, celles-ci seront confrontées à des problèmes fort lourds, du fait de l'évolution de notre démographie : le vieillissement de la population met en question, de manière angoissante, l'avenir de notre système de retraite, et c'est aussi, à terme, un facteur d'alourdissement de nos dépenses de santé.
Comme les trois rapporteurs de la commission des affaires sociales, puis M. Oudin l'ont indiqué à juste titre, le mécanisme de la reprise des dettes de la sécurité sociale par la CADES ne pourra pas être éternellement prolongé. En effet, si ce déficit chronique devait peser sur les générations de demain, nous aurions mis en place une mécanique infernale. Je suis persuadé que, dans dix, quinze ou vingt ans, les jeunes générations au travail n'accepteront pas les taux de cotisation qui permettraient de rééquilibrer l'ensemble des systèmes.
Il faut donc que, avant 2005 et surtout 2015, nous ayont jeté les bases d'un véritable rééquilibrage de l'ensemble de nos comptes sociaux.
Ce rééquilibrage peut-il être opéré sans majorer les prélèvements obligatoires ? Le texte que vous nous proposez, madame la ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, est fondé davantage sur une majoration des prélèvements que sur une réduction des dépenses. Or nous pensons ici - c'est la divergence de fond que nous avons avec le Gouvernement - que, compte tenu de l'ouverture de nos frontières à la compétition mondiale, l'équilibre des comptes sociaux passe nécessairement par une maîtrise des dépenses, de toutes les dépenses, qu'il s'agisse des prestations ou des frais de gestion.
Selon nous, il manque au projet de loi de financement de la sécurité sociale un affichage clair de l'orientation retenue dans ce domaine. Il est question d'évolution tendancielle, de maîtrise de tel ou tel secteur, mais les économies proposées sur les dépenses ne concernent que la famille, avec, au passage, une remise en cause de l'universalité des allocations familiales ; notre ami Jacques Machet a rappelé pourquoi, à nos yeux, ce moyen était inacceptable.
La deuxième source d'économies concerne la charge de la dette ; je viens d'en parler.
Malheureusement, je n'ai vu, dans le projet de loi, aucune autre indication claire tendant à rappeler aux partenaires sociaux que la maîtrise des dépenses est une préoccupation prioritaire. J'ai peur que les mécanismes contenus dans les différents articles, ainsi que l'a parfaitement souligné M. Charles Descours, ne donnent l'illusion à beaucoup de professionnels et de partenaires sociaux que la rigueur est désormais révolue. M. Bernard Kouchner l'a affirmé : nous allons nous concerter, nous allons discuter, nous allons revoir... J'ai l'impression que cette espèce de temporisation va être un facteur de redémarrage de la dépense. Or, à mon avis, il aurait fallu marquer clairement que l'orientation était non pas à l'augmentation des prélèvements mais à la réduction des dépenses. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
Pour ce qui est de l'avenir, je constate que, dans le rapport d'orientation, que nous proposerons de modifier, tout est renvoyé à plus tard : la détermination de la politique de la famille à la fin de l'année 1998, l'examen des questions liées à la santé à la réunion des états généraux de la santé, l'état des problèmes de la branche vieillesse à une réflexion approfondie...
Et, sur les plans d'épargne retraite, il n'y a rien,...
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Si !
M. Jean-Pierre Fourcade, président de la commission des affaires sociales. ... sauf cette campagne actuelle de la Caisse nationale d'assurance vieillesse des travailleurs salariés expliquant que le texte voté par le Parlement est une infamie en ce qu'il revient à introduire le renard dans le poulailler. On se demande d'ailleurs qui respecte quoi dans ce pays, quand on voit une caisse nationale, financée par des ressources dont nous avons à débattre, lancer une campagne contre un texte de loi voté par le Parlement ! Vous nous avez demandé tout à l'heure quelles économies pourraient être réalisées, madame la ministre. Eh bien, on aurait au moins pu faire celle-là ! (Sourires.)
Ni les mesures inscrites dans le projet de loi ni les orientations qui l'accompagnent ne répondent à la vraie question. La vraie question est de savoir comment rééquilibrer durablement les comptes. J'estime - je l'ai dit l'année dernière et je le répète cette année - que la priorité doit être donnée à une rationalisation de la gestion et, surtout, des structures de notre système de sécurité sociale.
L'informatisation est en retard, nous le savons tous, mais je crains, de toute façon, qu'elle n'apporte pas de progrès substantiels. Mon expérience d'élu local m'a montré que les miracles annoncés ne se traduisent pas toujours, finalement, par de réelles économies.
La mise en place des unions régionales de caisses d'assurance maladie doit permettre la mise en commun de certains moyens, mais on pourrait profiter, madame le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, de l'institution d'un régime universel d'assurance maladie pour simplifier les relations entre les dix-neuf régimes d'assurance maladie existant actuellement, ce qui se traduit par quelques dizaines de milliards de francs.
J'ai noté dans le projet un point intéressant : l'objectif national des dépenses de l'assurance maladie, l'ONDAM, s'élève à 613,6 milliards de francs et l'objectif de dépenses assigné à la branche maladie - maternité - invalidité s'élève, lui, à 678,3 milliards de francs. La différence, de 64,7 milliards de francs, correspond notamment à des frais de gestion et à un certain nombre d'actions. Eh bien, dans ces 64,7 milliards de francs de différence entre l'objectif de la branche et l'objectif national opposable à tous les professionnels pour les dépenses d'assurance maladie, gisent, selon moi, quelques économies.
Sur les dépenses de gestion des quatre régimes, qui ont représenté en 1997 une somme légèrement supérieure à 44 milliards de francs, nous avons, là aussi, quelques possibilités de réductions et d'améliorations.
Chacun doit contribuer au redressement des comptes sociaux. A cet égard, la rationalisation des compétences entre les caisses peut se révéler féconde. M. Machet a rappelé tout à l'heure les 20 milliards de francs que la caisse d'allocations familiales verse à la caisse d'assurance vieillesse : en fonction de quoi ? De quelle convention ? De quels critères ? Compte tenu de quelle méthode de gestion ? De quelle comptabilité analytique ? On n'a pas de réponse !
M. Jean Chérioux. Exactement !
M. Alain Vasselle, rapporteur pour l'assurance vieillesse. On ne connaît même pas le montant exact !
M. Jean-Pierre Fourcade, président de la commission des affaires sociales. Comment convaincre chacun de la nécessité d'un équilibre des comptes face à la diversité des prestations et à la complexité des flux financiers ?
L'exemple de la CNRACL, bien connu au Sénat, est significatif : le tiers des emplois de cette caisse de retraite correspond à des transferts, c'est-à-dire à des compensations et à des surcompensations inter-régimes. Quelle n'a pas été notre stupéfaction de découvrir dans le projet de loi une possibilité, pour la CNRACL, d'emprunter afin d'assurer avec ponctualité ses versements aux autres régimes, autrement dit d'emprunter non pas pour payer les pensions de ses allocataires, mais pour payer des compensations à d'autres régimes !
Tout cela n'est pas sérieux et, bien entendu, ne peut nous dispenser de mener une réflexion approfondie sur les régimes spéciaux, notamment sur les écarts entre les prestations versées par les différents régimes spéciaux de retraite, sur leur situation réelle, sur leurs perspectives et, peut-être, sur la fusion d'un certain nombre d'entre eux, de manière à diminuer les coûts et à harmoniser les prestations.
J'en arrive à la deuxième question, qui est la plus préoccupante pour l'avenir : que va devenir la contribution sociale généralisée ?
Madame la ministre, chacun ici est conscient, me semble-t-il - Charles Descours vous l'a dit - de la nécessité d'asseoir les ressources de la sécurité sociale sur une assiette plus diversifiée, plus dynamique, et sur une plus longue période que la seule masse salariale. Sur ce point, à l'exception peut-être encore de quelques îlots de résistance, tout le monde est d'accord. Un premier pas a été fait dans ce sens l'an dernier, mais il conviendrait d'en dresser un bilan détaillé avant d'en faire un second.
Or le présent projet de loi prévoit une nouvelle étape, d'une ampleur exceptionnelle, puisque la CSG augmenterait de plus de quatre points. Vous reconnaissez vous-même, madame la ministre, que ce basculement considérable risque de s'effectuer en pénalisant de nombreuses catégories de personnes : vous envisagez, en effet - cela était impensable au moment de la création de la CSG - d'établir des taux différenciés non seulement pour les chômeurs et les retraités, mais également pour les fonctionnaires. Tout à l'heure, vous avez oublié de parler des fonctionnaires, madame la ministre, mais vous serez bien obligée de leur appliquer un taux spécial !
De surcroît, cette mesure intervient alors même que l'étude parallèle sur la nécessaire réforme de l'assiette des cotisations patronales n'a guère avancé. J'ai noté votre engagement de lancer la réflexion pour que, dès l'année prochaine, nous puissions y voir clair. Il aurait été préférable, me semble-t-il, d'établir un certain parallélisme entre le basculement vers la CSG des cotisations d'assurance maladie et la réforme de l'assiette des cotisations patronales.
En décidant le basculement massif des cotisations maladie des assurés vers la CSG, le Gouvernement poursuit simultanément quatre objectifs. Premièrement, une préoccupation financière immédiate - il convient de procurer des recettes nouvelles dès 1998 à la branche maladie du régime général ; compte tenu de la situation, il faut le faire ! Deuxièmement, une volonté de réforme de l'ensemble de nos prélèvements obligatoires, qui conduit à accroître massivement les prélèvements sur l'épargne. Troisièmement, un choix « conjoncturel », celui de relancer la consommation par la distribution de pouvoir d'achat aux salariés actifs. Enfin, quatrièmement, une ambition politique, celle de faciliter, ce faisant, les négociations relatives à la réduction du temps de travail.
Ces quatre objectifs figurent dans l'exposé des motifs du projet de loi. Toutefois, le souci de procurer un surcroît de recettes au régime général dès 1998 comporte une forte part d'aléas en l'absence d'une étude d'impact. En effet, si une diversification de l'assiette du financement constitue une garantie sur une longue période, le rendement des prélèvements sur l'épargne, les concessions qu'il faudra faire à toutes les catégories de travailleurs indépendants, qui sont plus victimes de la réforme que gagnants, les modifications qu'il faudra apporter à un certain nombre d'autres dispositifs, tout cela se traduira par des moins-values de recettes que nous sommes aujourd'hui incapables d'évaluer.
Il aurait été préférable, me semble-t-il, de procéder à un basculement limité sur trois ou quatre ans, de manière à en mesurer les effets et à étudier les corrections qui s'imposaient, évitant ainsi de se lancer dans l'inconnu.
En effet, le vrai problème est de savoir ce que le Gouvernement, auquel vous appartenez tous les deux, madame la minitre, monsieur le secrétaire d'Etat, veut faire de la CSG.
Ou bien l'on s'oriente - mais alors il faut le dire ! - vers un système à l'anglaise ou à la danoise, dans lequel le financement de la protection sociale est assuré par l'impôt sur les ménages. Ainsi, au Danemark, où nous sommes allés voilà peu de temps, ou en Grande-Bretagne, c'est l'impôt sur les ménages, très élevé, qui finance la totalité de la protection sociale. C'est un choix qui implique un impôt sur le revenu à assiette très large, mais sans cotisations sociales à la charge des entreprises. Dans ce système, les charges de travail et les charges de salaires des entreprises sont, eu égard à la concurrence internationale, tout à fait comparables d'un pays à l'autre.
Ou bien l'on essaie de mettre en place un système mixte, dans lequel on augmente la CSG pour obtenir une assiette plus dynamique, mais sans toucher aux cotisations patronales, notamment en matière d'allocations familiales ou d'assurance maladie. Toutefois, si nous sommes les seuls à adopter un système de ce type, le risque est grand d'avoir un chômage plus important et des prélèvements fiscaux excessifs. En outre, aucune garantie sur l'équilibre durable du système ne peut être donnée.
En effet, en matière de CSG, deux thèses existent, et j'interrogerai d'ailleurs le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie sur ce point la semaine prochaine.
La première thèse consiste à transformer la CSG en cotisation de base de l'impôt sur le revenu. On reviendrait ainsi au système antérieur à 1959. Je faisais partie des équipes qui ont procédé à la réforme fiscale de 1959 ; j'ai ce privilège de l'âge sur beaucoup d'autres. A l'époque, il y avait une taxe proportionnelle sur les revenus dont les taux étaient variables et une surtaxe progressive.
Certains ici, je le sais, souhaiteraient que l'on revienne à ce système, comme si le fait de revenir à un système fiscal d'avant-hier nous permettrait de gagner des parts de marché ultérieurement. C'est une idée ! Mais alors, il faut le dire et, dans ce cas, la CSG n'est plus déductible du tout ; elle devient l'impôt sur le revenu !
Dans la seconde thèse, on conserve le système de cotisation sociale de la CSG, qui permet de financer l'ensemble de la protection sociale. Dès lors, il s'agit d'une cotisation sociale, et elle doit être entièrement déductible de l'impôt sur le revenu.
Toutefois, le système actuel dans lequel on augmente le taux de la CSG, avec une partie non déductible - celle qui va à la famille - avec un RDS qui est affecté à la CADES, et une partie déductible, est un système mixte. Nous sommes les champions, en Europe, des systèmes mixtes ! Il est clair qu'il faudra choisir un jour. Cela mérite un large débat.
M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat. Effectivement !
M. Jean-Pierre Fourcade, président de la commission des affaires sociales. Il s'agit non pas d'une question que l'on peut trancher en cinq minutes, mais d'un problème de fond.
En effet, ou bien l'on s'oriente vers un nouveau système d'impôt sur le revenu généralisé, mais il n'y a plus de cotisations sociales sur les entreprises. A ce moment-là, la compétition devient possible si, bien entendu, le problème de la taxe professionnelle est également réglé...
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Absolument !
M. Jean-Pierre Fourcade, président de la commission des affaires sociales. ... les deux affaires étant, en effet, liées. Ou bien l'on conserve un système de contribution sociale alimentant le budget social déductible de l'impôt sur le revenu.
Madame la ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, le projet de loi que vous nous présentez ne tranche pas : il se borne à majorer les prélèvements avec, au passage, un peu plus de prélèvements sur l'épargne, sur les revenus des travailleurs, sur les caisses, etc.
M. François Autain. Qu'avez-vous fait l'année dernière ?
M. Jean-Pierre Fourcade, président de la commission des affaires sociales. Il faut choisir ! Devons-nous nous orienter vers un système de protection sociale à la nordique, financé par l'impôt sur le revenu, ou vers un système de protection sociale mixte, financé par les partenaires sociaux, avec une contribution généralisée ?
Le système que vous nous proposez a un grand défaut : nous n'en mesurons pas les conséquences et nous ne savons pas dans quel sens choisir.
C'est dans ce contexte que nous avons cru devoir modifier profondément le texte adopté par l'Assemblée nationale. Nous allons donc avoir un débat difficile et sérieux. J'espère que tout esprit de polémique ou de boutique, encore plus méprisable, sera absent de notre discussion et que nous essaierons, ensemble, de trouver des solutions acceptables qui dépassent les clivages politiques et les conflits idéologiques.
M. François Autain. Cela va être difficile !
M. Jean-Pierre Fourcade, président de la commission des affaires sociales. L'état actuel de notre société ne permet pas, aujourd'hui, à la classe politique de différer sans cesse, en renvoyant à demain et à après-demain, la solution d'un problème fondamental. En 2005, les systèmes de retraite ne fonctionneront plus !
M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat. C'est vrai !
M. Jean-Pierre Fourcade, président de la commission des affaires sociales. En 2015, l'ensemble du système de protection sociale risque d'exploser !
Au lieu de renvoyer sans cesse à plus tard la solution au problème, de s'en remettre à la concertation généralisée, aux états généraux, à la réflexion, il faut avoir le courage de réduire les dépenses. Cela, au moins, nous pouvons le faire ! C'est dans cette voie que la commission des affaires sociales vous demande de vous engager. (Très bien ! et applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR, de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République : 58 minutes ;
Groupe socialiste : 49 minutes ;
Groupe de l'Union centriste : 42 minutes ;
Groupe des Républicains et Indépendants : 35 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen : 25 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen : 22 minutes.
Je vous demanderai, mes chers collègues, de respecter les temps de parole qui vous ont été impartis, afin de ne pas amputer celui des collègues de votre groupe.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à Mme Dusseau.
Mme Joëlle Dusseau. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, ce débat est le deuxième qui nous réunit depuis la loi organique du 22 juillet 1996 décidant que serait annuellement discuté, dans les deux assemblées, le financement de la sécurité sociale. Une semaine après notre discussion sur la politique familiale, c'est donc l'occasion de dresser des constats, d'examiner les propositions gouvernementales, et d'émettre un vote.
Il s'agit d'un débat essentiel : l'avenir de la protection sociale est un problème fondamental de notre société, pour aujourd'hui et pour les années à venir. C'est un débat d'autant plus intéressant que la commission des affaires sociales, sur l'initiative de son président, a élaboré un contre-projet. Cela ne saurait nous étonner puisque c'est la même démarche que la majorité de droite de la commission et du Sénat avait adoptée pour les emplois-jeunes. Je souhaite d'ailleurs rendre hommage à M. Fourcade, président de la commission, pour cette démarche qui démontre une belle constance et qui prouve que, pour lui, la politique est d'abord un combat d'idées et de projets. Je partage entièrement son avis. (Exclamations sur les travées du R.P.R. et des Républicains et Indépendants.) Sur ce point-là du moins ! (Sourires.)
Le projet de loi que nous propose le Gouvernement part de constats, fixe des buts et propose des mesures.
Le premier constat, c'est d'abord la nécessaire réflexion sur la spécificité française.
On parle souvent - M. Oudin y a encore fait allusion tout à l'heure - de l'importance des prélèvements obligatoires en France par rapport à l'Europe. C'est faire peu de cas de l'analyse de ces prélèvements obligatoires. Or la part des cotisations sociales s'élève à environ 42 % en France, contre 29 % en Europe.
En France, c'est vrai, par le biais des cotisations, le travail est surtaxé par rapport aux autres pays.
Le choix du Gouvernement de fiscaliser par le biais de la CSG est donc plus juste, parce qu'il porte sur l'ensemble des revenus, notamment ceux du patrimoine et du capital, hors épargne populaire. Il est également logique puisque de plus en plus de personnes sont exclues du monde du travail. Il est aussi plus conforme à l'esprit européen. Sur ce dernier point, je suis d'ailleurs en relatif désaccord avec M. Fourcade.
En effet, deux systèmes se sont longtemps opposés en matière de protection sociale : le système des cotisations fondées sur le travail, ou système bismarckien, et le système de l'assurance universelle fondée sur l'impôt, tel qu'il a été défini par Beveridge dans les années quarante.
Aujourd'hui, tous les Etats européens ont des systèmes mixtes, fondés sur les cotisations et les impôts, mais avec une part d'impôt largement plus importante que celle des cotisations. L'amplification du recours à la CSG est donc à la fois plus rationnel et plus juste.
La spécificité française réside aussi dans l'augmentation régulière du taux des dépenses de santé par rapport au PIB. Nous étions au septième rang mondial en 1980 et au troisième depuis 1993. D'après les derniers chiffres connus, nous occupons toujours ce troisième rang.
Nous sommes les plus grands consommateurs de médicaments au monde ; nous avons le plus grand nombre de lits d'hôpital par habitant et, pourtant, nous occupons un rang moyen au vu de tous les indicateurs de santé, à une exception près, la longévité féminine. La part des dépenses par rapport au PIB s'accroît chaque année sans que cela se traduise par une amélioration des indicateurs sanitaires par rapport à nos partenaires.
En bref, on consomme plus d'argent, mais avec des résultats plutôt moins satisfaisants que les autres et avec une prise en charge par l'assurance qui est globalement en recul depuis une vingtaine d'années, qu'il s'agisse des soins ambulatoires ou des biens médicaux, même s'il faut se réjouir d'un progrès dans la prise en charge des frais hospitaliers et des transports sanitaires.
Le constat, c'est bien sûr la dégradation financière, lente dans les années quatre-vingt, énorme depuis le début des années quatre-vingt-dix. D'une dette cumulée de 110 milliards de francs en 1993, on est passé à une dette cumulée de 240 milliards de francs au 31 décembre 1995. Il fallait y ajouter celle de 1996, qui s'élevait à 57 milliards de francs et que M. Oudin semblait avoir oubliée puisqu'il s'interrogeait sur l'opportunité de prolonger la CADES.
La prévision initiale d'équilibre pour 1997 s'est transformée, dans la loi de financement de novembre dernier, en une prévision de déficit de 25 milliards de francs. On sait maintenant que celui-ci se situera aux environs de 35 milliards de francs.
Nous sommes donc devant un déficit fort et structurel, qui a pris une grande ampleur durant cette dernière décennie, et ce d'autant que, pour la troisième année consécutive, les trois principales caisses sont en déficit.
Il faut, pour le moment, gérer ce déficit et je ne vois pas d'autre solution que celle qui est proposée, c'est-à-dire la prolongation de la mission de la CADES, et donc du RDS qui l'approvisionne.
Il convient aussi de procéder aux nécessaires réformes de structures - le Gouvernement s'y engage d'une manière forte - et, bien sûr, de garder l'objectif d'une meilleure santé de la population française.
Le Gouvernement propose donc une démarche de plus grande justice financière sur le plan des recettes. C'est l'extension de la CSG avec, en contrepartie, la baisse ou la disparition des cotisations maladie des salariés, ce qui doit conduire globalement à une hausse non négligeable du pouvoir d'achat de ces derniers. Ce point très important n'a pas été suffisamment souligné.
Le Gouvernement propose également un certain nombre de mesures ponctuelles, telles que la remise en place d'une taxe sur le tabac, qui devra impérativement financer la prévention, et une hausse de la CSG sur les recettes des jeux, qui a donné lieu à des débats quelque peu « aléatoires » à l'Assemblée nationale que, j'espère, nous nous épargnerons.
J'approuve ces mesures ainsi qu'une décision un peu à la marge mais qui me paraît intéressante et significative d'un état d'esprit et qui consiste à sortir les médicaments génériques du champ de la taxe payée par les fabricants de médicaments. On sait bien que, en dépit des effets d'annonce peu suivis de conséquences, ces médicaments sont peu développés en France.
Enfin, toujours en ce qui concerne les recettes, je n'aurai garde d'oublier la décision qui faisait l'objet d'un débat ici même voilà huit jours, et tendant à la mise sous conditions de ressources des allocations familiales. C'est un des chevaux de bataille de la majorité sénatoriale et de la commission des affaires sociales.
M. Charles Descours, rapporteur pour les équilibres financiers généraux et l'assurance maladie. Et des associations familiales !
M. Jean-Pierre Fourcade, président de la commission des affaires sociales. Et des partenaires sociaux !
Mme Joëlle Dusseau. MM. Fourcade, Machet et Descours l'ont encore redit ici en proposant de supprimer cette mise sous conditions de ressources et la limitation des avantages de l'AGED. Il s'agit d'un débat de fond intéressant, et il est vrai que la solution n'est pas forcément évidente.
Le Gouvernement propose d'ailleurs avec beaucoup de sagesse que la première mesure soit prise pour un an et qu'après on remette les choses à plat.
M. Adrien Gouteyron. Sagesse qui est venue un peu tard !
Mme Joëlle Dusseau. Il faut dire que le système des prestations familiales en France, qui sont au nombre de 13 au minimum, est complexe et manque de lisibilité.
Mais, au-delà, la question de l'universalité du droit est une véritable question qu'il ne faut pas traiter à la légère. Le précédent gouvernement avait d'ailleurs fait à l'origine un choix inverse, en préférant l'imposition des allocations familiales, décision à laquelle il avait renoncé par la suite. M. Juppé avait bien entendu pris de nombreuses précautions dans la présentation de cette proposition, en soulignant le fait qu'il ne fallait pas pénaliser les familles à revenus faibles.
Pourtant, entre les deux systèmes, il en est un, l'imposition, qui pénalise les foyers modestes et moyens, et l'autre, la mise sous conditions de ressources, qui pénalise les foyers aisés et très aisés. En effet, il est vrai que, même pour les revenus élevés, les prestations familiales non soumises à obligation de ressources représentent un revenu non négligeable.
Une étude de 1995 établie par les services du Premier ministre de l'époque afin de préparer les forums régionaux de la santé montre que, pour une famille avec deux enfants, les prestations familiales augmentent de 30 % à 40 % le revenu disponible pour un salaire net annuel de 40 600 francs. Toujours pour cette même famille, l'augmentation de revenu liée aux allocations familiales est de 15 % pour un salaire net de 101 000 francs, et de 10 % pour un salaire net de 225 000 francs ; elle se maintient au-dessus de 5 % pour des revenus annuels compris entre 350 000 francs et 750 000 francs.
On comprend que la diminution de 5 % de revenus pour un couple dont le revenu salarial annuel est compris entre 350 000 francs et 750 000 francs est toujours désagréable parce que c'est toujours de l'argent en moins. Mais entre cette situation, peu agréable certes pour les gens aisés et très aisés, et la fiscalisation, qui pénalise les foyers modestes et très modestes, on voit bien de quel côté sont la solidarité et la justice sociale, d'autant que cette modulation en fonction des ressources se retrouve dans d'autres pays européens.
M. le président. Veuillez conclure, madame Dusseau.
Mme Joëlle Dusseau. Je ne dirai pas ce que je pense de l'AGED !
M. Jean-Pierre Fourcade, président de la commission des affaires sociales. Dommage !
Mme Joëlle Dusseau. Je soulignerai simplement qu'il me paraît important de prévoir la mise sous conditions de ressources de cette allocation.
Enfin, je ne parlerai pas du lien entre la politique familiale et les allocations familiales. J'indiquerai simplement qu'il est inexact de prétendre qu'il existe un lien étroit entre les aides financières à la famille et le nombre d'enfants. Toutes les études démographiques l'ont bien démontré depuis un certain nombre d'années.
En conclusion, madame la ministre, les sénateurs radicaux socialistes du groupe du RDSE sont favorables à ce projet de loi et espèrent pouvoir le voter dans de bonnes conditions, mardi prochain. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE ainsi que sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à Mme Borvo.
Mme Nicole Borvo. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, M. Descours nous a révélé que rien ne devait changer pour la commission des affaires sociales et, par extension, pour la majorité sénatoriale. Je crois, au contraire, que les choix que nous avons la responsabilité de faire en matière de santé et de protection sociale doivent clairement indiquer une orientation nouvelle.
Chacun a en mémoire l'année 1995. Le plan de réforme conçu par M. Juppé, qui lui a légué son nom, fut le détonateur d'une énorme mobilisation populaire. Ce plan, qualifié de courageux par nombre de médias et applaudi par les pouvoirs économiques, avait un inconvénient de taille : huit Français sur dix, selon une enquête réalisée en novembre 1995, le jugeaient injuste parce qu'il faisait porter une charge excessive sur les plus faibles.
La réaction populaire de décembre 1995 sanctionnait plus de dix ans d'offensive ultralibérale, au cours desquels l'abaissement du coût du travail et la limitation de la protection sociale ont été des objectifs constants.
Les élections de 1997 ont confirmé cette sanction. La majorité des Français veulent plus de justice en matière de santé et de protection sociale. Ils sont très attachés aux principes d'égalité, d'unité et de solidarité nationale selon lesquels tout individu est en droit d'attendre de la collectivité sécurité matérielle et protection de la santé, comme cela figure en tête de la Constitution.
En même temps, les Français jugent sévèrement la politique menée depuis des années en matière de santé et de protection sociale. S'agissant plus particulièrement de la politique hospitalière, selon un sondage réalisé le 8 octobre 1997 et publié dans le Quotidien du médecin, sept personnes sur dix estiment que les pouvoirs publics privilégient la limitation des dépenses de santé au détriment de la santé des malades.
L'appréciation des Français est légitime : notre système de santé s'est détérioré ; les mesures comptables prises depuis 1990 n'ont abouti qu'à rationner les soins, les prestations familiales et les retraites, au détriment des salariés, et n'ont pas apporté de solutions de financement durables. C'est cette situation qu'il faut changer et c'est à cela que le groupe communiste républicain et citoyen veut contribuer.
Les objectifs du Gouvernement, tels qu'ils figurent dans le rapport annexé au projet de loi voté par l'Assemblée nationale, s'inscrivent dans une logique nouvelle.
La volonté affichée d'améliorer la santé, de réduire les inégalités et de rétablir l'équilibre financier reçoivent notre approbation.
Pour optimiser l'efficacité du système de soins, le Gouvernement entend partir des besoins de la population tels qu'ils sont et impliquer impérativement les professionnels et les personnes concernées.
Dans ce sens, nous apprécions l'engagement du Gouvernement d'organiser des états généraux de la santé qui déboucheraient sur des décisions, avant la prochaine loi de financement pour 1999. Cette démarche tournant le dos à la logique autoritaire fait droit à l'appel des principales organisations concernées par la santé, les treize, qui, depuis le printemps dernier, font un gros effort d'élaboration et revendiquent un « Grenelle de la santé ». Nous apprécions aussi que les priorités de la Conférence nationale de la santé soient reprises par le Gouvernement.
Nous sommes évidemment favorables à une meilleure prévention par le dépistage plus systématique de certains cancers, à l'amélioration de la protection sanitaire des jeunes par un renforcement de la médecine scolaire et universitaire que nous voudrions voir déboucher sur une véritable inversion de tendance, monsieur le secrétaire d'Etat, par la lutte contre le saturnisme et le tabagisme.
De même, nombre de problèmes, comme l'importance des infections iatrogènes et nosocomiales, hélas ! révélées chaque jour, doivent être pris à bras-le-corps tout comme la nécessité d'augmenter la prise en charge par la médecine de ville du VIH.
Aussi, si nous approuvons les orientations du Gouvernement et revendiquons nous-mêmes plus d'ambition, nous sommes réservés, comme nos amis l'ont expliqué à l'Assemblée nationale, sur la traduction en termes de financement.
En effet, en hausse mais intégrant l'impératif de réduction du déficit, l'objectif national des dépenses d'assurance maladie a été fixé à 613,8 milliards de francs pour 1998.
L'augmentation de 2,2 %, inférieure à la croissance attendue, nous paraît limiter quelque peu l'ambition affichée, même si, s'agissant de la médecine de ville, elle permettra de desserrer l'étau imposé précédemment.
En ce qui concerne l'hôpital, on constate certes une évolution sensible du taux directeur, puisque l'augmentation est de 2,3 % contre 1,5 % l'an dernier, mais, vous le savez, les décisions antérieures ont entraîné des conséquences graves, que nous subissons aujourd'hui par manque d'investissements pendant des années.
S'il est urgent d'entreprendre des réformes structurelles du système français de soins, celles-ci ne doivent pas se faire au détriment du service public hospitalier, qui a besoin de plus de démocratie et d'oxygène, et non de suppression d'hôpitaux ruraux ou de services prétendument non rentables. Je vous renvoie à l'article 21 du projet de loi tendant à créer un fonds d'accompagnement social pour la modernisation des hôpitaux.
Compte tenu d'un taux directeur moyen, on peut s'inquiéter légitimement, étant donné les disparités régionales, des conséquences pour certains hôpitaux, en particulier de l'Ile-de-France. Je m'inquiète bien évidemment, en ce qui me concerne, des restructurations parisiennes.
En effet, les mesures qui ont été annoncées jusqu'à présent, au titre, certes, du plan Juppé, ne peuvent que nous alarmer, et je crois qu'il est temps de revoir démocratiquement les SROS.
Nous ne pensons pas que les moyens soient illimités, mais nous souhaitons une évaluation démocratique des besoins et une réforme résolue du financement qui, pour l'asseoir durablement, fasse contribuer les revenus financiers.
Aussi le groupe communiste républicain et citoyen ne s'inscrit-il évidemment pas, bien au contraire, dans le contre-projet de la majorité sénatoriale. Celle-ci, au mépris du suffrage universel, préconise les mêmes recettes que celles qui ont échoué depuis des années.
Mesdames, messieurs de la majorité sénatoriale, le bilan de votre politique de protection sociale est désastreux au niveau tant de l'état de santé de la population (Protestations sur les travées du RPR et de l'Union centriste.), qui s'est dégradé, que du financement même de celle-ci.
M. Claude Huriet. Il ne faut pas exagérer !
Mme Nicole Borvo. Or vous persévérez. Ainsi, l'objectif national de dépenses d'assurance maladie est réduit, au détriment de l'hôpital public, ce qui laisserait entendre encore plus de fermetures de lits et d'hôpitaux, de dysfonctionnements et de suppressions d'emplois.
Dans le même esprit, la commission préconise des économies de gestion dans les dépenses de fonctionnement des caisses de sécurité sociale, ce qui signifie, là aussi, en clair, suppressions d'emplois et remise en cause des services rendus aux assurés.
En revanche, et cela n'étonnera personne, la droite fait silence sur la question de la contribution des entreprises et des revenus financiers au financement de la protection sociale.
M. Robert Pagès. Très bien !
Mme Nicole Borvo. Pas question pour vous d'envisager une taxation des revenus financiers spéculatifs ! Pas question d'envisager une modulation ou une modification de l'assiette des cotisations sociales ! Pas question de faire en sorte que les contraintes de financement pesant sur les salaires soient allégées en mettant à contribution spéculation immobilière, placements financiers, immobilisations des grands groupes ou des ménages les plus fortunés.
Donc, si notre groupe formule des réserves à l'égard du projet de financement gouvernemental, elles n'ont ni les mêmes fondements ni les mêmes finalités que la majorité sénatoriale.
Comme vous le savez, madame la ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, nous sommes hostiles à la mise sous conditions de ressources des allocations familiales. Nous notons néanmoins comme positif le caractère provisoire de cette mesure, à la suite du vote à l'Assemblée nationale de l'amendement de mon amie Muguette Jacquaint. Nous souhaitons qu'il soit explicitement prévu qu'elle ne s'appliquera qu'en 1998.
Il en est de même de l'engagement pris par le Gouvernement d'étudier avec attention, au titre des chantiers pour 1998, l'attribution d'allocations familiales dès le premier enfant. J'ai eu l'occasion de donner mon point de vue lors du débat sur la politique familiale ici même et vous avez, madame la ministre, donné des assurances à cet égard.
Conscients de la nécessaire « remise à plat » de la politique familiale dans sa globalité, nous sommes néanmoins opposés à la fiscalisation de la branche. Nous y serons vigilants et nous veillerons aussi à la protection des minima sociaux.
De plus, nous comptons sur le Gouvernement pour respecter les garanties données lors du débat à l'Assemblée nationale pour qu'en aucun cas cette mise sous condition de ressources n'ouvre la voie à un dispositif identique pour l'assurance maladie.
Enfin, permettez-moi de préciser qu'en 1991, lorsque l'application de 1,1 % de CSG à la branche famille a été décidée, cette branche était excédentaire et que, corrélativement, cette opération a eu pour conséquence un allégement des cotisations patronales.
Aujourd'hui, à l'inverse, rien n'est prévu dans le projet de loi qui nous est soumis sur la participation patronale pour réduire le déficit de la branche famille. Pourquoi ne pas aller dans ce sens dans l'immédiat ?
Nous sommes sensibles à la volonté affirmée par le Gouvernement de progresser vers plus de justice sociale et de faire contribuer certains revenus financiers, ce que vous faites en élargissant l'assiette de la CSG. Néanmoins, le choix du basculement permanent et définitif du financement des cotisations sociales vers la CSG et de la reconduction pour cinq ans du remboursement de la dette sociale ne peut nous convenir.
Il conduit à une fiscalisation de la sécurité sociale, ce qui signifie sa soumission aux aléas budgétaires annuels globaux, tandis que l'on dégage les employeurs de leurs responsabilités. Les deux combinés ouvrent le risque d'une protection sociale minimale, complétée par la protection sociale privée chère à M. Bébéar.
De plus, avec la CSG proposée par le Gouvernement, les revenus financiers des entreprises, banques et assurances, qui pèsent pourtant énormément sur la croissance et l'emploi, ne sont pas touchés.
J'ajoute que je ne suis pas persuadée, d'une part, que cet impôt soit en mesure de pérenniser le financement de la sécurité sociale et, d'autre part, que l'opération se solde, pour les salariés, par un gain significatif de pouvoir d'achat.
Par exemple, l'assiette de la CSG étant beaucoup plus large que celle des cotisations maladie, des problèmes vont se poser, tant pour les fonctionnaires que pour les salariés du privé.
Mon collègue Guy Fischer évoquera ultérieurement le problème des retraites et les inquiétudes légitimes qu'il suscite.
Notre choix est celui de l'instauration d'une cotisation additionnelle assise sur les revenus financiers des entreprises, dès cette année. Cette mesure profiterait à l'emploi.
C'est dans cet esprit que nous proposons de moduler les cotisations sociales patronales en fonction de la politique d'emploi de l'entreprise, et donc des mesures particulières pour les PME-PMI.
C'est en taxant la spéculation, qui détourne aujourd'hui l'argent de l'emploi et de l'intérêt général, que notre protection sociale trouvera d'autres bases de financement, des recettes durables.
De ce point de vue, nous apprécions, bien entendu, l'engagement du Gouvernement de travailler à une modification de l'assiette des cotisations patronales en fonction de la valeur ajoutée et de la masse salariale. Le rapport de M. Chadelas, qui propose la modulation de la cotisation selon un ratio masse salariale - valeur ajoutée, est intéressant de ce point de vue.
Tout au long du débat, nous allons nous efforcer d'éviter aux Français le plan Juppé bis que nous propose la majorité sénatoriale et de faire des propositions constructives pour favoriser l'émergence d'une nouvelle logique de financement pour la protection sociale. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen. - M. François Autain applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Gruillot.
M. Georges Gruillot. Monsieur le président, madame le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le projet de loi de financement de la sécurité sociale que nous examinons aujourd'hui est la deuxième application pratique de la réforme constitutionnelle du 22 février 1996.
Je rends hommage à la détermination avec laquelle le gouvernement précédent a initié et conduit cette réforme indispensable au maintien et à l'efficacité de notre système de protection sociale. Chacun de nous, aujourd'hui, en reconnaît le bien-fondé.
Avant d'aborder plus directement le problème du financement des retraites, laissant à mes collègues le soin de détailler les autres aspects de ce texte, j'appelle votre attention, madame le ministre, sur les conditions de tarification des accidents du travail et des maladies professionnelles.
Si les dispositions de l'article 9, telles qu'issues du débat à l'Assemblée nationale, devaient être adoptées en l'état, cela reviendrait à supprimer toute autonomie aux partenaires sociaux dans la gestion de cette branche spécifique.
En effet, imposer à la commission des accidents du travail le respect de l'équilibre financier déterminé par ce texte permettrait au Gouvernement de faire entériner au Parlement les excédents qu'il souhaite dégager chaque année au moyen du taux de cotisation d'accidents du travail et de maladies professionnelles.
Ces cotisations ont engendré, depuis 1983, un excédent cumulé de près de 30 milliards de francs, qui a servi à combler d'autres déficits sociaux.
M. Charles Descours, rapporteur pour les équilibres financiers généraux et l'assurance maladie. Oui !
M. Georges Gruillot. De telles dispositions vont à l'encontre de la politique de prévention des risques et d'amélioration des conditions de travail que conduisent les chefs d'entreprise.
Par ailleurs, elles aggravent considérablement leurs charges, ce qui, sur un plan strictement économique, me paraît proprement inopportun.
Si j'ai pris le soin d'ouvrir mon propos sur cet exemple, c'est parce qu'il me paraît révélateur de la manière dont est abordé le problème général du financement social, à la faveur de mesures comptables qui semblent ignorer la réalité économique - des entreprises comme des particuliers - et ses contraintes.
Au sujet des retraités, madame le ministre, vous proclamez qu'ils ne perdront pas de pouvoir d'achat avec la mise en oeuvre de vos nouvelles dispositions. La vérité me semble tout autre. En effet, si, pour les seules retraites de base, la diminution de 2,8 points des cotisations maladie équilibre l'augmentation de 2,8 points de la CSG, il n'en va pas de même pour les retraites complémentaires, qui supporteront à la fois la CSG et un point supplémentaire de cotisation maladie.
De même, les bonifications de retraite pour charges de famille seront taxées, alors qu'elles n'entrent pas dans l'assiette des cotisations maladie.
M. Charles Descours, rapporteur pour les équilibres financiers généraux et l'assurance maladie. C'est très vrai !
M. Georges Gruillot. Si nous ajoutons à cela la surtaxation de l'épargne et la suppression de la demi-part supplémentaire attribuée aux personnes seules ayant charge de famille, alors, force est de constater que le pouvoir d'achat des retraités est dangereusement menacé, contrairement à vos affirmations.
Le caractère ponctuel et l'impact limité de ces mesures sur les comptes des régimes d'assurance vieillesse est d'autant plus grave qu'un certain nombre de dossiers importants ne sont pas traités, tels que les problèmes des veuves ou des handicapés vieillissants.
En effet, madame le ministre, après avoir rappelé que la situation de la branche vieillesse restera déséquilibrée pour les années à venir, le rapport du Gouvernement indique seulement que « cette situation appelle une réflexion approfondie sur l'évolution des prestations et des ressources des systèmes de retraites, que le Gouvernement entend conduire en prenant en compte l'évolution des conditions de vieillissement, de la durée et du mode de vie ». On conviendra du caractère extrêment vague des informations données au Parlement par le Gouvernement !
Or la dégradation rapide des comptes des régimes d'assurance vieillesse, qui devrait intervenir après 2005, nous impose de réfléchir à des mesures correctives qui seraient d'autant mieux acceptées qu'elles seraient étalées dans le temps.
Dans votre rapport, vous affirmez également votre attachement au mécanisme de retraite par répartition. Nous sommes également très favorables à ce principe, institué par le général de Gaulle en 1945 et qui consacre la notion de solidarité nationale, mais nous aimerions connaître vos intentions sur l'éventuelle abrogation ou modification de la loi du 25 mars 1997, qui a créé les plans d'épargne retraite.
D'autre part, madame le ministre, comment comptez-vous aborder et traiter le problème du financement de la Caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales ? Cette caisse est incluse dans la liste des régimes de sécurité sociales autorisés à recourir à l'emprunt pour couvrir leurs besoins de trésorerie, dans la limite de 2,5 milliards de francs. Or, s'agissant de cette mesure, le président du conseil d'administration de la caisse a condamné publiquement, le 29 octobre dernier, la nécessité de recourir à l'emprunt pour couvrir les besoins de trésorerie du régime et il vous demandait de le recevoir accompagné d'une délégation.
Il est dommage qu'en lieu et place de la concertation et du dialogue préalables un président de caisse de retraite soit obligé, en pleine discussion de votre projet de loi à l'Assemblée nationale, de vous demander une audience pour débattre d'une telle mesure !
Dans un passé récent, vous le savez, la CNRACL a dû faire face à des besoins de trésorerie importants à cause du décalage dans le temps pour financer des acomptes de compensation et de surcompensation.
L'année dernière, le gouvernement d'Alain Juppé avait pris l'engagement de mettre en oeuvre une réforme du financement de cette caisse de retraite pour en assurer la stabilité.
Un artifice comptable ponctuel ne donnant aucune assurance quant à la pérennité du financement de la CNRACL ne peut remplacer cette réflexion de fond. Une nouvelle augmentation de la cotisation employeur est, bien sûr, inacceptable. Aussi, je vous suis reconnaissant de bien vouloir, madame le ministre, nous préciser vos intentions à ce sujet.
Dans le même ordre d'idées, je regrette que ce projet de loi porte un coup sévère aux retraités employés et clercs de notaire. Je sais que vous avez été saisie récemment d'une lettre évoquant ce sujet par Mme Guigou, garde des sceaux, qui s'émeut également de ce problème.
Vous proposez de nouvelles règles de calcul pour la compensation bilatérale entre le régime général et celui des clercs et employés de notaires. Ces règles aboutissent à accroître la charge de ce régime spécial de 210 millions de francs par an.
Ce prélèvement intervient au moment même où les partenaires sociaux du notariat entamaient des discussions sur l'avenir de leur régime. Leurs efforts risquent donc d'être récompensés soit par la disparition du régime ou son absorption, soit par de nouvelles augmentations de charges.
Cette mesure, à nouveau purement comptable, ne peut que compromettre gravement l'existence d'un système auquel l'Etat n'a que peu contribué et accorde à cette caisse le « triste privilège » de subventionner le plus le régime général en étant à peu près le plus petit régime soumis à compensation.
En cédant à cette logique financière, ce projet de loi aggrave les charges qui pèsent sur nos concitoyens. Cette année, alors que les rentrées fiscales s'améliorent, vous suivez une logique de ponctionnement des revenus de l'épargne populaire qui comporte, à mon sens, deux risques majeurs.
Le premier concerne la délocalisation des patrimoines hors de France. La libéralisation du marché des capitaux permet aujourd'hui de transférer très facilement ses économies d'une banque française à une banque luxembourgeoise ou allemande.
M. Guy Fischer. Pas n'importe qui !
M. Georges Gruillot. M. André Babeau, directeur du centre de recherche de l'épargne, a d'ailleurs fait part de telles inquiétudes dans sa lettre du mois d'octobre.
Le second risque, tout aussi important, concerne notre économie nationale. Il est parfaitement résumé par un éditorialiste d'un grand quotidien du matin, qui déclarait récemment : « En assimilant l'épargne au capital, et le capital au mal, l'Etat prend le risque de détourner les Français de ce qui est pourtant aussi l'un des moteurs de la croissance : l'investissement. » Je pourrais reprendre totalement à mon compte cette analyse, tant le fait d'épargner consiste, pour des millions de Français, non pas à faire diminuer les sommes sur leur feuille d'impôts, mais à se prémunir contre les aléas de l'existence.
Madame le ministre, ces questions m'amènent à un constat amer. Ce projet de loi de financement manque de souffle et d'ambition. Convaincus de la nécessité d'assainir les comptes sociaux et conscients de l'effort que cela suppose, nous regrettons que ces dispositions, dénuées de perspectives d'avenir et, plus grave, de générosité, ne permettent ni d'apprécier l'exacte expression d'une réelle solidarité nationale ni d'évaluer sur le long terme les gages de redressement et de pérennité de la sécurité sociale. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.
(La séance, suspendue à dix-neuf heures trente, est reprise à vingt et une heures trente.)