M. le président. Par amendement n° 266 rectifié bis , MM. Charasse et Dreyfus-Schmidt proposent d'insérer, avant l'article 109, un article additionnel ainsi rédigé :
« L'article 40 du code de procédure pénale est complété in fine par un alinéa ainsi rédigé :
« Hormis pour la prévention, la recherche et la répression des mauvais traitements, sévices ou privations infligés à des mineurs, des infractions portant gravement atteinte à la santé ou à la sécurité des personnes, de celles entrant dans le champ d'application des articles 706-16 et 706-26 et de celles concernant la sûreté intérieure ou extérieure de l'Etat, il ne peut être, à peine de nullité des actes, effectué aucune vérification ni réservé aucune suite aux dénonciations adressées anonymement, par quelque moyen que ce soit, aux autorités administratives ou judiciaires. »
La parole est à M. Charasse.
M. Michel Charasse. Il s'agit, par cet amendement, de compléter l'article 40 du code de procédure pénale, qu'on appelle familièrement « les dénonciations », pour interdire désormais aux autorités judiciaires comme aux autorités administratives de donner suite aux dénonciations effectuées anonymement par quelque moyen que ce soit.
La pratique de ce que l'on appelle les lettres anonymes ou, de façon plus familière, « le corbeau » n'est pas nouvelle. Mais, en temps de crise, quand les valeurs morales et républicaines ont tendance à s'amollir, on constate une recrudescence de cette pratique.
J'en ai d'ailleurs été moi-même - il y a quelques ministères privilégiés pour cela - le témoin lorsque j'étais au ministère du budget. Je sais qu'il en va de même dans certains ministères sensibles : au ministère de l'intérieur, on reçoit beaucoup de lettres anonymes ; au ministère de la justice, je suppose qu'on en reçoit quelques-unes aussi.
Il me paraît difficile, en République, d'accepter que les fonctionnaires et les juges consacrent de plus en plus de temps à dépouiller le courrier anonyme pour chercher quelles suites y donner.
C'est la raison pour laquelle je propose de compléter l'article 40 du code de procédure pénale en posant le principe que, à peine de nullité, il ne peut être donné suite à une dénonciation effectuée anonymement.
Mais nous savons bien qu'en droit français les principes comportent quelquefois des exceptions. Il m'a donc paru utile de prévoir que la non-utilisation des dénonciations anonymes ne s'appliquerait pas à la prévention et à la répression des mauvais traitements à enfants ou à personnes âgées, à tout ce qui entre dans le champ du trafic de drogue, du grand banditisme, du terrorisme et de la sûreté intérieure ou extérieure de l'Etat. Hormis ces exceptions, je propose que, désormais, la loi interdise l'utilisation des dénonciations anonymes.
Cet amendement n° 266 rectifié bis est accompagné d'un second amendement qui sera examiné un peu plus tard. J'indique d'ores et déjà que ce second amendement vise à compléter le code pénal pour sanctionner l'utilisation irrégulière des dénonciations anonymes, étant entendu que les actes qui seraient fondés sur ces dénonciations seraient frappés de nullité et que les personnes concernées pourraient toujours invoquer la nullité si elles avaient le sentiment qu'un certain nombre d'investigations judiciaires ou administratives ont été effectuées à la suite de dénonciations anonymes.
Tel est, monsieur le président, exposé de la façon la plus simple et la plus rapide, l'objet de cet amendement n° 266 rectifié bis. Je précise tout de suite que la rectification a consisté à ajouter la liste des exceptions que je viens d'énoncer.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Jean-Marie Girault, rapporteur. Nous nous trouvons là à une sorte de tournant dans une discussion qui, jusqu'à présent, portait apparemment sur la réforme de la procédure criminelle, et qui est en train de déborder - je l'ai d'ailleurs dit cet après-midi, mais je n'ai pas été entendu - sur d'autres thèmes dont je ne suis pas le rapporteur.
Je souhaite dire à notre collègue M. Charasse que je comprends tout à fait l'esprit qui sous-tend cet amendement ainsi que d'autres qui nous seront soumis dans quelques instants. Ces dispositions méritent un examen rapide du Parlement, mais dans un autre cadre, et leur rédaction devrait probablement être beaucoup plus affinée et plus réfléchie.
Ce qui est aujourd'hui proposé au Sénat, au travers de cet amendement n° 266 rectifié bis et de quelques autres que nous examinerons ultérieurement, c'est, à la sauvette - j'emploie à dessein cette expression parce qu'elle me paraît juste - et en réaction à des situations précises - j'ai entendu parler tout à l'heure de « corbeau »; bien sûr, nous y pensons tous - de régler immédiatement, dans un projet de loi qui a un tout autre objet, un certain nombre de problèmes. Il ne s'agit pas là d'une contestation sur le fond même des intentions qui animent les auteurs des amendements en cause. Il convient cependant de ne pas nous laisser entraîner, au travers de ces amendements, dans des voies que je juge inacceptables s'agissant d'une discussion qui concerne la réforme de la procédure criminelle.
En tant que rapporteur - peut-être notre collègue M. Fauchon, qui supplée ce soir notre ami Jacques Larché, interviendra-t-il également sur ce point - je souhaite attirer l'attention du Sénat sur cette dérive qui accompagne le débat.
D'ailleurs, celui-ci aurait pu se terminer à la fin de l'après-midi si l'on ne s'était pas engagé dans des voies qui n'ont aucun rapport avec le projet de loi que nous avons à examiner. Je désire que cela soit acté, ce qui sera nécessairement le cas au travers du compte rendu des débats publié au Journal officiel.
Mes chers collègues, je vous en supplie, même si vous pensez que les mesures proposées ont une part de fondement - je le crois, car les dénonciations anonymes sont, en effet, tout à fait détestables - prenons le temps d'examiner, de la manière la plus appropriée, le fond même, dans le détail, et les formulations.
L'amendement défendu par notre collègue M. Charasse pose un principe, après quoi il prévoit des exceptions à ce principe, parce qu'il est évident que, quelquefois, la dénonciation anonyme s'impose pour le bien de la société.
M. Jean-Jacques Hyest. Eh oui !
M. Jean-Marie Girault, rapporteur. Alors, on parle du terrorisme, des sévices à enfants...
M. Jean-Jacques Hyest. De trafic de drogue !
M. Jean-Marie Girault, rapporteur. Tout à fait ! Mais qui nous dit que d'autres infractions ne devraient pas également pouvoir faire l'objet d'une dénonciation anonyme ? Allons-nous ce soir, en un quart d'heure ou vingt minutes, traiter de ce sujet ? Bien entendu, il faudra l'aborder, mais je suis convaincu que nous n'avons pas suffisamment approfondi la question. Ce type d'amendements « extérieurs » constituent une déviation que le rapporteur n'accepte pas.
Au-delà du fond, même si je comprends les sentiments qui animent M. Charasse - pour un autre sujet, il en sera de même - l'amendement sort du cadre du débat qui est le nôtre. Je demande au Sénat de le comprendre, sans pour autant rejeter l'amendement sur le fond ; c'est la méthode utilisée qui est en cause.
La commission a donc émis un avis partagé sur cet amendement.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Jacques Toubon, garde des sceaux. L'amendement n° 266 rectifié bis, qui tend à compléter l'article 40 du code de procédure pénale, concerne la dénonciation au parquet des délits ou des crimes dont on vient à avoir connaissance. Les dispositions proposées ont, comme vient de le dire M. le rapporteur, fortement interloqué le Gouvernement lorsqu'il en a eu connaissance.
Cet amendement a été présenté successivement dans deux versions.
La première, qui a été déposée voilà quinze jours, comportait une mesure excluant toute dénonciation anonyme, en toutes matières, y compris dans celles où l'anonymat de la dénonciation est l'un des rares moyens qui permettent de signaler les délits ou les crimes, et donc de les poursuivre.
La seconde version, qui est aujourd'hui présentée sous le numéro 266 rectifié bis , comporte des exceptions qui me paraissent de nature à permettre un examen plus attentif de la proposition qui est faite par M. Charasse. Il s'agit en effet de considérer qu'une dénonciation anonyme serait frappée de nullité, sauf dans quatre domaines : les mauvais traitements infligés aux mineurs, en matière civile comme en matière pénale, les actes de terrorisme, le trafic de drogue et, enfin, la sûreté intérieure ou extérieure de l'Etat. A cet égard, j'indique aux auteurs de l'amendement que le code pénal de 1994 fait référence à l'atteinte non plus « à la sûreté intérieure ou extérieure de l'Etat » mais « aux intérêts fondamentaux de la nation ».
Il s'agit de la même notion dans le nouveau code pénal, elle est nommée différemment. D'ailleurs, vous le savez, sur certains points, les infractions ont un contenu différent.
La proposition formulée par MM. Charasse et Dreyfus-Schmidt présente un intérêt indiscutable dans la mesure où, nous l'avons tous constaté, et pas seulement à la lecture de la presse pour les affaires les plus spectaculaires et les plus médiatisées, il y a aujourd'hui, dans notre société, une tendance indéniable à se livrer à la délation dans nombre de domaines, y compris dans le domaine judiciaire.
Il est clair que, dans la mesure où l'amendement constitue une tentative pour lutter contre le développement de la délation, avec toutes les conséquences qu'elle peut avoir sur une société fragile, la proposition est louable.
Cependant, je formule d'emblée une réserve : encore faut-il qu'elle soit - comme c'est le cas dans sa rédaction actuelle - exclusive de tous les domaines dans lesquels, très souvent, il ne pourrait pas y avoir d'engagement de poursuite de délit ou de crime si l'on ne pouvait pas dénoncer anonymement.
Supposons, par exemple, qu'un voisin ait connaissance d'un mauvais traitement infligé à un enfant...
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Les gens sont méchants !
M. Jacques Toubon, garde des sceaux. ... ou qu'on se rende compte qu'un tel est en train de fomenter un acte susceptible de constituer la préparation d'un acte terroriste. Dans ces cas, il me paraît souhaitable que la dénonciation puisse avoir lieu sans qu'il soit nécessairement fait état de l'identité.
Sous ces réserves et compte tenu de ces explications, le Gouvernement est prêt à s'en remettre à la sagesse du Sénat. En effet, la proposition contenue dans cet amendement vise à répondre à un problème réel qui a d'ailleurs d'ores et déjà été envisagé dans les propositions de réforme du code de procédure pénale, présentées ici et là. Je pense notamment aux suggestions qui ont été formulées à ma demande par le professeur Michèle-Laure Rassat et qui sont actuellement soumises à la plus large concertation.
Nous souhaitons en effet, comme je l'ai dit, parvenir à la fin de l'année, à réaliser une synthèse pour procéder à une refonte d'ensemble du code de procédure pénale.
Tel est, monsieur le président, l'avis du Gouvernement sur cet amendement n° 266 rectifié bis.
Je comprends les sentiments qui ont été exprimés par M. le rapporteur à l'occasion de la discussion de ce texte, qui porte sur les crimes et qui concerne donc les principes les plus importants de notre procédure pénale. Je crois aussi que l'on doit pouvoir régler une question de principe de ce type compte tenu de la portée qu'elle peut avoir non seulement pour notre droit, mais pour notre société et pour les relations qui existent entre la justice et la société.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 266 rectifié bis.
M. Jean-Jacques Hyest. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Hyest.
M. Jean-Jacques Hyest. A partir du moment où le Gouvernement pense que cet amendement est intéressant et qu'il concerne un vrai problème, nous pouvons nous interroger.
En revanche, je partage le sentiment de M. le rapporteur. Nous sommes en train d'improviser tout à fait joyeusement dans des domaines extrêmement complexes.
M. Emmanuel Hamel. Non pas joyeusement, mais gravement !
M. Jean-Jacques Hyest. Je vais vous expliquer pourquoi, mon cher collègue. Je vais essayer de faire un peu de droit...
M. Emmanuel Hamel. Merci pour moi !
M. Jean Chérioux. Heureusement que vous êtes là, sans cela nous serions perdus !
M. Jean-Jacques Hyest. Attendez, monsieur Chérioux !
Que sont « la prévention, la recherche et la répression des mauvais traitements... » ? Heureusement que nous avons prévu cela ! Je prends un exemple concret : une institutrice dénonce des mauvais traitements à enfant. Bien entendu, leurs auteurs sauront que c'est elle qui les a dénoncés au cours de la procédure, et ils la menaceront de lui « casser la figure ». C'est souvent ce qui se passe. Les personnes qui dénoncent craignent avant tout d'être menacés au cours du déroulement de la procédure.
Il faut penser à cet aspect des choses avant de se prononcer définitivement sur de tels sujets !
Par ailleurs, monsieur le garde des sceaux, je souhaiterais que vous me précisiez quelles sont les « infractions portant gravement atteinte à la santé ou à la sécurité des personnes... ». Le code de procédure pénale ne doit-il pas prévoir tous les cas ?
Une infraction qui porte gravement atteinte à la sécurité des personnes, est-ce la mise en danger de la personne ? Est-ce l'homicide involontaire ? Est-ce que c'est tout ?
Sur ce point, le texte est insuffisamment précis. De toute façon, cette disposition n'est pas applicable telle quelle - veuillez me pardonner de le dire - car son champ d'application est trop large. Il faudrait prévoir très exactement les infractions qui sont exclues, sinon le texte viserait pratiquement le tiers de celles qui sont prévues dans le code pénal.
En outre, cette disposition s'applique, bien sûr, non seulement aux procédures judiciaires, mais également aux procédures administratives.
Ce qui m'étonne un peu, c'est que ce soit M. Charasse qui en soit l'initiateur. Nous savons très bien que, notamment en matière douanière, une dénonciation permet souvent de découvrir de nombreux trafics. Vous visez, c'est vrai, le trafic de stupéfiants, mais vous ne le précisez pas.
Ce qui me paraît grave, ce sont les dénonciations calomnieuses. D'ailleurs, il faudrait aussi songer à modifier l'article 40 du code de procédure pénale tel qu'il est rédigé.
Pour tous ces motifs, tout en reconnaissant qu'un problème réel se pose, je crois qu'il serait peu sage de voter l'amendement tel qu'il nous est présenté ce soir. Ce texte ne nous paraît pas être en cohérence avec le code de procédure pénale, ni a fortiori avec le code pénal.
Nous avions tous souhaité que l'on ne modifie pas le code pénal tous les huit jours. Si M. le président Larché était là, il confirmerait mon propos. Or je constate que l'on veut créer une nouvelle incrimination... tout à l'heure nous allons en ressusciter une autre.
Compte tenu de l'importance du débat que nous avons ouvert sur la réforme de la procédure criminelle, il n'est pas utile d'en ajouter ce soir. Je voterai donc contre l'amendement.
M. Patrice Gélard. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Gélard.
M. Patrice Gélard. Pour ma part, je voterai l'amendement de M. Charasse. Nous sommes dans un Etat de droit et il est anormal que des actes juridiques se fondent sur des dénonciations anonymes.
La dénonciation anonyme était inscrite dans le code de procédure pénale de l'Union soviétique.
M. Jean Chérioux. Eh oui !
M. Patrice Gélard. C'est sur la base de ces dénonciations anonymes que le KGB a envisagé toute une série de poursuites à l'encontre de différentes personnes. C'est à l'honneur de la Russie actuelle d'avoir, dans sa constitution, inscrit l'interdiction des poursuites sur la base de dénonciations anonymes.
Je me félicite également que ce genre d'amendement ait été déposé au cours de l'examen du projet de loi particulièrement important qui nous est proposé aujourd'hui. C'est aussi le rôle du Parlement que de mettre en lumière certaines anomalies juridiques que l'on ne peut plus laisser perdurer. On ne peut pas attendre les calendes grecques ou les ides de mars pour pouvoir en décider.
C'est la raison pour laquelle je me rallie, avec d'autres membres de mon groupe, à la proposition de M. Charasse.
M. Jean Chérioux. Très bien !
M. Michel Charasse. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Charasse.
M. Michel Charasse. Monsieur le président, je veux d'abord dire à M. le garde des sceaux que j'ai été sensible à l'observation qu'il a faite sur la sûreté intérieure et extérieure de l'Etat. Je rectifie donc mon amendement pour reprendre l'expression qui est employée aujourd'hui et qui m'avait échappé. Je remplace, en accord avec M. Dreyfus-Schmidt, les mots : « la sûreté intérieure ou extérieure de l'Etat » par les mots : « les intérêts fondamentaux de la nation », c'est-à-dire la nouvelle incrimination dont M. le garde des sceaux vient de parler. C'est ma première observation.
Deuxième observation : je veux répondre à M. Hyest sur la formule : « des infractions portant gravement atteinte à la santé ou à la sécurité des personnes ». J'ai trouvé le moyen d'écrire, sur les mineurs, mais vous savez qu'il y a aussi des problèmes qui peuvent se poser avec les personnes âgées qui font l'objet de sévices, etc. Cette expression couvre notamment ces cas-là...
M. Jean-Jacques Hyest. Lesquels ?
M. Michel Charasse. ... ou le cas des malades, pas forcément des personnes âgées, des handicapés, etc.
On comprend tout de même ce que veut dire ce qui concerne la santé et la sécurité des personnes !
Tout ce qui concerne le trafic de drogue, le banditisme et le terrorisme, ce sont les articles 706-16 et 706-26 ; j'espère que je ne me suis pas trompé dans les références.
M. Jean-Jacques Hyest. Le terrorisme et la drogue !
M. Michel Charasse. Enfin, quelqu'un a dit tout à l'heure : « Je m'étonne que ce soit un ancien ministre des finances qui propose ce type de mesure puisque les lettres anonymes, cela fonctionne assez bien à la douane et aux finances. » Je l'ai dit moi-même tout à l'heure, en présentant mon amendement.
M. Jean-Jacques Hyest. A la douane !
M. Michel Charasse. C'est vrai, monsieur Hyest, mais je dois dire que les quatre ans et trois mois que j'ai passés aux finances, où je recevais de trente à quarante lettres anonymes de dénonciation par semaine...
M. Jean-Jacques Hyest. Vous les jetiez à la poubelle !
M. Michel Charasse. ... ont fait que j'ai été véritablement écoeuré par cette pratique, et que je me suis juré de faire quelque chose un jour.
L'occasion ne s'était pas présentée, mais quand on voit aujourd'hui l'accumulation de ce que la presse nous apprend - lettres anonymes par-ci, lettres anonymes par-là, etc. - ceci ajouté à cela m'a conduit à faire cette proposition.
J'ajouterai que je suis conseiller général du canton de Châteldon, dans le Puy-de-Dôme. C'est sans doute un nom qui, pour certains d'entre vous, évoque quelques souvenirs historiques.
M. Jacques Toubon, garde des sceaux. Tout à fait !
M. Michel Charasse. Et bien ! nous avons découvert, il y a deux ou trois ans, dans les caves d'un bureau de poste, des dénonciations anonymes de l'époque de la guerre.
Je dois vous dire que c'étaient pratiquement les mêmes que celles que je recevais lorsque j'étais au ministère du budget. Je recevais des lettres disant : « Monsieur le ministre, je suis un très bon citoyen, mais tel commerçant, juif de surcroît, ou qui se dit antillais mais qui en réalité est d'origine arabe, à tel endroit, en est à sa troisième Mercedes, etc. » Or, j'ai retrouvé, dans les caves de ce bureau de poste, des lettres disant : « Je suis un bon citoyen, monsieur le chef de la milice, et M. Untel, à tel endroit, est d'origine juive, cache des Juifs, fait ceci, fait cela, etc. »
A une période où, véritablement, on assiste à un avachissement et à un avilissement des valeurs républicaines il faut aussi que nos concitoyens perdent l'habitude de voir l'administration et les juges à leurs ordres dès qu'ils dénoncent honteusement parce qu'ils n'ont pas le courage de signer, de mettre leur nom et leur adresse.
Puis-je ajouter, mes chers collègues, que, lorsque j'étais au ministère du budget, je ne donnais pas suite aux lettres anonymes qui m'étaient adressées, sauf lorsqu'elles concernaient des affaires de drogue ou des affaires de grand banditisme ou de blanchiment d'argent. Elles étaient d'ailleurs assez rares, croyez-moi : on en reçoit une de temps en temps, alors que la dénonciation sur le boucher de Romorantin, au coin de la rue Victor-Hugo, qui en est à sa troisième Mercedes et qui a une maîtresse à tel endroit...
M. Pierre Fauchon, vice-président de la commission. Je proteste : les bouchers de Romorantin sont irréprochables ! (Rires.)
M. Michel Charasse. Absolument, monsieur Fauchon, excusez-moi, mais je me souviens de ce détail. Prenons Castelnaudary ou bien Puy-Guillaume, si vous voulez, je ne suis pas à cela près ! (Sourires.)
Bref, tout cela m'a conduit à ma démarche d'aujourd'hui.
Je ne suis pas insensible à ce que m'a dit M. le rapporteur, mais je crois que, compte tenu de l'accumulation que nous constatons actuellement, si on ne le fait pas à un moment ou à un autre, on ne le fera jamais. (Marques d'approbation sur les travées des Républicains et Indépendants et du RPR.)
Au fond, on parle de procédure criminelle, et il y a aussi des dénonciations anonymes en la matière. Donc les textes ne sont pas complètement sans rapport entre eux. On sait très bien, de surcroît, qu'une dénonciation anonyme est encore plus grave en matière criminelle, car elle peut conduire à des condamnations, à des peines extrêmement graves. Le criminel est tout de même le secteur le plus « lourd » du droit pénal français.
Voilà, monsieur le président, les informations complémentaires que je voulais apporter à la Haute Assemblée. Cela dit, je ne serai pas du tout vexé si, à la faveur de la navette, ce texte, s'il devait être adopté, doit amélioré et aménagé.
Quant à la liste des exceptions, je ne souhaite pas qu'elle soit trop longue, car il ne faut pas, de proche en proche, vider le principe de sa substance.
J'ai essayé de faire un travail qui amorce une réflexion. La navette va se poursuivre et le texte pourra être éventuellement modifié. Croyez le bien, mes chers collègues, je n'aurai pas de vanité d'auteur !
M. Emmanuel Hamel. Très bien !
M. le président. Je suis donc saisi d'un amendement n° 266 rectifié ter, présenté par MM. Charasse et Dreyfus-Schmidt, et tendant à insérer, avant l'article 109, un article additionnel ainsi rédigé :
« L'article 40 du code de procédure pénale est complété in fine par un alinéa ainsi rédigé :
« Hormis pour la prévention, la recherche et la répression des mauvais traitements, sévices ou privations infligés à des mineurs, des infractions portant gravement atteinte à la santé ou à la sécurité des personnes, de celles entrant dans le champ d'application des articles 706-16 et 706-26 et de celles concernant les intérêts fondamentaux de la nation, il ne peut être, à peine de nullité des actes, effectué aucune vérification ni réservé aucune suite aux dénonciations adressées anonymement, par quelque moyen que ce soit, aux autorités administratives ou judiciaires. »
Quel est l'avis de la commission sur cet amendement n° 266 rectifié ter ?
M. Jean-Marie Girault, rapporteur. Je n'ai pas changé d'avis. Il est tellement simple, aujourd'hui, de déposer une proposition de loi d'initiative sénatoriale et de l'examiner dans le cadre des journées qui nous sont réservées qu'il me paraît extraordinaire que l'on attende que tel ou tel que nous connaissons soit touché par tel ou tel événement...
M. Jean-Jacques Hyest. Extraordinaire en effet !
M. Jean-Marie Girault, rapporteur. ... pour intégrer dans un projet de loi des dispositions qui lui sont totalement étrangères !
M. le président. Je vais mettre aux votes d'amendement n° 266 rectifié ter.
Mme Nicole Borvo. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à Mme Borvo.
Mme Nicole Borvo. Pour les raisons qui viennent d'être exposées par M. le rapporteur, je tiens à dire, au nom de mon groupe, que je ne prendrai pas part au vote sur cet amendement, non pas pour des raisons de fond, mais parce qu'il est discuté aujourd'hui.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ? ...
Je mets aux voix l'amendement n° 266 rectifié ter , repoussé par la commission et pour lequel le Gouvernement s'en remet à la sagesse du Sénat.
(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, avant l'article 109.
Par amendement n° 265, MM. Charasse et Dreyfus-Schmidt proposent d'insérer, avant l'article 109, un article additionnel ainsi rédigé :
« Après l'article 170 du code de procédure pénale, il est inséré un article additionnel ainsi rédigé :
« Art. ... - Les personnes citées comme témoin, qu'elles aient été entendues ou non par le juge d'instruction, peuvent se pourvoir devant la chambre d'accusation dans les mêmes conditions que les parties aux fins d'examen de la régularité des actes les concernant. »
La parole est à M. Charasse.
M. Michel Charasse. L'amendement n° 265 a un tout autre objet que l'amendement précédent, et je dis tout de suite que, pour le coup, je suis prêt à me rendre aux arguments du rapporteur...
M. Jean-Marie Girault, rapporteur. Il est temps !
M. Michel Charasse. ... s'il souhaite que cette affaire soit renvoyée au projet de loi...
M. Jean-Marie Girault, rapporteur. C'est fou !
M. Michel Charasse. ... portant diverses dispositions d'ordre judiciaire.
M. Pierre Fauchon, vice-président de la commission des lois. C'est la meilleure !
M. Jean-Marie Girault, rapporteur. C'est fou ! Vous rendez vous compte, mes chers collègues, des voies sur lesquelles on vous entraîne depuis un moment ?
M. Michel Charasse. Je suis en train de dire que je suis prêt à me rendre aux arguments du rapporteur s'il souhaite que ce texte soit renvoyé à la discussion du projet de loi portant diverses dispositions d'ordre judiciaire, et il proteste ! Préférez-vous que je propose mon amendement maintenant, monsieur le rapporteur ?
M. Jean-Marie Girault, rapporteur. Il sera voté ! Allez-y !
M. Pierre Fauchon, vice-président de la commission des lois. Ce n'est même pas la peine de l'exposer !
M. Jean-Marie Girault, rapporteur. Effectivement, ce n'est même pas la peine de l'exposer ! Pour le suivant, c'est la même chose !
D'ailleurs, je ne suis pas rapporteur de ce genre de texte. Je suis rapporteur d'une réforme de la procédure criminelle dont nous ne parlons plus ! Ce soir, nous sommes complètement en dehors du sujet !
M. Michel Charasse. J'ai entendu dire que quelques amendements ont été votés dans l'après-midi...
M. Jean-Marie Girault, rapporteur. Non, non, monsieur Charasse !
Si le Sénat veut voter ces amendements qui sont hors sujet, il les votera, mais ce ne sera pas avec l'accord du rapporteur !
M. Charles de Cuttoli. Nous avons tout de même le droit de voter ce qu'on nous propose ! Il n'y a pas de droit de veto ici !
M. Jean-Marie Girault, rapporteur. Absolument ! Mais je vous dis ce que je pense !
M. le président. Monsieur Charasse, retirez-vous votre amendement ou le développez-vous ?
M. Michel Charasse. J'ai du mal à accepter ce genre de leçon. Je suis quelqu'un d'assez conciliant. J'ai l'habitude de poser des problèmes précis et de ne pas me camoufler derrière mon petit doigt. Je ne suis aux ordres de personne. Je suis un homme libre et indépendant. Je ne me raccroche pas à des événements extérieurs ou intérieurs pour me déterminer.
M. Pierre Fauchon, vice-président de la commission des lois. Bien sûr que si !
M. Michel Charasse. J'ai encore une conscience républicaine qui me permet de réagir comme je l'entends !
Autant j'estime qu'il y a des sujets qui doivent être traités rapidement, et je profite de cette discussion pour le faire - n'en déplaise à M. le rapporteur et au vice-président de la commission, président par intérim ce soir - autant je suis prêt, sur d'autres sujets qui concernent des problèmes de témoignages de ministres et d'anciens ministres - je suis bien placé pour en parler avec des exemples précis - à renvoyer les amendements n°s 265 et 267.
Tenez ! Je ne vais même pas les exposer, monsieur le président, pour faire plaisir à M. le rapporteur, je les retire et je les renvoie à la discussion du projet portant diverses dispositions d'ordre judiciaire...
M. Pierre Fauchon, vice-président de la commission des lois. Juridique !
M. Michel Charasse. ... sur lequel je les redéposerai.
Je pense que M. le rapporteur pourrait me dire que je lui fais plaisir !
M. le président. L'amendement n° 265 et, par avance, l'amendement n° 267 sont retirés.
Articles 109 à 111