M. le président. Par amendement n° 25 rectifié ter , M. Jean Chérioux propose d'insérer, après l'article 1er quinquies, un article additionnel ainsi rédigé :
« Il est inséré, après l'article L. 122-1-2 du code du travail, un article additionnel ainsi rédigé :
« Art. L. .... - Dans les entreprises de moins de onze salariés dont l'activité s'accroît, des contrats de travail peuvent être conclus pour une durée de soixante mois. Ces contrats peuvent être rompus à l'expiration de chacune des périodes annuelles de leur exécution, à l'initiative du salarié moyennant le respect d'un préavis de deux semaines, ou de l'employeur s'il justifie d'une cause réelle et sérieuse.
« Dans ce dernier cas, l'employeur doit notifier cette rupture par lettre recommandée avec demande d'avis de réception. Cette lettre ne peut être expédiée au salarié moins d'un jour franc après la date fixée pour l'entretien préalable prévu à l'article L. 122-14. La date de présentation de la lettre recommandée fixe le point de départ du délai-congé prévu par l'article L. 122-6.
« L'article L. 122-3-4 est applicable à l'issue du contrat ou, le cas échéant, lors de la rupture anticipée à l'expiration d'une période annuelle. Le montant de l'indemnité ne peut cependant excéder le montant du salaire perçu par le salarié au cours des dix-huit derniers mois d'exécution de son contrat de travail.
« La rupture du contrat par l'employeur en méconnaissance des dispositions ci-dessus ouvre droit, pour le salarié, à des dommages et intérêts correspondant au préjudice subi.
« S'il se poursuit après l'échéance de son terme, le contrat devient un contrat à durée indéterminée. »
La parole est à M. Chérioux.
M. Jean Chérioux. J'ai déjà évoqué l'objet de cet amendement lors de la discussion générale. Il s'agit, je le rappelle, d'introduire dans le code du travail une disposition conférant une certaine pérennité à l'utilisation d'un CDD telle qu'elle a été prévue dans le texte initial du Gouvernement.
Madame la ministre, je vous l'ai dit, l'occasion était trop belle pour moi, et il me fallait saisir la balle au bond !
En effet, constatant votre intérêt pour cette formule du CDD - un intérêt que ne partagent pas toujours vos amis - j'ai pensé qu'il fallait profiter de ces bonnes dispositions que vous manifestez pour introduire cette mesure dans le code du travail. Vous m'avez fait remarquer que, au fond, ce n'était pas tellement avantageux dans la mesure où, avec l'indemnité de précarité, cela risquait de coûter plus cher qu'une interruption de contrat à durée indéterminée.
Essentiellement, ce que je propose permettra à une petite entreprise - mon amendement vise désormais les PME de moins de onze salariés - qui perçoit tout à coup la possibilité d'un développement important de son activité d'embaucher, sans craindre que des difficultés ne se dressent au cas où, après un certain temps, elle ne pourrait conserver le salarié ainsi embauché.
Dans un tel cas, c'est vrai, une indemnité de précarité devra être versée ; mais au moins, dès le début, l'employeur sait à quoi il s'engage : c'est en connaissance de cause qu'il peut décider, pour développer son activité, d'embaucher un salarié.
Tel est le sens de mon amendement.
J'ajoute que c'est vous-même, madame la ministre, qui m'avez suggéré une dernière rectification, ce dont je vous remercie.
En effet, à l'évidence, vous considérez que, dans le cadre de ce texte, on peut limiter l'indemnité de précarité à dix-huit mois. J'ai donc, pour ainsi dire, suivi votre conseil et je propose que ce contrat à durée déterminée de cinq ans soit assujetti d'une indemnité de précarité qui ne soit que de dix-huit mois.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Louis Souvet, rapporteur. Selon la commission, les activités nouvelles sont toujours très fragiles et beaucoup de chefs d'entreprise hésitent à embaucher par crainte de voir échouer l'activité qu'ils aimeraient lancer, ce qui se traduirait par une charge insupportable liée aux salariés ainsi embauchés.
Dans ces conditions, cet amendement apporte une solution qui devrait être favorable à l'emploi. C'est la raison pour laquelle la commission a émis un avis favorable.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Je ne voudrais pas donner l'impression de soutenir plus les chefs d'entreprise que les sénateurs, mais, très franchement, je ne connais pas aujourd'hui une petite entreprise qui souhaiterait embaucher un salarié sur cinq ans. Comment peut-elle savoir ce qui va se passer dans cinq ans ?
Outre l'indemnité de précarité d'emploi, qui est prévue uniquement pour financer des contrats courts, il existe aussi une indemnité de rupture. Cela signifie que, si la PME doit rompre le contrat au bout de deux ans, de par le code du travail, elle devrait payer les trois ans restants !
Jamais les PME n'ont exprimé une telle revendication, la formule du contrat à durée indéterminée paraissant beaucoup plus souple qu'un contrat à durée déterminée de cinq ans.
Le contrat de cinq ans est intéressant dans le cadre de ce texte essentiellement parce qu'il est le corollaire d'une aide particulièrement importante de l'Etat. Dès lors, je ne vois aucunement l'intérêt d'étendre ce contrat à des entreprises qui n'en ont pas besoin.
Au demeurant, je le répète, aucune revendication de cette nature n'a jamais été formulée. Aujourd'hui, ce que souhaitent les petites et moyennes entreprises, c'est pouvoir offrir des contrats à durée déterminée et les renouveler, mais sur de courtes durées ; ce n'est pas mettre en place des CDD de cinq ans. Là encore, je crois que ma connaissance de l'entreprise et des logiques qui l'animent me permet de vous faire cette réponse.
M. le président. Monsieur Chérioux, maintenez-vous votre amendement ?
M. Jean Chérioux. Madame la ministre, permettez-moi de vous dire que je ne prends pas nécessairement en compte les demandes de tel ou tel. Ce que je constate, c'est la réalité. Et la réalité, quelle est-elle ? De très petites entreprises...
M. le président. Mon cher collègue, je suis obligé de vous demander si vous retirez ou non votre amendement. Si vous le maintenez, je dois appliquer la procédure prévu par le règlement.
M. Jean Chérioux. Je le maintiens, monsieur le président.
M. le président. Je vais donc mettre aux voix l'amendement n° 25 rectifié ter .
M. Guy Fischer. Je demande la parole contre l'amendement.
M. le président. La parole est à M. Fischer.
M. Guy Fischer. J'affirme ici l'opposition absolue de mon groupe à l'amendement présenté par M. Chérioux et les membres du groupe du RPR, car il témoigne tout simplement d'une volonté de mettre à bas, une fois de plus, le code du travail.
Mme la ministre a déjà apporté un certain nombre d'arguments qui montrent la nécessité de rejeter la proposition de M. Chérioux.
Notre collègue propose de créer, pour les entreprises de moins de onze salariés - auparavant, son amendement visait les entreprises de moins de cinquante salariés - un nouveau contrat de cinq ans, grâce auquel l'employeur pourrait licencier le salarié à la fin de chaque période d'un an pour motif réel et sérieux. Il s'agit en quelque sorte d'un « sous-CDD ».
Il y a là un débat latent ; j'y ai fait allusion à plusieurs reprise. On le sait bien quand on suit attentivement l'évolution de l'état d'esprit du patronat, notamment de l'UIMM, qui est toujours un poisson pilotte en matière de déréglementation et de démantèlement du code du travail.
M. Henri de Raincourt. Oh !
M. Guy Fischer. Lisez donc leurs récentes déclarations. Vous ne pouvez pas dire que je mens !
M. Henri de Raincourt. Nous ne nous le permettrions pas !
M. Guy Fischer. Je suis très attentivement, comme vous, tout ce qui concerne l'évolution de la législation du travail.
Il s'agit, en fait, d'une nouvelle mouture, peut-être mal formulée, du « contrat d'activité » cher à l'UIMM, destiné - ce n'est un secret pour personne - à en finir avec les CDD, jugés, malgré leur caractère précaire, encore trop protecteurs pour le salarié. On ne cherche rien d'autre qu'à atteindre une flexibilité « à la Thatcher ».
Avec cet amendement, vous proclamez que c'en est fini du CDI comme norme d'embauche et qu'on est débarrassé des garanties attachées au CDD.
Bien sûr, vous allez me répondre qu'on en n'est pas encore là, mais il s'agit bien de lancer le débat sur la suppression à court ou moyen terme de la législation relative aux CDD et aux CDI.
M. Gérard Delfau. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Delfau.
M. Gérard Delfau. L'avis favorable émis par la commission sur l'amendement de notre collègue M. Chérioux fait prendre un tournant à notre discussion.
Jusqu'à présent, nous vivions dans la fiction selon laquelle la majorité sénatoriale voulait amender le texte, en élargir la portée, mais en en respectant la nature.
Il s'agissait bien de fiction puisque, déjà, l'examen de certains amemdements nous avait permis de constater quelques accrocs dans cette ligne de conduite.
Avec cet amendement, on change la nature du projet de loi. D'ailleurs, le président de la commission lui-même a parlé de changement de philosophie.
Dès lors, chers collègues de la majorité, vous ne serez pas étonnés que le groupe socialiste ne vous suive pas. Nous sommes fidèles au projet de loi. Nous sommes hostiles à tout affaiblissement du code du travail. Nous récusons les « sous-CDD » qu'évoquait à l'instant fort justement M. Fischer.
Nous estimons que ce projet de loi préserve la logique du travail dans le secteur privé. Nous ne voudrions surtout pas qu'il vous donne l'occasion d'y porter atteinte.
Voilà pourquoi nous sommes résolument hostiles à l'amendement n° 25 rectifié ter .
M. Jean Chérioux. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Chérioux.
M. Jean Chérioux. Je constate que les arguments de M. Fischer contredisent ceux de Mme la ministre.
En effet, évoquant un syndicat professionnel, M. Fischer a prétendu tout à l'heure que l'on faisait un cadeau aux grosses entreprises. Or Mme la ministre, qui a dirigé une grande entreprise, a affirmé que, de toute façon, la mesure proposée ne présentait aucun intérêt.
Mais en vérité, le dispositif concerne non pas les grandes entreprises, comme j'ai eu l'occasion de le dire, mais uniquement les petites, où les problèmes sont différents.
En effet, un élément psychologique joue dans la gestion de celles-ci : ainsi, lorsqu'une petite entreprise comptant sept, huit ou neuf salariés a la possibilité d'obtenir un marché important qui occupera assez longtemps son plan de charge, elle hésitera à l'accepter, parce qu'elle sera dans l'obligation d'embaucher. Notre objectif est donc de lui donner la possibilité de développer son activité.
A ce propos, M. Fischer lit presque dans ma pensée, puisqu'il a utilisé un mot que je n'avais pas employé, mais que je reprends maintenant, celui de « flexibilité ».
En effet, ce qui gêne beaucoup actuellement le fonctionnement de nos entreprises, c'est la rigidité du code du travail. La suggestion involontaire de Mme la ministre pourrait nous permettre de lui donner un peu plus de flexibilité.
M. Jean-Pierre Fourcade, président de la commission. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Jean-Pierre Fourcade. président de la commission. J'ai entendu avec intérêt les observations de M. Delfau, et j'ai compris où se trouvait la ligne de clivage entre nous.
Pour notre part, nous essayons de lutter contre le chômage... (Exclamations sur les travées socialistes, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Gérard Delfau. Nous aussi !
M. Jean-Pierre Fourcade, président de la commission. ... et de créer le maximum d'emplois.
Vous (L'orateur se tourne vers la gauche de l'hémicycle.), Mme Dusseau au premier rang, vous jugez intangible le code du travail dans sa rédaction actuelle. Le résultat, c'est que notre taux de chômage dépasse celui de tous nos voisins européens, à l'exception peut-être de la Grèce, et tandis que les autres pays, dès qu'ils connaissent une reprise économique, voient leur taux de chômage baisser, nous continuons à enregistrer une hausse du nôtre.
Néanmoins, il n'est pas question de toucher à ce monument qu'est le code du travail !
M. Gérard Delfau. On y a touché sans cesse !
M. Jean-Pierre Fourcade, président de la commission. Que constatons-nous, monsieur Delfau ?
Dans le département que j'ai l'honneur de représenter ici, un certain nombre de communes, avec l'aide du département et de la chambre de commerce, ont engagé une prospection systématique auprès de toutes les entreprises de moins de dix salariés, qui sont précisément visées par M. Chérioux dans son amendement n° 25 rectifié ter.
Depuis huit mois que nous avons entamé cette démarche, nous avons découvert, dans l'ensemble du département, plus de 3 000 emplois, dont les deux tiers à durée indéterminée.
Pour parvenir à ce résultat, nous avons transformé des RMistes en « faciliteurs », et nous sommes allés voir les chefs d'entreprise chez eux. En effet, ils ne sont pas pleinement informés, ils ne lisent pas in extenso le code du travail et ils ne connaissent pas toutes les technologies et toutes les aides à l'emploi. Ce travail d'information a permis, je le répète, de découvrir un gisement de 3 000 emplois dans notre département.
Monsieur Delfau, le fait qu'une telle initiative de terrain, dont je vous adresserai le compte rendu si vous le souhaitez, amène de tels résultats par la prospection auprès des très petites entreprises de moins de dix salariés, interdit, à mon avis, que l'on reproche à l'amendement défendu par M. Chérioux de dénaturer le code du travail.
Nous sommes des législateurs, et nous avons le droit et l'obligation de modifier le code du travail, quand c'est possible, en vue d'améliorer les conditions d'embauche dans ce pays.
Notre objectif est de lutter contre le chômage.
Certes, j'admets que le texte proposé par M. Chérioux aurait été dangereux s'il avait concerné les grandes entreprises, qui bénéficient des services de cabinets juridiques et de conseils ; mais il n'en va pas de même dans le cas des petites entreprises. C'est d'ailleurs intentionnellement que, avant d'émettre un avis favorable, nous avons demandé à M. Chérioux de rectifier son amendement.
En conclusion, nous estimons que les très petites entreprises recèlent un gisement d'emplois considérable et que nous aurions tout à fait tort de ne pas leur donner les moyens de recruter des salariés, jeunes ou pas.
Nous nous écartons quelque peu du texte, j'en conviens, mais réaffirmer cette volonté me paraît plus essentiel que lutter pour la sauvegarde de ce mythe qu'est le code du travail. (Très bien ! et applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste. - M. Jacques Bimbenet applaudit également.)
Mme Joëlle Dusseau. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à Mme Dusseau.
Mme Joëlle Dusseau. Si ma mémoire ne me trahit pas, le code du travail a quand même été quelque peu mis à mal depuis quelques années, notamment depuis 1993. Le résultat en matière de création d'emplois n'autorise guère à pavoiser, mes chers collègues.
M. Gérard Delfau. Très bien !
Mme Joëlle Dusseau. Par ailleurs, je trouve l'exemple cité par M. Fourcade tout à fait intéressant : il n'a été question ni de réglementation, ni de loi, mais d'attitude, et je m'en félicite.
J'estime que le problème de la création d'emplois dans notre pays n'est effectivement pas lié à l'existence de lois, de codes ou de règlements qui seraient trop contraignants, encore que je reconnaisse qu'il conviendrait de faciliter certaines choses. Il s'agit essentiellement, à mes yeux, d'un problème d'attitude et d'explication.
M. Fourcade n'a avancé, dans son propos, aucun argument qui aille dans le sens de sa démonstration.
Il a indiqué qu'il s'agissait d'aller voir les chefs d'entreprise et de leur présenter le dispositif, sans introduire de disposition complémentaire.
Ainsi, il a très nettement prouvé que la création d'emplois relève du volontarisme. Cela constitue au moins un point d'accord avec Mme Aubry. (Protestations sur les travées des Républicains et Indépendants et du RPR.)
M. Guy Fischer. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Fischer.
M. Guy Fischer. Je ne vais pas me livrer à de nouveaux développements, mais je voudrais souligner que le monument d'immobilisme que représenterait, selon certains, le code du travail, a été, ne serait-ce qu'au cours de ces cinq dernières années, largement démantelé.
En effet, la déréglementation dans ce domaine a été rapide. Rappelez-vous les textes que nous avons votés ici, notamment à propos des accords salariaux. Ils ont permis, en particulier dans les petites entreprises où il n'y avait pas d'organisation représentative du personnel, de contourner le code du travail et de signer des accords dérogatoires, notamment lorsqu'il y avait un correspondant salarié.
Si l'on approfondissait ce point, on s'apercevrait que, contrairement aux apparences, le code du travail français évolue rapidement vers la déréglementation.
M. Jean Chérioux. Et vous le regrettez ?
M. Guy Fischer. Nous demandons que le Sénat se prononce par scrutin public sur l'amendement n° 25 rectifié ter de M. Chérioux.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 25 rectifié ter, accepté par la commission et repoussé par le Gouvernement.
Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe communiste républicain et citoyen.
Il va être procédé au scrutin dansles conditions réglementaires.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?...
Le scrutin est clos.
(Il est procédé au comptage des votes.)
M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 1 : :
Nombre de votants | 318 |
Nombre de suffrages exprimés | 318 |
Majorité absolue des suffrages | 160 |
Pour l'adoption | 223 |
Contre | 95 |
En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l'article 1er quinquies.
Article 1er sexies