M. le président. « Art. 13. _ Le tarif prévu à l'article 885 U du code général des impôts est ainsi modifié :
Fraction de la valeur nette taxable du patrimoine |
Tarif applicable (en pourcentage) |
---|---|
N'excédant pas 4 700 000 | 0 |
Comprise entre 4 700 000 F et 7 640 000 | 0,5 |
Comprise entre 7 640 000 F et 15 160 000 | 0,7 |
Comprise entre 15 160 000 F et 23 540 000 | 0,9 |
Comprise entre 23 540 000 F et 45 580 000 | 1,2 |
Supérieure à 45 580 000 |
1,5 » |
Sur l'article, la parole est à M. le rapporteur général.
M. Alain Lambert,
rapporteur général de la commission des finances, du contrôle budgétaire et
des comptes économiques de la nation.
Monsieur le président, monsieur le
ministre, mes chers collègues, nous abordons un sujet qui a déjà fait couler
beaucoup d'encre et sur lequel il me revient de présenter une contribution.
Je souhaite vraiment que chacun puisse s'exprimer sur ce sujet afin d'être
jugé sur les idées qui sont les siennes et non pas sur celles qui lui sont
prêtées. Je désire également, parce que le sujet est sensible, que nous en
débattions dans la sérénité, chacun écoutant l'autre, ses raisons, sans nous
soupçonner d'avoir telle ou telle intention, comme cela a pu être fait ici ou
là dans la presse.
M. Jacques Mahéas.
La gêne s'installe !
M. Alain Lambert,
rapporteur général.
Non ! Pas encore en tout cas !
J'ai souhaité placer le débat au niveau qui me semble être la priorité,
c'est-à-dire l'activité économique, en particulier l'activité économique
locale, et l'emploi. Nous discuterons de questions relatives à la justice et à
l'équité fiscales. Il faut aussi tenir compte des exigences de compétitivité de
notre fiscalité. Je le rappelle, des allégements massifs de fiscalité de
l'épargne ont été décidés par de précédents gouvernements, qui étaient sans
doute inspirés en priorité non par des considérations d'équité fiscale mais par
la crainte d'une éventuelle délocalisation de l'épargne après la libéralisation
des capitaux de 1989. Mes chers collègues, nous sommes exactement dans la même
situation aujourd'hui.
Tous les éléments de patrimoine n'ont pas la même « sensibilité ». Certains
ont une influence directe sur l'économie locale et sur l'emploi. Je pense ici
en particulier à ces petites et moyennes entreprises locales qui maintiennent
l'emploi. Je le disais à l'occasion de la discussion de la motion tendant à
opposer la question préalable, déposée par le groupe communiste citoyen et
républicain, ceux qui vivent en province et qui ont peu, trop peu de petites et
moyennes entreprises industrielles savent à quel point il est redoutable que le
centre de décision s'éloigne du lieu de production.
Le Gouvernement nous a proposé, l'an passé, une mesure. Or elle a frappé une
catégorie de redevables qui n'était pas à mon avis celle qui était visée. Nous
avons d'ailleurs à cette époque mis en garde le Gouvernement. Chacun peut
relire le rapport que j'ai signé l'année dernière et dans lequel j'indiquais
qu'il y avait effectivement des risques de voir des contribuables assujettis à
l'ISF être frappés au titre des éléments de patrimoine les plus utiles à
l'activité économique locale.
Le constat est d'autant plus vrai que les détenteurs des patrimoines « mobiles
» sont les moins vulnérables car, face à un dispositif qu'ils jugent
pénalisant, ils ont précisément la possibilité de faire un arbitrage qui,
éventuellement, les conduira à délocaliser leur patrimoine afin d'éviter
l'impôt.
Le Gouvernement, à l'époque, tentait d'éviter que, par d'habiles montages, des
redevables ne restructurent leur patrimoine de manière à minorer, voire à tarir
leurs revenus pour réduire leur imposition au titre de l'ISF. Il s'agissait -
je ne le rappelle que pour mémoire, la chose est bien connue - de la
souscription de contrats d'assurance-vie, d'actions ou de parts de SICAV ou de
fonds de capitalisation.
Monsieur le ministre, je vous l'ai déjà indiqué hier à l'occasion d'une autre
disposition, il faut cesser de proposer des législations de portée générale
pour neutraliser des montages d'optimisation fiscale. Vous tendez des filets
qui ne prennent jamais ceux que vous voulez légitimement assujettir à l'impôt.
En revanche, vous risquez à chaque fois d'étouffer l'économie. Voilà pourquoi
je vous invite, comme hier, à travailler sur l'abus de droit. A défaut, je
demanderais à la commission des finances de le faire de son côté, car je crains
que l'arme fiscale ne soit pas l'outil le plus fiable pour redresser les excès
d'optimisation fiscale de certains de nos compatriotes.
Mes chers collègues, tout cela peut paraître bien abstrait. Aussi prendrai-je
un exemple choisi hors du département que je représente - il s'agit d'une
entreprise dont je ne connais ni les dirigeants, ni les actionnaires - qui a le
mérite d'illustrer parfaitement le problème posé.
Cette entreprise située en Bretagne est en bonne santé. Gérée, administrée et
développée par la même famille depuis cent trente ans, elle est, par ses
produits, leader sur le marché et réalise 3,6 milliards de francs de chiffre
d'affaires, dont 65 % à l'exportation, avec 4 500 salariés et cinquante et une
filiales étrangères.
Le capital est aujourd'hui détenu par le cercle de famille à hauteur de 50 %,
le contrôle étant assuré au moyen d'actions donnant à leurs titulaires des
droits de vote supplémentaires. Or certains actionnaires sont frappés par le
déplafonnement de l'ISF décidé l'année dernière. En effet, au cours moyen
actuel de l'action, qui est cotée en bourse, ces actionnaires, réputés être à
la tête d'une fortune importante, n'en tirent cependant pas de ressources parce
que l'entreprise, pour rester la meilleure, distribue peu et doit réinvestir
ses résultats. Ces actionnaires sont donc contraints à acquitter sur leurs
autres revenus - ils ne travaillent pas dans l'entreprise - un impôt assis sur
un patrimoine dont ils ne tirent rien.
Une seule issue est possible : la vente des droits sociaux. Que va-t-il en
résulter, mes chers collègues ? L'entreprise étant la meilleure dans son
créneau et, qui plus est, étant très bien implantée à l'étranger grâce à son
réseau de filiales, les droits sociaux seront vraisemblablement acquis par des
entreprises étrangères.
Voilà comment un centre de décision risque de s'éloigner du centre de
production. Voilà comment risque d'évoluer la province française, qui a encore
la chance d'avoir des entrepreneurs familiaux très proches des lieux de
production.
(Murmures sur les travées socialistes.)
M. Claude Estier.
Et Thomson ?
M. Alain Lambert,
rapporteur général.
Cet exemple montre, mes chers collègues, que le
déplafonnement frappe un redevable qui est utile à l'économie française et à
l'économie locale.
Mme Marie-Claude Beaudeau.
Les RMIstes aussi sont utiles pour l'économie !
M. Alain Lambert,
rapporteur général.
C'est en cela que la disparition du plafonnement a eu
des effets pervers, qu'il ne fallait pas avoir peur de dénoncer en
conscience.
Ce déplafonnement peut même aller jusqu'à causer l'éclatement, voire la
cession de l'entreprise, je viens de vous en donner un exemple.
Pour vous donner également un ordre de grandeur, je vous indiquerai que les
calculs montrent que, dès lors que les dividendes offrent un rendement de
l'action inférieur à 1,5 %, le détenteur de ce capital doit payer l'impôt sur
ses revenus propres, faute de plafonnement.
Un sénateur socialiste.
Les pauvres !
M. Alain Lambert,
rapporteur général.
Tels sont, mes chers collègues, les inconvénients qui
ont pu être constatés et qui justifient, me semble-t-il, que nous en revenions
aux dispositions antérieures.
(Exclamations ironiques sur les travées socialistes.)
M. Bernard Piras.
A vot'bon coeur, m'sieu dames !
M. Alain Lambert,
rapporteur général.
Je crois qu'un sujet de cette importance mérite mieux
que l'ironie ou la simplification !
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et du RPR.)
M. Michel Rufin.
Très bien !
M. Claude Estier.
Nous sommes tristes, pas ironiques !
M. Jean-Luc Mélenchon.
Et en colère !
M. Alain Lambert,
rapporteur général.
Si véritablement il apparaissait que la mesure qui va
vous être proposée, qui consiste à revenir à la législation antérieure, était
immorale, cela voudrait dire, alors, que ceux qui sont à l'origine de cette
législation se sont eux-mêmes abandonnés à une certaine immoralité, soupçon
que, pour ma part, je ne me permettrai pas de porter !
(Murmures sur les mêmes travées. - Exclamations sur les travées du groupe
communiste républicain et citoyen.)
J'ai relu avec le plus grand intérêt les travaux de l'Assemblée
nationale. Le rapporteur général de l'époque était notre collègue M. Alain
Richard, dont chacun connaît la compétence. Il avait, sur ce sujet du
plafonnement, éclairé les enjeux - il devait d'ailleurs avoir l'occasion de le
faire par deux fois, puisque le plafonnement avait été fixé une première fois à
70 %, puis à 85 %. Il devait notamment appeler certains de ses collègues, en
particulier ceux du groupe communiste, qui étaient peut-être enclins à faire
des propositions qu'ils estimaient plus généreuses, à plus de raison, les
invitant à ne pas dépasser un prélèvement de 85 % afin d'éviter qu'un redevable
ne soit obligé de réaliser son capital pour acquitter l'impôt.
M. Alain Vasselle.
C'est le bon sens même !
M. Alain Lambert,
rapporteur général.
Mes chers collègues, réaliser son capital pour payer
l'impôt, dès lors que ce capital n'a pas d'influence sur l'emploi local, c'est
peut-être immoral mais, du moins, on n'en mesure pas immédiatement les effets.
Mais, lorsque le prélèvement est supérieur au produit du capital et oblige à
vendre les biens de l'entreprise et donc à éloigner le centre de décision du
lieu de travail de nos concitoyens - les maires de villes moyennes en savent le
prix ; je suis moi-même maire d'une ville qui a payé un lourd tribut à
l'éloignement des actionnaires du lieu de production - on peut sans complexe,
si l'on croit à l'économie locale, si l'on croit à l'emploi, rétablir un
plafonnement qui n'aurait jamais dû être levé.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR
et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du
RDSE.)
M. le président.
La parole est à Mme Beaudeau.
Mme Marie-Claude Beaudeau.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous
abordons, avec cet article 13 du projet de loi de finances, une question
essentielle pour juger de l'équité du système fiscal de notre pays.
Nous nous situons, monsieur le rapporteur général, sur un plan moral, mais
aussi économique.
Depuis plusieurs années, nous demandons que les grandes fortunes contribuent
de manière efficace à l'effort de solidarité pour le redressement de la
situation économique et sociale de la France.
Nous proposons à cette fin que le produit de cet impôt soit multiplié par
quatre.
Ce débat est d'autant plus important qu'il contribue à combattre le fatalisme
face à une crise qui perdure depuis plus de vingt ans. En effet, il est
démontré que l'argent existe dans notre pays et que les cinq cents familles qui
disposent de plus de 500 millions de francs de capital peuvent et doivent
participer à l'effort national.
Comment la grande majorité de la population, qui subit de plein fouet
l'austérité, ne serait-elle pas effarée par l'énumération des énormes capitaux
dont disposent les grandes familles de l'industrie, de la finance et du grand
commerce ?
Nous jugeons donc qu'il est indécent, inacceptable, que vous, monsieur le
rapporteur général, plutôt que d'accroître la pression financière sur les plus
riches, comme la situation l'exigerait, vous proposiez de soulager le poids de
l'impôt sur les fortunes pour atténuer le « mal-vivre » des privilégiés
concernés.
Comment accepter cette démarche de la majorité sénatoriale, qui fait bloc
autour d'une proposition qui favorisera, si j'en crois les premières
estimations, les quatre cents plus importants contribuables, alors que le débat
à l'Assemblée nationale a permis de constater que plus personne, à part les
gros détenteurs de capitaux, n'est à l'abri de l'austérité ?
Vous avez décidé hier, mes chers collègues, de remettre en cause l'exonération
d'imposition sur le revenu dont bénéficiaient les femmes salariées en congé de
maternité. Nous aurons également à nous prononcer sur l'imposition des
indemnités perçues par les accidentés du travail et les invalides.
Même les RMIstes sont visés puisque, à l'Assemblée nationale, par une voix
seulement, a été repoussée une mesure tendant à soumettre à des conditions de
ressources des parents dont les enfants sont RMIstes.
M. Michel Caldaguès.
C'est normal !
Mme Marie-Claude Beaudeau.
Nous réfutons catégoriquement l'argument selon lequel il faut être indulgent
avec les fortunés pour conserver les capitaux en France. M. Chirac n'a-t-il pas
appelé, la semaine dernière, à des exportations nouvelles et importantes vers
le Japon ?
Taxons les évasions de capitaux, prenons cette décision courageuse dans
l'intérêt général, et le problème de l'évasion se posera différemment !
Mme Hélène Luc.
Absolument !
Mme Marie-Claude Beaudeau.
Les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen combattront
fermement cette disposition marquée par un fort caractère de classe que la
majorité de droite propose, et ils défendront des amendements servant, au
contraire, à accroître l'efficacité de l'impôt de solidarité sur la fortune
(Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen,
ainsi que sur les travées socialistes.)
M. le président.
La parole est à M. Marini.
M. Philippe Marini.
M. le rapporteur général a posé le problème très exactement comme il le
fallait, c'est-à-dire en usant d'un ton dépassionné et en parlant de choses
concrètes, à savoir la défense de l'emploi et de l'esprit d'entreprise.
(Vives exclamations sur les travées socialistes et sur les travées du groupe
communiste républicain et citoyen.)
Mme Hélène Luc.
C'est honteux !
M. Philippe Marini.
Mes chers collègues, je vous en prie, laissez-moi m'exprimer ; chacun dans cet
hémicycle devrait pouvoir parler sans entendre des quolibets incessants.
(Rires sur les mêmes travées.)
La fiscalité est un art difficile. La fiscalité est la recherche, à
chaque instant, du juste compromis entre l'équité et l'efficacité. Ce compromis
ne peut plus, aujourd'hui, être conçu comme autrefois, alors que l'on était à
l'abri de barrières douanières et que l'on pouvait penser régler tout seul ses
affaires sur son propre territoire.
Qu'on le veuille ou non, les acteurs du jeu économique, aujourd'hui, comparent
les situations et raisonnent en termes de compétitivité. Les entreprises
doivent être compétitives, les systèmes fiscaux doivent être compétitifs
(Protestations sur les travées socialistes),
les systèmes juridiques
doivent être compétitifs, et si l'on n'accepte pas cette vérité, cela signifie
que l'on veut restaurer le contrôle des mouvements de capitaux et que l'on veut
rétablir, autour de la France, des barrières qui n'ont plus lieu d'être dans le
monde d'aujourd'hui.
(Nouvelles protestations sur les mêmes travées.)
Je crois que le groupe politique qui était au premier rang pour soutenir
l'ancien Président de la République dans sa démarche de construction européenne
est assurément mal placé pour adopter aujourd'hui la position démagogique qu'il
adopte.
(Exclamations sur les mêmes travées.)
Mes chers collègues, de quoi s'agit-il ? Il s'agit pour le Sénat de
confirmer la position qu'il a déjà exprimée l'an passé sur un sujet technique,
et même sur un petit sujet.
Nous avons, il faut le reconnaître, dans la loi de finances pour 1996 fait,
pour les meilleures raisons du monde, une erreur technique.
M. Alain Richard.
C'est curieux, car cela ne vous arrive jamais !
M. Philippe Marini.
Cette erreur technique a abouti à ce que des contribuables soient contraints
de régler un impôt sans en avoir les moyens financiers et soient conduits à le
payer au-delà de leurs facultés financières.
(Vives exclamations sur les travées socialistes, ainsi que sur les travées du
groupe communiste républicain et citoyen.)
M. Michel Charasse.
Quelle horreur !
M. Claude Estier.
Vous vous rendez compte de ce que vous dites ?
M. Philippe Marini.
Vous avez peut-être peur d'entendre la vérité, mais je voudrais, si vous avez
le libéralisme de m'écouter un seul instant, vous rappeler, mes chers
collègues, qu'entrent notamment dans cette catégorie les personnes âgées qui
ont fait des donations-partages à leurs enfants avec réserve d'usufruit, comme
elles y sont incitées par le législateur, et à qui cet usufruit permet
seulement de vivre...
M. Jean-Louis Carrère.
Il ne s'agit pas des détenteurs de petits patrimoines !
M. Philippe Marini.
... ainsi que les veufs et les veuves ou les personnes qui ont pour seule
ressource un usufruit, lequel n'a souvent qu'une faible rentabilité, inférieure
au taux moyen de l'impôt sur la fortune lorsque les biens sont investis en
terres agricoles ou en différentes formes d'immobilisations.
M. Claude Estier.
Pauvres gens !
M. Philippe Marini.
Entrent aussi dans cette catégorie les propriétaires de biens immobiliers
urbains difficiles à louer ou même à vendre en raison de la crise immobilière
et, enfin et surtout - mes chers collègues, c'est là que l'emploi est en jeu -
les porteurs de parts minoritaires dans des sociétés industrielles ou
commerciales, notamment des PME familiales.
Je crois qu'il est de notre devoir de ne pas déstabiliser ces entreprises
(Exclamations sur les travées socialistes, ainsi que sur les travées du groupe
communiste républicain et citoyen)
et d'éviter que ces porteurs de parts
ne soient amenés à vendre et à céder le contrôle à des investisseurs extérieurs
et souvent étrangers
(Nouvelles exclamations sur les mêmes travées)
au détriment de la
continuité de l'entreprise et de l'emploi.
M. Claude Estier.
Comme Thomson aux Coréens !
M. Philippe Marini.
Les amendements qui vont être appelés en discussion sur l'initiative de la
commission des finances, de plusieurs présidents de groupe et de notre collègue
André Diligent vont dans le bon sens. Ils rectifient une erreur technique et
ils permettront au Sénat, s'il les adopte, de demeurer fidèle aux orientations
qu'il a déjà eu l'occasion d'exprimer à différentes reprises.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et
de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Masseret.
M. Jean-Pierre Masseret.
Monsieur le rapporteur général, contrairement à vous, je ne vais pas tourner
autour du pot ! Votre intervention était pleine de circonvolutions, qui
couvraient, me semble-t-il, une gêne.
D'où vient cet embarras ? C'est que nous allons délibérer d'un amendement qui
vise à avantager environ quatre cents de nos compatriotes les plus fortunés,
sans nous préoccuper des disparités de revenus, du chômage, des inégalités
sociales.
(Très bien ! sur les travées socialistes.)
Pourquoi la France est-elle dans ette situation ? Pourquoi la grande
majorité de nos concitoyens sont-ils en difficulté aujourd'hui ?
Tout cela résulte de choix politiques délibérés.
Quels sont ces choix politiques ? Quelles sont leurs conséquences ? A quelles
motivations répondent-ils ?
Ces choix délibérés privilégient la thèse libérale de l'offre ! C'est votre
droit, mais cela a des conséquences pratiques très fortes. En effet, cette
politique pèse sur le pouvoir d'achat des salariés, sur le système de
protection sociale et sur la consommation. Pour vous, finalement, la seule
question est : comment réduire les coûts de production ? Pour vous, la seule
réponse, c'est de peser sur les salariés, sur les personnes en situation de
précarité, et sur le système de protection sociale. Voilà le véritable objectif
de votre politique.
Et cette politique a sa traduction au plan fiscal. Ainsi, depuis quelques
années, les ponctions fiscales opérées à l'occasion des lois de finances
successives ont obéré le pouvoir d'achat de nos concitoyens de près de 200
milliards de francs. Autant de milliards qui ont manqué à la consommation, à la
croissance, à l'emploi.
(Très bien ! sur les travées socialistes.)
A cette pression fiscale, il faut ajouter l'augmentation des cotisations
sociales.
Le résultat de cette politique, c'est un accroissement de la précarité et des
inégalités.
La situation actuelle est ambivalente : d'un côté, la France produit plus de
richesses, elle est plus riche au 31 décembre qu'au 1er janvier d'une année
donnée, et dans le même temps, les difficultés sociales, les inégalités
s'accroissent.
Par conséquent, la question que l'on devrait se poser est non pas celle de
savoir s'il faut avantager quatre cents familles, mais celle de la répartition
de la richesse. Que fait-on de la richesse créée ? Comment la redistribuer pour
favoriser la croissance, pour créer des emplois, pour réduire les inégalités
sociales ? C'est à la réponse à ces questions que nous devrions consacrer notre
énergie et nos amendements.
J'en viens aux critiques qui nous ont été adressées.
Notre collègue Philippe Marini a dit : « Vous avez soutenu le Président de la
République précédent... » Permettez-moi de souligner que François Mitterrand
n'a eu qu'une obsession : construire l'Europe, pour assurer, en tout premier
lieu, la paix et la sécurité...
MM. Jean Chérioux et Philippe Marini.
C'était aussi l'Europe des capitaux !
M. Jean-Pierre Masseret.
... parce qu'on sait bien que, sans paix ni sécurité, aucune construction
sociale n'est possible, aucun progrès social n'est envisageable. François
Mitterrand a oeuvré pour cela. On doit lui en rendre hommage !
Il nous appartient, à nous, de faire cette Europe, une Europe qui, en créant
richesses et emplois, réduise les inégalités sociales.
Tel est notre responsabilité après que nos prédécesseurs ont construit une
Europe pacifiée et une Europe de sécurité.
Pour en revenir à l'ISF, est-ce vraiment demander un effort inconsidéré à ces
familles ?
M. Jean Chérioux.
Ce n'est pas le problème !
M. Jean-Pierre Masseret.
La solidarité n'a-t-elle aucun sens pour nos compatriotes les plus aisés ?
Croyez-vous de plus que nous allons nous laisser convaincre par le chantage à
la délocalisation quand on voit ce qui se passe, quand on voit certaines
décisions récentes dans le domaine industriel ? Non !
Je crois qu'une autre politique est possible. Cet article 13 en fait la
démonstration.
(Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur
les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président.
La parole est à M. Richard.
M. Alain Richard.
M. le rapporteur général a eu la bonté d'évoquer la position que j'avais prise
devant une autre assemblée sur cette question du plafonnement de l'impôt sur la
fortune au regard des revenus déclarés des contribuables. Je l'en remercie et
je lui renvoie cette amabilité en soulignant devant votre assemblée ceci : pour
en avoir fait l'expérience, je sais que la fonction de rapporteur général, que
ce soit dans cette assemblée ou dans l'autre, si elle comporte des éléments
entraînants et mobilisateurs, puisqu'elle contribue à élaborer la législation
fiscale, comporte aussi quelques sujétions, quelques servitudes, notamment une
répartition des rôles avec le Gouvernement qui n'est pas toujours la plus
confortable pour l'intéressé. Il me semble que nous en avons une illustration
cet après-midi.
(Sourires.)
M. Jean-Louis Carrère.
Très bien !
M. Gérard Delfau.
Il en va d'ailleurs de même pour le président de la commission des finances
!
M. Alain Richard.
Chacun sa croix... ou son bout de croix !
Je voudrais souligner dans quel contexte de politique économique et financière
s'est posée la question du plafonnement de l'impôt de solidarité sur la fortune
au regard du revenu imposable.
L'impôt sur la fortune, créé en 1982, a été supprimé en 1986 par la même
majorité qu'aujourd'hui et rétabli par une autre majorité en 1988. L'expérience
portant conseil, la même majorité - vous-mêmes, mes chers collègues - une fois
revenue aux responsabilités en 1993, n'a pas procédé de la même façon. Il
arrive à chacun de tirer la leçon de l'expérience.
Plus personne à ma connaissance - peut-être, dans la majorité actuelle,
certains parmi les plus avancés dans la réflexion y songent-ils, mais ils ne le
disent pas publiquement - n'évoque la suppression de l'impôt de solidarité sur
la fortune.
Mais il est vrai que la création de cet impôt a supposé des compromis de
caractère économique et financier.
L'un d'eux a consisté à ne pas assujettir les biens professionnels.
L'expression, que je juge un peu passéiste, d'outil de travail a souvent été
utilisée pour justifier cette exonération. C'était un choix ; on aurait pu en
faire un autre, comme d'autres grands pays modernes.
Il m'est arrivé d'entendre des orateurs de la majorité actuelle contester ce
choix en soulignant que l'exonération des biens professionnels avait pour effet
d'assujettir à l'impôt de solidarité sur la fortune des millionnaires et d'en
exonérer les milliardaires. Cela est vrai ! C'est un objectif de compétitivité
économique qui a conduit à un tel choix.
Il fallait bien fixer une limite, laquelle n'a jamais été rediscutée depuis
1982 : c'est le contrôle du quart du capital. En deçà il est considéré qu'il ne
s'agit pas de biens professionnels.
L'autre compromis qui a été fait a été le plafonnement de l'impôt de
solidarité sur la fortune. Pourquoi ce plafonnement ? Parce qu'on redoutait,
dans un contexte d'ouverture du marché des capitaux, qui est une décision que
je n'entends personne remettre en cause, des délocalisations de capitaux. La
même logique a d'ailleurs prévalu ce qui concerne tant l'imposition des revenus
de l'épargne.
M. Michel Charasse.
Absolument !
M. Alain Richard.
Tel est le compromis qui a été fait à l'époque. C'était un choix de prudence.
Il me semble que quiconque ayant en charge les responsabilités du pouvoir dans
un pays comme la France doit faire preuve de prudence, quitte à être critiqué
ensuite.
M. Jean Chérioux.
Alors, continuez et ne nous le reprochez pas !
M. Alain Vasselle.
C'est ce qu'on propose, ne faites donc pas du cinéma !
M. Philippe Marini.
On propose le retour à votre législation !
M. Alain Richard.
Souhaitez-vous engager le dialogue, chers collègues ?...
A l'époque, nous avons été critiqués pour ce choix de prudence. Pourtant, il
me semble que c'était notre devoir de préserver, dans une période
d'incertitude, au moment de l'ouverture du marché des capitaux, la
compétitivité de l'économie.
Depuis lors, l'expérience a démontré deux choses, et je ne crois pas que le
Gouvernement, l'année dernière, et la majorité qui l'a suivi aient fait
erreur.
D'abord, l'expérience a montré que le plafonnement bénéficiait essentiellement
aux plus gros patrimoines : moins de 1 % des détenteurs de patrimoines
imposables étaient bénéficiaires de ce plafonnement, et la grande majorité
d'entre eux étaient situés dans les 5 % des patrimoines les plus élevés.
L'expérience a également montré qu'on pouvait organiser la faiblesse de son
revenu lorsqu'on était situé dans ces tranches de patrimoine et que, en faisant
baisser son revenu par diverses opérations - dont M. le ministre a donné
quelques exemples, mais il y en a bien d'autres - on parvenait à échapper au
paiement de l'impôt de solidarité sur la fortune. La limitation du plafonnement
était donc justifiée.
Dès la deuxième année, en 1993, au moment où ce dispositif a été appliqué,
nous avons eu la confirmation, premièrement, qu'il y avait concentration sur
les plus hauts patrimoines de l'effet du plafonnement et que, deuxièmement, le
plafonnement donnait lieu à des manipulations. Il était donc parfaitement
justifié de revenir sur ce dispositif et d'en limiter les effets.
Dans l'exemple que citait M. le rapporteur général, si la rentabilité du
capital en question est particulièrement faible, il se peut que la charge de
l'imposition soit supérieure à celle de l'impôt. Qu'en pensons-nous
économiquement, mes chers collègues ? Notre système fiscal doit-il être pensé
pour favoriser la détention de capitaux qui ont une rentabilité inférieure à
1,5 % ?
M. René Régnault.
Ah ! Ah !
M. Michel Caldaguès.
C'est du cynisme ! Pas de pitié pour les canards boiteux !
M. Alain Richard.
Apprend-on dans les revues financières que, lorsqu'on cherche à avoir une
économie compétitive, on doit organiser son système fiscal de manière à
favoriser les détenteurs du capital le plus improductif ? Depuis que je lis des
manuels d'économie, et cela commence à faire quelques décennies, j'y ai
toujours appris qu'en régime de compétition il faut que le système fiscal
encourage au contraire la mobilité et la rentabilité du capital.
M. Jean-Luc Mélenchon.
Et voilà !
M. Philippe Marini.
La mobilité vers l'étranger !
M. Alain Richard.
Je ne démords pas de cette position de principe !
J'ajoute que l'un des problèmes de la société française est, bien sûr, la
faible mobilité des fortunes et la reconduction, de génération en génération,
des inégalités sociales.
M. René Régnault.
Eh oui !
M. Alain Richard.
Tout le monde sait que c'est l'un des facteurs de paralysie et de handicap de
notre société par rapport à d'autres sociétés plus dynamiques et plus
mobiles.
Voyez-vous donc quelque chose de choquant et de scandaleux à ce qu'une partie
du capital, une partie des patrimoines, change progressivement de main - oh ! à
tout petit rythme : 0,5 % ou 1 % par an - s'ils sont détenus de manière
particulièrement improductive ? Ce n'est ni inefficace économiquement ni
injuste socialement.
M. le président.
Il vous faut conclure, monsieur Richard !
M. Henri de Raincourt.
Cela fait dix minutes que vous parlez !
M. Alain Richard.
J'ai presque terminé, monsieur le président.
Il a été fait état d'un souci de compétitivité et d'un choix européen.
Nous affrontons en effet des difficultés pour des raisons de politique
européenne et de compétitivité. La raison principale est à chercher, je crois,
du côté de certaines erreurs de politique économique qui ont été commises
notamment au cours des trois dernières années et qui se traduisent par le fait
que notre pays connaît une croissance plus faible que ses voisins européens et
que la majorité donne, à l'heure actuelle, des signes de désordre préoccupants
eu égard à la tâche d'intérêt national majeur que représente la construction
monétaire européenne.
M. Philippe Marini.
Vous croyez que le programme du parti socialiste est clair ?
M. Alain Richard.
Il me semble donc que si l'on veut tendre à une plus grande efficacité et à
une plus grande compétitivité, et pour marquer plus nettement l'orientation de
notre pays vers l'avenir, il faut s'attacher à développer une véritable
politique industrielle, à mobiliser au mieux les moyens de l'Etat et du secteur
public pour rendre notre économie plus active plutôt se livrer à des
rafistolages de la fiscalité du patrimoine à la petite semaine.
(Bravo ! et applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président.
La parole est à M. Mélenchon.
(Exclamations sur les travées du RPR et des Républicains et
Indépendants.)
M. Jean-Luc Mélenchon.
Sans rien méconnaître des aspects techniques qui ont été évoqués à l'instant
par mes camarades d'une manière à laquelle je souscris totalement, jusques et y
compris à l'idée, que je trouve très prometteuse et qui a le mérite de la
clarté, selon laquelle cette fraction du capital qui somnole, ronronne,...
M. Hilaire Flandre.
Il parle en connaisseur !
M. Jean-Luc Mélenchon.
... et fait la force des pesanteurs sociales que vous incarnez si
magnifiquement encore aujourd'hui, mes chers collègues
(Protestations sur les travées des Républicains et Indépendants et du
RPR),
et qui doit recevoir le net et indispensable coup de pied au
derrière fiscal qui l'inciterait à se mettre en mouvement,...
M. Jean Chérioux.
Vers l'extérieur, hélas !
M. Jean-Luc Mélenchon.
... je ne veux pas laisser passer l'occasion de dire à quel point je vous juge
bons instituteurs du peuple dans la fonction que vous remplissez aujourd'hui,
en particulier lorsque j'entends le rapporteur général utiliser pour argument
que l'on se soucierait d'équité fiscale dans cette affaire, notamment parce que
les détenteurs du capital immobilier et du capital mobilier ne bénéficieraient
pas des mêmes avantages pour accomplir les turpitudes auxquelles il semble
qu'ils aient droit au nom de l'ouverture de la France au monde. Eh bien ! Je
juge honteux qu'un tel argument soit employé dans une enceinte parlementaire et
que l'on puisse se prévaloir de ces turpitudes pour faire la loi !
La délocalisation de l'épargne, c'est le privilège antinational et
contre-républicain de la minorité fortunée qui demande tout au pays et ne lui
rend rien !
(Protestations sur les travées des Républicains et Indépendants et du
RPR.)
Exactement ! messieurs, et peu nous chaut vos sarcasmes ! A la vérité,
nous vous savons portés par une vague, et nous nous demandons chaque jour
comment nous allons pouvoir y résister !
(Exclamations sur les travées du
RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
Pas un barrage de camionneurs où l'on n'ait pu lire sur une pancarte : «
allégez l'ISF ! » Quant aux mendiants que l'on expulse des centres-villes, tous
n'ont qu'un mot à la bouche : « Allégez l'ISF ! » Les RMIstes menacés dans
leurs droits : allégez l'ISF !
(Rires sur les travées socialistes.)
A cet instant, vous avez pour vous la force du nombre et l'impudence d'une
majorité contre laquelle nous ne pouvons rien. Demain, nous aurons pour nous,
aussi sûrement que je vous le dis, la force de l'indignation qui... va remonter
de ce pays face à ce que vous êtes en train de faire !
(Vifs
applaudissements sur les travées socialistes. - Exclamations sur les travées du
RPR, des Républicains et Indépendants, de l'Union centriste et sur certaines
travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Fourcade.
M. Jean-Pierre Fourcade.
Monsieur le président, je me demandais, en entendant M. Mélenchon, s'il
puisait son inspiration chez Danton ou chez Marat, et j'hésitais pour savoir
lequel des deux était son inspirateur !
(Rires sur les travées des
Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur
certaines travées du RDSE. - Exclamations sur les travées socialistes.)
M. Jean-Luc Mélenchon.
Illustres compagnons !
M. Michel Charasse.
Quel compliment !
M. Jean-Pierre Fourcade.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je veux
faire deux observations simples en me référant à l'excellent discours de M. le
rapporteur général et à l'excellent commentaire de l'ancien rapporteur général,
M. Richard.
Première observation : j'ai dit moi-même, dans l'exposé introductif que j'ai
fait lors de la discussion générale, que j'étais préoccupé de la contraction de
l'assiette des impôts sur le revenu et sur le capital, ainsi que des charges
sociales au niveau des revenus élevés. Une telle contraction, organisée par
toute une série de moyens que chacun connaît, est en effet quelque chose de
préoccupant, car elle modifie l'équilibre des contributions de l'ensemble de
nos concitoyens aux charges publiques et aux charges sociales. Par ailleurs,
elle rend plus illusoires les baisses de taux et les réformes que, de bonne
foi, on engage pour essayer d'améliorer la situation.
Par conséquent, j'ai dit à M. le ministre du budget, qui a bien voulu me
répondre à ce sujet, qu'il fallait envisager un certain nombre de réformes, de
mises à plat, de simplifications, de réorganisations des régimes pour éviter
ces systèmes compliqués de péréquation, ou de surimposition auxquels on ne
comprend rien et dont le plus bel exemple nous est donné par la CSG : regardez
mon départ, c'est un impôt ; regardez mon arrivée, c'est une cotisation sociale
! Je lui ai dit qu'il fallait absolument trouver une solution pour que les
choses soient simples et pour que chacun paie ce qu'il doit pour les fonds que
l'on doit servir.
Nous avons, l'année dernière, voté la suppression du plafonnement de l'ISF,
mesure qui, manifestement, s'est traduite par une nouvelle contraction de
l'assiette. Aujourd'hui, c'est une mesure technique que nous proposons, qui
peut profiter à quelques familles, c'est vrai, mais qui ne remet pas en cause
l'impôt de solidarité sur la fortune, que je m'honore de payer depuis son
instauration par le premier gouvernement socialiste ! Il vaut mieux dire qu'on
le paie quand on en parle,...
M. Alain Vasselle.
C'est vrai !
M. Jean-Louis Carrère.
Vous en avez de la chance !
M. Jean-Pierre Fourcade.
... plutôt que de dire que les autres doivent le payer quand on sait qu'on ne
paiera jamais rien !
(Très bien ! sur les travées des Républicains et
Indépendants, de l'Union centriste et du RPR.)
Je sais, moi, de quoi je
parle.
Nous avons fait une bêtise l'année dernière. Nous proposons de la
réparer,...
M. Claude Estier.
Vous aviez fait une première bêtise en supprimant l'IGF !
M. Jean-Pierre Fourcade.
... mais à la condition, monsieur le ministre, mes chers collègues, que ce
soit le seul amendement sur l'ISF,...
M. Alain Lambert,
rapporteur général.
Oui !
M. Jean-Pierre Fourcade.
... et qu'on n'ait pas, ni de-ci, ni de-là, l'idée de supprimer ce prélèvement
qui me paraît un complément nécessaire à la contribution de tous aux charges de
nos concitoyens.
Il faut prendre cela comme une mesure technique, que de très bons experts ont
préparée. Nous avons fait une bêtise l'année dernière, nous la réparons, et je
ne crois pas que ce sujet mérite qu'on en appelle à la résurrection de la lutte
des classes, à la béatification de Danton ou au retour à toutes les formes
dépassées du débat politique !
(Très bien ! et vifs applaudissements sur les travées des Républicains et
Indépendants, de l'Union centriste et du RPR.)
M. le président.
La parole est à M. Cabanel.
M. Guy Cabanel.
L'amendement qui vise à rétablir le plafonnement du taux de l'impôt sur la
fortune divise profondément le groupe que j'ai l'honneur de présider. Certains
d'entre nous le voteront, d'autres, plus nombreux, voteront contre et
l'essentiel du groupe s'abstiendra.
Pourquoi avons-nous tant de difficultés à juger cet amendement ? D'abord, nous
ne dirons pas qu'il est immoral, car il ne l'est pas. Il s'agit en effet d'en
revenir à une disposition du passé qui avait été votée sur d'autres bancs à
l'époque et, pour ma part, je l'aurais éventuellement votée si je ne la jugeais
pas inopportune.
Comme certains l'ont dit, je crains que cet amendement ne soit mal perçu par
l'opinion.
M. Claude Estier.
Ça, c'est évident !
M. Guy Cabanel.
C'est un risque que l'on peut prendre courageusement certes, mais c'est un
risque indiscutable.
Je pense surtout que cette mesure sera inefficace.
Mme Marie-Claude Beaudeau.
Alors, vous allez voter nos amendements !
M. Guy Cabanel.
Soyez patiente, madame Beaudeau !
Je ne crois pas que l'amendement de plafonnement suffira à arrêter le départ
des capitaux de France ni à ramener les capitaux qui ont légalement émigré dans
l'Union européenne du fait de la libre circulation des capitaux qui existe
depuis plusieurs années, en application de l'Acte unique européen.
Comment expliquer cette fuite de capitaux ? Par une raison simple : notre
fiscalité devient confiscatoire. M. Jean-Pierre Fourcade l'a très bien dit.
Malgré la baisse du taux marginal de l'impôt sur le revenu des personnes
physiques, c'est à une augmentation réelle de l'impôt à laquelle on va assister
si on prend en compte l'élargissement et la majoration de la contribution
sociale généralisée et la contribution de remboursement de la dette sociale. Ne
nous y trompons pas : avec la contribution sociale généralisée, qui rapportera,
comme l'espère le Gouvernement, peut-être 150 milliards de francs l'année
prochaine, ou à partir de 1998, il n'y aura pas diminution des prélèvements sur
les revenus malgré la baisse de l'impôt sur le revenu proprement dit. Nous
irons même vers une augmentation.
Dès lors, nous assistons à un phénomène que les Allemands appellent, car ils
le subissent aussi, le « braconnage fiscal ».
Quand, en Grande-Bretagne, le taux de la tranche maximale d'imposition sur le
revenu ne dépasse pas 40 %, il est très séduisant pour les citoyens français
qui le peuvent, et qui en ont tout à fait le droit, de s'installer à
Londres.
Quand, aux Pays-Bas, le taux de l'impôt sur les sociétés ne dépasse pas 8 %
pour la plupart des tranches, des sociétés françaises sont tentées de
délocaliser leurs sièges sociaux, ce qui n'est pas critiquable du point de vue
légal.
Tout cela montre qu'une réflexion sur la fiscalité européenne est absolument
nécessaire. En effet, vouloir faire l'Europe, vouloir instituer la monnaie
unique sans s'intéresser à l'Europe sociale, sans définir les solidarités qui
doivent s'instaurer et sans avoir une certaine vision globale de ce que doit
être la fiscalité en Europe, ce serait une erreur qui pourrait coûter cher à
notre pays.
En tout cas, en France, nous avons le devoir d'organiser le démantèlement du
système confiscatoire.
Pour les Français d'ailleurs, leur fiscalité est extrêmement complexe et
variable. Un sondage récent a montré que que ce que l'on nous reproche le plus,
c'est de changer les principes de la fiscalité pratiquement chaque année et de
rendre incompréhensible le code général des impôts à cause des variations qui
interviennent de loi de finances en loi de finances.
Si nous voulons renverser la tendance, il nous faut mettre en place un plan de
demantèlement des prélèvements exagérés ; c'est absolument nécessaire. M.
Mariani - je ne sais plus si c'était en séance publique ou en commission des
finances - a parlé de moratoire fiscal.
Je le répète, mes chers collègues, je ne voterai pas l'amendement de la
commission, non par manque de courage, mais parce que je ne crois pas en son
efficacité.
J'avais déposé un amendement anticonfiscatoire à caractère général qui n'a
intéressé personne. En effet, c'est l'ensemble des contributions fiscales dues
à l'Etat par un contribuable, personne physique, qui mériterait d'être
plafonné. Je pense qu'à partir du texte que j'ai présenté, qui aurait pu être
amélioré, nous aurions pu obtenir un résultat bien meilleur !
(Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur certaines travées
socialistes.)
M. le président.
La parole est à M. Paul Girod.
M. Paul GIrod.
Nous sommes devant un problème technique qui, dans cet hémicycle et par les
soins de certains à l'extérieur, a été transformé en problème théologique !
(Sourires sur les travées socialistes.)
Pour ma part, j'aimerais qu'on en revienne au problème technique, car je
n'ai pas le sentiment que nous nous trouvions devant une décision aussi grave
que la suppression de la peine de mort. Or on entend presque les mêmes
anathèmes prononcés contre les uns ou les autres.
(Murmures sur les mêmes travées.)
J'ai été étonné d'entendre deux orateurs d'un groupe qui se situe
géographiquement à ma droite, à ma gauche politiquement, exprimer des points de
vue tout à fait différents.
L'un, si j'ai bien compris, a contesté de façon assez vigoureuse la libre
circulation des capitaux sur le plan mondial alors que l'autre considère comme
une décision responsable le fait d'avoir accepté l'institution de cette liberté
de circulation à l'échelon français.
En fait, nous sommes plongés, de par ces décisions, dans un univers comportant
pour les détenteurs de capitaux en France, qu'ils soient de souche française ou
qu'il s'agisse de personnes physiques résidant en France, un certain nombre de
tentations.
L'année dernière, nous avions cru - d'ailleurs le Sénat avait été très prudent
dans cette affaire car, si je me rappelle bien, la disposition en question n'a
été votée qu'en deuxième délibération, et sous la contrainte, amicale, mais
forte, du Gouvernement - nous avions cru, disais-je, pouvoir éliminer un
certain nombre d'abus. Mais, finalement, nous nous sommes trouvés dans une
situation bien connue des chasseurs qui, ayant tiré un chevreuil, ont abattu un
chien. Autrement dit, cherchant la vraie cible, nous avons fait une erreur de
tir et nous avons mis en difficulté des gens qui exercent encore des
responsabilités économiques dans ce pays.
Il faut prendre cela en considération tranquillement, sans se jeter les uns
aux autres des anathèmes excessifs. Si nous avons fait une erreur qui a eu
immédiatement des conséquences dommageables pour un certain nombre
d'entreprises, cela vaut la peine de faire la contre-épreuve. En politique
comme dans l'Histoire, on n'a pas très souvent l'occasion d'agir ainsi.
M. Alain Richard.
Vous voulez tuer un autre chien ?
M. Paul Girod.
Le droit à l'erreur, cela existe !
Je demande donc que l'on fasse la contre-épreuve pendant au moins un an.
Si, dans un an, on s'aperçoit que le plafonnement à des répercussions
favorables sur l'emploi, vous serez les premiers, mes chers collègues
socialistes, à considérer que ce n'est plus la peine de remettre l'ouvrage sur
le métier.
(Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'Union centriste, du RPR et des
Répubicains et Indépendants.)
M. le président.
Sur l'article 13, je suis saisi de quatre amendements qui peuvent faire
l'objet d'une discussion commune.
Par amendement n° I-167, Mme Beaudeau, M. Loridant et les membres du groupe
communiste républicain et citoyen proposent de rédiger comme suit cet article
:
« Le tarif prévu à l'article 885 U du code général des impôts est ainsi
modifié :
N'excédant pas 4 000 000 F |
0 |
Comprise entre 4 000 000 et 8 000 000 F | 1 |
Supérieure à 8 000 000 F | 2 |
Par amendement n° I-61, M. Masseret, Mme Bergé-Lavigne, MM. Charasse, Lise, Massion, Miquel, Moreigne, Régnault, Richard, Sergent et les membres du groupe socialiste et apparentés proposent de rédiger comme suit cet article :
« Le tarif prévu à l'article 885 U du code général des impôts est ainsi modifié :
N'excédant pas 4 700 000 F |
0 |
Comprise entre 4 700 000 F et 7 640 000 F | 0,6 |
Comprise entre 7 640 000 F et 15 160 000 F | 0,84 |
Comprise entre 15 160 000 F et 23 540 000 F | 1,08 |
Comprise entre 23 540 000 F et 45 580 000 F | 1,44 |
Supérieure à 45 580 000 F | 1,8 |
Les deux amendements suivants sont identiques.
L'amendement n° I-281 est présenté par M. Lambert, au nom de la commission des finances.
L'amendement n° I-277 rectifié bis est présenté par MM. Diligent, Blin, de Rohan et de Raincourt.
Tous deux tendent :
A. - A compléter in fine l'article 13 par un paragraphe ainsi rédigé :
« II. - a) La seconde phrase du premier alinéa de l'article 885 V bis du code général des impôts est abrogée.
« b) Les pertes de recettes résultant de l'alinéa précédent sont compensées par une augmentation à due concurrence des droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts. »
B. - En conséquence, faire précéder le début du premier alinéa de cet article de la mention : « I. - ».
La parole est à Mme Luc, pour défendre l'amendement n° I-167.
Mme Hélène Luc. Cet amendement qui modifie le barème de l'impôt de solidarité sur la fortune tend à accroître le rendement de ce dernier.
Il prend donc à contre-pied la logique de la majorité sénatoriale, laquelle, incitée par le Président de la République et par le Gouvernement, souhaite, au contraire, alléger l'effet de l'impôt sur la fortune, en particulier pour les plus gros contribuables.
Nous estimons qu'il est plus urgent, face à la gravité de la situation économique et sociale de la France, de faire contribuer de manière réelle et efficace les gros patrimoines à l'effort de solidarité nationale au lieu de diminuer l'impôt sur la fortune, comme vous vous apprêtez à la faire, mesdames, messieurs de la majorité.
C'est possible, car l'argent existe dans notre pays, ainsi que les privilèges qui l'accompagnent.
Alors que 25 % des plus pauvres se partagent 1 % du patrimoine, 5 % des plus riches disposent de 40 % du patrimoine national. Est-ce juste ?
On voit que l'argent existe lorsque l'on découvre dans un hebdomadaire économique bien connu que les quatre-vingt-onze plus grosses fortunes représentent, à elles seules, 327 milliards de francs de capital.
A la lecture de ces quelques données, la démarche de la commission des finances et de M. le rapporteur général - je le dis encore une fois, monsieur Lambert, avec tout le respect que je vous dois - semble tout à fait révoltante.
Au moment où va s'ouvrir à Bobigny, le Crazy George's, un magasin pour les plus pauvres, où ceux-ci auront le privilège d'acheter une machine à laver qui leur coûtera deux fois plus cher qu'à ceux qui peuvent la payer comptant, au moment où vont ouvrir les restaurants du coeur, qui accueillent des catégories sociales de plus en plus large, comment oser parler de « mal-vivre », comme cela a été fait, à propos des redevables de l'impôt sur la fortune alors que le patrimoine des 10 % des ménages les plus pauvres ne dépasse pas une moyenne de 24 600 francs ?
Alors que la volonté clairement affichée par le Gouvernement est de diminuer les déficits publics, nous vous offrons, par le vote de notre amendement, d'accroître de façon non négligeable le volume des recettes fiscales. Voilà où il faut prendre l'argent !
Nous vous proposons donc, mes chers collègues, d'adopter cet amendement afin de manifester sans ambiguïté votre volonté d'instaurer une dose d'équité dans ce projet de loi de finance qui, par ailleurs, est marqué par la mise en cause quasi systématique de ce que l'on pourrait appeler les « acquis sociaux fiscaux ».
Ni les futures mères, ni les accidentés du travail, ni les invalides ne sont, en effet, à l'abri de la chasse au déficit décrétée par le gouvernement de M. Juppé.
Cela n'est pas acceptable, et je vous invite à nouveau, mes chers collègues, à adopter notre proposition. N'ayez crainte : les plus riches nouvellement imposés resteront toujours riches ! Mais l'Etat et les plus pauvres y trouveront une expression nouvelle de solidarité et de justice sociale. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. Masseret, pour présenter l'amendement n° I-61.
M. Jean-Pierre Masseret. Après les interventions sur l'article des orateurs du groupe socialiste, chacun aura compris que cet amendement vise à augmenter de 20 % les taux du barème de l'impôt de solidarité sur la fortune, afin de faire participer davantage à la solidarité nationale les titulaires d'un patrimoine supérieur à 4,7 millions de francs.
Contrairement à une idée répandue, les impôts sur le patrimoine au sens strict ne sont pas, en France, excessifs et ils ne sont pas susceptibles de susciter des délocalisations : l'impôt de solidarité sur la fortune et les droits de succession ne représentent que 0,3 % du PIB.
Même au sens le plus large, nos impositions sur le patrimoine ne représentent que 2 % du PIB, soit un chiffre moindre qu'aux Etats-Unis, au Japon ou au Royaume-Uni, où il représente respectivement 3 %, environ, 3,4 % et 5 % de la richesse nationale.
M. Christian de La Malène. Et en Allemagne ?
M. Jean-Pierre Masseret. De plus, l'inégalité des patrimoines est très importante dans notre pays puisque les 10 % les plus riches des Français possèdent 50 % du patrimoine, tandis que 50 % se partagent 8 % du capital. Selon l'enquête de l'INSEE publiée au début de l'année, 10 % des ménages ont un patrimoine d'une valeur inférieure à 25 000 francs, tandis que, à l'autre bout de l'échelle, 10 % des ménages ont un patrimoine de plus de 1,8 millions de francs, soit un rapport de 1 à 75 entre les deux extrêmes. Et je ne parle même pas - Mme Luc a cité le chiffre tout à l'heure - des quelques familles qui possèdent 350 millions de francs de capital !
Le Lorrain que je suis ne peut s'empêcher de songer en cet instant aux anciens propriétaires de la sidérurgie, qui ont laissé à l'Etat la situation que l'on sait et qui sont aujourd'hui à la tête d'un capital de 14 milliards de francs, alors que les communes se débattent pour financer les opérations d'exhaure, l'entretien des cités ouvrières et pour résoudre toute une série de problèmes d'assainissement.
Quoi qu'il en soit, on observe une concentration croissante de la fortune dans certaines mains.
Enfin, depuis plusieurs années, les revenus de la propriété progressent rapidement : de 4,2 % en moyenne annuelle de 1991 à 1994, de 6 % en 1995 et de plus encore en 1996. On sait que les revenus de l'activité salariée sont loin d'augmenter dans les mêmes proportions.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur général, pour présenter l'amendement n° I-281.
M. Alain Lambert, rapporteur général. Etant déjà intervenu sur l'article, monsieur le président, je me propose de laisser M. Diligent présenter son amendement. J'aurai de toute façon l'occasion, au moment où il me sera demandé de donner l'avis de la commission sur les autres amendements, d'évoquer l'amendement n° I-281.
M. le président. La parole est à M. Diligent, pour présenter l'amendement n° I-277 rectifié bis.
M. André Diligent. Mes chers collègues, avant de déposer l'amendement que j'ai l'honneur de vous présenter, j'ai longuement hésité. Des amis complaisants m'ont dit : « Tu vas déshonorer la fin d'une carrière jusqu'ici vertueuse. Tu te fais maintenant l'homme du grand patronat, le valet des grosses fortunes. On pensait quand même autre chose de toi ! »
Il est vrai que cet amendement peut donner lieu à des interprétations très différentes, la vigueur des interventions l'a montré.
Mme Hélène Luc. C'est sûr !
M. André Diligent. Pour certains, en effet, le plafonnement que nous proposons a quelque chose de provocant. Au moment où tant de souffrances s'étalent sous nos yeux dans notre pays, voilà un texte qui semble accentuer la fracture sociale. C'est à peu près, je crois, ce que nous avons entendu. Le procès d'intention était clair ; il y aurait, dans cette assemblée, deux camps bien distincts : d'un côté, les généreux et, de l'autre, ceux qui ne le sont pas.
A mon avis, ce procès d'intention n'est pas soutenable si l'on veut bien rappeler, comme certains orateurs l'ont déjà fait, que ce que nous proposons, à savoir le plafonnement de l'ISF à 85 % du revenu annuel, n'est rien d'autre que ce qui était en vigueur lorsque nos amis socialistes ont dû quitter le gouvernement.
L'ISF illustre parfaitement la difficulté qu'il y a, dans une économie dirigée comme dans une économie libérale, à concilier le maximum de justice et le maximum d'efficacité, à trouver le point d'équilibre entre l'un et l'autre. Il suffit pour s'en rendre compte de remonter quelques années en arrière : ainsi ai-je été très impressionné par la lecture des débats de 1988.
En entendant M. Alain Richard parler avec tant de franchise et de hauteur de vue, je me suis souvenu qu'en 1988 il avait appelé les communistes à plus de réalisme et exposé la philosophie de ce que nous proposons aujourd'hui. Il expliquait même que la conjonction des impôts dans certains ménages allait être écrasante, qu'il fallait se limiter à 70 %. Je conçois d'ailleurs très bien que la situation ait évolué depuis et que, en conséquence, il faille aller jusqu'à 85 %.
Personnellement, je ne suis pas opposé, je le dis tranquillement, au principe de l'impôt sur la fortune. Je crois à la supériorité de l'argent gagné par le travail sur l'argent dormant. Mais ce qui me préoccupe, en l'occurrence, c'est l'usage de l'argent.
Il n'est pas question pour moi de vous faire pleurer de compassion sur le sort des titulaires de grosses fortunes, mais ce qu'il y a, à mes yeux, d'inacceptable dans le déplafonnement, c'est qu'un contribuable puise en arriver à devoir acquitter un impôt supérieur à l'ensemble de ses revenus et que, de ce fait, sur un plan économique général, des investissements soient découragés.
En d'autres termes, quitte à passer pour un incorrigible naïf, je ne voudrais pas qu'on néglige la moindre chance de voir des contribuables qui ont gardé le goût de l'entreprise contribuer à créer des activités et, donc, des emplois. Je connais, dans ma région, des exemples tout à fait probants à cet égard.
Je l'ai dit, il s'agit pour moi non de vous faire gémir, mais de rechercher les moyens de permettre aux plus gros contribuables de payer leur impôt à l'Etat français et non pas dans d'autres pays. C'est cela qui m'intéresse !
M. Philippe Marini. Très bien !
M. André Diligent. En effet, nous sommes maintenant dans une Europe où, cela a été rappelé, circulent librement les capitaux et les personnes. N'encourageons pas l'incivisme en lui fournissant des arguments. Or le déplafonnement total de l'ISF en est un.
De gros contribuables ont choisi de s'installer dans des pays voisins. Je n'approuve pas, bien sûr, je constate.
Soit il faut revenir au dirigisme, au contrôle des changes, à une Europe morcelée, soit nous jouons complètement le jeu de l'Europe et nous assumons toutes les conséquences de ce choix.
Il est clair que le supplément de recettes que l'Etat pouvait escompter risque d'être inférieur aux pertes entraînées par ces évasions, que j'ai pu effectivement constater, car je me suis tout de même documenté, moi aussi.
On peut penser ce qu'on veut de M. de la Martinière, mais c'est un homme indépendant et intelligent.
M. Jean-Luc Mélenchon. Il est intelligent, c'est sûr !
M. André Diligent. La vie publique est, certes, pleine de gens intelligents, mais il y a aussi des gens particulièrement compétents et bien informés ; M. de la Martinière en fait partie.
Quoi qu'il en soit, le groupe de travail présidé par M. de la Martinière a formulé les observations suivantes : « Les changements apportés par la dernière loi de finances et tendant à revenir sur le plafonnement des impositions établies au nom d'un même contribuable sur son revenu et sa fortune appellent une appréciation critique. Des informations concordantes donnent en effet à penser que leur application réduira le produit de ces impôts en provoquant la fuite d'une partie non négligeable de la matière imposable. »
Je puis affirmer que, depuis le dépôt de ce rapport, voilà maintenant six mois, la tendance s'est malheureusement encore accentuée ; je pourrais citer un certain nombre d'exemples.
Parallèlement, les investisseurs qui hésitent entre la France et d'autres pays risquent de faire un choix qui nous sera défavorable. Cela ne sera pas non plus sans incidence sur l'emploi.
De leur côté, nombre de partenaires européens ont fait le même constat. Ainsi, des pays qui ne sont pas nécessairement dirigés par des conservateurs ou des libéraux mais dont le gouvernement est social-démocrate, comme le Danemark ou l'Autriche, ont rejeté récemment l'impôt sur les grandes fortunes.
Parmi les grands pays européens, la France est actuellement le seul à cumuler l'ISF et le déplafonnement.
Mon amendement vise simplement à rétablir la situation qui a été laissée par les socialistes. Pour une fois que je peux faire plaisir à M. Chirac et aux socialistes en même temps ! (Sourires.)
M. le président. Mon cher collègue, je vous prie de conclure.
M. André Diligent. Avant de conclure, monsieur le président, je tiens à rappeler un fait.
Actuellement, les investisseurs étrangers en France ne sont soumis ni à l'ISF, ni à l'impôt sur les successions, ni à la taxation sur les plus-values. Ces avantages permettent aux entreprises possédées par des étrangers d'atteindre, par rapport à leurs concurrentes, un niveau de compétitivité qui les amène à prendre progressivement des parts de marché. C'est ainsi que les investisseurs étrangers finissent par acheter les entreprises françaises au fur et à mesure que ces dernières doivent verser des dividences à leurs actionnaires pour permettre à ceux-ci d'acquitter l'ISF.
Que la puissance d'investisseurs étrangers s'étende de cette façon ne me gêne pas en soi, mais je sais que, lorsque des décisions sont prises par des investisseurs étrangers, que ce soit à Paris ou à Chicago, l'appréciation n'est pas la même quant aux licenciements, par exemple ; on est beaucoup moins généreux quand on n'est pas du pays concerné. (Très bien ! et applaudissements sur certaines travées du RPR.)
Mes chers collègues, soyez persuadés que, si j'avais l'impression de trahir, non pas ma classe - car je ne fais par partie d'une classe particulière - mais les intérêts des plus défavorisés de ce pays, je n'aurais pas déposé cet amendement.
Mme Hélène Luc. Mais, monsieur Diligent, à Roubaix, il y a des familles pauvres ! Défendez-les !
M. Henri de Raincourt. Il les défend !
M. le président. Quel est l'avis de la commission sur les amendements n° I-167 et I-61 ?
M. Alain Lambert, rapporteur général. L'amendement n° I-167 vise à augmenter l'ISF en en élargissant l'assiette et en en alourdissant les taux. L'adoption de cet amendement ne ferait qu'accroître les inconvénients qui ont été décrits tout à l'heure. Aussi l'avis de la commission est-il défavorable.
Quant à l'amendement n° I-61, il vise à augmenter de 20 % les taux du barème de l'ISF. Il s'agit d'une information à destination de l'ensemble de nos compatriotes, mais je ne crois pas que cet amendement soit frappé au coin du réalisme. Par conséquent, la commission des finances a également émis un avis défavorable.
J'ai tout à l'heure indiqué que je reviendrais sur l'amendement n° I-281.
Monsieur Masseret, c'est sans aucune gêne ni circonvolution que j'ai proposé cet amendement. Je crois avoir, au contraire, depuis le début, très franchement exprimé mes convictions en cette matière, même si j'ai regretté que celles-ci n'aient pas été littéralement retranscrites.
Je tiens à vous dire que, à ma naissance, j'ai reçu en héritage beaucoup de valeurs morales mais pas de valeurs financières.
M. Claude Estier. Personne n'a dit le contraire !
M. Alain Lambert, rapporteur général. Je n'ai, dans mes rapports avec l'argent, aucune espèce de problème. Cela me met tout à fait à l'aise pour défendre la position qui est la mienne dans ce débat.
Et cela me permet, chers collègues de l'opposition, de vous inviter à vous demander combien il peut y avoir d'emplois derrière les quatre cents familles que vous évoquez. Car c'est cela la préoccupation des Français : l'emploi ! Les Français ne cherchent de revanche contre personne, ils cherchent simplement à ce que le plus possible d'emplois soient créés.
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. Très bien !
M. Alain Lambert, rapporteur général. Monsieur Masseret, vous affirmez que nous défendons des thèses libérales. Mais enfin, l'Europe a été fondée sur des principes auxquels a souscrit, me semble-t-il, un gouvernement qui était plus proche de vous que de la majorité du Sénat. Vous dites regretter personnellement les modalités qui ont été définies à l'époque, et je ne mets pas en doute vos convictions. Mais vous ne pouvez reprocher au Sénat d'avoir alors été insuffisamment vigilant !
Vous prétendez que le chantage à la délocalisation de l'épargne n'existe pas. Mais alors, j'aimerais que vous accordiez vos propos avec ceux de M. Richard, qui nous a dit, lui, qu'en 1989-1990 il fallait y veiller absolument. Je serais heureux de savoir si le risque de délocalisation de l'épargne n'existe plus et je souhaite que les partis responsables de ce pays s'expriment sur ce sujet.
Je ne porte aucune croix, monsieur Richard. Je fais avec conviction ce que j'estime devoir faire, et j'éprouve plutôt de la fierté à défier la mode intellectuelle, à défier la pression intellectuelle, à défier la persécution intellectuelle (M. Delfau s'esclaffe.) consistant à diaboliser l'esprit d'entreprise dans notre pays. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR, des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
C'est la raison pour laquelle, mes chers collègues, la commission des finances vous demande d'adopter les amendements identiques n°s I-281 et I-277 rectifié bis . (Très bien ! et applaudissements sur les mêmes travées.)
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement sur ces quatre amendements ?
M. Alain Lamassoure, ministre délégué. A la fin de ce débat, qui a été très passionnant, je tiens à rendre hommage aux intervenants pour la qualité de leurs interventions. Permettez-moi d'ajouter que, souvent, dans ce type de débat, les interventions les plus mesurées sont celles qui ont le plus de portée.
M. Alain Gournac. C'est vrai !
M. Alain Lamassoure, ministre délégué. J'ai particulièrement remarqué les interventions de M. le rapporteur général et de MM. Fourcade, Richard et Diligent, qui ont apporté des éléments permettant d'affiner les positions de chacun.
Cela dit, je tiens à rappeler quelques faits car j'ai l'impression que, par moment, certains ont fait preuve d'une mémoire sélective.
En 1988, a été institué l'impôt de solidarité sur la fortune, nouvel avatar, au sens hindou du terme, de l'IGF, l'impôt sur les grandes fortunes, qui avait été supprimé deux ans auparavant. Cet impôt de solidarité sur la fortune comportait un plafonnement et son barème a été réévalué chaque année jusqu'en 1993 pour prendre en compte la hausse des prix.
En 1995, un nouveau Président de la République a été élu, un nouveau Gouvernement et une nouvelle majorité sont venus au pouvoir. Les premières mesures fiscales ont été proposées au Parlement, dont la majoration dite « exceptionnelle » de 10 % de l'impôt de solidarité sur la fortune.
M. Alain Richard. Voilà qui prouve que c'est possible !
M. Alain Lamassoure, ministre délégué. Quelques mois plus tard, lors de l'examen du projet de loi de finances pour 1996, nous avons débattu du déplafonnement de cet impôt. A l'époque - j'ai le Journal officiel sous les yeux - l'opposition avait voté contre le déplafonnement.
Un long débat s'était engagé sur l'article 5, qui avait pour objet essentiel d'introduire le déplafonnement. A l'issue de ce débat, Mme Marie-Claude Beaudeau a pris la parole pour déclarer : « Le groupe communiste républicain et citoyen vote contre », et M. Jean-Pierre Masseret d'ajouter immédiatement après : « Le groupe socialiste également ».
M. Alain Gournac. Ils ne sont pas à une contradiction près !
M. Alain Lamassoure, ministre délégué. L'article 5 instituant le déplafonnement a donc été adopté par toute la majorité, en dépit de la réserve exprimée par certains, l'opposition ayant voté contre. C'est un fait qu'il n'était pas inutile de rappeler...
M. Jean Chérioux. C'est intéressant !
M. Alain Lamassoure, ministre délégué. ... et qui tend à relativiser certains propos parfois outranciers tenus sur les travées de gauche. (Très bien ! sur les travées de l'Union centriste, des Républicains et Indépendants et du RPR. - Protestations sur les travées socialistes.)
M. Alain Gournac. Juste rappel !
M. Jean Chérioux. Ils sont amnésiques !
M. Alain Lamassoure, ministre délégué. Le projet de budget pour 1997 que j'ai préparé et que M. Jean Arthuis et moi-même avons fait adopter par le conseil des ministres ne comportait, quant à lui, aucune modification du régime de l'impôt de solidarité sur la fortune si ce n'est l'indexation annuelle du barème sur la hausse des prix.
L'Assemblée nationale n'a pas souhaité non plus apporter des modifications en la matière. Or plusieurs amendement sont aujourd'hui soumis au Sénat.
Je précise d'emblée que le Gouvernement est défavorable aux amendements n°s I-167 et I-61 puisqu'ils tendent à accroître de façon excessive le barème de l'impôt de solidarité sur la fortune.
S'agissant des amendements identiques n°s I-281 et I-277 rectifié bis , je note que la commission et M. Diligent souhaitent poser à nouveau le problème. Il est en effet certain que le déplafonnement de l'ISF a provoqué une fuite des capitaux et des contribuables dont on ne peut mesurer l'ampleur mais dont la réalité est incontestable.
C'est dans ces conditions que la commission des finances a été conduite à déposer un amendement, sur lequel le Gouvernement est prêt à s'en remettre à la sagesse du Sénat à trois conditions.
La première condition - et je rejoins notamment les propos tenus par M. Fourcade - est liée au maintien de la majoration exceptionnelle de 10 %.
Deuxième condition : l'amendement doit avoir pour seul effet de revenir à l'état de droit antérieur à 1993, c'est-à-dire au plafonnement, tel qu'il a été défini par la majorité précédente. Les représentants de celle-ci me semblent donc mal fondés à le critiquer.
Troisième condition : le Sénat doit accepter un amendement complémentaire que le Gouvernement déposera dans quelques instants et qui tend à la fois à trouver une contrepartie financière au manque à gagner entraîné par l'amendement de la commission et, en même temps, à lutter contre l'évasion des capitaux ou des personnes, ce qui est notre objectif à tous.
Cet amendement, que j'aurai l'honneur de présenter tout à l'heure, a pour objet d'imposer les plus-values d'échange de titres réalisées par les personnes physiques lors du transfert du domicile à l'étranger, en cas de remboursement ou d'annulation des titres reçus en échange.
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. Très bien !
M. Alain Lamassoure, ministre délégué. Autrement dit, ces deux dispositions ont une logique : d'un côté, on supprime une disposition qui peut encourager la fuite des capitaux ; de l'autre, on introduit une disposition qui pénalise cette même fuite.
Sous réserve que ces trois conditions soient acceptées par le Sénat, le Gouvernement est prêt à s'en remettre à la sagesse du Sénat et à lever le gage puisque les compensations financières résulteraient de l'amendement gouvernemental.
Si le Sénat en décide ainsi, le régime de l'impôt de solidarité sur la fortune, en 1997, serait à la fois plus rigoureux, dans la mesure où il serait complété par l'amendement du Gouvernement et assorti de la majoration de 10 %, et plus intelligent, d'un point de vue économique, que celui qui existait en 1992. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président. Monsieur le ministre, dans ces conditions, demandez-vous la réserve de ces amendements ?
M. Alain Lamassoure, ministre délégué. Non, monsieur le président.
M. le président. Et le gage ?
M. Alain Lamassoure, ministre délégué. Il est levé.
M. le président. Il s'agit donc des amendements n°s I-281 rectifié et I-277 rectifié ter.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° I-167.
M. Michel Rufin. Je demande la parole contre l'amendement.
M. le président. La parole est à M. Rufin.
M. Michel Rufin. Je veux saisir cette occasion pour répondre aux propos tenus voilà quelques instants par nos honorables collègues socialistes.
En effet, certains d'entre eux ont fait l'apologie du socialisme, critiquant avec véhémence la conception que nous avions, nous, membres de la majorité, de la liberté.
M. Jean-Louis Carrère. La liberté des riches, oui !
M. Michel Rufin. A l'examen des événements qui se sont déroulés voilà quelque temps en Europe centrale, notamment dans l'ex-URSS, nous sommes en droit de nous étonner, de les voir tourner ainsi le dos à l'Histoire. (Exclamations sur les travées socialistes ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
Pour moi, le socialisme est une démagogie suicidaire, un mélange de bêlement, humanitaire, et hargneuse tyrannie, une impuissance à créer, où que ce soit, une économie, une aptitude à vider les caisses publiques et privées,... (Nouvelles protestations sur les mêmes travées.)
M. Jean-Luc Mélenchon. Alors là ! vous êtes bien placé !
M. Michel Rufin. ... une incohérence tant sur le plan intérieur que sur le plan extérieur...
M. Alain Richard. Je suis sûr que la majorité est fière d'avoir de tels orateurs !
M. Michel Rufin. Socialisme, c'est le culte...
M. Jean-Louis Carrère. C'est vous le culte !
M. Michel Rufin. ... d'un monde froid dans lequel se délitent l'autonomie et la dignité de la personne humaine, qu'on prétend défendre.
Rappelez-vous, mes chers collègues, que l'égalité totale est antinaturelle et utopique. En créant des pauvres, on ne fait pas de riches, ainsi que le déclarait Abraham Lincoln. Les quatorze ans de pouvoir socialiste nous ont laissé un goût amer. C'est la raison pour laquelle je ne puis voter l'amendement n° I-167. (MM. Balarello et Marini applaudissent)
M. Alain Richard. Vifs applaudissements.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° I-167, repoussé par la commission et par le Gouvernement.
(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° I-61.
M. Jean-Pierre Masseret. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Masseret.
M. Jean-Pierre Masseret. Je tiens à répondre brièvement à notre collègue M. Rufin qui a fait une description apocalyptique et naturellement non conforme à la réalité du mouvement socialiste.
Je tiens, tout d'abord, à lui rappeler que l'effondrement du mur de Berlin remonte à sept ans. Il conviendrait donc d'adapter la réflexion à la réalité européenne d'aujourd'hui. Qui plus est, cette caricature est effrayante : ou bien elle est le fruit de l'émotion à ce point du débat, et nous pouvons alors excuser certains propos, ou bien il s'agit de paroles réfléchies, et là, véritablement, une véritable question est posée.
En effet, cette agression verbale, si elle dissimule la véritable pensée, est inquiétante et inadmissible. Le socialisme, nous le savons tous - je ne veux pas faire une longue démonstration - est, au contraire, fondé sur le respect des valeurs, la dignité de l'homme, les principes de liberté, d'égalité et de fraternité, ainsi que sur le sens de la solidarité et de la justice. Voilà ce qu'est le socialisme !
Je me demande si ce n'est précisément pas cela qui vous gêne. En ce cas, nous ne sommes pas au bout de nos divergences ! Pour l'instant, s'agissant de l'article 13, qui illustre précisément nos différences, je demande au Sénat de voter l'amendement n° I-61, qui est un texte de justice fiscale et sociale. (Très bien ! et applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° I-61, repoussé par la commission et par le Gouvernement.
(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. Je vais mettre aux voix les amendements identiques n°s I-281 rectifié et I-277 rectifié ter, sur lesquels je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe socialiste.
M. François Gerbaud. Le groupe du Rassemblement pour la République a également demandé un scrutin public !
M. le président. Je regrette, monsieur Gerbaud, mais j'ai été saisi par votre groupe d'une demande de scrutin public sur l'article 13.
M. François Gerbaud. C'est une erreur ! Je rectifie cette demande.
M. le président. Je suis quelque peu embarrassé, car cette demande de scrutin public sur l'article 13 est signée par M. Gérard Larcher, qui n'est pas présent en cet instant dans l'hémicycle. Je vous interroge, mes chers collègues.
MM. Jean Chérioux et Henri de Raincourt. Nous acceptons cette rectification.
M. le président. Soit !
Mme Marie-Claude Beaudeau. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à Mme Beaudeau.
Mme Marie-Claude Beaudeau. Chacun comprendra les raisons qui nous amènent à voter contre ces deux amendements identiques. En effet, tout au long de l'examen des articles de la première partie de la loi de finances, nous avons exprimé notre sentiment sur toutes les propositions émanant de la majorité sénatoriale et tendant à alléger l'impôt sur la fortune.
Monsieur le ministre, tout à l'heure, vous vous êtes félicité du débat qui est intervenu entre certains de nos collègues et, en ce qui concerne le groupe communiste républicain et citoyen, vous avez cru bon de vous reporter à un débat au cours duquel, selon vous, j'aurais voté contre le déplafonnement de l'impôt sur la fortune. Personne ne vous croira, monsieur le ministre ! En effet, mon groupe - tout particulièrement moi-même - est toujours à la pointe s'agissant de la défense des plus démunis et de l'abolition de certains privilèges.
J'ai effectivement voté contre l'article...
M. Alain Lamassoure, ministre délégué. ... qui instituait le système !
Mme Marie-Claude Beaudeau. Pas du tout ! J'ai voté contre l'article ! Vous pouvez vous reporter au Journal officiel ! D'ailleurs, je l'ai sous les yeux : il est clair que nous avons voté pour le déplafonnement et non pas contre. Par conséquent, ce que vous avez dit est inexact, et je me devais de le souligner. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur les travées socialistes.)
Un sénateur du RPR. Modifiez le Journal officiel !
M. Michel Caldaguès. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Caldaguès.
M. Michel Caldaguès. Mon explication de vote sera très brève.
A ceux qui hésiteraient à voter le dispositif de la commission des finances, je dirai qu'ils y sont nécessairement conduits s'ils veulent éviter aux quatre cents assujettis intéressés la tentation de voter socialiste pour revenir à l'état de choses antérieur ! (Exclamations sur les travées socialistes, ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. Claude Estier. Il y a peu de chances !
M. Michel Caldaguès. Et s'il s'en trouvait parmi eux pour céder à cette tentation, ils seraient en bonne compagnie, car la gauche caviar ne manque pas de valeureux camarades gorgés d'argent ! (Rires et applaudissements sur les travées du RPR.)
M. Michel Charasse. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Charasse.
M. Michel Charasse. Tout à l'heure, notre collègue et ami Alain Richard a rappelé, dans des termes excluant toute passion, dans quelles circonstances nous avons, ensemble, institué autrefois ce plafonnement. Je dis « ensemble » parce qu'il était alors le rapporteur général du budget à l'Assemblée nationale et que j'étais le ministre qui présentait et défendait cette mesure.
Cette disposition faisait partie d'un ensemble, la réforme de la fiscalité de l'épargne, rendue nécessaire par l'instauration de la libre circulation des capitaux au 1er janvier 1990. D'ailleurs, je le rappelle, la France a appliqué la libre circulation avec six mois d'avance, puisque l'accord européen - M. Lamassoure le connaît bien, lui qui, à l'époque, suivait cette question de très près au Parlement européen - avait prévu la date du 1er juillet 1990 ; mais les Etats avaient la possibilité de l'anticiper, ce que nous avions fait. Je me souviens que, à l'époque, cette décision avait fait l'objet d'un consensus, notamment au sein de cette assemblée. Je ne reviens donc pas sur ce point.
Je n'ai pas l'intention de prononcer des anathèmes, de renvoyer les uns contre les autres. Je ferai simplement deux ou trois observations pour expliquer les raisons pour lesquelles je ne voterai pas ces amendements.
L'année dernière, mes chers collègues, il s'agissait de sanctionner la fraude. En réalité, la mesure de suppression que nous avons alors votée avait pour objet de tirer les conséquences d'un certain nombre d'observations, et elle paraissait de nature à éviter certaines « anomalies ».
Mais, cette année, en faisant marche arrière, on rend des armes à la fraude ! On nous demande quasiment de nous coucher devant elle. D'autant qu'on ne nous propose aucune vraie mesure pour l'endiguer - même si M. le ministre nous a annoncé un amendement du Gouvernement, qui sera examiné tout à l'heure. On ne nous propose, dis-je, aucune vraie mesure qui serait la contrepartie, si petite soit-elle, du retour au plafonnement. Si nous avions à la fois le retour au plafonnement et des mesures pour empêcher les anomalies et les fraudes qui nous avaient conduits, l'an dernier, à supprimer ce plafonnement, les amendements seraient logiques et équitables ! Mais, là, nous cédons à la fraude !
J'ajoute, monsieur le rapporteur général, sans vous soupçonner de quoi que ce soit - vous connaissez l'estime que j'ai pour vous - ...
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. A juste titre !
M. Michel Charasse. ... que votre amendement devrait logiquement rapporter de l'argent. En effet, si, comme on nous le dit, des fortunes ont fui pour ne pas être imposées, à partir du moment où elles le seront moins, elles vont rentrer, et l'amendement devrait donc rapporter de l'argent. Aussi, je m'étonne qu'il soit gagé ! (Sourires.) En tout cas, c'est une observation que les collaborateurs de M. le ministre feraient bien de prendre en considération pour l'équilibre final qui nous sera proposé !
M. Alain Lambert, rapporteur général. Il faudrait travailler sur l'abus de droit !
M. Michel Charasse. Moi aussi, j'ai pensé à l'abus de droit, monsieur le rapporteur général ! C'était, au fond, ce qui venait d'abord à l'esprit lorsqu'on nous énumérait, l'année dernière, les « anomalies » qui avaient conduit le Sénat, après d'autres, à envisager la suppression du plafonnement. Mais je ne sais pas comment appliquer les abus de droit à des gens qui ne sont plus imposables en France et qui embarquent tout à l'étranger, alors qu'ils en ont parfaitement le droit ! Ce n'est pas si simple que cela !
Mme Hélène Luc. Eh oui !
M. Michel Charasse. Je ne veux pas croire, mes chers collègues, qu'il n'y ait rien d'autre à faire que de toujours céder aux comportements des puissants, ces comportements insupportables, égoïstes et provocateurs, dans une France dont le tissu social se déchire et dont l'âme la plus intime est minée par l'exclusion, la fracture sociale et le malheur de tant des nôtres.
N'y aurait-il, mes chers collègues, que ce seul motif de ne pas céder à la fraude, de ne pas s'incliner devant elle, et mon bulletin de vote ne serait-il que la seule arme dont je dispose que je m'en voudrais de ne pas faire valoir l'argument et de ne pas utiliser ce bulletin ! J'aurais le sentiment de manquer à l'idée que je me fais de ce qu'il faut entreprendre aujourd'hui pour préserver ce qui peut encore l'être de l'unité du pays et de l'idée européenne.
Voilà pourquoi je voterai contre ces amendements. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. Jacques Habert. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Habert.
M. Jacques Habert. Témoins de ce débat, nous devons tous nous féliciter de sa très bonne tenue et de sa remarquable élévation.
Il est rare de voir dans les assemblées parlementaires - mais c'est, il est vrai, assez souvent le cas au Sénat - une discussion qui se poursuit pendant plus d'une heure et demie de façon à la fois concrète et passionnée, mais, pourtant, qui ne cesse pas de demeurer courtoise. Les idées, les philosophies et les espoirs qui sous-tendent l'action des uns et des autres, dans la majorité comme dans l'opposition, ont pu clairement s'exprimer.
Les amendements identiques présentés par la commission des finances et par M. Diligent m'apparaissent judicieux. Il convient, en effet, de mettre fin à une situation qui s'est avérée déplorable depuis l'année dernière.
MM. Lambert, Fourcade et Diligent nous en ont bien expliqué les raisons et montré les conséquences. Une trop lourde taxation a fait fuir les capitaux vers l'étranger, et, plus grave encore, en France, des entreprises qui méritaient de vivre en ont été empêchées par des impositions exagérées.
Il fallait revenir sur ces mesures, c'est évident. L'initiative prise par le rapporteur général peut donc être approuvée. Mais une question se pose : ne court-on pas le risque qu'elle soit mal perçue dans le pays ?
M. Diligent lui-même a qualifié cet amendement de « provoquant ». J'imagine déjà les grands titres dans les journaux de demain ! Il sera difficile de faire comprendre à l'opinion les raisons pour lesquelles nous réduisons l'impôt de solidarité sur la fortune à un moment où la majorité de la population est accablée de dispositions fiscales et administratives des plus contraignantes.
Sur ce point, les réserves formulées par M. Cabanel sont partagées par une partie des membres de notre groupe. C'est pourquoi elle s'abstiendra sur ces deux amendements tout en reconnaissant leur intérêt. Cependant, la majorité des sénateurs non inscrits suivra la recommandation de la commission des finances et votera les deux amendements identiques n°s I-281 rectifié et I-277 rectifié ter .
Permettez-moi d'ajouter, monsieur le ministre, en tant que représentant des Français de l'étranger, que j'aurais aimé avoir à l'avance le texte de l'amendement que le Gouvernement se propose de présenter et auquel il conditionne, en quelque sorte, notre vote. En effet, si j'ai bien compris, il risque de frapper particulièrement un certain nombre de nos compatriotes partant à l'étranger.
Pour ma part, en l'absence de cet élément d'information, il m'est difficile de me prononcer.
M. le président. Monsieur Habert, l'amendement n° I-285 a été mis en distribution ce matin.
M. André Diligent. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Diligent.
M. André Diligent. M. Charasse a raison de souligner que nous ne disposons d'aucune donnée chiffrée. Pourtant, il y a des ordinateurs ! Ou alors il faut organiser une quête pour en payer un à Bercy ! Il est quand même incroyable que l'on ne puisse pas obtenir rapidement des rapports sur les incidences des différentes solutions envisagées : abattement, suppression d'abattement... En tout cas, je souhaite que, dans les mois à venir, le Gouvernement nous communique des chiffres sur le sujet. On verra alors qui avait raison !
Personnellement, aucune audace ne me fait peur, tant qu'elle ne casse pas les ressorts de l'économie ! Tout est là ! Faire payer les riches, d'accord ! Il s'agit d'un vieux slogan communiste.
Mme Hélène Luc. C'est un bon slogan !
M. André Diligent. Encore faut-il un avoir sous la main !
Un sénateur du RPR. Oui, encore faut-il qu'il y en ait !
Mme Hélène Luc. Ce n'est pas seulement un slogan, c'est de la justice sociale !
M. André Diligent. Je suis d'un pays lainier : les paysans tondent les moutons chaque année et la laine repousse. Mais quand le mouton est parti dans le champ du voisin, plus de récolte de laine.
Faire payer les riches, d'accord, mais il faut empêcher une plus grande hémorragie d'emplois vers les pays voisins. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix les amendements identiques n°s I-281 rectifié et I-277 rectifié ter, pour lesquels le Gouvernement s'en remet à la sagesse du Sénat.
Je suis saisi de deux demandes de scrutin public émanant, l'une, du groupe socialiste et, l'autre, du groupe du Rassemblement pour la République.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions réglementaires.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?...
Le scrutin est clos.
(Il est procédé au comptage des votes.) M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 37:
Nombre de votants | 317 |
Nombre de suffrages exprimés | 304 |
Majorité absolue des suffrages | 153 |
Pour l'adoption | 207 |
Contre | 97 |
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 13, ainsi modifié.
M. Claude Estier. Le groupe socialiste vote contre.
(L'article 13 n'est pas adopté.) - (Applaudissements et exclamations sur les travées socialistes ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen. - Vives protestations sur les travées du RPR.)
M. Alain Richard. La lutte paie !
M. Alain Vasselle. Il y a doute !
M. le président. Absolument pas ! (Protestations sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. Claude Estier. Nombre d'entre vous n'ont pas voté !
Mme Danielle Bidard-Reydet. Ils n'étaient pas convaincus !
M. Alain Vasselle. Nous demandons que le Sénat se prononce par assis et levé !
M. le président. Aux termes du règlement, le Sénat se prononce par assis et levé lorsqu'il y a doute. Or, en l'occurrence, il n'y avait absolument aucun doute.
M. Charles Revet. Ce n'est pas sérieux ! Il suffit de compter !
M. le président. J'ai compté, le mettriez-vous en doute ?
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. Absolument pas !
M. Alain Richard. Mettez cela au frigo pour une seconde délibération !
M. Alain Vasselle. Monsieur le président de la commission des finances, faites un rappel au règlement pour obtenir une rectification du vote ! (Exclamations sur les travées socialistes ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. Alain Lambert, rapporteur général. Lisez le règlement, mon cher collègue.
M. le président. Il existe des procédures permettant de revenir sur un vote. S'il doit en être usé, il en sera usé.
M. Michel Charasse. Il y aura une seconde délibération !
Articles additionnels après l'article 13