ACCORD SUR LA COOPÉRATION
TRANSFRONTALIÈRE
Adoption d'un projet de loi
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi (n° 503, 1995-1996)
autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République
française, le Gouvernement de la République fédérale d'Allemagne, le
Gouvernement du Grand-Duché de Luxembourg et le Conseil fédéral suisse,
agissant au nom des cantons de Soleure, de Bâle-Ville, de Bâle-Campagne,
d'Argovie et du Jura, sur la coopération transfrontalière entre les
collectivités territoriales et organismes publics locaux (ensemble une
déclaration). [Rapport n° 20 (1996-1997).]
Dans la discussion générale, la parole est à Mme le secrétaire d'Etat.
Mme Margie Sudre,
secrétaire d'Etat chargé de la francophonie.
Monsieur le président,
monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, l'accord entre le
Gouvernement de la République française, le Gouvernement de la République
fédérale d'Allemagne, le Gouvernement du Grand-Duché de Luxembourg et le
Conseil fédéral suisse, agissant au nom des cantons de Soleure, de Bâle-Ville,
de Bâle-Campagne, d'Argovie et du Jura, sur la coopération transfrontalière
entre les collectivités territoriales et organismes publics locaux, fait à
Karlsruhe le 23 janvier 1996, trouve sa raison d'être dans la volonté d'asseoir
la coopération transfrontalière, qui ne cesse de se développer, à différents
niveaux et sous diverses formes, sur une base juridique fiable. Il concerne une
zone de quatre cents kilomètres de diamètre dans le centre de l'Europe de
l'Ouest, ce qui est sans précédent.
La nécessité d'une telle démarche avait été évoquée lors du sommet
franco-allemand de Bonn des 29 et 30 novembre 1994, qui avait posé le principe
d'un accord bilatéral. Celui-ci, qui a été paraphé le 3 mai 1995 à Paris, s'est
révélé d'un tel intérêt pour nos voisins luxembourgeois et suisses qu'il a fait
l'objet d'une extension : au Luxembourg, qui l'a paraphé le 23 octobre 1995, et
à la Suisse, qui l'a paraphé à Berne le 14 décembre 1995.
Cet accord quadripartite s'appuie sur la convention-cadre relative à la
coopération transfrontalière entre collectivités territoriales signée à Madrid
le 21 mai 1980. Il détermine, à l'article 2, le champ d'application
géographique et institutionnel de chacune des parties contractantes qui relève
du domaine transfrontalier : toutes les collectivités locales sont concernées
par l'accord ainsi que les organismes publics locaux, expression qui désigne
pour la France les établissements publics territoriaux, pour l'Allemagne des
organismes ayant un statut local, pour les cantons suisses les établissements
publics juridiquement autonomes.
L'instrument juridique de la coopération transfrontalière est la « convention
de coopération » passée par les collectivités locales intéressées - article 3 -
qui définit par son objet le domaine de la coopération décentralisée :
coordonner des décisions, réaliser et gérer ensemble des équipements ou des
services publics d'intérêt local commun et création à ces fins d'organismes
ad hoc
. A la suite sont fixées les règles applicables aux conventions -
article 4 - au mandat, délégation et concession de service public - article 5 -
à la passation de marchés publics en exécution de conventions - article 6.
Dans l'article 7, est établie la responsabilité des parties. Les Etats
souverains - France, Allemagne, Luxembourg, Confédération helvétique - ne sont
pas responsables des obligations contractuelles découlant des conventions qui
engagent seulement les collectivités territoriales ou les organismes publics
locaux signataires.
Les articles les plus novateurs de l'accord concernent la création
d'organismes de coopération transfrontalière - article 8 - les dispositions qui
leur sont applicables variant selon qu'ils ont - article 10 - ou non - article
9 - la personnalité juridique, notamment la possibilité de fonder un «
groupement local de coopération transfrontalière » - articles 11 à 15 - dont la
forme juridique devra être précisée par les ministères de l'intérieur et de la
réforme administrative, de la fonction publique et de la décentralisation. Il
s'agit d'un maître d'ouvrage tout à fait nouveau qui caractérise l'originalité
de cet accord.
On relève dans les clauses finales habituelles - articles 16 à 18 - une
particularité, à savoir celle qui vise à préserver les mesures et les
dispositions se rapportant à la coopération transfrontalière mises en oeuvre
avant un délai de cinq ans à partir de l'entrée en vigueur de l'accord.
Une déclaration finale accompagne le texte de l'accord : elle réserve les
conditions d'adaptation ultérieure à l'économie générale de l'accord de la
commission intergouvernementale franco-suisse et de la commission
intergouvernementale franco-germano-luxembourgeoise.
Cet accord devrait permettre de répondre aux attentes de l'ensemble des
collectivités locales d'Alsace et de Lorraine dans tous les domaines
frontaliers.
Ainsi, en matière d'emploi et de formation, un plus grand nombre d'emplois
transfrontaliers pourraient être créés de part et d'autre des frontières. C'est
là une priorité qui avait été évoquée lors du sommet franco-allemand de
Baden-Baden du 7 décembre 1995.
En outre, dans tous les domaines transfrontaliers - culturel, communications,
transports, environnement, etc. - la coopération commune permettrait des
économies d'échelle.
Enfin, l'accord constitue le complément transfrontalier indispensable du
dispositif législatif français, notamment sur les aspects suivants :
reconnaissance de la capacité des collectivités de la zone concernée à
coopérer, mise en place d'un cadre juridique reconnu mutuellement et définition
conjointe des limites fixées à ces opérations.
Telles sont, monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames,
messieurs les sénateurs, les principales dispositions de l'accord entre le
Gouvernement de la République française, le Gouvernement de la République
fédérale d'Allemagne, le Gouvernement du Grand-Duché de Luxembourg et le
Conseil fédéral suisse agissant au nom des cantons de Soleure, de Bâle-Ville,
de Bâle-Campagne, d'Argovie et du Jura, sur la coopération transfrontalière
entre les collectivités territoriales et les organismes publics locaux, qui
fait l'objet du projet de loi aujourd'hui proposé à votre approbation.
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Michel Alloncle,
rapporteur de la commission des affaires étrangères, de la défense et des
forces armées.
Monsieur le président, madame le secrétaire d'Etat, mes
chers collègues, l'accord quadripartite signé à Karlsruhe le 23 janvier 1996
entre la France, l'Allemagne, le Luxembourg et la Suisse permet de réaliser une
avancée supplémentaire dans le domaine de la coopération transfrontalière entre
les collectivités territoriales, qui s'est beaucoup développé ces quinze
dernières années sous le double effet de l'intégration européenne et de la
décentralisation.
Certes, un cadre juridique existe déjà. La loi de 1992 sur l'administration
territoriale et celle de 1995 sur l'aménagement du territoire ont reconnu aux
collectivités locales françaises le droit de contracter avec des collectivités
locales étrangères et la possibilité d'adhérer à des organismes étrangers.
Elles rendent également possible l'adhésion de collectivités étrangères à des
organismes français.
Une convention cadre du Conseil de l'Europe du 21 mai 1980, dite convention de
Madrid, a été ratifiée par la France en 1984. Elle est complétée par un
protocole additionnel plus précis ouvert à la signature le 2 août 1995.
L'Union européenne, pour sa part, a encouragé des projets des collectivités
frontalières dans le cadre du programme INTERREG.
L'accord quadripartite de Karlsruhe, dont nous discutons aujourd'hui, n'a pas
pour objet de mettre en oeuvre une action ou un projet particulier de
coopération. Il laisse une totale liberté d'initiative aux collectivités
locales, tout en créant un cadre juridique propice à leur réalisation.
Il permet de compléter le dispositif déjà en vigueur dans notre droit interne
pour bien l'adapter à la coopération transfrontalière avec les collectivités
locales des autres pays ; surtout, il crée un nouveau type d'organisme, le
groupement local de coopération transfrontalière, dont on peut penser qu'il
sera plus approprié et plus efficace que les organismes déjà existants.
L'accord concerne toutes les collectivités françaises incluses dans les
régions Alsace et Lorraine, ainsi que les collectivités voisines du Luxembourg,
d'Allemagne et de Suisse. Il s'agit donc, côté français, de la zone frontalière
qui s'étend de Longwy à Mulhouse.
S'agissant des organismes de coopération, l'accord rappelle qu'une
collectivité ne peut adhérer à un organisme étranger qu'après avoir obtenu
l'autorisation préalable éventuellement requise par le droit interne. Il
permettra à des collectivités étrangères d'adhérer, en France, à des
établissements publics locaux, et non plus seulement à des groupements
d'intérêt public ou à des sociétés d'économie mixte. Cette possibilité ne sera
plus réservée aux collectivités relevant de l'Union européenne puisqu'elle sera
également ouverte aux collectivités suisses.
L'innovation principale de l'accord de Karlsruhe réside dans la possibilité de
créer des organismes de type nouveau, les groupements locaux de coopération
transfrontalière, qui seront plus adaptés aux besoins des collectivités locales
que les organismes existant déjà en droit interne, comme les groupements
d'intérêt public ou les sociétés d'économie mixte. Dotés de la personnalité
morale et de l'autonomie budgétaire, ils seront alimentés par des contributions
obligatoires de leurs membres et, éventuellement, par des recettes
d'exploitation. Ils pourront assurer la maîtrise d'ouvrage d'une opération.
En conclusion, on peut considérer que cet accord marque une avancée très
significative pour la coopération transfrontalière, qui est de plus en plus
ressentie comme une nécessité par les collectivités locales, car elle ouvre des
perspectives à des régions qui ont longtemps souffert de leur situation
périphérique.
Dans la zone couverte par l'accord, de multiples initiatives ont déjà été
prises par des collectivités locales : je citerai non seulement la conférence
du Rhin supérieur, le district des trois frontières, mais aussi l'Euro-institut
de Kiel, ou encore les agences INFOBEST, instance d'information et de conseil
sur les problèmes transfrontaliers, installées en partenariat entre l'Alsace et
ses voisins allemands et suisses pour améliorer la résolution pratique des
problèmes frontaliers. D'autres projets, tels les projets concernant le parc
rhénan frontalier, sont en cours et pourront s'intégrer dans le cadre proposé
par l'accord de Karlsruhe.
Cet accord constitue un progrès très appréciable dans un domaine où les
différences de structures administratives, d'ordre juridique ou de régime
financier sont souvent un obstacle considérable à la mise en oeuvre de projets
extrêmement utiles.
C'est pourquoi, mes chers collègues, la commission vous propose d'approuver le
projet de loi qui vous est soumis.
M. le président.
La parole est à M. Hoeffel.
M. Daniel Hoeffel.
Monsieur le président, madame le secrétaire d'Etat, mes chers collègues,
l'excellent rapport qui vient de nous être présenté concerne un accord paraphé
en mai 1995 et signé en janvier 1996, qui est incontestablement positif et
correspond aux réalités actuelles.
Cet accord consacre tout d'abord la coopération transfrontalière : après les
accords signés avec l'Espagne et l'Italie, il concerne l'Allemagne, la
Confédération helvétique et le Grand-Duché de Luxembourg. Voilà donc un accord
réaliste, puisqu'il concerne à la fois des pays membres de l'Union européenne
et un pays qui n'en fait pas partie : la géographie l'emporte ainsi sur les
limites institutionnelles.
Par ailleurs, cet accord constitue une application pratique de la coopération
transfrontalière telle que le Sénat l'a approuvée à deux reprises : la première
fois, en adoptant le projet de loi relatif à l'administration territoriale de
la République, devenu la loi du 6 janvier 1992, et, la seconde fois, en votant
la loi d'orientation pour l'aménagement et le développement du territoire du 4
février 1995.
Enfin - vous avez d'ailleurs insisté sur ce point, monsieur le rapporteur -
cet accord donne des possibilités nouvelles aux collectivités locales pour
participer à la coopération transfrontalière. Il comporte une innovation claire
: pour la première fois dans un accord international de coopération
décentralisée, une norme juridique nouvelle apparaît ; le groupement local de
coopération transfrontalière. Ce dernier permettra incontestablement de mettre
en oeuvre concrètement des projets communs.
Dans le secteur du Rhin supérieur, la coopération transfrontalière est une
réalité depuis une vingtaine d'années. Les programmes INTERREG marquent par
ailleurs la volonté forte de l'Union européenne de concrétiser cette
coopération.
Cet accord constitue donc un atout supplémentaire pour développer cette
coopération.
Je terminerai en montrant à quel point la portée de cet accord va au-delà de
son simple aspect juridique.
En effet, cet accord est l'expression claire d'une volonté politique de bon
voisinage, en l'occurrence avec l'Allemagne, la Suisse et le Grand-Duché de
Luxembourg.
Ensuite, il prouve que la coopération transfrontalière peut et doit être l'une
des expressions de la politique de décentralisation.
Enfin, cet accord démontre que l'Europe ne se construit pas seulement à
Bruxelles ou au Parlement de Strasbourg, mais qu'elle doit aussi être vécue
quotidiennement comme une réalité concrète sur le terrain, en l'occurrence dans
les zones frontalières.
Cet accord contribue à tout cela. Que ceux qui ont participé à son élaboration
en soient remerciés de tout coeur.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et du RPR.)
M. le président.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion de l'article unique.
«
Article unique. -
Est autorisée l'approbation de l'accord entre le
Gouvernement de la République française, le Gouvernement de la République
fédérale d'Allemagne, le Gouvernement du Grand-Duché de Luxembourg et le
Conseil fédéral suisse agissant au nom des cantons de Soleure, de Bâle-Ville,
de Bâle-Campagne, d'Argovie et du Jura, sur la coopération transfrontalière
entre les collectivités territoriales et organismes publics locaux (ensemble
une déclaration), fait à Karlsruhe le 23 janvier 1996 et dont le texte est
annexé à la présente loi. »
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article unique du projet de loi.
(Le projet de loi est adopté.)
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