Audition de M. François LOGEROT,
Président de la
première chambre de la Cour des comptes.
M. le Président - Monsieur le Président, je vous souhaite la bienvenue.
M.
François LOGEROT
-
Je vous remercie infiniment.
M. le Président
-
Vous êtes une personnalité
qui vient nous rendre visite assez souvent et notre commission a beaucoup de
plaisir à travailler très régulièrement avec vous.
C'est donc avec d'autant plus de considération que nous vous accueillons
ce matin.
Comme vous le savez, notre commission est dotée des prérogatives
qui sont attribuées aux commissions d'enquête. Nous travaillons
actuellement dans le cadre d'une mission chargée de recueillir les
éléments d'information sur le fonctionnement des services de
l'Etat dans l'élaboration et dans l'exécution des lois de
finances. Nous travaillons selon une méthode pluraliste qui nous conduit
à désigner des rapporteurs émanant de tous les groupes
politiques siégeant au Sénat et plus particulièrement au
sein de notre commission des finances. Figurent donc parmi les rapporteurs, le
rapporteur général, Philippe Marini, Roland du Luart, Bernard
Angels, André Vallet, Paul Loridant et votre serviteur.
Conformément au droit en la matière, je rappelle à la fois
à la commission et à la personnalité auditionnée
que le secret doit être conservé sur les travaux non publics de
notre commission et que nous travaillerons ce matin dans le cadre de travaux
non publics, dont soumis au secret.
Je dois également rappeler à notre personnalité
auditionnée les dispositions du code pénal qui traite du faux
témoignage et qui entraînent les peines prévues aux
articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, que je dois recueillir
le serment des personnalités auditionnées, je vais donc, Monsieur
le Président, vous demander de bien vouloir prêter serment, de
dire toute la vérité, rien que la vérité, de lever
la main droite et de dire « je le jure ».
M. François LOGEROT
-
Je le jure.
M. le Président
-
Je vous remercie beaucoup.
Je vais vous donner la parole afin que vous puissiez ouvrir cette audition par
un propos introductif. Après, conformément aux usages de notre
commission, Monsieur le Rapporteur général vous posera des
questions, vous lui répondrez immédiatement. Ensuite, nous
ouvrirons la discussion à l'ensemble de la commission.
Monsieur le Président, vous avez la parole.
M. François LOGEROT
- Je vous remercie, Monsieur le
Président. Laissez-moi vous dire d'abord le plaisir que j'ai à
participer à vos travaux dans ce cadre un peu exceptionnel que vous
venez de rappeler. Je dois dire aussi que j'ai prêté ce serment
traditionnel pour une commission d'enquête avec d'autant plus de
sérénité que je me sentais déjà tenu aux
mêmes obligations par mon propre serment de magistrat.
Le fil conducteur de vos travaux, si j'ai bien compris, en tout cas en ce qui
concerne la première chambre de la Cour des comptes, est
d'apprécier comment la Cour des comptes s'acquitte de ses missions
à l'égard du ministère des finances en
général, c'est-à-dire sur le contrôle de
l'exécution des lois de finances bien entendu, mais plus
généralement, et les questions écrites que vous avez bien
voulu me transmettre en témoignent, sur le fonctionnement des services
centraux et extérieurs de ce ministère.
Ce sont de vastes sujets que je ne pourrai évidemment pas
détailler complètement dans mon propos liminaire, mais je suis
bien entendu à l'entière disposition du rapporteur
général et des autres membres de votre commission qui voudraient
approfondir certains aspects.
En introduction, je dirai seulement quelques mots sur les compétences de
la chambre, je les ai détaillées dans une des notes
écrites. Ces compétences se caractérisent par leur
diversité puisque cela part du travail, central évidemment, sur
l'exécution des lois de finances. Il y a les contrôles
juridictionnels sur les comptables supérieurs de l'Etat, qui occupent
tout de même pas loin de 20 % de notre activité, des
contrôles administratifs sur le ministère des finances et ses
prolongements comme les établissements administratifs, à la
vérité peu nombreux en ce qui concerne les finances et
également un grand nombre de contrôles sur les entreprises
publiques du secteur financier public au sens large ; cela comprend aussi
bien la Caisse des dépôts et consignations et son groupe que vous
connaissez particulièrement, Monsieur le Président, les banques
et assurances qui demeurent dans le secteur public, évidemment leur
nombre a considérablement décru, mais jusqu'à ces tous
derniers mois, nous avons eu fort à faire avec des dossiers sur le
Groupe des assurances nationales, par exemple, ou sur le Crédit Lyonnais
avant sa privatisation. Il reste dans ce secteur public, à tout seigneur
tout honneur, la Banque de France bien entendu sur laquelle nous allons
reprendre prochainement un programme de contrôle plus actif. Puis, il
reste aussi des établissements publics ou des sociétés de
défaisance dont la gestion est évidemment assez compliquée
à contrôler car elle échappe aux règles
traditionnelles de gestion des entreprises.
Une deuxième caractéristique de ces compétences, c'est la
part importante des tâches obligatoires qui représentent
pratiquement 60 % du potentiel de la chambre, d'ailleurs assez
limité puisque, je le rappelle, une chambre de la Cour comme celle-ci ne
représente qu'environ une cinquantaine de personnes directement
attachées aux contrôles.
Dans la programmation de nos tâches, j'ai fait également une note
sur ce point, nous sommes obligés de prendre en compte d'abord les
tâches obligatoires sur la loi de finances, sur les contrôles
juridictionnels, sur le contrôle alterné au rythme de quatre ou
cinq ans sur les établissements publics et entreprises publiques. Donc,
la partie des contrôles administratifs sur le fonctionnement des
services, qui sont des contrôles facultatifs, est relativement
réduite puisque je peux l'évaluer à peu près
à un quart ou 30 % du potentiel, suivant les années.
Je voudrais également très brièvement dire un mot, puisque
vous m'avez posé la question à ce sujet, sur les informations
dont dispose la Cour.
J'aurai peut-être l'occasion de préciser ces points, mais la Cour
des comptes a certes un accès total, protégé par la loi
d'ailleurs, à l'ensemble des informations comptables, celles qui doivent
lui être soumises spontanément en appui des comptes, mais
également elle a accès aux dossiers administratifs à
l'intérieur des administrations à l'occasion de ses
contrôles.
Cela dit, nous n'avons quand même pas des pouvoirs d'investigation qui
s'apparenteraient à des pouvoirs de police, c'est-à-dire que nous
n'ouvrons pas de force les tiroirs ou les armoires.
Lorsqu'on me pose la question de savoir : "Avez-vous accès aux
notes internes des ministères, celles que les directeurs font pour les
cabinets des ministres ?", je dis « oui quand on nous les remet
spontanément ou bien quand, en ayant connaissance, nous les
demandons ». En effet, à partir du moment où nous avons
connaissance de leur existence et que nous les demandons, on ne peut pas nous
les refuser.
Je connais dans l'ensemble de ma carrière trois ou quatre cas où
il a fallu que le Premier président demande à un ministre la
communication d'un document et même dans un cas se déplace
personnellement chez le ministre pour l'obtenir, mais ces cas sont assez rares.
Dans l'activité de contrôle, il doit y avoir une certaine
atmosphère entre le contrôleur et le contrôlé non pas
de connivence, mais de respect mutuel et d'un minimum de coopération
pour que l'information vienne à nous même quand nous ne pouvons
pas toujours à l'avance détecter des documents qui seraient
intéressants.
Je diviserai mon propos en deux parties en essayant d'être le plus concis
possible, tout naturellement en parlant d'abord des contrôles sur
l'exécution des lois de finances, et ensuite des autres contrôles
sur le fonctionnement des services du ministère des finances.
S'agissant de l'exécution des lois de finances, ce travail
présente quelques caractéristiques qui se sont d'ailleurs un peu
renouvelées dans la période récente. En effet, avec
l'accélération de la production des comptes, dont on doit
d'ailleurs se féliciter et qui nous permet maintenant de déposer
notre rapport à la fin du premier semestre et, je l'espère, cette
année en même temps la déclaration générale
de conformité, notre travail est pris dans un délai très
court de quatre mois, entre début février et fin mai. Nous ne
nous en plaignons pas compte tenu de l'objectif poursuivi, mais c'est une
contrainte forte de toutes nos équipes.
A la fois la première chambre, une vingtaine de personnes, et dans les
autres chambres, les rapporteurs particuliers de toutes les notes
d'exécution des budgets ministériels, c'est-à-dire au
total à peu près 50 magistrats et rapporteurs, dans cette
période de l'année, ont une priorité essentielle qui est
d'aboutir à rassembler les éléments de notre rapport de
synthèse.
Un autre élément, assez nouveau, est que de plus en plus nos
rapporteurs essayent dans ce court laps de temps de procéder à
des enquêtes plus approfondies et notamment des enquêtes sur place
car tout n'est pas dans les documents généraux qu nous sont
produits.
Par contre, une caractéristique demeure et s'est presque
renforcée, c'est qu'il n'est pas question dans ce court laps de temps de
faire, comme je l'ai dit déjà à la commission il y a
quelque temps, un contrôle détaillé même par sondage
des opérations décrites dans les budgets ministériels. Ne
serait-ce que parce que les pièces justificatives ne sont pas encore
rassemblées par les services de la comptabilité publique pour
être délivrées à la Cour sur un rythme trimestriel.
Pour pallier cet inconvénient, nous essayons de faire des enquêtes
sur place dans les postes comptables et tout particulièrement à
la Paierie générale du Trésor ou à l'Agence
comptable centrale du Trésor pour contrôler sur place un certain
nombre de pièces, notamment sur les opérations de fin de gestion
sur lesquelles je reviendrai tout à l'heure, du fait que nous n'avons
pas encore accès direct à ces pièces.
Dernier point plus nouveau depuis quelques années, notre tendance est
à enrichir le rapport qui est un document de référence,
c'est-à-dire où les parlementaires et également les gens
de la presse, les conseillers qui veulent s'y intéresser, trouveront
l'ensemble des références sur l'exécution des lois de
finances. Dans cette masse d'informations financières qui est
quelquefois un peu touffue, -mais quand nous essayons de la réduire, il
arrive que les administrateurs des commissions de finances nous disent :
"C'est bien dommage, cette année, nous ne trouvons pas ceci, nous ne
trouvons pas cela"-, donc, nous ne pouvons guère réduire. Nous
essayons d'enrichir, d'une part, en faisant ressortir mieux les observations
que la Cour a définitivement retenues sur des problèmes de fond,
et, d'autre part, en assortissant le rapport lui-même d'un certain nombre
de monographies sur l'exécution d'un budget ministériel sur
plusieurs années. Nous en produisons plusieurs chaque année. Cela
nous permet et vous permet d'avoir une vue cavalière sur plusieurs
années de l'évolution d'un budget.
Parmi les questions importantes qui sont abordées d'ailleurs dans votre
questionnaire figure un des aspects qui a retenu notre attention depuis
quelques années, c'est celui du contrôle des opérations de
fin de gestion.
En effet, nous avons constaté dans toutes ces années
récentes que les gouvernements quels qu'ils soient ont le souci de
piloter le résultat final d'exécution de la loi de finances dans
des proportions importantes. Evidement, ce souci a coïncidé avec la
question de la qualification de la France pour l'accès à la
monnaie européenne et a coïncidé aussi avec une situation
difficile, que le Sénat connaît bien, des finances publiques en
général dans la période 1993-1997.
Qu'avons-nous constaté ?
Nous avons constaté une situation extrêmement contrastée
selon les années. Jusqu'en 1997 à peu près, le
problème était de peser au maximum sur le déficit final,
ce qui a donné lieu à des reports de charges importants, par
exemple, 28 milliards de francs selon une estimation de la Cour en 1995,
de ponctionner le plus possible sur les trésoreries d'organismes
extérieurs à l'Etat, de procéder à des
régulations budgétaires brutales, parfois un peu aveugles qui ont
pour effet quelquefois de désorganiser et de démotiver surtout
les responsables des administrations.
Au contraire, depuis les trois dernières années, avec une
amélioration relative des finances publiques, nous avons assisté
à des reports de recettes sur l'exercice suivant, notamment des reports
de recettes non fiscales que nous évaluons, pour 1999 par exemple,
à environ 18 milliards de francs, mais ce point est encore en cours
de contradiction avec les services du ministère des finances, donc
j'avance ce chiffre avec prudence, et au recours à d'autres moyens
encore. Par exemple en 1998, la Cour a relevé et a critiqué le
fait que les recettes tirées de la privatisation du groupe GAN ne soient
pas remontées du tout au budget de l'Etat. Il y en avait pour
25 milliards de francs.
De nouveau, cette année, nous avons constaté ces
phénomènes. Nous avons également constaté un
phénomène plus nouveau qui ne repose pas à notre
connaissance sur un pilotage volontaire du résultat, mais sur des
difficultés administratives, jusqu'à preuve du contraire. C'est
le gonflement des comptes d'imputation provisoire.
En comptabilité générale, un compte d'imputation
provisoire doit être soldé au 31 décembre. Dans le cas
de l'Etat, l'imprécision des règles fait que ces comptes
d'imputation provisoire non seulement existent, mais ne sont pas vidés
au 31 décembre. Nous avons constaté qu'en 1999 les
imputations provisoires de recettes fiscales ont grossi dans des proportions
importantes alors que les comptes d'imputation provisoire de dépenses
étaient à un niveau plus bas. Ce qui fait que, si par
hypothèse, au 31 décembre, tous ces comptes avaient pu
être vidés et les recettes et dépenses
réaffectées dans les comptes budgétaires, puisque pour
l'instant elles sont dans des comptes de bilan, le déficit
budgétaire se serait trouvé mécaniquement réduit
par rapport à ce qu'il était en définitive.
Je ne peux pas encore avancer devant vous aujourd'hui un chiffre sur ce point
puisque nous sommes en train de procéder à ces
vérifications détaillées, mais le phénomène
nous paraît à la fois inquiétant et nouveau par son
ampleur.
Pour quelle raison y a-t-il ces phénomènes de pilotage ?
Il appartient au Sénat d'apprécier les raisons politiques ;
les raisons techniques existent. C'est l'imprécision des textes relatifs
à la comptabilité de l'Etat, notamment des règles de
rattachement des opérations pendant la période
complémentaire d'un mois qui fait qu'en quelque sorte on arrête la
pendule le 31 décembre à minuit. Des opérations
jusqu'au 28 janvier, dans certaines conditions, peuvent être
raccrochées à l'exercice précédent ; mais,
dans cette période de trois semaines ou d'un mois, certaines
opérations, notamment en recettes mais également en
dépenses, peuvent être soit rattachées à l'exercice
finissant, soit au contraire comptabilisées dans l'exercice nouveau.
Dans notre rapport préliminaire qui vous a été
adressé il y a quelque temps, nous avons relevé quelques cas
particulièrement éclairants en ce sens. Nous estimons que
l'existence de cette journée complémentaire crée une zone
d'incertitude, un risque d'opacité plus particulièrement à
l'égard du Parlement sur les conditions dans lesquelles se clôt
l'exercice budgétaire.
Pour autant, probablement ne faut-il pas empêcher un gouvernement de
piloter un résultat, d'autant plus que, dans le courant de l'exercice
budgétaire, il y a des événements nouveaux. Mais nous
pensons qu'il faudrait s'y prendre autrement. Par exemple, en prenant une
véritable loi de finances rectificative dans le cours de l'exercice et
non pas dans les tous derniers jours. Nous savons que les trois quarts à
peu près des crédits ouverts en lois de finances rectificatives
ne sont pas utilisés et se trouveront reportés à
l'exercice suivant, car la loi de finances rectificative paraît le 30 ou
31 décembre.
De même, s'il s'agit de réguler la dépense en cours
d'année, faudrait-il faire appel à d'autres mécanismes
comme, par exemple, l'instauration de crédits conditionnels dont le
Parlement pourrait apprécier à la fois le volume et les
destinations finales, le gouvernement restant maître à
l'intérieur de cette opération globale de mettre en jeu ou non
ces crédits.
Nous pensons que d'autres procédés pourraient permettre d'avoir
une certaine maîtrise du résultat mais dans des conditions plus
claires, notamment vis-à-vis du Parlement.
J'en viens maintenant, et je serai assez bref aux constatations d'ensemble de
la Cour sur le fonctionnement des services centraux et extérieurs du
ministère des finances.
J'ai fait une note plus détaillée à ce sujet, mais je
voudrais d'abord bien dire que, si le rôle de la Cour est naturellement
critique, -il est rare que la Cour décerne des satisfecit-, je crois
pouvoir dire pour ne pas y revenir que l'on ne peut pas
méconnaître que le ministère des finances, globalement,
assure ses missions avec efficacité. La recette fiscale rentre. Le
service pour les collectivités territoriales est assuré. Le
contrôle de régularité de la dépense publique est
globalement assuré.
Cela dit, ce pourrait être fait dans de meilleures conditions
d'économie, de clarté et de bonne gestion.
Il est difficile de résumer en quelques phrases les observations que
nous avons pu accumuler au cours des années, notamment dans nos derniers
contrôles. Dans la note que je vous ai remise, j'essaye de regrouper ces
observations selon trois volets que je vais très rapidement citer.
Premièrement, c'est un ministère qui dispose d'une relative
aisance budgétaire. Pour des raisons que le Sénat connaît
bien, l'existence de sources de crédits soit par fonds de concours, soit
par ressources totalement extrabudgétaires, est importante puisque, bon
an, mal an, elle aboutissait à augmenter d'un bon quart ou d'un bon
tiers même les recettes votées par le Parlement.
Cette situation est en train de se modifier puisque les crédits
d'articles, soit 11 milliards de francs, ont été
intégrés en 1999 et la rebudgétisation des fonds
extrabudgétaires est en cours. Il reste encore des sommes importantes
à budgétiser, notamment toutes les sommes que le réseau du
Trésor public retire de la fonction épargne, environ
1,2 milliards de francs consacré au fonctionnement, dont les 2/3
pour les rémunérations.
Cette aisance budgétaire se traduit par une sous-consommation assez
étonnante. En 1999, le taux de consommation des crédits de ce
ministère, dont le budget est essentiellement de fonctionnement, c'est
90 % et même pour le titre III, c'est-à-dire le titre
des dépenses de fonctionnement proprement dit, 92 %. Donc, on peut
s'interroger sur le bon calibrage des moyens budgétaires accordés
au Ministère des Finances.
Du côté de l'investissement aussi, on a une situation en 1999
où les autorisations de programme ne sont consommées que pour
moitié environ et les crédits de paiement moins encore à
43 %.
Ce phénomène se reproduit d'année en année avec une
tendance dans les dernières années à s'aggraver. Donc,
nous pensons que, sur un plan global, ce ministère, qui devrait
d'ailleurs d'un certain côté pouvoir se montrer en exemple aux
autres ministères dépensiers, sur ce plan-là, n'est pas
exempt de reproches.
Un deuxième type d'observations, qui ressort tout à fait
nettement en particulier des enquêtes que nous avons menées et que
nous continuons de mener sur la gestion des personnels -c'est fondamental au
ministère des finances, 75 % de la dépense- est que le
ministère des finances n'applique pas avec rigueur les règles
qu'il impose avec raison aux autres ministères.
Cette constatation est tout à fait probante. Je me permets de vous
renvoyer à notre rapport public sur la fonction publique du début
de l'année, sur deux points tout à fait essentiels.
Les autorisations budgétaires en termes d'emploi n'ont aucun rapport
avec la réalité puisque 20 % des emplois du ministère
des finances, en tout cas des services financiers, c'est-à-dire quelque
chose comme 25 000 personnes, sont en situation de surnombre de
grade. Par exemple, un trésorier principal est payé sur un poste
d'inspecteur. Ceci est permis par le fait qu'il y a une inflation de la ligne
souple. Je pense que les spécialistes budgétaires que vous
êtes n'ont pas besoin d'une définition. Cette ligne souple, la
ligne d'ajustement en pied de chapitre, pour les finances, atteint
jusqu'à 7, voire 8 % actuellement. Autant dire que vous donnez
l'autorisation budgétaire dans le bleu, si vous me permettez cette
familiarité.
Le deuxième aspect, non moins important, c'est que tous les
systèmes à quelques exceptions près de
rémunérations accessoires des personnels des finances ne reposent
sur aucune base réglementaire valable. C'est une accumulation de
décisions ministérielles, voire directoriales au fil du temps,
qui aboutit à un écheveau quasiment inextricable où je
crois même que les directeurs eux-mêmes ont du mal à se
retrouver dans les systèmes de primes, d'indemnités, de remises
ou de commissions diverses.
Sur ce plan, des assurances ont été données au Parlement
et à la Cour. J'espère qu'elles seront tenues. Nous assurerons un
suivi de ces décisions et nous vous en rendrons compte.
Par ailleurs, une circulaire Budget/Fonction publique du mois d'octobre 1999,
qui n'est pas sans rapport avec les contrôles conduits par la Cour, a
prescrit une régularisation dans toutes les administrations. D'ores et
déjà, vous l'avez peut-être constaté dans certains
ministères, de nouveaux décrets sont venus remettre à plat
et réorganiser les systèmes de rémunérations
accessoires. Il faut absolument que le ministère des finances s'y engage.
Enfin, troisième et dernière observation générale
qui repose également sur des constatations, notamment des constatations
tirées de notre activité juridictionnelle sur les
trésoreries générales et sur les recettes des
impôts : cette administration souffre d'un excessif cloisonnement
aussi bien au niveau central qu'au niveau des services extérieurs et
tout particulièrement affectant les directions à réseau,
c'est-à-dire les grandes directions, Comptabilité publique,
Impôts et Douanes. Or, nous croyons que ces cloisonnements excessifs sont
une des raisons d'un certain nombre de dysfonctionnements et d'inadaptations de
cette administration. La mauvaise coordination au sein de l'administration
fiscale a été montrée par la
« mission 2003 » . Quelle que soit l'issue pour
l'instant incertaine de ses travaux ou en tout cas leur remise en chantier, on
ne doit pas masquer la réalité des constatations. Nous voyons ce
dysfonctionnement de l'administration fiscale à longueur d'année
dans nos contrôles juridictionnels, au détriment des
intérêts du Trésor.
Autre phénomène, l'incompatibilité des réseaux
informatiques entre la DGI et la Comptabilité publique, l'insuffisante
coopération entre comptables des deux réseaux lorsque, par
exemple, tous les deux ont des intérêts à faire valoir dans
des procédures collectives de liquidation d'entreprise. Bref, les
exemples abondent. Nous pensons qu'un effort doit être fait pour vaincre
la rigidité des structures et adapter d'une façon
générale le fonctionnement en tirant parti notamment des
nouvelles technologies.
Est-il acceptable que le ministère des finances comprenne encore
50 % d'agents de catégorie C, donc des agents
d'exécution, en général d'ailleurs de bonne
qualité, souvent surdiplômés par rapport à leur
niveau ? On voit des agents ayant un DEUG, voire une maîtrise,
passer et réussir le concours de contrôleur. Bien sûr,
après, ils vont pouvoir monter dans la hiérarchie, mais tout de
même, est-ce le bon niveau de recrutement et surtout faut-il autant
d'agents d'exécution alors que les nouvelles technologies doivent
faciliter, rendre plus rapides les tâches d'exécution ?
Je vais m'arrêter là, Monsieur le Président, car j'ai
déjà dépassé le temps que vous m'aviez imparti,
mais je pense vraiment qu'il serait nécessaire que le ministère
des finances soit à la pointe des efforts de réforme de l'Etat et
nous n'en sommes pas encore arrivés à ce stade ;
peut-être les crises récentes accélèreront-elles les
prises de conscience auxquelles la Cour pour sa part essaye de contribuer.
M. le Président
- Merci, Monsieur le Président, de
cette introduction très claire qui va nous aider à
procéder à une bonne audition.
Je vais donner la parole à M. le Rapporteur Général
auquel vous répondrez immédiatement.
M. Philippe MARINI, Rapporteur général
- Je
voudrais tout d'abord évoquer les conditions de l'exercice 1999 et
l'actualité m'en fournit l'occasion puisque nous avons reçu
récemment le rapport préliminaire de la Cour des comptes relatif
à l'exécution de la loi de finances pour l'exercice 1999,
puis, dans la journée d'hier, les remarques formulées par le
ministre de l'économie et des finances et la secrétaire d'Etat au
Budget sur ledit rapport.
Monsieur le Président, je vais vous donner connaissance de cette
réponse.
Ce sont les ministres qui parlent.
"
Comme l'année dernière, certains points de désaccord
méthodologiques qui ont fait l'objet d'échanges entre la Cour et
nos services aux travaux préparatoires à la rédaction du
rapport préliminaire nous paraissent devoir être soulignés.
La Cour écrit dans son rapport qu'en 1999 « les charges nettes
du budget général ont augmenté de 3,3 % en valeur et
de 2,8 % en volume. C'est beaucoup plus que ce qui était
prévu (1 % en volume)."
Fin de citation de la Cour.
"La Cour,
poursuivent les ministres,
compare cependant en
matière d'évolution des dépenses les engagements pris par
le gouvernement en loi de finances et les résultats de
l'exécution budgétaire mesurés sous d'autres conventions.
En effet, l'engagement du gouvernement portait sur l'ensemble des
dépenses en dette nette, hors remboursements et
dégrèvements et à périmètre constant alors
que la Cour mesure l'évolution des dépenses en dette brute, y
compris les remboursements et dégrèvements, hors tout
retraitement de périmètre.
Le seul retraitement intervenu sur les dépenses en exécution par
rapport à l'objectif porte sur les dépenses
considérées comme exceptionnelles par le gouvernement en 1999 et
imprévisibles en début d'année, soit 10 milliards de
francs au titre de la prise en charge d'une dette de l'UNEDIC et
3 milliards de francs versés pour les intempéries de 1999.
Ces endettements sont clairement d'un caractère ponctuel et non
reconductible. Ils nous semblent à ce titre pouvoir être exclus
des charges "structurelles" de l'Etat.
Par ailleurs, la Cour se livre à une analyse détaillée des
opérations de fin de gestion portant sur certaines recettes non
fiscales. Il convient de ce point de vue de rappeler que ces recettes n'ont pas
en général le caractère de pérennité et de
stabilité qui caractérise les recettes fiscales. Elles ne
participent pas au socle "structurel" des dépenses de l'Etat, mais
s'apparentent plutôt à des profits exceptionnels ou relatifs.
Compte tenu de la conjoncture économique favorable en 1998 et 1999, il
n'a pas été jugé souhaitable de "puiser" jusqu'au maximum
dans ce gisement. Le gouvernement s'est réservé le droit de
moduler son appel à des recettes de nature exceptionnelle en fonction
des besoins de sa gestion et de l'évolution de ces autres postes."
Monsieur le Président, vous n'avez sans doute pas eu le temps ni de
recevoir, ni d'approfondir ces remarques, mais je me permets de les citer car
elles sont, je crois, au coeur de notre propos et de nos investigations.
Je voudrais évoquer deux choses à ce sujet.
Dans la tradition de l'administration, on compare prévision à
prévision, exécution à exécution. Comparer
exécution à prévision semble à la limite, mais
j'exagère à peine, incongru.
J'ai le souvenir, pas si lointain, du temps où j'étais
moi-même directeur financier d'un établissement public et
où, pour acquérir le maximum de marges de manoeuvre par rapport
à mes tutelles, je disais toujours que l'on ne devait comparer une
prévision qu'à une prévision et une réalisation
à une réalisation. Je m'opposais bec et ongles avec d'excellents
arguments de méthode à tout rapprochement exécution par
rapport à prévision. C'étaient de petits enjeux. Ils sont
beaucoup plus considérables au plan de l'Etat, mais les mêmes
données culturelles prévalent.
Monsieur le Président, nous avons hier soir auditionné votre
éminent collègue Jacques Bonnet, votre
prédécesseur à la présidence de la première
chambre. Jacques Bonnet avec le style que nous apprécions, s'est
livré à quelques commentaires à partir de son rapport de
1997, dont nous nous sommes efforcés ensemble de tirer les conclusions
actuelles.
Il nous disait en substance que le système d'information est mauvais. Il
repose sur des méthodes insuffisantes ou obsolètes. Les
fonctionnaires qui l'appliquent sont bons, mais ils sont bons dans un
système mauvais. Je simplifie et je résume le propos d'un certain
nombre de collègues que l'on a entendus hier soir.
Je voudrais savoir si vous partagez cette vision et quelle remarque cela
appelle de votre part.
Revenons aux considérations spécifiques de la fin de
l'exercice 1999.
J'ai également été assez interpellé par les propos
qui nous ont été tenus au sujet des relations financières
de l'Etat et de la COFACE. C'est une illustration de ce concept de recettes non
fiscales.
En substance, certains nous disent qu'il y a une créance de l'Etat,
c'est bien l'argent de l'Etat, 7 milliards de francs lui appartiennent,
qui volontairement n'ont pas été rapatriés dans les
comptes de l'Etat, on le fera lorsque la conjoncture l'exigera.
Ceci me semble poser un réel problème de principe,
problème que la Cour a soulevé en différentes occasions.
Il convient, pour respecter les règles de transparence et pour informer
correctement le Parlement et l'opinion, qu'il y ait en ce qui concerne les fins
d'exercice une méthode, une procédure, que l'on ne puisse pas au
gré des circonstances, et comme le dit le ministre de façon
presque impudique dans la lettre qu'il adresse au Premier président de
la Cour des comptes, « puiser » dans le gisement en
fonction de l'opportunité.
Je suis pour ma part très choqué par ces pratiques et même
par le vocabulaire utilisé. Puiser dans un gisement plus ou moins selon
l'opportunité, est-ce cela la comptabilité publique, l'exigence
de reddition de comptes dans un Etat démocratique et, en tout cas, dans
un Etat où les juridictions financières et les assemblées
parlementaires exercent leur rôle de contrôle ?
Voilà, Monsieur le Président, les quelques considérations
que je voulais développer devant vous et au sujet desquelles la
commission d'enquête serait très intéressée de
connaître vos appréciations.
M. le Président
- Merci, Monsieur le Rapporteur
Général.
Vous avez la parole, Monsieur le Président.
M. François LOGEROT
- Je vous remercie, Monsieur le
Président.
Monsieur le Rapporteur Général, je n'avais pas encore
connaissance de cette lettre. Je savais qu'elle était en
préparation. A vrai dire, je ne suis pas surpris par son contenu
puisque, bien entendu, au niveau de la direction du Budget, les mêmes
arguments nous ont été opposés dans la phase de
contradiction rapide et informelle qui a eu lieu pour le rapport
préliminaire.
A quoi doit-on comparer le résultat de l'année et les masses
budgétaires constatées ?
Je n'irai pas tout à fait aussi loin que vous, Monsieur le Rapporteur
Général, sur le fait que la comparaison avec les
prévisions n'a pas lieu d'être ou, en tout cas, est secondaire car
la loi de finances est aussi une loi, c'est-à-dire que l'on rend compte
à ceux qui l'ont votée de l'exécution de cette loi. Donc,
c'est un éclairage. La Cour des comptes, d'année en année,
est évidemment plus attachée, et c'est que nous avons fait et ce
qui n'a pas plu visiblement, c'est, en comptabilisant l'ensemble des charges,
de dire que dans le résultat final les charges globales augmentent d'un
peu plus de 3 % alors que l'on avait prévu qu'elles
n'augmenteraient que de 1 % en volume.
Si l'on se met à déduire, pour des raisons qui peuvent se
justifier ou plus exactement qui expliquent le résultat, telle ou telle
charge de la comparaison, au motif qu'elle n'est pas structurelle, mais quelle
est l'année où il n'y a pas des charges conjoncturelles ou
exceptionnelles ? Peut-être pas autant que cette année,
puisque les deux cas cités sont le remboursement du prêt de
10 milliards de francs de l'UNEDIC et les 3 milliards de francs mis
en garantie à la Caisse centrale de réassurance pour les
intempéries. Je signale en passant qu'il n'y avait peut-être pas
urgence à mettre ces 3 milliards de francs à la Caisse
centrale de réassurance au mois de janvier sur la base d'une
évaluation, qui tient je crois en 20 lignes, des besoins de
refinancement des assurances à venir. Cela ne pouvait-il pas attendre un
peu ? Mais admettons. A ce moment-là, si l'on retranche
13 milliards de francs des dépenses, cela veut dire que le
déficit n'est plus de 206 milliards de francs, mais de 193,
où s'arrête-t-on ?
Nous apportons au Parlement et à l'opinion les résultats en
disant quel est l'ensemble des charges. Que le gouvernement -d'ailleurs nous
pouvons le faire aussi par souci d'honnêteté- indique qu'en
particulier on distingue dans ces charges telle ou telle opération tout
à fait exceptionnelle qui n'avait pas pu être prévue,
pourquoi pas, mais cela n'enlève rien à notre sens au constat que
nous faisons.
Suivant les époques, on intègre ou non les opérations
dites exceptionnelles. Souvenez-vous, pour la bonne cause, c'était pour
se qualifier pour Maastricht, on a intégré dans les comptes
publics, pas dans les comptes de l'Etat directement, les 37,5 milliards de
francs de la soulte de France Télécom. Si ce n'était pas
une opération exceptionnelle, qu'est-ce que c'est ? Mais
celle-là était bonne à prendre vu l'objectif poursuivi.
Nous demandons d'être raisonnable et de ne pas changer tout le temps de
méthode.
Nous avons même eu -le Premier président m'a dit l'autre jour que
c'était vraiment être très méchant- la
curiosité d'appliquer au résultat de 1999 les mêmes normes
que le ministère des finances voulait nous voir appliquer en 1998, car
ce même débat a eu lieu l'année dernière. En
appliquant exactement les conventions que le ministère des finances a
appliquées l'année dernière, en retraitant un certain
nombre d'opérations et en en excluant d'autres, nous arrivons à
une progression des charges de 4,6 %. Nous ne disons pas que c'est le
résultat puisque nous sommes autour de 3 %, mais c'est bien la
preuve qu'il n'est pas bon, en tout cas la Cour ne s'engagera pas dans cette
voie, de changer de méthode d'appréciation suivant les exercices.
Voilà ce que je peux répondre.
Quelle est la source profonde ?
Il y a probablement effectivement des phénomènes politiques sur
lesquels je ne porte pas d'appréciation. J'ai peut-être mon avis
en tant que citoyen, mais pas en tant que magistrat de la Cour des comptes. Il
y a bien entendu des soucis de présentation et d'affichage politique, je
n'ai pas à me prononcer là-dessus.
Il est vrai que le système d'information est mauvais. Ce débat
est irréaliste. La « cagnotte » provient en partie
de ce que vous avez voté. Le système d'information est
très imparfait. Que s'est-il passé ?
On a su assez vite que les recettes fiscales seraient plus importantes que
prévu, mais on ne savait pas exactement de combien, notamment par ces
phénomènes d'imputations provisoires de TVA ou d'impôt sur
les sociétés arrivant dans les derniers jours de décembre
et dont on ne savait pas quelle partie on allait pouvoir réimputer en
recettes budgétaires, du fait semble-t-il des défaillances de
systèmes informatiques puisqu'il s'agit de versements d'impôts
effectués directement par virement Banque de France par les entreprises,
le seuil ayant été abaissé de 100 millions de francs
de chiffre d'affaires à 10 millions de francs. Donc, il y a eu un
afflux de recettes fiscales dont on n'a pas su jusqu'au dernier jour combien
allaient pouvoir être effectivement prises en compte comme recettes
budgétaires et non pas laissées en compte d'imputations
provisoires.
Ensuite, quand on l'a su, vers le 10 ou 15 janvier, on s'est
inquiété à ce moment-là de ce que l'on allait faire
sur les autres terrains, sur les recettes non fiscales. Certaines
étaient déjà passées. Par exemple les
9 milliards de francs que la société-écran du GAN, la
SGGP, a fait remonter au mois d'octobre, étaient là. On n'allait
pas les renvoyer.
Par contre, il y avait d'autres sommes que l'on pouvait ne pas faire rentrer.
Par exemple, la CADES doit 12,5 milliards de francs à l'Etat chaque
année, on n'en a fait rentrer que 7. Ce sont des droits de
l'année qui auraient dû être constatés sur
l'année. L'interprétation des textes comptables, même si
elle permet certains ajustements, à mon avis, ne permettait pas
celui-là.
Sur la COFACE, il avait été prévu, mais il est vrai que
c'était en décembre 1998, 7 milliards de francs de
recettes non fiscales. La loi de finances rectificative, publiée le 30
ou le 31 décembre 1999, avait réduit ce chiffre
à 3 milliards de francs. Résultat : zéro, car au
dernier moment on a décidé de rien ponctionner.
Sur ce point, Monsieur le Rapporteur Général, je partage votre
interrogation et votre critique. Ce sont des procédés tout
à fait opaques et qui ne respectent pas un minimum de permanence des
méthodes.
S'agissant de la COFACE, c'est un sujet que je ne connais pas dans l'intime
détail car il relève de la compétence de la
deuxième chambre, compétente pour le commerce extérieur.
Par contre, je sais que cela fait trois ans que l'on discute les termes d'une
convention entre l'Etat et la COFACE qui statuera sur les modalités de
jeux de trésorerie entre l'Etat et la COFACE. On aurait pu aboutir un
peu plus rapidement à des règles un peu plus claires.
Au-delà de tout cela, il y a une espèce de jeu de miroirs ou de
renvois entre un Etat et des entités qui sont soit des
démembrements de l'Etat purs et simples, je pense par exemple aux
établissements publics de défaisance ou à des organismes
certes extérieurs, c'est le cas de la COFACE maintenant, mais qui sont
liés par des règles importantes de lois et d'obligations avec
l'Etat.
Une des voies pour réduire ces incertitudes, cette opacité, c'est
progressivement d'aboutir à une consolidation des comptes entre l'Etat
et les satellites qui lui appartiennent, auquel cas, les
phénomènes que nous constatons seront neutralisés en
conciliation et, vis-à-vis de l'extérieur, c'est d'avoir dans des
annexes au compte général de l'administration des finances, dans
le hors bilan, soit des charges futures consenties par l'Etat, des garanties
données par l'Etat, soit au contraire des créances à long
terme. Evidemment, la partie des charges est sans doute plus importante,
notamment si l'on inclut dans le hors bilan des charges de retraite futures.
C'est un gros sujet à débattre.
Là aussi, le système d'information, à la fois
instantané, c'est-à-dire la remontée d'information
comptable qui devrait à l'époque de l'ordinateur être plus
rapide à centraliser, et d'autre part le système d'organisation
comptable devraient permettre de réduire dans l'avenir les
phénomènes que nous constatons.
M. le Président
-
Merci, Monsieur le Président.
M. François TRUCY m'a demandé la parole.
Y a-t-il d'autres demandes de paroles ?
M. François TRUCY
- L'importance évidente de tout
ce travail me suggère quelques questions sur les moyens dont dispose
l'Etat.
Les observations que la Cour est amené à faire sur les
comportements de l'Etat et ses problèmes font-elles partie d'une
publication spéciale ou du rapport annuel ?
Sur le plan international, la Caisse des Dépôts française a
toujours fait école et tous ces pays en émergence qui cheminent
délicatement sur le chemin de la démocratie vous envoient-ils des
magistrats pour étudier la faisabilité pour eux d'une telle
structure ? Vous-même envoyez-vous des stagiaires actifs à
l'étranger ?
Enfin, pour ne parler que de l'Europe des Quinze, estimez-vous qu'il y aurait
un bénéfice -j'aurais tendance à le penser- à ce
que la France prenne des idées et des exemples chez certains de nos
partenaires pour ce qui est de l'élaboration des budgets ?
M. Philippe ADNOT
- Monsieur le Président, vous avez mis
en évidence que l'Etat ne s'imposait pas à lui-même les
règles qu'il impose aux autres et vous avez parlé, par exemple,
de la CADES et des 5 milliards de francs qu'ils n'ont pas versé.
C'est une bonne illustration car, dans n'importe quelle entreprise ou
collectivité locale ou autre organisme, le fait que cela ne soit pas
versé n'aurait pas d'incidence car la dette étant certaine elle
aurait fait partie du bilan général et on aurait pu avoir une
bonne visibilité.
Comment peut-on s'y prendre pour que les recettes certaines ou les dettes
certaines puissent apparaître très clairement et que l'on puisse
avoir une visibilité un peu meilleure ?
M. le Président
- Dans le rapport que le rapporteur
général a cité il y a un instant, le rapport
préliminaire, je lis à propos des pratiques relatives aux
recettes non fiscales qu'elles ne correspondent pas aux exigences croissantes
de sincérité et de permanence des méthodes dans les pays
les plus développés.
Avez-vous connaissance que, dans certains pays, ces principes de
sincérité et de permanence de méthodes aient
été plus clairement fixés dans des textes ?
Les recettes non fiscales sont autorisées dans la loi de finances.
Lorsqu'il est décidé de ne pas les prélever, ceci
résulte d'une décision. Il me semblerait important que vous nous
disiez de quelle décision elles résultent. Il
m'intéresserait de savoir si ces décisions venaient à
être contradictoires avec le vote du Parlement, ceci constitue ou pas une
atteinte au droit ou à la loi. J'aimerais avoir un peu
d'élucidation juridique sur ce sujet.
Deuxième question ou troisième selon que vous considériez
la deuxième comme une question séparée, nous entendons que
les situations hebdomadaires du budget sont difficiles à lire. Est-ce
que ce sont des documents à partir desquels vous travaillez ou, au
contraire, avez-vous depuis un certain temps considéré que ceci
ne vous éclairait pas utilement dans vos travaux ?
J'aimerais votre sentiment de praticien reconnu et également de
personnalité qui connaît parfaitement le Parlement, ses missions,
son rôle et sa manière de les exercer. Je voudrais connaître
votre appréciation sur le respect de l'autorisation parlementaire dans
l'exécution des lois de finances et de son évolution.
Pensez-vous que l'exécutif au fil des années fait plutôt
des progrès ou, au contraire, s'éloigne-t-il de plus en plus du
respect de l'autorisation parlementaire ?
Une autre question nous préoccupe beaucoup, c'est celle de
l'amélioration, car c'est une grande nécessité du
contrôle de la dépense publique.
Avez-vous quelques idées sur la manière d'améliorer
l'utilisation du droit d'enquête des commissions des finances ?
Là encore, votre grande pratique, votre bonne connaissance du Parlement
pourraient nous éclairer.
Voilà pour l'instant les questions que je souhaitais vous poser.
M. François LOGEROT
- Je vais tenter de répondre
dans l'ordre des questions qui m'ont été posées.
M. TRUCY a abordé la question des moyens. Personne ne peut dire quel est
l'optimum d'un organe de contrôle. J'aurais deux fois plus de
rapporteurs, je ne serais pas en peine de leur donner du travail, mais dire que
c'est absolument indispensable, je ne sais pas. Il y a une certaine dose de
contrôle à ajuster.
Il y a quelques années, envoyer des questionnaires de 200 questions
à certaines directions des services fiscaux pour répercussion sur
les receveurs des impôts, n'était pas très productif car on
recevait des réponses au bout de trois mois qui, dans bien des cas,
éludaient la question ou reprenaient ce qui figurait déjà
dans les pièces justificatives que nous avions, donc, on était
réduit au même point. Finalement, on transformait la question en
une injonction qui était une pure injonction d'instruction. Il y avait
une espèce de dose de contrôle qui n'était pas bien
calibrée. Il vaut mieux des questions plus précises sur des
sujets vraiment importants que trop de questions en même temps à
un même responsable.
Cela dit, votre question est tout à fait pertinente en ce sens que je
crois que la Cour en général -j'ai la faiblesse de le penser, la
première chambre notamment- est à la limite très basse de
ce qui est possible. Songez que je n'ai que l'équivalent de 20 ou
22 rapporteurs à temps plein pour toutes les tâches de la
chambre, des tâches interchambres et des enquêtes en commun avec
les chambres régionales des comptes. Par exemple, en ce moment, nous
participons avec certaines d'entre elles à une enquête sur la
tutelle exercée par les casinos et les relations entre les casinos et
les collectivités territoriales sur les territoires desquelles ils sont
implantés. C'est tout à fait intéressant, mais cela
mobilise une partie de nos moyens.
Le Premier président est évidemment très conscient de ce
problème. Une des solutions n'est pas d'accroître les effectifs du
corps des magistrats. D'ailleurs nous appartenons à un corps qui, comme
le Conseil d'Etat ou l'Inspection des finances, est traditionnellement, c'est
une vieille habitude française, considéré comme un
réservoir où les ministres, les administrations, les chefs
d'entreprises publiques, etc. viennent puiser. Dans un sens c'est très
flatteur, mais cela désorganise souvent nos travaux. Quand un rapporteur
part inopinément dans un cabinet ministériel, du jour au
lendemain son chantier est en plan. L'équipe à laquelle il
participait se trouve déséquilibrée.
Une des voies de solutions est, plutôt que de modifier les statuts ou
créer des emplois de magistrat, de permettre que le Premier
président fasse le plein des effectifs budgétaires dont il
dispose ; or, ce n'est pas le cas pour diverses raisons techniques sur
lesquelles je ne veux pas m'appesantir. L'essentiel est que nous puissions
accueillir des rapporteurs pour quatre ou cinq ans, pour une durée
suffisamment longue, mais pas seulement des administrateurs en mobilité
comme nous en avons déjà, pour qu'ils viennent renforcer nos
rangs, acquérir à la Cour une expérience valorisante pour
eux et nous apporter des compétences que nous n'avons pas
suffisamment : des informaticiens, des spécialistes d'organisation,
des spécialistes de gestion de personnel. Il y a 20 administrations
françaises où il y a des gisements de compétences.
Par ailleurs, nous avons des administrateurs ou des personnels de ce niveau qui
n'ont pas toujours dans leur administration les débouchés
naturels car tout le monde ne peut pas être sous-directeur.
Nous pouvons très bien pour des périodes de quelques
années accueillir ces gens. Nous le faisons déjà. Nous
avons une cinquantaine de rapporteurs extérieurs. Ce chiffre pourrait
doubler sans aucune difficulté, mais pour cela il faut des
décisions. Le Premier président essaiera sans doute d'obtenir des
résultats en ce domaine par une clarification du budget de la Cour.
Vous m'avez posé la question des publications. Tout dépend de la
nature des observations. Bien entendu, en matière d'exécution
budgétaire, le support naturel, c'est le rapport annuel sur
l'exécution des lois de finances, ce sont aussi les réponses aux
questionnaires des commissions qui viennent compléter ce rapport et
quelquefois même aborder des sujets nouveaux qui nécessitent que
l'on fasse des enquêtes supplémentaires.
Le ministère des finances, comme les autres administrations, n'est pas
à l'abri du rapport public annuel de la Cour. D'ailleurs, la preuve,
c'est ce rapport sur la fonction publique où deux des principaux
chapitres sont consacrés au personnel des finances.
Je rappelle qu'il arrive, pas très souvent, qu'une insertion
remarquée au rapport public concerne le ministère des finances.
Je me souviens encore -c'était en 1990 ou 1991- de l'émotion
soulevée dans le ministère et pour tout dire l'indignation, parce
que la Cour avait osé faire une insertion au rapport public sur la
construction du ministère des finances à Bercy. Peut-être
n'en sont-ils pas encore revenus. La Cour a eu cette audace !
Cela dit, nous ne le faisons pas très souvent, d'abord parce que les
moyens de la première chambre sont relativement limités et que
nous avons déjà ce gros rapport annuel à assurer, et aussi
parce qu'il y a des sujets sur lesquels l'expression publique est difficile.
Par exemple, exposer les dysfonctionnements de l'administration fiscale, ce
n'est pas très commode. Comment cela serait-il exploité, y
compris par des gens qui cherchent les failles, les moyens d'égarer
l'administration fiscale ? Ce sont des sujets sur lesquels la
communication administrative ou à l'intention du Parlement est sans
doute plus facile.
Nous faisons aussi des rapports sur les entreprises publiques. Là, je
voudrais dire une chose qui peut-être n'a pas toujours été
comprise, c'est que la Cour parle peu publiquement des entreprises publiques,
notamment dans la période des privatisations.
Dans le rapport sur le GAN, que vous avez reçu, Monsieur le
Président, et sur ses filiales, il y avait matière de nombreuses
observations publiques. Mais pouvions-nous, à un moment où le GAN
allait être privatisé ou venait de l'être, sur des affaires
qui, bien entendu, appartenaient à la période de gestion
publique, atteindre l'image de marque de la société qui demeurait
même si elle devenait privée une grande compagnie
d'assurances ? Ce n'est pas commode de mettre publiquement sur la table
des observations sur des entreprises en période de privatisation.
De même, nous sommes en train de finaliser une enquête longue et
difficile sur le Consortium de réalisation sur le CDR. C'est un sujet
très complexe qui fait revivre tout l'épisode du cantonnement des
actifs du Crédit Lyonnais, revendus dans des conditions souvent
difficiles. Là aussi, il y aurait certainement matière à
des observations publiques. D'ailleurs, la question n'est pas tranchée.
Je ne peux pas l'exclure. Néanmoins, il faut le faire avec une main
légère car le CDR est impliqué dans 250 ou
260 contentieux, ce sont des contentieux civils pour la grande
majorité d'entre eux et il y a quelques contentieux pénaux. Il y
a des contentieux devant les tribunaux internes et il y a des contentieux aux
Etats-Unis. Tout ce que dira la Cour dans un sens ou dans un autre peut
être utilisé, exploité par les avocats. Vous voyez que, sur
ce domaine des entreprises financières, la publicité est un vrai
problème.
Vous m'avez posé aussi des questions sur la coopération au sens
large.
Oui, nous essayons, avec des moyens malheureusement trop limités et
très limités par rapport à d'autres pays. J'ai, par
exemple, en tête l'extraordinaire activité de coopération
technique des Canadiens et notamment du rôle du vérificateur
général du Canada notamment à l'égard des pays
francophones d'Afrique. Ils ont tous les avantages. Ils offrent
-évidemment, quelquefois, certains trouvent qu'il fait froid à
Montréal ou à Ottawa- des stages au Canada. Ils apportent les
techniques de l'audit à l'anglo-saxonne et en même temps ils
parlent français. C'est merveilleux. La Cour des comptes n'a pas les
mêmes moyens. Pour autant, nous avons un courant d'échanges
à la fois avec leur organisation régionale, et individuellement
avec quelques institutions. Tous ces pays n'ont pas des institutions de
contrôle au même niveau de compétence, d'organisation ou
quelquefois même -je crois que je peux le dire devant cette commission-
ces institutions de contrôle sont des façades et les alibis du
pouvoir. Néanmoins, un effort est fait.
Nous constatons avec plaisir que, peu à peu, il se forme des petits
groupes de magistrats financiers, de bons auditeurs qui commencent à
compter dans leur pays. Nous en avons une preuve, c'est que le Premier
président a eu l'idée d'associer certains de ces auditeurs de
pays africains à nos contrôles sur les activités de la FAO
et du Programme alimentaire mondial dont nous sommes le commissaire aux
comptes. Dans certaines missions de pays, nous associons ces auditeurs, ce qui
est à tous égards profitable.
Sur le plan européen aussi nous avons une coopération. Le Premier
président préside pour trois ans l'organisation européenne
des Cours des comptes et des audits généraux de finances
publiques. C'est une occasion de contacts assez étroits notamment avec
les Hollandais, les Anglais, les Allemands. Nous essayons, notamment sur les
questions budgétaires et comptables, de voir un peu comment ils
procèdent. Tout simplement, nous n'avons pas suffisamment de temps pour
envoyer en mission ou en stage des magistrats de façon assez suivie pour
pouvoir vraiment pénétrer l'intérieur du système.
Nous avons quand même eu une bonne expérience de contrôle en
échangeant un auditeur français contre un auditeur anglais avec
le National Audit Office. Cela a été tout à fait
intéressant et décapant en ce sens que l'un comme l'autre ont dit
beaucoup de mal dans leur maison mère de l'autre maison. Cela
s'équilibrait. Evidemment, les reproches étaient à peu
près symétriquement différents.
Monsieur ADNOT a posé une question à propos de la CADES. Oui, il
y a une dette certaine, et pour qu'elle soit prise dans un compte de bilan, il
faudrait une comptabilité en droits constatés, ce que n'a pas
l'Etat.
La comptabilité de caisse est pratiquement la règle, encore qu'il
y ait des exceptions, par exemple en matière de recettes fiscales par
voie de rôle, il y a des droits constatés, il y a des restes
à recouvrer.
La mission sur la comptabilité patrimoniale du ministère des
finances, que M. ARTHUIS avait mis en place et qui a poursuivi ses
travaux, aboutit à un certain nombre de propositions que les ministres
des finances ont approuvées. Nous avons trouvé que cela allait
bien lentement, mais des progrès sont sensibles. Déjà
maintenant, vous avez pu constater dans le compte général de
l'administration des finances que les opérations de la dette publique
seront traitées en droits constatés. C'est un premier
résultat.
Il y a aura un provisionnement malheureusement uniquement statistique, mais
c'est déjà un progrès -il n'a pas d'incidence
budgétaire, c'est-à-dire que, contrairement à une
provision dans un compte d'entreprise, ce n'est pas une charge de l'exercice-
des créances fiscales. On s'aperçoit que, quand il y a 100 de
restes à recouvrer, la probabilité est qu'il y ait 22 ou 23 de
recouvrement au bout du compte, au bout de plusieurs années. Donc, il y
a une recette qui n'est pas certaine. Il faut provisionner son absence. Mais
c'est un provisionnement statistique qui est déjà un
progrès de clarté.
La comptabilité en droits constatés vient compléter la
comptabilité de caisse car la comptabilité de caisse est quand
même bien nécessaire ne serait-ce que pour pouvoir afficher
justement le déficit de l'année. C'est un des critères
européens, on est jugé là-dessus.
Il faudrait qu'il y ait progressivement la mise en place d'une
comptabilité en droits constatés sans pour autant abandonner la
comptabilisation des opérations en termes de caisse.
Monsieur le Président, vous m'avez posé des questions assez
redoutables.
L'exigence croissante de sincérité et de permanence des
méthodes, oui, nous constatons qu'elle est mieux observée
à l'étranger. Je parlais à l'instant des droits
constatés, l'Italie s'est mise aux droits constatés il y a trois
ans et avec une rapidité extraordinaire. Nous savons que les Italiens
sont des gens de talent et qui savent réagir. Ils n'ont pas mis comme
nous des années à faire ce virage. J'ajoute que ce virage est
d'autant plus nécessaire que la comptabilité nationale maintenant
européenne fonctionne en droits constatés. Si nous ne faisons
rien, il y aura un écart croissant entre la présentation
comptable de l'Etat chez nous et les normes européennes.
D'autres exemples peuvent être donnés. Les Anglais sont en train
de passer également à une comptabilité patrimoniale
beaucoup plus détaillée. De ce point de vue, je me permets de
vous renvoyer aux travaux qui ont été faits par la mission sur la
comptabilité patrimoniale et dont je pense qu'il n'y a aucune raison
pour que votre commission n'y ait pas accès. Cette mission a fait des
enquêtes longues et précises dans un grand nombre de pays
étrangers et elle a fait des constatations tout à fait
étonnantes.
Il ne faut pas aller sans doute jusqu'à l'exemple de la
Nouvelle-Zélande. En Nouvelle-Zélande, les collectivités
publiques n'ont plus rien à voir avec ce que nous connaissons en France,
car les ministères passent des contrats d'objectifs et de moyens avec
des agences spécialisées pour l'exécution des
opérations de l'Etat, sauf peut-être dans certains domaines comme
la diplomatie et la défense. La comptabilité et les budgets de
ces agences sont traités strictement comme des entreprises
privées. Nous en sommes très loin et aucun pays, à ma
connaissance, n'est allé aussi loin que la Nouvelle Zélande. Mais
entre notre situation et celle-ci, il y a sans doute des situations
intermédiaires où les principes comptables fondamentaux de
sincérité et de permanence des méthodes, de transparence
devraient s'appliquer.
Vous m'avez également demandé : Qu'en est-il lorsqu'une
recette non fiscale est prévue dans la loi de finances et lorsqu'il est
décidé finalement de ne pas la prélever ? Cette
décision est-elle contraire à la loi ?
Je ne crois pas que l'on puisse l'affirmer. Je pense que c'est seulement une
responsabilité politique que prend le gouvernement car un crédit
n'est pas une obligation de dépense, de même une prévision
de recettes reste une prévision. C'est une prévision qui, en
matière fiscale, est doublée d'une autorisation. Le vieux
principe, qui remonte bien avant la République, c'est que le Parlement
consent l'impôt.
Concernant la situation hebdomadaire et plus généralement les
situations infra annuelles budgétaires, nous les recevons, d'ailleurs
certaines d'entre elles sont publiées. Les notes bleues de Bercy et
Internet aussi publient des situations mensuelles. Nous les connaissons. Nous
les regardons. Nous ne les étudions pas en détail.
Pourquoi ? Parce que nous considérons que notre rôle comme en
matière de contrôle en général est un rôle a
posteriori avec les faiblesses que cela représente car on est
après l'événement, et également les garanties que
cela représente car on statue sur des opérations qui ont eu lieu,
qui existent, qui sont justifiées, donc qui sont dans les comptes. Nous
n'analysons pas de façon régulière la situation
budgétaire infra annuelle. C'est peut-être un progrès
à faire qui nécessiterait de la part de la première
chambre un effort supplémentaire et sans doute aussi des moyens accrus
que nous n'avons pas.
Vous devez bien vous rendre compte d'une chose, c'est que mes rapporteurs -mis
à part le rapporteur général, qui tout au long de
l'année, soit travaille sur le rapport, soit prépare le suivant-
passé la période du rapport, font autre chose. Ils font des
contrôles de TPG, d'entreprises publiques, sur le personnel des finances,
etc. Pour l'instant, nous n'avons pas de travail suivi sur les situations
infra-annuelles budgétaires. D'ailleurs, elles sont d'une
interprétation très difficile. Mais nul doute que si l'on s'y
attachait un peu, on pourrait les décrypter et porter des
appréciations sur elles.
Enfin la question du respect de l'autorisation parlementaire
s'améliore-t-il ou se dégrade-t-il ?
Un verre est toujours à moitié vide ou à moitié
plein. Je pense cependant qu'il y a un certain nombre de progrès,
indépendamment des progrès de nature comptable que
j'évoquais tout à l'heure.
Par exemple, je me souviens, quand j'étais moi-même il y a une
dizaine d'années rapporteur pour les recettes fiscales et les recettes
non fiscales, la part des recettes non fiscales figurant en prévision
était beaucoup plus réduite qu'aujourd'hui. Si bien que les
comparaisons entre prévision et exécution, dont le rapporteur
général disait tout à l'heure que ce n'était pas le
bon exercice, étaient particulièrement risquées. Elles
étaient d'ailleurs extrêmement difficiles.
Les recettes non fiscales sont plus largement budgétisées. Il y a
encore un effort à faire à notre avis, c'est d'essayer de faire
une budgétisation qui ne sera là aussi qu'une prévision
globale des fonds de concours. Même s'ils ont été
réduits du fait d'un certain nombre de réintégrations
comme aux finances, ils représentent bon an mal an 45 à
50 milliards de francs. C'est une catégorie de recettes très
difficile à suivre en exécution puisque les reports sur fonds de
concours sont fondus -voilà encore un mauvais système
d'information comptable- dans les reports généraux.
Par exemple, les opérations financées par les fonds
européens qui arrivent en fonds de concours dans les caisses de l'Etat
français, nous les suivons la première année en
exécution de fonds de concours. La seconde année, c'est
reporté et c'est fondu dans le chapitre de rattachement. On n'est pas
capable directement en lisant les comptes -il faut une enquête-, de
savoir quelle est la proportion des fonds de concours européens qui est
consommée. Il y a encore un effort à faire là dessus.
Une autre amélioration, c'est la rebudgétisation. Le Parlement et
je crois le Sénat, en particulier, y est pour quelque chose. La Cour
croit aussi qu'elle y est pour quelque chose modestement. Ces
rebudgétisations sont quand même assez considérables,
11 milliards de francs de crédits d'articles, 2 ou 3 milliards
de francs -je n'ai plus le chiffre exactement en tête- dans les
opérations du cadastre et des hypothèques, mais là il y a
encore à faire. Il reste les opérations d'épargne de la
comptabilité publique à réintégrer. Cela va se
faire. Le Conseil constitutionnel l'exige pour le
1
er
janvier 2001. Cela va donc se faire. C'est un
progrès.
Il y a aussi des rebudgétisations dans d'autres ministères. A
l'Agriculture, à l'Equipement, les rémunérations dites
d'ingénierie des personnels des corps techniques sont
rebudgétisées depuis cette année.
Là, il y a bien une amélioration dans le sens de
l'universalité budgétaire, dans la lisibilité des
documents.
Il y a aussi une amélioration dans la présentation des documents
budgétaires. Nous en avions parlé lorsque le Premier
président est venu devant vous il y a quelques semaines. Les bleus sont
d'un abord un peu plus facile. Simplement, les agrégats sur les lignes
budgétaires qui sont mentionnés dans les bleus sont des
agrégats de structures et non pas des agrégats de missions. Ce
qui serait très important, ce serait de pouvoir rattacher les moyens
à une mission avec la difficulté des comptabilités
analytiques, c'est-à-dire de pouvoir répartir les moyens
généraux. Là, des progrès sont à faire.
Ce qui a été décidé sur les rapports
d'activité des ministères et sur les rapports de gestion
budgétaires qui seront annexés à la loi de
règlement, puisque c'est une nouveauté qui nous a
été annoncée, amélioreront encore un peu
l'information.
Enfin, quant à l'amélioration du droit d'enquête, c'est un
sujet que je connais assez peu. Je crois qu'un droit comme celui-là
s'use ou dépérit s'il n'est pas utilisé suffisamment. Si
je peux me permettre d'exaucer un voeu, c'est que votre commission, -d'ailleurs
c'est vrai aussi pour la commission de l'Assemblée nationale- utilise,
quand elle pense qu'il y a vraiment un sujet important ou que la Cour n'a pas
pu ou su lui apporter les informations qu'elle désirait, ce droit
d'enquête. Evidement, techniquement, ce n'est pas très facile car
il faut y consacrer du temps.
Nous savons par expérience que dépouiller une liasse c'est long
et c'est souvent décevant. Quelquefois on la referme après trois
heures et on n'a rien trouvé. Le temps des parlementaires et de vos
collaborateurs est évidemment très précieux. Malgré
tout, on peut préparer un contrôle, c'est-à-dire faire
savoir à l'avance exactement ce que l'on cherche et demander qu'il y ait
un premier tri dans l'information dans le service que vous allez
contrôler. Je ne peux pas entrer plus dans le détail car cela
dépend beaucoup de ce que vous rechercheriez.
Par exemple, si les opérations de fin de gestion vous
intéressent, vous pouvez parfaitement demander à l'Agent
comptable central du Trésor ou Payeur général de tenir
à votre disposition toutes les opérations réalisées
dans la dernière semaine de la période complémentaire sur
tel type de recettes non fiscales.
D'ailleurs, si c'était nécessaire, le cas échéant,
la Cour serait prête non pas à vous accompagner directement car,
légalement, ce n'est pas vraiment possible, mais en tout cas à
titre de coopération à donner à vos collaborateurs des
indications sur la manière de faire et sur la façon dont nous
procédons.
M. le Président
- Merci, Monsieur le Président, de
la qualité de cette audition et précisément la
qualité des informations que vous nous avez données et qui nous
permet par cette coopération constitutionnelle entre la Cour, les
commissions, le Parlement et singulièrement les commissions de finances
de l'Assemblée et du Sénat de concourir au meilleur
accomplissement possible des missions qui nous ont été
respectivement confiées.
J'apprécie beaucoup que nous ayons pu avoir ce matin cet échange
car il est utile pour nous dans le travail que nous avons engagé.
Merci encore, Monsieur le Président. Merci à tous.
La séance est levée à 11 heures 30.
Séance du 10 mai 2000
La
séance est reprise à 16 heures sous la présidence de M.
Alain Lambert.
Audition de M. Thierry BERT,
Chef du service de l'Inspection
générale des finances.
M. le
Président
.- Je vous souhaite la bienvenue.
Nous sommes réunis à l'occasion de cette audition dans le cadre
de la mission que nous avons reçue du Sénat, qui est
chargée de recueillir des éléments d'information sur le
fonctionnement des services de l'Etat, dans l'élaboration puis dans
l'exécution des lois de finances.
Notre commission des finances a été dotée des
prérogatives de commission d'enquête. Nous avons choisi une
méthode pluraliste qui nous a conduit à désigner un nombre
de rapporteurs équivalent à celui des groupes politiques qui
siègent au sein de notre Assemblée et au sein de notre
commission, et nous avons donc un rapporteur par groupe, qui sont MM. Philippe
MARINI, rapporteur général, Roland du LUART, Bernard ANGELS,
André VALLET, Paul LORIDANT et moi même.
Je rappelle à la commission et à la personnalité
auditionnée que le secret doit être conservé sur les
travaux non publics de notre commission et que les travaux que nous allons
conduire au cours de cet après-midi sont non publics.
Je dois, conformément à la loi, rappeler à la
personnalité auditionnée les dispositions du code pénal
qui traitent du faux témoignage ; ce sont celles prévues aux
articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal. Je dois vous demander
de bien vouloir prêter serment en disant toute la vérité,
rien que la vérité, en levant la main droite et en disant
« je le jure ».
M. Thierry BERT
.- Je le jure.
M. le Président
.- Je vous remercie.
Je vous donne la parole pour un propos d'introduction et, ensuite, le
rapporteur général vous posera des questions. Après vos
réponses, j'ouvrirai la discussion à l'ensemble de la commission.
Vous avez la parole.
M. Thierry BERT
.- Je vous remercie.
J'ai reçu un certain nombre de questions, sur lesquelles j'ai un peu
travaillé, et je me suis dit que la meilleure méthode
était probablement de resituer dans le fonctionnement
général de l'Etat et du ministère des finances le service
de l'Inspection générale des finances, car il y a un certain
nombre d'idées qu'il faut écarter. La première, et la plus
forte, est que l'Inspection générale des finances est une sorte
de tour de contrôle et de gendarme universel du ministère des
finances et, au travers du ministère des finances, de l'ensemble des
affaires financières de l'Etat. Ce serait prétentieux de le
croire de ma part et ce serait illusoire de la part de votre assemblée.
Si nous distinguons le service de ce que j'appellerai le corps ou l'ensemble de
l'Inspection générale des finances, je pourrais vous
décrire le service en disant que ce service, qui est sous mon
autorité, est d'abord extrêmement petit.
Je remettrai au Président les effectifs budgétaires et les
effectifs réels. Depuis le début du siècle, nous sommes
110 au niveau de l'effectif budgétaire. Nous n'avons pas fait de gain de
productivité, mais depuis les années 1900, nous n'avons pas non
plus augmenté, ce qui finalement n'est pas mal. 85 en effectifs
réels, 61 personnes en deuxième et troisième classe, ce
qui correspond aux jeunes enquêteurs-auditeurs, ce qui correspond
à des auditeurs dans une entreprise d'audit et de contrôle. 32
inspecteurs généraux.
Voilà l'ensemble de ce qu'est le service, le reste étant des
secrétaires et des personnels liés à l'organisation.
Donc c'est un tout petit service. Pourquoi croit-on que c'est plus gros ?
Parce que le corps comporte environ 400 inspecteurs des finances vivants, et
que, sur ces 400 vivants, 200 environ sont à la retraite, 100 sont
à peu près au service et 100 dans une activité
extérieure, en disponibilité ou en détachement. Je
donnerai ces chiffres, que vous aurez dans l'exposé écrit.
Voilà les ordres de grandeur.
Dans ces conditions, je pourrais d'abord souligner que ces 100 personnes se
comparent aux 188 000 agents du ministère des finances, ce qui fait un
ratio contrôleurs sur contrôlés qui est extraordinairement
faible.
D'autre part, ce ratio est d'autant plus faible que les missions
confiées au service sont de nature extrêmement différente.
Il y en a en gros trois. Un premier bloc sont ce que j'appelle le
contrôle interne du ministère, c'est l'aspect audit interne de
l'entreprise ministère des finances. C'est la cellule d'audit interne
qui vérifie le respect des procédures, des règlements, de
la déontologie, mais qui vérifie également le rapport
entre le coût et l'efficacité des services, d'abord dans les
services déconcentrés, direction générale des
impôts, direction générale de la comptabilité
publique, direction générale de la concurrence et de la
consommation, direction générale des douanes, mais
également dans les procédures générales qui sont
mises en place par le ministère.
Cette deuxième forme d'audit, audit de procédure, a
été particulièrement importante ces dernières
années et notamment depuis deux ans, puisque nous nous sommes rendus
compte qu'un certain nombre de procédures étaient trop complexes,
que d'autres avaient un rapport coût/efficacité mauvais, et
quelquefois effarant, de toutes petites taxes coûtant deux à trois
fois plus cher que ce qu'elles ne rapportent. D'autres encore étaient
tellement mal organisées qu'elles finissaient par devenir fallacieuses.
Nous avons fait des études assez approfondies sur la taxe d'habitation,
non seulement à propos de quelque chose que vous connaissez bien et qui
est le caractère ancien et donc dépassé de la fixation des
bases évaluatives, mais encore par un certain nombre de dispositions
tenant par exemple aux modalités d'admission en non-valeur, dont l'effet
repose sur le budget de l'Etat et pas sur celui des collectivités
locales, sur un certain nombre de poursuites, sur l'absence d'utilisation de
certaines procédures de déclaration par les maires, de
déclarations d'insolvabilité, déclaration de
pauvreté qui seraient susceptibles de faire retomber le coût des
exonérations sur les collectivités locales, d'un certain nombre
d'exonérations de droit qui reposent directement sur le budget de
l'Etat, le tout assorti de procédures de recouvrement et de
contrôle, et notamment de recherches d'adresse faisant double emploi avec
d'autres services comme ceux de la redevance et créant au total une
taxe difficile à recouvrer, injuste, complexe et extrêmement
lourde à gérer.
Voilà le type de missions qui ressortent de ce que j'appelle le BOSTON
CONSULTING GROUPE ou l'ARTHUR ANDERSEN du ministère des finances, soit
enfin l'aspect cellule d'audit.
Deuxième grand bloc : contrôle externe, audit,
vérification, enquête sur des sujets généraux de
l'Etat. L'Inspection générale des finances, ce n'est pas
uniquement un service du ministère des finances, c'est aussi un service
d'une inspection générale interministérielle et, en tant
qu'inspection générale interministérielle, elle peut
être requise par un, deux, trois, quatre ministres pour mener un certain
nombre de travaux avec l'accord du ministre des finances. Dans ce rôle de
contrôle d'audit externe, nous avons donc travaillé et nous
travaillons traditionnellement sur des organismes, audit du BRGM, audit de
l'AFP, audit de RFO, audit de l'UGAP. Ce sont quelques exemples qui ont fait un
peu de bruit quelquefois, quelquefois sur des procédures, prêts
bonifiés, en général, mais également programmes de
dépollution agricole PMPOA, subventions industrielles, etc.
Enfin, nous avons des missions d'assistance ponctuelle à l'Etat en cas
de coup de feu, c'est ce que j'appelle l'inspection commando. C'est le
Crédit Agricole de Corse, la manière dont on va sortir de la
question du canal Rhin Rhône, c'est quel est l'avenir de
l'établissement public d'aménagement de la Défense. Mais
c'est également : « précipitez-vous quelque part
car on soupçonne un détournement »,
« dites-nous pourquoi telle dépense explose et pourquoi telle
recette ne rentre pas » etc. Nous sommes donc requis à tout
moment sur des sujets de ce type.
L'ordre de grandeur du nombre de rapports remis par les 100 personnes, qui sont
en réalité 85, est d'environ une soixantaine, entre 59 et 62
suivant les années, depuis 1997, par an, rapports rendus contradiction
établie.
Voilà l'ordre de grandeur de l'activité.
Dans ces conditions, les principales questions que vous avez posées
appellent à mon avis les réponses suivantes, après quoi
nous discuterons.
Quelles sont les lignes directrices de notre action ? Elles ne peuvent
être de se substituer à une direction, ni la direction du Budget,
ni la direction de la Comptabilité. Elles sont au nombre de 3 :
1/ L'amélioration de la gestion publique, c'est-à-dire en fait du
rapport qualité/prix de la gestion publique. C'est fondamental, cela
concerne votre sujet budgétaire, mais cela le concerne à la fois
de tous les côtés et d'aucun côté. Nous ne
participons pas formellement à l'élaboration de la loi de
finances, nous participons globalement à tout ce qui est recherche
d'économies, recherche d'efficacité, amélioration
générale de la gestion. Encore faut-il que les propositions
soient bonnes, et, si elles le sont, faut-il encore qu'elles soient
acceptées.
2/ Deuxième grand axe. Le respect des règles de droit en
matière financière. Ce respect est essentiel car le droit
financier est fait pour optimiser la gestion publique. Il est donc normal que
je compte au sein des missions fondamentales de l'amélioration de la
gestion publique ce rappel à la règle de droit. Nous en avons un
exemple éclatant en ce moment avec toute l'affaire des marchés
publics.
S'agissant, par exemple, de l'union du groupement d'achat public (UGAP), nous
avions en 1983 fait une enquête. J'étais moi-même
« à la tournée », c'est-à-dire parmi
les jeunes. Nous avions découvert un certain nombre de choses, cela n'a
eu aucun effet ; nous avons recommencé en 1990, nous avons
découvert les mêmes choses, nous avons redit la même chose,
on n'a rien fait. Nous avons recommencé en 1998, nous avons redit la
même chose et, cette fois-ci, j'ai envoyé au Parquet. Les
réformes ont été faites en 8 jours et on a
économisé 30 % sur une masse d'achats publics de 7 milliards.
3/ Troisième ligne directrice : faire des propositions innovantes.
Je prendrai quatre exemples qui ont été particulièrement
importants cette dernière année. L'analyse comparative des
administrations fiscales et les propositions de réorganisation de
l'informatique qui ont été finalement acceptées par les
syndicats de Bercy, en préparation éventuelle d'une mise en ligne
du dossier fiscal du contribuable de sa naissance, par la naissance de la
créance fiscale, à son extinction.
L'inspection a été déterminante dans l'analyse comparative
des systèmes étrangers tant sur le plan informatique que sur le
plan du rapport qualité prix. L'analyse comparative des systèmes
de contrôle de la dépense publique vient de m'être rendue,
analyse menée par Monsieur Guillaume, qui a probablement
déjà été auditionné ici, l'ancien
Commissaire général au Plan.
Une mission de l'inspection est allée regarder dans tous les pays
comment était contrôlée la dépense publique et quels
étaient les liens entre le contrôle et la dépense, la
formalisation de la procédure budgétaire, l'autorisation
budgétaire, la pluri-annualité éventuelle, et les cadres
que nos partenaires européens appellent la gestion par la performance.
Ce rapport est extrêmement intéressant. Nous l'avons
présenté à l'ensemble des directeurs de Bercy à
plusieurs reprises et je pense que le ministre ne verra aucune sorte de
problème à ce qu'il soit largement débattu.
Nous avons également travaillé avec la mission qui était
présidée par Monsieur Giraud, avec l'aide de Monsieur Delorme,
inspecteur général des finances, sur tout le travail
préparatoire à la mise en place d'une comptabilité
patrimoniale pour l'Etat, et nous avons actuellement en cours toute une
série de travaux sur l'élaboration d'indicateurs de gestion, car
parfois il manque de simples indicateurs de gestion. Combien coûte un
chèque traité par la comptabilité publique ou par la DGI
ou par la douane, comparativement à un chèque traité par
une banque ? Indicateurs de performance, réflexions sur ce que l'on
peut attendre d'un service public. Qu'est-ce qu'on peut en attendre ?
Est-ce évaluable, quantifiable et même définissable ?
Indicateurs évaluatifs et qualitatifs par l'introduction dans l'ensemble
de la gestion publique d'indicateurs de qualité.
Nous n'en sommes qu'au début.
Lorsque, dans le cadre de la mission que j'ai menée sur la
réorganisation des administrations fiscales, j'ai voulu faire simplement
regarder si les usagers étaient contents de la manière dont on
répondait au téléphone et que j'ai demandé une
enquête par France Télécom sur le taux de
décroché, on m'a expliqué, dans certaines sphères
un peu syndicalisées je dois dire, que je pratiquais des écoutes
téléphoniques illégales alors qu'il s'agissait simplement
de savoir si les appels faits par les contribuables aboutissaient à ce
qu'on décroche. La résistance a été forte car le
taux de non décroché constaté moyen était de 40 %
sur la France entière.
C'est ce que je veux dire lorsque je dis que nous poussons beaucoup à la
mise en place du type d'évaluation.
Un mot en conclusion sur les handicaps : le premier grand handicap de
l'inspection des finances sont les suites données, dont ne nous sommes
ni maîtres ni témoins ni acteurs le plus souvent. Cela a des
conséquences quelquefois amusantes. J'ai découvert une chose par
exemple, en lisant le rapport Guillaume, il m'a semblé que je l'avais lu
quelque part, alors j'ai regardé les archives. Dominique de la
Martinière, l'ancien directeur général des impôts
avait, en 1955, retour d'Amérique, fait un rapport sur la manière
dont les Américains avaient modifié leur contrôle de la
gestion publique et avaient adapté le General Accounting Office en
l'axant sur le contrôle a posteriori de la performance. Il recommandait
la mise en place d'un système de ce type. 45 ans depuis ont passé
et nous n'avons rien fait.
Donc des suites qui nous échappent complètement.
Deuxième élément important : des arbitrages qui sont
quelquefois défavorables. Nous avons proposé des économies
sur RFO par exemple et on a décidé d'en augmenter le budget. Ce
sont des propositions suivies d'arbitrage en sens inverse, ce qui arrive. Il
faut resituer les responsabilités là où chacun les a
prises, c'est-à-dire en l'espèce au niveau de l'autorité
politique, qui a parfaitement le droit d'arbitrer. En revanche, certaines de
ces propositions partent en quenouille. On fait par exemple un audit de
l'AFP ; le président nouvellement nommé a essayé de
faire un plan d'entreprise, de démontrer à ses troupes qu'il y
avait une concurrence, qu'on ne pouvait continuer ainsi, qu'on perdait du
terrain dans la concurrence et cela n'a apparemment pas servi à
grand-chose.
D'où quelque chose que je voudrais souligner devant vous, de
façon probablement un peu solennelle : nombre de mes camarades, tel
n'est pas mon cas, mais j'ai du mal, estiment que le rôle de procureur
des deniers publics, si on s'en tient aux procédures administratives et
politiques, est désespéré et que la seule corde de rappel
possible est de nature judiciaire.
Ce que j'ai dit sur l'UGAP tout à l'heure est redoutable. Cela veut dire
qu'on peut dire pendant 15 ans quelque chose et que seule la menace de la mise
en examen peut arriver à faire en sorte que des mesures évidentes
soient prises, de manière telle que des économies importantes en
résultent pour la gestion publique.
Si nous continuons dans cette voie, je crains que nous ne soyons perdus. Pas
nous, l'inspection générale des finances, nous tous,
c'est-à-dire en fait l'esprit public, c'est-à-dire en fait
l'Etat, qui se remettrait en réalité de la qualité de sa
gestion et de son salut à des tiers transformés en procureurs
indépendants, ce qui n'est pas ma conviction.
C'est un danger grave et c'est la raison pour laquelle je souhaite que des
efforts soient faits au ministère des finances, à l'Inspection
elle-même, dans la collaboration entre les corps, notamment avec la Cour
des comptes, pour que les législations inapplicables soient
modifiées, pour que les législations trop complexes soient
simplifiées, pour que les législations qui ne sont pas
appliquées soient abandonnées ou appliquées, pour qu'un
certain nombre de mesures proposées soient adoptées, afin qu'il
n'y ait pas, chez les contrôleurs, qui de bonne foi assument la mission
qu'on leur donne de procureur des fonds publics, une sorte de
désenchantement qui les porterait à des comportements
contre-productifs.
Sur un certain nombre de carences en cours de correction ou non
corrigées :
Carences en cours de correction : l'inspection a été
très longtemps franco-française. J'ai souhaité qu'elle
devienne de plus en plus internationale, et, de plus en plus, on recourt
à l'analyse comparative internationale. C'est important, c'est fait. Je
souhaite également que l'inspection recoure à l'analyse
comparative des procédures par le biais de la comptabilité
analytique. Ce n'est pas encore fait, nous ne sommes pas outillés pour
le faire, nous y viendrons. J'ai pris contact avec plusieurs cabinets
d'expertise comptable de très haut niveau, qui nous aideront à
mettre en place ces instruments d'analyse, encore faudrait-il que les
administrations mettent en place par ailleurs une comptabilité
analytique qui nous donne des instruments comparables, ce qui n'est largement
pas fait.
Dernière chose, qui n'est pas faite du tout, nulle part dans l'Etat, et
c'est dommage, mais je n'ai pas la solution, sauf à travailler encore
sur la méthodologie : nous n'avons pas de méthodologie sur
l'évaluation des besoins réels en personnels. C'est un drame
parce que l'absence de comptabilité analytique et l'absence
d'évaluation des tâches et de rationalisation des structures fait
que, quand il faut dire s'il y a trop de monde, pas assez, un peu de monde,
l'opacité est telle nous n'y voyons pas clair pour l'instant. C'est
à cela que, pendant l'année qui vient, je m'attacherai avec
l'accord de tous mes camarades. Nous essaierons de trouver des gens avec qui
nous mènerons des missions d'évaluation des tâches, de
façon à savoir réellement quels sont les emplois utiles et
les emplois inutiles, quelles sont les formations à donner, les
transitions à opérer, de façon à ce que la gestion
des ressources humaines soit quelque chose d'intelligemment fait dans la
fonction publique.
M. le Président
.- Merci.
M. Philippe MARINI, rapporteur général
.- Les
objectifs de cette commission d'enquête se concentrent plus
spécialement sur le système d'information comptable et
financière de l'Etat tel qu'il existe entre les différents
services, les différentes directions et le ministre, dans le processus
de préparation de la loi de finances et dans le cours de
l'exécution de la loi de finances. Notre attention a été
plus particulièrement attirée, à la lumière de
l'année 1999, sur des dysfonctionnements manifestes qui sont intervenus
dans le domaine de l'évaluation et de la réévaluation en
cours d'exercice des recettes fiscales et non fiscales. De plus, notre
attention a été appelée depuis plusieurs années,
mais à nouveau et plus particulièrement fin 1999, sur le
caractère aléatoire des procédures de fin d'exercice, sur
les règles d'imputation budgétaire de certaines recettes fiscales
ou non fiscales, imputations budgétaires de certaines dépenses
également, soit sur l'exercice qui se clôt, soit sur l'exercice
qui s'ouvre.
J'aurais aimé savoir si vous avez été saisi par les
ministres successifs au cours de ces dernières années de ces
sujets de méthodologie, et si l'Inspection générale des
finances a remis des analyses, des conclusions, des préconisations sur
les thèmes dont il s'agit.
Par ailleurs, avez-vous examiné ces sujets au titre de l'auto-saisine
qui, sur de tels domaines d'intérêt général, peut
sans doute, dans certains cas, conduire l'Inspection générale des
finances à approfondir ses propres analyses, ses propres recherches pour
contribuer aux réflexions des cabinets et des ministres sans que ces
derniers aient à formuler une demande préalable ?
J'aurais surtout souhaité savoir quels ont été les
travaux, s'il y en a eu ; pouvez-vous nous en donner connaissance ?
Je voudrais enfin faire allusion à un propos qui était à
la fois substantiel et plein d'humour, qui a été tenu hier devant
notre commission par le président Jacques Bonnet, qui, co-auteur d'un
rapport célèbre en 1997, nous disait en substance que le
système d'information comptable de l'Etat est défaillant,
obsolète, que les fonctionnaires faisaient de leur mieux dans un cadre
qui, de son point de vue, était loin de répondre aux besoins de
la gestion prévisionnelle d'un Etat moderne. Partagez-vous ce point de
vue ?
M. Thierry BERT
.- Sur l'évaluation des recettes et des
dépenses, les dépenses et les irrégularités
constatées en fin d'exercice, l'Inspection générale des
finances ne peut s'auto-saisir. Nous avons un rapport annuel fait sur ce point
par la Cour des comptes, c'est une mission législative qui lui est
dévolue. Nous ne nous mêlons pas de cela.
En effet, nous ne pouvons évoquer l'intégralité de la
comptabilité publique et nous n'aurions d'ailleurs pas les moyens de
remonter l'intégralité des dépenses et des recettes point
par point, sauf à faire comme le fait la première chambre,
c'est-à-dire à y passer quatre mois pleins avec plusieurs
dizaines d'assistants, que nous n'avons pas.
Ce n'est pas la mission de l'Inspection générale des finances.
En revanche, si vous dites que l'évaluation des recettes, le
dimensionnement des dépenses pose un problème, dans la
quasi-totalité des rapports de l'Inspection générale des
finances, nous soulignons en général le caractère excessif
ou pas de tel ou tel crédit ou le caractère excessif ou pas de
telle ou telle décision d'abondement de crédit. Ceci se fait au
coup par coup au milieu des 59 à 62 missions que nous faisons.
Sur le système d'information comptable à proprement parler, je
suis d'accord avec Jacques et d'accord complètement avec Pierre Joxe et
la première chambre de la Cour des comptes.
Le système d'information comptable est un système d'information
de caisse. Nous ne connaissons rien ni des engagements, ni du hors-bilan. Nous
n'avons d'ailleurs pas, à dire vrai, des méthodologies pour
regarder ce hors-bilan, que ce soit un hors bilan dissimulé, comme par
exemple l'engagement par une filiale d'une entreprise publique de racheter
quelque chose à tel prix, détail sur lequel nous sommes
tombés un jour. C'est un détail important, puisqu'il a
coûté un milliard. Vous pouvez avoir également d'autres
engagements pluri-annuels, qui peuvent éventuellement, en l'absence de
suivi, coûter des fortunes. Vous avez l'énorme problème des
engagements à long terme et à très long terme, au premier
rang desquels les retraites.
Des efforts sont faits par la direction du Budget, la direction de la
Comptabilité publique et la direction générale des
impôts pour affiner les modèles de prévision.
Ceux-ci sont néanmoins extrêmement corrélés à
la conjoncture économique et la conjoncture est quand même
très difficilement prévisible, quelles que soient les finesses
qu'on y déploie. En revanche, une situation hebdomadaire des
recouvrements est établie et communiquée, je pense, aux diverses
institutions de la République ; c'est un document confidentiel et
secret, auquel je pense que nous avons tous accès et nous pouvons voir
avec une fiabilité suffisante quels sont les écarts entre les
prévisions et les réalisations, et corriger en hausse ou en
baisse les évaluations.
Beaucoup plus grave est l'absence de comptabilité d'engagement, de
comptabilité patrimoniale et de comptabilité analytique qui fait
que les prévisions de l'Etat ignorent par exemple les notions de
provision mais surtout d'amortissement.
Le caractère impécunieux de l'Etat s'explique largement ainsi. Un
certain nombre d'investissements sont faits, dont le fonctionnent n'est pas
prévu, dont le renouvellement n'est pas envisagé et dont
l'amortissement n'est pas pris en compte. De la même manière, un
certain nombre de provisions, qui sont des provisions dont l'absence dans un
bilan bancaire entraînerait l'incarcération quasi-immédiate
de l'ensemble des responsables, ne sont jamais passées. L'Etat, dit-on,
est son propre assureur, sa propre garantie, il a l'éternité pour
lui etc. Moyennant quoi, aucun risque n'est pris en compte et aucune provision
n'est jamais passée. Si elles l'étaient brutalement, nous serions
dans une situation probablement excessive dans l'autre sens.
Il faut continuer de faire des efforts, mais il est urgent de dépoter
cette affaire de comptabilité patrimoniale et de comptabilité
analytique.
Je voudrais vous raconter une petite histoire : en 1871, Napoléon
III étant parti, Thiers s'est rendu compte qu'il y avait eu des
engagements excessifs par rapport aux autorisations budgétaires et a
demandé à la comptabilité publique de tenir une
comptabilité en dépenses engagées. La comptabilité
publique, à ce moment-là, fait revenir de sa retraite le marquis
d'Audiffret, qui avait été le rédacteur et des
règlements de 1831 et de ceux de 1862, de façon à ce que
des argumentaires soient faits pour dire que la seule comptabilité qui
vaille et qui respecte la logique budgétaire, était une
comptabilité en termes de caisse.
De nouveau en 1914-18 les dépenses ont explosé, elles n'avaient
pas été prévues, les ministères ont fait n'importe
quoi. Arrivé aux affaires, CAILLAUX a redemandé à la
comptabilité publique de tenir une comptabilité des engagements,
celle-ci a refusé. C'est ainsi qu'a été
créée la direction du budget et le réseau des
contrôleurs financiers.
Ce n'est pas pour désespérer les uns et amuser les autres, ni
pour renforcer le scepticisme de cette assemblée, mais simplement pour
dire qu'il s'agit d'un parcours long et d'un parcours d'obstacles. Je crois que
nous y arriverons, mais il faudra, pour cette affaire de comptabilité
analytique et patrimoniale, beaucoup d'efforts et probablement faudra-t-il un
renouvellement assez fort des enseignements, des hommes et des formations, avec
une fertilisation croisée avec les institutions privées. Je vais
assez loin ...
M. le Président
.- Vous allez jusqu'où votre sens du
devoir d'Etat vous conduit et cela nous paraît être conforme
à la grandeur de la mission qui vous est confiée.
M. Jacques CHAUMONT
.- Ma question est de savoir si l'Inspection
générale des finances a la possibilité d'exercer un
contrôle sur les prélèvements du budget au profit de l'UE,
au profit du FMI et sur les bons du Trésor, sur l'ensemble de ce qui
échappe plus ou moins aux directions générales classiques
du ministère des finances, à travers l'Agence française de
développement ou à travers des organismes internationaux.
M. Bernard ANGELS
.- Nous avons beaucoup travaillé ici pour
essayer de voir clair dans le budget des services financiers, au moins sur le
budget de votre ministère. Nous avons, depuis de nombreuses
années, essayé de comprendre et d'analyser le budget.
C'était carrément impossible, quels que soient les ministres,
toutes tendances confondues. Nous sommes sur la bonne voie. Depuis deux
ans , nous voyons un peu plus clair et c'est tant mieux.
L'Inspection générale des finances a-t-elle alerté le
ministre de l'économie et des finances sur les problèmes
posés par les
(inaudible)
et comment se fait-il que vous qui
avez, dans votre activité, pour mission de relever ce qui ne fonctionne
pas à tous niveaux, vous n'ayez pu réussir, alors que nous avons
très peu de moyens de modifier quelque chose qui était
invraisemblable ?
M. Jacques PELLETIER
.- Thierry BERT a dit tout à l'heure
dans les points acquis l'ouverture sur l'international. L'international, est-ce
surtout l'UE ? Comment vous y prenez-vous et à qui faites-vous appel ?
M. Jacques OUDIN
.- Vous nous avez rappelé le rapport de La
Martinière en 1955 et cette réticence profonde du
ministère des finances à s'orienter ou à mettre en oeuvre
une appréciation des résultats.
Dans les années 1970, l'Inspection et le ministère
s'étaient lancés, bon gré mal gré, mais
plutôt bon gré, dans un exercice, la rationalisation des choix
budgétaires qui, 25 ans plus tard, était totalement
abandonnée. C'est bien dommage, parce que chaque fois qu'on essaie
d'apprécier quelque chose, on a parfois du mal à trouver des
indicateurs de bonne gestion. Le plus curieux est qu'on en demande beaucoup
plus aux collectivités locales qu'à l'Etat.
Doit-on renoncer à l'appréciation des résultats de la
gestion de l'Etat en termes d'efficacité ou a-t-on encore quelque espoir
qui peut resurgir ici ou là ?
M. le Président
.- Nous avons, au sein de la commission,
souvent le sentiment que le ministère auquel vous avez l'honneur
d'appartenir pratique le secret. Il me semble que certaines informations,
lorsqu'elles nous parviennent, sont d'un caractère anodin qui ne
justifie pas cette culture du secret ; avez-vous la même
impression ? Vous semble-t-il que, dans la majorité des cas, cette
culture du secret est indispensable dans le pilotage des finances publiques ?
Deuxième question. Je voudrais que vous rappeliez la différence
entre les audits menés par votre inspection et les contrôles
menés par la Cour des comptes et y a-t-il des liens entre les deux
institutions ?
Vous nous avez indiqué que vous avez été amenés
à faire des recommandations en matière de réforme de la
comptabilité de l'Etat. Existe-t-il un document précis sur le
sujet ? Dans cette hypothèse, je souhaiterais que vous puissiez
nous le communiquer.
Dernière question : vous nous disiez également que
l'Inspection générale des finances faisait
régulièrement des propositions d'économies. Sous quelle
forme ces propositions sont-elles transmises à l'exécutif et sous
quelle forme communication pourrait nous être donnée de ces
travaux ?
M. Thierry BERT
.- Je vous répondrai d'abord, par
courtoisie.
La culture du secret est quelque chose dont mon opinion personnelle et
l'analyse qu'on peut avoir de l'évolution de la société
montrent que ce n'est plus tenable et que c'était souvent indu. Nous
avons en permanence le mot confidentiel sur un certain nombre de choses qui ne
le sont pas. S'agissant de la pratique de diffusion des rapports que j'ai, j'ai
clairement dit à l'ensemble des cabinets qu'un rapport était
diffusable dès lors qu'il ne tombait pas sous le coup des trois
interdictions de la loi de 1978 sur la communication des documents
administratifs, c'est-à-dire le secret fiscal ou bancaire, le secret
industriel et commercial et la préparation aux décisions
gouvernementales.
En revanche, je veux bien admettre qu'une note portée à
l'arbitrage, ou qu'un rapport qui contient des informations nominatives en
grand nombre, ou qu'un rapport de contrôle impliquant des suites
judiciaires, par exemple, doive faire l'objet d'une procédure
secrète.
Le secret a eu deux effets, négatifs à mon avis.
Le premier : il a fait considérer comme important un certain nombre
de choses qui ne le sont pas, ce qui a gonflé à l'excès la
tête de certains fonctionnaires et cela a couvert un certain nombre de
pratiques inqualifiables que, désormais, nous ferons disparaître,
la meilleure manière de les faire disparaître étant
naturellement la transparence de certaines choses jusques et y compris les
rémunérations.
Ma position sur ce point est extraordinairement simple : secret
pénal, fiscal, judiciaire, secret des affaires etc. ou
préparation des décisions gouvernementales et pas de
communication des éléments nominatifs.
Les rapports entre l'Inspection générale des finances et la Cour
des comptes sont excellents et pratiquement tous nos rapports sont
communiqués à la Cour ; nous y sommes tenus. La Cour,
légalement, n'a pas le droit, étant une juridiction, de nous
communiquer autre chose que ses conclusions prises en
collégialité et notamment, elle n'a le droit de nous communiquer
aucun document d'instruction. Sont considérés comme documents
d'instruction les rapports particuliers des rapporteurs n'ayant pas fait
l'objet de délibération collégiale. Les rapports sont un
peu déséquilibrés, mais, globalement, quand nous avons un
problème de coordination, nous le réglons par un lien direct et
pas avec le Premier président qui, lui, est tenu strictement au secret
de l'instruction, mais avec le représentant du parquet
général de la Cour, c'est-à-dire Madame Gisserot, que
j'appelle quand il y a un problème particulier, ce qui peut arriver dans
les cas de non coordination de mission, le ministre me demandant parfois des
missions sur des sujets qui par ailleurs sont étudiés par la Cour
ou la Cour intervenant juste après nous.
Le cas le plus manifeste a été une intervention de la Cour juste
après nous sur le consortium de réalisation du Crédit
Lyonnais, ce qui a posé des problèmes dantesques puisqu'entre
temps l'affaire a été communiquée au parquet. Il a fallu
qu'on sache quelle était la procédure de communication de droit
à la Cour de quelque chose qui, par ailleurs, était couvert par
le secret de l'instruction judiciaire.
Madame Gisserot m'a dit que c'était possible.
Cela dit, le caractère instantané chez nous, a posteriori
à la Cour, très rapide de conclusion chez nous, relativement lent
et collégial à la Cour, soumis à autorité
hiérarchique chez nous, non soumis à autorité
hiérarchique à la Cour, fait que le type d'approche est quand
même extraordinairement différent. Il y a un point sur lequel nous
sommes très liés, en raison de choses que nous trouvons ensemble
et dont nous avons à nous expliquer, c'est dès que l'on touche
aux collectivités locales. Les chambres régionales des comptes
font un travail beaucoup plus proche, beaucoup plus immédiat, elles
travaillent plus vite sur des comptes beaucoup plus rapprochés, et donc
nous trouvons souvent des observations qui sont complémentaires ou
identiques, et dans ce cas nous nous en expliquons directement avec le parquet
général.
Y a-t-il un document sur les réformes de comptabilité de
l'Etat ? Monsieur le Président, je veux bien vous laisser la liste
de l'ensemble des rapports. Nous avons essentiellement fait des rapports sur le
rapport d'Henri Guillaume et d'une équipe de l'inspection sur les
questions de prévision de comptes de performance, le rapport Delorme sur
la mise en place de la comptabilité analytique ; ce rapport a
été dépassé par une volumineuse somme, qui est
extraordinairement difficile à lire, le rapport fait par Jean-Jacques
François sur la mise en place d'une comptabilité patrimoniale.
Sur les comptabilités analytiques, nous n'avons pas proposé pour
l'instant de méthode de comptabilité analytique. Nous avons fait
trois exercices pratiques, le premier portant sur le coût de gestion des
différents impôts par la direction générale des
Impôts ; le deuxième, qui est le rapport d'analyse
comparative sur la décomposition du coût des administrations
fiscales, assiettes et recouvrements faisant masse dans notre analyse
puisqu'ils ne sont pas distingués chez nos partenaires, sur les aspects
du coût, et enfin une analyse du coût analytique de la redevance
audiovisuelle. Sur ce point j'ai demandé au cabinet du ministre. Ce
rapport est typiquement par exemple le rapport couvert par le secret des
délibérations gouvernementales. Il est en cours d'analyse sur des
points extraordinairement sensibles, touchant même au fonds de la
redevance. Beaucoup de pays ne l'ont pas.
Nous avançons pas à pas mais plus en manifestant par l'exemple ce
que pourrait donner comme résultat la mise en place d'une
comptabilité analytique.
Sur les propositions d'économies transmises à l'exécutif,
je suis, pour la transmission des rapports, extrêmement ouvert à
transmettre tout ce que l'on veut. S'agissant d'un rapport entre
exécutif et législatif, il convient que cela prenne la forme
d'une demande de votre commission au ministre ou à son cabinet. Je n'ai
pas d'exemple de rapport dont la diffusion ait été
refusée, sauf une fois où l'Etat français était en
contentieux avec un Etat étranger. Le rapport a été
frappé d'embargo, ce qui est tout à fait explicable.
Monsieur le Sénateur Chaumont m'a demandé si le contrôle
portait sur l'UE, le FMI, les bons du Trésor ? Oui, à la
demande du ministre. Nos missions ne sont jamais d'étudier l'ensemble de
la contribution. Ce serait d'ailleurs déraisonnable que l'ensemble de
la contribution vienne d'un budget voté, le budget voté
étant un budget lui-même contributif à un budget global de
l'institution en question. En revanche, nous vérifions, au titre de nos
fonctions, un certain nombre de dépenses de l'UE et, par la même
occasion, de cofinancement français de ces dépenses.
C'est ainsi que François préside la commission
interministérielle de coordination des contrôles. En tant
qu'Inspecteur général des finances, il est également
chargé du contrôle particulier du FEOGA-garantie. A ce titre, nous
avons quelques missions par an pour vérifier si la direction
générale des douanes et des droits indirects fait bien les
contrôles qu'elle doit faire. Un certain nombre de rapports sont faits
sur ce point.
Idem pour Alain-Gérard Cohen, qui est chargé quant à lui
de la commission interministérielle de coordination des contrôles
fonds structurels. Les membres de ces commissions sont les corps de
contrôle spécialisés, l'Inspection générale
de l'agriculture et le FEOGA-orientation, l'IGAS et l'Inspection
générale de l'administration concernant les fonds structurels et
le Fonds social européen.
Le FMI et le CNUD, ainsi d'ailleurs que la Banque Mondiale, nous demandent
quelquefois des audits ; le Trésor nous en demande quelquefois
également sur tel ou tel programme particulier. Il y en a de farfelus
comme une demande d'aller dans un pays que je ne peux citer, un pays d'Afrique,
un grand petit pays pétrolier d'Afrique, grand par les sommes et petit
par la taille. On est allé soi-disant aider à la mise en place
d'une Inspection générale des finances.
D'autres missions de coopération sont plus utiles, par exemple lorsqu'il
s'agit d'aller conseiller un pays comme le Mali, la Tunisie ou le Maroc dans un
certain nombre de mises en place de comptabilité ou de contrôle,
ou de suivi de la dépense ou de la recette. Je me suis engagé
à titre personnel par exemple dans l'aide à l'Inspection
générale des finances tunisienne, parce que ce sont des gens que
j'ai connus il y a 20 ans dans une autre carrière avant d'entrer
à l'ENA, je les connais, ils ont vieilli avec moi et ce sont des gens
que je sais sérieux.
Sur les bons du Trésor, je n'ai pas de souvenir que l'inspection ait
travaillé sur cet aspect.
En matière d'UE, la France met l'Inspection générale des
finances et les inspections des services à la disposition de l'UE pour
la vérification des ressources douanières qui sont une ressource
de la Communauté.
En réponse à Monsieur ANGELS, qui demandait : comment se
fait-il qu'il n'y ait pas de budget des services financiers ? J'en suis
moi-même complètement scandalisé. Une des premières
choses que j'ai dites en arrivant à mon poste en 1997 est qu'il
était urgentissime qu'il y ait un secrétaire
général dans la maison et je suis enchanté qu'il y en ait
un. Je ne suis pas entièrement sûr que cette opinion soit
partagée par l'intégralité de mes collègues
directeurs. Je suis enchanté qu'il y en ait un pour la bonne raison
qu'effectivement, nous n'arrivons pas nous-même à reconstituer le
budget des directions, ni les personnels, ni les rémunérations,
ni le budget de fonctionnement, ni la cohérence des implantations
immobilières, ni en gros rien du tout. Donc nous sommes
extrêmement peu satisfaits, c'est le moins de le dire, de cette situation
un peu surprenante pour un ministère qui prétend donner des
leçons au monde entier.
Pourquoi est-on dans une situation de ce type ? C'est tout simplement un
alluvionnement de petites décisions apparemment de faible importance,
décisions individuelles, refus de telle ou telle réforme
structurelle, ayant créé une situation qui est maintenant un
véritable imbroglio, où les seuls à tirer vraiment leur
épingle du jeu sont en gros ceux qui restent en place le plus longtemps,
c'est-à-dire notamment les patrons des syndicats puisque du ministre
à l'agent, à part cela, tout le monde change tous les quatre ans
au moins. Vous avez raison.
Un gros effort a été fait à la DGI. Ils savent maintenant
quel est leur budget global et le budget informatique mais nous n'avons pas les
coûts analytiques et jusqu'à une date récente, où il
a fallu le faire nous-mêmes et à la main, nous n'avions pas le
coût de revient d'un impôt, nous ne savions pas que globalement
c'était 1,6 %, nous ne savions pas que la taxe d'habitation était
à 4,2 et que la redevance était à 7, tout simplement parce
qu'on nous avait toujours dit qu'elle était à 3,9 % des sommes
encaissés, parce qu'on disait que 3,9 était le montant des
crédits alloués aux services de la redevance, mais on n'avait pas
pris en compte l'ensemble des contrôles faits pour le compte du
recouvrement de la redevance audiovisuelle par la direction de la
comptabilité publique. Si on intègre ces coûts, et ne
comptons pas les coûts informatiques et les coûts indirects, nous
arrivons à 7, ce qui est un coût de traitement de l'impôt
qui est à mon avis tout à fait excessif.
Lorsque je vous disais en introduction qu'il fallait travailler sur les
indicateurs, nous avons vraiment cette idée en tête : faire
un budget direction par direction, aboutir à des coûts analytiques
direction par direction, regarder les coûts de fonctionnement,
distinguer dans les coûts de fonctionnement ce qui est fonctionnement du
matériel et ce qui est gestion du personnel, regarder le GVT, regarder
les coûts d'investissement, prévoir les amortissements des
investissements et les prévoir courts en termes de délais
d'amortissement, concernant par exemple les investissements informatiques. Tout
ce travail est à faire.
M. Bernard ANGELS
.- Ma question au départ était
bien ciblée sur le budget proprement-dit. Sur un quart du budget, qui
n'était pas dans le budget présenté au Parlement. Je fais
allusion aux fonds de concours par exemple.
Un effort énorme a été fait. Cela a été une
bataille menée par le Sénat. Aujourd'hui, bien sûr, tout le
monde veut la paternité de cela. Les ministres se félicitent et
disent que leur action a permis de faire cela.
M. Thierry BERT
.- Nous partageons la tristesse amusée du
contrôleur devant le contrôlé qui n'obéit pas. Le
contrôleur ne doit pas donner d'ordre, ou au moins ne peut le faire.
Avons-nous alerté sur les crédits d'article ? A ma
connaissance, un rapport secret a été fait en 1982 sur ce sujet.
A ma connaissance, il n'y a été donné aucune suite. Ma
connaissance est faible car je n'ai pas retrouvé le rapport. C'est une
connaissance verbale, une confidence d'un de mes lointains
prédécesseurs.
Pourquoi dans ce pays, de toute éternité, les comptables ont-ils
bénéficié d'un certain nombre de dérogations au
droit commun ? Cela date des fermiers généraux et a largement
survécu. Les comptables sont toujours mieux payés que les autres,
ce qui ne s'explique plus.
Monsieur OUDIN a évoqué la RCB. On n'est pas dans le même
cas de figure.
Ce que j'ai appris dans mes études, car je n'ai pas participé
directement à la RCB, c'étaient les années 70, 76, il
s'agissait de l'évaluation des choix budgétaires des
crédits d'intervention, des crédit d'équipement et des
crédits généraux du budget de l'Etat.
Nous le faisons toujours. Un travail comme celui de l'impact économique
du canal Rhin-Rhône par exemple est un travail, dans un certain sens, de
RCB.
Nous avons également audité le projet
euro-Méditerranée, c'est le projet de réhabilitation
pluridisciplinaire de l'ensemble du centre de Marseille. Nous avons
essayé d'évaluer l'impact économique. C'est très
difficile.
Tout ce que j'ai appelé tout à l'heure audit de procédure
est une sorte de RCB. Il arrive même que les inspections
générales ne soient pas d'accord entre elles. Je me souviens
d'une divergence très forte sur l'examen des résultats de la
procédure de zone franche urbaine entre l'Inspection
générale des finances, qui était partie sceptique et qui
est arrivée favorable, et l'Inspection générale des
affaires sociales, qui est restée défavorable ; cela s'est
fini par un constat de désaccord et il y a eu 2 rapports, parce que nous
avons dit que nous ne pouvions pas, même si notre avis initial
était que ces zones franches étaient de l'argent perdu pour
l'Etat en termes de recettes, nous ne pouvions pas dire que cela ne marchait
pas puisque nous avions constaté que cela marchait. Cela ne marchait pas
quand le maire ne s'en occupait pas. Ce sont des faits.
Il paraît que ce n'était pas bien de dire cela. Nous avons tenu
bon.
En revanche, faire de la RCB globale sur le budget, on peut le faire sur tel ou
tel projet, mais pas sur le budget. En revanche, indicateur de gestion de
l'Etat, la balle est lancée et nous avons commencé à y
travailler. J'ai dit quelles étaient nos avancées et nos lacunes.
Oui à un budget des services, oui à une comptabilité
analytique, à des budgets rationalisés, fonctionnement,
investissement, oui à la prévision des renouvellements des
amortissements ; nous prévoirons également des
méthodes d'évaluation.
Nous allons tomber sur un bec. Les indicateurs de gestion peuvent recouvrir 3
choses. Soit nous avons le coût d'une réparation automobile par
l'atelier de Bercy, comparé au coût de la même
réparation automobile par Renault.
Donc indicateurs de gestion basiques.
Au-dessus, on a des indicateurs de performance, et cela implique une
comptabilité analytique. Quel est le rapport coût/avantage de la
perception de tel impôt ? Au-dessus encore, il y a des choses non
quantifiables, par exemple l'aspect dissuasif du contrôle. Finalement,
même si nous avons, par des accords internationaux, résolu
l'ensemble du problème du trafic de drogue entre le Maroc, l'Espagne et
la France, et réglé la question des pêcheurs basques dans
le golfe de Gascogne, il n'en demeure pas moins qu'il faudra garder une brigade
des douanes dans le golfe de Gascogne, parce qu'il y aura un risque qu'il faut
dissuader, le problème étant de savoir le niveau où la
dissuasion est trop chère pour l'efficacité qu'on lui
prête. C'est le sujet le plus délicat en réalité sur
lequel nous allons avoir des difficultés.
RCB, donc, non, sauf au coup par coup. Indicateurs de résultats oui.
Indicateurs de gestion, incontestablement. Indicateurs de performance, oui mais
ce sera difficile. Indicateurs de performance qualitative, là il faut
faire de la comparaison internationale et par moment revenir au bon sens.
M. le Président
.- Merci de la qualité de l'audition
que vous nous avez permis de faire.
Séance du 10 mai 2000
La séance est reprise à 17 heures sous la présidence de M.
Alain Lambert
Audition de Monsieur François AUVIGNE,
Directeur
général des Douanes
M. le
Président
.- Nous travaillons dans le cadre d'une mission qui est
chargée de recueillir les éléments d'information sur le
fonctionnement des services de l'Etat dans l'élaboration et
l'exécution des lois de finances. Il nous a été
conféré pour la circonstance les prérogatives
attribuées à une commission d'enquête, ce qui
m'amène à procéder selon les solennités requises et
ces formalités m'amènent à rappeler pour la commission et
à la personnalité invitée que le secret doit être
conservé sur les travaux non publics de la commission et que nous allons
travailler sur des travaux non publics, qu'en cas de faux témoignage la
personne auditionnée est passible des peines prévues aux articles
434-13, 434-14 et 434-15 du Code Pénal.
Je vous demande de prêter serment, de dire toute la vérité,
rien que la vérité, de lever la main droite et de dire
« je le jure ».
M. François AUVIGNE
.- Je le jure.
Pour introduire cette audition, je rappellerai que la Direction
Générale des Douanes (DGDDI) participe à
l'élaboration et à l'exécution des lois de finances
concernant les dépenses mais elle est là dans une situation peu
différente des autres administrations, et participe aussi concernant les
recettes.
Ses missions sont les suivantes :
A) Préparer des propositions d'articles, soit sur son initiative, soit
à la demande du Cabinet du Ministre.
B) Expertiser et mettre en forme des propositions faites par d'autres
directions du Ministère ou par d'autres ministères.
C) Etablir des prévisions de recettes budgétaires.
D) Etablir des prévisions de dépenses fiscales
E) Assister aux travaux du Conseil d'Etat en tant que commissaire du
Gouvernement.
Les missions de chaque sous-direction peuvent être rappelées :
- une sous direction A : personnel et budget.
- La sous-direction B est chargée de l'organisation
générale des services, surveillance et moyens.
- La sous direction C est chargée de l'informatique, des études
statistiques et des études économiques. Nous avons, par
délégation de l'INSEE, la charge d'établir mensuellement
les statistiques du commerce extérieur.
- La sous direction D est chargée des affaires juridiques et
contentieuses, et de la lutte contre la fraude. Elle sert à cet
égard de conseil juridique général.
- La sous direction E est chargée de l'union douanière et de la
coopération internationale et chargée des questions de
coopération et de relations internationales.
- Enfin, la sous-direction F est chargée de toutes les questions ayant
trait à la fiscalité et aux droits indirects et à ce titre
participe à titre principal à la préparation des lois de
finances. Elle participe également à l'élaboration et au
contrôle des réglementations dans les transports et à ce
qui touche au détail de la réglementation en matière de
droits indirects.
En matière d'élaboration de la loi de finances, c'est
principalement la sous direction F qui est chargée de cette
préparation. Elle intervient avec l'appui d'autres sous-directions, la
sous-direction A qui traite des questions comptables et des modalités
de recouvrement, la sous-direction D chargée des aspects liés au
contrôle.
Administration communautaire par essence, la douane cherche à prendre en
considération au maximum la réglementation communautaire dans
l'élaboration et l'exécution des lois de finances ; de ce
point de vue, elle s'assure de la compatibilité des règles
fiscales qu'elle propose.
Nous avons en particulier la charge de préparer la demande à
Bruxelles de dérogations sur des points particuliers, comme la mise en
place du remboursement partiel de la taxe sur les produits pétroliers
aux transporteurs routiers. La modernisation et la simplification de la
réglementation des contributions indirectes ; ceci n'était
pas l'objet de dérogation mais reprenait le souci d'appliquer aux
échanges intracommunautaires et aux échanges nationaux les
mêmes règles.
Parmi les administrations chargées du recouvrement, nous sommes la
troisième régie financière, nous sommes la plus petite.
La douane recouvre des recettes, 352 MdF en 1999, que l'on peut ventiler selon
les catégories suivantes :
1) Les droits de douane et assimilés (8,8 MdF en 1999).
2) Accises sur les alcools, tabacs et produits pétroliers, (228,5 MdF en
1999).
3) La TVA perçue comme en matière de douane, c'est-à-dire
la part assise sur les importations de provenance extracommunautaire et la part
assise sur les mises à la consommation de produits pétroliers,
quelle que soit leur origine (91 MdF).
4) Autres produits des douanes (dont la taxe générale sur les
activités polluantes et la taxe intérieure de consommation sur le
gaz naturel) (7,7 MdF en 1999).
5) Autres taxes indirectes (dont la taxe à l'essieu) (8,9 MdF en 1999).
6) Divers (7,2 MdF en 1999).
Ces recettes font l'objet d'une centralisation statistique mensuelle faite par
le bureau F/2 ; une fiche est établie le 10 ou le 11 du mois pour
les principaux postes. 3 tableaux détaillés sont
réalisés vers le 20 ou le 21 du mois.
Pour les autres recettes, l'exploitation se fait en fonction des besoins, selon
des critères variés (bilan par bénéficiaire, par
secteur etc.).
Nous réfléchissons et nous évoluerons rapidement
concernant les recettes désormais affectées au fonds de
financement de la réforme des cotisations patronales de
sécurité sociale, au Fonds solidarité vieillesse, à
la Caisse nationale d'Assurance maladie pour que ces recouvrements
destinés aux organismes sociaux soient suivis sous une forme comparable
à celle des recettes budgétaires, en liaison avec la direction du
budget.
La DGDDI (bureau F/2) participe au comité d'arbitrage des recettes.
Elle établit ses propres révisions de recettes en vue de la
réunion et explique en séance les chiffres avancés.
A cet égard, les méthodes méritent des
développements un peu différents selon les rubriques.
La TIPP soulève essentiellement des questions ayant trait aux volumes en
cause des carburants, puisque c'est l'élément directeur qui
conduira la prévision de recettes.
La TVA à l'importation a une base imposable qui est constituée de
la valeur des importations (les autres paramètres étant quasi
stables)
La DGDDI applique donc aux résultats des importations exprimés en
valeur de l'année précédente un pourcentage
d'évolution qu'elle détermine.
La TVA sur les produits pétroliers pose des problèmes parfois
plus complexes ; elle est déterminée par
3 séries d'éléments :
- l'évolution des taux de TIPP,
- l'évolution des mises à la consommation de produits
pétroliers,
- l'évolution des valeurs des produits pétroliers. Ces valeurs
sont fixées forfaitairement et par trimestre en fonction des cours
constatés par la Direction des Matières Premières et des
Hydrocarbures. Cette part de TVA sur les prix hors taxes forfaitaires
représente actuellement environ le quart de l'assiette.
S'agissant des droits de douane, les hypothèses de variation des
importations sont appliquées à la base imposable. Il est
appliqué également un coefficient de réduction du taux
moyen des droits de douane compte tenu des démantèlements
tarifaires résultant notamment des accords conclus dans le cadre de
l'Organisation mondiale du commerce (OMC).
Les prévisions de recettes en matière de tabac sont
fondées sur des simulations d'évolution des ventes en
quantité et en valeur, en intégrant les hausses de prix.
La DGDDI adresse des propositions législatives au Cabinet du Ministre,
le plus souvent en vue de simplifications administratives, de la mise en
conformité du droit national, d'actualisations de taux et
d'améliorations du recouvrement et du contrôle.
L'administration des Douanes ayant des préoccupations de gestion, nous
sommes très soucieux de toutes les mesures qui vont contribuer à
la simplification des procédures.
Des notes ponctuelles peuvent informer le Ministre des difficultés
rencontrées pour la mise en oeuvre des lois de finances,
difficultés juridiques, impact sur la charge de travail des services
douaniers et les mesures contre la fraude.
Dans le cadre de la préparation des lois de finances, s'agissant de la
deuxième partie, « Moyens des services et dispositions
spéciales », la DGDDI adresse au Ministre ou à son
Cabinet des notes d'informations sur le déroulement des
conférences budgétaires tenues avec la Direction du Budget.
S'agissant des instructions, nous recevons des instructions sur les principes
des mesures nouvelles (taxe générale sur les activités
polluantes par exemple, cela a été un budget important de travail
à la demande du Ministre), comme le remboursement de TIPP aux
transporteurs.
Nous recevons principalement aussi des instructions en matière de lutte
contre la fraude (par exemple le plan commun DGDDI-DGI de lutte contre la
fraude à la TVA et l'économie souterraine) ou de
procédures comptables.
Les relations entre la DGDDI et les autres directions du Ministère,
Trésor, Budget, DGC-P, Prévision, sont d'intensité
variable.
La Direction Générale de la Comptabilité Publique (DGCP)
définit les règles que l'Administration des Douanes est
chargée de mettre en oeuvre. En effet, la comptabilité des
recettes des douanes s'intègre dans celle des Trésoriers-Payeurs
Généraux, qui appartiennent au réseau de la
comptabilité publique. C'est pourquoi les comptables des douanes
adressent les états comptables mensuels et annuels à la DGCP, qui
définit les modalités d'adaptation de toute modification de la
réglementation comptable. C'est ainsi que plusieurs sujets
d'actualité ont conduit à des travaux avec la Direction de la
Comptabilité Publique, la mise en place du virement obligatoire dans le
cadre de l'application de l'article 22 de la loi de finances rectificative du
30-12-1999, la baisse récente de TVA, le paiement expérimental
par carte bancaire, le transfert d'attributions de recettes locales des
douanes, et un projet actuel de transmission quotidienne et non plus mensuelle
des données comptables au réseau de la DGCP.
Enfin, la procédure administrative permettant de mettre en jeu la
responsabilité des comptables relève de l'appréciation
finale de la DGCP. En effet, elle prononce, par délégation du
Ministre chargé du Budget, une décision de remise gracieuse ou de
décharge.
La Direction du Budget est destinataire d'états mensuels transmis par la
DGDDI.
La Direction Générale des Impôts, qui est notre partenaire
important en matière de lutte contre la fraude, est aussi un partenaire
de travail significatif pour l'élaboration des textes
législatifs, de la réponse aux amendements et de
l'évaluation de la dépense fiscale.
Avec la Direction du Trésor, nous avons des relations qui se centrent en
matière comptable sur une question ponctuelle et importante : la
tenue de la liste actualisée des sociétés d'assurance
habilitées à se porter caution, notamment en matière de
douane et de contributions indirectes puisque beaucoup des recettes
douanières sont des recettes cautionnées.
Avec la Direction de la Prévision, les échanges portent sur les
statistiques de recettes, de mises à la consommation des produits
pétroliers et du commerce extérieur.
Voilà le cadre général dans lequel la DGDDI participe
à ces travaux relatifs à la loi de finances.
M. le Président
.- Merci.
M. Philippe MARINI, Rapporteur général
.- Vous nous
avez tracé le cadre de manière extrêmement précise
et en répondant de façon détaillée au questionnaire
adressé.
Peut-être pourrions-nous regarder un cas d'application de ces
procédures avec l'exercice 1999, tant en termes d'estimations et de
réévaluation en cours d'année des recettes dont le
recouvrement appartient à la Direction Générale des
Douanes que pour ce qui est de l'imputation des recettes de fin d'exercice sur
l'année 1999 ou 2000. Ce sont deux des sujets importants qui
préoccupent notre commission d'enquête, soucieuse de transparence
dans la bonne organisation des systèmes d'information.
M. François AUVIGNE
.- Sur ces questions
d'évaluation et de réévaluation des recettes, je rappelle
que nous avons généralement une situation qui, compte tenu des
méthodes que nous employons, est une situation à certains
égards peut-être de plus grande stabilité que la plupart
des postes des autres directions. Généralement d'ailleurs des
réunions d'arbitrage permettent, sur nos sujets, un consensus
administratif assez fort. C'est ce que mes collaborateurs, qui ont eu
l'occasion d'y participer, ont pu me dire. La TIPP renvoie essentiellement
à une question d'appréciation des volumes des carburants qui
seront mis à la consommation. De ce point vue, il peut y avoir des
écarts, du fait d'une estimation pouvant être discutable des
prévisions de trafic.
Mais généralement, on arrive en matière de TIPP à
une prévision assez robuste. Les choses sont parfois un peu plus
difficiles lorsqu'il y a des changements significatifs dans les comportements
des usagers.
Je prendrai un exemple concernant l'actualité récente, qui tient
à la suppression du carburant plombé, et l'introduction d'additif
au potassium remplaçant le plomb. Nous avons été surpris
par la baisse plus forte que prévue de l'utilisation de ces carburants
avec additifs, et nous avons assisté à une croissance plus forte
que prévue de la part relative de la TIPP portant sur les carburants
sans plomb.
Pour ce qui est des droits de douanes, qui ne constituent plus qu'une recette
marginale de nos perceptions, nous appliquons chaque année une sorte de
clef tenant compte de l'évolution des marchandises importées par
les bureaux de douane français et qui tient compte de l'érosion
liée à l'application des accords de l'OMC.
De ce point de vue, il peut y avoir des surprises, mais elles sont
limitées.
Le plus complexe pour nous reste la TVA sur les produits pétroliers
compte tenu du jeu des trois facteurs que nous avons énoncés tout
à l'heure.
S'agissant du droit de consommation sur les tabacs, il y a toutes les
incertitudes liées à l'évolution des consommations. On
assiste à des phénomènes sociologiques. Un
phénomène connu est qu'à chaque hausse de tarif ressentie
par le consommateur, on assiste à une baisse de la consommation pendant
quelques semaines, dont l'intensité varie selon les époques.
Ce sont les principales difficultés que nous rencontrons concernant la
robustesse de nos prévisions, ce qui conduit à des écarts
probablement moins forts que dans d'autres catégories de domaines. Je
donnerai par écrit à la commission la liste de ces écarts.
Nous sommes en situation sans doute un peu spécifique compte tenu du
caractère des recettes qui sont en cause.
S'agissant des recettes nouvelles, d'impôts nouveaux, comme la TGAP, qui
compte huit faits générateurs différents, on peut avoir
plus de mal à établir des prévisions totalement
assurées.
Concernant les opérations de fin d'exercice, j'évoque la question
de la comptabilisation de la taxe intérieure sur les produits
pétroliers. Le mode de recouvrement normal de la TIPP consiste en des
déclarations décadaires que l'on fait à la sortie des
entrepôts fiscaux de stockage et des entrepôts fiscaux de
production.
La décade pétrolière est une déclaration
récapitulative qui reprend toutes les mises à la consommation des
produits pétroliers intervenues au cours de la décade.
La prise en compte est faite au plus tard le troisième jour qui suit la
décade et le paiement est réalisé 30 jours
après le jour médian de la décade.
Cette procédure est applicable aux produits les plus courants,
c'est-à-dire à 99% de la TIPP.
Pendant plusieurs années, les mises à la consommation du 20 au
28 décembre étaient déclarées
séparément et prises en compte le 31 ou le 30 du même mois.
En décembre 98, la situation est revenue à la normale. Cette
méthode de comptabilisation a été modifiée.
M. Bernard ANGELS
.- Nous travaillons sur le fonctionnement du
Ministère, notamment pour voir si on peut proposer des simplifications.
Dans votre direction, vous avez des recettes des douanes. Qu'est-ce qui
justifie le maintien de ces recettes ? Y a-t-il une raison qui empêche de
simplifier et d'avoir des services de recettes
généralisés ?
M. le Président
.- 1/ Votre Direction
Générale a-t-elle été amenée à donner
des informations sur l'évolution prévisible des recettes fiscales
pour les ajuster lors du collectif budgétaire ?
2/ Confrontez-vous vos prévisions générales avec celles
des autres directions ? Est-il exact, car c'est une information que nous
avons recueillie au fil de toutes les auditions, que les prévisions en
la matière sont assez différentes selon les directions et entre
les directions chargées du recouvrement et la Direction du Budget ?
J'aimerais que vous nous donniez votre propre point de vue sur le sujet.
Lorsque j'occupais la fonction du Rapporteur général,
c'était une période où nous parlions de fuite massive de
TVA intracommunautaire. Nous nous perdions en conjectures à
l'époque sur les causes de cette fuite. Cela a-t-il été
élucidé et à combien estimez-vous éventuellement la
perte de recouvrement relative de la TVA aujourd'hui ?
M. François AUVIGNE
.- A la question de Monsieur ANGELS, je
répondrai que nous avons 226 recettes des douanes, c'est-à-dire
que nous avons un réseau comptable concentré. Ces recettes ont
parfois des annexes qui n'ont pas de fonction comptable. Ce réseau a la
particularité de réunir dans les mêmes services l'assiette
et les recouvrements. A certains égards, c'est une particularité
qui correspond à des évolutions qui ont pu être
envisagées par ailleurs.
J'observe que, dans la plupart des pays étrangers, où les douanes
ont des responsabilités du même type que les nôtres,
c'est-à-dire droits de douanes, lutte contre les grandes fraudes et les
recouvrements des accises, on constate qu'il y a des bureaux de recettes
individualisés consacrés à ces questions. L'atout
principal du réseau douanier est son caractère concentré.
Si nous avions à bâtir un système, comment ferions-nous ?
Je ne sais pas. Mais ces éléments peuvent étayer la
réflexion sur le réseau comptable douanier.
S'agissant de la question des réunions de recettes, je n'ai pas
personnellement l'expérience de ces réunions, mes collaborateurs
qui s'y rendent m'indiquent que, sur les sujets douaniers, la liste des
recettes qui sont recouvrées par la douane, généralement
les écarts de prévision, le consensus se fait relativement
facilement.
Concernant la question du collectif budgétaire, je n'ai pas la
réponse mais je la transmettrai par écrit.
Sur la fraude à la TVA intracommunautaire, je ne suis pas en mesure de
chiffrer le montant de la fraude. A la suite de travaux, notamment du
Parlement, on a assisté à partir de 1997 à une très
grande prise en compte de ce sujet et la douane à deux reprises a
été mobilisée par les ministres, début 1997 et de
manière encore plus ample fin 1997, afin de renforcer de manière
considérable la collaboration entre les services douaniers et les
services des impôts en matière de lutte contre cette fraude.
On a donné des indications chiffrées et précises à
nos services en termes de contrôle à la circulation. Nos
unités en tenue peuvent établir sur les routes, à
l'occasion de contrôles, des fiches de contrôle L80 à
l'occasion des 12000 contrôles à la circulation effectués
chaque année en cette matière, et ainsi transmettre des
informations à la DGI notamment sur les échanges
intracommunautaires.
Les éléments que nous avons en retour sont que, dans de nombreux
cas, ces informations constituent des briques utiles pour déceler des
mécanismes de fraude. Deuxième aspect : nous avons
renforcé le contrôle des déclarations d'échanges de
biens intracommunautaires et avons donné des indications plus
précises en termes d'objectifs à nos services concernant les
contrôles de facturation en entreprise, contrôles qui peuvent
être faits par les agents des impôts ou des douanes et permettent
de déceler des prémisses de fraude à la TVA
intracommunautaire. Dans cette Administration, depuis quelques années,
le thème de la coopération avec les autres directions, en
particulier la Direction Générale des Impôts, a
plutôt bien progressé. La TVA intracommunautaire est
incontestablement une des priorités principales qui ont
été assignées par mon prédécesseur et que
j'ai été conduit à maintenir.
M. le Président
.- Merci, je ne vois pas d'autres questions.
Merci de nous envoyer les compléments d'informations.
(La séance est levée à 18 heures)
Séance du 16 mai 2000
La séance est ouverte à 16 heures 10 sous la présidence de
M. Alain Laémbert
Audition de M. Jean-Claude TRICHET,
Gouverneur de la Banque de
France
M.
le Président
- La séance est ouverte.
L'ordre du jour appelle l'audition de M. Jean-Claude Trichet, Gouverneur
de la Banque de France. Monsieur le Gouverneur, je vous souhaite une
chaleureuse bienvenue devant notre commission.
Notre rendez-vous est différent de nos rendez-vous habituels, puisque
nous travaillons dans le cadre de la mission dont notre commission a
été chargée par le Sénat afin de recueillir des
éléments d'information sur le fonctionnement des services de
l'Etat dans l'élaboration puis dans l'exécution des lois de
finances.
Nous avons par ailleurs souhaité qu'il y ait autant de rapporteurs que
de groupes siégeant à la commission des finances. C'est ainsi que
nous comptons parmi nos rapporteurs, outre le Rapporteur général,
MM. Roland du Luart, Bernard Angels, André Vallet, Paul Loridant,
et votre serviteur.
Je vous rappelle que nos travaux sont non publics et secrets.
L'ordonnance du 17 novembre 1958 précise que
"toute personne
dont une commission d'enquête a jugé l'audition utile est entendue
sous serment"
et qu'
"en cas de faux témoignage, elle est passible
des peines prévues par les articles 434.13, 434.14 et 434.15 du code
pénal".
En conséquence, je vous demande de prêter serment de dire toute la
vérité, rien que la vérité, de lever la main droite
et de dire :
"Je le jure".
M. Jean-Claude Trichet
- Je le jure.
M. le Président
- Notre commission a souhaité
vous entendre pour faire appel à vos souvenirs d'ancien Directeur du
Trésor.
Elle désirerait également savoir si, en tant que Gouverneur de la
Banque de France -membre du système européen des banques
centrales- vous jugez l'information dont vous disposez satisfaisante ou si vous
pensez qu'il faudrait l'améliorer.
Pouvez-vous nous dire par ailleurs comment se situe notre pays par rapport
à ses partenaires ?
Vous avez la parole.
M. Jean-Claude Trichet
- Permettez-moi de vous remercier une
nouvelle fois de m'avoir demandé de vous rencontrer. Il s'agit d'une
circonstance un peu particulière, mais je voudrais exprimer à
nouveau la disponibilité totale de la Banque de France à
l'égard de la commission des finances du Sénat.
Comme vous le savez, et comme la loi le prévoit, à tout moment,
je considère que nous pouvons vous rejoindre à votre demande si
vous souhaitez quelque explication que ce soit dans les domaines dont nous
avons la charge.
Je n'aborderai pas du tout les questions de politique monétaire ou de
change, bien qu'elles soient en ce moment particulièrement
médiatisées, pour toutes les raisons que vous savez.
Laissez-moi simplement vous exprimer cette disponibilité totale et
remercier votre commission, ainsi que le Sénat de la République,
pour le soutien qu'ils ont constamment apporté à la Banque de
France au cours des années écoulées. Mes collègues
et moi-même y avons été très sensibles.
Sur le point que vous abordez, je voudrais évoquer trois questions plus
particulières. La première, qui me paraît directement dans
votre sujet, est celle de savoir comment la procédure de confection de
la loi de finances et de suivi de son exécution fonctionne,
essentiellement du point de vue du Gouverneur de la Banque de France et compte
tenu de mes souvenirs de haut fonctionnaire du Ministère des Finances
que j'ai été -haut fonctionnaire non responsable du budget de
l'Etat : ce sont les responsables anciens et actuels de la discussion du
budget qui seraient bien entendu mieux que personne à même de vous
éclairer.
Je voudrais peut-être aussi vous dire un mot sur ce que j'observe en
Europe d'une manière générale et sur les comparaisons que
je peux faire à la fois dans les procédures qui sont suivies,
mais peut-être aussi à propos des débats que je vois
s'organiser en Europe, débats démocratiques, similaires à
celui que nous avons eu sur le célèbre dossier dit de la
"cagnotte", sur lequel j'avais d'ailleurs eu l'occasion de m'exprimer
moi-même publiquement, en tant que Gouverneur de la Banque de France.
Peut-être pourrais-je aborder un dernier point, qui est celui du suivi,
dans le cadre d'un système mondial, du respect des normes de diffusion
spéciale des données, puisque nous avons maintenant un consensus
mondial sur ce qu'il convient de faire pour suivre le secteur budgétaire
-et nous venons d'élaborer, à la fois au Ministère des
Finances et à la Banque de France, le point de la situation en faisant
une sorte d'auto-évaluation de nos méthodes, et en les comparant
avec ce qui est recommandé au niveau mondial.
Sur le premier point, je vais être bref. Je crois que nous sommes en
présence, avec la confection, puis l'exécution de la loi de
finances, de procédures qui sont essentiellement celles de la loi
organique, et je ferai simplement quelques considérations qui ne vous
surprendront pas.
Nous avons -je crois que la commission a déjà été
amenée à le déplorer, mais il est vrai que le défi
est considérable- une comptabilité « de
flux » et non « de stock ». L'Etat, si l'on veut
bien le considérer comme une très grande entité
économique, l'équivalent d'une très grande entreprise, n'a
pas du tout la comptabilité des entreprises.
Nous sommes en présence d'une comptabilité assez
différente, et l'on peut en effet souhaiter faire des progrès
dans le sens d'une plus grande fiabilité du point de vue de la
comptabilité « de stock ».
Je n'insiste pas outre mesure, mais il y a là un très grand
défi, à la fois comptable et conceptuel qui nous est lancé.
Pour ce qui concerne la sincérité ou l'insincérité
de la loi de finances -sincérité ou insincérité a
priori, puis a posteriori- je suis assez perplexe moi-même, et je ne vous
cache pas qu'il me semble qu'il y a dans le débat public quelque chose
d'un peu surréaliste.
Peut-être vais-je choquer certains membres de la commission, mais j'ai
été très frappé de voir qu'au cours de ces
dernières années, quelles que soient les sensibilités qui
se sont succédées au pouvoir, une sorte de procès en
insincérité a priori était généralement
tiré du fait que le Gouvernement et le Ministère des Finances
étaient trop optimistes, qu'ils prévoyaient trop de recettes et
qu'ils présentaient donc un budget dont on pouvait prévoir
à l'avance qu'il allait être insincère, parce qu'il y
aurait moins de recettes que prévu, autant de dépenses que
prévu et, par conséquent, un déficit supérieur
à celui qui était annoncé.
On a vu très récemment ce débat qui devenait classique et
que j'ai vu se répéter, encore une fois, quelles que soient les
sensibilités au pouvoir, pendant toute la période où la
croissance était ralentie, où nous avions plutôt des
déceptions que de bonnes surprises. On a ensuite vu le débat
changer complètement de tournure, et le procès en
insincérité changer de physionomie. Cette fois, on disait :
"Vous avez beaucoup plus de recettes que vous n'en avouez, et vous auriez donc
la possibilité de faire beaucoup plus de choses que vous ne le dites.
Vous dissimulez la réalité, et vous faites en sorte que l'on
puisse avoir en réalité une exécution budgétaire
avec un déficit bien moindre que celui qui était
programmé".
Je ne vous cache pas, aussi bien au titre de mes anciennes fonctions qu'au
titre de mes fonctions actuelles, j'ai toujours été frappé
par ce procès, qui repose essentiellement sur le fait que les
hypothèses de travail de la loi de finances ne semblent pas, aux yeux de
la représentation nationale, être le fruit d'un travail
sincère, professionnel, d'une sorte de consensus d'experts, le meilleur
possible, mais le fruit d'une manipulation gouvernementale.
Quelles que soient les sensibilités se succédant au pouvoir, je
n'ai jamais eu personnellement ce sentiment, ne serait-ce que parce que l'on
est sous le regard de tous lorsqu'on est Ministre des Finances, qu'on
élabore son budget dans des conditions toujours difficiles et que, sur
le fond des choses, on prend, au moment où il est cristallisé, le
meilleur consensus d'experts et le plus vraisemblable possible !
Mais il est vrai que la procédure pourrait être
améliorée et que s'il y avait un élément encore
plus objectif que celui qui est retenu actuellement, on pourrait
peut-être gagner en clarté et en lisibilité du débat
public, au lieu de s'engager dans ces procès d'intention successifs, qui
ne me paraissent ni très pertinents, ni très constructifs, pour
tout dire.
A mes yeux, nous sommes toujours en situation d'incertitude sur la croissance
économique. Bien malin qui peut dire quelle sera la croissance
économique de l'année suivante. On s'est trompé, en
France, en Europe et dans le monde, de manière absolument monumentale
sur la croissance économique ! Les meilleurs experts mondiaux se
sont trompés, pour l'année 1991, de 3 % sur la croissance du
monde, alors même que l'on aurait pu compter sur les
régularités statistiques mondiales ! De la même
manière, on s'est trompé sur la croissance européenne de
3 % pour l'année 1993 : on prévoyait qu'elle serait
positive, et elle a été très négative, puisque
c'était l'année de la récession !
Je reste donc très prudent sur la réalisation, et je crois que
notre opinion n'est pas assez consciente du fait que personne ne peut vraiment
garantir un taux de croissance, ce qui me conduit à dire qu'il faut
peut-être être plus prudent qu'on ne l'est en ce moment dans notre
pays, où tout le monde semble aujourd'hui considérer qu'il va de
soi que l'on ait une croissance éternelle de 3 % en volume par an.
Je n'en suis pas sûr personnellement, et je crois que cela suppose un
grand nombre de conditions à réunir pour arriver à un tel
résultat.
Bref, je crois qu'on peut probablement améliorer les choses en ayant une
procédure plus objective et surtout reposant davantage sur un consensus
d'experts gouvernementaux, parlementaires et indépendants, de
manière à avoir des éléments incontestables, mais
je recommanderais à la représentation nationale de confronter ses
points de vue sur les dépenses plutôt que sur les recettes. Les
recettes sont finalement ce que l'on observe à la fin de l'année
et, de ce point de vue, je voudrais vous dire que j'ai été
surpris de voir à quel point le débat français est
différent du débat dans les autres pays.
Si je prends ce qui s'est passé en France entre la loi de finances
initiale pour 1999 et la réalisation pour 1999, j'ai les chiffres
suivants -je parle sous votre contrôle, et je sais que je suis dans le
tabernacle sénatorial de la loi de finances ; j'espère donc
que les chiffres que mes collaborateurs m'ont donnés sont bien
exacts : nous avions prévu - 2,3 % pour le solde des
finances publiques, au sens de la loi de finances, et non au sens de
Maastricht. Sauf erreur de ma part, en réalisation, nous arrivons
à - 1,8 %. C'est du moins le chiffre que j'ai sous les yeux.
Nous avons donc une amélioration de 0,5 point de PIB.
Sommes-nous, en France, en présence d'un événement
extraordinaire que l'on ne retrouverait pas dans les autres pays, et qui
s'expliquerait par des insincérités successives ? Eh bien,
non ! Je dois dire que, pour l'ensemble de la zone euro, dont nous ne
représentons qu'une fraction somme toute modeste, on a exactement la
même différence entre la loi de finances initiales des onze pays
et la réalisation. On avait prévu au total, pour ces onze
pays, - 1,7 % : on réalise - 1,2 %. Les
mêmes causes produisent exactement les mêmes effets. La croissance
de l'ensemble de la zone euro a été, au total, meilleure que
celle prévue initialement et donc, dans la zone euro comme en France, on
a une réalisation meilleure que celle de la loi de finances initiale.
Si vous me le permettez, un aparté de Gouverneur de banque
centrale : bien entendu, l'idée d'appeler cela une cagnotte n'est
venue à personne dans les autres pays européens et, pourtant, ils
avaient exactement la même que nous ! Cette idée de cagnotte
est étrange, puisqu'on se trouve simplement en présence de
recettes supérieures à ce qui avait été
anticipé, la croissance ayant été supérieure...
mais que l'on a toujours un déficit important !
Il faut évidemment, partout en Europe, affecter ces suppléments
de recettes à la réduction supplémentaire du
déficit. Cela paraît aller de soi, et cela va de soi dans la quasi
totalité des autres pays. Je n'insiste pas davantage sur ce point, mais
je crois nécessaire d'appeler votre attention sur le caractère un
peu particulier de l'"exception française" entre guillemets, de ce point
de vue.
Bien entendu, derrière la régularité statistique, qui nous
donne -mais c'est un peu un hasard- exactement le même pourcentage de
réduction du déficit pour la France et pour la zone euro dans son
ensemble, se cachent des différences assez substantielles de pays
à pays. Certains pays ont eu de bonnes surprises, comme les Pays-Bas,
qui escomptaient - 1,3 % de déficit en termes de proportion de
PIB, et qui ont eu 0,5 % de surplus. Au total, aux Pays-Bas, la
différence de 0,5 % pour l'Europe est, sauf erreur de ma part, de
1,8 % du PIB.
La Belgique est dans notre cas : elle escomptait - 1,3 % de
déficit : elle a eu - 0,9 %, soit une amélioration
de 0,4 %.
L'Espagne a connu la même situation que nous : elle attendait -
1,5 % ; elle a eu - 1,1 %, et cela lui donne un
résultat évidemment plus satisfaisant que celui qu'elle avait
anticipé.
D'autres pays ne se retrouvent pas dans une situation aussi flatteuse, et
certains voient leurs réalisations identiques à leurs
prévisions. Tout ceci dépend donc très largement des
aléas entre la réalisation et les anticipations mais, au total,
comme je l'ai dit, sur l'ensemble de l'Europe, nous avons un résultat
qui est en amélioration, pour le même quantum de PIB que pour
notre propre pays.
Je crois pouvoir vous dire qu'il y a maintenant d'ores et déjà un
assez grand nombre de pays, dans la zone euro et en Europe, qui sont en
excédent des finances publiques. Je dois vous dire que, là aussi,
parler de cagnotte quand on est dans la catégorie de ceux qui ont les
plus importants déficits paraît aux banquiers centraux bien
étrange.
Je trouve que le sentiment de l'opinion, dans notre pays, a beaucoup
évolué au cours de ces dernières années, et je
pense que c'est un phénomène qu'il faut plutôt
déplorer. Nous avions la réputation d'être
extrêmement bien gérés en matière de finances
publiques jusqu'à la fin des années 1980. Lorsqu'on a
négocié le traité de Maastricht, ce sont plutôt nos
thèses qui l'ont emporté. C'est nous qui avons imposé le
plafond de 3 % à l'ensemble des Européens. C'était la
règle française pour la limite extrême du déficit
qui avait été proposée au début des années
1980 par le gouvernement de l'époque sur la base d'un consensus multi
partisan, et qui, finalement, est apparue bonne à l'ensemble des
Européens.
Nous avions la proportion de dettes par rapport au PIB la plus faible d'Europe,
avec le Luxembourg, ce qui nous donnait la position de celui qui avait
été, dans le passé, parmi les meilleurs gestionnaires,
sinon même le meilleur gestionnaire des pays européens grands et
moyens.
Pour des raisons qui m'échappent, comme si l'on avait acquis la sagesse
monétaire, en sacrifiant la sagesse budgétaire, notre pays et
notre opinion publique se sont montrés nonchalants, n'ont pas
réalisé que l'Italie, l'Espagne, le Portugal, la Grèce,
faisaient des progrès extraordinaires. Nous avons vécu sur notre
passé assez brillant, sans nous rendre compte que nous étions
progressivement dépassés. Il est à bien des égards
paradoxal que la Grèce, l'Espagne ou le Portugal fassent mieux que nous
en déficit budgétaire annuel !
Bref, il y a eu quelque chose dans le débat public qui a fait qu'on n'a
pas vu que les autres faisaient des efforts remarquables et que, notamment, les
pays latins, qui étaient auparavant mal gérés,
s'étaient mis à se bien gérer.
Un dernier point pour mentionner le fait que nous avons des normes et des codes
au niveau mondial, et qu'en ce qui concerne le secteur budgétaire, il y
a des normes de diffusion spéciales des données, appelées
NSDD en anglais.
Après relecture attentive des publications périodiques, nous
estimons que les opérations du Trésor sont en ligne avec les
normes mondiales recommandées à l'ensemble des pays du monde.
Je ne puis aller plus loin, car il faudrait que j'entre dans les
détails, mais je pense que votre commission pourrait avoir sans peine
accès à ces normes mondiales et obtenir une évaluation de
leur respect par la France.
Je vous remercie.
M. le Président
- La parole est au rapporteur
général.
M. Philippe Marini, Rapporteur général
- Une
loi de finances, nous le savons bien mes chers collègues, ce sont trois
catégories d'éléments : en premier lieu, un cadre
économique et financier ; en second lieu, une estimation de
recettes ; en troisième lieu, une estimation de dépenses,
pour aboutir à un solde, qui est fonction de nos engagements et de la
politique économique que l'on veut conduire.
Au stade de l'élaboration, il est une donnée tout à fait
essentielle, c'est la parité monétaire. Je voudrais, Monsieur le
Gouverneur, que vous nous expliquiez comment cela se passe concrètement.
L'hypothèse de parité, comment est-elle définie ? Au
terme de quel débat ? La Banque de France y prend-elle part ?
Pouvez-vous nous faire profiter des analyses que vous devez réaliser en
ce moment sur différents scénarios d'évolution ? Il
est clair qu'ils vont impacter l'économie, mais aussi les finances
publiques !
Vos propos et analyses nous permettraient de faire le lien entre vos anciennes
et vos actuelles fonctions.
S'agissant de l'exécution de la loi de finances, vous dites que les
dépenses et les recettes sont ce qu'elles sont. Oui, sans doute, en
exécution, lorsque l'année est close mais, en cours
d'année, dès lors qu'il y a information, cette information doit
être sincère -et c'est bien le sujet que s'efforce de traiter
notre commission, qui consiste à s'assurer du bon fonctionnement de
l'information, à la fois interne à l'Administration et au
Ministère des Finances, et à l'information entre
l'exécutif et le législatif.
En 1999 -qui fait l'objet d'une polémique en effet un peu
surréaliste, le terme de "cagnotte" étant d'ailleurs un terme qui
ne vient sans doute pas d'un parlementaire, mais de la presse- l'impôt
sur les sociétés a évolué de manière
atypique, en tout cas très différente de ce qui était
programmé.
La Banque de France dispose, notamment par son réseau de succursales,
par la centrale des bilans, par toute une série
d'éléments, de moyens de connaître l'évolution de la
conjoncture et des résultats des entreprises. Ces moyens peuvent-ils
à votre avis être mobilisés pour mieux cerner
l'exécution en recettes de la loi de finances s'agissant de
l'impôt sur les sociétés ?
M. Jean-Claude Trichet
- S'agissant de l'élaboration
de la loi de finances et de l'interaction avec la parité
monétaire en particulier, nous avons nous-mêmes le même
problème que celui que peut avoir le Gouvernement dans la
préparation de la loi de finances lorsque, pour notre propre compte,
nous faisons nos évaluations, en particulier de l'évolution de
l'économie elle-même et, bien entendu, de l'impact inflationniste
que peut avoir le niveau du change, qui incorpore en ce moment d'ailleurs un
fort impact inflationniste, puisque tous les prix des produits importés
sont augmentés de la dépréciation de l'euro par rapport au
dollar.
Ce que nous retenons généralement, parce que nous voulons
être aussi objectifs que possible, c'est une règle qui est
très fréquemment appliquée et qui consiste, sauf si on a
le sentiment d'une aberration complète, à prendre la photographie
de ce que l'on observe au moment de la confirmation des prévisions.
Ce n'est pas a priori très scientifique que de présumer qu'il ne
va pas y avoir de changement, mais c'est un moyen simple d'éviter les
manipulations, soit que certains souhaitent, pour des raisons diverses, voir
augmenter, soit que d'autres souhaitent voir diminuer la croissance
économique et donc les recettes.
Je dois dire que j'aurais fait la même réponse s'agissant des
changes ou des taux d'intérêt, puisqu'on est en présence
d'évolutions qui ne sont pas a priori prévisibles, par
construction même, et qui peuvent impacter l'économie, sa
croissance et le budget de l'Etat, de manière plus ou moins
considérable, à la fois directement et indirectement,
indirectement via l'économie elle-même et les recettes, et
directement via le service de la dette.
Si l'on veut sortir de cette manière de voir les choses, je crois qu'il
faut prendre le plus de précautions possible et je rejoins mon propos de
tout à l'heure : la seule voie serait d'avoir recours à un
consensus d'experts indépendants ayant la confiance de tous, Parlement,
Gouvernement, Banque centrale.
Sommes-nous mûrs -aussi bien au Ministère des Finances, au
Parlement, que dans l'euro-système c'est-à-dire au niveau des
différentes Banques centrales nationales pour avoir un tel
système ? ... Voyez la difficulté que nous avons dans
une zone à monnaie unique, qui pourrait conduire des experts
indépendants dans chaque pays à retenir des chiffres
différents dans leurs paramètres propres pour les budgets
nationaux, aussi bien en qui concerne les taux d'intérêt qui,
pourtant, sont uniques au sein de la zone à monnaie unique, ou les
évolutions de change qui, pourtant, elles aussi sont uniques au sein de
la zone à monnaie unique !
Je ne crois pas pour autant qu'il soit imaginable de laisser le soin à
la BCE de définir ces paramètres. On peut, dans une perspective
un peu futuriste, imaginer qu'une délibération commanditée
par la BCE, les banques centrales nationales et par les onze pays
concernés par l'euro conduise un groupe d'experts européens
indépendants à indiquer les paramètres monétaires
et financiers qu'il faudrait retenir -les mêmes dans chaque pays.
Peut-être est-ce là le point ultime auquel nous devrions parvenir,
dans une perspective de rationalisation des paramètres de l'ensemble de
la zone euro. En tout cas, ce serait une illustration emblématique du
fait que nous sommes plus proches les uns des autres que nous ne le
soupçonnons aujourd'hui.
Pour ce qui concerne l'exécution, quid de l'information ? Nous
devrions tous avoir la situation du budget de l'Etat environ 36 jours
après la fin de chaque mois sur Internet. Il s'agit bien entendu d'une
situation provisoire, mais c'est ce qui est normalement disponible aujourd'hui,
avec toute une série de situations -la situation résumée
des opérations du Trésor, le tableau synthétique des
opérations du Trésor qui, normalement, est disponible 36 jours
après la fin de chaque mois sur Internet, la situation mensuelle des
opérations du Trésor, également disponible 36 jours
après la fin de chaque mois.
Tout ceci nous permet de penser que notre pays respecte la norme mondiale, ce
qui permet un suivi de l'évolution de l'exécution
budgétaire dans des conditions à peu près convenables, un
peu plus de cinq semaines après la fin de chaque mois.
Je ne crois pas que l'on puisse imaginer être plus rapide et, si ceci
fonctionnait parfaitement bien, je pourrai répondre à
M. Marini qu'en France, on a les moyens de suivre l'évolution
budgétaire dans des conditions à peu près convenables.
La Banque de France a-t-elle les moyens de porter un jugement instantané
sur l'évolution de la conjoncture et de faire mieux que le suivi
comptable de l'exécution budgétaire ? Je ne le ne crois pas.
Pourtant, nous avons l'enquête de conjoncture la plus précoce de
France et d'Europe et sentons donc les grandes évolutions
économiques et les points de retournement avant tout le monde mais, pour
des raisons bien connues, l'impact sur l'impôt sur les
sociétés est très décalé. Si nous observons
un retournement conjoncturel, on peut présumer qu'il va y avoir des
conséquences importantes, mais l'impact sur les recettes
budgétaires est nécessairement décalé.
Ce qui est moins décalé -et Bercy a un avantage décisif
sur nous- c'est la consommation et les recettes de taxe à la valeur
ajoutée. Nous suivons nous-mêmes la consommation au mois le mois.
Comme elle est assez volatile, nous avons plus confiance dans les bimestres et
nous suivons la consommation de manière assez pertinente, en France, 15
jours après la fin du deuxième mois.
Je pense que Bercy a ses propres chiffres de recettes de taxe sur la valeur
ajoutée, avec exactitude et rapidité. Nous n'avons donc pas
d'avantages compétitifs permettant, par exemple, à la commission
des finances du Sénat d'avoir, via la Banque de France, des informations
meilleures que celles qu'elle pourrait obtenir directement de Bercy.
Cela dit, je vais continuer à réfléchir dans la ligne de
ce que suggérait implicitement le Rapporteur général, car
il est possible que je découvre que nous aurions néanmoins un
léger avantage compétitif.
Bien entendu, il y a le problème de l'arrêté
définitif des comptes de fin d'année, et c'est bien souvent sur
ce problème particulier qu'il y a matière à débat,
parce qu'il y a une certaine zone de décision possible pour les
gestionnaires d'imputer à tel ou tel exercice tel ou tel surplus ou
insuffisance de recettes.
Je pense que c'est peut-être là que se situe, dans la perspective
du débat français, le point principal : comment
réduire au maximum la marge d'arbitraire qu'il peut y avoir dans les
imputations lorsqu'on procède à l'arrêté
définitif des comptes ? Je ne suis pas spécialiste, mais
peut-être y a-t-il là matière à essayer de
réduire cette marge d'incertitude, afin d'éviter ces
débats perpétuels sur le point de savoir si les comptes n'ont pas
été alourdis pour l'année n et allégés pour
l'année n - 1, ou s'il y a lissage année par année,
ce qui, après tout, n'est peut-être pas totalement absurde, mais
qui doit dans tous les cas être clairement affiché et non
dissimulé.
M. le Président
- La parole est aux commissaires...
M. Jacques Oudin
- Ma question porte sur la
préparation et l'élaboration du budget.
Je suis frappé par les difficultés, voire "l'incapacité"
entre guillemets à procéder à une meilleure
rationalisation de nos choix budgétaires en amont, comme du suivi et
éventuellement de l'exécution du budget.
J'étais au Ministère des Finances quand un grand mouvement de
rationalisation des choix budgétaires a été
enclenché. Il avait donné lieu à des approches
intéressantes, qui ont été abandonnées au fil des
années et qui ont aujourd'hui complètement disparu.
On le voit réapparaître un peu dans une nouvelle notion introduite
par une loi récente sur les schémas de services. Il en existe
neuf en France, tous axés sur une certaine rationalisation des services
offerts aux citoyens, que ce soit dans le domaine des transports ou de
l'éducation -et l'on aurait pu remonter aux schémas sanitaires.
Bref, on assiste à des tentatives périodiques de rationaliser
à la fois la préparation et l'exécution de nos budgets,
sans pour autant aboutir à un résultat significatif.
Peut-être, dans le domaine sanitaire, commence-t-on à
opérer quelques avancées en terme de conception, mais jamais en
termes de réalisation.
Cette incapacité à aller plus avant dans la rationalisation et
dans l'évaluation, on la retrouve même au niveau parlementaire,
puisque nous avons l'exemple amer du non-succès d'un office
parlementaire d'évaluation des politiques publiques.
Même dans un domaine aussi pointu que celui de la politique des
transports, nous sommes actuellement dans une grande incapacité à
opter pour un choix financier quelconque pour traverser des obstacles comme les
Alpes ou les Pyrénées, parce qu'on n'a pas su opérer les
choix avant.
C'est un constat. Je vous ai entendu parler d'un consensus d'experts
indépendants. Je me méfie des experts indépendants, parce
que c'est un peu facile. Cela veut dire que, nous trouvant devant une
difficulté à maîtriser nous-mêmes un sujet, nous
demandons à d'autres de faire à notre place le travail que nous
ne savons pas faire.
Certaines économies, comme celles des pays anglo-saxons, savent se
réformer elles-mêmes, et d'autres non. L'Europe est parmi ces
dernières, et la France également. Dans ces conditions, cela ne
m'étonne pas que nous ayons des évolutions particulières
entre l'euro et le dollar, les opérateurs économiques se disant
qu'il y a un pays qui avance et un ensemble de pays qui marquent le pas.
Tout ceci vient de cette incapacité à évoluer, à
analyser, à réformer que nous ressentons en France, dans le
domaine budgétaire en particulier, et également dans le domaine
économique. Partagez-vous cette analyse et ce point de vue ?
M. Yann Gaillard
- Monsieur le Gouverneur, vous nous avez
expliqué qu'au fond, il n'y avait rien de précis à
attendre de l'enquête à laquelle nous sommes en train de nous
livrer -ce dont je ne saurais m'étonner tout à fait.
Vous avez concédé cependant un point intéressant à
propos de la période d'arrêté des comptes et de
l'imputation de telle ou telle recette sur un exercice ou sur l'autre. C'est
d'ailleurs à ce moment que vous avez évoqué le
problème de la "cagnotte", terme lancé, si je me souviens bien,
par un sénateur socialiste au cours du débat.
Je pose une question brutale : un Gouvernement qui voudrait farder la
vérité -cela peut exister, quelle que soit sa couleur. De quoi
pourrait-il se servir ? N'a-t-il plus aucun moyen de le faire ? On a
par exemple parlé des recettes non fiscales -Caisse des
Dépôts et autres.
Faut-il vraiment penser que nos Ministres des Finances sont privés de
toute possibilité de nous présenter de façon politiquement
utile pour eux tel ou tel moment de leur action budgétaire ?
M. Joël Bourdin
- Monsieur le Gouverneur, j'aimerais
avoir votre sentiment sur l'évolution de l'euro, dont vous avez
parlé au regard d'une théorie à laquelle je crois
beaucoup, celle de la parité des pouvoirs d'achat.
L'idée est qu'il n'y a pas de taux de change fort ou faible, mais un
équilibre qui s'établit en fonction des évolutions des
taux de croissance différentiels, des taux d'inflation, etc. L'euro
n'est-il pas en fait victime, si l'on estime qu'il n'est pas assez fort, d'une
parité des pouvoirs d'achat à moyen terme, qui expliquerait son
état actuel ? Il y a un intéressant article paru dans Le
Monde d'hier soir à ce sujet.
M. le Président
- Monsieur le Gouverneur, en
matière de transparence comment situez-vous la France dans la zone
euro ? Il ne s'agit pas ici d'un soupçon de dissimulation, mais de
la clarté des comptes proposés au Parlement qui sont
publiés.
Je voudrais également savoir si vous avez constaté une
évolution entre la période de préqualification de l'euro
et la période ultérieure. Est-ce que le Gouvernement
français, qui pouvait craindre pour la parité du franc, a
été amené à avoir, en matière
budgétaire, une attitude différente de celle qu'il a
aujourd'hui ?
Pensez-vous que les marchés financiers sont aussi bien informés
de la situation des finances publiques que le Parlement dans un pays comme le
nôtre et, enfin, même si cela n'est pas un lien direct avec les
travaux que nous menons, pensez-vous que les déficits publics en Europe
sont susceptibles de contribuer à l'affaiblissement de l'euro ?
M. Jean-Claude Trichet
- A M. Oudin, je dirai que,
comme lui, j'ai assisté à ce foisonnement des études de
rationalisation des choix budgétaires. Cela remonte très loin
dans le temps, puisque le concept remonte à M. Mac Namara,
lançant la rationalisation des choix budgétaires aux sein du
Gouvernement américain, à l'époque où il
était Ministre de la Défense.
Nous avons ensuite vu le monde entier essayer d'optimiser ces choix
budgétaires. Je suis entièrement d'accord avec le fait que nous
devrions pouvoir faire beaucoup mieux que nous ne faisons, mais j'appelle
l'attention du Sénat de la République sur le fait que j'ai
moi-même une expérience très concrète et très
pratique de tout cela, et je peux vous dire que je constate que le peuple
souverain, lorsqu'il s'exprime par la voix de ses représentants, aussi
bien au Sénat qu'à l'Assemblée nationale, a parfois
lui-même, toutes sensibilités confondues, une attitude très
précautionneuse, par exemple s'agissant des services publics en
province, et partout dans notre pays !
Beaucoup de dépenses sont probablement excessives, mais elles sont
incontestablement voulues par le pays lui-même, et je ne peux pas ne pas
vous rappeler au passage que la loi sur l'aménagement du territoire, qui
a été votée deux fois -et, sauf erreur de ma part,
quasiment à l'unanimité l'une des deux fois- est une loi qui n'a
aucun équivalent dans aucun autre pays que je connaisse !
Et, je suis le premier à voir avec quelle force politique,
multipartisane, il nous est signifié qu'il faut être
extrêmement précautionneux dans ce domaine de la gestion des
services publics sur le plan local.
Je n'en dis pas plus, mais je crois qu'il y a malheureusement un prix à
payer pour cette attitude extrêmement précautionneuse dans la
gestion des services publics. Nous payons pour cela un prix relativement
important. Nous pourrions certainement croître plus vite, avoir un niveau
de vie plus élevé, si nous arbitrions différemment.
Encore une fois, le peuple est souverain, et il faut respecter ses
prescriptions. Ceci ne nous empêche pas d'essayer de progresser le plus
possible, mais je suis, comme M. Oudin, convaincu que,
théoriquement, il y a dans notre pays une capacité
supplémentaire de rationalisation de ces choix considérable, dont
on pourrait pleinement bénéficier si nous le souhaitions vraiment.
Concernant les experts indépendants, je ne m'y suis
référé que dans la mesure où il s'agissait de
mettre au point un certain nombre de paramètres qui ont une influence
sur la croissance, et donc d'avoir les hypothèses de croissance les plus
incontestables possible, mais je suis d'accord avec M. Oudin : ce
n'est certainement pas à l'expert indépendant lui-même
qu'il faut demander de rationaliser les choix budgétaires. Il y a
là des décisions difficiles à prendre : ces
décisions doivent être prises par un Gouvernement responsable
devant un Parlement. Il me semble qu'il n'y a aucune espèce de doute
là-dessus. Je partage entièrement le sentiment du sénateur
Oudin !
A M. Gaillard, je dirai que je crois en effet que le Ministre des
Finances, encore aujourd'hui, et sans contrevenir à aucune espèce
de règles, a une certaine latitude qui lui est laissée par
l'état actuel du droit et des procédures pour, dans un certain
nombre de cas, attribuer recettes et dépenses à l'exercice n ou
à l'exercice n + 1.
Je n'ai pas bien vu si M. Gaillard souhaitait qu'il reste quand même
au Ministre des Finances une marge de manoeuvre et de liberté de cette
nature, ou s'il le déplorait. J'aurais un peu tendance à penser
qu'il doit peut-être l'avoir et, dans ce cas, il devrait l'avoir dans la
clarté et dans la transparence. Il faudrait peut-être pour cela
renforcer les procédures dans leur clarté, afin que l'on sache
exactement quel est le choix qui est fait finalement. Il ne me paraît pas
invraisemblable, puisque c'est le cas dans toutes les entreprises, que l'on
puisse avoir une telle possibilité lorsqu'il s'agit d'un budget aussi
considérable que celui de l'Etat français, mais encore une fois
dans la clarté et dans la transparence.
Je suis quelque peu gêné pour répondre longuement au
sénateur Bourdin, car j'ai l'impression que nous sommes hors du sujet
central de la commission. Je lui dirai simplement que dans l'analyse que nous
faisons à la Banque de France, dans l'analyse que fait la BCE et son
conseil des gouverneurs, et dans l'analyse internationale, il est clair que
l'euro, aujourd'hui, est très en-dessous de ce que recommandent les
données fondamentales, au nombre desquelles il faut naturellement mettre
tous les éléments de parité de pouvoir d'achat.
Nous sommes en présence d'un euro très anormalement faible,
même quand on prend en compte la force de l'économie
américaine, le taux de croissance des Etats-Unis, les
différentiels de taux d'intérêt, les évolutions de
parité de pouvoir d'achat, etc.
C'est la raison pour laquelle nous disons avec autant de détermination
-et je dois dire de conviction- que l'euro a un important potentiel
d'appréciation et que les marchés vont reconnaître que
l'euro est actuellement largement sous-évalué.
Au Président, qui évoquait quatre points, je répondrai
qu'il me semble que le problème de la France est celui
qu'évoquait M. Gaillard, c'est-à-dire qu'il se pourrait que
nous ayons le sentiment d'avoir une marge de manoeuvre plus grande en fin
d'année, au moment de l'arrêté définitif des
comptes, que ce n'est pas le cas dans un certain nombre d'autres pays
européens, en vertu peut-être d'ailleurs de la tradition, de la
pratique un peu immémoriale, d'où l'intérêt de la
clarification des normes adoptées pour l'arrêté des comptes
de fin d'année.
Il y a en France, une sorte de suspicion permanente sur les comptes publics que
je n'observe pas dans les autres pays. Nous avons été le seul
à avoir le débat sur la cagnotte, alors que le problème
s'est posé dans les mêmes termes absolument partout. Que ce soit
objectif ou subjectif, nous avons un problème particulier qu'il faudrait
corriger à l'évidence, parce qu'il obscurcit inutilement le
débat français.
Y a-t-il évolution entre la préqualification de l'euro et
après ? Je ne vous cache pas, Monsieur le Président, que de
l'avis de tous mes collègues gouverneurs de banque centrale nationale
européenne sans exception, il me semble que oui. Il nous semble qu'il y
avait, avant la qualification de l'euro un formidable et ardent sentiment qu'il
fallait se comporter du mieux possible sur le plan des finances publiques, et
qu'il y a maintenant un certain relâchement.
Ce relâchement s'observe dans tous les pays. Il nous désole parce
que nous avons la conviction qu'on aurait plus de croissance, plus de
créations d'emplois et une lutte encore plus efficace contre le
chômage si l'on poursuivait le même effort de sagesse
budgétaire et des finances publiques en général que celui
qu'on poursuivait avant. C'est notre conviction. Je dois vous dire que c'est la
conviction multipartisane aux Etats-Unis, et il me semble qu'ils n'ont pas si
mal réussi sur ce plan.
De ce point de vue, je ne préconise pas que l'on applique les recettes
américaines, mais il est clair que l'homme de la rue, à
Washington, Phoenix, ou New-York, pense que moins on a de dépenses
publiques et moins on a de déficit public, mieux l'économie se
porte et plus il y a de jobs. Je ne crois pas que tel soit le sentiment en
Europe continentale et dans la zone euro, et je pense que c'est parce que nous
ne sommes pas assez efficaces dans notre pédagogie pour que ceci soit
reconnu par la large opinion.
Il est évident que si ceci était reconnu par une large opinion,
les gouvernements auraient beaucoup moins de difficultés à
réduire le déficit et seraient soutenus par une majorité
de la population. Ceci me conduirait à penser que, dans ce domaine comme
dans d'autres, nous avons encore beaucoup d'efforts d'explication à
fournir.
Je dois vous dire que le sentiment multipartisan français était
beaucoup plus sage budgétairement dans les années 1970 et dans
les années 1980, et je me suis référé aux normes
françaises qui sont devenues les normes européennes et qui
paraissaient absolument naturelles à l'époque, sur la base d'un
consensus politique gauche-droite.
Les marchés financiers sont-ils mieux ou moins bien informés que
le Parlement ? Ils ont exactement les mêmes informations que le
Parlement. Ils n'ont pas d'autres informations que les informations publiques.
Pourquoi, aux Etats-Unis, il y a sept ans, pour avoir de la croissance et
lutter efficacement contre le chômage, a-t-on réduit les
déficits ? Le raisonnement du Président Clinton, à
l'époque -qui avait d'ailleurs hésité sur la
stratégie- était de contribuer à la réduction des
taux d'intérêt à long terme afin de développer
l'investissement, la croissance et la création d'emplois. Je ne me
prononce pas sur le système américain dans son ensemble, mais sur
cet aspect en particulier : il aurait pu avoir un raisonnement
complètement différent, qui lui était d'ailleurs
recommandé par une partie généralement minoritaire de ses
conseillers, qui l'incitaient au contraire à réaliser le plus de
dépenses et de déficit possible pour alimenter la machine
économique.
Aujourd'hui, beaucoup de nos pays partenaires sont déjà en
excédent budgétaire, au sein de la zone euro et hors de la zone
euro. C'est ce que recommande le pacte de stabilité et de croissance.
Il y a un élément très important qu'il faut avoir en
tête. Indépendamment de la monnaie unique, qui nous donne à
peu près les mêmes taux d'intérêt partout, les
marchés continuent à faire la différence entre les uns et
les autres en fonction de la qualité de leur gestion budgétaire.
Si nous sommes ostensiblement moins bien gérés que les autres,
nous en paierons le prix en matière de taux d'intérêt et,
bien entendu, le cas échéant de moindre croissance.
Pour le moment, rien d'alarmant, mais je le mentionne, car c'est un
élément qu'il faut avoir en tête. Les Etats-Unis ont
l'ambition de supprimer complètement leur dette et de tout rembourser
dans un délai relativement rapproché, et je crois que nous allons
avoir la surprise de voir que plusieurs autres pays européens s'engagent
dans la même voie. Si nous conservons 58 % de dettes en proportion
du PIB, nous risquons à terme de le payer cher. La pédagogie sur
la nécessité de ne pas se distinguer des autres pays par une
gestion qui serait moins efficace à terme me paraît donc
très importante.
Il y a par ailleurs un paradoxe dans l'évolution de l'euro. N'oublions
pas que les Etats-Unis sont en très grand déficit externe. Le
déficit externe des Etats-Unis représente 4 % du PIB. Ce
n'est pas soutenable à moyen terme. Il y là une anomalie dans la
marche américaine. L'Amérique est un Janus qui a une face
technologique extrêmement positive, et il y a certainement beaucoup
à reprendre de l'expérience américaine, surtout
peut-être pour les Français, dont la culture est une culture
technique extrêmement forte et qui ont peut-être plus de chances
que d'autres d'arriver à surfer sur la vague technologique. Mais, en
même temps, et c'est l'autre visage du Janus, il faut bien le dire, les
ménages américains épargnent tellement peu que le
déficit d'épargne aux Etats-Unis est énorme, de même
que le déficit extérieur.
Les Etats-Unis ne peuvent escompter que le reste du monde finance
indéfiniment et très substantiellement leur déficit. Il y
a donc aussi une face négative des Etats-Unis, ce qui doit nous conduire
à retenir ce qui est bon, ne pas prendre ce qui est mauvais.
Pour ce qui concerne l'euro lui-même, je suis, comme je vous l'ai dit,
très confiant dans sa remontée. La zone euro a globalement une
situation de balance des paiements courants presque équilibrée.
En France même, sur chacune des trois dernières années,
nous avons enregistré 2,5 % du PIB d'excédent de
transactions courantes, ce qui veut dire que notre pays est dans une situation
plutôt bonne de ce point de vue.
Après tout, on souligne assez ses défauts pour ne pas
hésiter aussi à mentionner ses succès ! Du point de
vue de la compétitivité de l'épargne et des grands
équilibres, l'économie française est saine, et elle le
prouve en ayant un excédent externe assez substantiel.
Je vous remercie
M. le Président
- Merci, Monsieur le Gouverneur.
Séance du 16 mai 2000
La séance est reprise à 17 heures sous la présidence de M. Alain Lambert
Audition de M. Pierre GISSEROT,
Ancien Chef de l'Inspection
Générale des Finances
L'ordre
du jour appelle maintenant l'audition de M. Pierre Gisserot, Inspecteur
Général des Finances, à qui je souhaite la bienvenue.
Je vous rappelle que notre commission s'est vue confiée par le
Sénat les prérogatives d'une commission d'enquête pour une
durée de six mois afin de s'informer sur le fonctionnement des services
de l'Etat dans l'élaboration puis dans l'exécution des lois de
finances, afin d'éviter des controverses juridiques sur les pouvoirs de
la commission des finances pour procéder à toutes les auditions
et à toutes les communications dont nous avons besoin.
Afin de ne pas donner un tour contentieux à nos travaux, nous avons
nommé autant de rapporteurs qu'il existe de groupes siégeant
à la commission des finances : MM. Roland du Luart, Bernard
Angels, André Vallet, Paul Loridant, et votre serviteur.
Parmi ces rapporteurs, le Rapporteur général vous prie de
l'excuser : le Président du Sénat recevant en ce moment le
Président de Pologne, les responsabilités du Rapporteur
général au sein du groupe d'amitié France-Pologne
l'obligent à être présent à cette réception.
Je vous rappelle par ailleurs que nos travaux sont non publics et secrets et
que l'ordonnance du 17 novembre 1958 précise que
"toute personne
dont une commission d'enquête a jugé l'audition utile est entendue
sous serment"
et qu'
"en cas de faux témoignage, elle est passible
des peines prévues par les articles 434.13, 434.14 et 434.15 du code
pénal".
Je vous demande donc de prêter serment de dire toute la
vérité, rien que la vérité, de lever la main droite
et de dire :
"Je le jure".
M. Pierre Gisserot
- Je le jure.
M. le Président
- Je vous propose de nous donner, par
un propos introductif, votre sentiment sur la question générale
que je viens de rappeler. Vous avez la parole.
M. Pierre Gisserot
- Je dois vous avouer que, lorsque j'ai
appris, il y a de cela deux petites semaines, que je devais être entendu
devant cette commission transformée en commission d'enquête sur
l'élaboration et le suivi des lois de finances, j'ai été
un peu surpris. Comme mon successeur, qui fut mon adjoint, a dû vous le
dire, l'Inspection Générale des Finances n'a pas, en tant que
telle, de compétences particulières, ni pour
l'élaboration, ni pour le suivi de la loi de finances.
Nous n'avons pas compétence non plus pour vérifier -c'est moins
connu- les directions d'administration centrale.
Toutefois, nous avons compétence pour vérifier l'Agence Comptable
Centrale du Trésor -autrefois service d'administration centrale devenu
agence comptable autonome- mais, compte tenu des bonnes relations que nous
avons avec la Cour des Comptes, nous n'aurions pas apporté grand-chose
par rapport aux travaux de celle-ci si nous avions vérifié cette
agence comptable centrale -moins de compétences, peut-être un peu
plus de sévérité.
Quand j'ai reçu votre questionnaire, en revanche, j'ai compris les
raisons pour lesquelles vous souhaitiez m'entendre. J'ai été en
effet durant une dizaine d'années, qui n'ont pas toujours
été très faciles, chef du Service de l'Inspection
Générale des Finances, et je suis, malheureusement, aujourd'hui
le doyen de l'Administration Générale des Finances. Je pense donc
que cela pourrait me permettre d'apporter un éclairage latéral
et, celui d'un ancien, sur les questions qui vous intéressent.
Je voudrais insister sur trois points, et je vais reprendre une expression que
j'aime beaucoup, d'un grand ministre que je regrette profondément,
Pierre Bérégovoy. Pour lui, l'Inspection des Finances -et il me
l'a dit plusieurs fois- était le réservoir de matière
grise du Ministère des Finances. C'est une très belle expression.
Je sais qu'il existe beaucoup d'autre matière grise au sein du
Ministère des Finances, mais c'est le seul endroit où se trouvent
réunis un certain nombre de jeunes de qualité, d'anciens pleins
d'expérience, qui peuvent se consacrer à temps plein, un mois,
deux mois, trois mois, sans contraintes professionnelles quotidiennes, à
l'examen d'un sujet.
Le deuxième point qui n'est pas toujours très connu est que,
même si les textes ne reconnaissent pas à notre service une
indépendance totale, dans les faits, cette indépendance est
pratiquement totale, non seulement pour l'inspection, mais pour chaque
inspecteur, ce qui n'est pas toujours facile pour son chef.
Le troisième point est important à connaître :
l'Inspection des Finances est traditionnellement considérée comme
neutre. N'ayant pas de responsabilités opérationnelles, elle n'a
pas de problèmes de frontières avec les directions, pas de
problèmes de compétences, et cela donne à ce qu'elle dit
un crédit d'impartialité qui, je crois, n'a pas été
entamé.
Ceci étant ne croyez pas que je sois béatement optimiste. Je suis
actuellement très inquiet sur ce qui se passe aux finances et sur
l'hémorragie à laquelle nous assistons.
Pour l'Inspection, cette hémorragie est ancienne ;
traditionnellement, beaucoup de jeunes Inspecteurs des Finances partaient vers
les cabinets, ou dans les directions. L'hémorragie hors finances touche
maintenant beaucoup plus les jeunes, beaucoup plus rapidement, et ne concerne
plus seulement l'Inspection des Finances mais l'ensemble des cadres de
l'Administration des Finances. Je suis très inquiet sur la façon
dont sera, dans quelques années, dirigée l'Administration des
Finances. Il y aura bien sûr toujours des Ministres de très haute
qualité mais, au niveau administratif supérieur, nous allons vers
la pénunie. Or, je dois souligner, car c'est en rapport direct avec
votre sujet, le suivi et l'élaboration des lois de finances suppose une
bonne administration, bien dirigée, par des cadres compétents.
Si vous le permettez, j'ai établi, conformément à votre
aimable lettre, une réponse à vos huit questions, dont je vais
vous donner maintenant lecture.
1. L'Inspection générale des finances joue-t-elle un
rôle dans l'élaboration et l'exécution des lois de
finances ? Quel est-il ? Est-elle amenée, dans ce cadre,
à étudier des questions spécifiques ? Fournir les
notes correspondantes.
L'Inspection générale des finances n'a aucune
responsabilité dans l'élaboration et l'exécution des lois
de finances.
Lorsque j'étais chef du service, s'était cependant établie
la tradition qu'un jeune inspecteur soit chargé d'effectuer la
synthèse des informations pour le rapport économique et financier
et, en contact avec le Cabinet et le Budget, d'en établir la
rédaction.
Les travaux de l'Inspection générale des finances sur la
comptabilité patrimoniale (voir plus loin questions 3 et 5) devraient
commencer à se traduire concrètement dans la présentation
de certains documents budgétaires.
2. Les arbitrages budgétaires et fiscaux du Premier ministre, puis
ceux du ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, sont-ils
portés à la connaissance de l'Inspection générale
des finances ?
La réponse est simple : Non.
3. L'Inspection générale des finances a-t-elle entrepris un
travail de réflexion, ou suscité des réformes, concernant
l'amélioration de la présentation des documents
budgétaires ? L'IGF a-t-elle fait des recommandations sur les
modalités d'exécution des lois de finances, préciser la
nature de ces recommandations.
A la première question, la réponse est négative. En
revanche, plusieurs études de l'Inspection générale des
finances ont certainement conduit à une exécution beaucoup plus
déconcentrée de la dépense (notamment pour les services
extérieurs du ministère de l'économie, des finances et de
l'industrie).
4. La recherche d'une plus grande efficience de la dépense publique
constitue-t-elle un sujet d'étude pour l'Inspection
générale des finances ? Quelles en sont les traductions
concrètes ? Cela la conduit-elle, notamment, à proposer la
réalisation d'économies ? (Fournir, le cas
échéant, les propositions émises depuis 5 ans).
Cette question concerne le coeur de la raison d'être du service de
l'Inspection générale des finances. Qu'il s'agisse des
activités classiques de vérification ou des missions d'audit et
de conseil, le souci d'une meilleure efficience de la dépense publique
est permanent. Ce n'est pas par hasard d'ailleurs que la direction du Budget se
trouve être le principal « demandeur » de missions.
En 1996 et 1997, j'avais fait procéder à une synthèse des
économies budgétaires pouvant résulter des études
et propositions des rapports récents de l'Inspection
générale des finances, établis souvent conjointement avec
d'autres corps de contrôle. Le rédacteur, identique dans les deux
cas, avait établi en 1996 19 fiches d'économies pour un montant
de 47 milliards. En 1997, le même nombre de fiches correspondait à
une économie de 28 milliards. Les mesures proposées en 1996 et
conservant leur actualité s'élevaient à près de 15
milliards.
Ces économies sont évidemment indicatives et, dans certains cas,
pourraient se révéler d'application délicate ou devoir
être étalées dans le temps. Parfois même les mesures
qu'elles supposent dépendent de choix purement politiques. Il n'en reste
pas moins que le directeur du Budget a bien voulu reconnaître que ce
travail l'avait grandement aidé dans la préparation de plusieurs
décisions.
5. Quelle appréciation l'Inspection générale des
finances porte-t-elle sur le suivi de la dette, d'une part, et sur la question
du « hors bilan » de l'Etat (définition,
évaluation, mesures prises ou à prendre afin de prendre en compte
ces engagements dans la loi de finances...), d'autre part ?
Je n'ai pas gardé souvenir d'enquête sur le suivi de la dette, en
montant. En revanche, j'ai personnellement suivi la mise en place des
« spécialistes en valeurs du Trésor » et ai
présidé le comité de sélection de ces derniers.
L'Inspection générale des finances a joué un rôle
fondamental dans les réflexions et propositions concernant la mise en
place d'une comptabilité patrimoniale et d'une présentation d'un
hors bilan. J'ai lancé la première étude en 1994 (O.
Pagezy). Celle-ci fut étendue en 1995 par Ch. Baulinet et
officialisée en 1996 par la mission G. Delorme-Giraud. En 1997 et 1998,
A. Blanc a présidé le comité de pilotage de la mission
comptabilité patrimoniale.
Selon les informations en ma possession, ces longues études ont
déjà donné lieu à nombre de réalisations,
discrètes mais très concrètes, et quand le
« puzzle » sera achevé, l'Etat devrait enfin
disposer d'une comptabilité patrimoniale correspondant à ses
besoins. Les directeurs du Budget, du Trésor et de la
Comptabilité publique seraient plus compétents que moi pour
préciser l'échéance de ce « quand ».
6. L'Inspection générale des finances reçoit-elle des
instructions du ministre ? Sur quels sujets ?
Le ministre ou le gouvernement, par son intermédiaire, peuvent bien
évidemment demander à l'Inspection générale
d'effectuer telle ou telle mission. Celles-ci sont en règle très
générale inscrites au programme de travail.
Dans l'exécution de ses travaux, l'Inspection générale
est, et doit demeurer, totalement indépendante. Cette
indépendance d'analyse et de propositions est le plus grand service que
nous puissions rendre au ministre. Ce principe n'a pas posé le moindre
problème avec les sept ministres qui se sont succédés
pendant mon « décennat » de chef du service. Tout au
plus pourrais-je souligner de très rares
« inquiétudes » en provenance des cabinets. Elles
furent sans conséquences sur le contenu des rapports... et je n'ai plus
entendu parler de rien par la suite.
7. Quelles sont les relations de l'Inspection générale des
finances avec les directions du ministère de l'économie, des
finances et de l'industrie (direction du Trésor, direction du Budget,
direction générale des Impôts, direction
générale de la Comptabilité publique, direction de la
Prévision) ?
Dans un ministère constitué de grandes directions, aux traditions
et aux cultures parfois différentes et dont les frontières de
compétence ne sont pas toujours très logiquement définies,
le service de l'Inspection générale des finances présente
un atout majeur : il est neutre et reconnu comme tel.
Les relations sont bien évidemment plus étroites avec les
directions à réseaux ou la direction du budget, mais elles sont
existantes avec toutes.
Cette situation a permis à l'Inspection générale des
finances de jouer un rôle important, depuis 1989-1990, dans le
développement d'un minimum d'interdirectionalité ; elle a
ainsi fourni au délégué à la modernisation (J.
Choussat) puis au président du comité des directeurs (D.
Lallier), tous deux inspecteurs généraux dans les cadres, les
moyens humains et logistiques nécessaires.
L'effort a surtout porté sur l'interdirectionalité au niveau
départemental ou régional (comité des chefs de service
financiers) et la déconcentration des crédits. Mais les
études « horizontales » ont aussi été
conduites : personnel des services extérieurs en administration
centrale, traitement des insuffisances professionnelles, délocalisation
des tâches, procédures « doublons »,
recouvrement des cotes complexes...
L'Inspection générale, et cela rejoint la question 4, a aussi
joué un rôle fondamental, à la « demande
suggérée » des directeurs, dans la mise en place
d'indicateurs de gestion et de performance des services extérieurs de la
Comptabilité publique, de la direction générale des
Impôts et de la direction des Douanes.
L'Inspection générale des finances a apporté son concours
à la direction du Trésor pour une réflexion sur les
régulations nécessaires dans certains secteurs :
télécommunications, énergie...
8. Peut-on envisager des relations directes entre l'IGF et les commissions
des finances du Parlement ? L'IGF ne pourrait-elle pas fournir aux
présidents des commissions des finances les rapports d'inspection
portant sur des thèmes généraux (sans imputation
personnelle) ?
N'ayant plus la responsabilité opérationnelle du service de
l'Inspection générale des finances, je ne me sens pas
habilité à répondre à cette question qui
relève d'ailleurs plutôt des relations entre gouvernement et
Parlement.
A titre strictement personnel, avec l'expérience de quarante cinq
années au service de l'Etat, j'ai tendance à penser que la
réforme de ce dernier -indispensable, en cours mais beaucoup trop lente-
ne pourrait qu'être facilitée par une meilleure information
réciproque des divers acteurs, politiques, administratifs et sociaux.
M. le Président
- Merci de cette communication
très franche, mais aussi très éclairante.
J'ai à poser un certain nombre de questions en lieu et place du
Rapporteur général, mais je laisse la priorité à
mes collègues.
M. Yann Gaillard
- Je voudrais saluer Pierre Gisserot, sous
la houlette bienveillante de qui j'ai fonctionné durant quelques
années.
Je crois qu'il a raison de dire que l'Inspection des Finances n'est pas
directement concernée par notre commission d'enquête. Je voulais
cependant lui demander son avis sur une question à laquelle je suis
devenu plus sensible depuis que je suis parlementaire.
Il s'agit des rapports d'inspection. Il m'est déjà arrivé,
dans une ou deux affaires dont j'ai eu à m'occuper ici, de souhaiter
connaître les conclusions ou le texte même de tel ou tel rapport
dont on parlait. Par exemple, avant la malheureuse réforme -malheureuse
parce qu'elle n'a pas abouti- de Christian Sautter sur les services du
Ministère, tout le monde parlait d'un rapport Lépine sur le
mauvais taux de rendement de notre système de recouvrement. Ce rapport,
à ma connaissance, le Parlement n'en a jamais disposé, pour la
bonne raison que les rapports d'inspection appartiennent au Ministre qui en est
destinataire !
N'y aurait-il pas un progrès à faire sur ce point ? Je sais
que c'est difficile, parce que si le rédacteur d'un rapport peut penser
que son texte ira sur la place publique, il n'aura pas la même
liberté d'expression. C'est quand même un problème, et
j'aurais aimé connaître l'opinion de M. Gisserot.
M. Pierre Gisserot
- Ma réponse ne peut qu'être
très proche de ma réponse à la question 8 de votre
Président : les rapports appartiennent au Ministre ; il lui
appartient de les diffuser.
A plusieurs reprises -puisque j'ai juré de dire la vérité,
je la dis- il m'est arrivé de suggérer aux ministres une plus
grande diffusion de nos rapports. Je dois avouer que, lorsque je suis
arrivé à l'Inspection, j'ai fait une révolution :
j'ai diffusé systématiquement à la Cour des Comptes tous
les rapports qu'elle nous demandait ! C'était une révolution
à l'époque.
A chaque directeur de cabinet que j'ai vu, à chaque Ministre, j'ai
posé la question. La réponse de principe est toujours oui et, sur
un rapport déterminé, la réponse est en
général non. Je suis obligé de le dire mais, puisque vous
parliez du rapport de Jean-Luc Lépine, que j'ai eu la chance de pouvoir
lire, il est certain que c'était un rapport extrêmement
édifiant et dont la lecture ne pouvait être que très utile
à tous ceux qui exercent des responsabilités dans le domaine des
finances publiques.
Sur le plan personnel, je ne verrais que des avantages, pour tout ce qui n'est
pas nominatif et qui ne met pas en cause telle ou telle personne, à ce
qu'il y ait une plus grande diffusion des rapports de l'Inspection
Générale des Finances. Mais je n'ai jamais été
très suivi sur ce sujet.
M. le Président
-
Mes questions vont dans le
prolongement de la question de Yann Gaillard.
Il ne s'agit pas de vous demander de prendre position, mais il me semble que le
service de l'Etat, qui a marqué votre vie professionnelle, conduit
à dire à une commission d'enquête ce qu'on croit bien pour
l'intérêt général et pour l'intérêt
supérieur de la Nation. Il est pour nous précieux de recueillir
le point de vue d'un haut fonctionnaire qui a occupé les fonctions que
vous avez occupées, et qui a un regard sans doute plus
général des questions dont nous parlons.
S'agissant du partage de l'information, qui est au coeur des questions qui
viennent d'être évoquées, pensez-vous qu'il existe une
sorte de culture du secret dans cette maison qu'est Bercy aujourd'hui ? Au
fond, ne se méfie-t-on pas un peu de l'utilisation non conforme à
l'intérêt général qui pourrait en être
faite ? Cette inquiétude ne conduit-elle pas à ne pas
transmettre ces informations ?
Les textes qui régissent les questions budgétaires, sous la V
ème République, ont été bâtis
précisément pour remédier aux dérives de la IV
ème République. N'est-on pas arrivé au bout de ce
système ?
Je me demande si, au fond, les pays où, aujourd'hui, le Parlement et le
contrôle parlementaire sont plus puissants ne sont pas les mieux
gérés. Est-ce que les gouvernements eux-mêmes ne sont pas
victimes de la prééminence absolue que leur donnent la
Constitution et toutes les règles associées ?
Enfin, quelles relations l'Inspection Générale des Finances
entretient-elle avec les autres corps d'inspection ? Menez-vous, de votre
propre chef, des contrôles conjoints sur certaines dépenses
publiques ?
M. Pierre Gisserot
- Je serai malhonnête si je ne
disais pas que, dans la tradition du Ministère des Finances, il existe
une certaine culture du secret. Nos sujets sont délicats, et notre
« citadelle de Bercy » est un symbole de ce que sont les
Finances. Il est certain qu'il y a une culture du secret, et je dirai à
l'intérieur même du Ministère. Si j'ai laissé
quelque réforme aux Finances, ce sera d'avoir facilité la
communication entre directions. C'est déjà un grand
progrès !
La communication avec le Ministre n'a, je crois, jamais posé de
problèmes. Je suis obligé d'être en désaccord avec
vous sur un point. Je crois qu'il ne vient à l'esprit d'aucun des hauts
fonctionnaires de Bercy de ne pas diffuser les informations aux
assemblées de peur qu'elles n'en fassent un usage non conforme à
l'intérêt général ! Nous sommes trop
respectueux du Parlement pour avoir de mauvaises pensées de ce
genre !
M. le Président
- Il est très important que
nos comptes rendus puissent traduire cette affirmation qu'il nous est
agréable d'entendre parfois !
M. Pierre Gisserot
- C'est en tout cas ma position profonde.
A titre personnel, je dois vous avouer être très parlementariste
de tempérament !
Vous parliez des dérives. C'est toujours un peu la même chose. Je
suis élu local depuis 30 ans bientôt. Je me rends compte que le
conseil municipal, que j'ai présidé pendant 18 ans, et qui est
maintenant présidé par mon ancien adjoint, n'est pas
informé comme il le devrait, et que le représentant du peuple, le
conseiller municipal, n'est pas informé comme il le devrait par le maire
-mais c'est très difficile.
Il est évident, à mes yeux, qu'une commission des finances comme
la vôtre n'est pas informée comme elle pourrait souhaiter
l'être. Je ne dis pas que vous auriez le temps de tout lire, mais il est
certain que beaucoup de nos études sont intéressantes, et lorsque
vous me dites que vous croyez au contrôle parlementaire, le citoyen et le
fonctionnaire que je suis est en total accord avec votre position !
S'agissant de la dernière question sur la relation avec les autres corps
d'inspection, il y a bien, de temps en temps, de petits problèmes, et
dans un livre récent, pour lequel je n'ai pas encore eu l'occasion de le
féliciter, Yann Gaillard parle de moi en racontant que je lui avais
demandé d'intervenir pour une question de pouvoir relatif entre
l'Inspection Générale des Finances et l'Inspection
Générale des Affaires Sociales. Je souhaitais surtout que la loi
passe. Il est vrai que j'aurais peut-être
préféré... Enfin, passons !
Je crois pouvoir dire que nous avons joué un rôle
considérable et le patron de l'IGAS, si vous le receviez, vous le
dirait. L'IGAS n'avait pas, il y a vingt ans, notre tradition de contrôle
et par nos travaux en commun nous avons facilité un transfert de
compétences de l'IGF vers l'IGAS. Nous travaillons toujours beaucoup
avec l'IGAS, un peu avec l'IGA, mais moins. Nous avons souvent travaillé
avec le contrôle général des armées, le Conseil
Général des Mines et le Conseil Général des
Ponts-et-Chaussées.
Je pense que, globalement, mises à part quelques petites querelles de
préséance, la coopération entre inspections
générales est efficace.
M. le Président
- Merci beaucoup pour cet
éclairage, qui nous est fort utile pour mener à bien la mission
que nous avons reçue.
La séance est levée.
La séance est levée à 17 heures 50.