N°
485
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 1999-2000
Rattaché pour ordre au procès-verbal de la séance du 29
juin 2000
Enregistré à la Présidence du Sénat le 29 septembre
2000
RAPPORT D'INFORMATION
FAIT
au nom de la commission des Finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la Nation (1) dotée des prérogatives attribuées aux commissions d'enquête, sur le fonctionnement des services de l'Etat dans l' élaboration des projets de loi de finances et l' exécution des lois de finances (en application de l'article 5 ter de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires et de l'article 22 ter du Règlement du Sénat),
TOME
II : AUDITIONS
Par MM. Alain LAMBERT et Philippe MARINI,
Sénateurs.
(1) Cette commission est composée de : MM. Alain Lambert, président ; Jacques Oudin, Claude Belot, Mme Marie-Claude Beaudeau, MM. Roland du Luart, Bernard Angels, André Vallet, vice-présidents ; Jacques-Richard Delong, Marc Massion, Michel Sergent, François Trucy, secrétaires ; Philippe Marini, rapporteur général ; Philippe Adnot, Denis Badré, Jacques Baudot, Mme Maryse Bergé-Lavigne, MM. Roger Besse, Maurice Blin, Joël Bourdin, Gérard Braun, Auguste Cazalet, Michel Charasse, Jacques Chaumont, Jean Clouet, Yvon Collin, Jean-Pierre Demerliat, Thierry Foucaud, Yann Gaillard, Hubert Haenel, Claude Haut, Alain Joyandet, Jean-Philippe Lachenaud, Claude Lise, Paul Loridant, Michel Mercier, Gérard Miquel, Michel Moreigne, Joseph Ostermann, Jacques Pelletier, Louis-Ferdinand de Rocca Serra, Henri Torre, René Trégouët.
Finances publiques. |
SENAT
Commission des Finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques
de
la Nation.
Mission chargée de recueillir les éléments d'information
sur le fonctionnement des services de l'Etat dans l'élaboration des
projets de loi de finances et l'exécution des lois de finances
Séance du 25 avril 2000
La
séance est ouverte à 15 heures 10 sous la
présidence de M. Alain Lambert
.
Audition de M. Nicolas SARKOZY,
Ancien Ministre
M. le
Président. -
L'ordre du jour appelle, dans le cadre de la
mission chargée de recueillir les éléments d'information
sur le fonctionnement des services de l'Etat dans l'élaboration des
projets de loi de finances et l'exécution desdits projets de loi,
l'audition de M. Nicolas Sarkozy, ancien ministre du budget.
Monsieur le Ministre, je vous souhaite la bienvenue. Nous sommes heureux de
vous accueillir.
J'imagine que, quels que soient les bancs sur lesquels on siège, on
apprécie votre énergie ainsi que votre dialogue direct ou votre
sens du dialogue direct et nous sommes heureux par avance de pouvoir, pendant
une heure, échanger avec vous.
Comme vous le savez, le Sénat a doté notre commission des
finances des prérogatives des commissions d'enquête pour une
durée de six mois au cours de sa séance du 29 mars dernier.
Nous avons pour mission de nous informer sur le fonctionnement des services de
l'Etat dans l'élaboration des projets de loi de finances et leur
exécution.
Sa motivation fut d'éviter toute controverse juridique sur les droits de
notre commission à recueillir telle ou telle information. La
méthode que nous avons choisie est non partisane et, en tout cas,
pluraliste.
Il s'agit d'analyser le processus de fonctionnement de l'exécutif, pour
en dégager tous les enseignements dans le dialogue toujours à
parfaire entre le Gouvernement et le Parlement. Les périodes sous revue
pourront remonter jusqu'à dix ans en arrière ; en outre,
l'équipe des rapporteurs est pluraliste :
M. Philippe Marini est rapporteur général et sont
vice-présidents de notre commission, MM. Roland du Luart,
Bernard Angels, André Vallet, Paul Loridant, ainsi que
votre serviteur.
A votre intention, comme à celle de chaque commissaire, je dois
rappeler, avec solennité, que le secret doit être conservé
sur les travaux non publics. Ce n'est d'ailleurs pas le cas de ceux que nous
engagerons cet après-midi. J'insiste donc sur la préservation du
secret des travaux non publics de la commission. En cas de faux
témoignages, la personne auditionnée est passible des peines
prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.
Monsieur le Ministre, je me tourne vers vous et vous demande de prêter
serment, de dire toute la vérité, rien que la
vérité, de lever la main droite et de dire : je le jure.
M. Nicolas SARKOZY. -
Je le jure.
M. le Président. -
Je vous remercie.
Je vais, Monsieur le Ministre, vous donner la parole pour un propos liminaire
qui pourrait durer environ un quart d'heure afin de pouvoir vous prêter
ensuite au jeu des questions et des réponses d'abord à
l'initiative du rapporteur général et ensuite à celle des
commissaires de notre commission.
M. Nicolas SARKOZY. -
Monsieur le Président, Monsieur le
Rapporteur général, Mesdames et Messieurs les Sénateurs,
c'est avec grand plaisir que je retrouve le Sénat. J'ai eu l'occasion de
conduire des discussions budgétaires devant la Haute Assemblée et
j'y ai remarqué, à d'innombrables reprises, la très grande
compétence et le souci d'avoir des débats, non pas partisans,
mais de fond, et chacun sait combien le débat budgétaire
nécessite cette forme d'engagement !
C'est donc avec beaucoup de plaisir que j'inaugure cette commission
d'enquête.
La décision que vous avez prise me paraît, à tout point,
excellente pour qui veut de la transparence, même si, nombreux sont ceux,
membres de la commission, qui doivent regretter d'être obligés de
faire une commission d'enquête pour être certain d'avoir
accès à toutes les informations.
Vous m'avez adressé une liste de questions très précises.
Je me suis permis de vous faire des réponses écrites et
précises. Au-delà de ce questionnaire et si vous me le permettez,
je voudrais d'abord vous donner le résultat de l'expérience de
deux années passées à Bercy, et si vous me le permettez
également, les quelques brèves conclusions sous forme de
propositions que j'en ai tiré.
Je n'étais en rien membre de cette maison ni par ma formation initiale
ni même par mes goûts car, avocat de formation, je me suis
retrouvé ministre du budget à la tête d'une administration
dans laquelle, lorsque l'on n'a pas fait l'ENA et Polytechnique, on a
été marqué soit par une maladie d'adolescence, soit par un
chagrin d'amour qui vous a fait rater au moins la moitié de vos
études.
C'est vous dire que je me suis rendu à Bercy sans a priori en
n'appartenant à aucune école, en n'étant membre d'aucune
secte et ne pensant à défendre ni le Trésor ni le budget,
mais simplement en essayant de me faire comprendre d'une administration dont
j'avais la responsabilité.
J'avoue avoir d'ailleurs mis les quinze premiers jours à comprendre la
langue qui se parlait tant la technicité est forte. Ce n'est pas la
moindre des difficultés pour celui qui, venant d'être nommé
ministre, a la responsabilité concomitamment de choisir ses proches
collaborateurs, de gérer les urgences, de poser la base de la politique
économique de la France et de comprendre les enjeux techniques et les
discussions extrêmement pointues à la fois sur le plan
français comme sur le plan européen qui convergent vers lui.
Quelle est la plus-value du politique face à une administration de
près de 200 000 agents dont la technicité n'est plus
à démontrer, dont la loyauté -c'est mon point de vue- est
parfaite et dont la compétence est totale ? A quel niveau doit se
situer le politique avec ces 200 000 collaborateurs qui ont
naturellement tous une idée précise sur ce qu'il conviendrait de
faire ?
La première conclusion que j'ai dégagée de ces deux
années est la suivante : la qualité de l'administration des
finances est sans faille. Je dirais même que l'information donnée
au ministre sur la situation financière du pays est fiable, même
si elle peut souffrir d'un excès de prudence. Dès mon
arrivée à Bercy, j'ai pu tester la qualité de cette
administration.
Je ne reviendrai pas, il n'est pas le lieu de faire de la polémique, sur
l'année 1993, première année depuis la Libération
où l'économie française était en récession.
Vous savez très bien les conditions de polémiques,
tranchées d'ailleurs, sur l'état d'exécution du budget. En
exécution, le déficit a été le double de ce qu'il
était prévu. Huit jours après mon arrivée à
Bercy, les services m'informaient que le déficit ne se situait pas aux
alentours de 170 milliards, tel que cela avait été
voté dans la loi de finances, mais de 333 milliards.
Je dis cela, Monsieur le Président, non pas pour faire une
polémique qui n'aurait aucun intérêt, d'autant qu'une
partie de ceux qui sont en cause ne serait pas là pour se
défendre, ce qui serait parfaitement déloyal de ma part, mais
pour que chaque commissaire comprenne qu'une semaine après mon
arrivée, un point précis de l'état des finances publiques
m'était adressé. Il évaluait le déficit à
333 milliards, le Procureur général Raynaud,
près la Cour des comptes, l'évaluait, quelques semaines plus
tard, à 341 milliards...
J'en ai donc été informé, dans la semaine qui suivait, par
des directeurs que je n'avais pas nommés puisque, à l'exception
d'un directeur, je n'avais, en une semaine, changé personne d'autre.
Les deux années qui ont suivi, je veux le dire sous la foi du serment,
ne m'ont jamais fait prendre à défaut cette qualité de
l'information donnée par l'administration dont j'avais la
responsabilité.
Je ne parle pas, Monsieur le Président, de mon cabinet, mais de
l'administration, des directeurs, des sous-directeurs, de la "machine", en
quelque sorte, de Bercy. Ils sont compétents, dévoués et
honnêtes. Mais, si vous me permettez cette remarque, qui n'est pas une
figure imposée, ils ont les défauts de leurs qualités.
Cette compétence et cette honnêteté les conduisent à
un excès de scrupules et je vais m'expliquer.
Ceci explique, selon moi, que les services sont plus enclins à vous
alerter des mauvaises nouvelles que des bonnes. En clair, j'ai
été scrupuleusement tenu informé de la gravité de
la situation budgétaire et il me semble que j'ai été tout
aussi fidèlement informé, mais avec un peu de retard, des
améliorations qui, il est vrai, ont été très
progressives. Je parle des évolutions liées au retournement des
cycles économiques.
Je voudrais évoquer, à mi-chemin entre la réalité
et l'humour, la terrible note du mois d'avril. Le directeur du budget, a
l'occasion, tous les mois d'avril, de faire une note de perspective au ministre
du budget. Elle est, en général, extrêmement brillante
comme il se doit, prévoit avec un souci de l'exhaustivité parfait
la totalité des mauvaises nouvelles qui s'abattront sur
l'économie française et sur le budget et minimise, au-delà
du raisonnable, les possibles bonnes nouvelles qui arrivent.
J'avais été si frappé de cela que j'avais demandé
au directeur du budget de l'époque de bien vouloir, du fait de mon
incompétence, me sortir les notes des dix années
précédentes qui avaient été faites à mes
prédécesseurs à la même époque pour un
travail de remise à niveau du ministre incompétent que
j'étais, permettant également de prendre la mesure de l'exercice.
Autant j'estime normal que les services restent prudents devant un retournement
favorable de la tendance, car il est bien délicat de prévoir les
retournements de conjoncture, sans compter que pour certains impôts c'est
encore plus complexe, car ils se paient par acompte, je pense notamment
à l'impôt sur les sociétés, autant il me semble que
cette prudence les amène à parfois exagérer les mauvaises
nouvelles et à minimiser les bonnes. Mais ce travail
a
minima
ne peut pas dépasser l'épaisseur de quelques
milliards. Je pense qu'il est impossible d'aller au-delà.
La deuxième réalité est que l'administration, fut-elle de
grande qualité, et surtout parce qu'elle est de grande qualité,
doit rester au service d'une politique pour ne pas dire du politique. C'est
tout le problème. Vous avez des personnes sûres de leur
compétence, et elles ont raison, dévouées à leur
travail dans des proportions parfois déraisonnables. A minuit à
Bercy, quel que soit le ministre et quelle que soit l'époque, les
bureaux sont occupés. Il n'est pas rare de trouver un chef de service
largement après minuit, il n'en tire d'ailleurs aucune glorification
personnelle, ils ont l'habitude de travailler ainsi. Ils sont également
parfaitement conscients de leur honnêteté et de leur
loyauté.
Mais avec toutes ces qualités, comment les diriger et parfois
décider contre eux, car cela peut arriver ?
C'est pour cela que j'ai prévu une organisation, à
l'époque, un peu particulière. J'ai prévu une
répartition des rôles qui m'a fait choisir avec un soin jaloux
à la fois le directeur de cabinet, Pierre Mariani ici
présent, et dont je dois dire qu'il a été pour moi un
collaborateur hors pair et les membres de mon cabinet.
La place de mon cabinet fut essentielle, alors que je ne mis pas en place un
comité de direction. Je n'ai quasiment pas changé les directeurs,
on me l'a d'ailleurs reproché à l'époque, y compris le
directeur du budget de l'époque que l'on me demandait de changer pour
des raisons qui n'auraient pu être que politiques. J'estime que les
directeurs d'administration centrale ont à s'occuper de leur
administration, ce qui n'est pas rien. Le patron de la DGI a
80 000 fonctionnaires, celui de la CP en a 60 000 et celui
de la Douane en a 23 000. Vous imaginez que cela suffit largement à
occuper toutes leurs journées !
J'ai considéré que le métier des directeurs était
de gérer leur service et d'apporter leur compétence technique. Le
métier du cabinet est différent : il s'agit de traduire
cette compétence technique en arbitrage politique. Ce n'est en rien
réducteur. Mais nous ne pouvons pas, et je vais en prendre quelques
exemples, avoir l'information des directeurs sans la traduire en langage
politique.
Par exemple, sur l'arbitrage des recettes, trois ou quatre directions à
Bercy vous disent que les recettes seront à un niveau ou à un
autre (le SLF, la DGI, la CP). Chacun a ses arguments, vous donne ses chiffres,
mais l'arbitrage procède du ministre.
J'ai eu besoin, Monsieur le Président, d'un cabinet extrêmement
compétent et totalement fidèle pour aider le politique que
j'étais à poser un choix politique. Je n'avais pas à
rivaliser en technicité avec les directeurs qui étaient sous ma
responsabilité, mais à assumer le choix stratégique de
dire : cette orientation politique va conduire à penser que les
recettes de TVA seront de tel ordre parce que le contexte économique et
politique mondial est celui-ci. C'est un choix que je devais faire et je l'ai
fait avec mon cabinet.
J'avais pris également la décision de publier, chaque trimestre,
la situation exacte de l'exécution du budget de l'Etat, devenue par la
suite, mensuelle. Je me réjouis de ce choix, mais je le dirai
très simplement, non pas par esprit de polémique, mais parce que
j'y crois et parce que je pense que c'est mon devoir de porter ce
témoignage. Je ne peux pas penser que des plus-values de recettes de
plusieurs dizaines de milliards aient pu être ignorées d'un
ministre alors qu'elles étaient connues du président et du
rapporteur général de la commission des finances du Sénat.
Il ne m'appartient pas de porter un jugement politique sur la non-divulgation
de cette information, mais je peux conclure de mes deux années
d'expérience, c'est que cette non-divulgation de cette information n'a
pu être que le résultat d'une décision politique. On peut
la condamner, on peut l'approuver, c'est un autre débat, mais je ne peux
pas croire, après avoir passé deux années à la
tête de cette administration, qu'autre chose qu'un choix politique ait
empêché la connaissance de cette décision.
Enfin, les choix du politique par rapport à l'administration sont
aisés sur les dépenses. Vous imaginez bien que ce ne sont pas les
directeurs d'administration qui vont vouloir assumer la suppression de tel ou
tel avantage. Ils vous laissent choisir, mais cela se joue aussi sur les
recettes.
J'ai parlé des prévisions de recettes, ne croyez pas qu'elles
obéissent à une logique mathématique ! Un directeur
ne vous dit pas : on a fait la synthèse. J'avais même
à l'époque, le Président s'en souvient certainement,
inventé les hypothèses de croissance trouvant ridicule que l'on
se batte à la décimale près pour savoir si la croissance
serait de 1,2 % ou de 1,5 %... Les hypothèses me semblaient
plus raisonnables, mais il m'est arrivé aussi de décider contre
eux. Je pense à la défiscalisation des avantages fiscaux pour les
emplois familiaux. La bagarre contre les services a été
formidable ! "Monsieur le Ministre, vous n'y pensez pas ! C'est un
choix impur ! Vous réduisez l'assiette de l'impôt ! Vous
ne devez pas permettre cela !".
Je me souviens d'une bagarre homérique relatif au fameux amendement que
votre collègue Charasse connaît bien : l'amendement Coluche.
J'avais décidé de doubler cet amendement et je me souviens des
discussions "animées" qui s'en sont ensuivies et le mot est faible !
J'ai constaté avec amusement, en voyant sortir certaines
décisions d'augmentation d'impôt dans les années
passées, qu'elles m'avaient été proposées à
quatre reprises. Le système de proposition est toujours simple : on
choisit une journée très chargée, vous n'avez pas de
temps, vous êtes entre deux auditions, de préférence
à un moment très lourd pour vous. On vient vous dire :
Monsieur le Ministre, signez, signez... Mais qu'est-ce ? Demandez-vous,
car en général, c'est incompréhensible. Oh ! C'est
technique, me répond-t-on.
Méfions-nous, quand c'est technique la politique n'est pas loin... Et
surtout gardez-vous de ne jamais poser la question : combien de personnes
cela concerne-t-il ? Car en général cela concerne
naturellement personne, mais c'est urgent.
J'avais pris d'ailleurs la résolution à ce moment-là,
Pierre Mariani s'en souvient, et deux mois m'ont été
nécessaires pour obtenir cela, de ne signer que les papiers que je
comprenais. N'y voyez pas de prétention de ma part, mais je pensais que
si je n'étais pas capable de comprendre un papier, il était
difficile que celui-ci puisse être compréhensible par un
observateur non attentif. Si vous me le permettez, j'en terminerai en vous
disant très simplement et très franchement qu'il faut changer
profondément les choses.
Si nous devions résumer tout ceci, le Parlement accepte d'être
mobilisé pendant un tiers de son temps sur ce que l'on appelle le
"budget de l'Etat" qui ne représente en fait que 5 % de ce budget.
Un tiers du temps pour 5 % du budget ! Quel est le parlementaire,
aussi chevronné soit-il ici et quelle que soit la formation politique
à laquelle il appartient, qui puisse dire qu'il a pu remettre en cause
la structure même du système fiscal, alors que, selon nos
principes constitutionnels, le principe même du consentement à
l'impôt est la donne la plus importante ?
Souvenez-vous, Monsieur le Président, lorsque j'étais ministre du
budget et connaissant comme vous connaissiez la fiscalité du logement,
nous pouvions avoir des discussions passionnées sur tel ou tel
élément, mais jamais, à aucun moment, nous n'avons pu
avoir une vision d'ensemble de la fiscalité du logement !
Il semble bien que votre commission même ait éprouvé la
limite de l'ordonnance de 1959. Vous avez présenté un
contre-budget en 1997 et 1998 et vous avez vu l'impossibilité de
proposer des allègements fiscaux sérieux, des transferts de
dépenses. Et quant à l'identification des propositions
d'économie avec douze administrateurs aussi compétents
soient-ils, comment voulez-vous proposer des pistes d'économie
crédibles sur un budget de plus de 1 500 milliards alors que
200 000 personnes travaillent à Bercy et qu'eux-mêmes
ont les plus grandes difficultés à les trouver ? Et
croyez-vous et que la commission des finances pourrait, avec douze
collaborateurs, le faire ?...
Je voudrais vous exprimer ma conviction qu'il ne faut pas proposer une
réforme
a minima
de l'ordonnance de 59. Je voudrais faire
quelques propositions très simples. Il serait souhaitable que nous
n'ayons plus de dispositions fiscales qui puissent rester en vigueur
au-delà de cinq ans avant de faire l'objet d'une évaluation. Pour
que les choses soient équilibrées, je propose que la
rétroactivité fiscale ne soit plus possible sur les mesures
fiscales, mais que celles-ci ne puissent rester en vigueur plus de cinq
années sans faire l'objet d'un débat d'évaluation au
parlement. Car, à partir de ce moment-là, vous sortez du
piège qui consiste à vous faire débattre exclusivement des
mesures fiscales nouvelles et à considérer comme acquis les
mesures anciennes.
Je voudrais faire une proposition sur les emplois budgétaires car
là, le comble a été franchi. J'ai lu, avec beaucoup
d'intérêt, le rapport de la Cour des comptes. Savez-vous que le
nombre d'emplois financés pour les auxiliaires ou vacataires
dépassait l'an passé de plus de 120 000 le nombre d'emplois
budgétaires ? Il ne s'agit pas d'une affaire de gauche ou de
droite, je suis persuadé qu'à mon époque, ce
n'était pas mieux. Mais vous n'aviez ni autorisé ni
accepté ces 120 000 emplois budgétaires
dépassés. Le nombre d'emplois directement et indirectement
financés par l'Etat dans des établissements publics avoisinent
les 300 000 sur lesquels vous ne donnez aucune autorisation. Pour ne pas
parler des quelques milliers de surnombres que les ministres sont amenés
à autoriser en gestion bloquant ainsi en face plusieurs autres milliers
d'emplois.
Je propose que le Parlement autorise désormais des recrutements en
fonction des besoins exprimés par les administrations et non plus des
"pyramides d'emplois" selon l'expression consacrée, c'est-à-dire
des répartitions d'emplois par grade reflétant des statuts
modifiés une fois tous les 20 ans par voix réglementaire et
dont le législateur ne peut raisonnablement pas apprécier la
pertinence. En autorisant des recrutements, vous contrôlerez la politique
de l'Etat.
Je souhaite aussi que l'on ne cesse de séparer le vote de la loi de
finances et celle de la loi de financement de la sécurité
sociale. Le Parlement doit avoir une vue d'ensemble de l'utilisation des
prélèvements obligatoires qui, bien évidemment, ne font
qu'un dans l'esprit des Français. Les recettes et les dépenses de
l'Etat et de la sécurité sociale sont, d'ailleurs, soigneusement
additionnées par les fonctionnaires européens pour
apprécier les déficits publics au regard des critères de
Maastricht ou pour comparer le niveau des dépenses publiques.
Les deux lois de finances doivent être examinées ensemble afin de
retracer l'utilisation des prélèvements obligatoires nationaux ce
qui, par ailleurs, éviterait que certains impôts votés en
loi de finances, je pense aux taxes sur le tabac, soient utilisés en loi
de sécurité sociale. Je souhaite d'ailleurs que l'on aille
beaucoup plus loin et qu'il y ait une harmonisation de notre
présentation de nos comptes nationaux avec ce qu'elle est devant la
commission européenne. Nous apprenons ainsi au Parlement, par des
indiscrétions de presse, que le Gouvernement français envoie un
plan de réduction des déficits publics et des
prélèvements obligatoires à la commission sur plusieurs
années avant même que l'on en ait discuté devant le
Parlement.
Je souhaite également que l'on modifie de manière
conséquente la présentation du budget. Il faut sortir de la
logique purement budgétaire qui ne consiste qu'à
s'intéresser qu'aux mouvements de caisse. On vote des dépenses
annuelles telles que les pensions de fonctionnaires, sans constituer dès
à présent des provisions pour faire face aux charges de la
retraite. On vote des investissements sans en prévoir les
amortissements. Quelle est l'association ou l'entreprise qui pourrait
fonctionner de cette manière ? Je sais que vous vous en
préoccupez.
Enfin, je pense qu'il faut redonner un sens à la discussion
budgétaire. Il me semble que c'est une erreur de mobiliser le ban et
l'arrière-ban des ministres dépensiers donnant lieu à un
spectacle terrible : celui qui a obtenu une augmentation de son budget
vient la défendre, glorieux et celui qui subit une diminution de son
budget vient s'en excuser piteusement. Plus il y a de ministres, moins on
comprend. La succession des budgets additionne la succession des
problèmes sans que nos compatriotes et le Parlement n'aient une claire
vision des enjeux économiques, budgétaire et fiscaux.
Je propose que l'on diminue considérablement le temps de la discussion
budgétaire. Elle pourrait être ramenée à quinze
jours au Sénat, quinze jours à l'Assemblée nationale et
que seuls viennent débattre les grands arbitrages économiques,
budgétaires et fiscaux, ceux qui les ont rendus, c'est-à-dire le
Premier ministre et le ministre des finances. Quant aux ministres
dépensiers, Monsieur le Président, qu'ils s'en expliquent en
commission des finances autant de fois qu'elle le souhaitera.
En résumé, une discussion budgétaire plus brève, de
vrais responsables politiques face au Parlement et de vrais débats
politiques. La discussion budgétaire n'est pas le lieu du débat
des politiques du logement, de la ville, du sport, des DOM-TOM ou de
l'agriculture ! A force de parler de toutes les politiques, on ne parle
d'aucune et surtout aucun des choix transparents, économiques,
budgétaires et fiscaux n'est pesé. Quinze jours avec les deux
vrais responsables, c'est une révolution qui va bien au-delà de
la limitation du temps de parole !
Je ferai une autre proposition : c'est que le temps gagné dans la
discussion budgétaire soit rendu au Parlement pour créer un
deuxième rendez-vous économique, budgétaire et fiscal fort
dans notre année parlementaire. Au lieu d'une loi de règlement,
votée dans des conditions de discrétion et d'anonymat totales, je
propose que l'on prenne quinze jours pour comparer les prévisions
gouvernementales à l'exécution budgétaire et que, cette
fois-ci, les ministres dépensiers viennent devant le Parlement indiquer
pourquoi telle dépense a augmenté dans des proportions qui
n'étaient pas prévues, pourquoi les prévisions
économiques ne se sont pas réalisées et qu'a-t-il
été fait de l'exécution du budget.
Il est normal que le travail de prévision budgétaire ne soit pas
le seul analysé au moment de l'exécution budgétaire. On
aurait ainsi deux moments notables, mais plus brefs, plus ramassés qui
seraient de nature à éclairer davantage l'opinion publique sur la
réalité des enjeux.
Je n'ai rien à recommander naturellement à la commission des
finances du Sénat, mais je dis la chose suivante : imaginer et
contrôler le budget de la nation avec la faiblesse des moyens
consacrés aux commissions des finances malgré la très
grande qualité des personnes et quels que soient l'acharnement des
élus et la volonté d'aller sur place contrôler, n'est pas
viable. La bataille ne peut être que perdue puisque, quelles que soient
les circonstances, l'inégalité des moyens est telle que vous ne
pourrez pas trouver la solution à ce problème.
Dans mon esprit, ce n'est pas une affaire d'exécutif contre
législatif et vice-versa, c'est une affaire de transparence devant
l'opinion publique. Un débat budgétaire, économique et
fiscal profond, crédible, c'est l'avantage du législatif comme de
l'exécutif. Pas l'un contre l'autre, mais l'un et l'autre face à
une opinion publique de plus en plus sceptique devant la parole politique. Il
s'agit d'ailleurs d'un problème qui va bien au-delà des pouvoirs
du Parlement par rapport au Gouvernement ou du Gouvernement par rapport au
Parlement.
Monsieur le Président, pardon de ce long exposé, mais
j'espère que vous m'en excuserez en pensant que c'est uniquement le
souvenir de la passion qui m'a animé lorsque j'eus le plaisir et
l'honneur d'être pendant deux ans à Bercy.
M. le Président. -
Merci, Monsieur le Ministre, la passion
ne vous a pas quitté, l'énergie non plus.
Je disais, précédemment, que nous avions tous le souvenir de
votre énergie et que nous partagions votre opinion ou pas, nous
attendons, au sein de notre commission des points de vue de nature politique
lorsqu'ils émanent des politiques et vous avez, en effet, exprimer des
convictions très fortes sur le plan politique qui ne manqueront pas
naturellement de retenir notre attention.
M. Philippe MARINI, Rapporteur général. -
Je
voudrais rappeler que cette commission d'enquête a pour but de tirer au
clair le fonctionnement et peut-être les dysfonctionnements du
système d'information en matière d'élaboration des lois de
finances.
Monsieur Sarkozy a évoqué l'information qui remonte vers le
ministre et les arbitrages que celui-ci est en mesure de prendre. En ce qui
nous concerne, nous devons d'abord, dans un premier temps, bien comprendre et
bien décortiquer le fonctionnement de ce système d'information
interne pour ensuite passer au stade qui nous concerne plus directement :
la diffusion de l'information de Bercy vers les commissions des finances des
deux assemblées et donc vers le Parlement.
La loi de finances est un ensemble complexe d'éléments comportant
l'appréciation du contexte économique, l'évaluation des
recettes et la prévision des dépenses. Je voudrais poser à
M. Nicolas Sarkozy des questions techniques -donc très
politiques...- sur les divers aspects de ce mécanisme.
La première question est la suivante : au stade de la
définition des indicateurs macroéconomiques qui sous-tendent la
loi de finances, y a-t-il débat ? Y a-t-il arbitrage ? Y
a-t-il pluralité des points de vue ? Comment les choses se
passent-elles ?
En second lieu, s'agissant de l'appréciation et des prévisions
des recettes, et chacun sait que les polémiques et insatisfactions
récentes concernent plus les recettes que les dépenses, comment
arbitre-t-on, in concreto, les recettes fiscales devant figurer dans le projet
de loi de finances ? Le rapport de MM. Bonnet et Nasse évoque
une réunion d'arbitrage des recettes fiscales. Comment ceci
fonctionne-t-il concrètement ?
En troisième lieu et à partir de la note générale
de perspective du mois d'avril n-1 établie par la direction du budget et
à laquelle le ministre a fait allusion, comment les choses
s'enchaînent-elles ? Comment, entre avril n-1 et l'été
n-1, puis lors de la discussion au Parlement à l'automne de n-1, voit-on
évoluer les marges de manoeuvre et à quel moment se situent les
décisions explicites du ministre portant sur ces marges de
manoeuvre ?
C'est bien cela qui nous importe, tant en matière de recette qu'en ce
qui concerne les principaux agrégats de dépense.
Enfin, Monsieur le Ministre, s'agissant du financement de l'Etat,
c'est-à-dire de la politique d'endettement de l'Etat, du mode de recours
au marché financier, des charges financières du budget de
dépense, quels sont les arbitrages que le ministre du budget doit
prendre et sur la base de quels éléments d'explicitation de ces
choix ?
M. Nicolas SARKOZY. -
Je reconnais la très grande
compétence du rapporteur général, ce qui ne
m'étonne pas. Dans le même temps, au travers de ses questions, je
me demandais s'il n'avait pas conçu une vision idéalisée
de ce qu'était la procédure d'arbitrage économique,
budgétaire et fiscale.
Comme j'aimerais pouvoir vous répondre qu'entre le
1
er
mars et le 15 mars, on écoute, qu'entre le
15 mars et le 30 mars, on consulte, et que finalement, entre le
1
er
avril et le 7 avril, on fini par décider
politiquement ! J'ai trouvé une toute autre réalité.
Y a-t-il débat ?... Il y a tellement de débats... Le premier
s'instaure entre les directions. Pas une n'est d'accord avec l'autre, c'est une
tradition... Chacun est persuadé d'avoir la vérité, chacun
ayant une légitimité à l'avoir, chacun ayant un angle de
vision propre, car la comptabilité publique n'a pas la même vision
que le SLF et, naturellement, la direction du budget considère comme
illégitimes les prévisions optimistes des autres. C'est un
véritable jeu de rôle qui s'érige et vous ne vous retrouvez
pas avec une prévision, mais plusieurs.
Si vous êtes de bonne foi, ce qui était mon cas à ce
moment-là, vous êtes bien ennuyé pour choisir entre toutes
ces personnes qui ont de grandes compétences. J'ajoute qu'elles ont un
grand talent pour vous dire : attention, si vous ne m'écoutez pas,
voilà la litanie des catastrophes qui va arriver !... Vous vous
retrouvez alors quelque peu handicapé dans votre capacité
à apprécier votre propre marge de manoeuvre.
C'est là, Mesdames et Messieurs, que la présence d'un cabinet
très fort est un élément indispensable, car il assure la
traduction politique d'un jeu de rôles interne à cette grande
administration traditionnelle de l'Etat qu'est l'administration des finances.
Il est presque du devoir du directeur de cabinet de ne pas transmettre bien des
papiers qui arrivent sur son bureau au ministre, car il connaît -et c'est
une erreur de ne pas prendre un directeur de cabinet de la maison- les
chausse-trapes, les habitudes, les histoires, la façon de traduire cela.
Un directeur de cabinet qui n'en est pas, ne le sait pas. Comment voulez-vous
qu'un homme seul face à 200 000 fonctionnaires puisse s'en
sortir ?... Il existe donc cette première réalité
d'arbitrage afin de faire le clair à l'intérieur de Bercy.
Un second débat très difficile s'établit alors entre le
cabinet et le ministre car celui-ci, au bout de quelques semaines a l'illusion
d'avoir quelques idées sur la question. C'est une illusion... mais
enfin... assez naturelle ! Il veut y apporter sa note personnelle. Ceci
prend du temps et n'est pas simple, sans compter qu'une partie des
informations, issue de certaines directions est arrivée directement sur
le bureau du directeur-adjoint du cabinet du Premier ministre ou du conseiller
économique du Premier ministre... De plus, l'Elysée a,
elle-même, ses propres entrées. Le ministre n'est pas le seul
à être destinataire d'un certain nombre de papiers. Ne croyez pas
que le ministre du budget arrive, quelle que soit sa force politique, sur un
terrain vierge pour venir informer le Premier ministre de sa science toute
nouvelle...
J'évoque cela durant la période de cohabitation que j'ai connue,
mais j'imagine qu'une période de non-cohabitation, de ce point de vue,
doit être plus cruelle pour le Ministre des Finances, car le Premier
Ministre croit être déjà informé, et de fait il
l'est de même que le Président de la République, donc vous
n'arrivez pas sur un terrain vierge où ils n'ont aucune idée des
arbitrages de recettes. Vous arrivez déjà avec des informations
de certains services ayant diffusé.
Ensuite, se tient une première réunion. Avec M. Balladur,
cela se passait ainsi au printemps, car je ne suis pas capable de me souvenir
exactement de quelques semaines, mais dans la réponse écrite j'ai
été plus précis. Puis se tenaient de longues
réunions auprès du Premier ministre avec mon directeur de cabinet
et le conseiller économique qui était son directeur adjoint de
cabinet. Nous échangions, mais quelle était la
réalité ? Je défendais de toute la force de ma
conviction ce que m'avaient dit les services et que j'avais fini par arbitrer
étant certain que c'était la vérité puisque je
l'avais arbitrée. Mais lorsque le Premier ministre est un ancien
ministre des finances, c'est terrible, car il est persuadé que
l'administration a caché une partie des recettes et maximisé une
partie des dépenses !
Les directeurs vous proposent une recette, on se met d'accord, le cabinet en
rajoute, on se met d'accord, le ministre de même, on se met d'accord,
ensuite on arrive au Premier ministre et c'est une quatrième
épaisseur d'arbitrage des recettes...
Après tous ces éléments qui ne sont pas simplement
psychologiques, car c'est ce que vit un ministre des finances, je vous prie de
croire, quel que soit celui d'entre vous qui s'y retrouverait et quel que soit
son engagement politique, que cela se passe pratiquement concrètement
comme cela.
Ensuite intervient un autre débat avec certains responsables de la
majorité. Il n'est pas anormal qu'un Gouvernement discute avec sa
majorité. Le débat qui se trouve engagé est celui entre
les volontaristes positifs et les techniciens sous-entendus négatifs. Je
ne ferai pas l'injure à la commission de lui rappeler les ravages des
"hauts taux qui tuent les totaux" et qui impactent beaucoup sur les
prévisions de recettes. Malgré tout, il faut s'en
accommoder !
Une fois les instructions données par le Premier ministre, je
prévoyais également une marge de manoeuvre avant les
conférences budgétaires avec les ministres car naturellement, vos
prévisions de recettes conditionnent vos dépenses. Si vous
laissez partir les dépenses, vous êtes tenté de monter les
prévisions de recettes. Comme de surcroît, la loi de
règlement ne compte pas, puisque ce n'est pas un grand rendez-vous de
l'actualité parlementaire, on a tendance à maximiser les
prévisions de recettes dans des proportions qui ne sont pas toujours
raisonnables d'où ma proposition sur la clause de rendez-vous au moment
de la loi de règlement. A ce moment-là, je prévoyais des
recettes permettant au Premier ministre d'avoir la marge de manoeuvre lui
donnant l'occasion de désavouer son ministre du budget sans prendre
grand risque sur l'équilibre de ces recettes. Voilà comment cela
se passe techniquement, formellement et concrètement.
Quand on a une bonne nouvelle, on le dit tout de suite au Premier ministre.
Mais cette bonne nouvelle n'impacte pas tellement les recettes, car
entre-temps, on s'est engagé soit dans une expédition au Rwanda,
au Kosovo ou ailleurs et nos amis militaires nous expliquent que tout le budget
qui est posé vaut à partir du moment où il n'y a pas une
balle qui est tirée, pas un avion qui décolle et pas un soldat
envoyé et enfin, qu'il n'y ait pas de tempête avec le milliard que
le Premier ministre, quel qu'il soit, veut avoir chaque fois qu'il fait un
déplacement en province.
Mme Marie-Claude BEAUDEAU.-
Et les grèves !
M. Nicolas SARKOZY. -
Ce sont des faits trop tristes pour que je
les prévoie, cela vient naturellement et les prévisions sont
inutiles !
La marge de recettes est, en tout état de cause, déjà
dépensée par les accidents de conjoncture politique qui font que
le ministre du budget apprend, lors d'un déplacement de son Premier
ministre, que l'on a décidé d'indemniser ici, d'indemniser
là... C'est tout à fait normal, parce que la vie d'un pays induit
nécessairement que l'on ne peut pas bloquer 1 500 milliards en
dépense dans un exercice confiné sur un moment de l'année.
Monsieur le Rapporteur Général, je n'ai sans doute pas
été précis, mais je veux dire qu'au-delà de
l'anecdote, les faits se déroulent plutôt de cette manière,
en tout cas, à mon époque. Je ne mêlais pas les directeurs
d'administration centrale aux réunions d'arbitrage politique. J'estimais
que c'était à moi de défendre la position qui était
celle de Bercy. Il y a un choix volontariste, porteur de risques, c'est
certain, mais enfin que j'ai estimé devoir mener de cette manière.
J'ajoute que l'on ne s'en est pas si mal porté puisqu'au moment des lois
d'exécution, celles-ci se sont toujours bien passées.
M. Paul LORIDANT. -
Monsieur le Ministre, on imagine volontiers
que les dépenses vont de soi et que les services, vous-mêmes et
votre cabinet en dernier ressort, pouvaient toujours donner un coup de frein
à une dépense. Je l'imagine comme cela.
En revanche, la grande difficulté, et vous l'avez soulignée
précédemment, c'est l'évaluation des recettes. Selon que
l'on est dans une situation de conjoncture favorable ou défavorable, il
existe des phénomènes cumulatifs à la hausse ou à
la baisse. Le vrai problème pointé à l'automne, mais que
certains d'entre nous pressentaient auparavant, ce n'est pas tant les
dépenses pour le budget de l'Etat, mais bien plutôt le
problème des recettes.
De ce point de vue, vous nous avez dit quelques mots sur la façon de
l'évaluer. Il y a certes des recettes "mécaniques". Lorsque la
conjoncture est défavorable, Pierre Bérégovoy voit
son déficit grossir, on était dans un processus cumulatif
à la baisse. Les recettes de TVA ne rentrent pas comme prévu,
etc., mais ce sont des recettes pour lesquelles j'imagine que les compteurs de
Bercy fonctionnent. Si c'est la TVA, l'impôt sur les
sociétés, l'IRPP, normalement les compteurs fonctionnent et tout
est cumulé. En vérité, quelles sont les recettes non
récurrentes qui peuvent arriver ?
Il se trouve que je suis rapporteur du budget des comptes spéciaux du
Trésor. Je vous avoue ma perplexité. Je travaille avec un
administrateur et nous essayons d'être sérieux, mais lorsque l'on
accélère ou freine une privatisation, lorsque sur tel ou tel
compte spécial du Trésor, des événements
surgissent, finalement ce sont des sommes relativement conséquentes qui
s'inscrivent en annexe des recettes récurrentes normales et qui viennent
modifier les prévisions à la baisse ou à la hausse.
Ma question est la suivante : quand vous êtes en position de
ministre du budget avec votre cabinet, quels sont les éléments
vous permettant de percevoir les accélérations ou les
diminutions, les événements imprévus sur les
recettes ? Quelles sont votre technique et votre expérience qui
vous font dire : attendez, il y a quelque chose qui se passe en annexe,
même si ce n'est pas nécessairement au coeur de
l'actualité. Quels sont les indices qui vous permettent de le voir et
qui pourraient aider un parlementaire de base qui fait des efforts pour savoir
quelles sont les recettes ?
M. Bernard ANGELS. -
Je ne vais pas aussi longuement parler
des dépenses, même si en 1994 et 1995, vous avez, dans les
résultats de vos budgets, des dépenses en augmentation sensible.
Nous ne sommes pas là pour polémiquer et rechercher les causes de
ces différences, nous sommes là pour comprendre pourquoi,
malgré une administration que vous avez qualifiée de "très
compétente", malgré un bon cabinet, les exécutions des
budgets de 1994 et 1995 nous laissent perplexes par rapport à certaines
choses que l'on peut lire de la part de la Cour des Comptes, voire du Conseil
Constitutionnel.
En effet, nous avons l'impression, ce qui fait le malaise des parlementaires,
que lorsque les comptes nous sont fournis, chaque ministre essaie d'embellir un
peu et de nous présenter quelque chose qui se tienne en changeant
quelque peu les règles du jeu ou en jouant avec les façons
d'encaisser ou de différer les encaissements des dépenses.
Je prendrai donc les deux années durant lesquelles vous étiez en
charge du budget et en charge de notre économie. Lorsqu'en 1994, nous
avons assisté à 4,1 % de dépenses
supplémentaires par rapport à la loi de finances initiale -nous
avons vu également le dérapage de la dette publique, mais ce
n'est pas mon propos- il y eut une majoration artificielle des recettes.
Pourquoi ? Par des phénomènes qui ont été
repris par vos successeurs.
En 1994 : non-reconduction des pertes de TVA dues en 1993, passage en
droit commun fiscal de La Poste et de France Télécom. Tout cela
est rentré dans le budget général sur une année. Ce
ne sont pas des recettes qui vont, bien sûr, chaque année
équilibrer le budget de l'Etat.
En 1995, c'est identique. Il y eut, comme d'ailleurs le font
régulièrement d'autres ministres, des recettes non fiscales
intégrées dans le budget : 15 milliards sur la Caisse
des dépôts et consignations, 18,5 milliards sur le fonds de
réserve et de garantie des Caisses d'épargne. Lorsque l'on
considère ce budget 1995, on s'aperçoit d'annulations de
crédits de dépenses bloqués le 23 février et
non pas le 4 mars. Et on voit aussi la réforme de la
comptabilité des avances aux collectivités locales cette
même année.
Si je cite ces exemples, c'est pour dire que, finalement, ce travail que j'ai
fait en 1994 et 1995 et que je réalise également pour d'autres
années, permet de retrouver chaque année des dépenses ou
des recettes glissantes de façon à présenter au Parlement
en exécution des budgets qui, nous semble-t-il, ne prennent pas toujours
les mêmes critères d'où la difficulté pour nous,
parlementaires, de pouvoir avoir une vision objective de la situation.
M. Roland du LUART. -
Je voudrais remercier M. le Ministre
Sarkozy de la qualité cette audition, car c'est extrêmement
intéressant de voir, de façon vivante, comment il a ressenti son
passage au ministère. Je voudrais faire état du mal vivre des
parlementaires de la commission des finances, car plus nous nous investissons,
moins nous comprenons et nous avons l'impression que l'on nous berce sans
arrêt d'illusions.
Ce que nous ressentons très mal, c'est que lorsqu'une loi de finance est
votée, dans les semaines qui suivent, un certain nombre de gels de
crédits budgétaires font que la loi telle que nous l'avons
votée ne sera plus la même et en cela, il n'y a aucune
maîtrise du Parlement.
Je suis tout à fait d'accord avec M. le Ministre pour dire, et c'est
fort intéressant que lui-même ait pu prouver que la qualité
de l'administration était sans faille, que les gens sont honnêtes,
dévoués et compétents. Mais alors, les ministres ont-ils
une information véritablement objective ?
Vous nous avez expliqué les mécanismes et leur complexité,
que l'on avait tendance à minimiser quand c'était bon et à
aggraver quand c'était mauvais. Je me souviens d'ailleurs, lorsqu'un de
vos successeurs était ministre des finances, M. Arthuis, que son
cabinet comme ses directions lui disaient que le budget de 1998 était
infaisable et qu'on allait dans le mur par rapport aux critères de
Maastricht. D'où, sans doute, la dissolution qui en a
succédé et pourtant, ces hauts fonctionnaires étaient
très honnêtes dans leur expression.
Ma question est la suivante : qu'est-il envisageable de faire selon vous,
pour que le Parlement français, les deux commissions des finances des
deux chambres, se dotent des mêmes moyens que le Parlement
américain pour le contrôle de l'exécutif et fasse appel
à des audits extérieurs pour véritablement y voir clair.
Le Parlement américain a un véritable contrôle sur
l'exécutif que nous, Parlement, n'avons absolument pas. En vous
entendant, on se rend compte combien c'est même difficile, pour un homme
extrêmement intelligent comme vous, de maîtriser la chose !
Rendez-vous compte de ce qu'il arrive au pauvre parlementaire de base !
M. Jean-Philippe LACHENAUD. -
L'histoire financière montre
qu'il n'y a pas de budget infaisable, mais que cela coûte aux
contribuables et à l'économie par des dévaluations ou
d'autres opérations.
Ma question concerne les méthodes de la réforme fiscale.
Serait-il envisageable, et est-ce que le ministre a lui-même des
études préalables -il paraît que cela se débat
aujourd'hui dans l'actualité du Gouvernement de ces jours-ci- d'avoir
des variantes, des réelles simulations financières de l'impact de
la réforme et d'avoir une réelle étude des effets
économiques et sociaux des réformes fiscales
envisagées ?
C'est tout le problème de la méthode, de la réforme
fiscale en amont, avant la décision du ministre et de ces choix
politiques que l'on voit se dérouler sur la place publique. Le Parlement
n'y est, en aucun cas, associé. D'année en année, nous
apprenons cela pendant l'été dans la presse, mais nous n'avons
aucune possibilité d'infléchir les choix de réforme
fiscale. Y a-t-il une réforme possible et pourrions-nous
améliorer la situation actuelle ?
M. Joël BOURDIN. -
Monsieur le Président, mon
intervention se situe dans la continuité et la suite logique de mes
collègues du groupe des indépendants.
Nous ressentons, effectivement, une grande frustration en tant que
parlementaire face à cette énorme machinerie qu'est le montage
budgétaire et j'ai toujours le sentiment d'être mal informé
et de ne pas disposer des moyens pour intervenir au moment où l'on
discute du budget. D'ailleurs, vous l'évoquiez vous-même, Monsieur
le Ministre, nous avons l'impression, avec des administrateurs de grande
qualité que c'est vraiment, vis-à-vis des services de Bercy, le
pot de terre contre le pot de fer et que si on ne consent pas à nous
donner des informations et des détails, évidemment nous restons
dans la plus grande incertitude. Nous en avons eu un exemple criant cette
année puisque le budget, une fois voté, était
déjà obsolète, non pas tant d'ailleurs à partir des
prévisions qui avaient été faites, mais à partir du
camouflage de certains points.
Ma question est celle-ci : dans d'autres pays, et je pense aux Etats-Unis,
il existe des agences indépendantes d'information, de prévision,
qui sont à la disposition du Gouvernement, mais qui sont tout autant
à la disposition du Congrès. N'y a-t-il pas là une voie de
réforme pour notre pays permettant aux parlementaires d'effectuer leur
travail de manière un peu plus conséquente ?
M. le Président. -
Je souhaite ajouter une question. Il
est vrai que des parlementaires et des commissaires des finances peuvent
ressentir parfois un peu de frustration lorsqu'on leur demande de statuer dans
le détail alors que le sel de la politique est précisément
dans les grandes masses et vous nous l'avez dit dans votre propos introductif.
Ma question est la suivante : pensez-vous que ce serait plus
responsabilisant pour les administrations publiques et aussi pour les
politiques exerçant la responsabilité politique, de voir le
Parlement statuer sur des masses beaucoup plus importantes étant entendu
qu'à l'intérieur de ces masses, l'exécutif pourrait
procéder à tous les redéploiements nécessaires pour
pouvoir mener la meilleure politique possible ?
M. Nicolas SARKOZY. -
J'ai senti, dans toutes les interventions,
une volonté de mieux comprendre et une insatisfaction que cette bonne
volonté ne débouche pas concrètement sur un contrôle
et une compréhension plus efficaces.
Mais, Messieurs les Commissaires, soyons parfaitement honnêtes. Ne
faisons pas porter à la politique budgétaire la quintessence de
tous les défauts, de tous les immobilismes et de tous les conservatismes
de notre pays !
Le refus de la réforme, la difficulté à bouger les
dossiers et les services ne sont pas dus à la seule procédure
budgétaire ou à la seule opacité des procédures
internes à Bercy.
Vous êtes, Mesdames et Messieurs les Sénateurs,
représentants des collectivités locales. Qui, ici, ignore que
pour faire évoluer le budget de sa collectivité, il faut un
mandat, deux mandats, parfois trois ? Que peut-on demander au ministre des
finances qui, dans le meilleur des cas, reste deux ans, trois ans avec des
budgets de 1 500 milliards dont plus de 60 % sont
consacrés aux pensions de retraite et aux dépenses de
fonctionnement ?
Et vous-mêmes, Mesdames et Messieurs les Parlementaires, êtes
à la fois membres de la commission des finances, attentifs à
traquer la dépense indue, mais en même temps grands
défenseurs de votre territoire et de la dépense légitime,
celle que vous avez décidé de défendre ! Ne faisons
pas porter sur le seul exercice budgétaire la totalité des
rigidités de la société française !
Monsieur du Luart me fait remarquer que même moi, je ne sais pas
tout ! Oui ! Qui peut prétendre ici qu'en deux ans, on fait le
tour de 1 500 milliards et d'une mécanique aussi
compliquée ? Qui peut dire, à la tête de sa
collectivité locale, qu'au bout de deux ans de son mandat de maire, il
connaissait tous les problèmes de sa ville, il avait impacté
toutes les politiques de stratégies différentes, il avait
changé la ville et changé la structure du budget ? Dans un
pays où on a la religion de l'emploi à vie, surtout lorsque c'est
un emploi public, dans un pays où pas une mesure fiscale n'est
rediscutée après qu'elle ait été votée et
dans un pays où la seule chose que l'on demande au ministre du budget,
nouvel arrivant, c'est d'être généreux sur les mesures
nouvelles, que faire ?
Pardon de cette réponse générale, avant de rentrer plus
dans le détail, mais s'il s'agit de changer la France, alors
prévoyons une commission d'enquête plus large. Mais n'ayons pas
une vision de la France idyllique en dramatisant une vision de la discussion
budgétaire maléfique...
La discussion budgétaire est un exercice contraint et je pense qu'il est
totalement inadapté à la situation parce qu'elle ne peut poser
que des frustrations puisqu'elle n'est plus en concordance.
Je préférerais de beaucoup un débat économique,
fiscal et budgétaire comme vous l'avez proposé à travers
votre question, Monsieur le Président, débat qui permettrait
à chaque parlementaire de comprendre, d'influer, de peser sans rentrer
dans le détail qui n'appartient, de mon point de vue, pas au
législatif, mais à l'exécutif.
Autrement dit, on fait perdre le temps du Parlement dans des détails qui
sont du ressort du travail du Gouvernement, alors que le législatif
devrait se consacrer aux grandes masses économiques budgétaires
et fiscales. A ce moment-là, oui, il y aurait de la transparence et
moins de frustration. Permettez-moi de vous dire que je ne pense pas que le
travail d'un commissaire de la commission des finances soit de se consacrer
jour et nuit à l'examen détaillé du plus petit poste...
La commission des finances et le Sénat, dans son ensemble, doit porter
un jugement sur le débat économique, budgétaire et fiscal.
Sortons de la logique où l'on veut nous enfermer ! On nous met sur
le terrain de l'hyper technicité où nous, les politiques, de
toute manière, sommes perdants, pour nous évacuer du terrain des
agrégats, de la stratégie et des grandes directions où
là, nous serions gagnants, d'où la proposition que j'ai
présentée.
Monsieur Loridant nous dit : coup de frein aux dépenses... oui,
c'est possible... le gel ! Mais très honnêtement, tous les
maires de France, quand les droits de mutation ne rentrent pas, convoquent
leurs directeurs des services financiers et leur disent de tirer les
dépenses, car ils ne veulent pas présenter un budget en
déséquilibre, d'ailleurs ce ne serait pas possible.
M. Paul LORIDANT. -
On sait faire cela.
M. Nicolas SARKOZY. -
Ce n'est pas correct, ce n'est pas
classique. Sur un budget de 1 500 milliards, ce n'est que de la
prévision. Alors, calculons ! Une erreur de 1 %
représente 15 milliards de francs ! A 15 milliards le
pour cent, bien futé celui qui est certain, dans le monde qui est le
nôtre où les trois-quarts des décisions prises à
l'extérieur impactent autant que les décisions prises à
l'intérieur, de ses prévisions ?
Franchement, cela nous oblige à un peu de modestie. Les artifices du
genre du gel budgétaire rassurent celui qui considère que le
monde bouge et que le NASDAQ peut perdre 10 points en deux jours et que
les taux d'intérêt peuvent remonter. Considérons ce que
représente le deuxième poste de budget civil de la nation qui est
la dette, elle-même directement impactée par le niveau des taux
d'intérêt. Qui est capable de me dire quel sera exactement le
niveau des taux d'intérêt l'année prochaine ? Il
existe des astuces, certes, fort heureusement.
S'agissant des recettes de TVA, quand cela rentrait bien ou mal, on me
prévenait assez vite. Pour l'IRPP et pour l'IS, c'est beaucoup plus
compliqué parce que ce sont des acomptes et on ne connaît pas
toujours les possibilités de fonctionnement.
Permettez-moi de vous demander s'il existe une méthode pour aider le
parlementaire de base ? Si tous les parlementaires de base étaient
comme vous, Monsieur Loridant, cela mettrait le statut du parlementaire de
base assez élevé dans la prise de parole. A chaque fois que je me
trouvais dans une impasse et qu'en raison de l'arbitrage politique, il fallait
trouver une solution, j'attendais un petit instant et la solution arrivait...
Elle n'arrivait jamais spontanément, mais très certainement.
Les six premiers mois, je me faisais énormément de soucis en me
demandant comment sortir de ce mauvais pas. Je me suis rendu compte qu'au
contraire, la décision stratégique, ferme du politique quant
à la recherche et à la découverte d'une solution
permettait quelques fleurs... Soudain, on se souvenait d'une réserve qui
se trouvait dans un coin bien éloigné de ma compétence.
Spontanément, aux derniers moments, ce qui était totalement
impossible devenait probable et en tout cas, pas scandaleux.
Il existe un véritable rapport de force, Monsieur Loridant, pour
tout politique qui se trouve à Bercy. Il est très difficile
à mettre en oeuvre, parce qu'il ne faut pas faire n'importe quoi, bien
sûr. Mais, en même temps, nous ne sommes pas là pour faire
une politique économique voulue par le directeur du budget. Notre
rôle est d'éviter que l'on dépense l'argent jusqu'à
la limite du raisonnable.
Monsieur Angels, j'apprécie beaucoup la méthode. Vous
n'êtes pas là pour critiquer, mais quand même !...
C'est une technique que j'ai beaucoup utilisée, je ne pourrais donc pas
vous la reprocher... Je dirai simplement, qu'à partir du moment
où le Parlement vote et où le Conseil Constitutionnel valide, ce
que dit la Cour des Comptes m'intéresse, mais pas davantage. Il s'agit
de savoir si nous sommes des politiques ou pas. J'avais une majorité et
des choix politiques à poser. La politique économique de la
France n'est pas définie par la Cour des Comptes pour qui j'ai, par
ailleurs, le plus grand respect.
Mais enfin, si nous ne devions faire que ce que nous autorise strictement et
chaque fois la Cour des Comptes, Monsieur Angels, j'attends avec plaisir
que vous soyez ministre du budget ! Je ne doute pas, à ce
moment-là, de la très grande orthodoxie de la méthode qui
sera la vôtre. Je crains que l'imagination n'en souffre, car il est
aisé, a posteriori, de faire des critiques, en général
définitives. Cependant, lorsqu'on se retrouve à la tête
d'un pays où la récession est de -1,8 %, où le nombre
de chômeurs augmente de 50 000 tous les mois et où il faut
trouver des solutions, le politique doit les trouver. Elles ne se trouvent pas
dans le manuel de la Cour des Comptes, je le regrette, mais si vous voulez me
demander par là s'il y a des malices, alors j'acquiesce.
Il est vrai que sur un budget de 1 500 milliards certains points
doivent être réalisés. Prenez l'exemple de l'argent des
privatisations. En théorie, il est bien évident, étant des
recettes exceptionnelles, qu'elles ne doivent pas financer des dépenses
récurrentes. Vous avez parfaitement raison. Mais il est des situations
économiques, lorsqu'il y a 30 000 ou
40 000 chômeurs de plus et quand on est en récession,
où l'on ne vous demande pas de faire de la théorie, on vous
demande de relancer la machine économique de la France et à ce
moment-là, vous prenez les marges de manoeuvre qui sont en votre
possession.
Si c'était si facile, il faudrait prendre le premier professeur
d'économie, lui mettre le manuel dans les mains et chaque fois qu'il
sort de la page 182, paragraphe 4 du petit manuel, il faut le
renvoyer. Nous ne sommes pas que des experts-comptables non plus, pas plus que
des économistes. Nous avons à travailler avec cette pâte
humaine qui est celle de l'économie internationale et nationale.
Permettez-moi de vous dire que cela m'a appris beaucoup sur le pragmatisme.
Je suis arrivé avec beaucoup d'idées préconçues,
sans doute trop. Une fois à l'établi, on essaie de trouver, comme
n'importe quel chef d'entreprise ou comme n'importe quel maire, la bonne
solution. Elle n'est pas toujours conforme à la théorie
impeccable, mais ce n'est pas par volonté de mordre la ligne,
c'était parce que des situations d'urgence parfois s'imposent.
Monsieur du Luart me dit que plus on s'investit, moins on comprend. J'ai
eu parfois cette même réaction. Surtout lorsqu'il me fallait
préparer les conférences agricoles...
(Rires...)
Je dois dire que la fiscalité agricole est la chose la plus difficile
qu'il m'ait été donné de comprendre. J'apprécie
beaucoup que, quelques années après, vous-même repreniez
cela. Là où les calculs sont faux, c'est que nous ne parlons que
de 5 % de la dépense, nous ne parlons que de la marge. C'est pour
cela qu'il ne faut pas, de mon point de vue, essayer d'améliorer
l'ordonnance de 1959, il faut changer le cadre, car les
améliorations se heurteront aux limites de l'exercice. Si vous voulez
faire oeuvre de novation, il faut changer complètement le cadre.
Faut-il faire comme aux Etats-Unis et utiliser un office ? Je n'y vois que
des avantages. J'attire simplement l'attention des parlementaires sur le fait
qu'à force de multiplier les organismes indépendants, les
organismes techniques, vous risquez ensuite de n'avoir plus aucun pouvoir. Il
ne suffit pas d'être expert pour ne pas se tromper, notre pays en
compterait alors un nombre important !
Jusqu'à preuve du contraire, il ne me semble pas, en tout cas au sein de
la commission des finances du Sénat, que les prévisions faites, y
compris dans des débats récents, aient été moins
averties que celles d'un certain nombre d'instituts indépendants.
M. Philippe MARINI, Rapporteur général.. -
Elles
étaient même trop bonnes.
M. Nicolas SARKOZY. -
C'est ce que je me permets de
suggérer. Je crois qu'au contraire, on ferait bien d'en avoir moins et
que, quitte à investir, investissez dans vos propres services
plutôt que dans ceux d'un organisme indépendant qui aura comme
seule caractéristique d'être moins légitime que vous,
puisque ceux qui y seront auront été nommés alors que vous
avez été élus.
Monsieur Lachenaud, existe-t-il des variantes et des simulations pour les
réformes fiscales ? Oui, cela arrive. J'en ai gardé un
nombre considérable. Vous pouvez tout demander, toutes les simulations
sont possibles, tous les chemins sont ouverts, seule la conclusion reste
identique : Monsieur le Ministre, ce n'est pas possible...
Je puis vous dire qu'elles sont innombrables, mais elles conduisent toujours au
caractère impur de la demande ministérielle et au fait qu'elle
sera soit impossible soit très difficile à mettre en oeuvre. A ce
sujet, je me souviens d'un débat fameux sur la décote. Je crois
que nous avons fait un bon travail de ce point de vue.
La seule solution me semble-t-il, c'est l'évaluation. Je la
préfère à la simulation, car l'évaluation, c'est la
simulation dans le réel avec les conséquences du concret.
Enfin, Monsieur Bourdin ne m'en voudra pas de dire que, pour l'agence de
prévision indépendante, nous avons un panel d'organismes de
prévision avec lesquels nous essayons de faire la moyenne. Je ne suis
pas certain, alors même que M. le rapporteur général me
souffle qu'ils sont déjà tous subventionnés, que l'agence
indépendante aura un sort différent de celui du grand conseil des
économistes gravitant autour du Premier ministre aujourd'hui. Il doit
prendre beaucoup de temps pour mettre d'accord des économistes qui, par
définition, ont vocation de ne pas l'être.
M. le Président. -
Monsieur le Ministre, je veux, au nom
de tous mes collègues, vous remercier de la qualité de l'audition
que vous nous avez permis d'entendre.
Nous sommes ici dans l'un des temples de la démocratie en France et la
démocratie passe par le politique et par l'exercice de la
responsabilité politique, c'est-à-dire par des femmes et des
hommes qui vont devant les Français, qui leur proposent des projets et
qui s'inclinent devant la décision des Français. Il me semble que
la France, pays démocratique s'il en est, doit fonctionner selon ce mode
et nous nous sommes fixés un but, au sein de la commission des finances
et vous nous avez aidés au cours de cette heure d'audition, Monsieur le
Ministre, celui de parcourir le champ de la démocratie et de la
responsabilité politique par le témoignage d'un homme politique
qui l'est resté tout au long de son audition et qui nous a livré
l'expérience qui a été la sienne dans sa fonction
ministérielle. C'était le but de notre audition. Au nom de tous,
je veux vous en remercier.
(La séance, suspendue à 16 heures 20, est reprise
à 16 heures 25 sous la présidence de
Monsieur Angels).
Séance du 25 avril 2000
La séance est reprise à 16 heures 25 sous la présidence de M. Bernard Angels
Audition de M. Alain LAMASSOURE,
Ancien
Ministre
M.
le Président. -
Mes chers collègues, la séance est
reprise. L'ordre du jour appelle l'audition de M. Alain Lamassoure,
ancien Ministre.
Monsieur le Ministre, merci d'avoir répondu à notre invitation.
Cette audition se déroule dans le cadre des prérogatives de la
commission d'enquête que le Sénat a bien voulu conférer
à notre commission des finances dont l'objet est d'informer notre
commission des finances sur le fonctionnement des services de l'Etat dans
l'élaboration des projets de loi de finances et dans leurs
exécutions.
Je rappelle à la commission et au ministre que le secret doit être
conservé sur les travaux non publics, ce qui n'est pas le cas des
travaux qui vont se mener maintenant. Je rappelle à l'intention de la
personnalité auditionnée, qu'en cas de faux témoignages,
elle est passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et
434-15 du code pénal. Je suis obligé, en vertu de l'ordonnance,
de rappeler ces textes. Je vous demande de prêter serment, de dire toute
la vérité, rien que la vérité, de lever la main
droite et de dire : je le jure.
M. Alain LAMASSOURE. -
Je le jure.
M. le Président. -
Je vous en donne acte et vous remercie.
Je vous donne la parole pour un propos introductif à l'issue duquel
Monsieur le rapporteur général vous posera des questions
auxquelles vous répondrez immédiatement et ensuite, les
commissaires vous poseront les leurs.
M. Alain LAMASSOURE.
- Je vous remercie, Monsieur le
Président.
Je voudrais indiquer que j'ai reçu la semaine dernière un
questionnaire écrit auquel je vais répondre bien entendu par
écrit. Je ne vous ai pas envoyé jusqu'à présent ces
réponses, dans la mesure où certaines questions étaient
assez précises et portaient sur des points de calendrier. Cela fait
trois ans que j'ai quitté Bercy, mes collaborateurs eux-mêmes se
sont un peu dispersés et j'avais besoin de ce délai pour
réunir ces points qui ne posent pas de problème de fond, mais
plutôt un problème pratique.
Je voudrais, par cette introduction que vous m'invitez à faire, Monsieur
le Président, vous donner un peu le résultat de
l'expérience personnelle que j'ai eue quant à la question qui
préoccupe votre commission d'enquête relative aux conditions de
préparation de la loi de finances annuelle. Quels sont les
éléments d'informations dont on dispose sur l'activité
économique ? Quelle est la manière dont se font les
prévisions de dépenses et de recettes et quel est le suivi de
l'exécution du budget de l'Etat ?
Mon témoignage, par rapport aux autres personnalités que vous
invitez, est celui de quelqu'un qui, professionnellement, a travaillé
effectivement pendant une douzaine d'années à la Cour des
comptes, qui est mon administration d'origine, a oeuvré deux ans au
cabinet du ministre de l'économie et des finances, a eu pendant quatre
ans des responsabilités budgétaires au Parlement européen
comme Rapporteur général du budget puis comme Président de
la commission du budget et a été Ministre
délégué au budget pendant 18 mois.
Autrement dit, j'ai une expérience qui n'est pas tout à fait
négligeable et qui est plutôt celle d'un homme qui a
été dans la salle des machines avant d'être sur le pont. En
tant que ministre délégué au budget, en
réalité, je n'ai été responsable, sous
l'autorité de Jean Arthuis, ministre de l'économie et des
finances, que de la préparation d'un seul budget, le budget 1997.
J'étais en fonction du mois de novembre 1995 aux mois de mai,
juin 1997.
Cela m'amène à faire une remarque incidente : très
peu de ministres du budget dans l'histoire de la cinquième
République ont pu aller du début jusqu'à la fin d'un seul
budget, c'est-à-dire préparer le projet de loi de finances et
ensuite faire voter le projet de loi de règlement une fois le budget
exécuté.
Voici trois ou quatre enseignements tirés de cette expérience. Le
premier concerne les prévisions macroéconomiques.
Ce qui m'a frappé quand j'étais dans ma cabine de pilotage et non
plus en salle des machines, c'est la médiocrité de nos
prévisions macroéconomiques. Or, tout commence par-là,
c'est le plus aléatoire. J'en donnerai, à ce stade introductif,
deux exemples dans la période correspondant à la gestion que j'ai
assurée.
Le premier exemple concerne les prévisions d'investissement.
Au départ, dans la loi de finances pour 1996, il était
prévu que les entreprises privées appelées "les
entreprises non financières" au sens de la comptabilité
nationale, devaient accroître leurs investissements de 4,5 % dont
près de 5 % pour l'investissement productif et 9 % pour
l'investissement industriel à la suite d'un chiffre d'investissement de
1995 qui était assez bon. A l'époque, dans le projet de loi de
finances pour 1996, on prévoyait qu'en 1997, il y aurait 11,5 %
d'augmentation de l'investissement industriel. Ces prévisions se
faisaient encore au mois de mars 1996.
Au mois de septembre 1996, l'INSEE a revu à la baisse sa
prévision pour l'année en cours en prévoyant que
l'investissement des entreprises n'augmenterait plus que de 2,5 %. En
1996, il serait donc de 5 % en 1997. Finalement, après coup, on a
enregistré sur l'ensemble de l'année non pas une hausse, mais une
baisse de -0,8 % de l'investissement des entreprises. Au début,
nous avions prévu 5 % pour l'investissement productif et 9 %
pour l'investissement industriel et en réalité, sur l'ensemble de
l'année, nous avons connu une baisse.
Le second exemple est le suivant : j'ai eu le prix de l'humour politique
en 1996 pour avoir prononcé une phrase du genre : il est difficile
de prévoir, même le passé. La moitié des membres du
jury ont considéré que c'était de l'humour volontaire et
l'autre de l'humour involontaire.
Pourquoi avais-je dit cette phrase ? Parce qu'en matière d'indice
de la production industrielle, nous sommes au mois d'avril et je suis
persuadé que l'on ne connaît pas encore le vrai chiffre de la
production industrielle du mois de décembre dernier. On passe toute
l'année à revoir les prévisions de production industrielle
de l'année précédente. C'est lorsque sortent les comptes
économiques de la nation de l'année passée qu'on a le
chiffre définitif de la production industrielle qui, parfois, est
corrigé encore l'année suivante. Or, nous sommes au
printemps 2000, au moment où l'on commence à faire les
premières esquisses du budget 2001 et comment essayer de donner une
prévision relativement fiable de la production industrielle 2001
alors que nous ne sommes pas certains de la fiabilité du chiffre du
dernier trimestre de 1999 ?
En outre, à ces difficultés techniques, s'ajoutent de vraies
insuffisances d'analyse économique. La science économique est en
retard sur l'évolution de l'économie réelle. Nous
continuons d'avoir des modèles macroéconomiques conçus
à partir d'analyses scientifiques qui ne correspondent plus bien aux
modes de fonctionnement de l'économie actuelle. Voici quelques exemples.
Premièrement, il existe une réelle difficulté de chiffrage
du montant et des conséquences exactes de ce que l'on appelle "l'effet
de richesse". Quand la bourse augmente, quand la valeur des actifs financiers
et immobiliers des logements, des fonds de commerce augmente, il y a un effet
d'enrichissement qui a des conséquences importantes sur
l'activité des agents économiques. En sens inverse, dans la
conjoncture que, malheureusement pour le Gouvernement auquel j'appartenais,
nous avons connue au milieu des années 1990, quand l'effet de richesse
était plutôt un effet d'appauvrissement, que la bourse baissait,
que les valeurs immobilières s'effondraient et que les fonds de commerce
en deux ou trois ans perdaient la moitié de leur valeur, tout d'un coup
les "ménages", comme disent les comptables nationaux, n'avaient plus le
même comportement et ceci est difficilement modélisé.
Voici un autre exemple. Nos théories économiques continuent de
reposer fondamentalement sur des hypothèses d'économies
fermées. Or nous sommes dans des économies totalement ouvertes
pour la France dans le cadre européen et très largement ouvertes
au niveau international. De ce fait, les modèles ne fonctionnent plus de
la même manière. Le seul prix Nobel d'économie qu'a eu la
France a été décerné à
M. Maurice Allais qui continue de raisonner comme si la France
était une économie fermée. Ce n'est plus le cas.
Enfin, en sens inverse, nous ne disposons pas encore d'analyses
économiques suffisamment fines sur les conséquences d'une union
monétaire. Il est un peu attristant pour nous, Français, pour
nous, Européens, que les meilleurs économistes ayant
réfléchi à la question soient plutôt de l'autre
côté de l'Atlantique comme M. Mundell, le Canadien, qui a eu
le prix Nobel de l'économie ou M. Lester Farrow qui sont
quelques économistes dont nous avons connu les travaux au moment
où nous nous sommes lancés dans l'union monétaire. Les
analyses correspondantes manquaient de ce côté-ci de l'Atlantique.
Cela dit, par rapport à la période que j'ai connue, au milieu des
années 1990, j'ai le sentiment qu'aujourd'hui la réalisation de
l'union économique et monétaire et le fait que nos
économies européennes soient maintenant en convergence de
conjoncture devraient réduire ces incertitudes et améliorer notre
capacité de prévision.
Concernant les prévisions de recettes budgétaires, une fois que
l'on a fait une hypothèse d'évolution de la conjoncture
économique pour l'année à venir, on essaie d'en
déduire les recettes budgétaires. Cela donne lieu à des
discussions extrêmement techniques entre les spécialistes de tous
les services du ministère de l'économie et des finances
concernés, les divers réseaux fiscaux et comptables, la direction
du budget, la direction de la prévision, sous l'autorité
traditionnellement du directeur de cabinet du ministre ou de son conseiller
budgétaire.
L'expérience montre que la sensibilité des recettes fiscales
à la conjoncture n'est pas non plus une science exacte. Nous avons des
surprises, bonnes ou mauvaises. Dans la période durant laquelle
j'étais aux affaires, nous avons eu plutôt des mauvaises
surprises. Par exemple, la TVA en 1995. Nous avions prévu
1 306 milliards en loi de finances initiale et nous n'avons
encaissé que 1 302 milliards, ce qui, apparemment, est
extrêmement proche puisqu'il n'y a que 4 milliards de
différence. Mais, entre-temps, il y avait eu tout le collectif
budgétaire de 1995 avec notamment des hausses de TVA, de l'impôt
sur les sociétés et de l'ISF, ce qui fait qu'à
législation constante, la moins-value a été de près
de 40 milliards.
On peut en conclure que trop d'impôts tue l'impôt, bien entendu. En
même temps, on se rend compte que la baisse de la croissance
enregistrée en 1995 n'expliquait qu'un peu moins de 10 milliards de
francs sur ces 40 milliards de francs. Nous avons donc connu une
très grave déconvenue en 1995 en matière de TVA.
En 1996, la déconvenue a porté sur l'impôt sur les
sociétés. Je signale à ce sujet, les variations et
fluctuations assez spectaculaires de l'impôt sur les
sociétés. J'ai retrouvé, dans les notes personnelles que
j'ai prises en l'espèce en mai 1996, au moment où nous avons
commencé à faire les choix pour le budget 1997, que ce qui
est appelé par la direction du budget "le tendanciel" pour 1997,
était en baisse. En effet, en 1996, nous avions eu
1 264 milliards de recettes fiscales. Le tendanciel 1997
était, à ce moment-là, prévision mai 1996 pour mai
1997 de 1 254 milliards, donc en baisse. En fait, nous avions
constaté un manque à gagner sur l'impôt sur les
sociétés de 20 milliards de francs par rapport aux
prévisions, mais sur l'ensemble de l'année 1997,
l'exécution se montait à 1 367 milliards.
Donc ceci pour montrer une réelle sensibilité des recettes
fiscales et de la croissance économique qui est extrêmement
difficile à prévoir et qui manifestement, en 1995 et 1996 a
joué dans le sens d'une moins-value et qui, en revanche, en 1997, a
joué dans le sens d'une forte plus-value.
Ma troisième remarque concerne la maîtrise des dépenses.
Elle est possible. Autrement dit, les prévisions macroéconomiques
sont ardues, les recettes et la sensibilité des recettes à la
conjoncture économique également, en revanche, maîtriser
les dépenses, c'est possible même lorsque la conjoncture
économique est décevante.
J'en donnerai deux exemples : en 1996, le Parlement a voté un
collectif fixant le déficit à 287 milliards,
c'est-à-dire le déficit qui avait été voté
en loi de finances initiale, à 180 millions près. Or, cette
année-là, malheureusement, la croissance économique a
été moitié moindre de ce qui était prévu et
même moins de la moitié puisqu'elle a été de
1,3 % alors que le projet de loi de finances était bâti sur
une croissance de 2,8 %. Nous avons eu une moins-value de TVA de
22 milliards, mais nous avons pu tenir le déficit parce que nous
avons tenu la dépense grâce au gel des dépenses des
crédits en début d'année.
Sur le projet de loi de finances 1997, le rapport de Messieurs Bonnet
et Nasse, établi au mois de juillet, a bien montré qu'en fait, la
politique budgétaire était pour la dépense, parfaitement
sous contrôle en juillet. Les risques de dérapage
identifiés à ce moment de l'année étaient
limités, circonscrits, mesurables et maîtrisables puisque, comme
le reconnaît le rapport Bonnet/Nasse, le dispositif de
précaution de gel de 10 milliards pris au début de
l'année était tout à fait de l'ordre de grandeur de ce qui
paraissait nécessaire au mois de juillet.
Enfin, en conclusion et partant de cela, quelles sont les pistes possibles de
progrès ?
Je pense que si nous nous heurtons, dans les prévisions de recettes
économiques et budgétaires, à des difficultés
malaisément surmontées à court terme, on peut faire des
progrès en matière de transparence et d'information. Si
déjà on pouvait poser le principe que toute information connue du
ministre de l'économie et des finances doit être au moins
transmise aux commissions des finances du Parlement voire publiée et
donc donnée à l'ensemble de l'opinion, je crois que ce serait
déjà un progrès intéressant.
Je vois, pour ma part, quatre pistes de progrès.
Premièrement, sur la conjoncture économique, les
prévisions macroéconomiques, le progrès ne peut venir que
par la multiplication, la diversification des sources de prévision. Il
ne faut pas qu'il y ait un monopole de l'INSEE, de la direction de la
prévision, mais qu'il y ait d'autres sources également
autorisées et compétentes les publiant.
Deuxièmement, en matière d'information sur la situation de
trésorerie de l'Etat, il existe un document que l'on appelle
familièrement la "SH" (situation hebdomadaire). Nous avions
décidé, sur ma proposition, au mois de décembre 1995, que
la situation de trésorerie de l'Etat donnerait lieu à publication
mensuelle, ce qui est fait depuis 1996 et ce qui est déjà un gros
progrès.
Je pense que cela ne suffit pas et que rien ne devrait s'opposer à ce
que cette situation soit maintenant publiée toutes les semaines afin que
les commissions des finances, les médias, les spécialistes de
l'opinion puissent connaître l'évolution de la trésorerie
de l'Etat. Cela exige que soient ajoutées certaines informations
complémentaires pour apprendre à lire ce document un peu
particulier. Mais à partir du moment où ces informations
existent, il n'y a pas de raison de ne pas en faire une très grande
diffusion.
En troisième lieu, un progrès me paraît
nécessaire : celui que je qualifierais d'encadrement des pratiques
budgétaires de fin de gestion. Ces dernières donnent lieu
à des décisions qui sont fatalement forfaitaires pour ne pas dire
arbitraires. Nous l'observons dans la gestion de nos budgets locaux. Pour faire
une dépense en début d'année nouvelle ou en fin d'exercice
budgétaire, nous avons une petite marge. Nous nous sommes
retrouvés, fin 1995, dans une situation assez pittoresque additionnant
les effets d'un changement de gouvernement au mois de novembre et celui du
délai nécessaire d'un mois à six semaines pour que les
nouveaux ministres aient le pouvoir de dépenser et aient une
délégation de signature. Les phénomènes sociaux,
les grèves des mois de novembre et de décembre 1995 ont fait que,
pendant deux ou trois mois, l'Etat n'a presque plus dépensé.
Soudain, nous nous sommes fragilisés avec le risque d'un exercice
budgétaire 1995 comportant une dépense anormalement basse.
Nous avons, je crois avec raison puisque la Cour des comptes ne nous a pas
critiqués sur ce point, décidé d'anticiper sur
l'exercice 1995 des dépenses qui normalement, si l'on
s'était tenu à la date du calendrier de signatures, auraient
dû être imputées sur l'exercice 1996. Cependant, le plus
souvent, on se trouve dans la tentation inverse de repousser à
l'année d'après, on l'a vu notamment en 1993, des dépenses
1992, 1993 qui incombent à la gestion qui s'achève.
Lors de son rapport préalable à la loi de règlement, la
Cour des Comptes relève systématiquement ce genre de pratique. Je
pense qu'il y aurait matière à élaborer une sorte de code
de bonne conduite de la fin de gestion. C'est un point sur lequel on peut faire
des progrès.
Enfin, dernière suggestion qui n'est pas très originale, mais je
ne veux pas venir devant votre commission sans le redire, je crois que nous
gagnerions plus à avoir un budget de l'Etat qui soit proche de la
réalité financière en reprenant bien toutes les
opérations du Trésor qui n'y figurent pas
systématiquement. Il serait bon qu'il soit plus proche aussi de la
réalité économique. Lorsqu'il était ministre de
l'économie et des finances, M. Jean Arthuis que vous entendrez
prochainement, avait vivement milité pour que l'Etat ait un compte de
bilan et raisonne aussi en actif et en passif et pas simplement un compte
d'exploitation. Je crois que c'est une démarche qu'il faut poursuivre,
sans quoi nous continuerons d'avoir pour l'Etat, pour la République
française, une comptabilité particulièrement
médiocre comparée à la fois à la
comptabilité privée, mais aussi à la comptabilité
européenne et même à la comptabilité d'une
collectivité locale.
M. le Président. -
Je vous remercie, au nom de la
commission, de votre propos. Je vais donner la parole à M. le rapporteur
général, vous répondrez et ensuite je donnerai la parole
aux autres commissaires qui le souhaiteront.
M. Philippe MARINI, Rapporteur général.. -
Merci,
Monsieur le Président. Je voudrais d'abord rappeler au ministre que
l'initiative que nous avons prise de nous constituer en commission
d'enquête pour examiner les conditions d'élaboration de la loi de
finances provient du sentiment que nous avons eu, les uns les autres, de
participer à une espèce de théâtre d'ombres
notamment au cours du second semestre de l'année 1999. Nous avons eu le
sentiment que les informations venant vers nous, après avoir
été dans un premier temps diffusées au sein de l'appareil
de l'exécutif, puis distillées auprès de la presse,
étaient vraiment peu substantielles et peu en rapport avec la
réalité économique et budgétaire telle que nous la
voyons évoluer avec les petits moyens d'extrapolation que nous pouvions
avoir au sein de la commission des finances.
Notre principal sujet de préoccupation consiste à comprendre,
dans un premier temps, comment fonctionne le système d'information entre
les administrations de Bercy et leur ministre, entre le ministre et Matignon,
avant de nous interroger sur ce que devrait être le système
d'information entre l'exécutif et le législatif, sujet qui, bien
entendu, est notre sujet principal.
Je voudrais vous interroger précisément sur deux points.
Pouvez-vous nous livrer votre souvenir quant aux principales marges de
manoeuvre qui ont nécessité votre arbitrage et les principaux
moments, dans l'élaboration des lois de finances, qui ont
nécessité votre intervention pour arbitrer entre des analyses
différentes et entre des informations diverses ?
Avez-vous le sentiment, après 18 mois de fonction, que si vous
deviez recommencer l'exercice, vous modifieriez cette organisation interne et
donneriez-vous des directives différentes pour assurer une meilleure
pertinence de ces choix ?
En deuxième lieu, s'agissant plus particulièrement des recettes
fiscales, pouvez-vous nous en dire davantage sur le fonctionnement du
comité chargé d'arbitrer les appréciations à partir
des différentes directions de Bercy ? Pouvez-vous nous
éclairer sur ce mécanisme et sur le suivi des évaluations
au cours de la période de préparation de la loi de finances ?
Enfin et en conclusion, je souhaite connaître votre appréciation
sur l'articulation des compétences entre la direction du budget et la
direction du Trésor pour ce qui est de la politique de financement de
l'Etat, pour ce qui est de la prévision des charges financières
de l'Etat et pour ce qui est de la politique de recours au marché
financier et donc des marges de manoeuvre qui, dans le cadre d'un exercice
budgétaire, doivent se présenter pour le ministre lorsque des
décisions doivent être prises en ce domaine.
M. Alain LAMASSOURE. -
Sur le premier point, j'ai trouvé
une situation concernant le calendrier de décision et le processus de
décision interne au ministère de l'économie et des
finances, entre les services, le ministre et le cabinet et entre Bercy
proprement dit et Matignon, rôdée et assez raisonnable. Elle
existait depuis de longues années et je crois comprendre qu'elle existe
toujours. Je ne vois pas très bien en quoi on pourrait la modifier.
Autrement dit, il y a deux rendez-vous importants. Le premier survient au
printemps lorsque l'on fait les premières estimations préalables
à l'année suivante qui déboucheront sur des lettres de
cadrage. Le second intervient au début de l'été, vers le
mois de juillet, lorsque les arbitrages budgétaires se précisent
et que l'on arrive aux lettres plafond et à la fixation du montant total
du budget de l'année à venir et des recettes fiscales
correspondantes.
Dans ce domaine, la contrainte principale vient de la Constitution, c'est le
débat parlementaire. Il existe un compte à rebours qui permet
d'aboutir à ce calendrier et je le trouve, pour ma part, à la
fois inéluctable et assez satisfaisant.
Concernant les recettes fiscales, vous m'avez demandé quels sont les
points sur lesquels j'avais le sentiment, en tant que ministre du budget,
d'avoir des arbitrages à rendre ?
Il existe deux sujets sur lesquels je m'interdisais de rendre un arbitrage de
nature politique, c'est d'une part, la prévision macroéconomique
et d'autre part, le montant des recettes fiscales. Concernant les
premières, je ne vois pas pourquoi le ministre du budget aurait plus
d'intuition que d'autres. J'ai plaidé pour que l'on retienne, dans ces
deux domaines, le consensus des experts. Ce dernier est parfois difficile
à obtenir et de nature différente selon qu'il s'agit de
prévisions macroéconomiques ou de recettes fiscales.
En revanche, sur quoi s'exerce le choix politique, les recommandations du
ministre du budget alors que c'est, bien évidemment, le Premier Ministre
qui arbitre ? Sur ce qui dépend de lui, c'est-à-dire la
prévision économique étant ce qu'elle est, les recettes
fiscales étant déduites de cette prévision
économique, il s'agit d'évaluer à la fois le taux de
croissance et les modalités de cette croissance (plus de consommation ou
plus d'investissement). Le rôle du ministre du budget est
d'établir, en fonction de cela, le solde budgétaire.
C'était notre problème le plus important à l'époque
puisque nous sortions d'une période de très fort déficit
et nous avions le grand objectif de parvenir à moins de 3 % de
déficit de PIB pour pouvoir se qualifier pour l'union monétaire.
Il définit aussi la dépense et les divers éléments
de dépense et le montant des effectifs budgétaires. A
l'époque, nous avions ce que nous avions appelé les "boules de
neige" puisque nous avions, au sein du budget de l'Etat, certaines
dépenses non maîtrisées qui s'accroissaient année
après année. L'endettement, les charges financières, les
dépenses du secteur public, les dépenses de
sécurité sociale, les aides à l'emploi, les aides au
logement représentent quelques-unes d'entre elles. En tant que ministre
du budget, je proposais au ministre de l'économie et des finances et au
Premier ministre, des arbitrages sur ces données de budget.
Concernant les prévisions de recettes fiscales, la tradition veut que,
sous l'autorité soit du directeur de cabinet, soit d'un conseiller
budgétaire du ou des ministres, les services compétents, la
plupart des services de Bercy en fait, se réunissent à deux
reprises, une fois au mois de février pour les perspectives et une fois
aux mois de juin et juillet pour arrêter les chiffres du projet de loi de
finances, de manière à préciser les recettes fiscales en
ligne avec les prévisions macroéconomiques.
M. Philippe MARINI, Rapporteur général.. -
Pardonnez-moi, Monsieur le Ministre. Existe-t-il un compte rendu ?
M. Alain LAMASSOURE. -
Oui, naturellement. A deux ou trois
reprises pour l'année 1997, le conseiller du cabinet qui était le
directeur-adjoint de mon cabinet et le conseiller budgétaire de
M. Jean Arthuis a tenu ces réunions. Il nous en a rendu compte
et nous avons approuvé les conclusions. Dès que la matière
est extraordinairement technique, les services sont très divisés
entre eux.
En matière de rentrées de TVA, les prévisions de la
direction générale des impôts, celles de la direction
générale des douanes et celles de la direction de la
prévision et de la direction du budget sont extrêmement
différentes. Nous avons pensé qu'il fallait que ce soit fait par
des personnes qui en avaient l'habitude. Je constate que, pour 1997, le rapport
Bonnet et Nasse a rendu hommage à ces travaux et a retenu les
évaluations faites dans ce domaine.
J'avoue mon embarras pour répondre à votre troisième
question sur les prévisions à introduire dans le budget relevant
de la direction du Trésor. Je me souviens qu'un accord avait
été passé au niveau des services entre le budget et le
Trésor. Si un arbitrage a dû être rendu pendant la
période durant laquelle j'étais aux affaires, il ne l'a pas
été à mon niveau. C'est sans doute
M. Jean Arthuis qui serait à même de vous
répondre. Il ne me semble pas qu'il y ait eu, pendant cette
période, de forts conflits entre la direction du budget et le
Trésor.
M. le PRESIDENT. -
Nous allons passer aux questions des
commissaires.
M. Jean-Philippe LACHENAUD. -
Je tiens tout d'abord à
rendre hommage à la clarté des documents que vous aviez
présentés au Parlement, aux exposés que vous aviez faits,
notamment au moment des débats d'orientations budgétaires, lors
d'une clarification des documents qui avait fait apparaître un
phénomène tout à fait extraordinaire qui était le
financement par le déficit d'un écart de fonctionnement. C'est
effectivement une pratique totalement impossible aussi bien pour les
particuliers que pour les collectivités locales. Ces documents et leur
clarté avaient permis d'apprécier cette situation.
Ma première question est la suivante : quelle est l'autonomie de la
politique budgétaire par rapport à la politique
économique ? Dans ces différentes phases d'arbitrage, de
préparation des documents -ce sont les quelques réponses que vous
avez faites aux questions du rapporteur général qui me conduisent
à vous poser la question- existe-t-il une autonomie de la politique
budgétaire par rapport à la politique économique ?
Comment concevez-vous cette articulation qui n'est pas liée uniquement
au fait de la présence de deux ministres, mais aussi à un certain
nombre de débats devant être tranchés ?
Ma deuxième question porte sur les prévisions
macroéconomiques. Vous dites que vous preniez les arbitrages des
experts. Nous avons le sentiment que cela ne va pas être la
réponse faite par tous les ministres des finances. Nous avons même
eu l'expérience pratique, semble-t-il, où on nous a
indiqué que le ministre était là pour faire un choix
politique parmi les hypothèses de croissance. Très
récemment, j'entendais un ministre des finances dire : il faut
prendre une hypothèse haute de manière à redonner le moral
aux français, à accompagner et à accélérer
la croissance.
Pensez-vous que ce positionnement consistant à prendre le point moyen
des experts économiques est une situation que l'on ne pourrait pas
améliorer ? N'y a-t-il pas une manière de progresser de ce
côté ?
Sur les recettes, habituellement, c'est ce que je faisais quand j'étais
en charge d'un budget de collectivité locale, je donnais les
instructions et, très naturellement, les services le faisaient, on
sous-estimait les recettes de manière à se garantir un peu plus
contre les ministres dépensiers ou les services dépensiers.
Avez-vous constaté une tendance à la sous-estimation
systématique des recettes ? Le ministre apporte-t-il sa
contribution pour corriger ou, au contraire, en rajoute-t-il par rapport au
service ?
Ma dernière question porte sur l'orientation budgétaire, non pas
dans la relation entre le Gouvernement et le Parlement, mais dans la relation
entre les services et le ministre. J'ai le sentiment que les orientations
budgétaires étaient une bonne chose, mais qu'elles ont
été un peu dénaturées, affaiblies et que,
finalement le document présenté par le ministre comporte des
variantes, de vraies options, de vrais choix et de vrais écarts
d'hypothèse. Nous avons un peu le sentiment de voir, au moment du
débat budgétaire, un document quelque peu figé, statique,
reprenant une seule hypothèse et une seule variante.
Existe-t-il au sein de l'administration de quoi alimenter un débat un
peu plus authentique sur les orientations budgétaires aux mois d'avril
et de mai ?
M. François TRUCY. -
Monsieur le Ministre, comme mon ami
M. Lachenaud, je me rappelais avec énormément
d'intérêt les exposés que vous nous aviez faits au
ministère à l'époque. Je regrette beaucoup qu'il ne soit
rien resté de cette méthodologie qui avait l'énorme
avantage de nous familiariser avec des notions de base et avec tous les
détails du budget.
Je pense qu'il faut ajouter à vos pistes de progrès celle
indiquant que les éléments matériels du budget et la
présentation qui en est faite s'inspirent au maximum de ces
préoccupations.
Ceci est d'autant plus indispensable que, visiblement, la vie politique
française va mettre en avant de plus en plus de nouvelles personnes, de
femmes et d'hommes et la vie publique va se renouveler beaucoup plus vite
qu'autrefois. De nouvelles générations non compétentes
vont arriver sans cesse pour découvrir des documents budgétaires
absolument hermétiques.
De ce côté là, je me rappelle le conseil de mon
prédécesseur au poste de Rapporteur général du
budget du département qui m'avait dit : pour le budget, tu en dis
le moins possible ou alors tu en dis tellement qu'ils ne comprennent plus
rien... C'est un exemple à ne pas suivre.
M. André VALLET. -
Monsieur le Président, je
voulais revenir sur la médiocrité des prévisions
macroéconomiques. Vous avez indiqué précédemment
qu'en 1996, 1997, pour le moins, cela a été tout à fait
catastrophique. En vous écoutant, je faisais un parallèle avec la
météorologie nationale qui se trompe régulièrement.
Pour autant, on n'en a pas accusé le directeur de la
météorologie après la tempête pas plus que celui de
l'INSEE après ses prévisions.
Je voudrais revenir sur le rôle important, primordial, à mon avis
trop fort de lNSEE. Vous l'avez senti, puisque dans vos pistes vous avez
indiqué que vous aimeriez que ce rôle soit amoindri. Aujourd'hui,
pourriez-vous nous donner davantage de détails sur ce que vous avez
indiqué ? Est-il possible d'avoir d'autres sources de
prévision ? Car, de la même manière que pour la
météorologie, il est difficile de prévoir des
activités quand on ne sait pas le temps qu'il va faire, il me
paraît ardu pour un ministre du budget de prévoir son travail avec
des renseignements aussi erronés. Je pense que c'est l'un des grands
problèmes de notre pays. Avez-vous d'autres solutions que l'INSEE ?
M. Denis BADRE. -
Mes deux questions ne concernent pas des masses
financières importantes, mais sont des questions de principe. La
première concerne les procédures de régulation
budgétaire, gel et annulation. Ces procédures ont toujours
été mal ressenties par les parlementaires que nous sommes
puisqu'elles font la démonstration de la vanité du débat
budgétaire au moins en partie.
Comment le ministre vivait-il lui-même ces procédures ?
Sachant que, dans des vies antérieures, j'ai vécu pas mal de
conférences budgétaires dans lesquelles je trouvais une assez
grande clarté même si le débat était assez rude. En
revanche, les ministères techniques dépensiers sont
complètement exclus de ces types de décisions, gel et annulation,
qui arrivent comme des décrets arbitraires tombant sur le
ministère technique et avec lesquels on ne peut discuter. Cela
présente un grave inconvénient, car j'ai toujours vu les
ministères techniques aller au-devant de ces gels et annulations.
Survient alors une espèce de course pour mettre hors gel ou hors
annulation ces crédits. Tout cela fausse complètement le
débat que vous deviez avoir avec vos collaborateurs directs. J'aimerais
savoir comment vous le viviez ?
C'est en tant que rapporteur spécial des affaires européennes que
je vous pose ma seconde question, elle concerne de façon très
générale le budget européen. J'ai toujours
été frappé de voir que le projet de loi de finances
initiale prévoit un prélèvement sur la recette. Les Etats
apportent au budget européen une contribution aux recettes du budget
européen sans avoir aucune maîtrise sur les dépenses. De
plus, vous êtes un peu gêné dans vos prévisions dans
la mesure où, en exécution, le chiffre finalement retenu n'est
jamais celui inscrit dans la loi de finances pour de nombreuses raisons sur
lesquelles il est inutile de revenir.
Comment viviez-vous cette espèce d'opacité qui entourait la
contribution de la France au budget européen ?
M. Alain LAMASSOURE. -
Jean-Philippe Lachenaud me pose une
véritable question de cours magnifique : l'autonomie de la
politique budgétaire par rapport à la politique économique.
Premièrement, pour moi, en 1997, les choses étaient assez
claires. L'autonomie de la politique budgétaire était très
faible au niveau des grandes masses puisque le grand objectif était de
parvenir à se qualifier pour l'union monétaire. Il fallait
à tout prix réduire le déficit. Partant de cela, les
points sur lesquels j'ai fait un certain nombre de recommandations se
limitaient à ceux que j'ai évoqués
précédemment.
Je crois qu'au-delà de la période que j'ai eue à
connaître, nous avons fait un progrès collectif le jour où
nous avons interdit à l'Etat de se mêler de politique
monétaire. La décision fut douloureuse à prendre et
n'était pas du tout évidente. Nous en vérifierons, dans
les 10 ou 20 ans qui viennent, le bien-fondé. C'est
désormais une autorité indépendante qui se charge de la
politique monétaire.
Sur le budget, je crois que nous ferons un grand progrès collectif le
jour où nous introduirons, dans la Constitution française,
l'obligation d'équilibrer son budget, ce qui existe pour nos
collectivités locales, pour l'Europe, mais pas pour l'Etat
français. Ce jour-là, nous ferons un gigantesque projet.
Le déficit n'est pas de gauche, il n'est pas de droite, c'est purement
et simplement de la mauvaise gestion. Cela nous paraît évident
pour la gestion de nos communes. Il ne viendrait à l'idée de
personne de recommander le déficit budgétaire en matière
communale ; de la même manière, le déficit
budgétaire est un mal en soi. La politique budgétaire retrouvera
une autonomie le jour où le déficit sera interdit. A ce
moment-là, la politique budgétaire portera sur le montant des
dépenses à condition qu'elles soient équilibrées
par des recettes et le contenu de la dépense. J'espère que l'on
pourra, par exemple, recommencer à avoir une véritable politique
d'investissement public. Un des grands appauvrissements de notre politique
publique depuis 20 ans, c'est que l'Etat n'investit plus.
Concernant les hypothèses macroéconomiques : ne sommes-nous
pas tentés, à certains moments, de choisir plutôt une
hypothèse haute pour ne pas désespérer l'opinion
publique ?
Disons que, dans le doute, nous avons sans doute plutôt
intérêt à ne pas choisir l'hypothèse la plus
sinistre. Cela peut dépendre. Je me suis trouvé dans des
circonstances où l'hypothèse centrale des prévisions
techniques me paraissait convenir, mais il va de soi que le Gouvernement a une
certaine marge d'appréciation. C'est un peu comme les sondages. Le fait
d'annoncer un chiffre comme une prévision, une estimation, contribue
à créer un peu l'événement. C'est un
élément qu'il faut prendre en compte.
Sur les recettes fiscales proprement dites, vous faites état d'une
expérience au niveau des collectivités locales, où l'on
avait tendance à sous-estimer systématiquement les recettes. Ce
n'est pas l'exercice auquel nous nous sommes livrés parce que, de toute
manière, au bout d'un moment, tout cela se sait. C'est un jeu dans
lequel chaque acteur s'enferme dans son rôle traditionnel et a tendance
à fausser les choses en fonction de ce que va être la
stratégie de l'autre. Ce jeu, au bout d'un moment, devient terriblement
embrouillé. Il est plus aisé d'essayer de tout mettre sur la
table -et je crois que c'est ce qui se faisait au milieu des
années 1990- entre toutes les directions du ministère des
finances pour essayer d'arriver à une estimation des recettes fiscales.
Votre dernière question est très importante : techniquement,
au moment où l'on débat des orientations budgétaires,
aurons-nous de la matière pour alimenter un vrai débat entre
plusieurs options ? Ma réponse est positive. Nous avons les
éléments permettant de dire au printemps que nous pouvons
concevoir deux ou trois variantes différentes du budget de
l'année n+1. C'est tout à fait possible. Si nous voulons le
faire, il faut en tirer les conséquences dans les méthodes de
travail du Gouvernement et dans les relations entre Matignon, Bercy et les
ministres dépensiers, mais c'est tout à fait possible.
Monsieur François Trucy fait une remarque évoquant un titre
humoristique de Labiche : "Doit-on le dire" ? Doit-on effectivement
tout dire en matière budgétaire ? Au total, je crois quand
même que oui. Je pense que, jusqu'à ces dernières
années, il pouvait y avoir des justifications qui étaient
probablement de mauvaises raisons, pour expliquer que l'on ne dise pas tout,
notamment la crainte des réactions des marchés financiers et du
marché des changes.
En 1996, 1997, encore, nous étions obsédés par le
marché des changes et les marchés financiers. Nous avions, sur
nos écrans d'ordinateurs dans nos bureaux, la cotation du franc et les
taux d'intérêt. Nous observions, au jour le jour,
l'évolution des taux d'intérêt avec d'ailleurs, la baisse
des taux d'intérêt au fur et à mesure que le franc
s'appréciait sur le marché des changes.
C'était un combat quotidien et lorsque nous sommes passés
au-dessous de la barre des 6 % et que nous nous sommes rapprochés
de 5,4 %, 5,3 %, lorsque nous sommes arrivés au-dessous des
taux d'intérêt allemands à la mi-1996, c'était une
grande victoire. Ceci pouvait être compromis par l'annonce, en cours
d'année, d'un creux de trésorerie dans les comptes de l'Etat qui
aurait pu laisser craindre que le déficit que l'on maîtrisait, que
l'on réduisait de manière assez forte, tout d'un coup recommence
à plonger. Cela aurait eu des effets désastreux sur les
marchés des changes, donc sur les taux d'intérêt et donc,
un nouveau ralentissement de la croissance, etc..
Cela ne nous a pas empêchés de jouer au maximum la carte de la
transparence et notamment, de publier la situation mensuelle de
trésorerie de l'Etat. Aujourd'hui, cette préoccupation n'est plus
du tout la même puisque le franc n'existe plus. En effet,
l'évolution des changes, de l'Euro et des taux d'intérêt
n'a qu'un lien très indirect avec ce qui se passe dans un seul des onze
états-membres de la zone euro qui est la France, même si la France
est une des économies importantes de la zone euro. A partir du moment
où cette préoccupation a sensiblement perdu de sa force, je crois
que plus rien ne s'oppose à ce que l'on dise tout.
Concernant la "SH" (situation hebdomadaire), je tiens à préciser
qu'elle est incompréhensible au commun des mortels. Je l'ai
rencontrée lorsque j'étais jeune fonctionnaire, à
l'époque rue de Rivoli et je n'y comprenais rien, je l'ai
retrouvée comme ministre, je n'y ai rien compris non plus. Un paragraphe
d'explication est nécessaire pour faire comprendre que l'Etat ne
fonctionne pas du tout comme une entreprise qui a des recettes commerciales
assez régulières, sous réserve de phénomènes
de calendrier liés à des variations de consommation dans le
temps. C'est ce que l'on appelle la désaisonnalisation des recettes ou
des dépenses.
Le caractère saisonnier est considérable dans la gestion de
l'Etat pour des raisons qui échappent aux saisons économiques
ordinaires liées au fait qu'en matière fiscale, il y a des tiers
provisionnels donc des périodes de fortes rentrées fiscales.
Grosso modo, pendant la première moitié de l'année, l'Etat
a un découvert de trésorerie absolument gigantesque et c'est en
fin d'année que, tout d'un coup, tombent les énormes recettes
fiscales. Il faut avoir un mode d'emploi et nous l'avions fait pour des
publications mensuelles et je pense que l'on pourrait parfaitement en faire
pour les publications hebdomadaires, ne serait-ce d'ailleurs qu'en invitant le
lecteur à comparer avec la semaine correspondante de l'année
précédente ou des deux ou trois années
précédentes.
Monsieur Vallet s'interroge sur les travaux de l'INSEE et sur ceux de la
direction de la prévision sur la manière de l'améliorer ou
de se détacher de leur monopole. Déjà, au ministère
de l'économie et des finances depuis une trentaine d'année, on
distingue le service qui collecte les informations d'événements
ayant eu lieu qui est l'INSEE et le service qui prévoit ces dits
événements qui est la direction de la prévision. Je pense
que cela ne suffit pas. Ayant eu l'occasion, à plusieurs reprises,
d'aller aux Etats-Unis voir fonctionner le Congrès des Etats-Unis et ses
relations avec l'administration américaine, j'ai pu constater que le
fait que la Chambre des Représentants ait un bureau du budget avec
plusieurs centaines de fonctionnaires et soit capable de critiquer les
prévisions macroéconomiques de l'administration
fédérale, est un plus.
De même, le fait qu'existent dans ce pays, comme en Allemagne
fédérale ou comme en Allemagne, des centres de recherche
universitaires indépendants ayant des moyens importants, permet un
réel progrès. En Allemagne, une demi-douzaine d'instituts de
conjoncture sont présents dans divers Länder qui,
périodiquement, essaient de rapprocher leurs prévisions. Est
publié ce que l'on appelle le consensus des instituts de conjoncture
allemands. C'est important dans le débat politique allemand. De la
même manière, nous gagnerons à ce que le Parlement ait ses
moyens d'information et d'analyse autonomes et que, en dehors de l'Etat
même, des sources universitaires indépendantes puissent apporter
une autre vision.
Enfin, Monsieur Badré me pose deux questions sur la manière
dont, en tant que ministre du budget, je vivais le gel.
M. Denis BADRE. -
Et les annulations.
M. Alain LAMASSOURE. -
Je le vivais mal parce que cela faussait
la règle du jeu. Un des rôles du ministre du budget, qui n'est pas
le plus agréable, mais qui est tout à fait passionnant, est
d'entendre en confession chacun des ministres dépensiers,
c'est-à-dire tous les autres ministres, y compris lui-même,
puisque le ministre du budget est aussi un ministre dépensier, afin
d'essayer de trouver un accommodement pour dépenser le mieux possible
les crédits publics. C'était pénible pour les ministres
dépensiers, mais aussi pour le ministre du budget.
Une fois que nous avions conclu, après des négociations
très dures ou après avoir requis un arbitrage du Premier ministre
lorsque ces négociations avaient échoué, il n'était
pas rare qu'il dise : tout cela est passionnant, mais de toute
manière, j'ai des incertitudes sur la conjoncture économique et
sur les rentrées fiscales l'année prochaine, donc dans le doute,
je vous gèle 10 milliards.
"C'est pas de jeu" comme on dit à l'école communale. Le Parlement
s'en plaint à juste titre, les ministres dépensiers de
même. Ce n'est pas une preuve de bonne gestion. J'avais envisagé
que l'on revienne à ce qui avait été une pratique des
années 70 dans laquelle on faisait le contraire. On avait
créé le Fonds d'action conjoncturelle. Cela consistait à
arrêter les dépenses à un certain niveau. Si des
plus-values fiscales inattendues survenaient, ce que l'on n'appelait pas
à l'époque une "cagnotte", on décidait de ce que l'on en
ferait.
Donc, on laissait espérer un plus qui était voté par le
Parlement à l'avance. Le Fonds d'action conjoncturelle était une
sorte de budget supplémentaire potentiel voté en même temps
que le budget initial, mais laissé à l'appréciation du
ministre des finances et du Premier ministre en cours d'exécution
budgétaire. Je pense qu'il serait utile de réfléchir
à une formule de ce genre. On pourrait d'ailleurs très bien
concevoir que le Fonds d'action conjoncturelle ne soit débloqué
qu'après un débat parlementaire et en accord au moins avec les
commissions des finances.
De ce point de vue, j'ai été très frappé de
l'importance du contrôle de l'exécution budgétaire par le
Parlement européen. Cela m'amène à votre deuxième
question. Il existe à Strasbourg, à côté de la
commission des budgets qui est l'équivalent de votre commission des
finances, une commission de contrôle budgétaire que j'ai
d'ailleurs présidée. Cette commission est compétente pour
donner son feu vert à toute demande de transfert ou de report de
crédits si l'on souhaite changer la destination du crédit d'un
chapitre ou d'un titre à un autre.
S'il n'y a pas le feu vert de la commission de contrôle
budgétaire, le transfert ou le report n'est pas possible. C'est un
pouvoir considérable permettant à l'autorité
budgétaire qu'est le Parlement de contrôler, mois après
mois, la gestion des crédits et de vérifier que les
crédits sont bien gérés comme le Parlement l'a
autorisé.
Nous n'avons pas tout à fait les mêmes règles en France.
C'est un système qui existe aussi en Grande-Bretagne. On
considère, à la Chambre des Communes, que l'équivalent de
la commission de contrôle budgétaire est la commission la plus
importante de la Chambre des Communes, c'est celle qui a le vrai pouvoir de
contrôler le Gouvernement. Peut-être qu'il y a là des
exemples dont nous pourrions nous inspirer.
Ceci m'amène à votre question sur les relations entre budget
européen et budget français. Chaque Etat détient sa propre
solution pour prendre en compte ou non les recettes et les dépenses
européennes qui le concernent. J'ai toujours pensé que le plus
logique serait de sortir complètement les opérations
européennes du budget de l'Etat, car cela n'a rien à voir. C'est
une autre collectivité.
D'ailleurs, les recettes transitant par le budget national sont
considérées, du point de vue du droit communautaire, comme des
ressources propres de la communauté (les droits de douane et les
prélèvements agricoles). En outre, comme vous le rappelez avec
beaucoup de vérité, c'est tout à fait frustrant, pour un
Parlement, de voter des recettes sans avoir à voter les dépenses
et d'ailleurs de n'avoir, juridiquement, aucune marge de manoeuvre.
A chaque débat budgétaire, nous posons la question de savoir ce
qui se passerait si le Parlement français votait un amendement
scélérat réduisant de 10 % la contribution de la
France au budget communautaire. Nous serions dans un imbroglio juridique
épouvantable !
Il me paraîtrait plus logique de considérer que la contribution de
la France aux dépenses de la Communauté européenne, au
moins en ce qui concerne les recettes propres et la recette de TVA, ne doit
plus transiter par le budget national.
M. le Président. -
Monsieur le Ministre, je vous remercie
de la précision de vos réponses et de votre contribution à
notre réflexion.
Mes chers collègues, demain matin, notre prochaine réunion se
tiendra à 10 heures avec le même objet : audition
à 10 heures de M. Christian Sautter ; à
11 heures, de M. Dominique Strauss-Kahn et à
12 heures de M. Jean Arthuis.
La séance est levée à
17 heures 25
.
Séance du 26 avril 2000
La séance est ouverte à dix heures sous la présidence de M. Alain Lambert
Audition de M. Christian SAUTTER,
Ancien
Ministre.
M. le
Président
.-
La séance est ouverte.
L'ordre du jour appelle l'audition de M. Christian Sautter, ancien ministre de
l'économie et des finances.
Monsieur le Ministre, je vous souhaite la bienvenue. Je crois pouvoir parler au
nom de tous ceux qui siègent dans cette commission pour vous dire que
nous sommes heureux de vous recevoir. Nous avons gardé un excellent
souvenir de nos contacts qui, au-delà de la vie publique, se sont
noués aussi au plan humain. La qualité de cette relation humaine
reste pour nous un excellent souvenir et c'est avec plaisir que nous vous
accueillons ce matin.
Au cours de sa séance du 29 mars dernier, le Sénat a doté
notre commission des finances des prérogatives des commissions
d'enquête pour une durée de six mois. L'objet de la mission est
d'informer notre commission sur le fonctionnement des services de l'Etat dans
l'élaboration des projets de lois de finances et dans leur
exécution.
Sa motivation a été d'éviter toute controverse juridique
sur les droits de notre Commission des Finances à recueillir telle ou
telle information. La méthode que nous avons choisie est non partisane
et en tout cas elle est pluraliste. Il s'agit d'analyser le processus de
fonctionnement de l'exécutif pour en tirer tous les enseignements dans
le dialogue toujours à parfaire entre le Gouvernement et le Parlement.
La période sous revue pourra remonter jusqu'à dix ans en
arrière et j'indique que l'équipe des rapporteurs est pluraliste.
Outre le rapporteur général, nous y comptons Roland du Luart,
Bernard Angels, André Vallet, Paul Loridant et votre serviteur.
Conformément aux règles des commissions d'enquête, je
rappelle à nos collègues et à notre invité que le
secret doit être conservé sur les travaux non publics, ce qui est
le cas de cette audition et qu'en cas de faux témoignage, la personne
auditionnée est passible des peines prévues aux articles 434-13,
434-14 et 434-15 du Code Pénal. Si je les rappelle, Monsieur le
Ministre, c'est parce que la loi m'y oblige et je l'ai fait naturellement
à l'endroit de MM. Sarkozy et Lamassoure qui vous ont
précédé, comme je le ferai pour les personnes que nous
auditionnerons tout à l'heure.
(A l'invitation de M. le Président, M. Christian Sautter prête
serment.)
M. le Président
- Monsieur le Ministre, je vais vous donner
la parole pour un propos liminaire d'un quart d'heure et ensuite vous
répondrez aux questions de M. le rapporteur général et
naturellement aux questions de tous les commissaires.
La parole est à M. le Ministre.
M. Christian SAUTTER
-
Monsieur le Président,
Monsieur le Rapporteur général, Messieurs les Rapporteurs, Madame
et Messieurs les sénateurs,
Vous m'avez transmis, Monsieur le Président, un questionnaire de
quatorze interrogations en suggérant que j'y réponde par
écrit et je vous transmets donc ces réponses. Je
n'évoquerai pas dans cet exposé liminaire non plus les
progrès qui sont souhaitables de mon point de vue en ce qui concerne la
procédure budgétaire, y compris la procédure de dialogue
entre le Gouvernement et le Parlement directement. Je voudrais simplement
insister très rapidement sur trois points auxquels j'ai travaillé
quand j'étais ministre : passer d'une logique de moyens à
une logique de résultats ; mettre au point une comptabilité
analytique et patrimoniale de l'Etat ; favoriser le développement
des capacités parlementaires mais aussi universitaires en matière
d'évaluation des politiques publiques.
Mon exposé, rapide, sera concentré sur un seul sujet : celui
des recettes fiscales nettes de l'année 1999. En effet, la
polémique est née, me semble-t-il, de l'existence d'une
« cagnotte » qui n'aurait pas été
révélée assez tôt au public et au Parlement. Je vais
passer en revue rapidement les cinq décisions que le Gouvernement a
prises sur ce sujet.
La première décision a été prise au mois
d'août 1998 quand il a fallu fixer les recettes fiscales dans le projet
de loi de finances pour 1999. Cela a été fait au mois
d'août 1998 en fonction des informations disponibles à
l'époque aussi bien sur la conjoncture de l'année en cours -
l'année 1998 - qui détermine le calcul des impôts
décalés, impôts sur le revenu et impôts sur le
bénéfice des sociétés - que ce que l'on savait sur
l'année à venir, l'année 1999, qui conditionne les
recettes fiscales, TVA et taxes sur les produits pétroliers.
Dans le rapport économique et financier pour 1999, remis en septembre
1998, vous vous souvenez que le Gouvernement avait fait l'hypothèse
d'une croissance de 2,7 % pour l'année 1999 et il en avait tiré
une prévision de recettes fiscales nettes de 1 535 milliards de francs,
en hausse de 6 % par rapport aux chiffres correspondants de la loi de finances
de 1998.
Je passe très rapidement sur deux remarques de méthode. La
première, c'est qu'il est très difficile de passer d'un chiffre,
la croissance, à un autre chiffre, les recettes fiscales nettes. La
seconde, c'est que nous avons longuement débattu, y compris avec le
rapporteur général, sur le fait que ces 6 % de croissance de 1998
à 1999 dépassaient la croissance du produit intérieur brut
- 3,8 % - pour des questions de changement de périmètre sur
lesquelles je ne veux pas revenir aujourd'hui.
Vous vous en souvenez, durant le débat parlementaire que nous avons eu
à l'automne 1998, vous avez plutôt, et ce n'est pas une critique,
accusé le Gouvernement de surestimer la croissance pour 1999 et
corrélativement les recettes fiscales pour 1999, que le contraire. Nous
avons eu des débats démocratiques, courtois mais parfois vifs,
sur le fait que vous nous reprochiez - c'était aussi dans votre rapport,
Monsieur le Rapporteur général, et cela est tout à fait
normal - d'avoir majoré les recettes de 1999 de façon à
permettre soit des baisses d'impôts, soit des baisses de déficit
qui ne vous paraissaient pas entièrement réalistes. C'est la
première décision.
La deuxième décision est une décision interne au
ministère des finances, au mois de février 1999. Que fait-on au
mois de février chaque année ? On recalcule les recettes
prévisibles pour l'année en cours de façon à avoir
une base pour préparer le budget de l'année suivante. Ainsi, en
février 1999, on réestime les recettes de 1999 de façon
à lancer l'exercice de préparation du budget 2000. Les services y
travaillent de façon très sérieuse et, paradoxe, ils vous
ont donné raison. Au mois de février, parce que la croissance ne
serait pas de 2,7 % mais le chiffre que les services pronostiquaient à
l'époque était de l'ordre de 2 %, la direction de la
prévision nous a recommandé, à Dominique Strauss-Kahn et
à moi-même, de baisser les recettes de l'année 1999 de 16
milliards de francs et le Budget, toujours prudent, nous a recommandé
une baisse de 6 milliards de francs.
Les avis techniques de février 1999 allaient donc dans le sens d'une
baisse des recettes fiscales de l'année 1999 et donc dans le sens des
réflexions que votre brillant rapporteur général avait
développées dans le cours du débat. Or les ministres ont
décidé de ne pas suivre l'avis de leurs services,
c'est-à-dire de ne pas abaisser les recettes fiscales de 1999 au mois de
février. On a gardé
grosso
modo
le même
chiffre de recettes fiscales -1 534 milliards de francs au lieu de
1 535 - alors que, vous vous en souvenez, au nom de ce fameux trou d'air
dont Dominique Strauss-Kahn a parlé, nous avons révisé en
baisse la perspective de croissance qui n'était plus de 2,7 % mais qui
se trouvait dans une fourchette entre 2,1 et 2,5 %.
Pourquoi avons-nous été si conservateurs ? C'est parce que nous
savions Dominique Strauss-Kahn et moi-même, que la prévision des
impôts, y compris au mois de février, est un exercice très
aléatoire. Argument technique ! Deuxièmement nous ne voyions
pas de raison majeure de corriger des masses d'impôts qui avaient
été votées par le Parlement. Argument politique !
Nous en sommes donc restés au chiffre qui était
grosso
modo
inscrit dans la loi de finances.
Je me permettrai une remarque un peu taquine ! Au mois de février
1997, dans le cadre de cet exercice annuel, les recettes ont été
révisées en baisse de 17 milliards de francs. Vous vous souvenez
que cette révision a conduit à la fameuse note de la direction du
budget du 9 avril 1997 qui a eu des conséquences certainement pas au
Sénat mais peut-être davantage à l'Assemblée
nationale. Voilà donc pour la deuxième décision !
La troisième décision s'est située au mois de juillet.
C'est encore une décision, si je puis dire, interne au ministère
des finances, car là il faut réestimer les recettes de
l'année en cours pour bien caler la prévision de recettes pour
l'année qui vient, c'est-à-dire pour l'année 2000. Comment
a-t-on fait cet exercice ? A partir de deux informations : des
informations publiques, les fameuses situations mensuelles, et des
études faites par les services.
Je parle d'abord des situations mensuelles. On disposait à
l'époque de la situation mensuelle que votre rapporteur et
vous-mêmes avaient suivie avec un grand soin tout au long de cette
année. Il s'agissait alors de la situation mensuelle de fin mai.
Je fais une simple remarque en passant : la publication des situations
mensuelles remonte, sauf erreur, à novembre 1995. Avant cette date, tous
les Gouvernements antérieurs ne risquaient pas d'avoir des
problèmes de « cagnotte » puisqu'ils ne donnaient
aucune information sur l'exécution budgétaire.
Revenons à cette situation de mai. Nous voyons que les recettes fiscales
sont en forte hausse par rapport aux cinq mois correspondants de l'année
1998. C'est une augmentation absolue de 42 milliards de francs qui a fait faire
un calcul simple à certains esprits mais dont aucun n'est dans cette
commission. Ils ont dit « ...42 milliards de francs ! Ils ont
multiplié par douze cinquièmes et ils ont dit que les
impôts explosaient. »
L'accroissement absolu des impôts n'a pas de sens car la croissance,
lorsque les barèmes ne changent pas, dégage des recettes fiscales
supplémentaires. Ce qui compte, c'est la comparaison entre la
progression des recettes fiscales durant les cinq premiers mois et la
croissance des recettes fiscales prévues pour l'année. On voit
effectivement pour les cinq premiers mois 1999 sur les cinq premiers mois 1998
une hausse de 7,4 % alors que la loi de finances est prévue pour
l'ensemble de l'année 6 %.
Pourquoi ? Ce n'est pas la faute de la TVA qui est plutôt en
retard ! Ce n'est pas la faute de l'impôt sur le revenu qui lui
aussi est en dessous de son rythme annuel ! Cela vient entièrement
de l'impôt sur le bénéfice des sociétés qui,
cinq mois 1999 sur cinq mois 1998, est en hausse de 45 %. C'est
évidemment beaucoup plus que le chiffre qui figurait dans la loi de
finances : 7,9 %. Il y a là une énorme surprise ! Cela
veut dire que les entreprises ont versé le solde de leur impôt sur
le bénéfice de 1998 plus important que prévu, plus un
acompte 1999. En effet les entreprises paient comme les particuliers par
acomptes successifs plus importants que prévus.
Voilà les informations dont vous disposiez et dont nous disposions. Des
études ont été faites par les mêmes services et ces
études ont conduit à ce que le Budget propose une
réévaluation des recettes de l'année en cours,
année 1999, de 13 milliards de francs, et la direction de la
prévision nous a proposé une réévaluation des
recettes de l'année 1999 de 15 milliards de francs, tout en gardant une
hypothèse de croissance qui restait une hypothèse faible, entre
2 et 2,1 %. Cela veut dire que au mois de juillet 1999, les meilleurs
spécialistes, en tous cas les bons spécialistes du
ministère, n'avaient pas prévu la très forte
accélération de la conjoncture durant le deuxième semestre.
La proposition de réévaluer les recettes porte donc sur 13 ou sur
15 milliards. A ce moment là, Dominique Strauss-Kahn et moi-même
suivons les services et nous vous proposons dans le document "Voies et moyens"
annexé à la loi de finances pour 2000 une
réévaluation des recettes de 1999. Je parle là de recettes
fiscales nettes, parce que vous aimez les termes précis ! Cette
réévaluation des recettes est alors en hausse de 11 milliards de
francs par rapport à la loi de finances initiale et de 12 milliards par
rapport à février. Voilà le chiffre qui vous a
été communiqué.
Quatrième décision, nous arrivons au mois de novembre. Le 24
novembre, je présente au Conseil des Ministres le collectif,
c'est-à-dire la loi de finances rectificative pour 1999. Selon la
tradition qui, à ma connaissance, n'a pas été
transgressée avant moi, les recettes ne sont corrigées que des
changements de législation. C'est-à-dire qu'on tient compte de ce
que, à partir du 15 septembre, la TVA, les frais de notaires
diminuent et nous reprenons le chiffre des "Voies et moyens", les 1 546
milliards de francs, nous retirons 5 milliards de recettes : cela fait
1 541 milliards.
A l'époque, on dispose d'informations. La fameuse situation mensuelle de
septembre que votre rapporteur a beaucoup commentée fait
apparaître que les impôts progressent neuf mois sur neuf mois de
9,3 % à comparer aux 6,1 % de la loi de finances ainsi corrigée.
La TVA va un peu plus vite et l'impôt sur le revenu va nettement vite
mais cela tient en bonne partie au fait que l'on a transféré le
droit de bail payé au mois d'octobre dans l'impôt sur le revenu
payé au mois de septembre et que les services ont été
performants pour le recouvrement de l'impôt.
Le problème qui se pose à ce moment-là, c'est toujours et
encore l'impôt sur le bénéfice des sociétés
qui est en hausse de 28 %, chiffre encore fort par rapport au chiffre
révisé qui était de 18,5 %. Nous nous posons une question.
Au mois de décembre, les entreprises paient un troisième acompte
mais le solde, lui, est payé au mois d'avril lorsqu'on connaît les
comptes complets des entreprises pour 1999. Est-ce qu'elles vont continuer sur
leur élan de payer beaucoup d'acomptes ? Ou, estimant qu'elles ont
payé des acomptes en 1999 calculés en fonction de 1998, -un peu
comme les tiers provisionnels pour les particuliers- est-ce que,
considérant que l'année 1999 a moins de croissance, l'on ne va
pas corriger notre acompte du mois de décembre ?
C'est une question qui s'est posée et dont nous avons débattu.
J'ai choisi la prudence, c'est-à-dire de ne pas risquer de se retrouver
avec une prévision de recettes qui soit surestimée dans le
collectif par rapport à la réalité. Je rappelle que cela
s'est produit en 1996 : les impôts qui sont rentrés en
exécution étaient de 19 milliards de francs inférieurs
à ceux qui étaient dans le Collectif. Je ne parle pas de la loi
de finances initiale. Voilà donc la quatrième décision.
La cinquième décision a été prise devant vous. Le
17 décembre -et là je vous donne une information confidentielle-
le Directeur général de la Comptabilité Publique m'a
téléphoné me disant que Renault vient de payer
6 milliards de francs d'impôts sur le bénéfice des
sociétés, alors que Renault n'avait rien payé
l'année antérieure. L'échéance était donc le
15 ! Je me suis dit que cette information confirmait que les
rentrées d'impôt sur le bénéfice des
sociétés vont être fortes et j'ai proposé en
amendement en première lecture du collectif devant le Sénat un
amendement de hausse de 11 milliards de francs des recettes fiscales nettes,
amendement qui a été voté à l'unanimité.
Voilà la séquence des cinq décisions que le Gouvernement a
prises. Le résultat ? C'est ce qui a été
constaté en exécution : un chiffre que chacun connaît
de 1 565 milliards de francs de recettes, en hausse de 13-14 milliards de
francs par rapport au collectif et en hausse de 30-31 milliards de francs
par rapport à la loi de finances initiale.
Je dirai encore quelques mots en conclusion de cet exposé qui a
été assez précis mais assez rapide pour que nous ayons un
vrai débat.
Comment apprécier ces cinq décisions du Gouvernement ?
Personnellement, en tant qu'ancien secrétaire d'Etat et ancien ministre,
je suis mal placé pour porter un jugement sur une année dont le
profil a été particulièrement heurté et sur la
difficulté de prévoir l'impôt sur le bénéfice
des sociétés qui est un impôt particulièrement
« fantasque ». On ne l'a pas vu qu'en 1999 mais sur
l'ensemble des années écoulées.
Trois critères peuvent être utilisés.
Le premier c'est le critère du droit. C'est le Conseil Constitutionnel
qui, en ce qui concerne ces deux décisions relatives aussi bien au
collectif 1999 qu'à la loi de finances au cours 2000, a dit que les
évaluations du Gouvernement n'étaient entachées d'aucune
erreur manifeste. Voilà un premier critère de jugement.
Deuxième critère de jugement, l'Europe. Il est bien de voir ce
que nous faisons chez nous mais il est bien aussi de le comparer à ce
que font les autres.
Premièrement, j'insiste sur le fait que nous sommes parmi les seuls pays
à publier les situations budgétaires mensuelles, aussi bien sur
les recettes que sur les dépenses. Nous sommes parmi les rares pays qui
fassions systématiquement des budgets rectificatifs en cours
d'année. C'est dire qu'en matière de transparence, notre pays n'a
de leçon à recevoir de personne, en tous cas d'aucun
étranger. Quant à l'année 1999, je vous rappelle que les
recettes fiscales en Allemagne ont dépassé de 1,2 % le chiffre
prévu dans le budget initial. En Italie, elles l'ont
dépassé de 1,7 % ; au Royaume-Uni, de 2 %. Le chiffre
correspondant pour la France, je vous l'ai dit, c'est 2 % par rapport au budget
initial et moins de 1 % par rapport au collectif.
Je crois que la prévision fiscale n'est pas une science exacte. Lorsque
la conjoncture est particulièrement chahutée, dans le bon sens
heureusement puisque nous avons une reprise très forte, l'ensemble des
pays européens ou du moins ceux que j'ai cités ont connu des
surplus de recettes fiscales dont ils n'ont pas fait un drame, loin de
là.
Enfin, je veux parler de l'expérience française, en
considérant les treize années écoulées depuis 1987.
J'ai constaté des écarts souvent importants entre les
impôts qui ont été encaissés et les impôts qui
étaient retracés dans les collectifs, c'est-à-dire
à un intervalle de quatre à cinq mois.
Ce qui est grave, c'est que le plus souvent les écarts étaient
dans le mauvais sens. Ainsi, pour huit de ces treize années, les
recettes fiscales encaissées ont été inférieures
aux recettes fiscales qui figuraient dans le collectif budgétaire. Je
peux citer un certain nombre de chiffres. 35 milliards de francs en 1991,
26 milliards en 1992, 19 milliards en 1996. -je suis, moi aussi, impartial
...- 17 milliards en 1990, 7 milliards en 1998, que j'assume. En 1998, il y a
eu donc eu 7 milliards de francs de moins de recettes fiscales nettes que
de recettes prévues au collectif.
Les cas inverses -que l'on pourrait appeler des cas de
« cagnotte »- sont beaucoup plus rares. Il n'y en a eu que
cinq cas sur treize d'excédent de recettes par rapport au collectif.
Ainsi, 15 milliards de francs en 1993, 14 milliards en 1987 et en 1999,
année dont nous parlons, et 13 milliards en 1990. J'en tire des
conclusions assez modestes.
La première, c'est que la prévision des impôts n'est pas
une science exacte. La deuxième, c'est que des écarts de 1 ou 2 %
sont monnaie courante aussi bien en France qu'à l'étranger. La
troisième c'est qu'il vaut mieux être prudent avec un risque
d'avoir plus que prévu, plutôt que d'être
téméraire et de recevoir un démenti cinglant, comme ce fut
le cas en 1996 : il a manqué
in fine
19 milliards de francs.
Voilà, Monsieur le Président, Monsieur le Rapporteur
général, Messieurs les Rapporteurs, les faits que je voulais
présenter devant vous en ce qui concerne les recettes fiscales de 1999.
Je suis évidemment prêt à répondre à
l'ensemble des questions que vous voudrez bien me poser.
M. le Président
Je vous remercie, Monsieur le Ministre.
Notre commission ne s'est pas fixée pour objet d'instruire le
procès d'une année d'exécution budgétaire. Vous le
savez, le temps moyen du Sénat est de neuf ans, la durée d'un
mandat. C'est sur les neuf ans qui viennent de s'écouler deux
Présidents de la République ! C'est deux alternances !
C'est trois législatures ! C'est quatre Gouvernements ! C'est
huit ministres de l'économie et de finances. Notre souhait est de
connaître la manière dont s'élaborent et dont
s'exécutent les lois de finances. Le témoignage vivant que vous
venez de nous donner sur l'année 1999 va naturellement alimenter notre
réflexion, comme les témoignages que nous avons entendus hier sur
la période 1993-1995 nous ont apporté des informations et puisque
la période 1995-1997 a également été couverte.
La parole est à M. le Rapporteur général.
M. Philippe MARINI, Rapporteur général.. -
J'ai
été naturellement très intéressé par
l'exposé technique, précis et factuel de M. Sautter. Je voudrais,
dans le cadre des travaux de notre commission d'enquête, lui poser
quelques questions complémentaires.
Les anciens ministres que nous avons auditionnés et lui-même, il y
a quelques instants, nous ont parlé des réunions d'arbitrage des
recettes fiscales se tenant traditionnellement en février et en juin-
juillet.
Monsieur le Ministre, quel est le formalisme de ces réunions ? Y a-t-il
des comptes-rendus ? Y a-t-il des notes préparatoires des
différents services ? Y a-t-il un processus de concertation
préalable des services avant la réunion ? Y a-t-il des avis
externes d'experts, de conjoncturistes, d'économistes ?
Pouvez-vous donc nous apporter des éléments concrets concernant
le mode de préparation et de fonctionnement de ces
réunions et également des indications sur leur formalisme ?
En second lieu, et au-delà de l'année 1999, comment les choses se
sont-elles passées pendant votre période de gestion et pour ce
qui est de la loi de finances initiale pour 2000 ? Quelles ont
été les étapes de prévision des recettes ?
Quelle a été l'interférence des réestimations de
recettes 1999 dans le processus de préparation du volet recettes de la
loi de finances initiale pour 2000 ?
En troisième lieu, compte tenu de la sensibilité de tous ces
sujets et dans le cadre du fonctionnement de l'Exécutif, quelles ont
été les étapes et les modalités des relations entre
Bercy et Matignon sur ces sujets ? Est-ce que Matignon est intervenu dans le
processus d'arbitrage du niveau de recettes ? Est-ce que Matignon est intervenu
dans le processus de définition des marges de manoeuvre et de leur
affectation à titre de
scénarii
alternatifs ou
d'études préalables et avant que les propositions en la
matière ne soient formalisées ?
Est-ce que M. le Ministre peut nous faire participer concrètement,
s'agissant de la préparation des lois de finances initiales de 1999 et
2000 et des réestimations en cours de gestion 1999, à ces
modalités relationnelles, normales au sein de l'appareil gouvernemental ?
Enfin, M. le Ministre a vécu à Bercy comme secrétaire
d'Etat puis ministre, trois fins d'exercice, 1997, 1998, 1999. Compte tenu des
passages relativement brefs dans ses fonctions, c'est une certaine
continuité ! Peut-il nous expliquer concrètement comment se
passent les choix en matière d'imputation d'un exercice sur un exercice
ou sur un autre ? Quelles sont les marges de manoeuvre ? Comment les
propositions sont-elles appréhendées par le ministre ? Qui
en prend l'initiative ? Quel est le rôle des uns et des
autres ? Qu'est-ce qui est arbitré ? A quelle date ?
Est-ce qu'il pourrait nous faire partager son expérience en ce qui
concerne par exemple les recettes non fiscales, en ce qui concerne
également les mouvements des comptes spéciaux du Trésor,
en ce qui concerne la gestion des écritures de la période
complémentaire ? Que peut-il nous dire sur ces questions de
chevauchement d'exercices, d'arbitrages, d'imputation sur l'exercice N ou sur
l'exercice N + 1 ?
M. le Président -
La parole est à M. le Ministre.
M. Christian SAUTTER -
Monsieur le Président, Monsieur le
Rapporteur général, je l'ai dit à propos de l'année
1999, mais c'est la procédure habituelle : il y a deux temps forts
qui sont les réunions de février et de juillet.
Chacune de ces décisions sur l'estimation des recettes pour
l'année en cours comme pour l'estimation des recettes pour
l'année à venir -l'exercice est pour l'essentiel tourné
vers la préparation de la loi de finances à venir- relève
d'un travail préparatoire très poussé, fait par les
services, qui remettent des notes tout à fait importantes. C'est un
travail poussé et écrit auquel chaque service apporte sa
contribution à un travail de synthèse. Quels sont-ils ? Ce
sont la direction du budget, la direction de la prévision, la direction
générale des impôts, la direction de la législation
fiscale, la Direction générale de la Comptabilité
Publique, la Direction générale des Douanes.
Une pré-synthèse est faite par les cabinets des ministres et, en
fait, c'était un cabinet conjoint entre les ministres.
In fine
,
le ministre des Finances et le secrétaire d'Etat prennent la
décision.
Est-ce que l'on recourt à des avis extérieurs ? Sur les calculs
des recettes fiscales, à ma connaissance non ! C'est un exercice
d'une telle complication que déjà les spécialistes
intérieurs ont quelques difficultés. Mais en ce qui concerne la
croissance, je crois que c'est Dominique Strauss-Kahn qui a pris l'initiative
de donner davantage d'importance à la commission des comptes de la
nation, laquelle s'est réunie elle aussi deux fois par an et permet de
réunir les différents prévisionnistes des instituts
publics et privés.
Dans les décisions qui sont prises au mois de juillet, il y a donc prise
en compte du consensus des économistes privés. Ces documents sont
repris dans les travaux que mène votre commission sous l'autorité
de M. Bourdin.
La deuxième question porte sur la loi de finances initiale pour 2000.
Elle a suivi le calendrier habituel : les travaux ont commencé en
février 1999, à partir d'hypothèses sur la croissance de
1999 et sur la croissance de 2000 et c'est au mois de juillet 1999 que nous
avons arrêté le montant des recettes prévisibles pour
l'année 2000. Ces chiffres n'ont pas changé, vous le savez, entre
le mois de septembre et le 20 décembre, quand nous avons corrigé
les chiffres de 1999. Le Gouvernement a alors décidé de faire un
collectif de printemps qui est présenté aujourd'hui au Conseil
des Ministres par mon successeur.
En ce qui concerne les relations entre Bercy et Matignon -je
préférerais dire entre les Ministres des Finances et le Premier
ministre- il y a une relation permanente y compris dans les domaines de la
politique économique et budgétaire entre les cabinets. Je peux
témoigner que ces relations ont été
particulièrement confiantes pendant l'époque où
j'étais soit secrétaire d'Etat soit ministre, ce qui n'a pas
toujours été le cas dans un passé plus lointain. Le
Premier ministre Lionel Jospin a institué un rendez-vous hebdomadaire
avec les principaux ministres, y compris le ministre des finances. Ce
rendez-vous hebdomadaire a permis, chaque fois que cela a été
nécessaire, d'aborder les questions budgétaires. J'étais
présent à ces rendez-vous hebdomadaires, lorsque Dominique
Strauss-Kahn était ministre, quand des questions budgétaires
étaient abordées.
J'ai parlé des recettes. Si vous le souhaitez, je peux aussi parler des
dépenses mais j'ai senti que vous étiez plutôt
concentrés sur les recettes. Je voudrais insister sur deux points.
Premièrement, c'est la collaboration très étroite, parce
que le Premier ministre l'a voulu ainsi, entre l'équipe de Matignon et
l'équipe de Bercy. C'est le fait aussi que le Gouvernement, de
façon collégiale, a eu à se prononcer sur les grands choix
budgétaires chaque fois qu'il fallait en faire, aussi bien du
côté des dépenses que du côté des
réformes fiscales.
Votre dernière question porte sur les gestions de fin d'exercice. A cet
égard, une remarque de bon sens s'impose : la gestion de fin
d'exercice est plus difficile lorsque l'on a surestimé les recettes
fiscales que lorsqu'on les a sous-estimées. Une surestimation des
recettes fiscales fait courir le risque de voir le déficit
annoncé être beaucoup plus élevé que prévu.
Il est normal que dans ce que l'on appelle la période de fin de gestion
on cherche, comme le font les entreprises avec leurs provisions, à
minimiser l'impact de l'incertitude sur les recettes fiscales sur le
déficit qui sera annoncé.
J'ai eu la chance de ce que nous n'ayons pas -sauf en 1998 pour une somme assez
modeste de 7 milliards de francs- surestimé les recettes fiscales par
rapport au collectif.
Vous me parlez des recettes non fiscales. Je pense que c'est une bonne
illustration de ce qui s'est passé. Comme nous avions des recettes
fiscales plus fortes que prévues, nous avons sur les recettes non
fiscales de 1999 prélevé 15,9 Milliards de francs de moins en
1999 que ce qui était prévu dans la loi de finances initiale.
Je vous ai parlé de l'année 1996. En 1996, il manquait 19
milliards de francs de recettes fiscales ! De façon naturelle, le
ministre de l'époque, que je ne critique absolument pas, a pris 23,4
milliards de francs de recettes non fiscales supplémentaires.
Vous le voyez, il y a d'un côté un impôt qui est très
difficile à prévoir : l'impôt sur le
bénéfice des sociétés. Il connaît des coups
d'accélération mais aussi, il ne faut pas l'oublier, des
décélérations assez fortes qui sont très difficiles
à prévoir jusqu'au dernier moment, jusqu'au moment où l'on
a encaissé le dernier franc.
Il y a donc d'un côté un effet d'accélérateur pour
l'impôt sur le bénéfice des sociétés et de
l'autre un effet amortisseur, celui des recettes non fiscales qui peuvent
être modulées dans le temps. Je vous ai souligné le
contraste entre 1996 et 1999 ! Dans les deux cas, le Gouvernement a
opéré de façon parfaitement logique et adéquate.
M. le Président
-
La parole est à M. Paul Loridant.
M. Paul LORIDANT
-
Monsieur le Ministre, ma question se recoupe
en partie avec celle que vient de poser M. le Rapporteur général.
A vrai dire, j'imagine volontiers que les dépenses sont relativement
faciles à maîtriser puisqu'une décision brutale ou ferme
d'un ministre, comme d'un maire d'ailleurs, peut bloquer ou ralentir les
dépenses. La vraie question qui nous interpelle, c'est
l'évaluation des recettes, c'est-à-dire, après tout, ce
qui va déterminer le vote du Parlement sur l'impôt.
Nous sentons bien que des impôts sont très sensibles, avec des
effets cumulatifs à la hausse ou des effets cumulatifs à la
baisse très forts. Vous nous expliquez les difficultés des
arbitrages mais pour nous la vraie question se formule ainsi : "Nous
sommes le Parlement et nous voulons une évaluation des recettes la plus
exacte possible, pour que nous puissions faire le vote de l'impôt en
fonction des besoins de l'équilibre du budget ! » Pas
plus mais pas moins ! La vraie bonne gestion en finances publiques, c'est
l'équilibre ! Ce n'est ni l'excédent, ni le déficit.
A la fin de votre intervention, vous avez expliqué comment vous ajustiez
vos recettes par les recettes non fiscales. J'avoue que cela me laisse
perplexe. Le rapporteur du budget des comptes spéciaux du Trésor
que je suis s'interroge alors sur notre rôle, puisque la pratique de
la gestion du ministère -elle était apparemment antérieure
à la vôtre- consiste à s'ajuster sur les recettes non
fiscales.
Je formule autrement ma question. En supposant qu'un jour vous soyez
parlementaire, vous serez confronté alors à l'évaluation
des recettes. Selon vous, quelle technique et quels moyens un parlementaire, ou
plutôt les commissaires de la commission des finances, auront-ils
d'évaluer le plus exhaustivement les recettes ? Au-delà de ces
réunions d'arbitrage, est-ce que finalement le ministre a les
réels moyens d'évaluer les recettes puisqu'il est l'objet
d'informations croisées et diverses. Est-ce que ses arbitrages ne
relèvent pas par moments un peu du doigt mouillé ?
M. le Président
-
La parole est à M. Philippe Adnot.
M. Philippe ADNOT
-
Monsieur le Ministre, vous nous avez
parlé de votre difficulté à apprécier l'impôt
sur les sociétés et vous avez cité le cas de Renault qui,
d'un seul coup, vous verse heureusement 7 milliards de francs d'impôts.
Je dois vous avouer mon incrédulité.
Aujourd'hui, toutes les entreprises cotées publient des informations sur
l'état de leurs finances, les prévisions d'excédents, etc.
Je ne crois pas que votre ministère puisse se trouver devant la
situation où Renault paie 7 milliards de francs d'impôts sans
avoir été capable de le percevoir à l'avance.
Aujourd'hui, dans les réseaux Banque de France, la situation de toutes
les entreprises est parfaitement connue. Les enquêtes de conjoncture sont
mensuelles et on a des informations permanentes sur le sujet. Nous, nous avons
passé des conventions avec la Banque de France pour aider les
entreprises à faire des analyses prévisionnelles pour justement
pouvoir piloter et anticiper sur la situation. Je vous assure que la Banque de
France connaît aujourd'hui à l'avance les entreprises qui vont
avoir des impôts à payer ou à ne pas payer.
Est-ce qu'il y a un manque de communication quelque part ? En tout cas, je ne
crois pas aujourd'hui qu'avec l'ensemble des entreprises cotées vous ne
puissiez pas prévoir les retours d'impôts sur les
sociétés.
M. le Président
-
La parole est à M. Jean-Philippe
Lachenaud.
M. Jean-Philippe LACHENAUD
- Sortant de la
« cagnotte », je souhaite évoquer un certain nombre
de questions fondamentales et qui se reposent année après
année.
Premièrement, est-ce que vous pensez possible d'améliorer les
méthodes de prévision de la croissance ?
Deuxièmement, les modèles sur l'élasticité des
recettes fiscales et de prévisions des recettes fiscales
existent-ils ? Sont-ils perfectibles ou contradictoires ? Quel est votre
sentiment à cet égard ?
Troisièmement, lorsque vous avez étudié des
réformes fiscales, avez-vous eu des simulations ou des variantes bien
précises établies par les services ? Est-ce que vous auriez pu,
au lieu de les réserver au Gouvernement, les présenter de temps
en temps au Parlement ?
Enfin, s'agissant de la fin de gestion, est-ce que l'ensemble des mesures est
formalisé. Je reconnais que le pragmatisme est inévitable et tout
exécutif a recours à des méthodes qui doivent rester
encadrées. Certains évoquaient un code de « bonne
conduite ». Est-ce que pour normaliser un peu cela il y a une
formalisation du processus avec des rapports, des comités, des
décisions ?
M. le Président
-
La parole est à M.
François Trucy.
M François TRUCY
-
Ma première question concerne
les outils de la prévision. Quand les ministres s'apprêtent
à faire des propositions d'augmentation ou de modification d'un
impôt ou de plusieurs impôts dans le sens ascendant, est-ce que les
outils de la prévision qu'on leur donne quant aux résultats,
c'est-à-dire la recette supplémentaire, leur paraissent assez
précis ou insuffisamment précis ? Estiment-ils qu'il est
possible les améliorer ?
Une question plus pragmatique peut aussi être posée sur les outils
de la connaissance. La plupart des documents budgétaires publics sont
indéchiffrables. Bleus, Verts ou Jaunes, peu importe ! Ils ne sont
assortis, contrairement au moindre outil de l'informatique, d'aucun guide,
d'aucune aide qui permette à cette connaissance de s'approfondir. Or si
c'est l'affaire des parlementaires qui doivent voter, elle est aussi celle
d'une multitude de gens.
Quelles sont d'après vous les possibilités d'améliorer
cette communication dans sa pratique, au quotidien ?
M. le Président
-
La parole est M. André Vallet.
M. André VALLET
- Monsieur le Ministre, vous vous
êtes félicité tout à l'heure de la publication
mensuelle des recettes et des dépenses et vous avez indiqué que
nous étions le seul pays d'Europe à le faire.
Je me permets à ce propos une petite observation. Est-ce que vous
considérez qu'il est facile de lire cet état mensuel ? Ne
pensez-vous pas qu'il serait nécessaire de le présenter de
manière plus claire afin que les parlementaires, mais aussi le grand
public, puissent mieux comprendre cet état qui reste pour certains, dont
je suis, particulièrement obscur ?
Ma deuxième question concerne la prévision. M. Loridant a
posé la question de savoir si un ministre peut véritablement
apprécier les recettes à venir. J'ai cru comprendre au cours des
précédentes auditions que les éléments
nécessaires vous sont souvent fournis par l'INSEE. Est-ce que l'INSEE
est la source suffisante ? Est-ce que, de votre point de vue, il faudrait
la compléter par d'autres éléments
d'appréciation ?
M. le Président
-
Avant de vous donner la parole, Monsieur
le Ministre, je souhaite vous poser aussi une question. Nous souhaitons tous
autour de cette table donner plus de sens au vote par le Parlement du budget de
notre pays. N'y a-t-il pas un peu de fétichisme de la part des services
de votre administration et parfois des ministres sans doute ? Un point m'a
intrigué pour le budget 2000 ! Tout au long de la discussion
budgétaire, le déficit n'a varié que de 73 millions de
francs, alors que, apparemment, les informations qui vous parvenaient entre le
communiqué de presse du 25 septembre et le 25 décembre pouvaient
laisser penser qu'il y aurait vraisemblablement sur l'année 2000
quelques variations. Y a-t-il ou non un peu de fétichisme dans cette
pratique des Finances ?
La parole est à M. le Ministre.
M. Christian SAUTTER
-
Je vais essayer de répondre
brièvement à ces six ensembles de questions pertinentes en
commençant par celles de M. Loridant.
Il est clair que l'Etat maîtrise les dépenses car c'est l'Etat qui
dépense ! Je n'en ai pas parlé mais en 1999 une bonne partie
de la réduction
in fine
du déficit est venue de ce que
nous avons su passer avec les ministres dépensiers des contrats de
gestion pour ajuster les dépenses au fait que la hausse des prix de
l'année 1999 était moindre que prévue.
Du côté des recettes, il y a une vraie difficulté
conceptuelle. Ce que vote le Parlement, c'est premièrement les
barèmes des impôts et deuxièmement la masse d'ensemble des
impôts. Entre les barèmes et la masse d'ensemble des impôts,
il y a une inconnue : les assiettes des impôts, lesquelles ne
dépendent ni du Parlement ni du Gouvernement mais de l'activité
économique.
Il y donc là une vraie difficulté, et je pense que l'on
n'arrivera jamais à la résoudre totalement, même si l'on
fait progresser considérablement les outils de prévision.
A
fortiori
, ce n'est pas une question de transparence. J'y insiste beaucoup
car le Gouvernement auquel j'ai appartenu a été beaucoup plus
transparent que ses prédécesseurs ! Mais il y aura toujours
une imprécision de ½ %, 1 %, 1 ½ % sur cette masse
d'ensemble des impôts tout simplement parce que l'on ne peut pas
prévoir parfaitement l'assiette sur laquelle les barèmes
porteront.
Alors, qu'est-ce que l'on peut faire ? Je voudrais vous recommander la
méthode néerlandaise. Que font les Néerlandais ?
Premièrement, ils votent un budget extrêmement prudent, encore
plus prudent que celui que nous avons fait voter. Ils partent d'une
hypothèse assez sûre et basse de croissance et ils calculent
les recettes fiscales en se mettant du côté prudent de la marge
d'erreur. Mais ils définissent et font voter une règle
d'affectation des suppléments de recettes qui pourraient
apparaître. Le Parlement français pourrait y
réfléchir !
Il y aura toujours des suppléments de recettes et malheureusement aussi
toujours des surestimations de recettes, ce qui a été plus
fréquent dans le passé. La fiscalité n'est pas une science
exacte. L'idée est donc d'affecter le plus par rapport aux recettes qui
ont été votées par le Parlement. Je parle sous serment et
je veux être prudent : je crois que les Néerlandais en
mettent trois quarts au déficit et un quart à autre chose. Le
système est assez compliqué. En tout cas, si vous votez une
règle d'affectation des surplus de recettes fiscales, sachant qu'aux
Pays-Bas ils se débrouillent pour qu'il y ait toujours un surplus de
recettes fiscales, c'est un moyen, me semble-t-il, de progresser.
Monsieur Adnot pose une véritable question, celle des données
individuelles d'entreprise. Dans un passé lointain, j'ai
travaillé avec ce que l'on appelait à l'époque les
centrales de bilan, c'est-à-dire des banques de données. La
Banque de France et le Crédit National, à l'époque,
avaient des données individuelles d'entreprise. Je suis d'accord pour
reconnaître avec vous que nous utilisons trop peu ces informations qui
existent sur les sociétés cotées, lesquelles ont en
général des publications trimestrielles de résultats, plus
souvent en termes de chiffre d'affaires qu'en termes de profits.
Si on demandait à un chef d'entreprise quel profit il va faire à
l'été 2000, à mon avis il serait prudent, d'autant que
grâce à la très grande subtilité de notre droit
fiscal, entre le bénéfice économique que fait l'entreprise
et le bénéfice imposable qui va être taxé, il y a
plus qu'une nuance. Il y a des spécialistes dont l'avis consiste
à faire en sorte que, partant d'un bénéfice
économique, on arrive au bénéfice imposable le plus faible
possible. Mais je suis d'accord avec vous pour dire qu'à l'avenir, les
centrales, les banques de données individuelles sur les grandes
entreprises pourraient être utilisées davantage. Cette observation
ne se limite pas à Bercy et le Parlement peut le faire aussi !
Monsieur Lachenaud me pose la question de la prévision de la croissance.
Comme je l'ai fait rapidement, il faudrait refaire le film de l'année
1999. Tout le monde a été surpris, et heureusement surpris, par
la vigueur du redémarrage de la croissance. Au deuxième semestre
1999, la croissance était avec une pente de 4 % et cela n'a pas
été anticipé par les spécialistes de Bercy au mois
de juillet, je vous l'ai dit. Cela n'a pas été non plus
anticipé par le consensus des économistes privés.
Là encore, dans les années qui sont un peu
« chahutées » il y aura toujours une incertitude en
matière de croissance. Là, heureusement, l'incertitude
était dans le bon sens.
Votre deuxième question porte sur l'élasticité des
recettes fiscales par rapport au produit intérieur brut. Elle
paraît technique mais elle est complètement fondamentale. Lorsque
j'ai été nommé secrétaire d'Etat au budget,
selon le coeur même de la note du 9 avril 1997, il m'a été
indiqué que lorsque l'économie française croît de 1
%, les recettes fiscales croissent de 0,8 %. Il y a une sorte de
fatalité qui fait que les recettes croissent moins vite que la
croissance ! Or en 1999, en dehors de toutes les questions de
périmètre de la fiscalité, nous avons constaté que
nous sommes passés à l'inverse : les recettes fiscales,
à barème inchangé, ont crû plus vite que la
croissance. Il y donc là un énorme champ de travail et il faut y
mettre non seulement les spécialistes de Bercy mais aussi faire
travailler tous les économistes.
Vous me permettrez d'insister sur un point. Aux Etats-Unis -je ne suis pas
choqué de les citer- des centaines d'universitaires travaillent sur les
finances publiques. Des universitaires ont des modèles de calcul des
recettes fiscales et ils font des études sur la fiscalité. Je
l'ai dit très brièvement dans mon exposé introductif, la
recherche universitaire porte trop peu sur les finances publiques et je suis
sûr que le Sénat pourrait encourager les travaux en la
matière.
C'est Raymond Barre qui, en 1978, a cassé le monopole de Bercy sur les
études. Il a créé un certain nombre d'instituts mais il
pourrait y avoir encore beaucoup plus de travaux universitaires qui vous
rendraient considérablement service.
S'agissant des simulations pour préparer les mesures fiscales, un
problème juridique se pose sur lequel je voudrais insister. Les
études qui sont faites pour éclairer les décisions du
pouvoir exécutif relèvent de l'exécutif. Evidemment une
commission d'enquête a des droits particuliers. Mais je défends
personnellement, comme ancien ministre, l'idée que le processus de
préparation lié à la décision de proposer au
Parlement telle ou telle mesure fiscale, est un processus interne à
l'exécutif, sauf circonstances exceptionnelles, comme celle d'une
commission d'enquête.
On ne peut pas tout faire ni dans la diplomatie ni dans l'économie dans
une transparence complète. Il y a besoin de faire des simulations pour
éclairer les ministres. Cela dit, rien n'empêche que vous fassiez
vos propres simulations -vous le faites- et qu'il y ait un débat
contradictoire sur ce point.
Vous avez évoqué un code de bonne conduite mais je n'ai pas bien
compris votre question. Mon sentiment est qu'il n'y a pas eu de mauvaise
conduite. Peut-être faut-il sur tel ou tel point améliorer les
relations entre l'exécutif et le législatif, mais je crois vous
avoir dit qu'en 1999, pas plus que les années antérieures ni pas
moins, il y a eu un dialogue confiant. Par exemple, et je reviens à la
question de M. Loridant, nous avons réduit la période
complémentaire qui maintenant est d'un mois. Il y a quelque temps elle
était beaucoup plus importante. A la demande du Sénat, nous avons
réintégré des ressources fiscales qui étaient en
dehors, notamment pour les services financiers et M. Angels peut en
témoigner. Nous avons donc fait, pas parfaitement peut-être, un
effort vers la transparence à l'égard du Parlement.
M. Trucy m'a interrogé sur les outils de prévision sur les
mesures fiscales. Il faut distinguer les résultats qui sortent des
outils et les outils eux-mêmes. Ces outils ne sont pas parfaits !
Entre les dispositifs votés par le Parlement qui sont d'une
complexité extraordinaire, y compris pour les fiscalistes d'entreprise,
et ceux qui manipulent des modèles mathématiques, il y a besoin
de simplifier, de caricaturer pour faire des prévisions. A mon avis, ces
outils sont parmi les moins performants de ceux dont on dispose. Evidemment, il
est possible de prévoir l'impôt supplémentaire
qu'entraînera un changement de barème de l'impôt sur le
revenu mais pour bouleverser un impôt, par exemple son assiette, nul
doute qu'il y aura quelqu'une difficulté.
Je prends l'exemple de la taxe professionnelle. Il était très
difficile de prévoir de combien la suppression de la part emploi de la
taxe professionnelle allait coûter effectivement à l'Etat.
Vous dites que les documents budgétaires sont illisibles et je respecte
votre point de vue. Il est clair que tout le débat budgétaire -et
là c'est une réflexion de fond que je fais maintenant comme
citoyen- se fait dans un cadre de logique juridique. Cela est en effet normal
puisque l'on change la loi et le travail se fait donc par amendement à
des textes qui ont été amendés successivement.
Je crois qu'il y a un double besoin. Le premier besoin, c'est que de temps en
temps on refasse les codes, c'est-à-dire que l'on reprenne toute la
législation avec la stratification de ce qui a été fait.
L'idée de code est importante. Actuellement ce sont pour beaucoup des
entreprises privées qui font ce travail là et l'Etat pourrait le
faire lui-même, poussé par le Parlement.
Deuxième besoin, il faut qu'à côté de cette logique
juridique indispensable, il y ait une logique non pas économique mais
une logique de coût et d'efficacité. Il faut que l'on sache
combien coûte telle action publique, quel résultat elle doit
atteindre. Cela permet de vérifier
a posteriori
si les
résultats attendus sont effectivement atteints.
M. Vallet me dit que les situations mensuelles ne sont pas faciles à
lire et cela est vrai. J'ai eu l'occasion, devant la commission des finances,
avec Florence Parly, de dire que nous étions prêts -moi à
l'époque, elle toujours- de venir chaque mois commenter avec vous ces
situations mensuelles.
Il est un autre point important et sur lequel je n'ai rien dit jusqu'à
présent. C'est que les impôts ne rentrent pas
régulièrement. Les dépenses se font
grosso modo
à un rythme régulier sur l'année, parfois un peu plus
à la fin, parfois un peu moins à la fin. Mais les impôts,
eux, rentrent en dents de scie. Chaque fois qu'il y a un tiers
prévisionnel, les recettes montent. Chaque fois qu'il y a un acompte sur
l'impôt des sociétés, les recettes montent. Cela
dépend aussi des jours ouvrables.
Il faudrait -mais c'est très difficile à faire- que l'on ait
« un profil saisonnier » des rentrées d'impôts
associé à la loi de finances. C'est très difficile
à faire parce que cela dépend du jour où tombe le lundi de
Pâques etc. Mais un tel profil permettrait de dire, par exemple, qu'on
est en avance sur le plan de route des rentrées fiscales !
Actuellement on ne dispose pas d'un tel outil.
Je suis d'accord avec vous pour que les ministres, si la commission des
finances le souhaite, viennent dire leur interprétation. Il est clair
que maintenant cela n'a pas d'importance mais à partir de mai on peut
commencer à avoir une discussion intéressante.
Le rôle de l'INSEE est important mais limité. L'INSEE fait des
prévisions économiques à six mois qui, en
général, sont de bonne qualité. Il tient les comptes
nationaux. Par exemple, les fameux ratios maastrichiens sont calculés
par l'INSEE. Mais l'essentiel des prévisions sur lesquelles nous
travaillons, je l'ai dit, viennent de la direction du budget, de la direction
de la prévision, de la direction générale des impôts.
Monsieur le Président Lambert, vous parlez de
« fétichisme des services ». Je vous dirai d'abord
que s'il y a fétichisme, c'est le fétichisme des ministres car,
personnellement, je n'introduis pas de nuance entre ce que font les services et
ce que j'ai fait en tant que ministre.
Il est vrai que dans le débat budgétaire nous avons une tendance
à ne pas faire varier trop le déficit budgétaire qui, quoi
qu'on en dise, reste une variable très forte du débat politique.
Lorsque les parlementaires proposent des modifications du côté des
recettes, plus rarement du côté des dépenses -cela peut se
faire avec l'accord du Gouvernement- on essaie de faire en sorte que le
déficit annoncé ne soit pas trop corrigé.
Est-ce qu'il y a un fétichisme du déficit ? Je ne sais pas. Je
rappelle du moins qu'entre 1997 et 1999 j'ai contribué à ce que
le déficit de l'ensemble des administrations ait été
diminué de moitié, 3,5 % en 1997, c'est-à-dire 3 %
plus la soulte de France Télécom qui, par parenthèse,
n'était pas un miracle dans le domaine de la transparence et de
l'orthodoxie budgétaire. Mais c'est une remarque tout à fait
incidente. 3,5 % en 1997, 1,8 % en 1999 ! Je pense que le Gouvernement
auquel j'ai participé et mon action personnelle ont bien
préparé l'avenir de notre pays sur ce point particulier.
M. le Président
-
Je vous remercie, Monsieur le Ministre.
Mes chers collègues, je vous propose de suspendre nos travaux quelques
instants.
La séance est suspendue.
(Suspendue à onze heures cinq, la séance est reprise à
onze heures dix.)
Séance du 26 avril 2000
La séance est reprise à 11 heures 10 sous la présidence de M. Alain Lambert
Audition de M. Dominique STRAUSS-KAHN,
Ancien
Ministre
M.
le Président..
L'ordre du jour appelle l'audition de M.
Dominique Strauss-Kahn, ancien Ministre de l'Economie et des Finances.
Monsieur le Ministre, je vous souhaite, au nom de tous nos collègues,
une très chaleureuse bienvenue au sein de notre commission. Nous avons
conservé le souvenir de relations chaleureuses qui, au-delà de la
vie publique, se sont nouées entre personnes et nous vous revoyons avec
plaisir en notre sein.
Le Sénat a doté notre commission des prérogatives de
commission d'enquête. L'objet de cette mission est d'informer notre
commission sur le fonctionnement des services de l'Etat pour
l'élaboration et l'exécution des lois de finances. Nous avons
voulu éviter toute controverse juridique sur les droits de notre
commission à recueillir telle ou telle information. Nous avons choisi
une méthode pluraliste afin d'analyser le processus de fonctionnement de
l'exécutif et de tirer tous les enseignements d'un dialogue qui reste
toujours à parfaire entre le Gouvernement et le Parlement.
Notre commission d'enquête est composée pour son équipe de
rapporteurs de manière pluraliste : outre le rapporteur
général, Philippe Marini, nous y comptons Roland du Luart,
Bernard Angels, André Vallet, Paul Loridant et votre serviteur.
Je rappelle à la commission comme à la personnalité
auditionnée que le secret doit être conservé sur les
travaux non publics de la commission et nous tenons en cet instant les travaux
non publics. Je rappelle également conformément à la loi,
qu'en cas de faux témoignage, la personne auditionnée est
passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14, 434-15 du Code
Pénal. Je rappelle ces dispositions parce que la loi m'oblige à
les rappeler, Monsieur le Ministre. Je vais maintenant vous demander de
prêter serment selon la formule également prévue par la
loi, de dire toute la vérité, rien que la vérité,
de lever la main droite et de dire "Je le jure".
M. Dominique STRAUSS-KAHN
-
Je le jure.
M. le Président
- Monsieur le Ministre, je vous propose,
comme je l'ai proposé à vos prédécesseurs, qu'ils
aient été ministre des finances ou du budget, M. Sarkozy et M.
Lamassoure, M. Christian Sautter il y a un instant, après vous M. Jean
Arthuis, de bien vouloir nous faire un exposé introductif puis de vous
livrer aux questions de la commission, d'abord à celles du rapporteur
général puis à celles de l'ensemble des commissaires.
M. Dominique STRAUSS-KAHN
-
Monsieur le Président, je vous
remercie de votre accueil. Cela me fait plaisir d'avoir trouvé une
occasion de revenir au Sénat plus tôt que je ne le pensais. A vrai
dire, je n'ai pas de déclaration liminaire à faire. Je crois
avoir compris que le Sénat souhaitait enquêter sur dix ans de
procédure budgétaire et sur les améliorations qui
pouvaient y être apportées.
Cette question vaudrait tout un traité de finances publiques ! Il
vous assommerait sans doute d'entendre mes réflexions personnelles sans
qu'elles ne soient obligatoirement directement liées à votre
propre travail. Il me paraît donc mieux que je réponde à
vos questions, quitte à faire des développements sur tel ou tel
point.
M. le Président
- La parole à M. le rapporteur
général.
M. Philippe MARINI, Rapporteur général
-
Monsieur
le Ministre, comme l'a dit notre Président, notre commission dans cette
formation de commission d'enquête veut essentiellement s'efforcer de
comprendre des mécanismes et un système d'information. Elle veut
d'abord essayer de comprendre le système d'information interne au
ministère de l'économie et des finances avant de se poser la
question de savoir sur quelles informations du Parlement et du public, ce
système d'informations interne doit déboucher.
Il y a quelques instants, nous avons entendu Christian Sautter et je serais
tenté de poser à Dominique Strauss-Kahn des questions presque
identiques à celles que je lui posais.
Christian Sautter avait axé son exposé sur la prévision et
le suivi des recettes sachant que c'était l'un de nos centres
d'intérêt essentiel pour la gestion 1999. Nous y avons
ajouté les stades de prévision des recettes pour la loi de
finances initiale de 2000. Nous avons noté avec intérêt
plusieurs points qui vont nous servir de point de départ. Les ministres
successifs, et Christian Sautter en particulier, ont confirmé
l'existence d'un comité, que j'appellerai pour simplifier, d'arbitrage
des recettes fiscales, synthétisant les avis, les prévisions des
différentes directions du ministère de l'économie et des
finances, comité qui se réunit en début d'année, en
février dans un premier temps et dans un second temps à la
mi-année, en juin-juillet.
Le dernier Ministre de l'Economie et des Finances nous a indiqué qu'en
juillet 1999 il avait été procédé selon cette
méthode habituelle à la réestimation des recettes de
l'exercice pour les besoins du suivi de l'exercice mais aussi pour les besoins
d'un bon calage des prévisions de l'année N+1. Il nous indiquait
que le comité d'arbitrage des recettes fiscales réuni en juillet
1999 avait pris connaissance d'un côté d'une très bonne
dynamique des recettes fiscales sur les cinq premiers mois de l'exercice, soit
une hausse de 7,4 % par rapport à la même période de 1998,
et, à l'intérieur de cette hausse, une dynamique encore plus
forte de l'impôt sur les sociétés-+ 45 %, nous
disait-il, de rendement de l'impôt sur les sociétés- sur
les cinq premiers mois de 1999 par rapport aux cinq premiers mois de 1998.
A la suite de cela et sachant que le comité en question a
débouché sur une réestimation prudente des recettes
fiscales, conforme aux propositions des services de l'administration qui ont
ainsi été validées par le ministre, je voudrais poser en
premier lieu deux questions de fond à M. Strauss-Kahn.
Les indications dont il était donc saisi en juillet 1999 ne
conduisaient-elles pas à se poser sérieusement des questions
d'analyse économique. Est-ce que les chiffres dont il était saisi
ne conduisaient pas en toute logique à vouloir diversifier les avis et
les modes d'évaluation ?
Certaines incohérences pouvaient apparaître à partir, d'un
côté de la dynamique de l'impôt sur les
sociétés, de l'autre des données d'ensemble et de la
réestimation timide qui était proposée par les services.
Est-ce qu'à partir de cet exemple particulier, M.Strauss-Kahn peut nous
livrer ses souvenirs et ses réflexions sur l'utilité de
diversifier les moyens de prévision économique de l'Etat ? Est-ce
qu'il estime avoir disposé à ce moment-là de tout
l'arsenal d'informations et de moyens qui eut été
nécessaire dans le respect du pluralisme des prévisions pour
définir le bon arbitrage, la bonne décision politique au plan
macro-budgétaire et macro-économique ?
A partir de ce noeud, au moins dans le système d'information qui a bien
eu lieu au mois de juillet 1999, peut-il nous faire part de ses
réflexions ?
Ensuite, nous avons observé dans le déroulement du temps,
d'après l'intervention de Christian Sautter, que rien ne semble
s'être produit au moins dans le système décisionnel entre
juillet et novembre, entre ce comité d'arbitrage de juillet et la date
du 24 novembre 1999, date de présentation du collectif
budgétaire. A ce moment-là en effet, un certain recalage a
été fait -ce point nous a été confirmé- sur
la base de la situation mensuelle de septembre dont le résultat
cumulé en termes de recettes fiscales faisait apparaître une
hausse de 9,3 % par rapport à la période de l'année
précédente.
A ce stade, ma question est la suivante. Dans l'intervalle entre juillet et
novembre, des situations mensuelles sont tombées, les unes après
les autres. Est-ce que le ministre, son directeur de cabinet, ses proches
collaborateurs reçoivent, avec ces situations mensuelles, des
commentaires ? Est-ce que c'est la situation brute ? Est-ce que cette
situation est assortie d'éléments d'analyse comptable et surtout
d'analyse économique ? Comment cette information est-elle traitée
de manière à être vraiment utilisée de façon
efficace par le décideur politique ?
En troisième lieu, j'ai une question qui est issue des
considérations du rapport de MM Bonnet et Nasse, qui date d'un certain
temps déjà puisque c'est un rapport de 1997, que vous avez
reçu à votre prise de fonction. Il y était question -et
là encore, je parle de système d'information- d'une liste des
dépenses et économies supplémentaires établie
régulièrement par la direction du budget, en tout cas en cours de
gestion. Comment cela fonctionne-t-il effectivement dans le suivi de
l'exécution de la loi de finances ? Y a-t-il des rendez-vous pour
traiter les préconisations de cette note ? Y a-t-il une certaine
formalisation ? Est-ce qu'il y a des documents sur lesquels, pour la
période que nous examinons, notre commission serait susceptible de
s'appuyer ?
Enfin, Monsieur le Ministre, s'agissant des fins d'exercice et des
décisions d'imputation qu'il faut nécessairement prendre au
niveau de l'Etat, comme au niveau des collectivités locales, comme au
niveau de toute entreprise, il y a toujours une période délicate
où l'on doit prendre la décision de ce qui est imputé sur
l'exercice qui se termine ou de ce qui sera différé à
l'exercice qui va s'ouvrir. Nous le comprenons fort bien ! Cela est
inévitable et il en va ainsi dans toute gestion. Mais est-ce qu'il y a,
en ce qui concerne les finances de l'Etat, une certaine formalisation de cette
approche ? Est-ce que des préconisations sont faites par la
direction de la comptabilité publique, par la direction du budget, par
la direction générale des impôts ou par d'autres services
de l'administration le cas échéant ? Est-ce qu'il y a des
préconisations ? Est-ce qu'il y a des arbitrages ? Est-ce que l'on
confronte ces préconisations ? Est-ce qu'il y a des comptes
rendus ? En d'autres termes, est-ce qu'il y a des procédures
régulières, récurrentes qui puissent nous servir de guide
pour la connaissance de ce sujet ?
M. le Président
- La parole est à Monsieur le
Ministre.
M. Dominique STRAUSS-KAHN
-
Monsieur le Président,
Monsieur le Rapporteur général, Mesdames, Messieurs les
sénateurs, je vais essayer de répondre aussi
précisément que possible à ces interrogations.
La première se centre sur une décision, chaque année
très lourde de conséquences, celle du comité d'arbitrage
de juillet qui, en effet, est amenée à définir les bases
de la loi de finances pour l'année suivante avec une information sur
l'année en cours qui ne vaut que pour les cinq premiers mois
grosso
modo
puisqu'au début juillet nous avons l'information jusqu'à
fin mai. C'est très important parce que cela définit l'effet de
base des recettes fiscales de l'année à venir et une erreur sur
l'effet de base peut avoir beaucoup de conséquences.
Votre question, Monsieur le Rapporteur général, porte sur le
point de savoir si à ce moment j'ai eu le sentiment que je disposais
suffisamment d'informations d'analyse économique sur la situation. C'est
bien le problème de l'année 1999, même si cette question
vaut sans doute aussi pour mes prédécesseurs puisque vous vous
situez sur dix ans.
L'année 1999 est à ma connaissance la plus chahutée de la
décennie et sans doute davantage en termes de profil
macro-économique. Rappelez-vous ! A la fin de l'année 1998,
le Gouvernement ayant prévu 2,7 % de croissance pour 1999, peu nombreux
étaient ceux qui y croyaient. Je ne leur jette pas la pierre car
beaucoup d'indications de ce moment-là semblaient montrer que nous
allions, au contraire, entrer dans une période de croissance faible.
Je relisais de bons auteurs, dont le rapporteur général qui,
lui-même, dans son rapport lors de l'examen de la loi de finances 1999,
page 84, évoquait, comme d'autres d'ailleurs, que le Gouvernement avait
sans doute surestimé la croissance.
Je crois même l'avoir noté. En effet, vous disiez : "Vos
prévisions de recettes n'ont aucune chance de se réaliser. Vous
avez pris un risque inconsidéré". Mais c'est la qualité de
nos débats qui permet justement d'essayer de sortir la justice !
Bref, tout le monde donc avait plutôt tendance à considérer
que l'on n'y arriverait pas. Pour ma part, je n'en tire pas de gloire
particulière et cela aurait pu être exactement l'inverse :
tout le monde aurait pu avoir raison et moi tort. Il se trouve, vous vous en
souvenez sans doute aussi, que j'étais probablement un des rares et en
tous cas un des seuls au niveau des responsables politiques à
prétendre que, même si on ne peut pas trop savoir à 0,1 %
près, la croissance de 1999 serait bien celle que nous avions inscrite
dans les chiffres.
Mais il est vrai que le début de l'année ne m'a pas donné
raison. Au début de l'année, nous étions sur un rythme de
croissance de l'ordre de 2 %, ce qui d'ailleurs était conforme à
ce que le Directeur Général de l'INSEE était venu me dire
vers le mois de décembre, en me tenant à peu près ce
propos : "Monsieur le Ministre, vous ne pouvez pas tenir. Sur votre
prévision de 2,7 nous allons faire 2 % de croissance en 1999. M. le
Directeur de l'INSEE est à mon avis un des meilleurs économistes
de ce pays et il m'avait dit cela sur la base d'informations dont il disposait.
Je ne l'ai pas cru !
Je ne l'ai pas cru, non pas par volontarisme, Monsieur le Rapporteur
général, mais parce que l'analyse économique n'est pas une
science à ce point exacte que chacun ne puisse se prévaloir de sa
propre expérience. Pour un ensemble de raisons dans lesquelles je peux
rentrer mais qui vous lasseraient, j'avais le sentiment que nous aurions en
1999 une bonne année, à 0,1 ou 0,2 % près. Je ne l'ai pas
cru mais je l'ai quand même un peu cru ... Et donc au mois de mars, j'ai
été amené à réviser notre prévision
de croissance un peu à la baisse. Vous vous rappelez, j'ai dit 2,3-2,5
C'était une fourchette ! Il faut dire que la pression des services
était forte ! Je citais le directeur de l'INSEE tout à
l'heure mais c'est vrai aussi pour la direction de la prévision et pour
d'autres encore. Cette pression était telle qu'au bout d'un moment on
finit par se dire que l'on doit quand même avoir tort à être
seul à prétendre des choses de ce genre.
J'avais le sentiment néanmoins qu'on serait bien au-dessus de 2 % et je
disais 2,3-2,5. C'est là que j'ai lancé l'idée qu'en fait
l'on sortirait assez vite du creux du premier semestre -« un trou
d'air », expression qui a fait fortune- et plus vite que ne me le
disaient mes services, qu'il s'agisse de la Prévision ou qu'il s'agisse
de l'INSEE.
En effet, on en est sorti mais, pour autant, dans les budgets
économiques qui ont été travaillés pendant les
premiers mois de l'hiver 1999 on était toujours sur une prévision
de 2 %. C'est donc en péchant par optimisme sur la croissance et donc
sur les recettes qu'en mars je dis 2,3-2,5.
Finalement on sort « du trou d'air » assez rapidement,
comme je « l'anticipais ». Mettons cela sur la chance et
pas sur la science, ce qui est très différent. Non seulement on
sort du trou d'air plus vite que prévu, mais on s'apercevra dans les
derniers mois de l'année, qu'on est sur une accélération
que je n'avais pas anticipée, je dois le reconnaître : les
derniers mois de l'année font apparaître des taux de croissance de
l'ordre de 4 %. Cela fait qu'au total, on finira par retrouver -c'est un hasard
arithmétique- le 2,7 qui avait été prévu. Le
chiffre aurait pu être un peu en dessous ou un peu en dessus.
Bien sûr, la réponse à votre question est oui. Bien
sûr que début juillet, quand il s'agit de préparer la loi
de finances pour 2000, l'incertitude économique est grande. Je parlerai
de l'incertitude fiscale après. Les opérations de
prévisions lourdes menées par l'appareil de l'Etat sont faites de
loin en loin et la dernière est toujours à 2 %. On voit bien
qu'à ce moment-là on n'est plus à 2 %, au travers des
indicateurs dont on peut disposer, etc. De là à prévoir
que l'on va accélérer suffisamment pour finir l'année
à 4 %, il y a une marge que pour ma part, je n'ai pas voulu franchir.
J'étais moins extrême que la plupart des économistes et des
conjoncturistes quand ils voyaient une baisse dramatique et j'étais
moins extrême que ne l'a été la réalité quand
on constate quels ont été finalement les chiffres en fin
d'année.
L'outil dont on dispose n'est pas mal adapté. La direction de la
prévision, l'INSEE, chacun pour ce qui les concerne, font leur travail.
Le consensus des économistes de place -que je réunissais en
général comme mes prédécesseurs et qui comprend des
économistes d'entreprises, l'association des universitaires entre
autres- finit par essayer de sortir une sorte de moyenne qui vaut ce qu'elle
vaut, comme toutes les moyennes. On l'appelle « le
consensus » alors qu'en réalité il n'y a pas de
consensus puisque chacun est sur des chiffres un peu différents. C'est
plus une moyenne des consensus ! Mais quand même la discussion fait
un peu converger les opinions et c'est sur ce consensus que l'on se base.
De la croissance aux recettes, il y a encore un pas dans l'incertitude car
l'élasticité des recettes fiscales à la croissance n'est
pas de 1. Non seulement elle n'est pas de 1 mais elle est même
fluctuante. Lorsque vous avez une année donnée une croissance qui
est de 1 % supérieure à ce qui était prévu, cela ne
veut pas dire que vos recettes vont progresser de la même manière,
pour des raisons très évidentes et pour d'autres qui le sont
moins.
Parmi les raisons très évidentes, c'est qu'il y a des recettes
qui sont indexées sur l'année passée. Celles-là de
toute façon ne dépendent pas de ce qui se passe aujourd'hui. A
l'inverse, il y a des recettes qui sont directement indexées sur
l'année en cours, la TVA par exemple. Mais selon la composition de la
croissance en termes de consommation, d'investissement, d'export, les
conséquences sur la TVA elle-même sont variables. Au total, le
passage d'une estimation de croissance, aussi hasardeuse soit-elle, à
une estimation de recettes est encore plus difficile à faire. Si bien
que cette année 1999, qui a quand même été
particulièrement chahutée en termes de rythme de croissance, ne
pouvait pas ne pas l'être en termes de prévision de recettes.
Vous rappeliez, Monsieur le Rapporteur général, les chiffres tout
à l'heure et je les avais moi-même notés parce qu'ils sont
extrêmement frappants. Lorsque nous sommes à la réunion de
juillet avec les informations à fin mai sur les cinq premiers mois, la
croissance constatée des recettes est de 7 ! Vous avez dit 7,2 et
moi j'avais 7,6. Peut-être ai-je mal recopié mais peu
importe !
M. Philippe MARINI, Rapporteur général
-
J'avais
dit 7,4. !
M. Dominique STRAUSS-KAHN
-
Cela n'a pas beaucoup
d'importance. ! La croissance constatée des recettes est alors de 7
-j'ai noté 7,6- alors que la prévision sur le cheminement annuel
était de 5,7 mais on voit que l'on est en dessous de ce que l'on avait
prévu en matière de TVA, ce qui est normal puisque la croissance
du premier semestre a été plus faible. On est en dessous à
ce moment-là en matière d'impôt sur le revenu -après
cela changera- et on est formidablement au-dessus en terme d'IS,
c'est-à-dire 45 % au-dessus de la prévision. En effet,
l'année 1998 a été encore plus formidable pour les
bénéfices des entreprises que l'on ne l'a anticipé quand
on a préparé le budget 1999.
Un problème de fond nous a d'ailleurs opposé dans des joutes que
nous avons l'occasion d'avoir les uns les autres : c'est de savoir si on
peut linéariser. Peut-on dire que puisque sur cinq mois l'augmentation a
été de 45 %, cela fera sur l'année
12/5
ème
de 45 %, soit 110 % d'augmentation ? Je le dis
de façon un peu caricaturale. Mais selon que l'on peut plus ou moins
extrapoler, évidemment on tire des conséquences sur la fin de
l'année ou on n'en tire pas.
En matière d'IS, il est très compliqué d'extrapoler,
disent les spécialistes. Sans doute Christian Sautter s'est-il
étendu sur ce point et je ne veux pas vous lasser. Simplement, les
entreprises ont la possibilité de réviser leur dernier acompte et
par conséquent, selon leur propre anticipation de l'impôt sur les
sociétés qu'elles vont payer l'année suivante, si elles
pensent que finalement l'année suivante elles n'en auront pas trop
à payer et qu'elles en trop cette année, elles peuvent en
reporter une partie. La conséquence de tout cela, c'est que la
prévision sur l'IS est sans doute la prévision la plus difficile,
disent les fonctionnaires de la direction des impôts.
Qu'a-t-il été dit à l'époque ? « La
rentrée de l'IS est formidable mais rien ne dit qu'il en ira ainsi
jusqu'à la fin de l'année ... » Certains
défendaient l'idée que dans le dernier acompte de l'IS, celui de
décembre, les entreprises, plutôt que de se saigner pour payer
l'impôt en 1999 sur des bénéfices 1998 si importants, comme
sans doute elles auraient fait des bénéfices 1999 moins
importants, reporteront une partie de l'impôt à payer sur 2000.
Vous vous rappelez qu'à ce moment-là l'hypothèse de
croissance n'était pas trop forte ! Dans ces conditions,
pensait-on, la rentrée de fin 1999 ne serait pas en ligne avec ce que
l'on a connu en début d'année et donc une simple extrapolation
n'apparaissait pas possible.
La révision qui est faite est une révision des recettes de 13
milliards -on est alors en juillet- alors que le constat que nous avons est de
10,8. On est prudent, c'est le moins que l'on puisse dire, et ce principalement
parce que l'évolution des autres impôts a tendance à se
compenser : un peu plus de TIPP, un peu moins de TVA, un peu moins d'IR
... Mais on sait bien prévoir pour l'IR et, nous dit-on, la faiblesse de
rentrée d'IR sera compensée par les mois qui suivent. L'ensemble
s'équilibre donc à peu près ! Puis il y a la grande
incertitude de l'impôt sur les sociétés ! Il faut donc
réévaluer mais « sans doute pas trop » avec
toujours cette idée, que je crois raisonnable : quitte à se
tromper, il vaut mieux se tromper dans ce sens-là que dans l'autre. En
effet, dans une incertitude de cette nature, il faut certes
réévaluer -et on avait les éléments pour dire qu'il
fallait réévaluer- mais il ne faut pas
«
over-shooter »
, comme disent les Anglo-Saxons, car
on se mettrait dans une situation plus difficile encore.
Je termine ainsi ma réponse à votre première question,
malheureusement en ne faisant pas beaucoup progresser le débat. Il est
clair que si nous avions eu des instruments de prévision
économique nous permettant de penser que la fin de l'année se
passerait sur un rythme de croissance de 4 %, nous aurions sans doute eu une
appréciation différente de 2000 et peut-être pas tellement
de 1999, année qui finalement finit bien à 2,7. Le collectif que
le Gouvernement se prépare à faire discuter aurait
peut-être été moins nécessaire car dans
l'appréciation de l'année 2000 on aurait pu tenir compte du fait
que l'année 1999 paraissait finalement en fin d'année beaucoup
plus dynamique qu'on ne le pensait.
Est-ce que ces instruments existent ? Je ne le crois pas trop ! Ou
plutôt je crois qu'ils sont peu scientifiques et qu'ils relèvent
de la connaissance que chacun a de l'économie française. Je crois
qu'il n'est pas mauvais que le ministre de l'économie qui est en charge
de cette responsabilité au nom de la collectivité nationale
prenne ses risques en donnant sa propre appréciation de ce qu'il croit
être l'évolution de l'économie. Je l'ai fait fin
1998 ! Je m'en réjouis puisque finalement la réalité
s'est plutôt conformée à ce que je prévoyais. Mais
j'aurais pu me tromper et il aurait été légitime à
ce moment-là de me le reprocher.
Je ne pense pas que nous puissions avoir des ministres qui n'aient d'autres
fonctions que de répéter en public ce que les services leur
écrivent sur les papiers.
J'en viens à votre deuxième question. Il ne s'est rien produit
entre juillet et novembre. Dans l'intervalle, il est vrai que les situations
mensuelles tombent régulièrement et d'ailleurs elles sont
formidablement proches et similaires d'allure pendant l'année. On voit
bien que la seule chose qui décroche, c'est l'impôt sur les
sociétés et cela régulièrement.
Est-ce qu'il y a des commentaires ? Oui, des commentaires sont faits par les
services qui produisent ces situations mensuelles. Ils expliquent et commentent
les graphiques qui sont fournis, graphiques assez explicites. On voit bien donc
que l'impôt sur les sociétés commence à
décrocher et continue à décrocher progressivement.
Cela dit, avec le recul, il faut voir -et c'est sans doute l'exercice le plus
difficile à faire aujourd'hui, bien que cela ne soit pas tellement
lointain- que même en septembre 1999 nous sommes sur une prévision
de croissance de 2,3 %. On n'est plus sur le 2 % ! J'avais
annoncé une fourchette de 2,3-2,5. En septembre, on se dit le 2,3 est
acquis. On fera peut-être mieux mais le 2,3 est acquis. C'est tellement
vrai que, dans la notification que la France doit faire à Bruxelles en
septembre, nous notifions 2,3. On se dit bien qu'on ne sera pas en dessous. On
est loin de penser que les mois qui sont devant vont permettre de rattraper
à ce point et on passera finalement à 2,7 en moyenne.
Il est vrai que la période de juillet à novembre ne donne pas
lieu à une excitation intellectuelle particulière mais ce n'est
que vers fin octobre, novembre et décembre que l'on s'aperçoit
avec les statistiques qui tombent que la fin de l'année est si brillante.
Il y a un autre élément sur lequel sans doute Christian Sautter a
insisté. La tradition -qu'il faut peut-être changer d'ailleurs-
est que le chiffre qui est inscrit dans les « Voies et
moyens » de la loi de finances initiale est arrêté par
cette réunion d'arbitrage de début juillet, chaque année,
et il n'est jamais changé. Il n'y a pas d'exemple ! Faut-il changer
la pratique ? Peut-être.
Rappelez-vous, le fameux 2,7 de croissance de 1999 avait été
prévu à l'origine à 2,8 et c'est pendant
l'été, fin août 1998, avant que le texte ne soit
déposé à l'Assemblée Nationale, que je
ramène ce 2,8 à 2,7, sur une appréciation. Mais sans pour
autant changer les recettes fiscales parce que, me dit-on et je crois que c'est
effectivement légitime, faute de quoi on pourrait alors les
réajuster toutes les cinq minutes pendant toute la procédure
budgétaire. Plus personne n'y comprendrait rien.
Est-ce que l'on doit essayer de retarder la date à laquelle on
gèle les recettes fiscales de l'année N+1 ? .
Peut-être ! Evidemment plus c'est tard, mieux on est informé,
mais les délais en partant de la fin de dépôt des textes
-devant le Conseil d'Etat, entre autres- rendent l'opération
extrêmement délicate. Le premier Gouvernement de Lionel Jospin a
essayé de faire en sorte qu'on raccourcisse d'un mois la
préparation des dépenses.
Traditionnellement les lettres-plafond partaient plutôt fin juillet et
certaines années elles étaient même parties début
août. On a essayé de faire en sorte de gagner un mois. Mais pour
les recettes, on a évidemment tendance à attendre le plus tard
possible pour avoir de l'information ! Mais « le plus tard
possible » ce n'est pas si tard de toute façon, à cause
des délais légaux : le 2 octobre, démarrage à
l'Assemblée Nationale, au Conseil des Ministres, deux semaines avant, au
Conseil d'Etat trois semaines avant s'il n'y a pas d'ennui .... En remontant
ainsi dans le temps, on arrive assez rapidement à début
août. Nos amis et parfois collègues du Conseil d'Etat
siégeant rarement la première quinzaine d'août, et en tout
cas pas pour la loi de finances, les délais sont très contraints.
On peut essayer de gagner quinze jours mais cela ne changera pas
fondamentalement l'information dont on peut disposer.
Vous avez évoqué le rapport Bonnet et Nasse ! La direction
du budget propose tous les jours des listes d'économies
supplémentaires à faire. Fort heureusement, le ministre ne les
voit pas arriver tous les jours et les filtres successifs lui évitent
qu'elles viennent encombrer son bureau. Mais c'est la fonction de la direction
du budget et c'est même un peu aussi sa constitution. Heureusement
d'ailleurs ! Si j'avais eu un directeur du budget ou des sous-directeurs
qui me proposent des dépenses plutôt que des économies,
j'aurais pu leur dire que j'avais pas besoin d'eux pour cela ! Je n'aurais
pas été jusqu'à dire que pour cela, j'ai les
parlementaires ...
(Sourires.)
La fonction du directeur du budget et de ses services, c'est de proposer des
économies. Comme de toute façon, en cours d'année on
dérape toujours un peu, on rattrape comme on peut. Dans certains
gouvernements on a mis en place des gels ou on a essayé de mettre en
place un système un peu plus sophistiqué que le gel avec les
contrats de gestion. De toute façon, la tendance est toujours
plutôt à déraper. Il y a toujours en dépenses des
imprévus qui n'ont pas été budgétés, vous le
savez parfaitement. En tout cas, des listes d'économies, il en vient
tout le temps.
Votre question était plus précise : "Est-ce qu'il y a une
formalisation ?" A ma connaissance, non. Mais je vais répondre plus
précisément : en tant que ministre de l'économies et
des finances, je n'ai pas assisté à des réunions formelles
sur des listes d'économies sauf pour la préparation du Budget
N+1. En revanche, au niveau du cabinet, sans doute ! Des informations ont
été données, quand on a mis en place les contrats de
gestion pour justement essayer de contraindre un peu la dépense. J'ai vu
globalement comment cela se répartissait entre les ministères,
quels étaient les postes touchés etc. Mais je ne sais pas si se
sont tenues des réunions aussi formelles que celles des réunions
d'arbitrage dont on parlait tout à l'heure.
La fin d'exercice est très compliquée. Vous vous en doutez bien
et vous le voyez d'ailleurs parce que l'information tombe vraiment en toute fin
d'année. S'agissant justement des informations sur l'impôt sur les
sociétés, c'est vers le 20 décembre 1999 qu'il est apparu
que les rentrées étaient encore supérieures à ce
que l'on croyait. Telle ou telle grosse entreprise signalait qu'elle allait
faire un chèque de je ne sais combien de milliards alors qu'on ne
l'attendait pas. Je vois sur vos lèvres se former le nom de l'entreprise.
Mais ce sont là vraiment les tous derniers jours. Je ne sais pas le
détail de la fin 1999 puisqu'il ne vous a pas échappé que
j'y ai modérément participé, mais je sais comment cela
s'est passé pour les années précédentes :
c'est dans les tous derniers jours que les décisions doivent être
prises. Du coup, soyons clair, elles ne sont pas prises selon un formalisme
aussi appuyé que d'autres décisions, tout simplement parce qu'il
faut dans l'urgence décider d'affectations, notamment de la perception
ou non de recettes non fiscales. L'opération se passe dans une dizaine
de jours que généralement on consacre plus volontiers à la
trêve des confiseurs !
C'est un exercice qui est inévitablement très difficile.
Evidemment, la journée complémentaire facilite cette
procédure. Je n'aurai pas l'outrecuidance de donner des conseils
à votre commission mais si je suis interrogé c'est un peu aussi
pour donner mon avis : il me semble qu'il y a là une
réflexion à conduire. Comment peut-on faire pour
l'arrêté des comptes en quelque sorte ?
Ce n'est pas l'arrêté des comptes qui est compliqué !
Il existe dans toutes les structures ! Mais cela se passe à un
moment où les recettes fiscales remontent formidablement en fin
d'année et où le déficit que l'on voit se creuser pendant
toute l'année rebaisse dans les tous derniers jours.
L'appréciation de ce mouvement de fin de course est très
délicate et donne donc lieu à des décisions qui,
inévitablement, sont prises très rapidement.
Pardonnez-moi, Monsieur le Président, d'avoir été long.
M. le Président
- Je vous remercie, Monsieur le Ministre.
Je vais donner la parole à nos collègues et je vous invite
à répondre aux différentes questions globalement, selon la
tradition.
La parole est à M.François Trucy.
M. François TRUCY
- Monsieur le Ministre, je formulerai
deux questions et une réflexion.
Ma première question porte sur l'exercice du pouvoir à Bercy.
Vous êtes un homme qui nous a toujours habitués à ne pas
manier la langue de bois. Nous savons qu'il y a ministre et ministre, avec des
poids spécifiques différents. Le ministre rencontre-t-il des
difficultés auprès de ses collaborateurs de haut niveau à
connaître les vrais chiffres et toutes les informations dont il a besoin,
sincères, complètes, véritables. En langage clair,
parvient-il à se faire obéir quand, à un moment
donné, il peut rentrer sinon en conflit ou du moins en discordance de
vue avec ses proches collaborateurs ?
Le ministre des finances dit en général que ses hauts
fonctionnaires sont d'une extrême prudence et que c'est leur rôle.
Mais peut-être sont-ils ainsi conduits à faire des
réticences, des réserves ou des censures. Est-ce que
lui-même, le Ministre de Bercy, quand il se trouve face aux ministres
dépensiers et à Matignon, n'ajoute t-il pas ses propres censures
pour avoir une marge et pour pouvoir faire face à tous les
imprévus de l'année ?
Ma deuxième question a un intérêt plus pragmatique pour
nous, parlementaires. Que pensez-vous des moyens que l'on peut utiliser pour
améliorer la lisibilité des documents budgétaires pour une
meilleure information des parlementaires ? Que pensez-vous de la
discussion budgétaire elle-même dont certains d'entre nous pensent
que son rituel est lourd, stérile et souvent vide de sens.
Enfin, nous avons bien compris qu'il peut y avoir des surprises
désagréables et des gels. Nous, nous avons tendance à
penser avec le président Blin que les gels tombent toujours sur le titre
V du budget de la défense, ce qui a des effets extrêmement pervers
à la fois sur les industriels et sur l'équipement de nos
armées.
M. le Président
- La parole est à M. Maurice Blin.
M. Maurice BLIN
-
Monsieur le Ministre, je sortirai à
dessein de l'analyse tout à fait intéressante que vous avez
conduite des aléas de l'année 1999 pour m'en tenir, comme mon
collègue François Trucy, à une question d'ordre plus
général.
Je reviens avec lui sur les défauts manifestes, dont nous souffrons
tous, des conditions du débat du budget en fin d'année. C'est
trop long, c'est ennuyeux ; bref, tout a été dit
là-dessus. Dans le cadre européen, y a-t-il des exemples de
budget mieux conduit ? Pourquoi et comment ?
Je n'ai pas le sentiment que la Grande-Bretagne soit un pays qui ne
maîtrise pas moins bien que nous ses dépenses et ses recettes mais
je crois savoir qu'elle gère tout cela d'une manière radicalement
différente. J'exclus l'exemple américain car nous sommes, pour
des raisons multiples, tout à fait étrangers à cette
coutume qui veut que le budget soit élaboré en liaison
étroite avec le Congrès.
J'accepte tout à fait que l'exécutif dans notre pays ait un
pouvoir qui soit le sien, une capacité de réserve et de
discrétion sinon de secret, ce que je peux comprendre. Mais ne pensez
vous pas tout de même, de votre point de vue de ministre responsable de
ce budget pendant quelques années, que l'on pourrait modifier
très sérieusement le mode de la discussion budgétaire dans
notre pays ?
Nous sommes demandeurs ! Nous risquons de ne pas faire de bonnes
propositions car nous sommes en quelque sorte sans yeux, parce que nous
manquons tragiquement d'informations. Pouvons-nous en avoir ? A quel
prix ? Dans quelles conditions ? La question est posée. Nous sommes
également sans bras parce que nous n'avons que le choix ou de tout
rejeter ou de rejeter budget par budget, ce qui à chaque fois fait
mauvais effet chez tout le monde et surtout nous sommes liés par les
services votés.
Mais si nous avions la liberté de remettre en cause les services
votés, est-ce que cela ne supposerait pas que nous ayons une bien
meilleure connaissance du budget et donc une participation en amont du
débat budgétaire ? Cela n'est manifestement pas le cas. Ce cas
peut-il être tranché ? A l'heure où je vous parle, je
n'en suis pas certain mais vos lumières nous seraient vraiment
précieuses.
M. le Président
- La parole est à .M. Jean-Philippe
Lachenaud.
M. Jean-Philippe LACHENAUD
-
Je souhaite vous poser deux
questions, Monsieur le Ministre, sur les marges de manoeuvre du ministre et sur
les arbitrages politiques puisque vous avez affirmé l'autonomie par
rapport aux services. Je constate à cet égard que les auditions
donnent des résultats différents.
Est-ce que dans les arbitrages sur les recettes, vous n'avez pas volontairement
sur l'année 1999 minimisé les prévisions de recettes pour
mieux maîtriser les dépenses, limiter le déficit et
éviter la surenchère de propositions de dépenses ? Est-ce
que cette considération n'a pas pesé en fait plus lourd
peut-être que les incertitudes statistiques et prévisionnelles sur
lesquelles l'accent a été mis ?
Concernant l'autonomie et les marges de manoeuvre en matière de gestion
de la dette, est-ce qu'au long des années successives de votre gestion,
vous avez eu le sentiment qu'entre le Budget et le Trésor, face à
des propositions de gestion de la dette, le ministre de l'économie et
des finances avait des marges de manoeuvre et des possibilités d'actions
importantes ?
M. le Président
- La parole est à M. Joël
Bourdin.
M. Joël BOURDIN
- Je ne sais plus qui a dit que le
génie c'était un bon système d'information. Les ministres
des finances sont donc toujours des génies. Nous, parlementaires, nous
avons le sentiment, Monsieur le Ministre, et vous avez dû d'ailleurs
l'éprouver aussi dans le passé et vous l'éprouverez
peut-être dans l'avenir, que l'information dont nous disposons est toute
triée. Généralement elle vient des organismes qui passent
par l'administration des finances et il nous arrive de rester sur notre faim,
en tout cas de prendre les informations qu'on nous fournit comme des
données.
Ne pensez-vous pas qu'il y a des améliorations à apporter dans ce
domaine, notamment en fournissant d'autres moyens d'accès à
l'information au Parlement ?
M. le Président
- A mon tour, Monsieur le Ministre, je
souhaite vous poser deux questions.
Première question, est-ce que dans l'interprétation des
données, les années 1992-1993 ont laissé, avec ce
retournement conjoncturel, des traces dans le comportement de ceux qui ont la
charge d'interpréter les données ? Nous savons tous que la
prévision est par nature aléatoire.
Deuxième question, si nous croyons à l'exigence
démocratique du vote du budget par le Parlement, est-ce que vous pensez
que l'on peut améliorer la circulation de l'information entre le
ministère des finances, comme Monsieur Bourdin en faisait état
tout à l'heure, et les commissions de finances ? Je n'oublie que
vous avez été aussi Président de la commission des
finances à l'Assemblée Nationale !
M. Dominique STRAUSS-KAHN
-
Monsieur Trucy, sur l'exercice du
pouvoir à Bercy, chacun ne peut se bercer que de ses propres
illusions ! C'est la réponse que je peux vous donner et elle ne
reflète certainement en rien la réalité ... C'est
simplement la façon suggestive dont, moi, je l'ai vécue, ce qui
est pour vous une information d'une importance relative.
Si je devais vous répondre sur la base de cette suggestivité, je
vous dirais « Oui, le Ministre des Finances se fait
obéir ! » Vous allez trouver sans doute que je suis
naïf mais je n'ai pas eu le sentiment, à aucun moment, non pas que
des fonctionnaires ne se trompaient pas -évidemment, ils peuvent se
tromper et nous aussi- mais qu'il y avait de la résistance
organisée quelque part.
Le seul problème de ce point de vue, ce sont les fuites. Mais là
aussi, la législation pourrait évoluer, encore qu'il ne s'agisse
pas tellement d'un problème de droit. Si chacun reconnaît qu'il
est légitime qu'à un moment donné d'une procédure,
quelle que soit l'exigence démocratique, des documents restent à
l'intérieur du ministère, alors le problème des fuites est
un vrai problème. Comment le résoudre ? A vrai dire, je n'en sais
trop rien.
En dehors de cela, je n'ai pas eu de séance d'angoisse sur la
façon dont je me faisais obéir. J'ai cru comprendre que certains
de mes prédécesseurs qui pourraient se trouver d'ailleurs
aujourd'hui être mes successeurs, avaient écrit des livres
où ils expliquaient qu'ils avaient eu le sentiment parfois qu'ils
avaient eu du mal à recueillir les informations. Moi, je n'ai pas eu ce
sentiment-là ! Sans doute est-ce plus le reflet de ma
naïveté que de mon pouvoir réel.
Un autre débat est connexe au précédent : faut-il
croire ce qu'on vous dit ? Ce n'est pas tout à fait la même
chose. Revenant sur les propos du sénateur Lachenaud, je crois qu'il
appartient au ministre certes de croire la bonne foi de ses fonctionnaires
quand ils lui fournissent des chiffres mais aussi d'apporter son propre
jugement. C'est surtout vrai pour l'économie et c'est effectivement
moins vrai pour les recettes fiscales, sujet très technique. Comment
ira-t-il expliquer, étant lui-même moins technicien, qu'il faut
procéder à tels et tels calculs en utilisant des modèles
très sophistiqués ! Bien malin celui qui pourrait en
être capable !
En revanche, je crois que l'autonomie du ministre de l'économie et des
finances sur l'appréciation de l'économie et de son
évolution doit être assez grande. Cela ne veut pas dire qu'il ne
puisse pas finalement dire la même chose que ses services car il n'est
pas obligé de vouloir se distinguer. Mais il doit être capable
d'avoir son appréciation personnelle ! D'ailleurs, est-il
taquin de faire remarquer que si certains avaient un peu moins cru des
notes sorties du Budget, l'histoire politique de notre pays aurait
été, ces dernières années, un peu
différente ? Tout cela pour vous dire que relativité il y a
dans ces notes de fonctionnaires !
S'agissant de la « censure » vis à vis des ministres
dépensiers, il est difficile de vous répondre. Lorsque
l'opération se fait à tout moment en liaison avec les ministres
dépensiers, le ministre des finances exprime qu'il n'a pas d'argent.
C'est sa seule arme ! S'il ne le dit pas, tout file dans tous les sens.
Pour autant, je ne me souviens pas de ce qu'à aucun moment,
moi-même ou Christian Sautter, nous nous soyons dit en quelque
sorte : "On sait que l'on a ça mais on ne va pas le dire parce que
si on le dit ......". Qu'inconsciemment, un tel raisonnement joue et que
l'attitude soit généralement d'inciter à la prudence et
d'attendre ? Sûrement ! Je ne me souviens pas d'un moment
quelconque où on se soit dit : "On va garder cela dans un coin et
nous ne le sortirons qu'un peu plus tard parce que ...".. Non ! D'ailleurs
je vous renvoie à ce que je disais tout à l'heure sur les fuites
ou sur les situations mensuelles en ce qui concerne l'information. De toute
façon, l'information dont nous disposons est largement publique,
même si c'est avec un petit décalage.
La censure inconsciente ? Oui, sans doute mais je crois que cela fait
partie un peu de la fonction.
Concernant la lisibilité des documents budgétaires et la
discussion budgétaire un peu stérile et vide de sens, vous avez
absolument raison. Je suis tout à fait preneur sur le plan intellectuel
pour faire bouger cela. Ce n'est pas uniquement le titre V de la défense
qui souffre des gels mais, vous avez raison, c'est souvent ainsi que les choses
se passent !
Qu'est-ce que l'on peut faire ? La question est revenue chez plusieurs des
intervenants. Président de la commission des finances de
l'Assemblée Nationale, j'avais à l'époque un sentiment
très fort. Il ne serait pas bien de dire que, passé de l'autre
côté de la barrière, j'ai considéré
finalement qu'il valait mieux ne rien faire ! Certains peuvent se dire
cela. L'actuel ministre des finances, lorsqu'il était Président
de l'Assemblée nationale a lancé de grands travaux permettant
à l'Assemblée de donner son sentiment. Je ne suis pas sûr
qu'aujourd'hui il soit ravi de la façon dont il a organisé
cela !
(Sourires.)
M. Philippe MARINI, Rapporteur général
- Nous
allons d'ailleurs reprendre avec intérêt tout ce qu'il a
dit !
(Sourires.)
M. Dominique STRAUSS-KAHN -
Je m'en doute et pas seulement sur
ce sujet d'ailleurs !
Le sénateur Blin rappelait à juste titre que la France n'est pas
les Etats-Unis. Il reste que la pauvreté du débat vient de ce que
les Assemblées n'ont pas les moyens non pas de savoir ce qui se passe au
ministère des finances mais de travailler elles-mêmes.
Je me rappelle avoir été voir Lloyd Bensen qui était
Président de la commission des finances du Sénat quand
j'étais moi-même Président de la commission des finances
à l'Assemblée Nationale. Il avait 150 collaborateurs !
On n'est pas obligé d'en arriver jusque là pour les raisons que
vous évoquiez, sachant entre autres que ce n'est pas la même
procédure. Mais néanmoins il y a un vrai sujet qui est celui de
la capacité d'analyse propre ! Ce n'est pas celui de la
capacité d'investigation à Bercy, ce qui est un autre
débat. D'ailleurs, il est bien qu'il y ait deux sources qui travaillent
de façon un peu indépendante, sinon la
« consanguinité » serait simplement étendue
un peu plus largement. Ce qui est en cause, c'est la capacité d'analyse
propre, soit des deux Assemblées réunies, soit des deux
Assemblées séparément. En tout cas, il s'agit d'avoir les
moyens de faire quelque chose et donc d'avoir du monde, des économistes,
des budgétaires, des ordinateurs etc. Dans ce cas, on pourrait avoir un
vrai débat.
Je me suis laissé allé à venir avec les Jaunes sur le
budget des Assemblées parlementaires pour constater que si, certes, on
progresse allègrement, ce n'est pas dans les postes qui justement
permettent ce genre d'amélioration de la connaissance. Loin de moi
l'idée, surtout aujourd'hui, d'essayer de savoir pourquoi certains
postes progressent si vite alors que cela ne paraîtrait pas
obligatoirement très utile. Mais en tout cas on ne voit pas dans les
lignes qui permettraient d'avoir des capacités d'investigation propres
du Sénat comme de l'Assemblée Nationale se dégager
année après année les moyens nécessaires.
C'est là un vrai sujet ! Sans tomber vers le modèle
américain qui est autre chose, il vaut la peine de voir comment on peut
faire ! Il est quand même exact aujourd'hui qu'il n'y a que deux
sources d'information : Bercy au sens large, d'une part, et les organismes
privés, d'autre part. Mais l'autre « pied » de la
démocratie parlementaire est en effet totalement absent. A titre
personnel, je ne verrai strictement aucun inconvénient à ce que
cela change.
Comme l'a rappelé le sénateur Blin, cela modifierait beaucoup le
débat. ! Il serait possible d'avoir en amont des débats
techniques entre la qualité des prévisions faites par les uns et
par les autres et retrouver une logique interne propre à chacun. Le
problème sera de savoir à quel moment les gardiens de la
V
ème
République considéreront que cela porte
atteinte à la façon dont elle a été construite.
Mais rien n'est inamovible ou immuable en la matière ! C'est
pourtant bien le sujet final que vous abordez en parlant des services
votés et il faudrait aussi évoquer l'article 40 : on
touche bien ainsi au coeur de notre Constitution. C'est donc bien un
débat qui va au-delà du simple débat sur l'information. Il
porte sur les pouvoirs relatifs réels que l'on veut donner à
l'Exécutif et au Législatif. Je ne veux pas m'engager dans ce
débat mais on y vient quand même assez vite.
Monsieur Lachenaud, je ne sais pas si ma réponse a été
différente de celle de mes prédécesseurs mais je la
confirme en tout cas : je crois que le ministre doit avoir de l'autonomie
dans l'appréciation qu'il a de l'évolution économique et
moins à mesure que les sujets deviennent plus techniques. Et s'il s'agit
de savoir si la taxe "machin" va rapporter tant ou tant, là il n'a plus
d'autonomie du tout parce que de toute façon il n'y connaît rien.
Entre les deux, il y a toute la gradation de ce que lui fournissent ses
services.
Même pour les recettes, le ministre a un choix qui est clair : quand
il y a un aléa, il peut le prendre dans un sens ou dans l'autre. Quand
on lui propose une fourchette, parce que l'aléa est grand -et
c'était le cas sur l'impôt sur les sociétés pour
l'année 1999- il peut choisir la version prudente ou la version moins
prudente, selon ce qu'il ressent. Là il y a encore une marge ! Pour
notre part, nous avons clairement choisi la version prudente parce qu'il nous
paraissait difficilement concevable que ce qui s'est passé se passe,
c'est-à-dire que les rentrées de l'impôt sur les
sociétés se poursuivent à un tel niveau jusqu'à la
fin de l'année.
S'agissant de la dette, j'ai été heureusement surpris de
constater que la gestion de la dette de notre pays était en fait
extrêmement bien faite, beaucoup mieux que je ne le pensais. En discutant
avec mes collègues européens, j'ai pu constater que leur
appréciation sur notre gestion de la dette était très
laudative. La création d'une agence à l'intérieur du
Trésor ou à côté du Trésor -je n'entre pas
dans les arguties- pour permettre cette gestion de façon plus autonome
me paraît une bonne chose à condition que, là aussi, le
plus autonome ne devienne pas quelque chose d'extérieur ! Il y a un
équilibre à trouver.
Je dois dire que je suis plutôt impressionné par la qualité
des fonctionnaires et la qualité des procédures qui ont
été mises en place sur la gestion de la dette. C'est là un
thème que j'avais moi-même développé il y a une
dizaine d'années, en pensant qu'il y avait là de grands
progrès à faire et je dois reconnaître que je me suis
trompé. Il y a toujours des progrès à faire mais il y en a
beaucoup moins que je ne le pensais. Cette gestion est plutôt bien
conduite. D'ailleurs, ce sont des progrès qui ont été
réalisés d'une façon relativement récente, quatre
ou cinq ans. Aujourd'hui, je trouve que cela fonctionne plutôt bien.
Le sénateur Bourdin a parlé de l'amélioration de
l'information du Parlement et d'autres moyens d'accès à cette
information. Certes, il faut peut-être trouver des moyens pour que
l'accès du Parlement aux informations de Bercy soient meilleur et plus
précoce dans l'année. Mais pour moi, le point principal, c'est
l'information propre susceptible d'être générée par
les structures du Parlement.
Enfin, Monsieur le Président Lambert, est-ce qu'en 1992-1993 les
mécomptes prévisionnels et ensuite budgétaires ont
laissé des traces dans les comportements ?
D'abord beaucoup de gens sont changés ! Je ne parle pas seulement
des hommes politiques, ce qui va sans dire, mais même des fonctionnaires
qui ne sont plus dans la même fonction, ne serait-ce que pour des raisons
liés à la progression de leur carrière.
L'année 1992-1993 a été très difficile à
prévoir. L'anticipation de la crise ? Avec le recul on se dit qu'il
y avait peut-être des indicateurs ! Mais quand on est sur le coup,
la chose est bien difficile. Sans doute M. Charasse a des souvenirs plus
précis que moi sur ce point puisqu'il était en charge à ce
moment là. En tout cas, je puis dire qu'une telle situation conduit
à un raisonnement qui se développe plus volontiers que par le
passé en termes de fourchettes. En effet, en présence de trois
variables dont chacune est fournie sous forme de fourchette, à
l'arrivée les écarts peuvent être considérables et
vous vous retrouvez bien alors dans la situation où vous devez faire vos
choix vous-même.
Cette année 1999 laissera un souvenir, pendant un certain temps en tout
cas. En effet, nous nous sommes tous largement trompés -et je me mets
dans le lot- au moins sur le profil de l'année. Quand je disais contre
vents et marées que nous ferions la croissance prévue, je dois
à l'honnêteté de reconnaître que je ne pensais pas au
profil que l'on a eu dans l'année, c'est-à-dire un premier
semestre complètement creux et un deuxième en explosion. Je me
suis au moins trompé sur le profil et d'autres se sont encore plus
lourdement trompés sur le niveau.
Cet exemple conduit sans doute à ce que ma recommandation
formulée à demi-mot aux Assemblées, à savoir se
doter d'instruments plus sophistiqués, vaut aussi pour l'Etat. Il faut
sans doute que l'on révise nos modalités de prévision
économique. La voie est certainement ce qui se passe au sein du Conseil
de l'Euro. C'est-à-dire que nos économies européennes sont
aujourd'hui à ce point imbriquées qu'il est tout à fait
inconcevable que la France fasse pour elle-même une prévision de
croissance -3 %, par exemple- et que l'Allemagne ait sa propre estimation de la
croissance française qui influe bien évidemment sur la sienne,
qui ne serait pas 3 %. On a là des ajustements
considérables. Or la mise en commun de l'information est encore loin
d'être faite parce que chacun a évidemment sa tradition, ses
habitudes, son histoire et garde l'information pour lui-même.
La mise en commun de l'information est un moyen quand même d'avoir une
appréciation plus solide. Tous les budgets sont dépendants de la
parité avec le dollar, du cours du baril de pétrole. Pourtant, il
n'y a pas aujourd'hui deux pays parmi les pays de l'Euro qui aient la
même estimation pour faire leur budget. Honnêtement, cela n'a pas
de sens !
Nous avons donc là une amélioration possible de l'instrument.
Cela ne veut pas dire qu'il faut confier à Bruxelles le soin de faire
les prévisions, je le précise parce que je ne voudrais pas que,
par malheur, vous ayez pu comprendre cela.
(Sourires.)
Cela veut dire
mettre en place des procédures de circulation de l'information et de
convergence des choix de paramètres, les deux que j'ai
déjà évoqués, d'autres sur les taux
d'intérêt, d'autres encore. Ils doivent être les mêmes
entre les pays de l'Euro car on ne peut pas mener une politique
économique commune si la préparation des budgets se fait sur des
bases aussi dispersées. Il convient alors de dégager les moyens
supérieurs à ceux dont on dispose aujourd'hui pour que la
discussion soit mieux alimentée.
M. le Président
- Merci beaucoup, Monsieur le Ministre, de
la qualité de l'échange que vous nous avez ainsi offert.
Séance du 26 avril 2000
La séance est ouverte à 12 heures sous la présidence de M.
Alain Lambert
Audition de M. Jean ARTHUIS,
Ancien Ministre.
M. le
Président
- L'ordre du jour appelle l'audition de M. Jean
Arthuis, ancien Ministre.
Monsieur le Ministre, nous vous souhaitons la chaleureuse bienvenue au sein de
la commission des finances. Puisque vous êtes redevenu notre
collègue, il est vrai que les choses sont différentes dans nos
relations au plan personnel. Nous vous connaissons aussi au sein de cette
commission comme rapporteur général et donc nous avons plaisir
à vous accueillir à nouveau.
(M. le Président rappelle à M. Arthuis les dispositions
légales qui régissent le fonctionnement de la commission
d'enquête et lui fait prêter serment.)
M. le Président
- Monsieur le Ministre, je vais vous
donner la parole pour un propos liminaire pour une durée à votre
convenance et ensuite si vous le voulez bien, M. le Rapporteur
général et les commissaires vous poseront quelques questions,
selon une pratique que vous connaissez tellement mieux que moi.
La parole est à Monsieur le Ministre.
M. Jean ARTHUIS
-
Monsieur le Président, je veux d'abord
vous remercier pour les paroles d'accueil amicales que vous venez de prononcer.
Je viens devant votre commission pour témoigner de l'expérience
qui a été la mienne entre le mois d'août 1995 et le
début du mois de juin 1997. J'ai pris connaissance du questionnaire que
vous m'avez fait parvenir et je pense que je puis sans autre propos liminaire
répondre maintenant à vos questions.
M. le Président
- La parole à Monsieur. le
Rapporteur général.
M. Philippe MARINI, Rapporteur général
-
Notre
commission d'enquête s'efforce d'abord d'y voir clair dans le
système d'information tel qu'il existe au sein de la maison Bercy.
Lorsque nous estimerons avoir franchi suffisamment d'étapes à ce
sujet, nous nous interrogerons sur l'adéquation entre les informations
diffusées à l'extérieur vers le Parlement et les
informations qui existent ou qui existaient à un certain moment au sein
du ministère de l'économie et des finances.
Jean Arthuis a tout à la fois une grande expérience
professionnelle d'auditeur, s'agissant de disciplines auxquelles il s'est
toujours intéressé, et l'expérience de ministre de
l'économie et des finances. Quels sont à sa connaissance, les
documents, les comptes rendus, les notes régulières concernant le
processus d'élaboration de la loi de finances, plus
particulièrement du côté des recettes, et sur lesquels nous
sommes en mesure de nous appuyer pour nous interroger sur tous les sujets qui
nous soucient ?
Nous avons été bien sûr sensibilisés par l'existence
des notes de cadrage de la direction du budget, notes de début
d'année, et par l'existence des comités d'arbitrage des recettes
fiscales se tenant régulièrement en février et fin
juillet. J'aurais souhaité que le ministre nous livre
l'expérience qu'il a eu de ces procédures et qu'il puisse nous
dire dans une démarche tout à fait expérimentale et proche
des faits, quels sont les éléments d'information qu'il peut nous
livrer ?
D'autre part, j'aurais souhaité qu'il puisse nous parler des relations
entre direction du budget et direction du trésor en ce qui concerne la
budgétisation des charges financières. En effet, nous sommes en
loi de finances au coeur de mécanismes très particuliers
puisqu'à la différence d'une collectivité territoriale,
par exemple, l'Etat n'enregistre pas dans son budget annuel en fonctionnement
les intérêts, et en investissement le remboursement, puisqu'il n'y
a d'ailleurs pas de section de fonctionnement et de section d'investissement.
Il est clair que la gestion de la dette est une gestion globale et que celle-ci
se renouvelle sans cesse.
En ce qui concerne le rattachement des crédits consacrés au
paiement des intérêts et au remboursement de la dette,
rattachement à tel ou tel exercice donné, comment les choses se
passent-elles ?
En ce qui concerne le refinancement de la dette, l'appel aux marchés, la
modification des conditions de la dette en cours, y a-t-il des occasions de
confrontation des points de vue de la direction du budget, de la direction du
trésor, du cabinet du ministre ? Y a-t-il matière à
trancher sur ces sujets ? Y a-t-il des arbitrages qui sont de la
compétence du ministre ? Comment les choses se passent-elles ? Sur quels
documents peut-on s'appuyer ?
Ma troisième question concerne la gestion des fins d'exercices.
S'agissant de l'imputation des opérations de dépenses mais aussi
de recettes sur l'exercice qui se termine et sur l'exercice qui va s'ouvrir,
comment les décisions sont-elles prises ? Sont-elles prises de
manière complètement empirique ? Sont-elles prises sur la base de
procédures ? Lesquelles ? Y a-t-il des documents, des
procès-verbaux, des comptes rendus, des notes sur lesquels nous serions
susceptibles de nous appuyer pour bien comprendre ces mécanismes ?
Ma dernière question concerne les conditions dans lesquelles l'Etat
appréhende son environnement économique. Le ministre Jean Arthuis
considère-t- il que l'Etat dispose du potentiel de connaissances
nécessaires, du pluralisme nécessaire dans l'approche de la
conjoncture et de ses conséquences sur la préparation et le
déroulement des lois de finances ? Dans la mise en perspective des
conjonctures économiques française et internationale, l'Etat en
la personne du ministre de l'économie et des finances, dispose t-il
vraiment du consensus des économistes ? Dans les démarches
intellectuelles qui contribuent à élaborer le cadre des lois de
finances, n'y a-t-il pas plus de poids conféré aux avis des
économistes les plus proches de l'Etat ou travaillant dans le giron de
l'Etat ou influencés par certains modes de pensée plutôt
que par d'autres ? Est-ce que le ministre pourrait également nous
éclairer sur ce sujet ?
M. le Président
- La parole est à M. Jean Arthuis.
M. Jean ARTHUIS
- Je ferai d'abord une observation. Ce qui m'a
frappé en arrivant à Bercy et ce qui a, d'une certaine
façon, conforté les hypothèses que j'avais pu formuler en
ma qualité de rapporteur général du budget au sein de
votre commission, c'est que la sphère publique ne s'est pas
donnée des instruments de visibilité. Il m'est apparu que le
système d'information financière de l'Etat était
totalement archaïque et que le mode d'appréhension des
données budgétaires et financières était
fondé sur les décaissements et les encaissements, que le
contrôle s'exerçait
a priori
, et qu'en aucune façon
on ne se préoccupait de mesurer l'efficacité de la dépense
publique.
Ainsi, premier élément qui, à mon avis, complique
singulièrement la gestion et l'enclenchement d'éventuelles
réformes, c'est que le système reste opaque et ne permet pas la
diffusion d'informations appropriées pour des prises de décision.
Une première série de questions peut être abordée
sur le mécanisme général de préparation du budget.
Le calendrier est rigoureux et il est fondé sur un vécu qui a
fait ses preuves. Je crois que les procédures sont cohérentes. La
principale faille résulte de l'inadaptation du système
d'information.
Il y a d'abord un premier cadrage macro-économique et, disant cela, je
réponds peut-être en partie à votre quatrième
question. C'est la direction de la prévision qui est chargée en
permanence de procéder, en relation étroite avec l'institut de la
statistique, des estimations. Selon l'expérience que j'en ai, les
contacts sont multiples avec nos partenaires européens et cela se
vérifie aussi au plan international.
Il y a deux périodes fortes : d'abord une première
série de budgets économiques auxquels on procède au tout
début de l'année, en janvier-février ; puis un second
budget économique au printemps. Vous êtes vous-mêmes,
Monsieur le Président, Monsieur le Rapporteur général,
membres de la commission des comptes de la nation, qui est l'occasion de
confronter les appréciations, les estimations. C'est là que
s'opère en général le consensus des experts et il est rare
que le ministre s'écarte de ce consensus.
Je dois avouer que dans la difficile préparation du projet loi de
finances pour 1996 -nous étions à la fin du mois d'août et
je venais d'être nommé à Bercy- j'ai eu tendance à
abaisser le taux de croissance prévisionnel, parce qu'il m'apparaissait
que les chiffres que l'on me suggérait de retenir étaient trop
optimistes.
Le ministre a l'occasion de confronter ses appréciations lors de
rencontres internationales. Je pense au conseil ECOFIN, au plan européen
et également au G7. Tous ces rendez-vous sont des moments de
confrontation des prévisions et des bases macro-économiques sur
lesquelles on peut fonder les prévisions budgétaires.
S'agissant de l'estimation des recettes, vous le savez, des réunions
d'arbitrage de recettes fiscales se tiennent en début d'année,
généralement au mois de février. Une seconde
séquence se tient au mois de juillet. En tout début
d'année, tous les services qui ont en charge le recouvrement -direction
générale des impôts, comptabilité publique,
direction générale des douanes et des droits indirects-
conduisent dans la première phase une réflexion prospective pour
tenter d'évaluer les assiettes. Dans la seconde période,
c'est-à-dire en juin-juillet, on valide ces évaluations
d'assiettes et on s'interroge sur les taux à appliquer et les produits
qui peuvent en résulter. La direction de la prévision y est
associée au même titre que la direction du Trésor et la
direction du Budget. Ces démarches, essentiellement techniques,
permettent au ministre de disposer d'estimations fiables. Se pose à
chaque fois la question d'évaluer le rendement d'éventuelles
mesures nouvelles et, là encore, c'est sur la base des indications que
produisent les services chargés du recouvrement, en relation
étroite avec le service de la législation fiscale, que l'on peut
procéder à une estimation de ces recettes. Il y a donc en
matière d'évaluation des recettes une base sur laquelle on peut
prendre appui.
Cela étant, le rendement peut-être perturbé par les
aléas économiques. Dans l'estimation de ces recettes, il faut
toujours tenir compte des mécanismes de remboursement, des
mécanismes de dégrèvement, et c'est là qu'il peut y
avoir quelques décalages dans le temps. Dans les périodes de
recettes abondantes liées à la croissance, les services peuvent
être tentés d'accélérer le processus de
remboursement. Dans les périodes de bouclage plus difficiles parce que
la conjoncture n'apporte pas les ressources attendues, il peut être
tentant de prendre un peu plus de temps dans les reversements. De ce point de
vue, la période qui doit être la plus courte possible pour
éviter de céder à des tentations, c'est ce que l'on
appelle « la journée complémentaire ». Je
dois dire que je me suis efforcé de raccourcir cette période. Le
bouclage de l'année 1995 s'est fait à la mi-février et
nous sommes parvenus à boucler 1996 dès la fin du mois de
janvier. Par conséquent, les services du Budget sont moins suspects
d'avoir tenté d'accélérer ou de retarder tel ou tel
ajustement.
Nous avons donc des estimations qui sont globalement fiables. Je crois avoir
ainsi répondu à votre première question, Monsieur le
Rapporteur général.
Votre deuxième question porte sur les relations avec la direction du
Trésor, chargée de l'émission des emprunts, des bons du
trésor, des titres divers, de la collecte de la trésorerie par
les comptes postaux par exemple et la constatation de la dette. Des
progrès considérables ont été accomplis. Il fut un
temps où il suffisait au gouvernement d'émettre des titres
à coupon zéro, c'est-à-dire qu'on payait
l'intérêt au terme du remboursement, pour fausser quelque peu la
traduction budgétaire. Les périodes antérieures à
ma gestion ont été affectées par ces mécanismes, et
sans doute vous en souvenez-vous. Il m'est arrivé aussi de penser que
les mécanismes budgétaires étaient plastiques.
Je me souviens de la période 1993. Le gouvernement de Pierre
Bérégovoy avait décidé de restituer aux entreprises
une fraction de la TVA à récupérer. Il a
suggéré aux entreprises d'imputer cette fraction sur la plus
proche déclaration de TVA et les recettes de TVA ont été
amputées en 1993 d'une vingtaine de milliards. Le gouvernement qui a
suivi a procédé à une photographie de cette TVA à
récupérer, résiduelle, et qui devait être à
peu près les 9/10
ème
. Cela a été
imputé directement dans les comptes du Trésor et on n'a jamais vu
passer par le solde budgétaire le montant de ce remboursement. Je crois
qu'il y a matière à parfaire les règles comptables et
qu'il y a urgence à moderniser la comptabilité publique.
Pour ma part, j'ai ouvert un chantier en confiant une première mission
de réflexion à André Giraud, ancien ministre. Il
conduisait un groupe de réflexion composé de représentants
de l'administration et de quelques acteurs économiques. C'est à
la suite de cette mission que j'ai confié à M. Jean-Jacques
François une mission que j'ai appelée "gestion patrimoniale"
parce que, vous le savez, nous ne sommes pas en mesure d'appréhender le
patrimoine de l'Etat. Nous ne connaissons la dette qu'au travers des
émissions d'emprunt et de bons du Trésor ! Demandez-vous
où apparaissent les dettes relatives aux obligations de paiement de
pensions de retraites des fonctionnaires ! Demandez-vous où
apparaissent les dettes liées au déficit de je ne sais quelle
défaisance, celle du Crédit Lyonnais, par exemple ?
Pour y voir clair, je pense qu'il est urgent de réformer
fondamentalement un système d'information financière devenu
totalement archaïque.
Sur la constatation de la charge de la dette, des progrès
considérables ont été accomplis en évitant
d'émettre des titres qui reportaient la prise en compte du paiement des
intérêts à un exercice ultérieur. On a vu
quelquefois qu'à l'occasion de remboursements anticipés, on ne
savait plus très bien où passait la charge d'intérêt.
Ces émissions permanentes d'emprunt permettent aujourd'hui de constater
dans le budget la charge effective d'emprunt et d'intérêts
imputables à l'exercice.
S'agissant de votre troisième question sur les comptes rendus et sur les
notes, un premier élément justifie d'être explicité
mais il porte témoignage de la situation qui est dressée par la
comptabilité publique : la situation hebdomadaire,
budgétaire et de trésorerie. Cette situation hebdomadaire est un
des éléments sur lesquels on prend appui. Elle est
communiquée au ministre bien sûr, mais également au
directeur du budget, au Premier ministre pour son conseiller budgétaire
et à la Présidence de la République, au directeur
général adjoint qui a en charge le secteur économique et
financier et au conseiller économique.
Pour ma part, j'ai rendu publique la situation mensuelle et je l'ai
institutionnalisée. Bien sûr, ces documents sont « un
peu bruts de décoffrage » et ils appellent des commentaires.
En tout cas, j'ai tenu à ce que cette note fût publiée
intégralement et en aucune façon mon cabinet n'a modifié
cette situation. Les seuls commentaires formulés avaient pour objet de
faciliter la compréhension. Il pourrait être intéressant de
savoir si ces pratiques sont restées en l'état depuis lors.
Situation hebdomadaire et situation mensuelle sont des éléments
appréciables.
Le directeur du budget, à au moins trois reprises dans l'année,
prépare une analyse pour anticiper le respect des prévisions ou
bien des écarts en plus-value ou en moins-value. Il le fait dès
la fin de l'hiver ; il le fait au printemps et s'il n'y a pas de loi de
finances rectificative, s'il n'y a pas de collectif de printemps, il n'y a pas
d'externalisation.
La première externalisation vient au moment du dépôt du
projet de loi de finances pour l'année suivante. C'est à ce
moment-là que l'on rend public l'ajustement des recettes fiscales et non
fiscales. Puis, au début du mois d'octobre, le directeur du budget
prépare une analyse très fine et très documentée
qui sert d'appui à la préparation du collectif de fin
d'année. C'est à mon avis le document le plus déterminant.
Je crois que l'on a une connaissance assez précise du bouclage de
l'exercice budgétaire.
Si l'on veut y voir clair dans l'exécution d'une loi de finances, je
crois que l'épreuve de vérité c'est le collectif. Quelle
traduction donne t-on dans le collectif de ces estimations ? C'est là
une autre question. C'est à ce moment-là que ce que l'on appelle
très improprement "cagnotte" peut voir le jour. A la fin de l'exercice
1999, j'imagine que ce document préparé par le directeur du
budget a dû être assez explicite. Je ne serais pas
étonné qu'il ait donné des indications de ce qu'allait
être la plus-value de recettes fiscales à la fin de l'exercice.
Le ministre est donc en situation d'appréhender avec une relative
précision les recettes fiscales. Les impôts qui sont les plus
aléatoires sont ceux qui connaissent les variations les plus fortes.
Celui qui m'a donné le plus de difficulté a été
l'impôt sur les sociétés dont le rendement peut varier du
simple au double, avec des mécanismes amplificateurs liés au
paiement d'acomptes trimestriels, avec un solde de liquidation l'année
suivante au moment où l'entreprise dépose sa déclaration
de résultats, ajustant en conséquence le montant des acomptes
versés au titre de l'exercice qui vient de s'ouvrir.
Sur la procédure proprement dite, y a-t-il un procès-verbal ? Je
n'ai pas souvenir que l'on ait dressé de procès-verbaux. En
revanche, toutes ces notes sont transmises au ministre et elles font l'objet
d'annotations. En général, le directeur du budget fait des
propositions, son cabinet les examine et vient le moment venu où le
ministre tranche. D'ailleurs dans ces périodes de bouclage, c'est vrai
pour le projet de loi de finances comme pour tout projet de loi de finances
rectificative, nous multiplions les réunions de cabinet avec les
conseillers compétents, avec le ministre délégué au
budget et avec les directeurs concernés.
Il est d'usage de garder des notes de ces observations que l'on peut faire et
des arbitrages que va prendre le ministre. Il faut qu'à un moment
donné la décision soit matérialisée.
Je crois avoir répondu à votre quatrième question en
répondant à la première. L'environnement économique
reste, à mon avis, convenablement appréhendé. Les experts,
ceux de la prévision comme ceux qui sont extérieurs à la
sphère publique, constituent un cercle qui entretient des relations
permanentes. Le consensus des experts constitue l'élément de
référence pour justifier les prévisions
budgétaires.
Au moment du bouclage de la loi de finances, la tentation peut exister dans une
conjoncture de croissance élevée d'être prudent dans
l'estimation des recettes alors que dans les conjonctures moins
prospères, plus préoccupantes, il peut y avoir des estimations
plus optimistes, avec des paris faits sur la croissance.
Le rapport Nasse en porte témoignage. A la vérité, le
rapport que l'on a appelé "rapport d'audit" n'est pas vraiment un
rapport d'audit. C'est plutôt un rapport d'actualisation des recettes et
des dépenses fondé sur l'actualisation des prévisions
économiques, du cadrage macro-économique et sur l'examen attentif
de la situation hebdomadaire budgétaire et de trésorerie. MM.
Bonnet et Nasse n'ont pas, au moment où ils ont publié leur
rapport, c'est-à-dire au mois de juillet 1997, formulé de
réserve fondamentale sur les estimations que nous avons pu faire au
moment de la préparation de la loi de finances pour 1997.
M. le Président
- La parole est à M. Paul Loridant.
M. Paul LORIDANT
-
Monsieur le Ministre, mes questions seront
assez directes et peut-être même un peu brutales. Je ne doute pas
un seul instant de la compétence, du dévouement des
fonctionnaires de Bercy, notamment des hauts fonctionnaires des finances. En
revanche, au vu de mon expérience de quelques années de mandat de
parlementaire, j'ai le sentiment qu'il existe un climat de suspicion au sein
des fonctionnaires de Bercy à l'égard des élus en
général et du Parlement plus particulièrement.
J'ai toujours le sentiment que l'on est en train de courir après
l'information, que les élus locaux ont à Bercy une triste
réputation de dépensiers et d'irresponsables. Lorsqu'on discute
avec des fonctionnaires -j'en connais et j'ai même des propres amis- ils
distillent l'information au compte-gouttes vis-à-vis de ceux qui sont
censés voter le budget et l'impôt. Soit mon impression est
fausse ! Soit c'est un excès de pudeur ou une volonté de
réserver au représentant de l'exécutif, le ou les
ministres chargés des finances et du budget, la priorité de
l'information !
Au vu de votre expérience puisque vous avez fait les deux
côtés, quel est l'état d'esprit réel
vis-à-vis de ceux qui sont en charge du vote de l'impôt et du
budget de la nation ?
M. le Président
- La parole est à M. Bernard
Angels.
M. Bernard ANGELS
-
Ma question se situe dans le prolongement de
celle de Paul Loridant. Monsieur le Ministre, lorsque vous étiez aux
affaires, vous avez été régulièrement
informé, alerté même, par la commission des finances et par
la Cour des Comptes sur les irrégularités de votre propre
ministère. Je veux parler des crédits d'articles qui
représentaient plus de dix milliards de crédits non inscrits en
loi de finances. Vous avez à l'époque refusé de les
réintégrer dans le budget de l'Etat.
Pouvez-vous nous fournir aujourd'hui les motifs de ce refus ? Cela nous
permettrait de comprendre le pourquoi de ce refus à Bercy.
Est-ce que d'autres crédits extra budgétaires ont reçu le
même sort ? Notre souci est de comprendre la prise de décision et
le refus opposé au Parlement et à notre commission pendant trois
ans.
Ma deuxième question vise également à essayer
d'améliorer notre fonctionnement, point auquel vous êtes sensible.
Or le Sénat et le ministère de l'économie et des finances
travaillaient en commun pendant très longtemps, à la demande de
la commission des finances du Sénat et avec les moyens techniques du
ministère, pour établir chaque année une projection
à moyen terme des finances publiques. Cet exercice avait
été établi grâce à Raymond Barre quand il
était Premier ministre. Or cet exercice a été interrompu
au moment où vous étiez ministre des finances. Pouvez-vous nous
en indiquer les raisons ?
M. le Président
- La parole est à M. Maurice Blin.
M. Maurice BLIN
-
Monsieur le Ministre, je souhaiterais appeler
brièvement votre attention sur trois faits.
Le premier c'est la qualité de la présentation du budget de la
Nation que vous aviez assuré durant l'année 1996 et qui avait
été aux yeux de beaucoup d'entre nous un modèle de
transparence, de pédagogie, de simplicité. Je me souviens par
exemple d'une distinction très claire entre les coûts de
fonctionnement, les coûts d'investissement, la façon de financer,
le coût des rémunérations des agents de l'Etat, etc. Je
souhaite très vivement que cette première ait une suite, mais je
n'ai pas toujours eu le sentiment qu'il en soit ainsi. Je vous donne donc acte
et je vous adresse un peu tardivement mes compliments.
Inversement, vous avez été à Bercy, le témoin ou
l'acteur ou peut-être même, oserais-je le mot, la victime d'un fait
qui d'ailleurs habitait sans doute nos esprits, quand nous écoutions les
interventions de ceux qui vous ont précédé à cette
place. Quelle validité, quelle crédibilité -je ne dirai
pas quelle sincérité car la question n'est pas là- peut-on
apporter aux notes que vous fournissent les plus grands de vos services et qui
naturellement pèsent sur vos décisions ?
Nous avons tous en mémoire une note du printemps 1997 qui, dit-on et je
n'y étais pas, a engendré une décision politique de force
"7" dans l'échelle de Richter ? Peut-on imputer à cette note
une décision politique lourde ? Etait-elle valable ?
L'était-elle moins ? Les faits paraissent avoir prouvé qu'elle
l'était peut-être moins qu'on ne l'avait cru. Vous avez la
liberté de répondre très brièvement à cette
question délicate mais, étant donné que vous étiez
des nôtres, je ne pouvais pas ne pas vous la poser.
Ma troisième question est par contre très simple et vous
êtes très armé pour y répondre mais il vous manquera
du temps pour formuler votre réponse. Dans la procédure
budgétaire, dont tout le monde connaît ici les défauts,
quelle priorité donneriez-vous ?
Est-ce, comme à l'instant même le disait M. Strauss-Kahn, au
renforcement -mais dans quelles conditions et à quel prix ?- des
pouvoirs et des instruments de contrôle que le Parlement peut avoir sur
la confection et la validité du budget ? Est-ce, plus modestement,
mais ce n'est pas sans effet, à un remaniement complet de cette
procédure extraordinairement lourde qui dure trop longtemps et où
tout est mélangé ? Ne pourrait-on pas avoir « à
l'anglaise », sans aller jusque là, une façon de
débattre du budget qui soit plus simple. Je ne parle pas des Etats-Unis.
On a tenté dans le passé à deux reprises de prendre une
initiative. Cela n'a pas été, me semble t-il, tout à fait
concluant. Tout de même, ne pourrait-on pas moderniser
définitivement ce débat budgétaire en France qui est
terriblement anachronique et archaïque ?
M. le Président
- La parole est à M. François
Trucy.
M. François TRUCY
-
La deuxième question de M. Blin
sur la note dissolvante est extrêmement importante et nous attendons
beaucoup votre réponse. Quant à moi, je serai encore plus bref.
Au sortir de Bercy, vous avez édité un ouvrage dans lequel vous
répertoriez un certain nombre de dysfonctionnements sérieux pour
ne pas dire graves de cette grande maison. Selon le principe de "Qui aime bien,
châtie bien", vous aimez sûrement Bercy. Comment le
corrigeriez-vous ?
M. le Président
- La parole est à M. Jacques
Pelletier.
M. Jacques PELLETIER
- Ma question
« tangente » un peu l'exercice imposé qui est le
nôtre aujourd'hui. Je voudrais demander à notre collègue,
ancien ministre des finances, ce qu'il pense de la discussion budgétaire
interne à l'administration entre le ministère des finances et les
ministères techniques. J'ai eu à en pâtir à
plusieurs reprises dans mon existence. J'ai toujours été
choqué de voir que Bercy voulait aller dans le moindre des
détails.
Que le ministère des finances dise aux ministres techniciens "Je ne peux
pas dépasser autant de milliards ou autant de dizaines de milliards", je
le comprends parfaitement. Qu'il aille même dans les grandes masses et
dans les grands chapitres me paraît logique pour qu'il n'y ait pas de
déséquilibre entre ces chapitres. Mais qu'il intervienne au
niveau des articles ...
Je vous donne un exemple. Quand j'étais ministre de la
coopération, l'administration - je ne parle pas du ministre - disait
ainsi à mes collaborateurs, au cabinet et dans les services :
« En Côte d'Ivoire, il faut que vous retiriez cinquante
coopérants et que vous en mettiez vingt de plus à Madagascar
... » Je l'ai vécu et j'estime que c'est un
scandale ! Le ministère des finances n'a pas à savoir si le
ministère de la coopération doit mettre des coopérants en
Côte d'Ivoire ou à Madagascar.
Quand j'étais Médiateur de la République, les budgets
étaient beaucoup plus réduits. Une fois, j'ai été
contraint de rompre les discussions avec l'administration et à
m'adresser au ministre. Tous les ans on augmentait le nombre de
délégués départementaux du Médiateur de six
ou sept, étant donné le nombre de dossiers qui affluaient
à la médiature. Or, les services qui étaient
chargés de suivre le budget du Médiateur de la République
disaient : « Vous en demandez sept cette année ?
D'abord on vous en donnera quatre et ensuite vous n'en mettrez pas un
supplémentaire dans les Bouches-du-Rhône, mais un à Lyon
... " C'est scandaleux ! Le problème se règle alors au
niveau du ministre qui a quand même une position plus politique.
Je voudrais demander à notre collègue, étant donné
qu'il a vécu lui aussi cela de l'intérieur, ce qu'il pense de ces
discussions budgétaires internes qui me paraissent, à bien des
égards, scandaleuses.
M. le Président
- La parole est à M. Denis
Badré.
M. Denis BADRE
- Monsieur le Ministre, je prolonge l'intervention
de Jacques Pelletier et j'ai vécu personnellement aussi de très
nombreuses conférences budgétaires qui sont en
général marquées par une courtoisie parfaitement
glacée et par assez peu d'imagination, sinon pour donner des
idées aux ministres dépensiers car ils n'avaient vraiment pas
imaginé toutes les solutions qui permettaient de faire des
économies.
Finalement, ces conférences budgétaires ne se passent pas trop
mal. Par contre, ce qui se passe très mal avec les ministères
dépensiers, ce sont les procédures de gel et d'annulation de
crédits qui interviennent dans le cadre de la régulation :
les ministères techniques ne sont alors plus consultés du tout.
Aussi prennent-ils les devants : lorsqu'ils préparent le budget, de
peur que telle dépense soit gelée, ils essayent de mettre encore
plus de crédits sur telle ou telle action. On en arrive alors à
un jeu de rôles qui devient absolument inextricable et n'est pas
très productif pour le pays.
Les parlementaires vivent mal ces gels et ces annulations qui interviennent,
régulation oblige. Comment, le ministre, lui, les vit-il ou les a t-il
vécus ?
M. le Président
- La parole est à M. Jean Arthuis.
M. Jean ARTHUIS
-
Je réponds d'abord à Paul
Loridant. Il y a de la part des fonctionnaires sans doute un excès de
pudeur. Mais cela étant dit, je crois que nous sommes tous un peu en
porte-à-faux. D'abord, nous avons un système d'information
financière qui, je vous l'ai dit, n'est plus fondé. Il n'est pas
lisible et le principe dans la sphère publique, c'est de vérifier
que la dépense publique est engagée régulièrement.
Peu importe de savoir si elle est efficace !
C'est donc un contrôle
a priori
et ce n'est pas fait pour
être contrôlé
a posteriori
. D'ailleurs, les images
qu'on en donne
a posteriori
ne sont pas vraiment significatives. Lorsque
le ministre des finances présente un projet de loi de finances, il faut
qu'il ait la délicatesse de préparer quelques bonnes pages pour
en commenter les vertus et les bienfaits attendus. Et c'est cela qui va
imprégner les commentaires publics et qui fait que l'on va dire que
c'est une très bonne loi de finances parce qu'on a réduit de "x"
% telle dépense, que tel ministre a été formidable parce
qu'il a obtenu + 4 %. « C'est un bon ministre ! »
Mais on ne prend pas appui sur une loi de finances qui n'est pas lisible de
toute façon.
Le système d'information financière publique est archaïque
et vous ne pourrez pas dans ces conditions délivrer beaucoup
d'informations.
Le processus de la discussion de la loi de finances est assez étonnant.
Cinq semaines à l'Assemblée Nationale, trois semaines au
Sénat, pour une loi de finances qui est devenue quelque peu virtuelle.
Comment se fait-il que nous ne parvenions pas à avoir une
appréciation rigoureuse sur les effectifs ? C'est presque
indicatif. C'est presque un plan média. Oui, j'ai le sentiment que le
projet de loi de finances est aujourd'hui un plan de communication ! Une
sorte d'image virtuelle !
Le document de vérité, je me permets d'insister sur ce point,
c'est la loi de finances rectificative parce qu'elle est fondée sur des
constatations en cours d'exercice. Or elle viendra en discussion à
l'Assemblée juste avant Noël. Le débat va durer deux ou
trois heures et au Sénat peut-être autant ! Mais c'est le
document vérité.
Ce que vous devriez vous faire communiquer pour y voir clair, c'est
probablement la note préparée par le directeur du budget au
début du mois d'octobre. Je me permets de vous faire cette suggestion.
Dans cet « excès de pudeur » qu'évoque Paul
Loridant, il est permis de penser que dans certaines circonstances les services
ne disent pas tout. Le budget considère qu'il est le garant de
l'équilibre des finances publiques. Il a tendance à penser que le
politique est naturellement dépensier et que dans ces conditions il doit
protéger le politique contre ses tentations.
Imaginez que l'on vous dise au mois d'octobre : « 50
milliards de recettes fiscales supplémentaires ! » La
crainte que peut avoir peut-être le directeur du budget, c'est de se dire
que si l'on rend public une telle manne, immédiatement les lobbies, les
groupes de pression, les parlementaires, celui qui a en charge le budget de
ceci ou le budget de cela seront tentés d'exercer une pression. Nous
sommes donc dans une relation postulant, sans doute, injustement un manquement
aux devoir de responsabilité politique.
Chacun est dans son rôle et le Budget se drape dans une vertu absolue. Je
ne suis sûr qu'il dise toute la vérité. Il va en dire une
partie au ministre du budget, lequel va dire une partie de la partie qu'il
détient au ministre des finances. Je crois qu'il faut sortir de cette
culture-là où l'on pense que l'autre est dans un rôle
déterminé et qu'il ne peut pas appréhender la
réalité budgétaire autrement.
Toute démarche que pourrait accomplir le Parlement dans ce sens est
bonne et d'ailleurs je rends hommage à l'initiative que vous avez prise
de constituer la commission des finances en commission d'enquête.
Je sais les diligences exemplaires qu'accomplissent les rapporteurs
spéciaux, le rapporteur général et le président de
la commission des finances mais je pense que le contrôle parlementaire
est indissociable de la sincérité des comptes publics. Vous ne
pouvez pas laisser la sphère publique s'auto-contrôler et
s'autoréguler. Il faut donc qu'à un moment, le Parlement aille
jusqu'au bout de ses prérogatives de contrôle, et pour cela s'en
donne les moyens.
Si vous avez l'habitude d'aller dans les services pour demander des
informations, vous allez créer un autre climat et vous ferez en sorte
que le système d'informations soit accessible à tous en
permanence, qu'il soit transparent et vous ferez disparaître ces
suspicions mutuelles. Je ne dis pas que les premières démarches
seront faciles ! Mais je crois que si le Parlement ne se donne pas les
moyens de diligenter des missions d'audit avec détermination, il peut se
rendre complice de certains dysfonctionnements de l'Etat.
Vous avez évoqué certaines images caricaturales. C'est
l'impression qu'en effet à Bercy, on stigmatise les gestionnaires locaux
qui seraient dépensiers, lorsqu'ils construiraient je ne sais pas quoi,
par exemple un Hôtel de Région ou de Département ou une
mairie somptueuse, l'Etat étant bien entendu, par nature, exemplaire. Je
crois vraiment qu'il faut sortir de cette suspicion mutuelle.
La seule façon d'en sortir, c'est d'être factuel et de permettre
aux politiques de surmonter ces contradictions : la volonté de baisser
la dépense publique, la volonté de réduire les
déficits publics et la volonté de baisser les impôts. Trop
souvent, on a considéré que le budget et la haute administration
étaient en situation, sinon de faire des miracles, mais de rendre
possible ce qui raisonnablement ne l'était pas.
Nous avons une culture à forger ensemble, Parlement et administrations,
en particulier le ministère des finances. Je ne crois pas qu'il y ait de
procès d'intention mais j'ai vu les réactions que cela pouvait
susciter à une certaine époque, d'autant que je vous le rappelle
nous étions dans une phase difficile : traité de Maastricht,
engagement d'être dans le premier cercle de l'Euro et donc
nécessité d'assurer la convergence. C'était une
époque où la moindre information interrogative pouvait avoir des
conséquences extrêmement graves sur le marché
monétaire. Il suffisait qu'une dépêche annonce que l'on
allait avoir un peu moins d'argent dans telle ou telle recette ou que les
dépenses avaient dérapé et immédiatement les
marchés spéculaient sur « l'incapacité de la
France à entrer dans le processus de Maastricht. » Nous
étions dans une surveillance étroite et toute faute d'information
pouvait avoir des conséquences extrêmement graves.
D'où parfois la tentation de ne pas en dire plus que ce qu'il fallait.
Mais nous sommes sortis de cette période et nous savons bien qu'en tout
état de cause on ne réformera pas l'Etat sans y voir clair, sans
assurer la transparence et sans nous donner un langage commun pour faire
justice de tous ses faux procès.
Voilà ce que je voulais vous dire. Ce n'est pas de l'information au
compte-gouttes ! Mais considérez la situation lorsqu'on est en
phase de préparation budgétaire, que le Parlement s'apprête
à discuter la loi de finances ! On envoie des questionnaires. C'est
formidable ! Il y a le responsable de la réponse aux questions et
on obtient des réponses à peu près satisfaisantes et on
n'en fait pas une histoire puisqu'on a l'impression de bien avoir rempli sa
mission. Ce type de rituel n'est plus adapté.
Je crois que la démarche nécessaire c'est d'aller sur place, de
voir sur pièces et surtout de faire établir des documents qui
soient lisibles. Comment voulez-vous contrôler un système qui
n'est manifestement pas fait pour être contrôlé ? Quand je
suis arrivé à Bercy, j'ai demandé la liste des 250
personnes les mieux rémunérées. On m'a dit à peu
près : "Mais attendez, qu'est-ce que cela ? ". Manifestement
on n'était pas prêt à répondre à cette
question, parce que c'était une interrogation qui ne paraissait pas
pertinente et que personne ne l'avait posée auparavant. Il était
très difficile finalement d'obtenir la réponse à cette
question.
Je crois qu'il faut sortir de toutes ces inhibitions. La situation actuelle a
tendance à creuser une tranchée entre le Parlement qui a
l'impression de ne pas être compris et qui reçoit des informations
au compte-gouttes et une administration qui quelquefois s'interroge sur
l'action du Parlement. On n'a pas suffisamment précisé la
règle du jeu entre le Parlement qui contrôle et le
ministère qui agit et qui met en oeuvre une loi de finances.
Donnons-nous ces instruments ! C'est d'abord une question de
volonté politique et elle passe par une réforme fondamentale du
système d'information financière publique. Là, le
Parlement pourra accomplir ces diligences de contrôle.
Bernard Angels m'interroge sur des irrégularités sur certaines
dépenses ...
M. Bernard ANGELS
-
Les fonds de concours !
M. Jean ARTHUIS
-
Très franchement, je peux vous dire
qu'il n'y a pas eu de ma part de réticence mais nous avions à
l'époque des opérations lourdes à conduire pour passer
d'un déficit de 6 % du PIB à 3 %. J'avais sous le coude, et vous
l'avez vu peu de temps après, une opération qui n'avait jamais
été tellement commentée. On s'était rendu compte un
jour qu'entre les fonds déposés à la Poste et qui sont
transmis au Trésor, et ce qu'avait reçu le Trésor, il y
avait un écart de 18 ou 19 milliards. J'évoque ce point de
mémoire et je veux être prudent. L'écart a
été constaté ! Il est probable que la Poste avait
vécu, à l'époque où le budget était
fusionné avec les télécommunications, en utilisant
certains des crédits disponibles. Toujours est-il que le Trésor
n'avait pas reçu les fonds qui avaient été
déposés à la Poste. Qu'étaient-ils devenus ? Il a
donc fallu dans une loi de règlement inscrire cette dépense. Il
n'y a jamais eu de débat autour de cela ...
M. Philippe MARINI, Rapporteur général
-
Notre
collègue Yves Fréville est intervenu, au moment de la loi de
règlement !
M. Jean ARTHUIS
-
Oui, et je m'en souviens.
(Sourires.)
Les fonds de concours sont sans doute ce qu'il y a de plus difficile à
appréhender parce qu'il y a des mécanismes de déblocage
des fonds en fin d'exercice.
Sur les recettes fiscales, il y a une relative régularité :
les contribuables viennent aux échéances et ils savent à
quelle sanction ils s'exposent. Il peut y avoir des décalages dans le
temps lorsque c'est l'Etat qui restitue des impôts. C'est vrai pour les
remboursements de TVA et c'est vrai également pour les
dégrèvements d'impôts ou pour les remboursements
d'impôts sur les sociétés, quand l'entreprise a payé
plus d'acomptes qu'il n'y a d'impôt dû.
Je veux vous assurer que j'ai fait de mon mieux en conscience et dans un
système qui n'était pas commode. J'ai rendu publique la situation
mensuelle, ce qui était sans précédent, avec des
commentaires pour la rendre lisible. Mais ces commentaires sont toujours un peu
suspects. Pourquoi ces commentaires ? Parce que précisément si
vous publiez un document aussi frustre, sans commentaires, vous êtes
à la merci d'un commentaire de presse, d'une dépêche qui
tombe dans une salle de marché et vous avez immédiatement un
début d'incendie sur le marché des changes, ce qui est
dramatiquement préjudiciable pour l'ensemble du pays.
Il faut donc être conscient que ces informations doivent être
crédibles et qu'elles ne se prêtent en aucune façon
à une manipulation. Tous les spéculateurs ont besoin de tirer sur
une ficelle pour essayer de faire une démonstration qui leur donnera du
bénéfice à un moment ou à un autre.
J'ai donc veillé à ce qu'il y ait des commentaires pour
éviter précisément ces dérapages. Je pense que l'on
pourrait très bien aller vers la publication institutionnalisée
de la situation hebdomadaire là encore pour tendre vers une
actualité.
S'agissant des projections à moyen terme de finances publiques, je puis
vous dire très franchement que j'avais une projection. Je savais que
j'étais à 6 % de déficit au mois d'août 1995 et il
fallait être à 3 % au 1
er
janvier 1998. Ceux
d'entre vous qui étaient garants de la crédibilité de la
défense nationale -je parle sous contrôle de M. Trucy et de
M. Blin- étaient sourcilleux sur les programmes. Je ne parle pas
des lois de programmations militaires, exercices merveilleux qui donnent de
l'exaltation au Parlement. Leur vote se fait dans l'allégresse, mais on
ne sait pas comment on les finance et d'ailleurs, dès le budget suivant,
elles sont comprimées. Cela n'a pas de sens.
On fait des projections pluriannuelles ! Il y en a une pour la justice,
une autre pour la gendarmerie, une autre pour la défense, une autre pour
la culture mais, naturellement, on se garde bien de consolider toutes ces
projections. Si on les consolidait, on ferait immédiatement la
démonstration que ce n'est pas possible et l'on se priverait d'un
rêve, d'une jubilation momentanée. Il faut donc aussi que le
politique devienne plus raisonnable de ce point de vue là. Il y a
là une réalité contre laquelle on ne peut pas grand
chose ! Pour ma part, je faisais des projections triennales pour
convaincre mes partenaires européens que la France allait remplir ses
obligations. A mon arrivée à Bercy, j'ai dû d'abord
convaincre mon collègue allemand qu'on était capable de tenir
l'engagement. Cela n'a pas été simple et j'ai dû jouer avec
lui sur un registre de sincérité. C'est pour cela que nous y
sommes arrivés.
Quelques événements sont intervenus en cours d'exercice ! Il
n'est pas simple de jouer la transparence et la sincérité. En
tout cas, le respect que nous avons pour la démocratie nous fait
obligation de nous en tenir à ce principe. Je suis d'accord pour qu'il y
ait des projections dans le temps. Les pressions pour dépenser
étaient fortes et nous avions des aléas sur nos recettes.
Maurice Blin merci pour votre compliment ! Il est vrai qu'au printemps
1996 j'ai tenu à ce que se tienne devant le Parlement un débat
d'orientation budgétaire dont la commission des finances exprimait une
demande forte. J'ai voulu présenter la loi de finances et les
projections de telle sorte que les principales données fussent
compréhensibles et lisibles. Je reconnais bien que la distinction
fonctionnement - investissement est très rudimentaire et il faudrait
tenir compte d'un amortissement comme on le fait dans les collectivités
locales maintenant avec l'instruction M14. Il faudrait que l'Etat tende vers
cela et qu'il sorte de ce système rudimentaire, recettes -
dépenses de trésorerie. « Tant que je n'ai pas
payé, ce n'est pas une dépense ! » Tant que les
structures de défaisance du Crédit Lyonnais n'auront pas
été renflouées par l'Etat, ce ne sera pas une
dépense pour lui ! Cela n'a pas de sens. Qui cela peut-il
égarer ? Qui cherche t-on à induire dans l'erreur ?
Je crois donc que c'est une voie dans laquelle il faut aller. Elle doit
être la conséquence de la réforme du système
d'information financière publique.
Concernant la sincérité des notes des services et plus
précisément sur cette note de la fin de l'hiver 1997, je dois
vous dire que comme chaque année en tant que ministre des finances j'ai
reçu une note du Budget, qui comme chaque année est une note un
peu alarmiste et elle devait l'être. Dans l'ouvrage auquel a fait
référence François Trucy il y a un instant, j'ai
exprimé mes inquiétudes. J'avais sollicité une
réunion de recadrage budgétaire dès la fin du mois de
janvier 1997, ceci pour assurer le passage à l'Euro.
Il y avait nécessité sur la base des premiers
éléments que nous avions au premier semestre de faire quelques
opérations d'ajustement, celles que redoute et critique Jacques
Pelletier, c'est-à-dire des gels des crédits et des
régulations budgétaires, insupportables pour le Parlement. Ce
dernier passe son temps à mener l'assaut pour obtenir quelques dizaines
de millions de dépenses supplémentaires et l'encre est à
peine sèche que l'on prend connaissance des opérations de
régulation ! Objectivement, cela traduit bien cette relation
formelle entre le Parlement et l'exécutif. On ne peut pas rester sur
tant d'ambiguïtés. J'avais donc souhaité à cette
époque qu'il y ait quelques ajustements en recettes et en
dépenses.
Cette fameuse note, très franchement, Maurice Blin, je ne sais pas
quelle elle a été finalement. J'ai toujours tenu des propos
confiants puisque nous attendions le retour de la croissance qui s'est
vérifié au deuxième semestre. Il peut arriver dans ces
systèmes d'information qui ne sont pas très formalisés que
des documents et des rumeurs circulent. Quand vous êtes dans un
système d'information à ce point informel, vous ouvrez des
boulevards à tous les désinformateurs et vous donnez des prises
à tous ceux qui veulent manipuler.
En tout cas, je n'ai pas visé une note particulière à
cette époque. J'ai à l'esprit de nombreuses réunions avec
mes collaborateurs qui me faisaient redouter l'échéance du 31
décembre 1997. J'ai pris quelques dispositions pour y porter
remède par des gels de crédits ou des opérations de
régulation. Maintenant, je ne crois pas qu'une note officielle ait
été formellement visée. Telle est la réponse que je
tiens à formuler.
Sur la procédure budgétaire, j'ai eu l'occasion avec vous et avec
le Président Poncelet de tenir des séminaires sur le point de
savoir comment discuter autrement de la loi de finances. Je pense
personnellement que c'est un exercice extrêmement confortable pour le
gouvernement : c'est du pilotage automatique pendant trois semaines au
Sénat et pendant cinq semaines à l'Assemblée Nationale. Je
suis donc totalement solidaire de tout ce que vous mettrez en oeuvre pour
rompre avec cette procédure.
Cette façon de contrôler
a priori
des données
virtuelles n'a pas grand sens. Il faut s'en tenir à des documents
beaucoup plus simples à mon avis avec des délégations
faites aux différents ministres pour qu'ils conduisent la politique
comme ils l'entendent. Mais l'ordonnance du 2 janvier 1959 est à mon
avis devenue obsolète. Elle est historiquement datée et c'est
à mon avis le devoir du Parlement que de préparer sa
réforme.
Je vous rends attentifs au fait que, avant de préparer la réforme
l'ordonnance de 1959, il faut que l'on se mette d'accord sur le cadre
comptable. C'est une obligation fondamentale que de rendre compte. C'est la
déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen qui en pose le principe.
Comment va t-on rendre compte de sa gestion ? Il faut que cette reddition de
comptes soit compréhensible et lisible non seulement par les
parlementaires mais aussi par les citoyens. Il faut que l'on puisse comprendre
la nécessité et l'urgence de la réforme. Comment
voulez-vous réformer Bercy si vous n'avez pas un système
d'information adapté ? Le ministre croit que tout le monde est
informé mais personne n'est au courant. Vous laissez alors un champ
extraordinaire aux désinformateurs. Imaginez une direction tenue par un
syndicat, une autre par un autre syndicat et que l'on veuille fusionner les
deux directions. La tentation est forte de faire jouer le réseau. Qui va
aller sur le terrain ? Dire réforme, c'est dire réduction
des effectifs pour que cela coûte moins cher. On va traduire
immédiatement cette donnée -qui n'est pas vérifiée-
en se demandant où il y a de la peur. Il y a de la peur chez le maire du
chef-lieu de canton qui a une perception. Il faudra lui expliquer
immédiatement que sa perception est perdue et on va même lui
donner la lettre pour qu'il puisse écrire à son
député ou à son sénateur pour lui expliquer qu'une
réforme se prépare à Bercy et qu'elle a pour
conséquence de supprimer le réseau des perceptions. Or le
sénateur et le député n'ont pas non plus été
informés, puisqu'il n'y a pas d'information. On est dans le monde de la
désinformation et on veut tous réformer l'Etat mais on a peur de
la réforme de l'Etat. On réagit donc immédiatement ;
la rumeur prend de l'ampleur et cela devient une sommation faite par le
Parlement au gouvernement de ne rien changer.
Tout cela est rendu possible par le déficit total d'information claire.
Puisqu'il n'y a pas d'information, tous ceux qui veulent désinformer ont
un boulevard qui leur est offert. Là, vous avez en permanence des
corporatismes qui peuvent réagir instantanément et faire
pièce à votre projet.
Commençons donc par réformer le système
d'information ! Imaginons le document synthétique qui doit donner
une présentation prévisionnelle du fonctionnement et de ce que
l'on peut appeler l'investissement correspondant aux opérations
patrimoniales de l'Etat.
Commençons par imaginer ce que sera ce document de reddition de comptes
pour que l'on puisse avoir le cadre prévisionnel simple, par nature de
dépenses et de recettes, tenant compte des droits acquis et des dettes
reconnues, supprimons aussi tous les dérivatifs que sont les comptes
d'affectation spéciale et les comptes du Trésor. Ensuite on
trouvera les documents analytiques par ministères, par flux.
Ayez aussi des exigences fortes en matière de connaissance des effectifs
! Comment voulez-vous vous prononcer sur un projet de loi de finances alors que
vous n'avez aucune assurance sur le nombre de fonctionnaires ?
Cette situation peut-elle perdurer ? Je ne le crois pas. Le Conseil
Constitutionnel ne démériterait pas à mon avis en
approfondissant sa réflexion à ce sujet. Mais comment peut-on
accepter tant d'aléas sur la mesure des effectifs ? Les effectifs
deviennent un sujet de communication mais entre ce que l'on évoque, ce
que l'on communique et la réalité, on n'a aucune assurance qu'il
y ait une concordance.
Réformer le système d'information et définir le cadre de
reddition de comptes nous donnera la matrice de la présentation de la
loi de finances et nous pourrons alors préparer la réforme de
l'ordonnance du 2 janvier 1959. Il faut le faire pour qu'on y comprenne quelque
chose.
En effet, François Trucy, j'estime les fonctionnaires avec lesquels j'ai
collaboré et j'aime cette administration. Je trouve sinistre qu'avec
autant d'instrumentistes de talent on ne puisse pas jouer une symphonie. Chacun
est victime du système et de son organisation.
Je confirme ce que je viens de dire à Maurice Blin : je crois qu'il
faut vraiment réformer les règles de la comptabilité
publique.
Philippe Marini se souvient sans doute du DDOEF de 1994. A l'époque, le
ministre était très réticent à l'idée qu'il
y ait des comptes consolidés et qu'on les publie. Il était
seulement attentif à ce qu'est son administration.
J'ai fait consolider les comptes des entreprises publiques. Je me suis
étonné que vous n'ayez pas demandé ce document, car il
existe. Mais cela étant, il n'a jamais été reproduit.
Comment voulez-vous appréhender la situation de l'Etat-actionnaire si
vous ne traitez pas un service Etat-actionnaire qui se comporte comme une
holding financière, qui édicte des principes de reddition des
comptes, avec un
reporting
mensuel et une consolidation en fin
d'année pour que le Parlement puisse savoir si, globalement, la
situation patrimoniale des entreprises qu'il contrôle s'est
améliorée ou s'est altérée ? Vous ne pouvez pas
imaginer une réforme des retraites par répartition qui, à
mon avis, constitue une vraie priorité en imaginant une allocation
d'actifs sans connaître le patrimoine de l'Etat. Je ne vois pas
d'inconvénient à ce que l'on alloue des actifs à un fond
de réserve pour sécuriser les retraites. Mais comment voulez-vous
faire des allocations quand vous ne connaissez pas le patrimoine de l'Etat ?
Avant de faire les allocations des participations que l'on a encore chez France
Télécom ou chez Air France, commençons par nous demander
ce qu'est le patrimoine de l'Etat et ensuite, en conscience, on pourra en
extraire une fraction pour l'allouer à la pérennité des
retraites par répartition. Il est urgent de disposer d'une charge
globale et sincère de la situation financière de l'Etat.
Nous avons parlé aussi de la discussion budgétaire et je crois
qu'il faut vraiment revoir cette procédure. On passe beaucoup trop de
temps à discuter le projet loi de finances et on n'en passe pas assez en
cours d'année à examiner la réalité. D'ailleurs ce
ne serait pas forcément des débats en séance publique.
C'est un suivi qu'il faut avoir et il ne faut pas que le contrôle ne
vise qu'à trouver du sensationnel. C'est le côté
quelquefois un peu malsain d'une commission d'enquête ou d'une commission
de contrôle : l'impression d'un doute et une suspicion. Il faut donc
faire disparaître cette suspicion. Le contrôle est une relation de
confiance : on n'y va pour voir que cela ne va pas bien mais on y va pour
vérifier que cela se passe comme on l'a dit. Il faut lever cette
ambiguïté et ne pas persister dans un faux procès.
Par ailleurs, Jacques Pelletier, il serait très choquant que le Budget
se substitue au ministre.
Il en va de même pour les effectifs. Ces jeunes gens et ces jeunes femmes
sont sans doute passés par les mêmes écoles et ils
entretiennent entre eux certaines relations. Le Budget impose en quelque sorte
sa loi par camarade de promotion interposé.
Il est très choquant que le Budget se substitue au politique qui assume
la gestion. Il faut que le gestionnaire rende compte de ce qu'il fait et qu'il
n'y ait pas d'ambiguïté. Mais comme le système est opaque,
le Budget se met à gérer à la place des autres. Comme on
n'a pas d'image fidèle, comme on n'a pas d'indicateur pertinent,
« on » se met à la place des autres. Cela, il ne
faut pas l'accepter. Il faut sortir de cette culture, sinon on est bon pour
tous les archaïsmes et pour laisser vivre des débats qui deviennent
dérisoires.
Enfin Denis Badré, je sais que le gel et l'annulation de crédits
ne sont pas des très bonnes manières. Le ministre, dès le
début de l'année, est obligé de geler les crédits.
Ce n'est pas forcément choquant. Ainsi, lorsqu'une année est un
peu difficile, il est sage de ne pas mettre tous les crédits
immédiatement disponibles aux ministres dépensiers. C'est une
façon de lui dire : « On vous en met un douzième pour
le mois de janvier, un autre douzième pour le mois de février, et
si en cours d'année on voit que cela ne va pas bien, on serre un peu la
vis. » C'est là le pouvoir souverain du ministre des finances
qui donne des instructions à ses contrôleurs pour bloquer ou pour
mettre un peu d'inertie dans l'engagement des dépenses.
Il faudrait que ce geste soit perçu comme un geste salvateur et non pas
comme un petit jeu stupide pour enquiquiner et empoisonner la vie du ministre
dépensier.
Il faudrait que les relations entre les ministres dépensiers et le
ministre des finances sortent de cet espèce de jeu un peu malsain. Il y
aurait d'un côté le bon ministre qui dépense de plus en
plus et il sera loué par le Parlement, par l'opinion publique et par les
commentateurs comme le meilleur ministre puisqu'il a obtenu 5 % de plus !
Il y aurait de l'autre côté celui qui aura consenti 2 % de
dépenses en moins et dont on va se demander si vraiment il ne s'est pas
fait « écraser » par le ministre des finances et
a fortiori
par le Premier ministre. Il faut donc aussi que l'on sorte de
ces clichés destructeurs.
Les annulations de crédits peuvent être faites en application de
l'article 13 de l'ordonnance. Si l'on s'aperçoit qu'un crédit
n'est pas vraiment utile, on essaie de convaincre le ministre dépensier
et on prend un arrêté d'annulation.
Les décrets d'avance permettent, quand on a gagé par une
économie une dépense nouvelle, de sortir du cadre fixé par
le Parlement, à charge d'en rendre compte dans la loi de
règlement.
Voilà, mes chers collègues ce que je suis en mesure de vous dire
ce matin. Pardonnez-moi si j'ai été un peu long dans mes
réponses.
M. le Président
-
Je vous remercie au contraire de toutes
les informations que vous nous avez données.
La séance est levée
(La séance est levée à treize heures trente.)
Séance du Mardi 2 mai 2000
La séance est ouverte à 16 h 02, sous la présidence de M.
Alain Lambert
Audition de M. Jean BASSERES,
Directeur général de la
Comptabilité Publique
M. le
Président
.- L'ordre du jour de la mission chargée de
recueillir les éléments d'information sur le fonctionnement des
services de l'Etat dans l'élaboration des projets de loi de finances et
l'exécution des lois de finances, à savoir notre commission des
finances bénéficiant des prérogatives des commissions
d'enquête, appelle à 16 heures l'audition de M. Jean BASSERES,
Directeur général de la Comptabilité Publique.
Monsieur le Directeur général, je vous souhaite la bienvenue.
L'objet de la mission est de s'informer sur le fonctionnement des services de
l'Etat, à la fois dans l'élaboration des projets de loi de
finances mais aussi dans leur exécution.
Je vous ai indiqué que nous souhaitions éviter la controverse
juridique sur les droits de la commission, et les prérogatives de la
commission d'enquête lèvent toute ambiguïté sur le
sujet. La méthode choisie est pluraliste puisque nous avons
souhaité qu'il y ait un rapporteur par groupe politique siégeant
au Sénat et dans notre commission. C'est ainsi qu'ont été
nommés rapporteurs : M. Philippe MARINI, Rapporteur
général, M. Laurent du LUART, M. Bernard ANGELS, M.
André VALLET, M. Paul LORIDANT et moi-même.
Conformément à la loi, je dois rappeler à la commission
comme à M. BASSERES que le secret doit être conservé
sur les travaux non publics de la commission (nous serons cet après-midi
dans le cadre de travaux non publics) et qu'en cas de faux témoignage la
personne auditionnée est passible des peines prévues aux articles
434-13, 434-14 et 434-15 du Code pénal.
Monsieur le Directeur général, je vous demanderai de prêter
serment, de dire toute la vérité, rien que la
vérité, de lever la main droite et de dire :
«
Je le jure
».
M. Jean BASSERES
.- Je le jure.
M. le Président
.- Je vous remercie. Je vous donnerai la
parole pour un propos introductif.
M. Jean BASSERES
.- Conformément à vos indications,
je souhaiterais aborder deux points : repréciser le rôle de ma
direction dans le processus d'élaboration et d'exécution des lois
de finances et tenir des propos spécifiques sur la modernisation de la
comptabilité de l'Etat.
S'agissant du rôle de ma direction, il porte essentiellement sur
l'exécution des lois de finances car, en matière de
prévisions, l'essentiel du travail que nous réalisons se fait
dans le cadre des prévisions de recettes fiscales, notamment pour les
impôts dont nous assurons le recouvrement, principalement l'impôt
sur le revenu et l'impôt sur les sociétés.
S'agissant de l'exécution, je vous précise qu'il existe deux
secteurs où ma direction joue un rôle limité : la
gestion de la dette et celle de la trésorerie.
Concernant la gestion de la dette, nous assurons essentiellement un rôle
de back-office, de prestataire de services, pour la Direction du Trésor
pour laquelle nous suivons la gestion administrative de la dette.
En matière de gestion de trésorerie, nous intervenons au profit
de la Direction du Trésor pour favoriser la prévision des
encaissements et décaissements (système d'annonces du
Trésor). L'essentiel de nos travaux en termes d'exécution porte
sur le recouvrement des impôts, l'exécution des dépenses et
la tenue de la comptabilité, trois points que je développerai
rapidement.
En matière de recettes, nous avons recouvré en 1999, 870
milliards de francs de recettes fiscales et non fiscales au profit de l'Etat.
Sur cette activité, je souhaiterais formuler trois observations :
Nous mettons en place une politique dynamique d'animation du réseau qui
est notamment fondée sur la fixation de taux d'objectifs
départementaux ce qui nous a permis, grâce également
à une meilleure conjoncture économique, d'avoir en 1999 les
meilleurs taux jamais obtenus.
Dans le cadre de cette activité, nous participons mensuellement aux
réunions de suivi des encaissements organisées par la direction
du budget avec la direction générale des impôts, la
direction générale des douanes et des droits indirects et la
direction de la prévision.
Pour répondre à une de vos questions telles qu'elles nous ont
été adressées, préalablement à nos
auditions, nous avons un rôle limité dans la fixation du
calendrier de recouvrement qui est largement déterminé, nous
concernant, par la loi et les travaux de la direction générale
des impôts qui fixe les rythmes d'émission des rôles.
L'essentiel du rôle que nous pouvons avoir est une incitation à la
mensualisation qui permet un meilleur lissage des rentrées fiscales,
mais sans aucune intervention directe dans le calendrier.
Deuxième intervention en matière de dépenses, puisque nous
avons payé en 1999 plus de 2 000 milliards de francs de
dépenses : nous tentons de mettre en place une politique active
d'amélioration de l'exécution des dépenses publiques
fondée autour de trois objectifs :
à La réduction des délais de paiement des comptables qui
atteignent actuellement, pour l'Etat, de l'ordre de 8 jours et demi.
à Nous essayons de développer les prestations de conseil en
amont, notamment en matière d'expertises économiques et
financières des projets d'investissements pour aider les ordonnateurs
à mieux les préparer.
à Nous avons également un rôle de valorisation des
informations que nous fournissons aux gestionnaires locaux grâce à
différentes techniques informatiques.
Les contrôles que nous effectuons dans le cadre de la dépense
sont encadrés par le décret de 1962 et exclusivement
guidés par des soucis de régularité et non pas de
régulation budgétaire ou financière.
Pour répondre à une de vos questions, je précise qu'en
termes de calendrier de la dépense notre rôle consiste, avec la
direction du budget, à fixer dans un cadre réglementaire les
dates d'exécution des opérations de fin de gestion. Celles-ci ont
été récemment modifiées dans le cadre de la
réduction de la période complémentaire.
Dernière observation sur la dépense : les Trésoriers
Payeurs Généraux (TPG) sont, depuis 1996, contrôleurs
financiers en région et, à ce titre, contrôlent les
engagements des ordonnateurs. Là aussi, suite à une de vos
questions écrites, je vous indique que ce rôle est un rôle
de contrôle de régularité et que les T.P.G. n'ont pas pour
objectif de réguler les engagements des ordonnateurs. Cette tâche,
si elle existe, incombe aux contrôleurs financiers centraux placés
auprès des ministres.
Troisième secteur d'intervention : la comptabilité, la
tâche la plus importante pour mes services, puisque le réseau des
comptables du Trésor assure la tenue de la comptabilité de
l'Etat, non seulement pour leurs propres opérations mais
également en centralisant les opérations, essentiellement de
recettes, prises en charge par la direction générale des
impôts et la direction générale des douanes des droits
indirects.
Ces enregistrements comptables s'opèrent selon des procédures,
des instructions fixées annuellement par ma direction, notamment suite
aux lois de finances qui amènent à modifier chaque année
les nomenclatures d'exécution et celles de la comptabilité
générale de l'Etat. Toutefois, nous n'effectuons jamais de
modification des règles d'enregistrement comptable par les services du
Trésor Public en cours d'année. D'une part ce serait contraire au
principe de permanence des méthodes et, d'autre part, cela provoquerait
dans ces services de nombreuses difficultés. Il nous est arrivé
de le faire pour des motifs particuliers mais l'on ne modifie pas, en
règle générale, en cours d'année les conditions
d'enregistrement comptable des opérations.
Deuxième observation sur la comptabilité : dans le prolongement
de la tenue de la comptabilité de l'Etat (les comptabilités
budgétaires et la comptabilité générale) la
direction générale dont j'ai la charge, effectue les
synthèses régulières de l'exécution des lois de
finances : synthèses hebdomadaires mais également
synthèses mensuelles en recettes ou en dépenses et, en fin
d'année, l'élaboration du compte général de
l'administration des finances qui est le document de synthèse de
l'exécution budgétaire ainsi que patrimoniale ; ma direction
prépare également le projet de loi de règlement.
Dernière observation sur ce volet comptable qui est un sujet important
: une des caractéristiques essentielles de ce cadre comptable est de
privilégier largement le principe du suivi des opérations
budgétaires, à savoir qu'il privilégie un suivi en
opérations de caisse -encaissements/décaissements-. Ceci est
indispensable pour fournir aux autorités parlementaires l'imposition la
plus fine sur les consommations de crédits. A contrario, cela peut
conduire à rendre plus difficile la description du patrimoine de l'Etat,
puisque nous avons une logique encaissement et décaissement et non pas
une logique de droits constatés qui permettrait de mieux rendre compte
de l'évolution du patrimoine.
Nous envisageons de moderniser la comptabilité de l'Etat : avant de
vous en présenter les grands axes qui ont trouvé quelques points
d'application dans le compte général de l'administration des
finances (C.G.A.F.) qui sortira au mois d'avril et dont vous serez
destinataires, j'insisterai sur des évolutions enregistrées au
cours des dernières années.
Trois innovations méritent d'être soulignées :
L'accélération des centralisations comptables : à la
différence des entreprises et des établissements publics, la
comptabilité de l'Etat repose sur un nombre très important
d'opérateurs. Un des objectifs propres à cette
comptabilité est de faire en sorte de parvenir à centraliser,
dans les meilleures conditions de rapidité, l'ensemble de ces
opérations. Au cours de ces dernières années, l'objectif
était d'aboutir à une centralisation quotidienne des
opérations, ce qui a été réalisé en trois
étapes :
Au sein du réseau du Trésor, pour les relations entre les
postes comptables de base, les trésoreries générales et
l'agence centrale du Trésor qui centralise les écritures. Entre
1987 et 1994, nous sommes arrivés à la centralisation
quotidienne.
Deuxième étape plus récente en octobre 1999 : nous
intégrons quotidiennement les écritures passées par la
direction générale des impôts.
Troisième étape, que j'espère pouvoir franchir en l'an
2000 : une expérimentation avec la direction générale
des douanes et des droits indirects pour un même résultat,
à savoir une centralisation quotidienne, alors que nous sommes encore en
centralisation mensuelle.
La deuxième orientation consiste à mieux affiner les
données comptables du recouvrement des impôts.
Jusqu'à 1998 nous avions une ventilation grossière avec un suivi
du recouvrement des impôts sur rôle qui associent l'impôt sur
le revenu, l'impôt sur les sociétés émis suite
à un contrôle fiscal, ainsi que les impôts directs locaux,
sans répartition comptable de ces différents recouvrements.
Depuis 1998, le recouvrement des impôts perçus par le
réseau du Trésor Public sont comptablement ventilés en six
catégories.
D'autres progrès restent à réaliser en la matière :
les conditions dans lesquelles nous comptabilisons les réductions
d'impôts où nous avons une divergence selon les réseaux.
Troisième évolution importante : l'amélioration des
délais de production des comptes grâce à la
réduction de la période complémentaire. Nous avons
gagné deux mois et demi sur la production du C.G.A.F. et, l'année
dernière, le projet de loi de règlement a été
déposé en septembre sur le bureau de l'Assemblée nationale
avec, comme objectif cette année, de le déposer avant la fin du
mois de juin.
Quelques mots sur la réforme de la comptabilité de l'Etat
stricto sensu. Cette réforme poursuit quatre objectifs :
à Doter l'Etat d'un système comptable plus proche du droit
commun.
à Intégrer dans les comptes une information enrichie sous l'angle
économique.
à Soutenir une démarche de performance dans la gestion des
services publics.
à Assurer un meilleur suivi et une plus grande lisibilité des
engagements de l'Etat à moyen et long terme.
Le compte général de l'administration des finances pour 1999
intégrera les premières modifications qui répondent
à ces objectifs dans un cadre assez précis consistant à
maintenir un suivi de l'exécution budgétaire en caisse, mais en
l'enrichissant d'éléments patrimoniaux reflétés par
les comptes de l'Etat en termes de bilan et de compte de résultats.
Quelles sont ces innovations ? Elles sont au nombre de cinq.
à Une meilleure valorisation des immobilisations non financières
et l'introduction, pour la première fois concernant les matériels
et les équipements, de dotations aux amortissements.
à Une amélioration de la lisibilité du compte qui retrace
les dotations et participations de l'Etat : meilleure lisibilité mais,
également, meilleure valorisation en tentant d'appréhender pour
les principales entreprises les comptes consolidés et non pas les
comptes sociaux.
à La comptabilisation de la dette en droit constaté et non plus
en encaissements/décaissements.
à La création d'une provision pour dépréciation
des créances fiscales (qui correspond dans son principe à une
provision pour créances douteuses).
à Une première présentation dans une annexe hors bilan
d'engagements à moyen et long terme de l'Etat qui a porté cette
année sur les garanties accordées par l'Etat aux entreprises par
l'intermédiaire de la COFACE, ainsi que les engagements au titre de
l'épargne logement.
Ces évolutions seront poursuivies dans les prochaines années
grâce au développement des applications informatiques qui nous
permettront de passer à une comptabilité de droit constaté
avec le logiciel « ACCOR »
.
Ces évolutions
permettront d'enrichir la comptabilité analytique et la
comptabilité de gestion des services de l'Etat.
M. le Président
.- Je vous remercie. Je passerai la parole
à Monsieur le rapporteur général qui vous posera ses
questions auxquelles vous répondrez. Ensuite, j'ouvrirai le débat
à la commission.
M. Philippe MARINI, rapporteur général
.- Mes
questions porteront sur les conditions d'exécution de la loi de finances
pour 1999 concernant son volet recettes et, d'un point de vue
général, sur le progrès des modes de comptabilisation,
notamment en matière patrimoniale de l'Etat.
Sur le premier aspect, je souhaiterais que le directeur général
de la comptabilité publique puisse nous dire quelle part ses services
ont prise à l'estimation et à la révision en cours
d'année des montants de recettes fiscales de l'exercice 1999.
Participez-vous aux réunions dites d'arbitrage qui ont lieu deux fois
dans l'année en février et juin ?
Avez-vous fait des remarques particulières s'agissant de la gestion
1999 ?
Pouvez-vous nous éclairer sur ces aspects ?
En matière d'exécution de l'année 1999 des modifications
de méthodes, de nature à influer sensiblement sur les
résultats, ont-elles été opérées ? Des
moyens permettant d'imputer sur 1999 ou sur 2000 telles ou telles parts de
recettes fiscales ou non fiscales ont-ils été utilisés ?
Pourriez-vous sur ces aspects, nous rappeler quels sont les moyens par lesquels
jouent les éléments d'ajustement entre un exercice qui se
clôt et l'exercice suivant et avez-vous des éléments
d'appréciation en la matière ?
Sur le second volet, je m'intéresse depuis longtemps -je suis loin
d'être le seul- à la question dite du hors bilan de l'Etat. Le
directeur général y faisait allusion auparavant. Il s'agit de
recenser les risques et charges futures de l'Etat susceptibles de modifier
l'appréciation des données à proprement parler comptables.
Y voyez-vous clair en matière méthodologique ?
La liste de ces risques et charges futures est-elle aujourd'hui dressée
en termes de méthodologie, de manière exhaustive ?
Commencez-vous à voir s'esquisser les montants dont nous parlerons quand
il sera question de publier ce hors bilan ?
Pouvez-vous nous associer à ce processus dont le Secrétaire
d'Etat au Budget nous a dit qu'il visait, parmi d'autres
éléments, à améliorer la transparence et la
sincérité du budget des comptes de l'Etat ?
M. le Président
.- Merci, monsieur le rapporteur
général.
M. Jean BASSERES
.- Concernant l'exécution de la loi de
finances 1999, volets recettes, comme vous l'avez indiqué, nous
rappellerons les principales étapes de ce mode d'exécution.
Deux réunions dans l'année permettent de mesurer
l'évolution des encaissements et de caler les prévisions au vu
des encaissements déjà effectués.
Une réunion se tient en février à partir de laquelle au vu
des premiers encaissements de l'année (janvier) nous calons les
prévisions pour l'année.
Une deuxième réunion, qui s'est tenue en 1999, sert
également de cadre à la préparation du projet de loi de
finances de l'année ultérieure.
Ces réunions associent ma direction qui est, pour ce qui la concerne,
compétente en matière d'impôt sur le revenu et sur les
sociétés, ainsi que la direction générale des
impôts, la direction des douanes, la direction de la prévision et
la direction du budget.
Quelles sont nos méthodes de prévision sur les deux
impôts que j'ai indiqués ?
L'impôt sur le revenu : les prévisions que nous réalisons
sont largement fonction des prévisions d'émission de rôles
d'impôts, élaborées par la direction générale
des impôts en liaison avec la direction de la prévision en
fonction des hypothèses de croissance économique.
Sur la base de ces prévisions d'émission, nous avons une
série d'indicateurs en termes de taux de recouvrement qui nous
permettent de calculer en fonction des échéances d'impôts,
du calendrier, en tenant compte d'hypothèses de nombre de
mensualisés et de tout l'historique que nous avons des recouvrements, de
faire des prévisions sur la base de ces émissions. C'est une
mécanique que je qualifierais d'assez bien maîtrisée
puisque les taux de recouvrement en matière d'impôt sur le revenu
n'évoluent pas de manière extrêmement forte d'une
année sur l'autre, cette stabilité nous permet d'effectuer des
prévisions de recouvrement assez fines.
En matière d'impôt sur les sociétés, nous n'avons
pas d'indicateur macroéconomique, qu'il s'agisse de la valeur
ajoutée ou de l'excédent brut d'exploitation, qui soit clairement
corrélé au résultat fiscal, car entrent en ligne de compte
les politiques d'amortissement et de provisions, ainsi que la
réglementation de l'impôt sur les sociétés., ou
l'intégration fiscale.
Nous avons une difficulté objective à tenter d'appréhender
les rentrées fiscales d'impôt sur les sociétés avec
deux échéances qui sont les plus difficiles à
prévoir : celle d'avril, qui correspond pour l'essentiel des
sociétés au solde au titre de l'exercice N-1 et celle de
décembre qui est l'acompte au cours duquel certaines entreprises qui
anticipent leur résultat fiscal peuvent diminuer spontanément
leur acompte.
Que s'est-il passé en 1999 ?
Lors de la réunion d'arbitrage de juillet (je raisonne sur
l'impôt sur le revenu hors droit de bail, une des difficultés de
l'exercice 1999 étant que nous n'avions pas isolé le droit au
bail de l'impôt sur le revenu) nous avions fait une hypothèse
autour de 323 milliards de francs, ce qui représentait un surcroît
de prévision de 7,5 milliards de francs par rapport à la loi
de finances initiale. L'exécution a été de
12 milliards de francs supérieure à la loi de finances
initiale. Nous avons donc sous-estimé en juillet de 4,5 milliards de
francs l'exécution 1999.
Pourquoi ? Essentiellement (par rapport à la mécanique que
je vous décrivais précédemment) parce que nous avons
sous-estimé les émissions de la direction générale
des impôts, notamment sur le mois de septembre, où nous avons
alors constaté des rentrées d'impôt sur le revenu plus
fortes que celles que nous attendions, car la direction générale
des impôts a émis plus rapidement que prévu les rôles
-ce qui est tout à son honneur-, et cet écart de prévision
explique celui sur le résultat final.
En matière d'impôt sur les sociétés, où la
situation est plus compliquée, en février (je raisonne en
impôt sur les sociétés net) nous avions prévu 201
milliards de francs. Nous étions loin de la réalisation finale
qui était de 226 milliards de francs. Nous avons rectifié
nos prévisions au vu du solde d'avril qui était meilleur que
prévu, pour une prévision autour de 220 milliards de francs,
soit un écart de 6 milliards de francs par rapport à
l'exécution. Cette erreur de prévision peut également
s'expliquer par le fait qu'en analysant l'échéance d'avril nous
n'avons pas mesuré (notre suivi n'étant pas suffisamment
précis) que certaines sociétés importantes qui ont le
choix entre payer en avril ou en décembre parce qu'elles sont au
bénéfice mondial, ont fait le choix de payer en décembre.
L'une d'elles, pour le mois de décembre, a payé plus de 5
milliards de francs.
M. Philippe MARINI, Rapporteur général
.- 220
milliards de francs correspondent-ils au chiffre de juillet 1999 ?
M. Jean BASSERES
.- Oui, sur la base de ce que nous avions
observé en avril.
Concernant les modifications de méthodes, il n'existe pas de
modifications de méthodes comptables pour la comptabilisation des
recettes et aucune n'a eu lieu en 1999.
En matière de choix d'imputation sur les exercices, Monsieur le
rapporteur général, vous avez distingué les recettes
fiscales des recettes non fiscales. Les recettes fiscales ne sont pas
impliquées, compte tenu qu'il n'existe pas de comptabilisation de
recettes fiscales en périodes complémentaires, sauf cas
exceptionnel de grève où les imputations se font alors sur la
base d'un décret, ainsi qu'en 1989 et 1995.
Pour les recettes fiscales, nous constatons ce qui a été
passé dans les écritures au 31 décembre.
Pour les recettes non fiscales, traditionnellement une appréciation est
effectuée sur le choix de l'exercice d'imputation. Concernant les
exercices 1999 et 2000, les ministres ont eu l'occasion de s'expliquer devant
la représentation nationale sur le fait que des recettes non fiscales
à hauteur de 15 milliards de francs -CADES, Caisses d'épargne et
COFACE- avaient été encaissées en période
complémentaire et imputées sur 2000. C'est un choix
explicité par les ministres et qui, de ce point de vue, ne regarde pas
les techniques comptables.
Concernant le hors bilan, qui est un sujet extrêmement important, nous
avons commencé les travaux méthodologiques et, en 1999, dans le
compte général dont vous serez destinataires dans les prochains
jours, nous avons tenté d'élaborer, pour la première fois,
une annexe qui essaie de préciser quelles sont les engagements moyen et
long terme de l'Etat.
Nous avons, dans un premier temps, ciblé sur trois secteurs
d'intervention.
Premier secteur : les retraites des fonctionnaires de l'Etat et des
régimes spéciaux, pour lesquelles l'annexe ne donnera pas des
indications chiffrées mais méthodologiques. Deux autres secteurs
donneront lieu à un chiffrage précis : l'engagement que l'Etat
prend en matière d'épargne logement, tout d'abord. Vous savez que
lorsque les Français souscrivent un plan d'épargne logement
s'accumule un engagement de l'Etat qui en sortie de plan verse une prime. Nous
avons calculé l'engagement potentiel maximal. Il a été
chiffré à 50 milliards de francs, ce qui ne signifie pas que ces
50 milliards de francs seront des dépenses certaines, car des plans
pourront s'interrompre et toutes ces primes ne seront pas forcément
versées.
Troisième secteur : les garanties qu'accorde l'Etat aux entreprises
avec 247 milliards de francs, et les garanties à l'exportation via la
COFACE pour 534 milliards de francs. C'est une première étape
Monsieur le rapporteur général. Il y a sans doute à
poursuivre les travaux méthodologiques pour connaître la nature
des types d'engagements qu'il faut isoler et pouvoir prendre en compte.
Quand je dis «
pouvoir prendre en compte
», cela
peut passer par l'élaboration d'une simple annexe ou inscriptions de
provisions pour certains engagements.
La seule indication que je peux vous donner à ce stade est qu'il faudra
être attentif à la manière de pratiquer des Etats
étrangers dont peu, aujourd'hui, provisionnent dans leurs comptes au
titre des engagements moyen et long terme. Nous avons plutôt une optique
au ministère des Finances de progresser dans la connaissance des
engagements avant d'envisager un mode de comptabilisation extrêmement
précis.
M. François TRUCY
.- Quand vous avez dit, s'agissant des
dépenses, que l'Etat payait en 8 jours et demi ; il y a de quoi
s'évanouir. De quels jours parlons-nous ? Il ne s'agit pas de 8
jours et demi après le moment où la créance a
été produite. Je suppose qu'en amont, il existe un certain nombre
de paramètres que vous voudrez bien nous indiquer.
Les flux sont considérables. L'Etat a la réputation de payer
à l'heure. La France est dans ce cas, mais l'Etat joue (une fois n'est
pas coutume) le banquier des collectivités locales et des communes en
particulier.
Je me souviens de la polémique qui a surgi il y a quelques
années quand il était question de savoir s'il était dans
l'intérêt des communes d'avoir la possibilité de placer
leurs fonds disponibles, et quand l'étude de la simulation a
été faite du coût pour l'Etat de la vente qu'il fait de ses
impôts locaux avant même qu'ils ne rentrent (l'Etat paie à
partir du 1
er
janvier et recevra les fonds au 1
er
octobre), cet énorme volant d'entrées et de sorties peut-il poser
des problèmes en trésorerie à l'Etat ?
Existe-t-il des à-coups dans ces grands flux susceptibles de compliquer
votre tâche ?
Quel est l'impact dans les rentrées de l'Etat, d'une grève des
services fiscaux, profonde et longtemps poursuivie ?
Avez-vous, au poste où vous êtes -haut fonctionnaire- des
suggestions à faire, de manière qu'en cas de difficulté il
soit possible de trouver des moyens pour les éviter ?
Quand la France s'acquitte de sa participation au budget européen, au
budget de l'O.N.U. ou aux contributions des opérations du maintien de la
paix qui est arrivé ensuite et ne correspond pas aux mêmes
critères, paie-t-elle en une seule fois ou en plusieurs et que font les
étrangers ?
Dans le domaine de la contribution à l'O.N.U. nous avions
constaté des disparités énormes dans les rythmes de
paiement des contributeurs.
M. Paul LORIDANT
.- Monsieur le directeur général,
je suis rapporteur des comptes spéciaux du Trésor dont
quelques-uns voient par moment des rentrées substantielles arriver. Je
voudrais savoir si c'est votre direction générale qui gère
les flux de rentrées sur ces comptes et si vous avez une méthode
de prévision. Est-il possible d'avoir une évaluation, notamment
du côté des recettes ?
Une privatisation -événement exceptionnel qui n'est pas
prévisible puisqu'il dépend directement du calendrier politique
et du calendrier sur le marché financier- représente des sommes
importantes.
Ces comptes spéciaux du Trésor sont suivis par la direction du
Trésor mais, en termes comptables, est-ce bien vous qui les gérez
et les intégrez-vous aussitôt dans les situations
budgétaires ?
Concernant le compte d'avances aux collectivités locales, j'ai cru
comprendre qu'il y a eu une inversion de solde sur ce compte. Jusqu'à
présent, ce compte coûtait beaucoup à l'Etat mais j'ai cru
comprendre que la situation s'était inversée aujourd'hui compte
tenu de sa liaison à la modération fiscale, entre autres des
collectivités locales. Comment gérez-vous ce compte ?
L'avez-vous de façon instantanée ?
M. Jacques CHAUMONT
.- Je souhaiterais savoir si apparaissent
dans la comptabilité publique, et sous quelque forme, les dons du
Trésor faits à certain pays quand ont lieu, à la suite
d'un G7 ou de toutes autres réunions, des remises de dettes envers les
pays les plus pauvres ? Comment ces éléments
apparaissent-ils dans la comptabilité ?
Si la France verse une contribution particulière au Fonds
Monétaire International ou à d'autres organismes, et son
intervention a un caractère subi, comment cela se passe-t-il ?
M. le Président
.- Dans le prolongement des questions de
mes collègues et des réponses que vous avez données au
Rapporteur général, je voudrais revenir sur les méthodes
d'évaluation et de prévision. En écoutant les
précédentes personnalités auditionnées, j'ai eu le
sentiment qu'il existait, au sein des directions du ministère, des
méthodes différentes, voire divergentes.
Je voulais avoir votre sentiment. Avez-vous le même ? Avez-vous une
idée des raisons de cette différence ? Je voudrais prolonger
votre réponse à la question de Monsieur le rapporteur
général s'agissant des opérations de fin de gestion.
J'ai remarqué que vous étiez directeur général
à la comptabilité publique depuis 1993. Vous avez connu des
périodes de conjoncture haute et basse. Existe-t-il une évolution
des opérations de fin de gestion qui dépend beaucoup de cette
situation ou des opérations qui ont dépendu des exigences
liées au passage à l'euro ? Il serait intéressant,
pour une commission des finances de la représentation nationale, de voir
s'il est possible de tirer des enseignements généraux de ces
opérations de fin de gestion.
Existe-t-il un formalisme pour porter les arbitrages ? Comment se passe
l'information pour que vous puissiez faire des imputations comptables ?
Ces opérations donnent-elles lieu à des procès-verbaux ou
des documents administratifs particuliers ?
Vous nous avez expliqué, pour l'exercice 1999, l'impact des
évolutions de la conjoncture sur les recettes. Cela vous a-t-il permis
d'apprécier au cours du second semestre 1999 l'impact que cela aurait
sur les recettes 2000 ?
Enfin, une question très pratique : quel est le montant des engagements
de l'Etat au titre de l'épargne logement ?
M. Jean BASSERES
.- 8 jours et demi sont effectivement les
délais du comptable, entre le moment où le mandat a
été élaboré par le service ordonnateur et le moment
où il est payé par le comptable. Il conviendrait d'y ajouter les
délais en amont qui séparent la réception de la facture de
l'élaboration du mandat.
Je ne suis pas en mesure de faire des commentaires sur l'évolution du
compte d'avances aux collectivités locales. Je confirme ce qui a
été indiqué : sa courbe est assez connue avec des
dépenses dans le début d'année et des recettes à
partir du mois d'octobre en raison des impôts locaux.
Qu'est-ce qui peut provoquer des à-coups dans les flux ?
Vous avez parlé des grèves. A l'évidence, les
grèves des services fiscaux au sens le plus large (direction
générale des impôts et comptabilité publique)
perturbent les rentrées fiscales principalement en retardant
l'émission des rôles et -nous l'avons vécu lors de la
dernière grève- en empêchant l'encaissement des
impôts notamment la part importante des encaissements qui transite par
les départements informatiques du Trésor concernant les
chèques et les titres interbancaires de paiement. L'incidence sur la
trésorerie de l'Etat est beaucoup plus faible pour les opérations
qui donnent lieu à prélèvement de mensualisation ou les
virements automatiques.
Vous me demandez de faire des suggestions pour répondre à ces
difficultés. Nous y travaillons activement, instruits par
l'expérience du dernier conflit, mais ce sont des sujets qui ne sont ni
mûrs ni publics, car nous devons mener quelques expertises
complémentaires.
Concernant la participation aux budgets européen ou de l'O.N.U ainsi
qu'aux opérations de maintien de la paix, je ne peux pas vous dire si
elle est versée en une ou plusieurs fois. Concernant les services
relevant de ma responsabilité, les comptables paient en fonction de
l'ordonnateur. Ce dernier a-t-il une liberté de choix ou ne fait-il
qu'appliquer des décisions internationales ? Je l'ignore. Il fixe
le rythme des versements et mes services paient en fonction du rythme
fixé.
Les comptes spéciaux du Trésor : la comptabilité publique
en tient les comptes et, pour la majorité d'entre eux c'est à
l'agence centrale du Trésor que les comptes sont tenus. Mais ils sont
gérés du point de vue ordonnateur par la direction du
Trésor et la direction du Budget. Ces directions sont amenées
à faire des prévisions de recettes. Nous suivons les comptes et,
de ce fait, ils sont intégrés aux situations
régulières de suivi budgétaire ou de trésorerie.
Dans la situation hebdomadaire de trésorerie, il existe une rubrique
spéciale sur les comptes spéciaux du Trésor qui rend
compte de l'évolution des recettes et dépenses et, notamment, du
compte d'avances aux collectivités locales.
Tout ce qui est en prévision et gestion relève d'autres
Directions que de la mienne.
Sur les contributions, les dons du Trésor ou les remises de dettes,
nous suivons en comptabilité d'Etat les prêts consentis aux Etats
étrangers ; nous en suivons, en comptabilité
budgétaire, les encaissements et, en comptabilité patrimoniale,
le montant des prêts et des annulations, remises telles que vous les
évoquez suite au Club de Paris dont le Directeur du Trésor
pourra parler mieux que moi.
Sur les méthodes de prévision, je ne suis pas certain qu'il
existe des méthodes aussi divergentes. Je parlerai des deux impôts
que je connais : l'impôt sur le revenu et l'impôt sur les
sociétés.
Impôt sur le revenu : la direction de la prévision fait des
prévisions essentiellement fondées sur des hypothèses
macro économiques : évolution des salaires et du PIB. Elles
sont prises en compte par la direction générale des impôts
qui travaille en termes d'émission et, à partir de là,
nous calculons des taux de recouvrement. Ce sont des exercices successifs et
nous n'avons pas de divergences d'appréciation puisque nous n'appliquons
pas des méthodes qui s'appliquent aux mêmes données.
En matière d'impôt sur les sociétés, avec la
direction de la prévision nous « tâtonnons »
ensemble. C'est un impôt extrêmement difficile à
prévoir et nous tentons de nous rapprocher les uns des autres en
fonction de leurs hypothèses macro et des nôtres, liées
à l'expérience du terrain, pour confronter nos
éléments. Il ne s'agit pas de méthodes scientifiques et
les approches sont différentes, car elles se placent pour eux de
manière macro économique et pour nous-mêmes, du point de
vue micro économique.
La fin de gestion : je serais mal placé pour vous faire un historique
depuis 1993, car je suis directeur général de la
comptabilité publique depuis moins de 2 ans et mes fonctions dans
mes précédentes tâches à la comptabilité
publique ne portaient pas sur ces opérations de fin de gestion. Elles
n'ont pas le même sens en période de haute ou de basse
conjoncture. Quand je regarde ce que disent les observateurs, notamment la Cour
des comptes sur les opérations de fin de gestion, j'observe que les
sujets en cause couvrent principalement des recettes non fiscales qui ont
été imputées sur l'exercice 2000. Dans une période
de basse conjoncture, ce choix d'opportunité aurait pu être
inverse.
Quand vous faites référence à l'euro, il est
évident que la manière dont nous avons suivi l'évolution
du seuil d'exécution budgétaire, compte tenu des contraintes
imposées par le traité de Maastricht a amené un suivi
particulier.
Sur les recettes 2000, je n'ai pas l'information hormis que le Gouvernement,
dans le cadre du projet collectif qui vient d'être déposé,
sera amené à réviser ses prévisions 2000 pour tenir
compte des mesures présentées et, notamment, sur l'impôt
sur le revenu, l'abaissement des plus basses tranches. Il intégrera une
révision plutôt à la hausse des perspectives d'impôt
sur le revenu et l'impôt sur les sociétés, en fonction des
observations effectuées au cours des premiers mois.
L'épargne logement : le chiffre est aujourd'hui de 50 milliards de
francs sur les engagements futurs si tous les plans souscrits allaient jusqu'au
bout et si l'Etat visait les primes associées.
M. le Président
.- Nous n'avons pas consommé tout
le temps réservé pour l'audition de M. BASSERES.
M. Philippe MARINI, Rapporteur général
.- J'ai une
question dans le domaine de la comptabilité patrimoniale et du
progrès des méthodes, s'agissant des entités du secteur
public, qui sont elles-mêmes de statuts très divers,
puisqu'il peut exister des sociétés contrôlées par
l'Etat, dont le capital appartient à l'Etat ou majoritairement, ainsi
que des entités en forme d'établissements publics jouant des
rôles économiques souvent importants et qui sont extrêmement
proches de l'Etat et dont ce dernier (je pense à la S.N.C.F. en
particulier) est bien évidemment le garant.
Avez-vous progressé en matière d'évaluation de ces
participations et comment travaillez-vous dans ce domaine avec la direction du
Trésor ?
Tenez-vous des réunions périodiques ? Existe-t-il une
démarche méthodique avec des choix de principes, des secteurs
étudiés expérimentalement et des sujets qui
s'affinent ? Pouvez-vous nous faire participer à ce travail
complexe qui, en théorie, devrait avoir été amorcé
après le vote d'un amendement dans le D.D.O.F. de 1994 où l'on
voyait pour la première fois émerger l'idée d'un bilan
consolidé des participations de l'Etat ?
M. Jean BASSERES
.- Monsieur le rapporteur général,
nous sommes dans un domaine qui est celui des engagements de l'Etat mais, dans
le bilan, pour être plus précis, nous sommes sur le compte 26 du
bilan de l'Etat qui retrace les dotations et participations. Dans le cadre de
ce C.G.A.F. 1999, nous avons commencé un travail important avec la
direction du Trésor pour tenter de réaliser deux
opérations distinctes :
Tout d'abord, donner plus de lisibilité à ce compte. Nous avons
tenté de mieux distinguer secteur marchand et secteur non marchand et,
au sein du secteur marchand, de classer les participations en fonction du taux
de participation de l'Etat. Nous avons retenu 10 %, 20 % et 50 %.
Nous avons voulu isoler les structures de cantonnement CADES, E.P.F.R. et
autres, qui ont une situation particulière puisque nous n'avons
cantonné que de la dette.
Nous voulions appréhender l'ensemble du champ que vous décrivez.
Le deuxième effort porte sur la valorisation. Comment fait-on pour
valoriser ces participations ? La méthode qui était retenue
part de la situation nette en prenant la quote-part de l'Etat, appliquée
à cette situation nette. C'était une méthode qui nous
conduit à travailler avec la direction du Trésor pour examiner le
bilan des sociétés en question. L'innovation que nous avons voulu
apporter cette année est de travailler (nous l'avons fait sur une
dizaine d'entreprises mais les plus importantes : Air France, France
Télécom et E.D.F.) sur les comptes consolidés pour
élargir le champ de nos travaux.
La méthode a changé. Nous raisonnons en quotes-parts sur les
capitaux propres, ce qui est une méthode technique admise. Nous essayons
d'enrichir la méthode de valorisation et j'espère que nous
pourrons poursuivre avec le Trésor, année après
année, pour aboutir à une meilleure valorisation du patrimoine de
l'Etat. Je précise que la valorisation que nous effectuons est une
valorisation économique bilantielle et non pas la valorisation
boursière qui est beaucoup plus fluctuante. Nous aurons toujours un
écart -c'est le cas avec toutes les entreprises- entre la valorisation
comptable et la valorisation boursière.
M. Jacques CHAUMONT
.- Le ministère des Affaires
étrangères vient d'entreprendre le recensement de l'ensemble des
bâtiments appartenant à l'Etat dans tous les pays étrangers
et, dans un certain nombre de pays, nous n'avions pas de bilan de nos biens
à l'étranger, en particulier, dans certains pays, cet
élément était inexistant. En France, sommes-nous en mesure
de savoir quel est le bilan de l'ensemble des propriétés
immobilières de l'Etat, qui appartiennent au ministère de
l'Intérieur ou de la Santé ?
M. Jean BASSERES
.- Nous avons en France ce que l'on appelle le
T.G.P.E. (Tableau Général permanent des Propriétés
de l'Etat) qui recense l'intégralité de sa
propriété. Dans le cadre des travaux sur la réforme
comptable, nous avons introduit une meilleure valorisation des immeubles
recensés dans ce T.G.P.E. Une première étape a
été effectuée cette année, assez significative, car
elle nous a conduit à valoriser le stock des immobilisations corporelles
et non corporelles de l'Etat à plus de 500 milliards de francs.
Jusqu'à cette date, nous avions un mode de comptabilisation particulier
: nous comptabilisions chaque année les flux de dépenses en
capital que nous amortissions intégralement. Nous avions une valeur
brute infinie et une valeur nette négative. Nous avons travaillé
avec la direction générale des impôts qui tient le T.G.P.E.
pour définir une meilleure valorisation des immeubles.
Une première étape a été franchie. Nous avons
notamment utilisé des valeurs de marchés. Une des étapes
que nous avons en tête pour l'année prochaine -et peut-être
les années ultérieures avec le ministère des Affaires
étrangères- est d'essayer de mieux appréhender le
patrimoine à l'étranger qui échappe au T.G.P.E. et qui,
dans certains pays, comme le Maroc ou l'Algérie est un patrimoine assez
important qu'il faudrait valoriser puisqu'il appartient au patrimoine
immobilier de l'Etat.
M. le Président
.- Merci, Monsieur le directeur
général.
Séance du 2 mai 2000
La séance est ouverte à 17 heures sous la
présidence de M. Alain Lambert
Audition de M. François VILLEROY de GALHAU,
Directeur
général des Impôts
Nous nous retrouvons dans le cadre de notre commission des finances et du
contrôle budgétaire qui siège avec les prérogatives
attribuées aux commissions d'enquête, et l'ordre du jour appelle
l'audition de François VILLEROY DE GALHAU, directeur
général des impôts.
Monsieur le directeur général, je vous souhaite la bienvenue
à la commission des finances.
L'objet de la commission est de s'informer sur le fonctionnement des services
de l'Etat dans l'élaboration et l'exécution des lois de finances.
Nous avons souhaité bénéficier de ces prérogatives
afin d'éviter tout débat juridique sur les droits d'une
commission comme la nôtre. Vous savez également que nous avons
choisi une méthode pluraliste puisque nous avons nommé un
rapporteur par groupe siégeant au Sénat et au sein de notre
commission de finances : M. Philippe MARINI, rapporteur
général, Roland du LUART, Bernard ANGELS, André VALLET,
Paul LORIDANT et moi-même.
Je rappelle tant aux commissaires qu'à vous-même en tant que
personnalités invitées que le secret doit être
conservé sur les travaux non publics de la Commission et que nous
siégeons dans le cadre de travaux non publics.
En cas de faux témoignage, la personnalité auditionnée
(la loi m'oblige à rappeler ces textes) est passible des peines
prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du Code pénal. Je
vous demanderai de prêter serment, à savoir de dire toute la
vérité, rien que la vérité, de lever la main droite
et de dire : «
Je le jure
».
M. François VILLEROY DE GALHAU
.- Je le jure.
M. le Président
.- Je vous donne la parole pour un propos
introductif, ainsi que nous en sommes convenus. A l'issue de celui-ci, le
Rapporteur général vous posera des questions et vous lui
répondrez conformément aux auditions habituelles de la commission
des finances. Ensuite, j'ouvrirai le débat à l'ensemble de la
commission et vous y répondrez.
M. François VILLEROY DE GALHAU
.- Je vous remercie de
votre accueil et je tiens à vous dire sincèrement le plaisir que
j'ai à me retrouver à la commission des finances.
J'adresse mes excuses à votre commission de n'avoir pu lui transmettre
pour cet après-midi les réponses écrites finalisées
au questionnaire qui m'avait été envoyé. Compte tenu du
délai assez bref, j'avais sollicité oralement l'indulgence du
Président la semaine dernière. Je veillerai à ce que vous
puissiez disposer de l'ensemble des réponses écrites d'ici demain.
Je comptais centrer mon propos introductif sur deux de ces questions au coeur
des travaux de la commission :
Question n° 1 : quel est le rôle de la direction
générale des impôts dans l'élaboration et
l'exécution des lois de finances ?
Question n° 5 : la direction générale des impôts
a-t-elle constaté ou initié des améliorations dans
l'exécution des lois de finances et quels seraient les progrès
à réaliser ? Je me permettrai d'étendre cette
question non seulement aux améliorations dans l'exécution des
lois de finances mais, peut-être également, dans la
prévision sur les lois de finances qui est un sujet important sur ces
dernières années.
Concernant le rôle de la direction générale des
impôts dans l'élaboration et l'exécution des lois de
finances, je ne saurais mieux le préciser qu'à partir des
missions générales de nature fiscale de la direction
générale des impôts, qui sont de trois types :
à L'établissement de l'impôt et les travaux d'assiette et
de contentieux correspondants.
à La vérification des déclarations et tout ce qui est
lié au contrôle fiscal.
à Pour certains impôts, l'encaissement des impôts ou le
recouvrement.
S'y ajoute depuis 1999 (puisque depuis cette année-là la
direction de la législation fiscale est rattachée à la
direction générale des impôts) une activité de
législation qui peut avoir une certaine importance pour votre commission
dans sa formation d'aujourd'hui.
Concernant l'élaboration et l'exécution des lois de finances,
chacune de ces missions générales de nature fiscale se
décline de façon différente. En matière d'assiette
et de contrôle -les deux premières missions que je mentionnais- la
compétence de la D.G.I. est une compétence générale
qui couvre l'ensemble des impôts établis au profit de l'Etat, des
collectivités territoriales et même de certains organismes
sociaux ; c'est le cas de la C.S.G., de la C.R.D.S. et du
prélèvement social de 2 %. Quand ils portent sur les revenus du
patrimoine, ils sont en effet de la compétence de la direction
générale des impôts.
En revanche, en matière de recouvrement, la compétence de la
D.G.I. est partielle puisqu'elle comprend principalement la T.V.A. autre que
sur les produits importés de l'extérieur de l'Union
européenne qui relèvent de la direction générale
des douanes. Outre la T.V.A., la compétence de la D.G.I. porte sur les
droits d'enregistrement, y compris les droits sur donation/succession et
l'impôt de solidarité sur la fortune.
C'est un nombre d'impôts relativement limité. C'est
néanmoins, en termes de recouvrement, près de la moitié
des recettes fiscales de l'Etat du fait du poids de la T.V.A. : nous
atteignons un total de 831 milliards de francs en 1999.
Ainsi que vous le savez, il avait été question ces derniers
mois, à travers divers projets de réforme, de transférer
d'autres impôts en recouvrement de la Comptabilité Publique vers
la direction générale des impôts, avec une version
limitée aux entreprises -c'était principalement la question de
l'impôt sur les sociétés- et une version « erga
omnes » dans la réforme envisagée en janvier. Nous
raisonnons pour 1999 et pour l'avenir à périmètre
inchangé en termes de frontières de recouvrement.
Un mot sur le rôle de la direction de la législation fiscale.
Elle prépare les textes législatifs et les législations
communautaires. Il lui revient de réaliser avec la D.G.I. des
simulations présentant l'incidence budgétaire des
éventuelles modifications législatives et réglementaires
qui peuvent intervenir en matière fiscale, ce qui joue un rôle
à propos des prévisions de recettes que nous pouvons faire.
Depuis 1995 -en particulier la circulaire du Premier ministre du 21 novembre
1995 sur les études d'impact-, il existe un chiffrage
systématique (vous le savez puisque ce document vous est destiné
en priorité) des nouvelles mesures fiscales qui sont prises.
Voilà les missions fondamentales de la D.G.I. dans l'élaboration
et l'exécution des lois de finances. A partir de ces missions, la D.G.I.
assure des prévisions. Je ne serai pas exhaustif sur les
prévisions de recettes que la D.G.I. peut opérer, mais je
voudrais rapidement en distinguer trois catégories :
Des prévisions en matière d'émission de rôles, -la
première fonction de la D.G.I.- qui portent sur l'impôt sur le
revenu tant courant que sur les rappels issus du contrôle fiscal, sur
l'impôt sur les sociétés, révisions alors
limitées aux rôles supplémentaires liés au
contrôle fiscal sur rôles.
Deuxième grande catégorie de prévisions : celles
concernant le recouvrement qui nous occupent peut-être plus directement
aujourd'hui où le champ des prévisions faites par la D.G.I. est
large. Je citerai les deux principaux impôts sur lesquels formellement,
en matière de recouvrement, la D.G.I. fait des prévisions :
l'impôt sur les sociétés et la taxe sur la valeur
ajoutée. J'ajouterai l'I.S.F. et les droits d'enregistrement.
Ces opérations de prévision donnent lieu en
général à deux réunions annuelles qui
réunissent les directions du ministère dont la D.G.I..
A partir de ces prévisions, la direction générale des
impôts assure un suivi régulier des impôts qu'elle encaisse
et, singulièrement, de la T.V.A. pour laquelle, mensuellement, avec un
décalage de l'ordre d'une vingtaine de jours, elle porte à
l'attention des ministres les encaissements réalisés au cours du
mois précédent.
Question 5 : les améliorations constatées ou à apporter
qui m'incitent à quelques réflexions sur ce qui s'est
passé ces dernières années.
Je relève une première catégorie d'améliorations
qui ne concerne pas les chiffres mais, d'une certaine façon, la
qualité des lois de finances et de leur volet fiscal.
Deux améliorations auxquelles l'ensemble D.G.I.-D.L.F. est tout
à fait attaché et qui rejoignent un souci de la commission :
d'une part, la lisibilité du code général des
impôts, vaste programme qui est toujours sur la table, et d'autre part,
la sortie rapide des décrets d'application à la suite des lois de
finances telles qu'elles ont été votées par le Parlement.
C'est un sujet sur lequel nous avons des marges d'amélioration, et qui
est important pour nous tous. Concernant la loi de finances initiale pour 2000
et le collectif 1999, nous avons là un motif de satisfaction puisqu'il
ne reste qu'un seul décret d'application (ce qui est la meilleure
situation de ces dernières années) en instance et en cours
d'examen au Conseil d'Etat.
Quelques remarques plus étendues sur la qualité des
prévisions telles qu'elles ont pu être faites par la direction
générale des impôts : je voudrais me limiter aux
quatre grandes catégories d'impôts sur lesquels nous faisons des
prévisions et à ce que la D.G.I. a pu constater sur
l'année 1999.
Si vous le souhaitez, je tiens les chiffres à votre disposition mais,
concernant la T.V.A. nette, un biais général de prudence a
été marqué par la direction générale des
impôts en matière de prévisions, comme les autres
directions de Bercy, mais pas d'erreurs significatives.
Nous nous trouvons, au fil des diverses réunions sur les recettes,
assez proches du chiffre de la loi de finances initiale et du chiffre de
l'exécution qui, comme vous le savez, est très proche de la loi
de finances initiale.
Des erreurs plus lourdes apparaissent sur les impôts directs ce qui,
d'une certaine façon, peut être jugé paradoxal, puisque ce
sont les impôts pour lesquels il existe un décalage d'un an entre
le fait générateur et la perception des impôts, et nous
pourrions imaginer que les erreurs soient moindres.
Un mot sur l'impôt sur les sociétés et l'impôt sur
le revenu.
Impôt sur les sociétés : il existe un écart de
33 milliards de francs entre la loi de finances initiale et l'exécution
qui explique plus de la totalité de l'erreur sur les recettes fiscales
nettes et tient d'une part à une erreur économique (le
bénéfice fiscal des sociétés était
sous-estimé) et, d'autre part, à l'effet amplificateur
très important de l'I.S. qui crée une réelle
difficulté de prévision pour l'ensemble des Directions de Bercy,
dont celle dont j'ai la charge. Le mécanisme d'acomptes et de solde rend
ce mécanisme difficile à prévoir. L'erreur sur 1999 a
été importante et concentrée sur cet l'impôt.
Concernant l'impôt sur le revenu, l'écart entre l'exécution
et la loi de finances initiale est de 12 milliards de francs ; nous
pourrons y revenir. Nous avons cru, à la D.G.I, au cours de
l'année, qu'il existait des explications conjoncturelles ou calendaires
aux encaissements d'I.R. importants que nous observions avec la DGCP. En fait,
il s'avère que ces explications calendaires ont joué, mais que
dans les 12 GF constatés en fin d'année il y a bien eu, là
aussi, une sous-estimation économique et peut-être quelques
erreurs techniques, d'où des améliorations techniques que nous
pouvons apporter sur la prévision d'I.R. sur lesquelles je reviendrai si
vous le souhaitez.
Enfin, un mot sur l'I.S.F et les droits d'enregistrement : il s'agit
d'une catégorie importante concernant les droits d'enregistrement sur
lesquels nous sommes pratiquement en ligne puisque nous exécutons
à 78 milliards de francs contre une prévision de 77,8 milliards
de francs.
L'I.S.F. est à l'inverse l'exemple d'une erreur de prévision
dans l'autre sens puisqu'à partir d'une prévision de loi de
finances initiale de 14,8 milliards de francs, l'exécution se situe
à 12,7 milliards de francs sur 1999, erreur qui s'explique largement
avec une autre catégorie de raisons ou de difficultés que nous
rencontrons, par une surestimation de l'effet des mesures législatives
figurant dans le P.L.F. 1999.
Ces simulations peuvent être imparfaites et un facteur d'erreurs de
prévision.
En conclusion, si après avoir focalisé sur quatre impôts
et sur la seule année 1999, j'élargis l'image aux trois
dernières années dont nous disposons : 1997-1999, et aux
prévisions faites par la D.G.I. , il me semble qu'il est possible de
relever la tendance à une certaine prudence des prévisions des
directions, en période d'accélération de la croissance, de
retournement de la conjoncture. Dans ce sens, d'une certaine façon, la
direction générale des impôts a appliqué, comme
d'autres directions, un « principe de précaution »
assez sensible en comparant les chiffres de prévision et
d'exécution.
S'y sont ajoutées sur l'année 1999 deux catégories de
difficultés particulières : une difficulté
économique, car le profil de l'année a été
heurté avec le fameux « trou d'air », et quelques
imperfections de prévisions techniques. C'est la partie que nous pouvons
le plus utilement améliorer pour l'avenir.
M. le Président
.- L'avantage des propos introductifs
allusifs est de laisser le champ aux questions.
M. Philippe MARINI, Rapporteur général
.- Pour ce
qui est de l'évaluation et du suivi des recettes en cours d'exercice, en
prenant l'exemple de l'année 1999 (mais ceci ne doit être
considéré que comme un exemple), je voudrais poser quelques
questions à M. VILLEROY DE GALHAU.
Comment les rôles sont-ils coordonnés au sein de la direction
générale des impôts ?
Quels éléments relèvent-ils de la responsabilité
de la direction de la législation fiscale et, le cas
échéant, de la responsabilité de la sous direction
« coordination et stratégie » ? Quels sont ceux
pouvant être de la responsabilité de l'échelon direction
générale ? Comment les choses se passent-elles à ce
niveau sous l'autorité du directeur général des
impôts ?
En matière d'élaboration de ces prévisions, comment les
approches se conjuguent-elles entre les directions de Bercy ?
Le directeur général me permettra peut-être de mettre
à contribution sa mémoire d'ancien directeur de cabinet, car les
différentes directions, s'agissant de la direction
générale des douanes, avec la direction générale
des impôts pour ce qui est de la T.V.A., de la direction de la
comptabilité publique avec la direction générale des
impôts pour ce qui est de l'impôt sur le revenu ou les
sociétés et la direction de la prévision de façon
générale en tant que responsable du cadrage économique
d'ensemble, toutes ces directions vont devoir conjuguer leur approche.
Comment cela se passe-t-il concrètement ?
Nous savons qu'il existe deux comités d'arbitrage en février et
juin-juillet. Comment cela fonctionne-t-il ?
Quelle est la nature de l'information qui remonte ? Comment les
arbitrages et les décisions sont-ils concrétisés ?
Existe-t-il des comptes rendus, des éléments, qui permettent a
posteriori de reconstituer les raisonnements ?
J'ajoute que tous ces aspects concernant la remontée des recettes
doivent être traités en cohérence avec la direction du
budget. Pouvez-vous nous faire participer à cette maturation interne en
prenant l'exemple de l'année 1999 de ces deux rendez-vous, début
et mi-année 1999.
De plus, Monsieur le directeur général, pouvez-vous nous dire,
compte tenu des chiffres réels de la gestion 1999, à quelle
révision ces chiffres vous conduisent pour la gestion 2000 ?
Des conséquences de méthode ont-elles été
tirées des épisodes de l'année 1999 et les
procédures sont-elles susceptibles d'être modifiées ?
Dans l'imputation des recettes entre l'exercice qui se clôt et l'exercice
qui commence, existe-t-il, compte tenu de l'expérience des
clôtures d'exercices passés, des règles et des
procédures plus certaines et formalisées avec des documents
réguliers et des arbitrages ? Tous ces éléments
étant en cours d'évolution, pouvez-vous nous parler
concrètement de la manière dont ces sujets sont
maîtrisés ?
En guise de conclusion et en saisissant la perche que nous tendait M. VILLEROY
DE GALHAU, pourrions-nous lui demander de parler davantage de la
prévisibilité de l'impôt sur les sociétés,
problème non seulement comptable mais également
économique ?
M. François VILLEROY DE GALHAU
.- Les questions du
rapporteur général sont nombreuses et riches. Je tenterai d'y
apporter une réponse aussi précise que possible.
Concernant la répartition des responsabilités à
l'intérieur de l'ensemble D.G.I./D.L.F, l'essentiel des
responsabilités de prévision incombent au bureau que nous
appelons « CS4 » qui fait partie de la sous direction que
vous avez citée, dite « c
oordination et
stratégie
».
Je ne veux pas entrer dans des points de « cuisine »
administrative. Le rattachement de ce bureau qui est avant tout statistique
à la sous-direction dite « coordination et
stratégie », est tout à fait circonstanciel. Il est
envisagé de le rapprocher d'un autre service de la D.G.I : le
service de l'application. Ceci permettrait d'être plus proche de la
sous-direction du recouvrement, ce qui serait plus naturel.
Voilà concernant la compétence de droit commun .
La compétence d'exception est celle de la D.L.F en matière de
prévisions de recettes.
La D.L.F est compétente en matière de prévision
concernant les modifications de la législation fiscale, auxquelles est
systématiquement associé un chiffrage.
Un impôt donne lieu traditionnellement à une prévision
parallèle de la part de ce bureau CS4 et de la D.L.F., à savoir
l'impôt sur le revenu pour lequel les modifications sont quasi
systématiques chaque année. Il nous a toujours paru
intéressant que la D.L.F. puisse faire une prévision sur
l'impôt sur le revenu, mais c'est le seul impôt sur lequel elle
fasse une prévision globale par rapport au bureau CS4.
Concernant l'intervention de la direction générale ou du
directeur général sur cet exercice de prévision, il me
semble, avec le faible recul que me permettent mes fonctions, qu'elle est
traditionnellement faible.
Il s'agit d'un exercice dont le caractère technique est fortement
marqué et qui ne nécessite pas d'arbitrage stratégique
contrairement à ce que laisse croire cette appellation
« c
oordination et stratégie
» qui est
abusive, concernant le bureau CS4 . Il ne me semble pas que, dans la
mémoire collective, la D.G.I, le directeur général et ses
collaborateurs directs, se soient fortement impliqués pour faire
modifier telle ou telle prévision.
Seconde question que vous avez posée et qui est tout à fait
essentielle : la conjugaison des approches entre les différentes
directions de Bercy. J'y répondrai tout d'abord du point de vue du
directeur général des Impôts. Il s'agit à la fois de
complémentarité et de concurrence.
Complémentarité : l'ensemble des directions qui réalisent
des prévisions travaillent deux fois par an à partir des
mêmes hypothèses économiques.
Ainsi, un facteur de discordance potentielle est supprimé. Ces
hypothèses économiques sont très largement issues des
travaux de la direction de la prévision et sont ensuite
communiquées à l'ensemble des directions participant à
l'exercice, à l'avance.
Autre exemple de complémentarité non négligeable : ce qui
se produit sur l'impôt sur le revenu. Je l'ai dit de façon rapide,
la direction générale des impôts ne fait pas formellement
de prévision concernant les recouvrements d'impôts sur le revenu
dont elle a la charge, mais une prévision plus en amont sur les
émissions de rôles, en liaison avec la direction de la
comptabilité publique. Celle-ci applique un taux de conversion, qui ne
pose pas de difficulté particulière, pour arriver à une
prévision en termes de recouvrement qui est celle comptant sur le plan
budgétaire.
C'est un autre cas de complémentarité entre directions.
Pour le reste, il y a largement concurrence et, si je peux émettre une
appréciation d'opportunité, cette situation me paraît
souhaitable. Les trois ou quatre directions qui, sur chaque impôt, font
des prévisions, le font indépendamment des unes des autres
à partir des mêmes hypothèses économiques, ce qui
permet de diversifier le spectre.
Je précise que la direction générale des impôts -je
vous le confirmerai par écrit- ne fait pas de prévision sur
l'ensemble des impôts et qu'il en est de même de la direction des
douanes ou de la comptabilité publique que vous avez citées.
Il ne me semble pas que, sur les années récentes tout au moins,
cela ait conduit à des dispersions ou des incohérences
très fortes entre les prévisions des différentes
directions, mais c'est une forme de contrôle ou de sûreté
qui me paraît appréciable.
Vous avez posé la question de la cohérence avec la direction du
budget et de la mise en cohérence. En faisant appel à mes
souvenirs lointains, la direction du budget est partie prenante à cet
exercice de réunions de recettes, physiquement. Par ailleurs, elle
effectue des prévisions sur la totalité des impôts,
à la différence de la direction générale des
impôts. Elle pèse donc plus que les autres, mais est une partie
prenante à l'exercice à partir des mêmes hypothèses
économiques.
La confrontation des apports des différentes Directions a lieu au cours
de réunions « recettes » qui se déroulent en
général début février et début juillet (sauf
erreur de ma part, car je n'y ai jamais participé dans aucune de mes
capacités). Les participants du cabinet sont des conseillers techniques
issus de la synthèse budgétaire. La participante concernant la
direction générale des impôts est la responsable du bureau
CS4, ce qui illustre la faible intervention du directeur général
dans le processus.
Je ne suis pas certain de pouvoir répondre de façon
satisfaisante et rationnelle à votre question sur la reconstitution des
raisonnements issus de ces réunions « recettes ». Il
me semble qu'en l'absence de discordances importantes entre les directions, les
débats sont rarement très lourds. Il peut arriver -et il est vrai
que cela s'est produit sur les années 1997, 1998 et 1999- que
l'arbitrage du pouvoir politique à travers le ministre,
préparé par son cabinet, joue un rôle d'amortisseur par
rapport à des variations plus fortes que donnent les directions.
Il ne me semble pas -mais j'avoue ne pas avoir fait d'étude
scientifique en la matière- que sur les trois dernières
années, l'intervention du pouvoir de décision du ministre
préparé par son cabinet ait conduit à des chiffres de
prévisions significativement plus mauvais que ceux des directions. Il
est même arrivé qu'ils soient meilleurs, mais il faudrait analyser
plus précisément les éléments sur ce point.
Vous avez posé la question, Monsieur le rapporteur
général, de l'exercice 2000 et des révisions auxquelles
cela pouvait nous conduire.
Je pense que vous ne visiez pas les révisions chiffrées, sinon
j'y reviendrai. Des révisions chiffrées de recettes ont eu lieu,
auxquelles les ministres ont procédé au mois de mars pour tenir
compte de l'effet de base et qui donneront lieu au collectif qui viendra devant
votre assemblée.
Quelques considérations de méthode : la procédure
elle-même, à ma connaissance, n'est pas appelée à
changer. Je crois qu'en elle-même, elle fonctionne de façon
relativement satisfaisante. Nous avons tenté de « balayer
devant notre porte » concernant la part d'erreurs techniques que
j'évoquais et qui ont joué un rôle seulement partiel dans
les erreurs de 1999. Nous pourrons utiliser ces erreurs pour l'avenir, en
particulier sur un point d'intérêt pour la commission :
l'impôt sur le revenu.
Le concernant, les effets calendaires constatés sur les fortes
rentrées d'août et septembre sont expliqués par le fait que
la direction générale des impôts a procédé,
à un rythme très soutenu, à ce que nous appelons dans
notre jargon, « l'émission
accélérée », à savoir le pourcentage des
montants de l'impôt sur le revenu majorables au 15 septembre, ce qui
est l'échéance très générale.
Ce pourcentage est passé d'un peu plus de 93 % en 1998 où il
était particulièrement bas, du fait d'un mouvement de
grève dans les centres informatiques, à plus de 97 % en 1999. De
ce fait, nous avons eu un déport calendaire vers août et septembre
par rapport aux années précédentes.
Au-delà de cet effet calendaire important (environ 12 milliards de
francs), il y a eu au moins deux facteurs d'erreurs que nous identifions
aujourd'hui : nous avons sous-estimé l'effet du basculement
CSG/cotisations sociales sur la prévision d'impôt sur le revenu.
D'après nos calculs, ex post, il joue pour au moins 2 milliards de
francs.
Second facteur sur lequel nous avons moins de certitudes mais qui est plus
intéressant pour l'avenir. Très probablement, en période
de forte croissance -et nous connaissons une période de forte
croissance-, le pourcentage d'évolution des salaires varie au long du
spectre des revenus. Or, la méthode traditionnelle de prévision
applique un pourcentage d'évolution homogène à la
catégorie traitements et salaires, qui est donc un taux moyen de
progression.
Cet élément ne tient pas compte de la progressivité de
l'impôt. Nous avons constaté, sans que je puisse
complètement donner de certitude à la commission, le fait que
dans une période de forte croissance et même si cela ne va pas
peut-être dans le sens de la redistribution que nous pourrions tous
souhaiter, les revenus avant impôt progressent probablement d'autant plus
vite qu'ils sont élevés. Les hauts salaires ont donc tendance
à progresser plus rapidement que les salaires moyens ou les salaires bas
avant impôt.
Nous n'en tenions pas compte. Nous avons tenté, sur l'année
2000, de rectifier ce point : c'est une originalité de la D.G.I.
par rapport à d'autres directions, qui illustre les différences
de méthodes qui peuvent être retenues. Nous pouvons arriver
à un effet non négligeable qui serait, sur le rendement de
l'impôt sur le revenu 2000, de l'ordre de 3 milliards de francs ou 4
milliards de francs.
Quant à l'impôt sur les sociétés, sa
« prévisibilité » est extrêmement
mauvaise.
Nous avons constaté en 1999 ce qui est probablement sur le plan
économique le cumul de deux effets : une sous-estimation forte des
résultats des entreprises au sens des résultats
économiques, et la sous-estimation de la fin des reports
déficitaires d'I.S., qui étaient nés dans le creux de la
précédente récession en 1993-1994 et se terminant au bout
de la période de 5 ans. C'est très probablement, sans que je
puisse étayer les chiffres, un élément d'explication des
très fortes surprises d'I.S. que nous avons eues en 1999.
Facteur individuel tout à fait important : le fait qu'une grande
entreprise, Renault, au 15 décembre, ait décidé de verser
près de 6 milliards de francs d'I.S. au titre du bénéfice
mondial. C'est une décision individuelle que rien ne laissait
prévoir et d'une grande importance, quasi macro-économique.
Pouvons-nous améliorer cette prévisibilité pour
l'avenir ? J'espère que oui. Nous devrions travailler (sans que
j'ai encore un mode opératoire tout à fait finalisé) non
pas à partir d'une prévision macro économique -même
si elle peut aider- de l'évolution des profits des entreprises mais, si
possible, à partir d'une approche plus micro économique,
peut-être d'un échantillon des résultats comptables des
entreprises tels qu'ils sont publiés en début d'année.
Les entreprises publient de plus en plus tôt et de façon de plus
en plus transparente leurs résultats de l'année N-1 en
début d'année N. Nous ne savons pas encore bien utiliser toute
cette masse d'informations pour réaliser la prévision d'I.S.
Pouvons-nous un jour arriver à un échantillon jugé
représentatif que nous nourrissions au fur et à mesure des
publications ? Je n'en suis pas sûr, mais c'est une piste de
réflexion qui nous est ouverte par les difficultés de
l'année 1999.
M. Maurice BLIN
.- Monsieur le directeur, quittant les
considérations de conjoncture que nous avons tous en l'esprit, je
voudrais vous poser deux questions qui me sont inspirées par la lecture
la plus banale des journaux et portent sur l'efficacité, la
rentabilité -je n'ose pas dire l'utilité- de cette énorme
armée de 86 000 personnes qui composent la direction
générale des impôts.
Il est dit et rapporté (est-ce vrai, est-ce faux ?) que le
coût de cet appareil qui gère l'impôt en France est plus
élevé qu'il ne l'est dans d'autres pays et que sa
rentabilité est tout à fait discutable. Je serais tenté de
le croire au vu des récents événements auxquels vous avez
été directement mêlé et qui vous ont, avec d'autres,
conduits à souhaiter une réforme de cette lourde machine.
Pouvez-vous rappeler ce qui inspirait cette réforme ? S'agit-il,
comme je le pense, de la crainte de voir cette machinerie tout à fait
inadaptée aux méthodes plus modernes de gestion de
l'impôt ?
Pour parler plus simplement, effectivement, comme on l'écrit, la France
détiendrait-elle en Europe le système de perception de
l'impôt le plus lourd et le moins satisfaisant ?
La fraude : il a souvent été dit et répété
que le Français n'aime pas l'impôt (mais qui aime
l'impôt ?) et le fraude plus que d'autres.
Est-ce vrai, si nous comparons aux moyennes européennes que nous devons
connaître puisque nous sommes amenés à nous rapprocher de
nos voisins européens ? De quel remède use-t-on et y a-t-il
eu des améliorations dans ce sens qui n'iraient pas vers un renforcement
d'un contrôle tatillon, inopportun, excessif et parfois injurieux d'un
contribuable qui ne veut pas payer son impôt ?
M. Denis BADRE
.- J'ai beaucoup travaillé sur la question
de la T.V.A. alors que j'étais chargé de rapport.
Par définition, l'importance de la fraude n'est pas mesurable. Cet
élément a toujours été opposé à
Bercy. En revanche, est-il possible de mesurer l'impact de la lutte contre la
fraude ? Cette lutte existe et vous lui affectez des moyens. Vous savez ce
que vous faites. Il serait intéressant, ou tout au moins utile,
d'affecter aux résultats de cette lutte une part des recettes que l'Etat
encaisse. C'est une manière de légitimer ces actions de lutte
contre la fraude et de se donner la capacité de les renforcer, ou
d'arrêter les frais si cela ne sert à rien. Il serait
intéressant de mesurer l'impact de ces actions. Est-ce possible ?
Sur les baisses ciblées de T.V.A. en général et sachant
que nous avons sous les yeux une expérimentation grandeur nature,
puisque des baisses ciblées ont été retenues à
l'automne dernier, notamment dans le domaine du bâtiment, l'exemple est
clair : baisse de taux signifie à volume constant, baisse de
recettes, mais ces baisses de taux étaient fondées
essentiellement sur le fait que l'on imagine qu'une baisse de taux augmentera
la consommation et réduira le travail au noir.
Aujourd'hui, au bout de six mois, est-il possible d'affecter au travail au
noir une part de l'impact de ces mesures ? Entre la baisse des recettes
liée à la baisse de taux à volume constant et
l'augmentation de la recette liée à l'augmentation du volume et
une relance de la consommation ou une baisse du travail au noir, ces
éléments peuvent-ils être analysés de manière
précise ? Ce serait intéressant pour permettre de cerner nos
travaux à l'avenir.
Vous avez évoqué, en parlant de l'I.S.F, la baisse de
résultats par rapport aux prévisions en matière d'I.S.F.
en passant de 14 à 12, mais vous n'avez pas parlé de l'effet de
délocalisation. N'avez-vous pas traité ce sujet par pudeur ou
parce qu'il n'existe pas d'impact ou, toujours pour la même raison, ne
savons-nous pas le mesurer ?
M. Paul LORIDANT
.- Monsieur le directeur général,
je voudrais revenir quelques instants sur l'impôt sur les
sociétés. J'avoue que je n'avais pas mesuré la
volatilité de cet impôt et sa difficulté de
prévision et j'avais une autre vision sans doute simpliste.
Je constate que les grandes entreprises, notamment celles qui sont
cotées, du fait de règles quasi internationales font aujourd'hui
des communications trimestrielles de résultats. Par ailleurs, il
suffisait de lire la presse financière pour savoir que dès l'an
dernier le volume des dividendes versés au titre des actionnaires avait
substantiellement augmenté.
Le phénomène -puisque nous sommes dans la période des
assemblées générales- semble se reproduire car toutes les
assemblées générales des sociétés, les unes
après les autres, annoncent des augmentations de dividendes. Je sais
qu'il existe parfois, du fait de la cotation et de la volonté des
entreprises d'être cotées, une politique de dividendes
déconnectée en partie des résultats, mais cette situation
ne peut pas durablement exister.
Une société, une entreprise, qui verse des dividendes
majorés d'une année sur l'autre peut puiser dans les
réserves ou mettre moins en réserve, mais cela ne peut pas aller
plus loin. Le phénomène d'accélération du volume
des dividendes versés est un phénomène ressenti depuis
tout au moins deux exercices.
N'y a-t-il pas là une méthode d'une meilleure approche du volume
de l'impôt sur les sociétés ?
M. Bernard ANGELS
.- Ma question est une précision
concernant la façon dont la collecte des statistiques fiscales est
exercée au sein de la D.G.I. Quelles sont vos sources de statistiques ?
Comment sont-elles centralisées, traitées et
diffusées ? Quel service et quel effectif ce travail concerne-t-il
au sein de la D.G.I. ?
M. Roland du LUART
.- M. BADRE a posé les deux questions
que j'avais envisagé de poser, notamment quand le directeur nous a dit,
concernant l'I.S.F que d'après lui il existait une surestimation du
projet de loi de finances par rapport à la réalité. Ne
s'agirait-il pas plutôt d'une délocalisation non
mesurée ?
Je rappelle qu'à plusieurs reprises, quand M. STRAUSS-KAHN était
ministre de l'économie et des finances, nous lui avions posé des
questions mais n'avions pas obtenu de réponses. La commission des
finances aimerait les connaître.
Un éclairage : je n'ai pas compris votre propos quand vous avez dit
que dans le domaine de l'impôt sur le revenu, 2 milliards de francs
de recettes supplémentaires étaient liés à l'effet
CSG-CRDS. Je voudrais comprendre le mécanisme.
Enfin, concernant la baisse de la T.V.A., qui, comme M. BADRE l'a
évoquée sur le bâtiment l'année dernière,
était un élément excellent pour lutter contre le travail
au noir et relancer la machine économique, quand souvent nous avons le
souhait d'aller plus loin dans ce sens, on nous explique que ce n'est pas
possible par rapport à Bruxelles.
Je voudrais savoir pourquoi nous ne pouvons pas aller à une T.V.A.
à 5,5 % pour la restauration puisque les Mc Donald's le peuvent,
à l'inverse de la restauration traditionnelle.
M. le Président
.- Monsieur le directeur
général, vous avez, en réponse au rapporteur
général, donné des explications sur les différences
de méthodes, éventuellement entre les grandes directions du
ministère.
Pour le ministre qui doit arbitrer à partir de prévisions qui
lui sont faites par différentes directions, existe-t-il une tradition
d'optimisme ou de pessimisme suivant les directions ? Le politique doit
parvenir à élucider, dans la somme d'informations qui lui
parviennent, ce qui est la bonne mesure. J'aimerais que vous nous contiez -avec
le sens de la concision qui est le vôtre- l'exercice auquel il doit se
livrer.
Quelle était l'appréciation de votre direction sur le niveau des
recettes fiscales en février 1999 puis en novembre ? Y
avait-il des différences de prévision avec les autres directions
et qu'elles pourraient-elles être ?
Nous nous posons un certain nombre de questions sur le bon usage du temps
démocratique du Parlement dans l'élaboration de la loi de
finances. Nous avons travaillé un certain nombre de semaines pour
l'élaboration de la loi de finances 2000 à partir de
prévisions dont manifestement un toilettage n'aurait pas
été inutile. Vous paraît-il, avec l'expérience qui
est la vôtre, incontournable et impossible d'introduire des
éléments nouveaux de prévision au début du
débat budgétaire ?
J'imagine qu'entre le début et la fin de l'année 1999, au moment
où nous commencions le débat budgétaire, vous aviez une
perception précise des modifications et de l'impact qui se produiraient
sur l'exécution 2000.
Je voulais, s'agissant des opérations de fin de gestion, savoir si
votre direction, dans les propositions au ministre, a un rôle essentiel,
et quel formalisme s'opère pour ces opérations de fin de gestion.
La décision est-elle orale ou donne-t-elle lieu à des
procès-verbaux ou d'autres documents administratifs ?
S'agissant des opérations ou des recettes liées au
contrôle fiscal, les prévisions de recettes intègrent-elles
les droits constatés après contrôle fiscal ou n'en
tiennent-elles pas compte ?
C'est un sujet que nous avons souvent évoqué au sein de cette
commission. Je souhaiterais avoir votre réponse sur le sujet.
Où en est le processus d'intégration des recettes de l'Etat au
budget ?
Le ministère fait-il des prévisions de recettes qui concernent
les recettes extra budgétaires ?
La D.G.I. communique-t-elle au ministre son appréciation la plus
réaliste des prévisions de recettes ou fait-elle preuve de
prudence ? Sommes-nous inévitablement dans un jeu de rôles et
votre direction a-t-elle une tradition de pessimisme la conduisant à
faire des prévisions de recette prudentes, car, loyalement, dans votre
propos introductif, vous n'avez pas hésité sur la qualification
et vous avez parlé «
d'erreur
économique
» et de
«
sous-estimation
». Il est important, nous
concernant, de savoir qu'elle était vraiment l'appréciation de
votre direction.
Compte tenu que vous avez bien connu la période 1992-1993, dans un
autre sens, trouve-t-on les mêmes phénomènes
d'amplification ?
La D.L.F a-t-elle une science que vous pourriez nous révéler
aujourd'hui en avant-première sur l'estimation des mesures fiscales et
les géniales propositions que le Parlement émet au cours de la
discussion budgétaire ?
M. François VILLEROY DE GALHAU
.- Sur la question de M.
BLIN, concernant l'efficacité et la rentabilité de la D.G.I,
j'ignore si l'on peut parler de rentabilité. C'est dans tous les cas une
administration qui, à cette aune, rapporte beaucoup plus qu'elle ne
coûte. C'est un raisonnement sur lequel une certaine prudence s'impose.
Concernant les effectifs de la D.G.I., une précision : les effectifs
budgétaires de la D.G.I., en équivalents temps plein, sont de
l'ordre de 78 000 personnes, ce qui, compte tenu du temps partiel,
correspond à 84 000 personnes physiques.
Un essai de comparaison a été effectué depuis deux ans
avec des administrations fiscales étrangères sur le coût
d'intermédiation ou le coût de gestion de l'impôt, pour
rapporter ce que coûte non seulement la D.G.I., mais l'ensemble des
administrations fiscales, dont la partie fiscale de la D.G.C.P. , sachant
qu'à la D.G.I., une partie non fiscale est sortie. On arrive à un
coût de gestion qui se situe pour la France, comme vous le savez, autour
de 1,6 %, ce qui est au niveau de l'Allemagne et de l'Italie, sensiblement
supérieur à la moyenne européenne autour de 1,1 %,
certains pays étant même significativement au-dessous de ces
chiffres, comme la Suède.
Il existe quelques éléments d'explications objectifs de cette
situation qui correspondent à des choix politiques tout à fait
légitimes à la France. J'en cite tout au moins trois :
à L'absence de retenue à la source qui est un facteur de
coût.
à L'importance du maillage territorial qui résulte d'un choix
d'aménagement du territoire qui doit être pris en compte.
à Dernier facteur plus difficile à chiffrer : l'importance
relative des impôts locaux en France, plus compliqués et plus
chers en gestion, en particulier les impôts sur les personnes. La taxe
d'habitation -pour laquelle la même étude avait tenté de
déterminer un coût de gestion- est, parmi les impôts
importants, celui le plus cher en gestion. Cela correspond au souci de limiter
certaines imperfections par des dégrèvements et des
mécanismes plus chers en gestion.
Ces éléments d'explications objectives existant, nous avons
néanmoins une marge d'amélioration. C'était le sens de la
réforme telle qu'elle avait été mise sur la table fin
janvier, et de la réforme : modernisation que M. Fabius a
relancée vendredi dernier à l'occasion du Comité Technique
Paritaire ministériel.
Il me semble que notre objectif premier doit être de rendre un meilleur
service à l'usager, ce qui passe par des modernisations prioritaires,
particulièrement concernant les systèmes d'information.
Pour faire très court sur ce sujet qui mériterait de beaucoup
plus longs développements, nous avons à la D.G.I., comme par
ailleurs assez largement à la D.G.C.P., une informatique qui a rendu des
services éminents. Mais elle est très verticale par impôt
et par processus à l'intérieur des impôts, avec des
applications souvent différentes pour l'assiette, le contrôle et
le recouvrement.
De plus en plus, nous devons aller vers une informatique transversale qui
n'est plus par processus, mais par contribuable. Ceci sera permis notamment par
l'utilisation du NIR
sous le contrôle de la CNIL.
Quand nous aurons fait ces progrès de systèmes
d'information, ce qui est un processus ambitieux, et quand nous aurons
introduit des simplifications pour l'usager, nous pourrons améliorer
significativement l'efficacité de l'organisation ; ce doit
être un objectif, sans toucher aux emplois, puisque personne dans la
Fonction publique n'est menacé de perdre son emploi. Nous verrons ce que
donne les effectifs futurs de la D.G.I.
Concernant la fraude, le souci que vous avez exprimé ainsi que
M. BADRE, est un souci que nous partageons quotidiennement.
Par définition, la fraude est très difficile à chiffrer.
Des estimations circulent, mais je ne crois pas pouvoir sérieusement les
reprendre à mon compte devant votre commission, car elles me paraissent
insuffisamment fiables. Le chiffre qui en la matière est probablement le
plus fiable, est ce que représente l'effort de lutte contre la fraude,
à savoir l'ensemble des redressements au titre du contrôle fiscal
toutes catégories confondues, qu'il s'agisse des particuliers ou des
entreprises, du contrôle sur pièces ou du contrôle sur place.
Ce total est de l'ordre de 90 milliards de francs à 100 milliards de
francs. Il est possible de considérer que c'est une approche de la
fraude, même si une partie du contrôle fiscal ne correspond pas
à de la fraude, mais plutôt à des omissions de bonne foi du
contribuable, des erreurs matérielles et autres.
En la matière, nous devons marier un certain nombre d'orientations, la
principale étant d'avoir une meilleure qualité du contrôle
fiscal. Il est sûr que le chiffre que je viens de citer mêle un
certain nombre de petits contrôles et d'erreurs de bonne foi des
contribuables ainsi que des contrôles lourds qui correspondent à
ce que vous appeliez la grande fraude ou la fraude internationale.
Je crois que, de plus en plus -ceci devrait se traduire dans nos structures
administratives sans abandonner le terrain du contrôle quotidien qui est
essentiel à l'égalité des citoyens devant l'impôt et
à une forme d'équité fiscale- nous devons dégager
plus de moyens pour le contrôle de nouvelles formes de fraudes qui se
dégagent, en particulier au niveau des entreprises, mais pas uniquement.
Je ne sais pas s'il faut aller jusqu'à la piste que M. BADRE
évoquait qui est d'intéresser directement les structures de lutte
contre la fraude en leur consacrant, sous forme de moyens
supplémentaires, une partie des résultats. Nous tentons de
développer les moyens de ces structures. L'intéressement direct
pourrait peut-être avoir un certain nombre d'inconvénients
psychologiques, voire politiques.
Je précise, car l'idée existe très souvent, que les
inspecteurs des impôts, les vérificateurs, individuellement n'ont
pas d'intéressement en termes de rémunération au
résultat de leur propre activité. Cette question m'est souvent
posée. Pour favoriser l'objectivité du contrôle fiscal,
c'est un élément important.
Nous devons aller dans le sens de cette qualité du contrôle
fiscal. Un des éléments importants de la réforme
annoncée par le ministre vendredi, à savoir la mise en place
d'une Direction des Grandes Entreprises qui nous permettra d'intégrer le
traitement des grands groupes, a ce double effet : un effet de simplification
pour les entreprises en cause -et il est très important de pouvoir les
considérer en tant que groupes- mais aussi, dans certains cas, le
meilleur repérage de certaines pratiques qui peuvent s'apparenter
à de la fraude et notamment de la fraude internationale.
Concernant l'effet des baisses ciblées de T.V.A. sur la
réduction du travail au noir, je n'ai pas aujourd'hui le moindre
élément à vous donner. Je crois qu'il est un peu tôt
pour en juger. C'est un élément qu'il faudra regarder
précisément le moment venu, afin que votre commission puisse
disposer d'un maximum d'éléments.
Vous avez posé la question de l'I.S.F et de l'effet des
délocalisations : je donnerai une précision chiffrée.
L'effet auquel j'ai fait allusion en 1999 est un effet de moindre rendement par
rapport à ce qui était prévu en loi de finances. C'est une
prévision plus faible que prévu, à l'inverse d'autres
impôts.
Si nous regardons la séquence des rendements réels de l'I.S.F.,
année après année en termes d'exécution, nous
constatons une croissance régulière et même assez forte de
10,5 milliards de francs en 1997, 11,1 milliards de francs en 1998, et
12,7 milliards de francs en 1999, soit une forte augmentation de plus de
10 % des recettes de l'I.S.F. en 1999.
Je ne crois pas que l'on puisse imputer aux délocalisations un effet
très significatif en termes de rendement de l'I.S.F. La D.G.I. vient de
terminer une étude assez complète sur les délocalisations
en 1997 et 1998. Nous n'avons pas encore les chiffres de 1999.
Le chiffrage que nous avons, aussi bien sur 1997 que sur 1998, est de l'ordre
de 350 contribuables chaque année délocalisés à
l'I.S.F. par rapport à plus de 180 000 contribuables à l'I.S.F.
En termes de perte de rendement, il est de l'ordre de 140 millions de francs
chaque année, soit à peu près 1 % du rendement total de
l'I.S.F. Le phénomène existe. Je ne veux pas en nier l'existence,
mais il est moins fort que ce qui a parfois été
évoqué.
M. LORIDANT est revenu sur la question de la prévision de l'I.S. Je
rejoins en partie ce que vous suggériez, à savoir partir le mieux
possible d'une observation de la pratique des grands groupes, en partie
seulement parce qu'il existe un certain nombre de facteurs propres au rendement
fiscal des sociétés que nous n'arriverons pas à prendre en
compte par l'observation de leur politique de dividendes.
Il y a l'effet, que vous citiez vous-même, du taux de distribution qui
peut varier et qui est neutre par rapport au bénéfice fiscal,
mais également un certain nombre d'autres effets.
Le mode même de versement de l'I.S. amplifie considérablement les
variations, avec quatre acomptes versés entre mars et décembre,
et un solde versé en avril de l'année N+1. L'effet de ce solde
peut être un considérable amplificateur ainsi que cela s'est vu en
avril 1999.
Le rapport économique et financier associé au projet de loi de
finances en septembre dernier comprenait (car c'est une difficulté qui
était déjà identifiée à l'époque)
deux pages de développement sur ce sujet précis des acomptes et
du solde. C'est une caractéristique très spécifique de
l'I.S. d'enregistrer un effet accélérateur, à la
différence des autres impôts qui enregistrent une variation simple
du premier degré.
Je crois qu'il faut que nous arrivions à mieux intégrer
-peut-être pas directement les dividendes des grands groupes- mais leurs
résultats publiés. Néanmoins, il restera un aléa
fiscal important. Quand nous regardons ces dernières années dans
les deux sens et entre les directions (j'effleure à ce propos votre
question, M. le Président), l'I.S. est toujours l'impôt sur lequel
nous avons les divergences les plus importantes entre les prévisions des
directions et l'exécution et à l'intérieur des
prévisions des différentes directions.
Sur la question posée par M. ANGELS à propos du bureau CS4, de
son organisation, de ses sources et de l'utilisation des statistiques, le
bureau CS4 représente 35 personnes tous grades confondus.
L'origine de ses statistiques vient des chaînes de gestion de
l'impôt et des applications informatiques gérées par la
D.G.I. sur l'I.R., la T.V.A. et autres, avec une modification importante -la
CNIL y veille de façon vigilante- qui est
« l'anonymisation » des données qui figurent dans
les applications informatiques, de façon à pouvoir en faire un
traitement statistique.
Ces statistiques sont assez largement utilisées dans les simulations
des mesures fiscales telles qu'elles sont communiquées au Parlement et
dans les prévisions de recettes que j'évoquais. Le bureau
CS4 publie chaque année, en outre, un « annuaire
statistique de la D.G.I. ».
Sans entrer dans le détail technique, le basculement CSG/cotisation a
pour effet d'augmenter les traitements et salaires après cotisations et,
en sens inverse, de diminuer les revenus de l'épargne après CSG.
Cela se traduit par une augmentation de l'impôt sur le revenu
encaissé au titre des salariés. C'est cette augmentation qui
avait été sous estimée pour environ 2 milliards de francs
dans la prévision 1999.
Concernant la baisse de la T.V.A. sur la restauration, c'est une question qui
dépasse mon champ de compétence. Je me limiterai à une
réponse juridique en la matière : la liste des produits qui
peuvent être mis au taux réduit est fixée dans l'annexe H
de la sixième directive T.V.A. à Bruxelles et, à la suite
des débats assez approfondis à l'automne dernier, la restauration
ne figure pas dans cette liste, plusieurs pays européens y étant
fortement opposés.
Elle n'y a jamais figuré. Le traitement Mc Donald's était
assimilé à la vente de produits alimentaires. C'était de
la vente à emporter.
Sur les questions qu'a posées le Président, vous me demandez, en
ajoutant ma responsabilité actuelle et ma responsabilité
passée, comment pondérer les traditions des différentes
directions en termes de pessimisme et d'optimisme.
Il n'existe pas de bonne réponse à cette question ou, pour le
dire autrement, je ne crois pas qu'un biais particulier soit associé
à telle direction ou à tel impôt. Effectivement, toujours
savoir que la D.G.I. est pessimiste sur l'I.S., ou le Budget, optimiste sur
l'I.R., pourrait simplifier la vie du ministre pour ses arbitrages : mais
il ne me semble pas que l'on puisse repérer de biais historique en la
matière.
Dans tous les cas, dans la sagesse qui se transmet de génération
en génération parmi les ministres, ou les cabinets, ou les
directions à Bercy, cet élément ne figure pas. Je ne crois
pas que l'on puisse donc identifier précisément la réponse
à votre question.
Sur les différences de prévisions des autres directions, je n'ai
pas la réponse à votre question, car je ne dispose pas ici de ces
éléments.
Je n'ai pas souvenir, dans les chiffres de 1999, d'écarts significatifs
entre les ddirections, le plus important se situant sur l'impôt sur les
sociétés pour les raisons que j'évoquais
précédemment.
Temps du Parlement : c'est une question qui dépasse le directeur
général des impôts. Ma réponse sera à ce
titre purement personnelle.
Il me semble qu'en la matière l'exécutif et le législatif
ont à gérer deux difficultés : d'abord le souci de
stabilité qui conduit à savoir (relativement tôt) sur la
base de quels grands chiffres construire le budget, en particulier sa partie
fiscale qui est souvent celle qui retient le plus et légitimement
l'attention du Parlement.
Des prévisions de recettes arrêtées en juillet sont
jugées tardives de la part de certains membres de l'exécutif dans
cette préparation de la loi de finances, car cela signifie que les
arbitrages fiscaux au niveau de l'exécutif doivent se conduire dans une
période extrêmement restreinte qui coïncide avec la
période estivale.
Faudrait-il ensuite refondre le budget ? Vous me permettrez de m'abstenir
sur cette question en relevant qu'à certaines périodes -je pense
en particulier à l'automne 1998- un processus de ce type avec une
révision des recettes en octobre-novembre aurait probablement conduit
à un budget 1999 qui aurait enregistré une erreur de
prévisions plus lourde que ce qu'il a finalement enregistré. Si
je prends l'exemple de l'automne 1998, si l'on avait fait une révision
en octobre-novembre, c'était après l'intervention de la crise
russe et de l'inquiétude lourde que l'on pouvait avoir sur la
conjoncture en Europe. A l'époque le débat, aussi bien au
Parlement que dans le pays, consistait à juger que la prévision
de recettes était trop élevée. En fait, elle s'est
avérée plutôt trop prudente.
Le souci de stabilité peut conduire, à un moment, avec les
meilleures informations disponibles, à retenir des
éléments qui permettent à l'exécutif ou au
législatif de travailler. Encore une fois, je suis en la matière
au-delà de mon champ de compétences.
Sur les opérations de fin de gestion, le rôle de la D.G.I. en la
matière est plus limité que celui d'autres directions, car il
porte essentiellement sur son rôle de comptable sur la T.V.A.. A ma
connaissance, il n'est pas entouré d'un formalisme particulier.
L'intégration des recettes extra budgétaires est un exercice
assez largement mené ces dernières années qui ne concerne
pas directement la direction générale des impôts. Sur les
crédits d'articles que vous mentionnez, il est aujourd'hui pratiquement
terminé et le sera totalement en 2001, conformément aux
engagements pris par Christian Sautter devant votre Assemblée à
l'automne dernier.
D.L.F : je ne suis pas certain d'avoir compris la fine pointe de votre
question, M. le Président.
S'il s'agissait de donner les mesures que la D.L.F peut envisager dans le
P.L.F 2001 et le chiffrage qu'elle y associe, je suis incapable de
répondre aujourd'hui. Concernant les mesures qui ont été
prises dans le collectif ou ailleurs, je crois que la D.L.F tente à
chaque fois (la prévision est un art difficile) de chiffrer le mieux
possible pour le Parlement et pour nos concitoyens l'effet, soit des
propositions du gouvernement, soit de celles des parlementaires.
Je reviendrai en conclusion sur le jugement sur la D.G.I. et ce qui s'est
passé ces dernières années : vous avez relevé les
termes que j'ai employés « d'erreur de
prévisions ».
Je voudrais conjointement souligner que ces écarts de prévisions
ont été de portée relativement limitée puisque nous
sommes semble-t-il -sauf erreur de ma part- de l'ordre de 1 % à 2 %
maximum sur chacun des impôts que j'ai cités.
Par rapport à une grande organisation ou une entreprise, un écart
ou une erreur de cet ordre est plus qu'honorable, qui plus est dans une
année qui a été particulièrement chahutée et
difficile à prévoir sur le plan économique.
Il me paraît à vrai dire utile -et je parle en tant que directeur
général des impôts- que pour la partie de ces écarts
qui tient non pas à des erreurs économiques (si j'ai
employé le mot, il est peut-être un peu lourd) mais à des
éléments techniques que nous n'avons pas suffisamment
intégrés dans la prévision, nous puissions la corriger
pour l'avenir.
C'est l'enseignement le plus utile, concernant la direction
générale dont j'ai la charge, que j'en tirerai.
Je ne crois pas que l'on puisse qualifier le biais de la D.G.I. dans le sens
de la prudence ou de l'optimisme. La plupart des directions dans cette phase de
la croissance économique qui a été une phase
d'accélération quelque peu constamment sous-estimée, ont
appliqué le principe de précaution. Et, après tout, je
suis plutôt fier que l'erreur de la direction générale des
impôts ait été faite dans ce sens.
Quant à la comparaison avec 1992-1993 qui était dans l'autre
sens, j'avoue ma totale incompétence, même si j'ai connu cette
période. Je suivais alors les affaires européennes au cabinet du
Premier ministre. J'étais plus loin de ce sujet qui nous a
occupés aujourd'hui.
M. le Président
.- Merci, Monsieur le directeur
général.
Mes chers collègues, nous nous retrouverons demain à
10 heures pour poursuivre nos auditions et vous remerciant une nouvelle
fois, je lève la séance.
La séance est levée à 19 heures.
Séance du 2 mai 2000
La séance est ouverte à 18 heures sous la présidence de M. Alain Lambert
Audition de M. Jean-Philippe COTIS,
Directeur de la
Prévision
Notre ordre du jour appelle dans le cadre des travaux que nous menons avec les
prérogatives attribuées aux commissions d'enquête,
l'audition de Monsieur Jean-Philippe COTIS, directeur de la prévision.
Monsieur le directeur, je vous souhaite la bienvenue à la commission des
finances.
Je vous rappelle que l'objet de notre mission est de nous informer sur le
fonctionnement des services de l'Etat dans l'élaboration et
l'exécution des lois de finances, que nous sommes dotés des
prérogatives de commissions d'enquête afin d'éviter tout
débat juridique sur nos droits en la matière et que notre
méthode est celle de la méthode pluraliste, puisque nous avons
désigné un rapporteur par groupe politique siégeant au
Sénat et à notre commission. Les rapporteurs sont le rapporteur
général Philippe MARINI, Roland du LUART, Bernard ANGELS,
André VALLET, Paul LORIDANT et moi-même.
J'indique à la commission comme à vous-même que le secret
doit être conservé sur les travaux non publics de notre commission
et nous serons, au cours de cette audition, dans le cadre de travaux non
publics.
Je dois, conformément à la loi, monsieur le directeur, vous
rappeler les textes qui régissent ces auditions et qu'en cas de faux
témoignage la personne auditionnée est passible des peines
prévues aux articles 434-13, 434-14, et 434-15 du Code pénal.
Je dois recueillir votre serment de dire toute la vérité, rien
que la vérité. Je vous propose de lever la main droite et de
dire : «
Je le jure
».
M. Jean-Philippe COTIS
.- Je le jure.
M. le Président
.- Comme les autres personnalités
qui vous ont précédé, je vous propose d'introduire cette
audition au moyen d'un propos introductif d'une dizaine de minutes, avant de
vous livrer aux questions de monsieur le rapporteur général
auquel vous répondrez immédiatement et j'ouvrirai ensuite la
discussion à la Commission entière.
M. COTIS
.- J'ai quelques exemplaires d'une partie des réponses.
Il en reste deux à compléter.
Vous m'aviez invité à dire quelques mots d'introduction sur le
rôle de la direction de la prévision (D.P.). Avant
d'évoquer notre implication dans l'élaboration et
l'exécution des lois de finances, je souhaitais revenir sur nos missions
au sein du ministère.
Le rôle que joue aujourd'hui la D.P. au sein du ministère est
celui d'un bureau d'expertise conseil à vocation
généraliste. Il emploie près de 220 personnes dont une
centaine d'économistes. Si nous opérions en milieu anglo-saxon la
D.P. serait qualifiée de département économique du
ministère, ce qui signifie qu'au-delà de nos activités de
prévisions, qui constituent le coeur historique de la direction, la D.P.
intervient sur une grande diversité et variété de
dossiers.
Des dossiers relatifs aux réformes structurelles, dans des domaines
comme la politique agricole, l'ouverture des secteurs à réseau,
les expertises et contre-expertises en matière de choix
d'infrastructures publiques, de taxation environnementale, de marchés,
de droit à polluer et d'attribution de fréquences hertziennes.
Dans des domaines comme ceux des politiques fiscale et sociale, nous analysons
par exemple les réformes fiscales récentes au sein des pays de
l'O.C.D.E. Nous avons travaillé à la réforme des
régimes de retraite dans le cadre du rapport CHARPIN. Nous travaillons
sur l'étude d'un crédit d'impôt pour les bas salaires dans
le cadre de la lutte contre le chômage et la pauvreté et sur la
réforme de l'aide au logement.
Il nous arrive de traiter de sujets concernant le marché du
travail ; pour citer deux exemples récents, nous avons
étudié les avantages et les inconvénients d'un
système de bonus/malus pour l'indemnisation du chômage ou les
conséquences de la taxation des formes de travail précaire.
Nous traitons aussi de dossiers plus traditionnels à connotation
macro-économique : les conséquences d'un krach à Wall
Street, les divergences conjoncturelles au sein de la zone euro, qui se sont
creusées au cours de la crise asiatique et toute une série de
travaux sur la nouvelle économie.
La D.P. participe aux activités internationales du ministère,
elle représente la France au comité de politique
économique de l'O.C.D.E. et de la Communauté européenne.
Je dirai quelques mots de l'insertion de la D.P. au sein du ministère et
des modalités de sa collaboration avec les grandes directions
opérationnelles que sont les directions du budget et du trésor,
la D.L.F ou la D.G.I.
Au cours des années récentes, plusieurs ministres ont
souhaité que la D.P. soit plus réactive, plus extravertie, plus
concrète dans ses approches, et l'équipe qui anime aujourd'hui la
D.P. s'est attelée à cette tâche avec beaucoup d'ardeur.
Une des traductions de ses efforts se trouve dans la multiplication des travaux
inter-directionnels au sein du ministère.
C'est vrai en matière de programmation budgétaire avec
l'élaboration des programmes de stabilité que nous menons
à bien avec la direction du budget ; c'est vrai en matière
fiscale avec la participation active de la D.P. aux travaux du comité de
stratégie fiscale dont l'objet est de préparer le volet fiscal
des lois de finances ; c'est vrai des questions de politique
économique générale avec la participation du directeur de
la prévision au conseil de politique économique du
ministère créé il y a deux ans.
Le ministère de l'économie, des finances et de l'industrie a
pris la mesure d'un certain nombre de dysfonctionnements qui ont pu nuire
à l'efficacité des travaux au sein des directions dites
d'état-major et nous essayons de travailler de manière plus
collégiale et plus transversale que ce n'était le cas dans le
passé. Du travail est encore à faire, mais l'effort est bien
engagé.
Quelques mots sur notre contribution à l'élaboration des lois de
finances pour dire qu'elle est triple : nous fournissons le cadrage macro
économique avec la croissance du P.I.B., l'inflation, le revenu des
ménages, les profits des entreprises, les emplois taxables et la T.V.A.
Nous participons activement à la prévision de recettes qui fait
également intervenir la direction du budget, la comptabilité
publique, la D.G.I., et les Douanes. La D.P. et le Budget couvrent l'ensemble
des recettes, les autres directions étant plus
spécialisées.
La D.P. aligne sans doute le dispositif le plus important avec son bureau des
études fiscales dans le domaine de la prévision de recettes. Nous
réalisons sous l'égide du cabinet du ministre, la
prévision d'ensemble des administrations publiques qui inclut les
administrations de sécurité sociale, les collectivités
locales, l'Etat et les organismes divers d'administration centrale.
Ces prévisions sont exprimées en langage maastrichien, à
savoir en comptabilité nationale.
Dans cet exercice, nous nous appuyons largement sur la direction du budget qui
nous fournit les dépenses de l'Etat, les prévisions de comptes
spéciaux du Trésor et les recettes non fiscales et, dans tous ces
travaux, nous nous appuyons sur nos collègues de l'INSEE dont le
diagnostic conjoncturel constitue un « input » très
important du cadrage économique.
Nos méthodes sont extrêmement variées et loin de se
résumer à l'application aveugle d'un modèle macro
économétrique. Nous « consommons » par
exemple beaucoup d'informations de terrain sous forme d'enquêtes
conjoncturelles, d'exploitation de centrales de bilan et d'informations
qualitatives diverses, mais il est vrai que malgré nos meilleurs efforts
nous commettons toujours des erreurs de prévision ; elles sont
particulièrement marquées lors des retournements de conjoncture.
La prévision, comme l'analyse économique, n'est pas une science
exacte et d'aucuns disent, que lorsque les économistes s'expriment, ce
n'est pas parce qu'ils savent, mais simplement parce qu'on les interroge. Il y
a une part de vérité dans cette boutade. Nos prévisions
n'ont pas l'ambition de prédire l'avenir, mais de fournir aux pouvoirs
publics, à un certain moment, le scénario le moins improbable.
Nous avons été relativement chanceux au cours des trois ou
quatre dernières années. Nos pronostics en matière de
croissance ne se sont pas trop écartés de la
réalité. Malgré ce succès relatif dans le domaine
macro économique, nous avons commis des erreurs de prévision
significatives en matière de recettes fiscales, notamment pour
l'année 1999, ce qui reflète dans une très large mesure la
difficulté et la complexité de la prévision fiscale, qui
est plus difficile que la prévision macro économique.
Je viens devant vous, de ce point de vue, avec beaucoup d'humilité et
de modestie.
M. Philippe MARINI, Rapporteur général
.- Le
directeur pourrait-il, pour l'information de nos collègues, nous dire
comment les choses s'organisent entre la direction de la prévision et
l'INSEE ; quand on parle cadrage économique et loi de finances en
particulier, en règle générale on évoque la D.P. et
l'INSEE en en faisant presque un ensemble, mais chacun a ses
responsabilités
D'autre part, concernant les hypothèses sur lesquelles est construite
la loi de finances, pourriez-vous nous rappeler comment les choses fonctionnent
entre vous et le cabinet du ministre ? Existe-t-il des temps forts
décisionnels, une certaine formalisation des approches, comment et
à quel moment ?
En troisième lieu, les hypothèses que vous élaborez (je
crois que vous y avez fait allusion) ne le sont pas en Chambre mais en fonction
des déclarations à un certain moment, des conjoncturistes et des
économistes les plus crédibles. C'est ce que l'on évoque
souvent sous le terme de consensus.
Comment ce consensus apparaît il ? Quel rôle la direction de
la prévision y joue-t-il ? Quels sont les choix faits de
sollicitation et de consultation d'experts extérieurs par rapport
à l'administration ?
Comment ces confrontations d'idées et d'hypothèses se
réalisent-elles ? Concrètement, cela vous conduit-il le cas
échéant, à modifier vos propres hypothèses ?
Par ailleurs et concernant le suivi de l'exécution des recettes et, plus
généralement, du suivi budgétaire, quelle est la
participation de votre direction ?
Participation à la prise en compte de l'évolution du contexte
économique dans les comités d'arbitrage de recettes de
février et de juillet : comment a-t-elle lieu ? Existe-t-il
une formalisation de vos approches ? Remettez-vous des notes, des
commentaires ?
S'agissant par ailleurs des réunions mensuelles de suivi
budgétaire organisées par la direction du budget, quel est le
degré d'implication, d'association de la direction de la
prévision ?
Y a-t-il des points de rendez-vous périodiques, des documents internes
à votre direction, des documents livrés par celle-ci pour la
préparation des réunions mensuelles de suivi ? Pouvez-vous
nous informer du fonctionnement administratif, voire du formalisme de ces
procédures ?
Dernier aspect : nous avons noté -c'est je crois l'objet d'une des
questions écrites- l'existence du bureau des études fiscales au
sein de votre direction. Ce bureau réalise-t-il des études sur
l'impact des mesures fiscales inscrites en loi de finances ou susceptibles de
l'être sur amendement parlementaire ? Comment se coordonne-t-il,
s'il intervient dans ces matières, avec la direction
générale des impôts et la D.L.F plus
particulièrement ?
M. Jean-Philippe COTIS
.- Relations avec l'INSEE : l'INSEE est
une maison qui fabrique essentiellement de la statistique et qui réalise
des études conjoncturelles. Elle a un département
économique, mais qui représente certainement en termes
d'effectifs, une petite fraction de l'institution. Pour le travail de
prévision qui nous concerne, l'horizon de l'INSEE est à six mois.
Il s'agit de confectionner des prévisions à six mois à
partir notamment des enquêtes de conjoncture.
La D.P. a une mission plus étendue : elle fait des prévisions
à horizon de deux ans et, dans le domaine conjoncturel, elle a la
responsabilité de l'environnement international. Nous fournissons
à l'INSEE, qui fait sa note de conjoncture, l'environnement
international de la France A contrario, nous bénéficions du
cadrage conjoncturel de l'INSEE.
Nous avons nous-mêmes un petit bureau d'analyse conjoncturelle qui
travaille en liaison avec l'INSEE. Il nous permet de nous approprier pleinement
son diagnostic conjoncturel et de vérifier que nous n'avons pas de
divergences d'appréciation ; nous pouvons en parler avec eux. Les
personnels de la D.P. viennent de l'INSEE et y retournent souvent. Une
communauté professionnelle est en oeuvre.
Le « leadership » pour la conjoncture française
appartient à l'INSEE et pour la conjoncture internationale, à la
D.P. A l'horizon de deux ans, c'est une responsabilité de la direction
de la prévision.
Hypothèses sur lesquelles est construite la loi de finances : nous
avons une procédure séquentielle. Pour prendre l'exemple du
projet de loi de finances, nous faisons une première prévision,
à la fois macro-économique et sur les finances publiques, en
général à partir de la fin juin et jusqu'à la
mi-août.
Ensuite, ces comptes qui constituent une première étape, sont
présentés au cabinet du ministre, plus exactement au conseiller
économique et aux conseillers chargés de la fiscalité et
des finances publiques.
A partir de là, nous avons des itérations qui concernent souvent
la prise en compte de nouvelles mesures de politique économique,
à savoir qu'il est possible de modifier le cadrage de la dépense
ou, souvent, d'incorporer des mesures nouvelles en recettes.
Parfois, ce que nous disons à partir de ce premier jet modifie le
réglage des politiques fiscales ou budgétaires et nous avons une
discussion sur les hypothèses économiques avec les experts
(notamment le conseiller économique du ministre) qui sont souvent des
personnes issues de la Maison et que nous avons envoyées là en
raison de leur grande compétence. Il est important de prendre leur avis.
Nous refaisons ensuite un deuxième tour qui incorpore les modifications
de variables exogènes que le cabinet a pu nous communiquer, dans la
dimension de la politique budgétaire et fiscale, et qui prend en compte
éventuellement le résultat de débats sur nos
hypothèses macro économiques.
Cet exercice qui, d'après moi, apporte un éclairage
intéressant nous concernant, la D.P. se conduit dans le cas des
hypothèses macro économiques dans un cadre malgré tout
assez restreint. L'ampleur des modifications que l'on peut apporter, à
l'issue d'une discussion, aux prévisions macro économiques est en
général très limitée, car nous savons qu'en tout
état de cause nous avons beaucoup d'interlocuteurs à qui nous
présenterons ces prévisions, tels que le groupe technique de la
commission des comptes, qui se réunit en général au
début du mois d'octobre et dans lequel nous comparons nos
prévisions avec celles des principaux instituts de conjonctures.
Nous avons élargi le panel aux économistes, notamment de
banques, à la fois banques françaises et grandes banques
internationales comme Goldman Sachs et Morgan & Stanley.
Nous sommes sous le regard d'un panel très étendu qui nous pose
toutes sortes de questions sur nos prévisions. Nous tentons de ce point
de vue de faire du « benchmarking », par des comparaisons
très fouillées avec le reste de la profession. Il y a deux ou
trois ans, nous avons souhaité élargir encore ce panel et ces
regards extérieurs. Voilà comment se passe la procédure.
Figure également dans cette procédure l'arbitrage de recettes que
vous évoquiez, Monsieur le rapporteur général. Il s'agit
d'arrêter les prévisions de recettes fiscales pour le budget de
l'Etat, exercice dans lequel la D.P. participe activement. Elle se trouve
également dans cette réunion avec la direction
générale des impôts, la direction de la comptabilité
publique et la direction du budget.
Ainsi que je le disais, il existe deux directions
généralistes dans cet exercice qui sont la D.P. et le
Budget. Elles prévoient tous les impôts, mais les directions
opérationnelles comme la D.G.I. ou la Comptabilité Publique ont
des éléments importants à nous apporter en termes de
prévisions, car elles gèrent les rentrées fiscales et
possèdent des informations de terrain qu'éventuellement nous
avons pu manquer.
C'est à l'issue de cette confrontation entre les différentes
directions que le conseiller fiscal du cabinet procède à un
arbitrage, et il arrive que nous n'ayons pas la même appréciation
de telle ou telle prévision de recettes fiscales.
M. Philippe MARINI, Rapporteur général
.-
Pouvez-vous illustrer l'exposé de cette procédure par l'exemple
de l'année 1999 ?
M. Jean-Philippe COTIS
.- L'arbitrage qui a été
effectué à l'été 1999 était assez
consensuel, au sens où les directions étaient proches sur la
plupart des recettes, sauf l'I.S. Sur l'impôt sur les
sociétés, la fourchette allait de 7 milliards de francs
à 8 milliards de francs avec, en bas de la fourchette, la direction
générale des impôts, en haut la direction de la
prévision et, étagées entre ces deux estimations, la
direction de la comptabilité publique et la direction du budget.
Un arbitrage prudent a eu lieu, proche de la prévision de la direction
générale des impôts.
Pour le reste, nous avons commis des erreurs sur la prévision de T.V.A.
et d'I.R. et, malheureusement, nous les avons faites de manière
consensuelle.
Si je regarde ce que la D.P. avait proposé à l'arbitrage, nous
constatons une erreur de prévision par défaut d'environ 20
milliards de francs dont l'essentiel était logé sur la T.V.A. et
l'I.R. et un peu sur l'impôt sur les sociétés avec une
insuffisance de 3,5 milliards de francs par rapport à
l'exécution.
Voilà une illustration. Le détail de ces arbitrages sera remis
à la commission d'enquête de manière à clarifier
cette description quelque peu cursive et trop rapide.
M. le Président
.- Monsieur le directeur, avez-vous des
débats méthodologiques avec vos collègues des autres
directions en matière d'évaluation des recettes (puisque nous
parlons de recettes) ? Effectuez-vous une synthèse sur la base des
informations fournies par les autres directions ?
Je le disais à vos collègues qui vous ont
précédé, le Parlement qui autorise l'impôt, a le
sentiment de débattre sur des propositions qui ne sont plus
véritablement d'actualité.
Je vous demande à vous, directeur de la prévision, si vous
êtes en mesure d'actualiser les chiffres de loi de finances qui nous sont
proposés. Par exemple, entre septembre et décembre, existe-t-il
ou non une opportunité, du point de vue de l'intérêt
à la fois démocratique et public, à corriger en cours de
débat ?
Votre direction joue-t-elle un rôle particulier concernant les
dépenses et si oui, lequel ?
Les difficultés économiques importantes de l'année 1993
ainsi que (je les ai connues à l'époque en tant que rapporteur
général) les erreurs de prévisions en matière
fiscale des années 1995 et 1996 (on traitait beaucoup de la
déflation des recettes fiscales à l'époque) ont-elles
conduit à une révision des méthodes de votre
direction ? Existe-t-il un principe de prudence qui est souvent
évoqué dans les prévisions effectuées ?
Ce principe de prudence conduit-il à fournir au ministre des
prévisions prudentes qu'il serait lui-même amené à
interpréter de manière prudente ? A-t-on une sorte
d'enchaînements de prudence ? Ou, au fond, les prévisions
intègrent-elles tout le champ du possible ?
Dernière question : quand la D.P. tient-elle le Gouvernement
informé de ses travaux d'actualisation du programme de
stabilité ? Ces travaux seraient par ailleurs susceptibles de
modifier le support du débat budgétaire.
Quels sont les liens techniques entre le projet de loi de finances et le
programme de stabilité ?
M. Jean-Philippe COTIS
.- J'ai oublié de répondre
à plusieurs de vos questions.
M. le Président
.- Répondez au rapporteur
général.
M. Jean-Philippe COTIS
.- Il arrive que le bureau des
études fiscales fasse des études d'impact sur les mesures
fiscales. Sur l'évaluation des mesures nouvelles, c'est souvent la
D.L.F. ou la D.G.I. qui s'en occupent, mais il arrive que la D.P. en fasse
lorsque sont en cause des considérations complexes d'interactions
économiques, appelant des approches plus modélisées. Il
nous arrive alors de reprendre la main pour tenter de mieux apprécier ce
que peut être l'impact d'une mesure fiscale. Nous le faisons
peut-être de manière moins comptable, moins focalisée sur
les effets de premier tour mais en considérant l'ensemble des
conséquences que cela peut avoir à terme.
Sur le suivi de l'exécution des recettes et la participation de la
D.P. : nous participons à l'exercice de suivi mensuel des recettes
de manière très étroite et en parfaite
collégialité avec la direction du budget, la comptabilité
publique et la D.G.I. Nous suivons ces éléments au mois le mois.
S'agissant par exemple de l'année 1999, nous n'avions pas,
d'après moi, d'informations, en septembre-octobre et même jusqu'en
novembre, sur l'impôt sur les sociétés qui nous auraient
permis de lever le débat que l'on pouvait avoir entre les directions qui
avaient des prévisions plus élevées que la moyenne et
celles qui en avait de plus faibles.
Côté D.P., nous avions cette prévision que nous avons
conservée, mais il est vrai qu'en cas de nuances d'appréciation
entre plusieurs grandes directions, les informations stratégiques sur
l'I.S. sont celles qu'apporte l'acompte de décembre et c'était un
débat difficile à trancher jusque là.
Sur d'autres recettes, nous avons un suivi. Comment procédons-nous ?
Nous avons une prévision pour l'ensemble de l'année et nous
regardons, prorata temporis, ce qui doit encore tomber, en tenant compte d'un
profil spécifiant les échéances spécifiques
à chaque impôt. Nous tentons de voir comment chaque tombée
mensuelle s'écarte ou non du tableau de marche.
Notre problème ce sont ces trois mois d'incertitude entre le moment
où l'on dépose le projet et la fin de l'année.
Il est toujours difficile, après avoir observé l'accumulation de
plus-values sur un ou deux mois, d'en conclure que l'on pourra continuer
à les accumuler. Il nous arrive, sur des impôts comme la
T.V.A. ; d'enregistrer un ou deux mois de plus-values ; ensuite, cela
redescend. C'est une période un peu courte pour pouvoir se dire,
à l'observation des plus-values, qu'elles sont significatives et que sur
le dernier mois de l'année elles ne seront pas en partie,
contrepassées.
Cette situation rend l'exercice délicat, même s'il est vrai, que
lorsque nous avons connu les recettes de novembre, nous avions des
résultats meilleurs que prévus en T.V.A. et en I.R.. Nous
étions par ailleurs troublés car c'étaient des
résultats que nous ne parvenions pas à expliquer.
Encore aujourd'hui, nous avons du mal à expliquer l'erreur de
prévision que nous avons faite sur la T.V.A. et l'impôt sur le
revenu. Une élasticité élevée de la recette aux
assiettes taxables économiques nous a beaucoup surpris.
Nous avons observé en 1999, une élasticité des recettes
fiscales nettes aux assiettes économiques, de 2,5, que nous n'avions
jamais connue en 25 ans.
Nous nous sommes trompés et, s'agissant même de la
prévision que nous avons faite à la D.P. à
l'été 1998 pour 1999, nous devons avoir une erreur de
prévisions de 35 milliards de francs ; nous étions encore
autour de 20 milliards de francs à l'été 1999.
Les recettes de T.V.A. ont commencé à accélérer
à partir des mois d'août et septembre et là nous avons une
déconnexion entre ce que nous pensons être l'évolution de
la consommation et les recettes de T.V.A. Avec cette difficulté qu'en
période de redémarrage, c'est souvent la macro-économie
qui est révisée et qui suit les recettes de T.V.A. Nous ne
pouvons pas exclure que les comptables nationaux aient une appréciation
conservatrice de ce qu'était l'embellie du seconde semestre et, par
révisions successives, ces éléments peuvent changer.
C'est le « dual » de ce que nous avions observé en
1993, où nous nous demandions d'où venaient ces moins-values de
T.V.A. Elles reflétaient en fait une récession et un
ralentissement beaucoup plus forts que ce que nous avions en tête.
L'année 1999 n'est pas un très bon cru. Par ailleurs, il n'en
existe pas beaucoup en matière d'I.S., car c'est un impôt
extrêmement difficile à prévoir.
Les débats méthodologiques avec nos collègues des autres
directions : nous en avons, avec notamment le souci d'essayer
d'améliorer -si nous le pouvons- la prévision de l'impôt
sur les sociétés, qui est le cauchemar des prévisionnistes
de très longue date.
C'est l'un des sujets sur lesquels nous tentons d'avoir des informations plus
précises qui remontent des systèmes comptables eux-mêmes,
par exemple, savoir si les impôts payés à telle date
concernent l'exercice N-1, N-2 ou l'exercice N.
Quand nous parlons du solde de l'I.S. qui nous aide à calculer les
éléments, il s'agit à la fois de l'I.S et des plus-values.
La taxation des plus-values à taux réduit : nous ne savons
pas exactement qu'elle est la part des deux types de recettes. Il existe une
série de points de ce genre qui devrait nous conduire à
améliorer les remontées d'information, sachant qu'il est par
ailleurs très difficile de prévoir l'assiette taxable.
En 1999, les comptables nationaux nous disaient que l'excédent brut
d'exploitation qui est un indicateur de profits fréquemment
utilisé, augmentait de 5 %. C'est une estimation qui est restée
inchangée pendant toute la période de prévision et l'est
encore dans le compte provisoire 1999.
Conjointement, les bénéfices fiscaux ont augmenté de 12 %.
La difficulté est de passer d'un indicateur de type macro
économique à un indicateur pertinent fiscalement, en essayant de
deviner quelles seront les comportements de report de déficit et les
stratégies de versement des entreprises.
Sur ce point, malheureusement, tout ce que nous pouvons faire est d'essayer
d'améliorer ce que nous savons du passé et, à travers des
centrales de bilans, de mieux comprendre ce qui s'est passé ; mais
ce sont des instruments très lourds et nous n'avons pas les informations
pertinentes pour l'année en cours de prévision avec ce type de
méthode. Nous en sommes réduits à des exercices
impressionnistes.
Nous tentons de collationner dans la presse et les communications des grandes
entreprises leurs déclarations de résultats comptables. Cet
exercice doit nous permettre d'enregistrer toutes les tombées et de les
mettre dans une base de données pour tenter de comprendre si le
décalage entre la croissance des bénéfices comptables et
fiscaux et les indicateurs macro économiques perdurera.
Nous ne sommes plus ici dans les méthodes qu'affectionnent les
statisticiens rigoureux, qui cherchent à obtenir des échantillons
représentatifs. Je crains pour l'I.S. que les aléas soient tels,
entre le passage du résultat économique au bénéfice
comptable et fiscal, que nous soyons amenés à avoir une grande
imprécision sur cet impôt. Cela ne nous empêche pas de
débattre activement des petites améliorations que nous pouvons
essayer d'apporter.
L'épisode de 1999 est statistiquement imprévisible, car il n'est
pas dans la plage de régularité observée depuis 25 ans.
J'ai répondu aux questions sur l'actualisation des chiffres de recettes
sur la loi de finances. C'est un problème de jugement. La période
est courte et nous ne pouvons pas être certains à chaque fois
qu'en cas d'erreurs cumulées sur telle recette nous la retrouverons en
exécution. Nous pouvons trouver des situations dans lesquelles,
malgré tout, nous avons le sentiment que l'ampleur du cumul et son
caractère systématique sur une courte période peut nous
conduire à réviser. Nous ne pouvons pas tirer de conclusion
générale ex ante ; c'est une affaire d'appréciation.
La période est courte, mais si la plus-value est forte et paraît
se répéter sur deux ou trois points, nous pouvons juger utile de
réviser. C'est véritablement un problème
d'appréciation, au cas par cas, et sujet à critique a posteriori.
En matière de dépenses, nous dépendons très
fortement de nos collègues du Budget. Nous effectuons nous-mêmes
un calcul de prévision de dépenses de charges
d'intérêts mais, pour le reste, c'est l'information
budgétaire qui prévaut. Nous prévoyons nous-mêmes
les dépenses sociales et celles des collectivités locales.
Sur le principe de prudence, quand la D.P. va à l'arbitrage, elle ne
cherche pas systématiquement à avoir une prévision
prudente. Elle essaie de donner le milieu de l'intervalle et il appartient
ensuite au conclave des directions, dans le cadre de l'arbitrage avec le
cabinet, de voir la bonne application du principe de prudence. Je ne pense
qu'il existe un cumul de principes de prudence qui aboutirait à biaiser
systématiquement la prévision de recettes.
M. le Président
.- Avez-vous des contacts avec vos
homologues européens ?
M. Jean-Philippe COTIS
.- Le Ministère des Finances a
incontestablement des contacts avec ses homologues européens. Ensuite
les programmes sont débattus dans des réunions du Comité
économique et financier dans lequel je ne siège pas. Je
siège au Comité de politique économique qui est le versant
consacré aux réformes structurelles et aux politiques de moyen
terme. Des contacts bilatéraux existent et nous pouvons parler de ces
questions.
Le calendrier du programme de stabilité dont il est inévitable
qu'il se passe à l'automne, rend la situation extrêmement
compliquée, car il faut remettre, en théorie, le programme de
stabilité avant la fin du mois de décembre alors même que
nous n'avons pas encore l'exécution, ce qui peut donner lieu à de
vraies difficultés. Nous en avons eu l'illustration cette année.
C'est une procédure récente. Elle est très importante
pour les pays membres mais, conjointement, elle court le risque d'être
assise sur une année initiale éventuellement un peu
périmée.
C'est complexe.
Si chacun attend de voir clair, nous remettrons ces programmes avec deux mois
de retard ; il est alors trop tard pour la Commission qui doit examiner
ces programmes et en tirer les conclusions au titre de ses grandes orientations
de politique économique qui ont lieu au printemps. Nous avons ce timing
qui s'impose à nous, qui a sa justification bruxelloise, mais qui nous
met dans une situation éventuellement spectaculaire de
porte-à-faux, ce qui était le cas cette année.
M. le Président
.- Monsieur le Directeur, je vous remercie
des réponses que vous avez bien voulu nous donner et de leur
qualité.
Mes chers collègues, nous nous retrouverons demain à
10 heures pour poursuivre nos auditions et vous remerciant une nouvelle
fois, je lève la séance.
La séance est levée à 19 heures.
Séance du 3 mai 2000
La séance est ouverte à 10 h 10, sous la présidence
de Monsieur Alain Lambert.
Audition de Monsieur Denis MORIN.
M. le Président
. -
Mes chers collègues, la
séance est ouverte. Je vous rappelle que notre commission siège
avec les prérogatives des commissions d'enquête.
L'ordre du jour appelle l'audition de Monsieur Denis MORIN. Monsieur le
Directeur, je vous souhaite la bienvenue au sein de la commission des finances
du Sénat que vous connaissez bien car vous êtes venu souvent
accompagner les ministres auprès desquels vous avez travaillé.
Notre commission des finances a souhaité que le Sénat lui
confère les prérogatives de commission d'enquête afin que
nous puissions nous informer sur le fonctionnement des services de l'Etat dans
l'élaboration et l'exécution des lois de finances.
En demandant le bénéfice de ces prérogatives nous avons,
dans un premier temps, voulu éviter le débat juridique qui
consiste à savoir si nous avions les compétences pour mener
l'ensemble des investigations liées aux travaux que nous voulons mener.
Sur le plan de la méthode, je voudrais rappeler que nous avons choisi
une méthode pluraliste, nous avons désigné autant de
rapporteurs que de groupes siégeant au Sénat et dans notre
commission. Ceci nous a amenés à désigner comme
rapporteurs, le Rapporteur Général, Philippe MARINI, Monsieur
Roland du LUART, Monsieur Bernard ANGELS, Monsieur André VALLET,
Monsieur Paul LORIDANT et votre serviteur.
Je rappelle à la commission comme à la personnalité
auditionnée que le secret doit être conservé sur les
travaux non publics de la commission ce qui est le cas pour cette audition et
celles qui vont suivre ce matin. Je rappelle, conformément à la
loi, que la personne auditionnée, en cas de faux témoignage, est
passible de peines prévues aux articles 434.13, 434.14 et 434.15 du Code
pénal.
Je vais donc vous demander, Monsieur Denis MORIN, de prêter serment de
dire toute la vérité, rien que la vérité, de lever
la main droite et de dire « je le jure ».
M. Denis MORIN
. -
Je le jure.
M. le Président
-
Je vous donne maintenant la parole pour
un propos d'introduction, nous nous livrerons ensuite au jeu des questions et
réponses. Vous répondrez dans un premier temps aux questions du
Rapporteur Général, j'ouvrirai ensuite la discussion à
l'ensemble de la commission. Vous avez la parole.
M. Denis MORIN
. -
J'ai préparé, à votre
demande, un bref exposé de 10 minutes/un quart d'heure, que j'ai
souhaité, conformément à l'objet de cette commission
d'enquête, centré sur un thème assez simple : la
nature et l'ampleur des écarts traditionnellement observés entre
la loi de finances initiale et l'exécution budgétaire.
J'insisterai, dans une première partie sur les écarts
observés en matière de recettes et dépenses et
j'essaierai, dans une seconde partie, de retenir l'attention de la commission
sur les initiatives prises, depuis quelques années, par les
gouvernements successifs pour essayer de porter remède à ces
écarts qui nuisent parfois à la lisibilité des comptes
publics.
Premier point, les écarts en matière de recettes entre les
évaluations de la loi de finances initiale, le collectif et
l'exécution budgétaire (les recettes dites encaissées),
sont traditionnels. Le rapport de votre Rapporteur Général lors
de la présentation de la loi de finances initiale pour 1999 en avait,
à juste titre, souligné la permanence.
Je suis remonté jusqu'en 1987, n'ayant pu aller au-delà et, sur
ces treize dernières années, j'ai effectivement observé
six années pendant lesquelles les recettes exécutées ont
été inférieures aux recettes prévues en loi de
finances initiale : 1990, 1991, 1992, 1993, 1995 et 1996. Pour 1996,
l'écart entre la prévision et l'exécution s'est
élevé à plus d'une quarantaine de milliards de francs.
Sept années, en revanche, ont vu des recettes supérieures aux
prévisions initiales : 1987, 1988, 1989, 1994, 1997, 1998 et 1999,
avec des écarts de l'ordre de 20 à 30 milliards,
31 milliards en 1999, 32 en 1987, 40 en 1988.
Il existe aussi des écarts importants entre les recettes telles
qu'elles peuvent être révisées à l'occasion du
collectif budgétaire et les recettes exécutées en
définitive. Ils sont généralement plus faibles et qu'ils
soient positifs ou négatifs, peuvent aller jusqu'à 10 à 15
ou 20 milliards. Pour 1999, le chiffre exact est de 13,5 milliards. En 1998,
environ 7 milliards ; il avait été de l'ordre de 18 à
19 milliards en 1996.
En valeur absolue, ces chiffres paraissent relativement importants, mais je
voudrais rappeler à votre commission le total des recettes de l'Etat. Le
dernier chiffre connu est supérieur à 2 000 milliards de francs,
les écarts entre prévision et réalisation
représentent donc un total de 1 à 2 %.
Pourquoi ces écarts et comment les expliquer ?
Je vous donne un sentiment personnel en la matière. Trois
éléments permettent de comprendre ces écarts :
premièrement, l'appréciation de la conjoncture ;
deuxièmement, une particularité française qui est le
calendrier des recouvrements fiscaux et, troisièmement, la
procédure de préparation du budget.
L'appréciation de la conjoncture.
Je ne pourrais dire que des banalités, je crois qu'il est connu que
l'appréciation de la conjoncture est aujourd'hui plus difficile que par
le passé car nous vivons dans une économie plus volatile. Si elle
n'est pas aussi volatile que les marchés, nous constatons, en tout cas,
que la croissance suit des cycles qui semblent de plus en plus courts.
Nous observons depuis 1994/1995, une succession de phases
d'accélération et de décélération. Depuis
1997, une accélération forte qui n'avait pas forcément
été bien anticipée et une
décélération au deuxième semestre 1998, qui fut
d'abord forte, vous vous rappelez les crises asiatique et russe. Forte reprise
à partir du deuxième semestre 1999 dont l'ampleur et la vigueur
n'avaient pas non plus été vraiment bien anticipées, au
point qu'en 1999, d'une croissance moyenne au cours du premier semestre de 2 %,
nous sommes passés à une croissance moyenne, au second semestre,
de 4 %. Durant aucune autre année les écarts dans le rythme de
croissance n'ont été aussi importants. C'est le premier point, il
existe une forte corrélation entre l'ampleur des recouvrements fiscaux
et l'évolution de conjoncture. L'aléa inhérent à
toute prévision se retrouve en matière de recouvrements fiscaux.
Deuxièmement, le calendrier lui-même des recouvrements.
Je ne sais pas s'il est bien connu que les recouvrements fiscaux sont, en
France, très centrés sur la deuxième partie de
l'année. Tout le monde sait que l'ensemble de la fiscalité
locale, pour laquelle l'Etat consent les avances à travers le compte
d'avance, est recouvrée en octobre, novembre et décembre. Il faut
également avoir à l'esprit que l'impôt sur le revenu pour
lequel peu de nos concitoyens sont mensualisés, n'est
appréhendé qu'à partir du 15 septembre.
D'autres impôts et, en particulier, l'impôt sur les
sociétés qui est volatile et difficile à prévoir,
comportent également des effets tenant à sa mécanique de
perception, à la différence entre solde et acomptes, avec une
incertitude très forte jusqu'à la fin de l'année puisque
l'acompte du 15 décembre, de plus de 60 milliards de francs
recouvrés en 1999, est un acompte que les entreprises ont la
capacité de moduler en fonction de leur évolution ou
évaluation de résultat de l'année en cours.
Le calendrier des recouvrements étant très décalé
sur la fin de l'année avec une masse importante d'impôt
recouvré à compter du 15 septembre, il y a une difficulté
supplémentaire de prévision. Là se trouve probablement la
deuxième explication de l'écart entre prévision et
réalisation.
Troisième point, la procédure de préparation du budget.
C'est un élément qui peut expliquer des écarts dont je
rappelais qu'ils tenaient dans une limite de l'ordre de 1 à 2 %.
Les recettes de l'Etat font l'objet, une fois par an, d'une révision
qui a lieu au mois de juillet, lorsque le Gouvernement réévalue
les recettes de l'année en cours. Ceci est indispensable avant de faire
la prévision des recettes de l'année suivante puisque sur la
plupart des impôts il y a un « effet de base »
important. Donc, avant de prendre des décisions en matière
fiscale et de lancer de façon définitive l'impression des
documents budgétaires, le Gouvernement révise les recettes de
l'année.
Cette révision est également utilisée pour la
préparation et la présentation du collectif de fin d'exercice,
autrement dit, il ne se passe rien en matière de recalage des recettes
entre la mi-juillet et la date de présentation du collectif
budgétaire, c'est-à-dire, en général,
deuxième quinzaine du mois de novembre. La même évaluation
est reprise, ce qui est normal puisque si nous devions réviser une
nouvelle fois les recettes dans la deuxième partie de l'année, il
faudrait, parallèlement, réviser les recettes du budget alors en
cours de discussion au Parlement et cela soulèverait une série de
difficultés.
Ceci signifie qu'entre le moment où les recettes de la loi de finances
de l'année N sont évaluées et le moment où ces
recettes sont effectivement constatées en exécution, il
s'écoule 17 à 18 mois. Nous voyons bien que cette période
est propice à des ajustements en tous genres en fonction, pour
l'essentiel, de l'évolution de la conjoncture. Lorsque la conjoncture
est linéaire, les écarts sont relativement faibles, lorsque la
conjoncture est heurtée, les écarts peuvent être
relativement importants, dans un sens ou dans l'autre.
Voilà, me semble-t-il, les trois points qui peuvent expliquer les
aléas, l'évolution de la conjoncture, des recouvrements fiscaux
très décalés sur la fin de l'année, et la
procédure de préparation du budget. Ceci amène, par
exemple, à relativiser les données fournies par les situations
mensuelles budgétaires qui ne sont pas forcément significatives
avant une date très avancée de l'année et la
procédure de préparation du budget qui centre l'exercice de
révision des recettes à un moment donné de l'année,
au mois de juillet, sans y revenir jusqu'à la fin de l'année en
cours.
Du côté des dépenses, il existe également des
écarts significatifs sur lesquels je souhaiterais insister.
Le premier écart est relativement simple, il tient à la
qualité, à la sincérité de l'évaluation des
charges. Votre commission, dans ses rapports successifs, en particulier
à l'occasion de l'élaboration de ce qu'il était convenu
d'appeler les contre-budgets, ces dernières années, avait
d'ailleurs souligné, à plusieurs reprises, l'importance des
sous-consommations de crédits. Ces éléments sont publics.
Il y a d'ailleurs dans le questionnaire que vous m'avez adressé, une
question sur l'importance des sous-consommations de crédits pouvant
exister sur telle ou telle ligne budgétaire.
A l'inverse, il peut arriver sur les crédits non limitatifs que
l'évaluation ne soit pas toujours conforme à la
réalité. C'est aussi un motif d'écart. Il faudrait
regarder ce qu'a donné la prévision et l'exécution de la
charge de la dette à travers les âges puisque vous faites un
exercice portant sur les 10 dernières années. Ce constat
mériterait d'être creusé.
Premier point, donc, en matière de dépenses :
sincérité et qualité des évaluations. Plus les
évaluations sont sincères et véritables -et le Conseil
Constitutionnel nous y invite- plus les écarts sont réduits.
Deuxième point, les effets de champ. Sur ce point, des
évolutions sont engagées qui vont dans le bon sens. Pendant de
longues années, il y a eu des écarts de périmètre
substantiels entre les dépenses budgétaires, au sens de ce que
nous appelons la comptabilité budgétaire,
présentées en loi de finances initiale, les dépenses
telles qu'elles sont retracées en exécution (la comparaison entre
la loi de finances initiale et la loi de règlement est un exercice pas
toujours très simple) et les dépenses appréciées
par les comptables nationaux. Il y a là trois éléments
dont le recoupement n'est pas toujours d'une extrême simplicité.
Je prendrai quelques exemples.
Traditionnellement, le Gouvernement présente les dépenses de la
loi de finances initiale en additionnant les dépenses du budget
général, à l'exclusion des remboursements et
dégrèvements, et en ajoutant le solde des comptes spéciaux
du Trésor. Je sais que les commissions des finances présentent
l'article d'équilibre d'une façon différente. C'est une
source inépuisable de discussion entre les fonctionnaires de la
Direction du Budget et les administrateurs des différentes commissions.
Ce qui est fâcheux pour la qualité de la présentation du
budget est qu'il n'y ait pas de présentation normalisée.
En exécution, le rapport de la Cour des Comptes, l'année
dernière, avait retenu une présentation différente,
prenant en compte les remboursements et présentant la dette d'une
façon brute et non pas d'une façon nette comme nous le faisons en
présentation initiale.
Je dois reconnaître que la diversité des concepts et des modes de
présentation des dépenses de l'Etat nuit un peu à la
lisibilité de ces différents exercices. Je pense qu'il y aurait
intérêt à essayer de normaliser tout cela.
J'ajoute le problème, soulevé à plusieurs reprises devant
le juge constitutionnel, des prélèvements sur recettes qui ne
sont pas considérés, comme leur nom l'indique, comme des charges
budgétaires mais que le comptable national considère, re-traite,
comme étant des dépenses de l'Etat. Il y a là une
difficulté supplémentaire qui doit amener à se pencher sur
la véritable nature juridique de ces prélèvements sur
recettes qui concernent d'une part, le prélèvement communautaire
qui sert à financer la part de l'Etat au budget de l'Union et d'autre
part, une série de prélèvements au profit des
collectivités locales. Nous voyons mal la différence qui peut
exister entre ces divers prélèvements : concours de l'Etat
qui sont en prélèvement et concours de l'Etat qui figurent sur
diverses lignes budgétaires, que ce soit , par exemple, au budget
du Ministère de l'Intérieur ou au budget du Ministère de
l'Emploi. Donc, là encore, diversité des modes de
présentation et de comptabilisation et nécessité d'une
clarification qui est, à certains égards, engagée.
Je voudrais rappeler un certain nombre d'initiatives prises en la
matière, ce sera l'objet de la deuxième partie de mon
intervention. Je souhaite vous indiquer, dans cette deuxième partie,
que, sous l'effet des nouvelles règles qui président,
aujourd'hui, à la conduite de la politique budgétaire, une
amélioration de la transparence et des procédures me paraît
engagée.
Ces nouvelles règles tiennent en quelques mots : pilotage des
finances publiques par la norme de dépense.
Les ministres ont eu l'occasion au cours de ces deux dernières
années puisque l'exercice n'a que deux ans, lors de la
présentation en commission des finances de la programmation
budgétaire pluriannuelle à laquelle nous sommes astreints, comme
l'ensemble de nos partenaires de l'Union, d'insister sur le fait que, de leur
point de vue, l'élément déterminant est la
référence à une norme de dépense sur laquelle le
Gouvernement s'engage. Il doit donc être possible de la vérifier
ex post, afin de s'assurer que les engagements pris et que la norme
annoncée qui a servi à confectionner la loi de finance est la
norme vérifiée en exécution budgétaire.
Je rappelle cette norme de dépense pour l'Etat : il s'agit de
maintenir sur trois ans la dépense de l'Etat, en francs constants,
assortie d'une réserve de 1% en volume sur les trois années de la
programmation. Cette réserve conduit, par exemple, le Gouvernement, pour
la préparation du budget 2001, à annoncer une évolution en
volume des dépenses de 0,33 % correspondant à un tiers de ce 1 %.
A l'inverse, concernant l'évolution du déficit, les ministres ont
insisté à plusieurs reprises sur le fait que le déficit
évoluerait conformément au jeu des stabilisateurs automatiques,
c'est-à-dire en fonction des évolutions effectives des recettes
telles qu'elles sont prévues ou telles qu'elles sont
exécutées. Ce fut d'ailleurs le cas en 1998 et en 1999.
Ces règles, tout à fait nouvelles dans la conduite de la
politique budgétaire, de pilotage par une norme de dépenses qui
s'applique à l'ensemble des agents publics, pas seulement l'Etat,
impliquent des clarifications importantes qui visent à donner leur
pleine application au principe de sincérité et de
précaution.
Je crois d'abord qu'il s'agit de clarifier le champ des dépenses en
question. A partir du moment où l'engagement du Gouvernement porte sur
une norme de dépenses, il faut être en mesure de clarifier le
champ des dépenses. Plusieurs décisions ont été
prises, dont certaines correspondent à des demandes parfois anciennes de
la représentation nationale. J'évoquerai, par exemple, la
budgétisation des crédits d'articles qui a eu une suite dans le
budget 2000 avec la budgétisation de l'ensemble des indemnités de
divers agents appartenant à divers ministères, financées
jusqu'alors de façon extra budgétaire. J'ajouterai la suppression
d'une bonne cinquantaine de fonds de concours. Les éléments
relatifs aux fonds de concours ne sont retracés, pour l'information des
parlementaires que dans un jaune, ils ne figurent pas en présentation
initiale. La suppression d'une bonne dizaine de comptes spéciaux du
Trésor vise également à clarifier et à donner toute
sa portée à notre principe fondateur d'universalité en
matière budgétaire.
La budgétisation d'une importante réserve aux charges de
communes a donné lieu à de nombreuses questions de la commission
des finances. D'importantes réserves au titre des dépenses
accidentelles éventuelles permettent d'assurer normalement un pilotage
plus fin des dépenses.
L'ensemble des décisions en question, s'ajoutant à la
décision prise en 1992 de budgétisation du compte d'avance aux
collectivités locales qui, auparavant, n'apparaissait pas dans les
documents budgétaires initiaux, vise à donner son plein effet
à un principe général de budgétisation et au
principe d'universalité qui veut que la représentation nationale
soit saisie en loi de finances initiale, sans attendre la loi de
règlement, du champ le plus large possible des dépenses de l'Etat.
J'ajoute, qu'en cohérence avec l'ensemble de ces décisions,
depuis la loi de finances initiale de 1998, le Gouvernement a
décidé de retenir comme champ de ces engagements en
matière de norme de dépenses, l'ensemble des dépenses du
budget général à l'exclusion du solde des comptes
spéciaux du Trésor, cette précédente acception
ayant pu conduire, dans le passé, les gouvernements à jouer sur
la répartition des charges de façon à avoir l'affichage
souhaité en loi de finances initiale. Ce jeu est dorénavant
impossible.
Reste le problème des prélèvements sur recettes et celui
de la définition de l'emploi public, sujets sur lesquels, je crois, des
chantiers de clarification doivent s'ouvrir.
L'ordonnance organique, de ce point de vue, est relativement floue. La Cour
des Comptes a insisté à plusieurs reprises en disant que
peut-être l'Etat ne connaissait pas toujours le nombre de ses
fonctionnaires. Ce n'est pas tout à fait exact, mais l'Etat ne
connaît pas forcément le nombre des agents publics non permanents.
Il y a là une zone grise qui, au-delà de l'acception stricte
d'emploi public, agent statutaire exerçant des fonctions permanentes,
peut recouvrir des notions très larges. Certains ont tendance à
classer dans cette catégorie les emplois-jeunes, ce qui me semble
relativement contestable. Une clarification est nécessaire.
Le Gouvernement s'est engagé à stabiliser l'emploi public. Dans
le tableau des emplois publics présentés à l'appui de
chacune des lois de finances initiales, apparaît, en règle
générale, un solde égal à zéro ou
négligeable. J'appelle votre attention sur le fait que l'ensemble de ces
données est retraité par les comptables nationaux qui font
apparaître, depuis quelques années, une réduction de
l'emploi public due au fait qu'ils prennent en compte l'ensemble des emplois
d'appelés, supprimés à l'occasion de la
professionnalisation des armées.
Globalement, depuis la loi de finances initiale 1998, une masse de l'ordre de
55 à 60 milliards de francs n'apparaissait pas dans les documents
budgétaires initiaux et, en conséquence, n'était pas
soumise formellement à l'autorisation parlementaire. Aujourd'hui, elle
est soumise à cette autorisation et apparaît dans les documents
initiaux, mais je crois qu'il reste encore à faire. Ces chantiers
doivent être poursuivis.
Concernant l'amélioration des procédures, deuxième et
dernier point de cette partie, je voudrais souligner les efforts
réalisés en liaison avec la Cour des Comptes pour que les
délais de reddition des comptes soient raccourcis, ce qui permettra,
pour la première fois cette année, que le projet de loi de
règlement soit déposé sur le bureau des Assemblées
avant l'été, avant l'examen de la loi de finances de
l'année n+1 qui débute à l'automne. Ceci a supposé
depuis de longues années, depuis 1995, un raccourcissement substantiel
de la période complémentaire. A certaines époques, dans le
passé, il n'était pas possible d'avoir connaissance des
données de l'exécution budgétaire avant le 15 mars. Ce
délai a été ramené au 31 janvier. Il est possible,
actuellement, d'avoir, c'est une communication destinée plus
spécialement aux médias, dès le début du mois de
février, les données de l'exécution. Le Parlement peut, en
conséquence, obtenir le rapport d'exécution de la Cour des
Comptes dès le mois de mai et la loi de règlement, ce sera la
première fois, avant l'été. L'ensemble de cette
opération de raccourcissement des délais conduit à
améliorer les modes de gestion. Peut-être les efforts accomplis
n'ont-ils pas été suffisamment soulignés.
Je voudrais rappeler que les délais de publication des
arrêtés de reports de crédits d'une année sur
l'autre ont été sensiblement raccourcis. C'était
traditionnellement un instrument de la régulation budgétaire que
de la retarder le plus possible, parfois jusqu'au mois d'août.
Aujourd'hui, ces reports sont, dans l'ensemble, produits dans des délais
plus courts, à la fin du printemps, ce qui permet
d'accélérer les opérations de certification des comptes.
Voilà l'ensemble des points sur lesquels je souhaitais insister,
rappeler les écarts, indiquer ce qui me semble être leur
motivation, rappeler les initiatives prises pour corriger ces écarts et
souligner que l'ensemble de ces changements doit permettre de jeter les bases
d'une modernisation de la gestion publique. Je crois qu'elle est
nécessaire, notre pays ayant pris, par rapport à beaucoup de ces
partenaires un certain nombre d'années de retard. Cette modernisation me
semble reposer sur trois piliers : contractualisation,
pluriannualité, performance.
Ces notions ont commencé à être appliquées par
certaines directions ou ministères intéressés, par
exemple, le Ministère de l'Intérieur. Il faut probablement
continuer cette démarche de modernisation.
M. le Président
-
Merci, Monsieur le Directeur, pour
votre exposé très précis et intéressant pour notre
commission. Je vais demander à Monsieur le Rapporteur
Général s'il veut bien poser quelques questions.
M. Philippe MARINI, Rapporteur général
. -
Je dois
dire que je ne peux m'empêcher d'exprimer une certaine
incrédulité après avoir écouté Monsieur
Morin avec attention, car nous avons vécu la même période,
nous avons vu se dérouler sous nos yeux les mêmes faits et nous ne
sommes certainement pas en mesure de porter sur eux les mêmes
appréciations.
(Arrivée de Monsieur LAMBERT.)
Je voudrais préciser mon propos. Monsieur Morin nous explique que les
écarts sont normaux, qu'il y en toujours eu, tant en dépenses
qu'en recettes et que les 31 milliards de surcroît de marge de manoeuvre
de 1999 s'expliquent fort bien, sont parfaitement normaux, en oubliant de nous
dire que ce n'est pas 31, mais 31 plus 15, puisque 15 ou 16 milliards de
recettes non fiscales ont été déportés sur
l'exercice suivant. Cela change les ordres de grandeur mais se présente
plus favorablement en en restant à 31.
Monsieur Morin nous explique tout cela en nous disant que les progrès
de méthode se poursuivent et, si je force un peu le trait, j'ai tendance
à entendre dans son propos quelque chose comme « passez donc,
il n'y a rien à voir ». Je crois que, plus nous entendons des
expressions de cette nature, plus cela doit au contraire exciter notre
curiosité.
Monsieur Morin, pouvez-vous, de façon un peu plus technique, nous
rappeler les jalons qui ont émaillé toute cette année
1999 ? Quels ont été les principaux documents
prévisionnels portant sur le niveau des recettes fiscales dont vous avez
été destinataire en tant que collaborateur du Ministre ?
Pouvez-vous nous rappeler quelles réunions d'arbitrages ont eu lieu pour
préciser ce niveau de recettes ?
Pouvez-nous dire, avec la force d'un témoignage recueilli devant une
commission d'enquête, qu'en votre âme et conscience, vous estimez
qu'au moment où le Parlement et, en particulier, la commission des
finances du Sénat exprimait des doutes sur le rythme des rentrées
fiscales de l'Etat, vous n'aviez, vous, conseiller du Ministre, aucun
élément d'information vous conduisant à douter, je dirai
simplement à douter, des chiffres qui faisaient l'objet de la
communication officielle de votre Ministre au même instant ? Je
voudrais que vous nous répondiez nettement sur cet aspect des choses.
Je voudrais rappeler qu'à propos des recettes fiscales de 1999 nous
avons, pour notre part, exprimé des appréciations lors du
débat d'orientation budgétaire au mois de juin. Nous avons
ensuite exprimé des interrogations et fait valoir certaines
incompatibilités arithmétiques lors de la présentation du
rapport général sur le projet de loi de finances, au mois
d'octobre. Puis, en décembre, dans l'analyse du collectif
budgétaire, nous avons repris, avec des éléments
d'information plus récents et mieux ciblés, les mêmes
interrogations.
A chaque fois, il nous a été répondu, jusqu'à des
coups de théâtre partiels, que ces extrapolations étaient
le fruit de notre imagination et de l'insuffisance de nos moyens et qu'il ne
fallait pas y faire attention. Nous avons vu s'afficher dans la presse des
communiqués, un peu méprisants parfois, mettant sur le compte de
je ne sais quels effets calendaires les écarts importants sur lesquels
nous avions mis l'accent.
Pourriez-vous, Monsieur Morin, vous livrer devant nous à un rappel des
calendriers comparés, avec les informations que vous aviez, les doutes
scientifiques que vous pouviez concevoir du coté exécutif d'une
part et par les questions posées par la représentation nationale
d'autre part.
Enfin, toujours à ce sujet, je voudrais que vous puissiez nous
expliquer comment se passe le passage d'un exercice à un autre. Y a-t-il
une certaine formalisation en la matière ? Il existe toujours, pour
une entreprise, et c'est également vrai pour l'Etat ou une mairie, dans
toute structure dont les comptes sont à clore au 31 décembre, des
décisions à prendre pour l'imputation d'éléments de
recettes ou de dépenses sur l'exercice qui se clôt ou celui qui
s'ouvre. S'agissant de l'Etat, y a-t-il une formalisation de ce processus ? Qui
décide ? Qui affecte les marges de manoeuvre ? Sur la
proposition de qui ? Sur la base de quels éléments ?
Dernier point, nous avons donc exprimé nos interrogations sur
l'année 1999, à tort ou à raison, quelques-uns peuvent
penser que les faits ont été plutôt de nature à
accréditer ces interrogations. Pour l'année 2000, nous voyons,
pour la première fois, un objectif de déficit affiché plus
élevé que celui du dernier exercice connu, et nous nous demandons
si les mêmes causes ne vont pas produire les mêmes effets. Je suis
donc tenté de poser une dernière question à Monsieur
Morin. Peut-il, compte tenu de sa connaissance des rouages et méthodes,
nous assurer que nous n'allons pas voir en 2000 se créer le même
phénomène de gonflement d'une marge de manoeuvre au niveau de
recettes fiscales sous-estimées dans la conjoncture que nous
connaissons ?
M. Denis MORIN
. -
Je voudrais revenir brièvement sur mon
exposé. Je ne crois pas avoir cherché à délivrer
devant votre commission le message selon lequel tout est parfait dans le
meilleur des mondes. Je crois avoir insisté sur le fait que des
chantiers sont engagés, qu'il convenait de les poursuivre, qu'un certain
nombre de notions juridiques mériteraient d'être
clarifiées, je les ai citées. Je ne pense pas, Monsieur le
Rapporteur Général, que le résumé que vous avez
fait en disant « Passez donc, il n'y a rien à voir »
soit l'exact reflet de mon intervention.
Au plan strictement technique, pour tenter de répondre à vos
questions, je ne dirai pas grand-chose sur les recouvrements 2000. J'ai le
sentiment qu'il y a probablement des personnes mieux placées que moi
pour répondre à cette question et peut-être les
auditionnerez-vous dans les prochaines semaines.
Je vais revenir sur les questions que vous avez posées sur 1999. Je
crois avoir expliqué dans mon propos introductif que la prévision
de recettes comme la prévision de croissance était un art assez
aléatoire. Pour autant que ces aléas restent dans les limites
raisonnables, 1 à 2 % ne me paraît pas déraisonnable, mais
c'est une appréciation subjective, il n'y a pas matière à
s'inquiéter outre mesure.
Je rappelle que la plupart des pays voisins du nôtre passent directement
d'un document budgétaire initial à la loi de règlement, il
n'y a pas de collectif. Probablement l'harmonisation des règles en
matière budgétaire se fera-t-elle assez rapidement. C'est le cas
notamment au Royaume-Uni, en Allemagne, en Espagne. Les pays que je cite ne
pratiquent pas l'exercice de révision des recettes en cours
d'année, exercice difficile car le risque de faire de l'overshooting
existe et le principe de prudence doit s'appliquer.
1999 a été, de ce point de vue, une année
particulière puisque nous avons commencé l'année avec des
prévisions économiques plutôt sombres. Je crois qu'il est
connu qu'au début de l'année 1999, la plupart des instituts de
conjoncture privés auxquels nous confrontons systématiquement les
prévisions et Bercy voyaient au mieux une croissance de 2 %,
certains en dessous de 2 % et, probablement aurait-il fallu, comme le
suggérait votre rapport de l'automne 1998, réviser à la
baisse les recettes, en cohérence avec ces perspectives de croissance
assez sombres.
Vous avez en mémoire qu'à l'époque l'expression politique,
mais je ne veux pas m'aventurer sur un terrain qui n'est pas le mien,
était, selon les propos de Dominique Strauss-Kahn « un trou
d'air dont nous sortirons probablement ». Nous en sommes sortis dans
le courant de l'été 1999 et avec une vigueur qui a surpris
l'ensemble des prévisionnistes : rythme de croissance du premier
semestre : 2%, rythme de croissance du deuxième
semestre : 4%. Il y a eu un effet d'accélération
très puissant.
Je notais hier soir l'évolution mois après mois, puisque ces
données sont fournies à la représentation nationale comme
aux médias et au marché. Je voudrais citer les chiffres. Au mois
de mars, les recouvrements de TVA accusaient un retard important par rapport
à une loi de finances initiale qui les voyaient évoluer de 4,7 %.
En mars nous avions 1,7 % d'évolution de la TVA. La TVA est un
impôt déterminant dans la perception de l'ensemble des
recouvrements de l'Etat. En avril, nous passons à 3,5, en mai à
2,7, juin 2,8, juillet 3,4. Jusqu'à l'été nous sommes
très sensiblement en deçà de la prévision de la loi
de finances et 1 % de TVA représente environ 6,5 milliards de francs.
En revanche, à partir du mois d'août (au mois d'août les
documents budgétaires sont déjà imprimés, nous
avons les recouvrements du mois d'août au début du mois d'octobre,
peut-être avons-nous un reporting un peu long) les recouvrements passent
à 4,2. Il y a une accélération permanente jusqu'au mois de
décembre qui termine en fanfare avec une TVA qui aura augmenté de
4,6 % sur laquelle il est permis de s'étonner parce que la consommation
des ménages, en volume a augmenté de 2, 3 % en 1999. Les prix
ayant augmenté de 0,5 %, la base de la TVA aurait logiquement dû
conduire à environ 2,8 à 3 %. Or nous sommes à 4,6
après prise en compte de la mesure d'allègement
décidée par le Gouvernement au 15 septembre en matière de
travaux dans les logements.
Il y a là un élément étonnant. Les
spécialistes parlent d'un effet de structure, d'un déport de la
structure de la consommation sur des produits taxés au taux normal au
détriment du taux réduit, c'est possible mais rien de ceci n'a
été prouvé. Ceci me rappelle qu'en 1991, lorsque nous
avons observé le phénomène inverse, c'est-à-dire
des rentrées de TVA très en deçà de ce que les
facteurs économiques avaient pu conduire à estimer, un ministre
de l'époque, Pierre Bérégovoy et son ministre
délégué au Budget ont décidé de demander un
rapport à l'Inspection des Finances. Ce rapport, produit après un
travail très approfondi, concluait que l'on n'arrivait pas à
expliquer les 10 à 15 milliards de TVA manquants en 1991, bien que
l'Inspection des Finances se soit mobilisée sur ce sujet.
En matière de recouvrement des recettes, il y a, et vous avez
utilisé le terme qui paraît adéquat, des doutes. Je crois
qu'il y a plus de doutes encore lorsque la conjoncture économique est
heurtée, ce qui est le cas de l'année 1999. J'observe simplement
qu'en dépit de ces doutes, de cette conjoncture très
heurtée, de ces difficultés de prévisions manifestes, et
il faut faire preuve d'humilité en la matière, les écarts
en exécution par rapport au collectif ou à la loi de finances
initiale sont restés tout à fait du même ordre de grandeur
que certaines années passées. Bien que la base des recettes ne
soit pas la même, 1000 milliards en 1987 et 1500 milliards en 1999, 1999
ressemble beaucoup à 1987 qui avait aussi été une
année de reprise, cette reprise n'ayant pas été
correctement anticipée.
Le Ministre reçoit les informations, le questionnaire que vous m'avez
adressé y fait référence, il reçoit des
prévisions d'exécution périodiques. Les ministres,
à travers les âges, ont pris l'habitude de recevoir de la
Direction du Budget qui centralise une série d'informations en
provenance des autres directions du ministère quatre prévisions
d'exécution dans l'année. Ces prévisions
d'exécution sont entachées d'un aléa significatif.
En début d'année 1999, les prévisions étaient
plutôt, pour l'ensemble du Ministère des Finances, pessimistes. Il
n'était pas évident que l'exécution pourrait être
correctement tenue. Les choses se sont inversées par la suite, notamment
à l'extrême fin de l'année, en particulier lorsqu'il est
apparu à tous ceux qui sont chargés de faire des
prévisions économiques que la réalisation serait
très supérieure à 2 %, qu'elle serait de 2,7%, chiffre
conforme à la loi de finances initiale. L'INSEE a même
révisé cette croissance à la hausse à 2,9% il y a
quelques jours. Nous pouvons effectivement avoir des doutes sur cette
année 1999 : à peu près la même croissance, 2,7
%, mais plus de recettes que prévu.
Je voudrais indiquer à votre commission que le seul impôt qui ait
divergé est l'impôt sur les sociétés, les autres
impôts sont à peu près en ligne. Pour tous les autres
impôts, l'écart entre la prévision et la
réalisation, j'ai fait ce calcul, s'élève à
600 MF sur une masse de 1 300 milliards. En revanche, pour l'impôt
sur les sociétés, il y a un supplément qui n'avait pas
été escompté de 30,3 milliards de francs qui correspond
à la totalité de ce qu'il a été convenu d'appeler
dans les médias « la cagnotte ».
Nous essayons de comprendre ce qui s'est passé en 1999 pour
l'impôt sur les sociétés. Il s'est passé un
phénomène sur lequel nous avons été alertés
tardivement dans l'année car il n'est pas possible de l'anticiper :
l'apurement des reports déficitaires générés par
les très mauvais exercices des entreprises en 1992 et 1993. La
législation autorise les entreprises à reporter les
déficits pendant cinq ans. Il est probable que la forte progression de
l'impôt sur les sociétés, presque 45 milliards d'une
année sur l'autre, ce qui est considérable, entre 1998 et 1999,
s'explique par deux phénomènes. Une progression plus rapide que
prévu des bénéfices par les services, 14 % en moyenne au
lieu de 10 % prévus, c'est le premier point qui n'explique qu'une partie
de cette évolution. Le deuxième point est probablement
l'apurement des reports déficitaires qui a amené beaucoup
d'entreprises qui n'avaient pas payé d'impôt sur les
sociétés en 1998 ou les années antérieures à
en payer pour la première fois en 1999.
Je peux citer cet exemple puisque nos travaux sont couverts par le secret. Le
17 décembre 1999, nous avons appris, du comptable local à
Boulogne, qu'une grande entreprise publique paierait pour la première
fois de l'impôt sur les sociétés pour un montant
considérable, 6 milliards, alors que l'année
précédente le montant de l'impôt en question avait
été de zéro.
Vous m'avez demandé de préciser, en mon âme et conscience,
c'est un point important, s'il y avait des doutes sur la prévision et le
suivi des recouvrements 1999, je crois avoir répondu à cette
question.
Pour terminer, je voudrais citer trois chiffres, pour rester sur ce terrain
technique. Après le dernier ajustement des recettes opéré
à l'occasion de la première lecture du collectif au Sénat
(de ce fait vous pouviez poser les questions sur l'effet de base que cela
impliquait sur les budgets 2000), l'évaluation des recettes totales de
l'Etat pour l'exercice 1999 était de 1557,4 milliards. Je crois me
souvenir que l'évaluation du Rapporteur Général du
Sénat qui était, très prudemment, une fourchette (je rends
hommage à la prudence que vous avez manifestée), était de
1560 pour le bas et 1575 pour le haut de la fourchette.
Troisième chiffre, la prévision d'un parlementaire de
l'opposition, très féru sur les sujets budgétaires,
Monsieur de Courson, qui, à partir d'extrapolation sur le rythme mensuel
des recouvrements, dont j'indiquais les limites, avait évalué les
recettes à 1578 milliards. La réalité a été
1565, un peu au-dessus de la fourchette basse, nous ne nous situons pas
très loin de la dernière évaluation du Gouvernement, 1557.
Il s'agit de 7 à 8 milliards sur une masse totale de 2000 milliards ...
M. Philippe MARINI, Rapporteur général
. -
... plus
15 ...
M. Denis MORIN
. -
... lorsque nous parlons de la
« cagnotte », nous parlons du supplément par rapport
à l'évaluation initiale, à législation constante.
Dernier point, le passage d'un exercice à l'autre. Je rappelais que
nous faisons une révision des recettes par an. Je crois que nous ne
pouvons entrer dans une logique de révision des recettes tous les mois
ou alors il faudrait que les parlementaires s'habituent à voir le projet
de loi de finances amendé au rythme des recouvrements mensuels qui sont
très variables. Voici quelques chiffres : évolution des
recettes totales de l'Etat : 8% au mois d'août, 9,4% en septembre,
8,7% en octobre, 7,6% en novembre et 7,8% en décembre. Il faudrait
s'habituer à amender les documents budgétaires mois après
mois, pourquoi pas semaine après semaine, en fonction des données
de la « situation hebdomadaire de trésorerie », ce
qui me paraît difficile. Nous faisons un exercice formel et la
révision à laquelle il a été procédé
à l'été 1999 va dans le bon sens. Certaines années,
nous révisons à la hausse et nous avons moins de recettes en
collectif, là au moins, nous allons dans le sens de l'exécution.
Tout gouvernement est confronté à une difficulté
lorsqu'il cherche à rester dans la ligne de l'objectif fixé.
Entre le mois de juillet, où il fait ces prévisions avec 5
à 6 mois de connaissance de l'exécution de l'année en
cours et l'exécution finale, il y a une période difficile
à gérer. L'habitude a donc été prise d'utiliser les
recettes non fiscales de l'Etat, environ 150 milliards. Tous les gouvernements
successifs et je peux fournir les éléments chiffrés qui
pourraient être demandés par votre commission, ont utilisé
des recettes non fiscales à la hausse lorsque les recettes fiscales ont
manqué. En 1996, les recettes non fiscales ont dépassé de
23 milliards les évaluations de la loi de finances initiale et
l'exécution a dépassé de 4 milliards. En 1999, il s'est
produit le phénomène inverse. Le Gouvernement, avec une situation
de recouvrements fiscaux favorables qui signe une très forte reprise de
l'activité économique, a ajusté à la baisse les
recettes non fiscales. C'est un principe de prudence. Ces recettes non fiscales
n'ont pas complètement disparu puisqu'elles réapparaissent en
totalité, ce qui est un choix fait à l'époque, dès
le collectif de printemps 2000, pour un montant que vous évoquiez, de 15
à 16 milliards.
Certains parlementaires ici présents, qui siègent ou ont
siégé au Conseil de Surveillance de la Caisse des
Dépôts savent qu'il est parfois difficile d'expliquer à la
Caisse des Dépôts, qui est un contributeur très
généreux au budget de l'Etat, qu'il faut payer plus. Cela est
arrivé dans le passé, parfois à des niveaux
supérieurs à 20 milliards, dont certains techniciens
prétendaient qu'ils menaçaient les équilibres d'un certain
nombre de fonds de réserve. En 1999, nous n'avons prévu que 10
milliards sur la Caisse des Dépôts, le prélèvement
sera un peu supérieur en 2000.
En 1999, le total des recettes de l'Etat, recettes fiscales, recettes non
fiscales, prélèvements sur recettes (j'exclus les fonds de
concours qui n'ont pas à être comptés, ni en recette, ni en
dépense) est égal à 1449 milliards, strictement
égal à l'évaluation faite à l'occasion du
collectif. Nous avons une égalité des recettes entre le collectif
et l'exécution.
En revanche, il s'est produit une sous-consommation importante des
dépenses, de l'ordre de 20 milliards, jointe à une
amélioration du compte d'avance aux collectivités locales car des
recouvrements fiscaux locaux ont été très dynamiques en
octobre, novembre et décembre. Tout ceci a fait que le total des charges
de l'Etat s'est trouvé, en exécution, inférieur de 20
milliards au niveau du collectif, ce qui explique le passage de déficit
de 226 à 206.
M. le Président
. -
Merci, Monsieur le Directeur. Je
voudrais prolonger votre réponse par une question. Même s'il n'est
pas possible d'imaginer, tout au long du débat budgétaire, une
modification des prévisions toutes les semaines, il y a quand même
un lourd malentendu. D'un côté le Parlement émet des doutes
et de l'autre, le Gouvernement réaffirme ses certitudes, chacun
affirmant avec la même gravité ce qui l'habite, les doutes pour la
représentation nationale, les certitudes pour l'exécutif.
Je me demande pourquoi les gouvernements, quelle que soit leur couleur
politique, veulent maintenir six mois après les prévisions qu'ils
ont pu arrêter ou arbitrer six auparavant. Je vais prendre un exemple
pratique.
Pensez-vous qu'une forme de fétichisme amène les cabinets
à recommander au ministre d'arriver, au terme de la discussion
budgétaire, à un déficit budgétaire identique,
à quelques francs près, de celui annoncé à la
presse en septembre ? Si vous me dites que c'est bon pour l'image d'un Etat, je
considérerais la réponse comme valable. Je constate cette
année 67 millions de francs de différence entre le déficit
budgétaire annoncé à la presse en septembre et celui que
le Parlement a fini par voter. Je veux bien croire que nous sommes à un
niveau de précision considérable, mais tout de même,
n'est-ce pas une forme de fétichisme ?
Deuxièmement, le cabinet peut-il être amené, pour des
raisons politiques (je crois que la politique est très noble, c'est pour
cela que les exécutifs et le législatif ont été
inventés) à recommander au Gouvernement de ne pas diffuser
d'informations qui conduiraient à constater trop tôt une
exécution divergente de la loi de finances initiale ou à
démontrer trop tôt le caractère obsolète des
chiffres sur lesquels se discute la loi de finances de l'année
suivante ? La raison d'Etat peut-elle amener à retarder la
diffusion au Parlement d'un certain nombre d'informations ?
Troisième observation : dans l'affaire dite « de la
cagnotte » notre commission ne met pas en cause l'écart entre
prévision et exécution, rien n'étant plus aléatoire
que la prévision, mais souhaite connaître les motifs qui
conduisent le Gouvernement à différer le moment où il
admet l'importance des surplus fiscaux, ce qui l'enferme dans un calendrier qui
l'amène à la révéler au plus mauvais moment pour
lui. Cela reste un mystère pour moi, n'eût-il pas fallu l'admettre
plutôt ?
Ma dernière question a trait à l'articulation entre le projet de
loi de finances et le programme de stabilité que vous êtes
obligés de boucler fin décembre, quasiment en même temps
que le projet de loi de finances initiale alors qu'il existe des discordances.
J'imagine que le calendrier est très contraignant, mais avez-vous
quelque idée sur la manière de résoudre ce problème
de calendrier ?
M. Denis MORIN
. -
Depuis l'époque d'une demande de
l'Allemagne, l'habitude a été prise de présenter la
programmation pluriannuelle dans le courant du mois de janvier. Il y a donc
nécessairement une divergence entre la première année de
cette programmation, qui ne peut pas prendre en compte les données
d'exécution budgétaire, close, en France au tout début du
mois de février et qui figure dans le document. Cette divergence est
irréconciliable. Elle existe dans d'autres pays, le problème de
calendrier se pose en Allemagne et chez certains autres de nos partenaires. Ce
problème pourrait être réglé en faisant une
transmission un peu plus précoce, dans le courant du mois de
décembre, d'un document provisoire qui pourrait ensuite, au début
du mois de février, être réajusté pour tenir compte
des données d'exécution budgétaire de la dernière
année.
Je crois que c'est ainsi que les Allemands entendent procéder à
partir de l'année prochaine et c'est la suggestion que nous pourrions
retenir pour la France également.
Vous avez évoqué cette affaire de la cagnotte. Un
élément nouveau est survenu par rapport à ce qui existait
il y a quelques années. A la suite d'une décision prise par
Nicolas Sarkozy, à l'époque Ministre du Budget, et mise en oeuvre
par le premier Gouvernement de Monsieur Juppé, à l'automne 1995,
le Gouvernement publie des situations mensuelles budgétaires. Cela donne
l'exacte situation de la consommation, des dépenses et de l'ensemble des
recouvrements fiscaux. Les situations sont très divergentes d'un mois
sur l'autre. Ce document, gage d'une transparence totale, n'existait pas dans
les années 90 à 92 où, d'un document d'une loi de finances
initiale à l'autre, d'une loi de finances initiale à
l'exécution, des écarts très considérables ont pu
apparaître entre les recettes initiales et les recettes finales,
notamment en 1993. Aujourd'hui, nous vivons sous la contrainte de la
transparence mensuelle absolue.
M. Philippe MARINI, Rapporteur général
. -
Vous
recevez ces états assortis de commentaires.
M. Denis MORIN
. -
Quelques explications sont transcrites dans le
document publié mais l'importance des effets calendaires est un
élément très difficile à apprécier. Pour
l'impôt sur le revenu, par exemple, comparer l'année 1999 et
l'année 1998 est naturel, mais en 1998, le calendrier de traitement des
émissions d'impôts sur le revenu par la Direction
Générale des Impôts a été retardé
parce que le début de l'année, de janvier à
février, a été très perturbé par les
grèves dans les centres informatiques, donc la campagne a
été décalée sur la fin de l'année. En
revanche, en 1999, la Direction Générale des Impôts a
travaillé de façon très efficace, il n'y a pas eu de
grève et la campagne d'impôt sur le revenu a été
anticipée.
Les recouvrements mensuels, y compris ceux du 15 septembre, peuvent donner le
sentiment que l'impôt sur le revenu est explosif alors que ce n'est qu'un
élément d'ordre calendaire.
Un deuxième élément d'ordre calendaire va jouer pour
1999, la simplification, sous une forme qui n'a pas été
forcément bien comprise, du mode de recouvrement du droit de bail,
jusqu'à maintenant perçu selon un calendrier particulier, avec
des déclarations spécifiques très complexes (depuis,
d'ailleurs, cet impôt a été opportunément
supprimé). La perception de cet impôt à l'occasion de
l'impôt sur le revenu fait que le montant total de cette contribution,
qui représentait 7 milliards pour les ménages et au total, 11
milliards, avec les personnes morales, a été recouvré par
l'Etat le 15 septembre alors qu'en 1998 il a été recouvré
en octobre.
La production de documents mensuels est évidemment un
élément de transparence mais probablement le document tel qu'il
est aujourd'hui mériterait-il d'être encore clarifié et
nourri de plus d'informations pour que les commentaires faits à partir
de ces informations un peu brutes soit plus pondérés. Ceci
éviterait que les médias fassent des évaluations des
plus-values très fantaisistes ou, en tout cas, moins pertinentes que
celles qui ont pu être faites par la commission des finances du
Sénat pour 1999 à une certaine époque.
Existe-t-il des documents à vocation publique qui ne soient pas
diffusés ? Je n'en vois pas.
Certains documents internes sont destinés à l'information du
Ministre, voire du Gouvernement. Ces documents n'ont pas vocation à
être sortis des services ni du cabinet. Il appartient au Ministre de
traiter cette information lorsqu'il en est saisi. Il est souhaitable qu'il le
soit le plus systématiquement possible. A Bercy, en règle
générale, il appartient au Ministre de traiter les informations,
c'est dans son rôle et je ne crois pas qu'il y ait d'informations ayant
vocation a être rendues publiques qui soit systématiquement
cachées ou ne sortent pas. Les éléments de
l'appréciation de notre situation budgétaire qui ont vocation
à être publiés répondent à des contraintes
déontologiques assez fortes puisque nous devons faire connaître,
à l'avance, les dates de publication de ces documents, de façon
très précise, et nous y tenir.
Je ne sais pas pourquoi il a été arrêté le 6 du
mois M+2 pour sortir la situation mensuelle de M, mais c'est ainsi et Bercy
sort un calendrier prévisionnel en tout début d'année
à destination des personnes qui ont vocation à utiliser ces
informations à des fins professionnelles. Bercy publie ces
éléments indicatifs et nous nous y tenons de façon
très scrupuleuse.
Vous m'avez posé une question sur le fétichisme qui animerait
les gouvernements. Cela n'a pas toujours été le cas en
matière de déficit annoncé et de déficit
après l'examen du budget par le Parlement. Je crois qu'il existe une
sorte tradition qui n'a subi que quelques très rares amodiations, qui
veut que le Parlement ajuste la loi de finances, déplace, dans les
limites de la Constitution, telle dépense ou telle recette. Pour ce qui
est des dépenses, qu'il s'agisse des dépenses explicitement
demandées par la majorité du Gouvernement ou ce qu'il est convenu
d'appeler les demandes de la commission des finances, c'est le Gouvernement qui
dépose les amendements.
Tout ceci déplace des sommes non négligeables. Chaque
année, la discussion budgétaire ajuste ou déplace
5 ou 6 milliards. La tradition s'est instaurée de considérer
que l'ensemble de ces ajustements devait se faire à solde nul. A titre
personnel, je n'y vois pas du fétichisme mais plutôt une sorte de
règle de bonne gestion qui associe le Parlement et l'exécutif,
cela ne me paraît pas, en soi, contestable.
M. le Président
. -
Je vous remercie de toutes ces
réponses et de votre disponibilité.
La séance est levée à 11 heures 13.
Séance du 3 mai 2000
La séance est reprise à 11 h 15 sous la présidence de
M. Alain Lambert
Audition de Monsieur Jean-Jacques FRANÇOIS,
Trésorier
Payeur Général.
M. le Président
. -
Notre séance est reprise. Je
rappelle que notre commission siège avec les prérogatives
attribuées aux commissions d'enquête. L'ordre du jour appelle
l'audition de Monsieur Jean-Jacques FRANÇOIS, Agent Comptable Central du
Trésor.
Monsieur FRANÇOIS, je vous souhaite la bienvenue au sein de notre
commission des finances.
J'ai à vous rappeler, conformément aux textes qui nous
régissent, quelques informations. La première qui est l'objet
même de notre mission, est de nous informer sur le fonctionnement des
services de l'Etat dans l'élaboration puis dans l'exécution des
lois de finances, ensuite que notre méthode est pluraliste puisque nous
avons désigné des rapporteurs représentant tous les
groupes parlementaires siégeant au Sénat.
J'en viens immédiatement aux solennités requises pour rappeler
à mes collègues, comme à vous-même, que le secret
doit être conservé sur nos travaux puisqu'il s'agit de travaux non
publics, que j'ai obligation de vous rappeler qu'en cas de faux
témoignage, la personnalité auditionnée est passible des
peines prévues aux articles 434.13, 434.14 et 434.15 du Code
pénal.
Je dois vous demander de prêter serment de dire toute la
vérité, rien que la vérité, de lever la main droite
et de dire « je le jure ».
M. Jean-Jacques FRANÇOIS
. -
Je le jure.
M. le Président
. -
Je vais vous donner la parole pour un
propos introductif et vous demander de bien vouloir répondre ensuite aux
questions du Rapporteur Général et de la commission.
M. Jean-Jacques FRANÇOIS
. -
Monsieur le Président,
merci pour votre accueil. J'aurais souhaité, avec votre accord, vous
présenter les attributions de l'Agence Comptable Centrale du
Trésor concernant la préparation et l'exécution des lois
de finances.
Les missions de l'Agence.
Elles sont de deux ordres : les missions traditionnelles et les missions
nouvelles. Nous avons quatre missions traditionnelles. L'agence a
été créée il y a 25 ans, en 1974 et, depuis 1996,
des missions complémentaires ont élargi le champ d'action de cet
organisme. Les missions traditionnelles sont de quatre types.
1/ Premièrement, participer à l'exécution directe des
opérations budgétaire et financière de l'Etat, concernant
le budget général, les comptes spéciaux du Trésor
et la dette publique. L'ordre de grandeur est 800 milliards de francs, dont 640
milliards pour le budget général. Un tiers du budget de l'Etat
transite par les caisses de l'A.C.C.T. en tant que comptable direct.
Deuxièmement, l'Agence Comptable est opérateur pour la gestion
de la trésorerie de l'Etat. Mes collaborateurs tiennent le compte du
Trésor à la Banque de France et assurent les liaisons avec la
place financière et notamment la Caisse des Dépôts et
Consignations, la Banque de France et les établissements financiers.
Troisièmement, l'A.C.C.T. est la plaque tournante des flux
européens, en descente et en remontée et, à ce titre,
depuis quelques années, j'ai été le premier comptable
habilité à tenir des comptes en écus. Depuis le
4 janvier 1999, la moitié de nos attributions est
passée en Euros.
Dernier point, l'A.C.C.T. prépare les comptes de l'Etat. Elle ne les
tient pas, elle les prépare. Ce sont le compte général de
l'administration des finances, le compte de la dette publique et le projet de
loi de règlement.
Voilà nos missions traditionnelles qui donnent à l'Agence un
rôle important dans l'exécution de la loi de finance et des
comptes spéciaux du Trésor.
2/ Depuis 1996, les directions de Bercy nous ont fait confiance et nous ont
confié des attributions complémentaires qui sont les suivantes.
En 1996, quatre agences comptables nous ont été confiées,
dont deux très importantes, la CADES, Caisse d'Amortissement de la dette
Sociale et j'ai été nommé Agent Comptable des
établissements de défaisance E.P.F.R./E.P.R.D. Il a fallu
organiser de toute pièce des agences comptables et mettre en oeuvre des
principes comptables qui n'existaient pas puisque la CADES est un
établissement financier et l'E.P.F.R. un organisme de défaisance
qui n'avait pas de précédent.
La Direction du Budget m'a confié la gestion des fonds de concours en
tant qu'opérateur et la gestion des reports de crédit pour les
opérations d'investissements, ce qui a permis aux services des finances
de gagner du temps et de la sécurité dans le traitement de ces
opérations.
La direction de la C.P. nous a confié la gestion du recrutement et de
la section du S.I.G.R.H.
1(
*
)
du
Trésor Public.
3/ En outre, l'A.C.C.T. va devenir le site unique de la comptabilité
générale de l'Etat. A terme, tout sera regroupé à
Paris sur les moyens informatique de l'A.C.C.T.
Enfin, la Direction du Budget m'a demandé d'être site
d'exploitation du projet ACCORD, projet de tenue de comptabilités de la
défense au niveau central qui nécessite un opérateur de
mon niveau. Il a été fait appel au centre informatique de
l'A.C.C.T. Voilà les attributions qui sont les nôtres.
Notre ressource est d'environ 200 personnes, une équipe réduite
qui associe sous des statuts différents, répartie pour une
moitié de personnels administratifs et comptables, et pour l'autre
moitié, d'informaticiens. La ressource humaine est ce qu'il y a de plus
important puisqu'elle garantit l'expertise et le savoir faire de l'Agence.
La ressource technique a un rôle non négligeable. Nous nous
appuyons sur un centre de calcul puissant avec un matériel BULL
relié à l'informatique de la Banque de France et de la Caisse des
Dépôts, ainsi qu'aux 22 départements informatiques,
répartis sur le territoire : les centres informatiques du
Trésor Public. Depuis quelques jours, je dispose également d'un
ordinateur géré sous UNIX qui permettra de gérer les
opérations du projet ACCORD.
Quels sont nos partenaires et nos clients ? Pour qui travaille
l'A.C.C.T. ?
C'est un point très essentiel. Nous pouvons qualifier les organismes
pour lesquels nous travaillons de puissants, exigeants et changeants. C'est
ainsi que nous comprenons notre environnement. Qui sont ces
interlocuteurs ?
La Direction de la Comptabilité Publique est mon patron direct, c'est
elle qui me donne les instructions en matière de traitement comptable,
de normes, de reporting, de management.
L'Agence travaille aussi pour toutes les directions de Bercy,
spécialement pour la Direction du Budget, la Direction du Trésor,
la D.R.E.E., la Direction du Personnel et de l'Administration qui est
l'ordonnateur en titre des charges communes et pour tous les ministères.
Un tiers du budget de l'Etat transite par nos caisses et cela nous met en
relation avec les ministères, mais je suis, principalement, le comptable
dédié du Ministère des Finances pour les interventions
économiques et sociales de l'Etat.
Nous sommes en liaison continue, notamment de nuit, avec le réseau du
Trésor Public, concrètement, cent Trésoreries
Générales et ses départements informatiques, ce qui nous
donne un système de remontée des informations très
performant (centralisations quotidiennes).
Nous sommes en liaison avec l'Europe notamment la D.G.19. qui tient la
comptabilité de l'U.E., et nous entretenons avec elle des relations
très étroites et assez confiantes. Nous avons notamment
été remerciés par Monsieur MINGASSON (DG 19) pour notre
performance en matière de tenue des comptes en Euro.
Nous sommes en liaison avec les corps de contrôle, l'Inspection
Générale des Finances, pour laquelle nous réalisons des
études spécifiques et la Cour des Comptes que nous alimentons en
permanence (reporting et comptes annuels).
Les liaisons entre l'A.C.C.T. et la Cour des Comptes se sont beaucoup
resserrées et le Président de la Première Chambre s'est
félicité, à plusieurs reprises, que nous travaillions avec
ses équipes pour accélérer la production des comptes de
l'Etat.
Depuis cette année l'A.C.C.T. travaille avec le Parlement, c'est un
grand honneur. Nous avons reçu, en février, la visite du
Rapporteur Général du Budget à l'Assemblée
Nationale, qui est venu voir sur pièce comment nous avons
travaillé et, aujourd'hui, Monsieur le Président, je vous
remercie de votre accueil.
Pour faire face à cet environnement de haut niveau, qui n'est pas
facile, nous essayons -c'est une démarche collective- de faire preuve
d'un certain nombre de qualités. La première est l'expertise. Mes
200 collaborateurs sont les meilleurs spécialistes nationaux des
problèmes que nous traitons. Nous sommes des spécialistes en
matière de dette publique, de comptes spéciaux du Trésor
et de flux financiers. Nous essayons de faire preuve, autant que possible, de
réactivité. Nous avons, par exemple, répondu à
votre questionnaire en trois jours. Enfin, nous avons intégré, au
titre des comptes 1999, les importantes modifications demandées par la
D.G.C.P.
Enfin, il est sûr que les faits nous rappellent en permanence -si
c'était nécessaire- à la réalité et à
ses contraintes, bref à la modestie.
Le service rendu.
Récemment, j'ai fait des offres de service, à sa demande,
à la Direction de la Sécurité Sociale, qui pense
créer un dispositif de consolidations des comptes sociaux qui n'existe
pas actuellement et a pensé s'appuyer sur le savoir-faire de l'A.C.C.T.
De même, le Ministère de la Culture fera peut-être appel
à nous pour consolider les comptes des Etablissements Publics qui
gèrent l'essentiel de sa ressource du budget de la Culture.
L'A.C.C.T. est une force de proposition. Deux ministres m'avaient confié
ce projet important qu'était la mission comptabilité patrimoniale
et nous faisons également partie d'une série de groupes de
travail qui, à Bercy, travaillent sur l'Euro, le schéma
directeur, l'informatique, la communication, les normes comptables, la gestion
publique, etc...
L'A.C.C.T., sous le contrôle étroit de Bercy, considère
qu'elle a une marge de manoeuvre importante que nous avons valorisée.
Lorsque j'ai pris mes fonctions, les comptes de l'Etat sortaient le 14 juillet
et, cette année nous avons envoyé les documents
préparatoires à la D.G.C.P. le 31 mars, ce qui représente
un gain important.
Nous essayons d'appliquer le principe de responsabilité par une gestion
très déconcentrée et nous prenons position lorsque c'est
nécessaire. C'est le principe de la transparence. Cette évolution
est relativement récente. A ma prise de fonctions, le Président
de la Première Chambre m'avait dit que l'A.C.C.T. était une
boîte noire et, récemment le Rapporteur Général du
Budget l'a considérée comme une maison de verre
2(
*
)
.
Nous avons bien conscience que nous travaillons sur des sujets qui ne sont pas
évidents avec des interlocuteurs de très haut niveau et nous
avons la conscience de la complexité des processus publics. Je suis
frappé par la difficulté des sujets que nous avons à
traiter qui nous rappellent à l'ordre en permanence.
Je puis vous dire quelques mots sur les orientations prévues pour la
période qui s'annonce.
Nous avons constaté que l'A.C.C.T. constitue un atout pour le
Trésor Public et Bercy, par le fait que nous concentrons beaucoup
d'opérations financières traçables. Elles sont lisibles,
facilement identifiables par les corps de contrôle et par le Parlement
chargé de contrôler l'Administration. Notre préoccupation
est de répondre aux attentes de nos tuteurs et de nos partenaires.
Pour être certains de bien répondre à ces attentes, nous
avons entrepris, en 1999, une réflexion stratégique, pensant que
pour évoluer de façon substantielle, il fallait travailler sur 3
à 5 ans. Nous avons travaillé sur la période 2000-2004 et
les conclusions auxquelles nous arrivons correspondent assez bien à
certaines demandes exprimées aujourd'hui.
Première idée, nous sommes partis de l'attente formulée
ou supposée de nos « clients ». Nous avons d'abord
supposé que Bercy allait demander, dans les trois ou quatre
années à venir, des chiffres plus pertinents que par le
passé. Les corps de contrôle vont vouloir plus
d'auditabilité. Nous devons nous préparer à cette exigence
qui n'est pas toujours formalisée mais que nous sentons venir.
Nous avons compris que l'Assemblée Nationale et le Sénat
souhaitaient plus de lisibilité dans les comptes de l'Etat. Si le
Parlement a d'autres souhaits, nous les prendrons en compte sous le
contrôle de Bercy.
Nous avons considéré que l'opinion publique appelait plus de
transparence. « Où va l'argent public ? » est
un thème qui revient en permanence.
Enfin, la dimension internationale doit être prise en compte, notamment
dans le cadre européen. A l'avenir, il sera demandé à
l'Etat de donner des chiffres comparables. La comparabilité des chiffres
produits par l'Etat est une dimension qui va s'imposer à nous sans que
nous puissions y échapper.
Voilà pour les attentes de nos partenaires et tuteurs.
Seconde idée : les cibles. Nous avons trois cibles : une
comptabilité décisionnelle, l'expression n'est pas très
jolie, mais, je pense, plus juste que comptabilité soit d'entreprise,
soit privée ou patrimoniale qui sont des concepts que beaucoup de
personnes ne comprennent pas bien. Il semble en fait, que l'Etat doive disposer
d'une comptabilité qui l'aide à prendre ses décisions et
c'est pourquoi je l'appellerai « comptabilité
décisionnelle ».
Il faut développer le reporting qui est la comptabilité utile et
à la demande. Pour quoi faire ? Pour deux raisons. La première
est le pilotage. Plus le temps passe, plus le pilotage, l'exécution
budgétaire aura d'importance, il faut donc que l'A.C.C.T. soit à
même de fournir un reporting de qualité. La seconde est la
communication, encore balbutiante. Actuellement, la communication se fait sur
les projets de lois de finances, tradition franco-française, mais si
nous regardons ce qui s'est passé dans le secteur privé, nous
voyons que la communication se fera également sur la comptabilité.
Dernier point : garantir la qualité de nos informations comptables
et financières. Les interlocuteurs puissants que vous êtes,
demanderont au comptable de garantir, de certifier ses chiffres.
Pour atteindre ces objectifs, nous avons sept chantiers que j'évoque
rapidement :
. le chantier ACCORD,
. devenir site national de comptabilité ,
. en 2002, basculement à l'Euro,
. développer le reporting à la demande des directions de Bercy,
. la consolidation. La demande n'a pas encore été
formulée de façon expresse, mais nous sentons venir deux besoins
capitaux de consolidations : les compte sociaux et les
établissements publics.
. des comptes enrichis. Les comptes de 1999 vous permettront de constater que
des avances significatives ont été accomplies en termes à
la fois de lisibilité des informations et de contenu. Cet effort sera
poursuivi pendant quatre ou cinq ans.
. l'auditabilité des comptes, concept proposé par mon Directeur
Général. Les comptes de l'Etat doivent être mis en
condition pour être audités. Nous devons être prêts
à faire face à cette échéance.
Pour atteindre cet objectif, je m'efforce avec mes collaborateurs directs, de
mobiliser toutes les ressources, humaines et techniques, notamment en
travaillant sur l'architecture trois tiers. A partir de ce projet
stratégique, envoyé à la C.P. Nous envisageons de changer
le nom de l'A.C.C.T. pour tenir compte de ses nouvelles attributions, c'est en
discussion. Nous essayons de décliner ces orientations pluriannuelles
chaque année dans un programme précis et, à partir de l'an
2000, j'ai esquissé une première contractualisation avec certains
interlocuteurs de Bercy (objectifs, moyens, responsables, résultats).
L'A.C.C.T. gère un tableau de bord trimestriel, considéré
comme une « référence » dans le
« monde administratif ». Avec mes collaborateurs, nous
intervenons régulièrement (au C.P.C.S., à l'E.N.A.) pour
indiquer à nos collègues des différentes directions
comment, dans une administration régalienne, construire des tableaux de
bord intelligibles et utiles.
Dernier point, notre souci permanent est d'optimiser les moyens. Parmi les
200 collaborateurs de l'Agence, 50 % sont de catégorie C, c'est un
peu juste en capacité d'analyse et d'adaptation aux nouveaux
métiers (produits dérivés, risques, I.R.P.). J'ai
proposé à mon directeur de renforcer le haut de la pyramide des
équipes de l'A.C.C.T. Pour l'instant, nous sommes en permanence
mobilisés sur quelques grands principes :
. une équipe de direction de 4 personnes : 2 hommes, 2 femmes,
. une très forte délégation, les opérations
sensibles sont traitées en collectif et déconcentré,
. beaucoup de formation : six jours et demi par agent en 99,
. essayer de gérer non des effectifs mais des profils, des potentiels,
des qualifications,
. enfin, une organisation aussi réactive et décloisonnée
que possible.
Pour terminer, je voudrais vous indiquer les sujets concrets sur lesquels nous
essayons d'avancer en liaison avec les bureaux de l'Administration centrale.
L'A.C.C.T. est en permanence conduite à aller chercher des accords
à Bercy, ce qui est naturel puisqu'elle est force de proposition, et que
le M.E.F.I. doit intégrer d'autres préoccupations plus larges.
Sur quels sujets travaillons-nous ?
1/ Cette année les comptes de l'Etat ont été mis sur
CD-ROM, le C.G.A.F. sera mis sur l'intranet « Magellan »,
l'an prochain notre intention est de mettre les situations de dépense
sur ce support.
2/ L'administration française est en difficulté avec l'Europe
sur les fonds européens, gérés de façon opaque et
lourde. Nous allons donc tenir le tableau de bord des fonds européens au
niveau central à la demande des différents ministères.
3/ La consolidation, concept d'avenir : argumentation à organiser.
4/ L'auditabilité : création d'une mission
« qualité comptable à l'Agence ».
5/ La gestion prévisionnelle de la R.H : étude en cours.
6/ La valorisation du projet ACCORD pour les comptables et le S.I. de l'Etat.
7/ Comité des normes comptables, né en 98, et qui est
réactivé en 2000.
M. le Président
. -
Je donne la parole à Monsieur
le Rapporteur Général.
M. Philippe MARINI, Rapporteur général
-
Je
voudrais, en un mot, saluer la prestation de Monsieur Jean-Jacques
François qui nous montre que l'A.C.C.T. a déjà fait un
chemin considérable et qu'elle est loin des clichés que certains
d'entre nous pouvaient garder en mémoire. Au cours des années
récentes, cet outil s'est adapté et vous nous avez
expliqué vos principaux chantiers en cours.
Je voudrais reprendre deux points importants dans le questionnaire
écrit auquel vous venez de répondre. En matière
d'exécution de la loi de finances, pouvez-vous nous rappeler quels sont
les documents que vous êtes amenés à adresser au
Ministre ? Quelle est la périodicité des notes ? Quel
est, très synthétiquement, le contenu de ces notes s'agissant
d'informer le Ministre de l'évolution du budget de l'Etat en cours
d'exécution ?
Sur ce même thème, et en appliquant, pour concrétiser les
choses, la question à l'année 1999, vous arrive-t-il de recevoir,
avez-vous reçu, des instructions visant à influer sur le rythme
d'exécution des dépenses ou d'encaissement des recettes ? Si
vous recevez de telles instructions, êtes-vous en mesure, techniquement,
de les appliquer et dans quelles proportions ?
S'agissant des écritures de fin d'exercice qui ont fait l'objet
d'investigations pour 1999, Monsieur le Directeur, votre agence qui est en
charge pour une large part de ces écritures de fin d'exercice
reçoit-elle des instructions à ce sujet ? Selon quel
formalisme ? Avez-vous l'opportunité d'émettre vos propres
opinions sur ces écritures de fin d'exercice ? En d'autres termes et
pour reprendre votre expression de « comptabilité
décisionnelle », l'A.C.C.T. est-elle un service interactif
pour le Ministre et son cabinet dans le choix souvent difficile de
l'affectation des marges de manoeuvre en fin d'année ?
M. Jean-Jacques FRANÇOIS
. -
Concernant les informations
transmises à Bercy, il n'y a pas de notes concernant l'exécution
du budget. En revanche, il y a des transmissions d'informations comptables.
Elles se font sur un rythme quotidien pour la dépense, sur un rythme
hebdomadaire concernant la comptabilité, ce qui permet d'alimenter la
situation hebdomadaire de trésorerie. Elles se font sur un rythme
trimestriel concernant la situation résumée des opérations
de trésorerie. La plus grosse transmission concerne la production des
comptes de fin d'exercice qui nous mobilise entre le 1
er
janvier et
le 31 mars. Les informations transmises à Bercy sont de nature comptable.
Techniquement, ce sont des fichiers, envoyés soit par voie filaire,
soit par disquette, au bureau 5A de la Direction Générale de la
Comptabilité Publique ou aux autres directions. Nous alimentons, par
exemple, le suivi de la dépense, transmis à la Direction du
Budget, les suivis concernant la gestion de la trésorerie à la
Direction du Trésor. Ce sont des transmissions de fichiers, il n'y a pas
de notes concernant l'exécution budgétaire.
M. Philippe MARINI, Rapporteur général
. -
Il n'y a
pas de commentaires ?
M. Jean-Jacques FRANÇOIS
. -
Non, il n'y a pas de
commentaires. Les questions que vous avez posées m'ont d'ailleurs permis
de réfléchir à notre positionnement, les textes ne
prévoient pas que l'A.C.C.T. tienne les comptes de l'Etat. Les comptes
de l'Etat sont rendus par le ministre et tenus par la Direction de la
Comptabilité Publique, l'A.C.C.T. n'est qu'un opérateur. A la fin
de l'année, nous avons deux types d'intervention sur les
opérations inscrites : en tant que comptables directs et en tant
que comptables centralisateurs. Le rôle de comptable centralisateur est
« automatique », les opérations gérées
par mes collègues départementaux étant consolidées
au niveau central après les contrôles d'exhaustivité et de
cohérence.
Nous constatons les opérations et notre rôle de contrôle,
en liaison avec le bureau 5A de la C.P., est de vérifier que les
balances sont exactes et d'établir les comptes de gestion. C'est un
rôle de vérification et de mise en forme sans aucune
interférence dans le contenu des opérations ni dans leur rythme,
défini par les instructions de la C.P.
En revanche, l'originalité de cet A.C.C.T. est d'être comptable
direct des opérations de dépenses. S'appliquent les règles
de la comptabilité publique, avec un gestionnaire, un ordonnateur, un
contrôleur financier et un comptable. Le comptable reçoit les
dossiers, vérifie la compatibilité de l'ordonnance ou du mandat
par rapport au décret de 1962 et, si l'opération est
considérée comme valable, l'inscrit en comptabilité
lorsque les éléments lui sont donnés. Il s'agit d'un
rôle en bout de chaîne qui consiste à prendre en compte les
opérations envoyées par Bercy.
M. Philippe MARINI, Rapporteur général
. -
Monsieur
François nous parle des instructions de la C.P. Recevez-vous,
effectivement, des instructions s'agissant notamment du principe de
comptabilisation de fin d'année ?
M. Jean-Jacques FRANÇOIS
. -
Les instructions sont
écrites, c'est le calendrier de rendu des opérations de fin
d'exercice. Cette année, les comptables normaux arrêtent les
opérations le 14 janvier, la Paierie Générale le
28 janvier et l'A.C.C.T. le 31 janvier.
Nous appliquons le décret de 1986, modifié en 1996, selon une
mécanique que vous connaissez, pour les recettes jusqu'au 31
décembre, pour les dépenses par ordonnance jusqu'au 10 janvier
et, ensuite, la marge de manoeuvre qui existe, que la Cour souligne depuis une
bonne vingtaine d'années, ce sont les opérations
réciproques.
C'est la raison pour laquelle le décret de 1986 a été
rédigé. J'en ai été l'un des modestes
rédacteurs à l'époque, avec Daniel Bouton, au Budget et
Jean Dupont, mon prédécesseur à l'A.C.C.T. Dans une
période antérieure, nous appliquions un décret de 56 peu
explicite, nous avons donc proposé au Conseil d'Etat un décret
qui établit de façon plus claire comment doivent être
traitées les opérations de fin d'exercice. Il n'y a pas
d'instructions sur la façon de comptabiliser les opérations. Ma
marge de manoeuvre dans la comptabilisation est faible puisque je traite les
dossiers qui me sont envoyés.
Pour que votre information soit complète, il est vrai que la tradition
fait que l'A.C.C.T. se mobilise à la fin de la période
complémentaire. Cette période a été de quinze
jours, elle est maintenant d'une journée. Le 31 janvier dernier, un
lundi, toutes mes équipes se sont naturellement mobilisées. A
minuit, nous arrêtons la pendule et toutes les opérations
présentées sont comptabilisées, notamment les
opérations de garantie citées par Monsieur le Rapporteur
Général. Le lendemain les livres sont ouverts à la Cour
des Comptes. La tradition veut que le lendemain, à l'arrivée des
membres de la Cour des Comptes, tout soit ouvert. Nous assurons ainsi la
traçabilité totale des opérations.
Nous n'émettons pas d'opinion sur les écritures de fin
d'exercice. C'est un point peut-être sur lequel nous pourrons
peut-être évoluer. Il faut évoluer par étapes,
même si l'A.C.C.T. n'est pas chargée de tenir les comptes de
l'Etat, l'agent comptable peut avoir une opinion sur certaines
opérations. Cela reviendrait à manifester cette opinion de
façon formelle concernant les opérations traitées par
l'Agence, comme elle le fait pour les E.P.A. dont elle est comptable.
Concernant l'Etat c'est plus complexe, il y a plus d'intervenants et
jusqu'à présent, je ne formule pas d'opinion. Je pourrais
commencer à formuler des opinions sur deux sujets :
l'application du décret de 1986 modifié 1996 est-elle
adéquate ? et quid de la permanence des méthodes ? Il
s'agissait d'une simple expertise.
Depuis trois ans, nous travaillons sur la réduction des soldes des
comptes d'imputation provisoires. En trois ans, nous sommes passés de 3
milliards d'imputation provisoire à 1,2 milliards, j'espère
arriver à les réduire encore. Nous progresserons par
étapes et peut-être qu'à l'avenir, si notre Ministre nous
le demande, l'A.C.C.T. aura une valeur ajoutée complémentaire
dans le suivi des C.I.P. centralisés.
Le côté interactif avec le cabinet du Ministre a existé,
mais pas sur les sujets opérationnels. Nous avons un rôle
d'exécution encadré par les textes, donc nous n'avons pas
d'états d'âme. En revanche, l'interactivité a
été très importante à la grande époque de la
Mission comptabilité patrimoniale. Elle a été
mandatée par deux ministres successifs et j'ai fait des propositions
relativement bien accueillies, bien comprises, qui commencent à
être mises en oeuvre.
M. le Président
. -
Je souhaiterais vous demander si vous
avez le sentiment, depuis la place qui est la vôtre, que l'ampleur des
opérations de fin de gestion a évolué ou évolue un
peu en fonction de la conjoncture. La question que je me pose est de savoir si
certaines opérations pourraient, de votre point de vue, figurer en loi
de finances rectificative plutôt qu'en loi de règlement, ce qui
aurait l'immense mérite de rester dans un temps démocratique,
plus respectueux de la représentation nationale.
Je voulais savoir également si, de votre point de vue, dans la fonction
d'exécution qui est la vôtre, le fait de ne pas comptabiliser des
recettes non fiscales votées par le Parlement pose, ou non,
problème. Vous nous avez rappelé que la période
complémentaire a été réduite au cours du temps.
Sommes-nous au bout des possibilités en la matière ou pensez-vous
que nous puissions encore faire des progrès en matière d'effort
de réduction de durée ? Y aurait-il avantage ou non à
codifier, sous l'angle code de bonne conduite, l'utilisation de la
période complémentaire ? J'aimerais connaître votre
sentiment sur le sujet.
S'agissant de la situation hebdomadaire de trésorerie, quels sont les
facteurs qui, selon vous, peuvent affecter la régularité de cette
situation et élaborez-vous des prévisions à partir de ces
situations ?
M. Jean-Jacques FRANÇOIS
. -
La loi de finances et les
opérations de fin d'exercice sont deux choses très
différentes. La première consiste à faire une
prévision et une autorisation alors que les comptes de l'Etat ont pour
rôle premier de rendre compte de façon exacte et fiable de
l'exécution de cette autorisation. Je n'ai jamais entendu de critique
sur ce point. C'est notre point fort, nous sommes capables de rendre compte au
centime près de l'exécution, chapitre par chapitre. S'il y a
débat, c'est sur les principes comptables.
Les opérations dites réciproques, objets de débats, sont
les opérations existant entre l'Etat et sa périphérie
publique, les organismes en liaison financière avec l'Etat. Le
décret de 1986 a prévu une certaine marge de manoeuvre, pour deux
raisons. La première est que ces opérations à
caractère financier ont une dimension d'opportunité très
importante et la deuxième est qu'il s'agit de la seule marge de
manoeuvre dont disposent les autorités chargées de piloter.
Est-ce choquant ?
J'ai assisté, il y a déjà 15 ans, à la
Première Chambre, à des discussions au cours desquelles le
Rapporteur Général expliquait quels étaient,
d'après lui, les rattachements qu'il aurait fallu exécuter, donc
cela se discute, mais dans la transparence.
Plus le temps passe, plus un solde d'exécution ne sera compris que dans
la durée et tous les états de travail devenant pluriannuels, la
France va y venir, ce qui est reporté d'une année sur l'autre se
retrouve. Le problème devient différent en regardant
l'exécution sur trois ans.
Avec un budget complexe de 1 800 milliards, il est normal qu'il y ait
plusieurs soldes et qu'un solde unique ne traduise pas seul la
réalité financière. Il faut que nous puissions voir ces
soldes en encaissement-décaissement, en solde Mastrischtien et en solde
patrimonial. Là est la voie de l'avenir (voir conclusions M.C.P.).
Je pense que nous ne sommes pas au bout de la réduction de la
période complémentaire, que nous pouvons encore la
réduire. J'ai écrit dans mon rapport que l'Etat serait au niveau
le jour où ses comptes seraient rendus le 28 février. Le
jour où l'Etat clôturera ses opérations dans les tous
premiers jours de janvier et produira ses comptes définitifs fin
février, il sera vraiment au niveau d'un Etat moderne.
Pouvons-nous penser à codifier au sens code de bonne conduite ? C'est
une voie très prometteuse. J'ai beaucoup réformé
l'administration, jamais je ne suis passé par des textes, je l'ai
toujours fait par les bonnes pratiques. La transparence devient maintenant une
banalité mais pour qu'elle devienne réellement une
banalité, il faut qu'elle soit un sujet de consensus. Cela suppose que
les décideurs, notamment les hommes politiques que vous êtes, se
mettent d'accord sur les chiffres pertinents.
Je ne crois pas que la transparence soit de tout mettre, à tout moment
sur la table. La transparence est de se mettre d'accord sur les chiffres
pertinents et de s'assurer que les chiffres promis sont fournis et avec la
garantie de fiabilité qui s'y attache. C'est également
l'application des règles de bonne conduite et, notamment, savoir quels
sont les documents originaires de Bercy qui peuvent ou ne peuvent pas
être mis à disposition -et à qui-.
J'ai compris assez vite que la comptabilité est l'une des techniques
les plus en retard concernant l'Etat et que nous avions des marges de
progression considérables. Pourquoi la comptabilité de l'Etat
est-elle dans cet état ? Pourquoi a-t-elle ce retard ? Il y a
des raisons d'opacité que tout le monde connaît, mais
indépendamment de cela, les équipes techniques n'ont pas toujours
été au niveau. J'appelle de mes voeux la constitution d'une
équipe de haut niveau à Bercy, capable de moderniser la
comptabilité de l'Etat mais jusqu'ici, il n'y avait pas de demande. La
demande qui apparaît maintenant, par votre intermédiaire, est
nouvelle et nous stimule. La comptabilité sera l'un des supports de la
transparence. C'est ce que nous dit M. Bassères, notre Directeur
Général, qui en fait une priorité stratégique.
J'insiste là-dessus, ma conclusion personnelle, avec
l'expérience exceptionnelle qui m'a été donnée, non
par l'A.C.C.T. mais par la CADES et l'E.P.F.R. est qu'il n'y a pas de
comptabilité sans comptable et qu'il faut que quelqu'un prenne cette
responsabilité, très technique, difficile et, il faut le dire,
peu valorisante.
M. le Président
. -
Vous avez pris une position.
Considérez-vous que, techniquement, nous sommes en mesure d'y parvenir
pour l'ensemble des comptes et dans quel délai ?
M. Jean-Jacques FRANÇOIS
. -
C'est la question que je me
suis posée il y a deux ans et, pour y répondre j'ai
procédé par scénarios. J'en ai proposé trois aux
directions de Bercy car c'est un choix de nature politique et j'ai
cherché à faire un travail d'expert honnête qui n'enfermait
pas les décideurs dans une solution unique. Nous avons vu ce que cela a
donné pour d'autres sujets.
J'ai proposé aux décideurs trois scénarios : un
simple, qui peut être mis en place assez rapidement, un hybride qui porte
sur plusieurs années et un scénario ambitieux qui suppose la mise
à niveau des systèmes d'information.
Il serait intéressant de penser que le projet ACCORD, qui prend
naissance, nous permettra de passer au droit constaté et sera l'occasion
de faire des choix comptables et de mettre les systèmes à niveau.
Le délai de passage au droit constaté dépend beaucoup des
scénarios.
Par ailleurs, il y a des options de fond à prendre qui ne sont pas
évidentes puisque nous ne pouvons pas appliquer les règles de la
comptabilité privée qui ne concerne qu'une petite partie de nos
opérations : les opérations de transferts, de subventions,
les opérations fiscales n'ont pas d'équivalent dans le secteur
privé et il faut trouver des règles de rattachement qui reposent
sur un fait générateur réaliste. C'est l'exercice auquel
nous nous sommes livrés à l'E.P.F.R. et à la CADES, sous
contrôle du Conseil d'Administration et de la tutelle, car il y a des
orientations difficiles à prendre.
Pour l'année 1999, je me réjouis que, pour l'impôt direct
géré par le Trésor Public, nous soyons passés aux
droits constatés. Nous l'étions déjà, en ce sens
que nous avions les produits à recevoir, mais cette année nous
provisionnons les produits à recevoir qui ne seront jamais reçus.
Nous commençons à être dans les droits constatés et
à donner une image fidèle des finances de l'Etat. Il faut
maintenant aborder le droit constaté dans le domaine de la
dépense et de la recette non fiscale, ainsi que dans le domaine de la
recette indirecte.
M. le Président
. -
Merci, Monsieur FRANÇOIS. Je
crois pouvoir me faire l'interprète de l'ensemble des Commissaires pour
vous remercier pour la volonté et le dynamisme qui apparaissent dans
votre présentation et dans vos réponses. J'associe les personnes
qui vous accompagnent à ces remerciements.
L'audition est levée à midi.
Séance du 3 mai 2000
La séance est reprise à 12 heures sous la
présidence de M. Alain Lambert
Audition de Monsieur PAUL CHAMPSAUR,
Directeur
Général de l'INSEE.
M. le Président
. -
La séance est reprise. Notre
commission siège en tant que titulaire des prérogatives
attribuées aux commissions d'enquête. L'ordre du jour appelle
l'audition de Monsieur Paul CHAMPSAUR, Directeur Général de
l'INSEE. Je vous rappelle que l'objet de notre mission et de nous informer sur
le fonctionnement des services de l'Etat dans l'élaboration et dans
l'exécution des lois de finances. Je vous rappelle encore, très
brièvement, que nous avons choisi une méthode pluraliste ce qui
nous a conduits à désigner un nombre de rapporteurs
équivalent au nombre de groupes qui siègent au Sénat.
J'en viens à la phase des solennités requises, pour rappeler
à la commission et à son invité que nous siégeons
en travaux non publics et que nous sommes, par conséquent, tous tenus au
secret.
Je dois, à votre intention, dans le respect des textes, rappeler qu'en
cas de faux témoignage, la personnalité auditionnée est
passible des peines prévues aux articles 434.13, 434.14 et 434.15 du
Code pénal, ce qui me conduit à vous demander Monsieur le
Directeur Général, de prêter serment de dire toute la
vérité, rien que la vérité, en levant la main
droite et en disant « je le jure ».
M. Paul CHAMPSAUR
. -
Je le jure.
M. le Président
. -
Je vous propose de nous faire un propos
introductif et de passer ensuite à la discussion.
M. Paul CHAMPSAUR
. -
Merci, Monsieur le Président.
Mesdames, Messieurs les Sénateurs, je vous prie de m'excuser d'avoir
remis tardivement les réponses écrites aux questions que Monsieur
le Président m'a fait parvenir. J'ai répondu parfois de
façon un peu sommaire et parfois de façon plus
détaillée, ce qui facilitera mon exposé.
Je m'écarterai de l'ordre des questions. J'ai regroupé, dans mon
exposé liminaire, les réponses aux questions 1, 3, 5, 7. Je
reviendrai sur les questions 2 et 6 et, sur toutes les questions de
méthodologie, je n'ai pas prévu d'entrer dans les détails,
c'est-à-dire la réponse à la question 4, dans la mesure
où cela a été fait par écrit.
Je vais me centrer sur l'intégration du rôle de l'INSEE dans
l'élaboration et l'exécution des lois de finances.
Il faut dire que ce rôle est modeste, il s'agit essentiellement d'un
rôle de responsabilité de la comptabilité nationale,
c'est-à-dire, pour ce qui vous intéresse, de
l'établissement du compte des administrations publiques en
comptabilité nationale.
L'INSEE contribue à la préparation et au suivi de
l'exécution de la loi de finances par le fait qu'il est producteur
d'informations et de prévisions conjoncturelles et il arrive qu'il soit
consulté lors de la préparation des hypothèses
macro-économiques.
Dans la suite de mon exposé, je parlerai de comptabilité
nationale. Je rappelle que l'attention portée aux comptes des
administrations publiques en comptabilité nationale est allée
croissant au cours des vingt dernières années. Il y a vingt ans
peu de monde s'en préoccupait, aujourd'hui la présentation faite
par la comptabilité nationale du compte des administrations publique
attire beaucoup plus d'attention.
Il y a à cela deux raisons fondamentales. Cette présentation en
comptabilité nationale permet d'analyser les liens des administrations
publiques avec l'ensemble de l'économie et, surtout, les besoins de
comparaison internationale, notamment européenne, se sont traduits par
la recherche d'une harmonisation statistique qui a débouché sur
le fait qu'aujourd'hui, la comptabilité nationale française est,
intégralement, une comptabilité européenne.
Notre comptabilité nationale résulte de l'application d'un
règlement européen que, dans notre jargon nous appelons
« le système européen du compte SEC.95 »,
règlement européen qui a force de loi et qui est lui-même
une adaptation et une précision d'un système de
comptabilité internationale édité par l'O.N.U.
appelé C.S.N.93.
L'INSEE veille à ce que les règles de la comptabilité
nationale européenne soit connues, correctement
interprétées et appliquées. Le rôle de l'INSEE est
essentiellement un rôle de coordination et de synthèse, car la
comptabilité nationale, comme, plus généralement la
statistique économique, est le fruit d'un processus
décentralisé par domaine. S'agissant des comptes de l'Etat
à l'intérieur du compte des administrations publiques,
l'essentiel du travail est assuré par la Direction
Générale de la Comptabilité Publique et la Direction de la
Prévision. Nous nous appuyons également sur le Ministère
de l'Emploi et de la Solidarité et les organismes de
Sécurité Sociales.
L'INSEE est responsable, en dernier ressort, de la fabrication des comptes
nationaux français, rapportant au groupe de travail européen
spécialisé, ce qui veut dire qu'en dehors de ces
procédures européennes dont l'indépendance technique est
garante de l'application des textes européens, l'INSEE ne reçoit
aucune instruction.
De même, les services qui contribuent à la fabrication du compte
des administrations publiques, isolés à l'intérieur de la
Direction Générale de la Comptabilité Publique ou de la
Direction de la Prévision ne reçoivent d'instructions que de
l'INSEE au titre de cette activité.
L'importance croissante, dans le cadre européen et international,
donnée au compte des administrations publiques a rendu nécessaire
l'acquisition, par les principaux services impliqués dans la
procédure budgétaire, d'une assez bonne connaissance de la
comptabilité nationale, je ne parle pas seulement des petits services
qui fabriquent la comptabilité nationale.
Pour prendre le cas de la Direction du Budget, elle n'était pas
très familiarisée avec la comptabilité nationale il y a
vingt ans, elle l'est devenue. C'est également vrai pour la Direction du
Trésor. Je dois dire que cette familiarité, acquise au fil du
temps par ces principaux services, facilite considérablement le travail
des comptables nationaux de l'INSEE. J'en donnerai deux exemples.
Le premier est le réflexe, bien installé dans ces services,
d'interroger l'INSEE assez tôt, éventuellement par
l'intermédiaire des instances européennes lorsque qu'ils se
posent des questions sur l'instruction d'une mesure nouvelle, son articulation
avec la comptabilité nationale.
Autre exemple, la connaissance des pratiques des autres pays européens
a beaucoup progressé, ce qui permet à l'INSEE de jouer un
rôle actif dans les instances européennes auxquelles j'ai fait
allusion, qui ont la responsabilité d'établir les règles,
de fabriquer, construire une jurisprudence en matière
d'interprétation et, également, un rôle de surveillance
mutuelle. Nous passons notre temps, dans ces instances européennes,
à regarder si les autres font les choses correctement.
En résumé, les relations de l'INSEE avec les directions de
l'administration centrale, du ministère de l'économie des
finances et de l'industrie se sont continuellement développées
ces dernières années, en ligne avec les besoins d'expertise de
ces directions en comptabilité nationale et, plus
généralement, en économie.
J'ai essayé de répondre de façon très
synthétique aux principales questions. J'aborde maintenant les questions
2 et 6.
La question 2 demande si le Ministre et son cabinet s'appuient sur l'INSEE
pour suivre la situation de budget de l'Etat. La réponse est non, le
Ministre et son cabinet ont connaissance d'informations comptables
budgétaires avant que celles-ci ne soient transmises à l'INSEE,
avant que l'INSEE ne recueille ces informations pour les traiter et les
transformer en comptabilité nationale. Il n'entre donc pas dans les
missions de l'INSEE d'informer le Ministre et son cabinet sur la situation du
budget de l'Etat. Ceci dit, l'INSEE écrit sur les questions de finances
publiques et je vais essayer d'expliquer de quoi il s'agit.
Soit à son initiative propre, soit à la demande des directions
impliquées dans la procédure budgétaire, soit à la
demande du cabinet du Ministre, l'INSEE émet des notes expliquant ou
précisant le passage de la comptabilité budgétaire
à la comptabilité nationale. Dans la réponse
écrite, je vous ai fourni la liste des notes émises par l'INSEE
depuis 1997 sur ces questions.
Je peux donner un exemple récent. Le cabinet du Ministre a
récemment entendu parler des licences de téléphonie
mobile, d'attribution de lignes aux enchères en matière de
téléphonie mobile au Royaume-Uni. Les sommes en cause
étant relativement importantes, il nous a été
demandé comment cette affaire serait traitée en
comptabilité nationale. L'INSEE n'étant pas capable de
répondre immédiatement, nous avons sollicité les
autorités européennes. Cette question est à l'ordre du
jour de la réunion du groupe de travail spécialisé qui
aura lieu en juin. En juin, nous serons capables de répondre sur la
façon dont ce sera traité. Nous avons commencé par le camp
anglais, pour les pays qui suivraient ce chemin dans ce type d'opération.
Dernière question, la question 6 qui traite du monopole de l'INSEE.
C'est l'occasion pour moi de faire une mise au point. L'organisation
française en matière de statistiques et, notamment, de
statistiques économiques, est très classique si on la compare
à celle des pays de l'O.C.D.E. Elle est très proche de
l'organisation du Royaume-Uni et des U.S.A. Je rappelle que l'INSEE,
constitué en 1946, s'est beaucoup inspiré de l'exemple de ces
pays qui étaient en avance sur la France en matière de
statistiques économiques.
Dans les pays de taille relativement importante, se trouvent des situations
différentes, pour les petits pays, la collecte et le traitement de
l'information statistique sont très largement décentralisé
par domaine.
Il existe des variations dans les rôles respectifs des divers organismes
d'un pays à l'autre. Je vais prendre le cas britannique et le cas
français. L'homologue britannique, l'Office National de Statistiques, a,
dans l'ensemble, un rôle semblable à celui de l'INSEE. Il est
également responsable de la comptabilité nationale mais ne fait
pas exactement la même chose. Il présente des statistiques de
commerce extérieur, l'INSEE ne le fait pas, ce sont les douanes qui sont
responsables des statistiques du commerce extérieur. L'O.N.S.
présente des statistiques de balance de paiement, l'INSEE ne le fait
pas, c'est la Banque de France qui le fait.
Il existe des variations du même type d'un pays à l'autre, mais
partout, il n'y a pas d'exception à l'intérieur de l'O.C.D.E.,
chaque organisme et en situation de monopole dans son domaine de
compétence et en matière de comptabilité nationale.
Parler de pluralisme et de concurrence est, en fait, parler d'études,
notamment d'études économiques, qui se situent en aval de la
production statistique. En matière de production statistique, le
monopole est la règle. Il y a des raisons à cela. L'INSEE est
normalement en situation de monopole en matière de production de
statistiques économiques et, en particulier en matière de
comptabilité nationale. La contrepartie de cela est, évidemment,
une très forte exigence de transparence et d'indépendance
technique.
Nous avons deux piliers, les instances internationales, puisque l'essentiel de
notre statistique économique, à commencer par la
comptabilité nationale s'effectue dans le cadre de règles
européennes, que se soient nos indices de prix ou nos indices de
production industrielle, tout est encadré par des textes
européens qui ont force de loi et, bien sûr, au plan national, le
Conseil National d'Information Statistique, dont le rôle est
fondamental pour assurer cette transparence et l'indépendance technique
du système statistique dans son ensemble dont l'INSEE n'est qu'une
partie.
M. le Président
. -
Merci, Monsieur le Directeur
Général. Je donne la parole à Monsieur le Rapporteur
Général.
M. Philippe MARINI, Rapporteur général
. -
Monsieur
le Directeur Général, un point est souvent revenu dans les
auditions que nous faisons depuis la mise en place de cette commission
d'enquête, celui concernant les modalités de prévision du
rendement de l'impôt sur les sociétés.
L'impôt sur les sociétés a été noté
comme représentant le principal espace d'écart des recettes
fiscales dans la gestion 1999, mais au-delà de cet épisode
particulier, sans doute y a-t-il des questions de méthode à se
poser.
J'aurais souhaité que vous puissiez nous donner votre opinion sur les
moyens dont dispose actuellement le ministère de l'économie et
des finances pour anticiper, à partir des données
prévisionnelles de la conjoncture, le rendement de l'impôt sur les
sociétés. En second lieu, j'aimerais que vous nous disiez, dans
ce contexte, ce qui est fait, ce qui peut être fait, ce qui peut
être amélioré par l'INSEE qui a la connaissance à la
fois macro et micro-économique, par les études sectorielles, les
analyses issues de la réalité de la vie des entreprises. Face
à ce problème difficile d'anticipation des recettes fiscales
branche par branche de l'évolution de la conjoncture, que pouvez-vous
faire pour nous assurer que nous progressons en fiabilité dans
l'estimation des recettes fiscales et dans leur ré-estimation en cours
d'année, s'il y a lieu.
M. Paul CHAMPSAUR
. -
Ce n'est pas un sujet facile car il s'agit
de l'un des impôts les plus difficiles. Ce n'est pas la première
fois que le ministre fait des erreurs de prévision en matière
d'impôt sur les sociétés, cependant, j'ai l'impression
qu'en 1999, l'écart a été particulièrement
important.
En cours d'année, nos collègues des autres directions ont
interrogé l'INSEE parce qu'ils constataient que les rentrées
d'impôts sur les sociétés étaient supérieures
aux prévisions. Il y a deux origines dans les erreurs de
prévisions, l'erreur de prévision macro, c'est-à-dire
erreur sur la macro-économie et une sur la situation des entreprises. Il
peut également exister une erreur sur la macro-économie et la
situation des entreprises et une dans l'articulation entre
macro-économie et impôt.
En cours d'année, au niveau des comptes trimestriels, les indicateurs
produits par l'INSEE concernant la situation des entreprises sont assez
imprécis puisque nous n'avons pas de comptabilités d'entreprises
en cours d'année. La comptabilité d'entreprises n'arrive à
l'INSEE que dans le courant de la deuxième année qui suit
l'exercice, c'est-à-dire qu'actuellement, à l'INSEE nous n'avons
pas d'élément de comptabilité d'entreprises pour
l'année 1999.
Bien sûr, nous aurons la comptabilité d'entreprises. Je vois,
Monsieur le Rapporteur, que vous êtes surpris de ma réponse. Nous
avons des données sur le chiffre d'affaires. Lorsque je parle de
comptabilité d'entreprises, je parle de tous comptes d'exploitation.
Nous avons des éléments de comptes sur chiffre d'affaires, sur
les salaires, mais nous n'avons pas aujourd'hui la comptabilité venant
des entreprises pour 1999.
Cette comptabilité d'entreprises nous parvient par deux
procédures d'enquêtes annuelles. Ces enquêtes sont en cours
et les réponses vont nous arriver dans le courant de l'année. Il
n'y a pas que de très grandes entreprises en France, les entreprises
moyennes et petites font également partie de la ressource fiscale.
Les entreprises fournissent cette comptabilité à la Direction
Générale et, en dernier ressort l'INSEE a accès à
toute l'information comptable. Ceci nous arrive plus tard encore.
M. Philippe MARINI, Rapporteur général
. -
Certes,
en termes de comptabilité, nous ne pouvons que souscrire, mais dans les
plus grandes entreprises, les groupes cotés, de plus en plus publient
des comptes semestriels, voire trimestriels, non seulement les agrégats
de chiffres d'affaires mais aussi des données qui affinent le
résultat. Si je vous pose cette question c'est qu'à plusieurs
reprises, il nous a été dit qu'une bonne surprise est intervenue
en fin d'année, 6 milliards, par exemple. Cette information
intéressante pose problème dans la mesure où les plus
grands groupes, grands contributeurs, ont caché l'information
financière tout au long de l'année. Pouvez-vous en faire quelque
chose dans vos procédures sachant que ce n'est pas le tissu de la
P.M.E. ?
M.Paul CHAMPSAUR
. -
Vous abordez des sujets assez complexes.
L'année dernière, il a été demandé à
l'INSEE : n'êtes-vous pas en train de nous tromper sur
l'évolution des entreprises ? L'INSEE s'appuie sur un
élément qui n'apparaît pas en comptabilité
nationale, l'agrégat le plus proche, qui en est très loin quand
même est le résultat brut d'exploitation. Pour passer du
résultat brut d'exploitation à l'assiette de l'impôt sur
les sociétés, il y a un chemin assez compliqué.
Lorsqu'en cours d'année, cette même question nous a
été posée, nous avons examiné les chiffres. Nous
avons eu le sentiment que nous ne nous trompions pas beaucoup sur le
résultat brut d'exploitation qui n'évoluait pas de façon
spectaculaire. 1999 n'est pas une année au cours de laquelle, au sens de
la comptabilité nationale, l'amélioration des comptes des
entreprises est très spectaculaire.
Nous avons été amenés à examiner l'histoire, ceci
doit figurer dans la liste des notes que j'ai donnée. L'histoire montre
que la corrélation entre l'impôt sur les sociétés et
les agrégats les moins éloignés de l'assiette de
l'impôt est de très mauvaise qualité. Manifestement, en
travaillant uniquement à partir de ce que produit la comptabilité
nationale, il n'est pas possible d'espérer des prévisions de
très bonne qualité en matière d'impôt sur les
sociétés. Il faut donc mobiliser une information
supplémentaire.
Depuis un certain temps nous entretenons, à l'INSEE, l'espoir, compte
tenu du développement des comptes trimestriels d'entreprises pour les
grandes sociétés, de monter une enquête qui nous
permettrait d'avoir une idée de l'évolution trimestrielle des
résultats des entreprises.
Nous avons fait des tests. Depuis quelques années, nous interrogeons un
certain nombre d'entreprises en la matière. Nous ne sommes pas encore
arrivés à bien maîtriser cette source car seules les
grandes entreprises tiennent ces statistiques et nous avons des doutes sur leur
qualité. Nous avons décidé de relancer cette affaire
puisqu'il semble que le contexte soit en train de changer et que, compte tenu
des besoins d'information des marchés financiers, un nombre croissant
d'entreprises sera capable de répondre dans de meilleures conditions.
Je pense que, de toute façon, l'impôt sur les
sociétés restera un impôt très difficile à
prévoir. Je ne suis pas très bien placé car je ne suis pas
un spécialiste de ces questions, mais c'est le cas le plus difficile.
Une remarque importante, le travail en question a été fait sur
les comptes définitifs de la comptabilité nationale,
c'est-à-dire sur des comptes reposant sur la comptabilité
d'entreprises. Malgré l'élimination de la partie erreur
macro-économique, la corrélation reste faible, bien que nous
ayons eu comme base l'information comptable venant des entreprises. Ceci
signifie que la difficulté est intrinsèque, que ce n'est pas une
affaire de prévision macro. Les prévisions macro peuvent s'y
ajouter. Il est clair que tous les impôts, à degrés divers
fluctuent un peu plus que la conjoncture ou que les agrégats macro.
Pour prendre le cas de l'an dernier, la TVA est un peu mieux rentrée
que ce que prévoyait l'évolution à partir de la
comptabilité nationale des emplois taxables. A ce stade, nous ne sommes
pas tout à fait sûrs. La comptabilité nationale
n'étant pas complètement stabilisée, il pourra y avoir des
révisions, mais nous constatons cette espèce de cyclicité
des additionnels de l'impôt par rapport aux agrégats de la
comptabilité nationale. Nous le constatons sur le passé le plus
ancien, c'est-à-dire au moment où nous avons toute l'information.
Cela veut dire qu'il est difficile de prendre en compte le fait que lorsque les
entreprises ont une trésorerie facile, l'impôt rentre bien et
à l'inverse, lorsque la trésorerie des entreprises est difficile,
qu'il y a des faillites, l'impôt rentre moins bien. Nous ne savons pas
bien prendre cela en compte, cela explique les difficultés de mes
collègues.
M. Denis BADRE
. -
Monsieur, vous êtes Directeur
Général de l'INSEE et, comme l'était votre
prédécesseur, un économiste réputé. Vous
avez dit que vous aviez eu le souci de familiariser les grandes directions de
Bercy avec la comptabilité. Avez-vous également le souci de les
familiariser avec l'économie ? Que faites-vous en ce sens ?
Concernant l'Europe, vous avez beaucoup insisté sur le rôle actif
que vous avez à Bruxelles pour que le règlement européen
que nous appliquons en matière de comptabilité nationale soit le
plus performant et le plus propre à traiter nos difficultés. Vous
avez insisté sur vos relations avec nos partenaires de l'Union,
notamment la Grande-Bretagne. Avez-vous préparé l'avenir en
établissant des relations avec les candidats de l'union
européenne ?
M. Paul LORIDANT
. -
Je voudrais revenir sur quelques missions de
l'INSEE. Vous réalisez des enquêtes de conjoncture, vous
n'êtes pas seul sur la place, il y a au moins la Banque de France qui en
fait. J'étais l'un des acteurs, donc je sais qu'il y avait souvent
concurrence entre la Banque de France et l'INSEE à l'époque. Quel
est votre horizon dans ce domaine ? Il nous a été dit six mois.
Lorsque vous êtes consultés votre horizon de prévision
est-il de six mois ou au-delà ?
Je reviens sur les comptes des entreprises. Je suis frappé que
l'émergence des marchés financiers fasse que les entreprises, du
moins celles qui sont cotées aient le souci de donner des informations
beaucoup plus régulières, nous allons vers des comptes
trimestriels annoncés. Il est un fait incontestable, depuis deux ans,
les dividendes versés aux actionnaires, nous pouvons le constater
à travers les déclarations d'impôts, l'avoir fiscal, ont
sérieusement augmenté. C'est un indice fort car même si je
n'imagine pas que les entreprises puissent avoir une politique de distribution
déconnectée des résultats de l'entreprise, l'une peut
être très divergente de l'autre. Le constat que les dividendes
versés soient beaucoup plus importants était quand même un
indice fort d'une amélioration substantielle des résultats des
entreprises, pouvant générer de l'impôt sur les
sociétés. Etes-vous capable de l'apprécier ?
Troisième question concernant les comptes des entreprises :
avez-vous des coordinations ou des contacts avec les autres organismes qui
tiennent des centrales de bilan, comme la Banque de France ou le Crédit
National à une époque ? Il y là aussi une source de
connaissance de la comptabilité des entreprises intéressante
parce que cela va, à ma connaissance, au-delà des entreprises
cotées et prend en compte des entreprises de toutes tailles.
M. le Président
. -
Nous avons la chance de vivre en
démocratie. Pour que cette démocratie vive, il faut que nous
respections ses principes fondateurs et, en particulier, que le citoyen puisse,
par sa représentation, autoriser l'impôt et suivre son emploi.
Nous sommes à l'épreuve, face à l'articulation difficile
entre loi de financement, loi de finances et programme de stabilité. Ces
exercices sont distincts, étant entendu que le plus important est le
programme de stabilité et c'est celui qui n'est pas soumis au processus
démocratique. Je voudrais vous demander, en tant que haut fonctionnaire
de l'Etat, si, sur le plan technique, nous pouvons améliorer la
consolidation de ces éléments financiers. Cela paraîtrait
essentiel du point de vue démocratique. Je pose la question au
technicien que vous êtes : la technique peut-elle faire mieux que ce
qu'elle fait actuellement ?
Sur le plan politique, pensez-vous qu'il y aurait, par exemple au plan du
calendrier, de la méthode, possibilité de faire mieux s'exprimer
la représentation nationale ?
Les personnalités qui vous ont précédé nous ont
montré des variations très erratiques de
l'élasticité des recettes fiscales et ceci a été
exprimé à travers un graphique qui m'a beaucoup marqué.
Or, c'est un élément essentiel pour le calcul des
prélèvements obligatoires et je voudrais vous demander si votre
direction mène des recherches à ce sujet.
M. Paul CHAMPSAUR
. -
Je réponds à Monsieur BADRE,
à propos de ce que nous faisons pour inciter nos collègues
à s'intéresser à l'économie. En fait, ce qui
importe, c'est qu'eux-mêmes se rendent compte de l'intérêt
de l'expertise économique. Je dois vous confesser que je n'ai rien
à apprendre à mon collègue de la Direction de la
Prévision en matière d'économie, il emploie une
légion d'administrateurs de l'INSEE.
M. Denis BADRE
. -
C'est une manière de faire.
M. Paul CHAMPSAUR
. -
Une façon intéressante de
l'INSEE pour répondre aux besoins d'expertise économique a
été de permettre à de jeunes économistes de l'INSEE
d'aller travailler dans les directions en question.
Actuellement, dans toutes les grandes directions des finances, notamment les
directions d'état-major, il y a un certain nombre d'administrateurs
INSEE employés pour les questions qui appellent une expertise
économique. Un des conseillers économiques du Trésor vient
de l'INSEE.
Nous pouvons nous réjouir de ce que l'appel à l'expertise
économique de la part de mes collègues, qui était ancienne
à la Direction de la Prévision, s'est développé au
cours de ces dernières années et de façon naturelle. Le
pouvoir d'injonction de l'INSEE en la matière est certain.
L'Europe. Si j'ai bien compris, votre question porte essentiellement sur les
candidats. L'union européenne gère des programmes de
coopération extrêmement importants en matière de
statistiques, notamment économiques, vis-à-vis des pays d'Europe
Centrale et Orientale et la mise à niveau des statistiques
économiques fait partie des exigences formulées à
l'égard de ces pays.
Eurostat est rarement en mesure de faire lui-même le travail de
coopération, c'est-à-dire qu'il s'appuie sur les pays. L'INSEE a
un programme de coopération très lourd en matière de
statistiques économiques avec les pays d'Europe Centrale et Orientale.
Nous avons eu un très grand succès avec la Pologne qui a fait
d'énormes progrès et nous avons beaucoup travaillé avec la
Roumanie mais, malheureusement, le progrès de la statistique
dépend du contexte général du pays. Il est impossible de
faire de la bonne statistique avec une administration qui ne fonctionne pas
bien. Je dois dire que l'INSEE est actuellement à la limite de sa
capacité en matière de coopération, compte tenu de
l'importance des demandes européennes.
Pour revenir à l'union européenne, ce système de
surveillance mutuelle par l'intermédiaire des instances
européennes est très important. C'est un facteur de transparence
considérable. Maintenant le réflexe est là,
c'est-à-dire que tout le monde lit les journaux de tout le monde, chacun
sait ce que sont les projets budgétaires des divers gouvernements et
tout le monde s'intéresse à la façon dont cela sera
enregistré en comptabilité budgétaire et en
comptabilité nationale.
Le passage au droit constaté, qui a été une
opération délicate est l'un des grands progrès du
système de comptabilité actuel par rapport au
précédent. Un certain nombre de pays avait fait une
interprétation très laxiste en matière de droit
constaté et il nous revient à tous, dans le cadre des instances
européennes, de repérer les risque de dérive et d'y mettre
bon ordre.
M. Paul LORIDANT
. -
Le seul domaine dans lequel vous parlez
d'enquêtes qualitatives sont les enquêtes de conjoncture. Demander
aux chefs d'entreprises s'ils pensent que la situation est bonne ou mauvaise
est faire un sondage d'opinion. Ces enquêtes sont beaucoup moins
coûteuses que des statistiques quantitatives.
M. Paul CHAMPSAUR
. -
Il y a recouvrement entre les
enquêtes de conjoncture de la Banque de France et celles de l'INSEE. Ceci
dit, l'INSEE s'est clairement retiré du domaine des enquêtes
régionales puisque la Banque de France, qui a un réseau
très implanté sur le territoire et des moyens que l'INSEE n'a
pas, souhaitait gérer un dispositif d'enquêtes de conjoncture
locale et que l'INSEE ne le fait pas, le seul recouvrement portant sur les
enquêtes de conjoncture nationale.
Je rappelle que l'INSEE en est chargé dans le cadre des accords
européens. Les enquêtes de l'INSEE répondent à des
règlements européens avec un petit financement européen
marginal.
Nous avons l'habitude de travailler avec les enquêtes de la Banque de
France car sur certains points, elle couvre des domaines que l'INSEE ne traite
pas et réciproquement. Dans les domaines de recouvrements, elles
concordent remarquablement mais je dois reconnaître qu'il faut être
spécialiste pour aller le vérifier, la présentation
n'étant pas la même. Personnellement, je préfère la
présentation INSEE, ceux qui sont habitués à la
présentation Banque de France préfèrent sans doute la
présentation Banque de France. Cela ne me semble pas être un sujet
trop grave mais l'INSEE tient beaucoup à suivre ces enquêtes et la
collaboration entre l'INSEE et le réseau européen d'instituts qui
font des enquêtes analogues, dont je rappelle qu'elles sont
normalisées, est excellente.
Il est très clair que l'INSEE ne fait pas de prévisions
conjoncturelles au-delà de l'horizon de six mois en matière de
prévisions conjoncturelles. Nous appliquons les mêmes
règles d'indépendance qu'en matière de statistiques.
L'horizon à six mois a une logique forte, aller au-delà serait
dangereux pour l'INSEE. A six mois, nous pouvons considérer que les
mesures de politique économique qui ne sont pas encore connues et seront
à prendre n'auront pas d'effet significatif à cet horizon. En
matière de mesure politique économique, nous ne pouvons
intégrer dans le raisonnement que ce qui est parfaitement connu.
Au-delà de six mois, nous entrerions dans des supputations sur la
politique économique et ceci compliquerait les relations entre l'INSEE
et le Gouvernement. Cette règle de six mois est impérative.
L'INSEE fait des exercices de projections économiques à d'autres
horizons, des projections de moyen-terme et même plus, ce sont des
scénarios. Cela n'a rien à voir avec la conjoncture et nous le
faisons en collaboration avec la Direction de la Prévision qui nous
apporte sa compétence dans le domaine des finances publiques et
internationales.
Quel est la répartition d'efforts entre l'INSEE et la Direction de la
Prévision ? Généralement, les prévisions du
Gouvernement à relativement court terme sont parfaitement
codifiées, l'INSEE ne s'exprime de façon importante que deux fois
par an, fin juin pour le deuxième semestre et fin décembre pour
le premier semestre de l'année suivante. Les points conjoncturels qui
suivent ne sont que des mises à jour, l'INSEE ne s'exprime pas au moment
où le Gouvernement s'exprime. Lorsque le Gouvernement fait des
prévisions à horizon de 18 mois, en mars et en septembre, il n'y
a pas de production de l'INSEE. Cette organisation est bien comprise par tout
le monde, elle permet une bonne information du public, et elle est
gérable, c'est-à-dire que l'INSEE peut, dans ces conditions,
conserver un caractère strictement technique à ces exercices de
conjoncture.
Je ne serais pas totalement complet si je ne vous disais qu'au moment
où le Gouvernement prépare ses hypothèses
macro-économiques, il arrive qu'il me demande, plutôt à
titre personnel qu'à celui de Directeur Général de l'INSEE
mon opinion, éventuellement sur un horizon plus lointain.
Au sein du Conseil Politique et Economique, institution mise en place par
Monsieur Strauss-Kahn, qui se réunit tous les mois, siègent le
Directeur du Trésor, du Budget, le Directeur de la Prévision et
le Directeur Général de l'INSEE. Il arrive, une fois sur deux ou
trois, que nous commencions par un point de conjoncture que j'introduis et le
Ministre ne s'interdit pas de demander mon opinion sur l'évolution de
l'inflation par exemple, au-delà de six mois, mais cela reste du domaine
de l'informel.
Comptes des entreprises, dividendes, centrales de bilan. Il existe une
collaboration permanente, ancienne, entre tous les organismes qui gèrent
des centrales de bilan. Elles sont, dans une certaine mesure,
complémentaires.
Les centrales de bilan de la Banque de France ne sont pas complètes,
elles sont sur une base volontaire. La Banque de France a des moyens de
persuasion alors qu'à l'INSEE, elles résultent d'un processus
statistique, dans le cadre d'enquêtes obligatoires. Nous mobilisons
l'information d'origine fiscale, c'est-à-dire les déclarations
des entreprises à l'occasion de l'établissement de l'impôt
sur les sociétés.
Ces centrales de bilan sont très utiles pour étudier les
caractéristiques des entreprises, les caractéristiques
structurelles, l'évolution de ces populations selon de multiples
critères. Par contre, cette information arrive beaucoup trop tard et est
d'une telle complexité qu'elle ne peut être utilisée en
matière de prévision efficace. Il serait peut-être
possible, à partir de ces centrales de bilan, de faire des études
permettant d'améliorer les méthodes mais l'information arrive de
toute façon trop tard.
Vous avez fait allusion à l'information publiée sur les
dividendes, elle arrive très tard. Les dividendes au titre de
l'année 1999 sont connus maintenant, mais nous avions des
problèmes de prévision l'année dernière.
Je pense que le nouveau contexte des marchés financiers pousse les
entreprises à produire une information plus abondante, de meilleure
qualité et plus précoce et que, collectivement, aussi bien en
matière de statistiques économiques qu'en matière de
prévisions fiscales, nous devrions être capables de tirer un
meilleur parti de cela dans les prochaines années, mais je ne peux
guère être plus précis, par manque de compétence.
Votre question est complexe, Monsieur le Président et je pense que vous
vous adressez plutôt à l'économiste qu'au Directeur
Général de l'INSEE : articulation lois de finances /
programmes de stabilité, calendriers, etc.
En tant qu'économiste, je suis convaincu que l'incitation
européenne à réfléchir, à replacer nos
procédures budgétaires dans un cadre de moyen terme est positive,
parce que je crois que, pour de multiples raisons, il est bon qu'aussi bien le
Gouvernement que le Parlement accompagnent la préparation d'un projet de
loi de finances et sa discussion au Parlement d'une remise en perspective de
moyen terme et explicitent leur stratégie de moyen terme.
Je pense plutôt, en tant que citoyen parce que je ne suis pas
compétent dans ces domaines, que les procédures de
préparation et de discussion du projet de loi de finances doivent
évoluer en France. Tirer toutes les conséquences de ce que je
viens de dire me semble souhaitable. J'ajouterai qu'en tant que gestionnaire
d'un service public, car l'INSEE est un service public, j'aimerais un peu plus
de pluriannuel et de lisibilité à moyen terme, c'est une
condition d'efficacité du service public.
Comment le faire ? Je ne sais pas bien. Il me semble que cela vaudrait la
peine d'aller regarder comment font les autres pays. Il me semble que des pays,
européens ou non, sont plus avancés que nous en la
matière, qu'ils ont réussi à maintenir pleinement le
rôle du Parlement tout en réussissant à mieux
insérer les exercices annuels dans des perspectives de moyen-terme.
Si j'ai une suggestion à faire, c'est de commencer par étudier
ce que font les autres pays. Une partie de ce qui nous arrive au plan
européen s'explique en partie par des références venant
d'expériences d'autres pays, par exemple, l'Allemagne qui a une
tradition de plus grande prise en compte de moyen-terme, aussi bien par le
Gouvernement que par le Parlement. Je ne peux guère être plus
précis. Pour l'être, il faudrait que je prépare une
réponse, je ne m'attendais pas à ce type de question.
L'élasticité erratique des recettes fiscales et calculs des
prélèvements obligatoires. Si vous le souhaitez, je peux vous
faire parvenir une fiche du même type que celles que vous avez
déjà, explicitant le calcul de prélèvements
obligatoires. L'attention portée aux prélèvements
obligatoires va croissant, les normes internationales existent mais ne sont pas
vraiment européennes, elles viennent de l'O.C.D.E et sont moins
précises que pour la comptabilité nationale proprement dite.
Je suis tout à fait prêt à vous donner tout l'état
de la situation mais il est clair que lorsqu'il y a des variations importantes
de recettes fiscales, cela se voit dans le taux de prélèvements
obligatoires, c'est ce que nous avons vu en 1999. L'INSEE enregistre les
recettes fiscales après correction de l'histoire de droit
constaté, comme elles viennent et, lorsqu'elles sont fortes, cela se
traduit par une montée des prélèvements obligatoires.
Je voudrais quand même terminer, sur cette question des
prélèvements obligatoires, par une note de prudence. Le concept
de prélèvements obligatoires est plus flou que les concepts
standards de comptabilité nationale. Il est plus difficile de
s'abstraire des institutions et, notamment, du fait que les institutions
changent beaucoup d'un pays à l'autre puisque, comme je l'ai dit au
début, la comptabilité nationale actuelle a été
créée pour dépasser les différences
institutionnelles en matière de procédure de comptabilité
budgétaire. Nous y réussissons assez bien dans l'ensemble.
En matière de prélèvements obligatoires, c'est plus
compliqué, la difficulté principale se situant plutôt du
côté des cotisations sociales que du côté de
l'impôt au sens étroit du terme. Qu'est-ce que qu'une cotisation
sociale ? Une cotisation sociale est-elle un prélèvement
obligatoire ou non ? Il y a parfois de petits problèmes. Je veux
simplement rappeler qu'il n'y a pas de cotisations sociales employeur pour les
fonctionnaires en matière de retraite. Si, à l'intérieur
du budget de l'Etat, nous nous mettions à calculer, à isoler un
compte des retraites, nous ferions apparaître des cotisations sociales.
Nous changerions la référence mais nous n'aurions pas
radicalement changé la situation des finances publiques ni les relations
entre les finances publiques et l'ensemble de l'économie puisque les
retraites sont bien, finalement, payées par le budget de l'Etat.
Je prends ce petit exemple et vous voyez que chaque fois que nous faisons
passer une entreprise qui était un ancien service de l'Etat vers un
statut d'entreprise de type privé, comme ce fut le cas pour France
Télécom, cela donne une rupture de série en matière
de prélèvements obligatoires qui n'a pas de véritable
signification. Tout cela pour dire qu'il faut manier le concept de
prélèvement obligatoire avec prudence.
M. le Président
. -
Merci, Monsieur le Directeur
Général de cette heure d'audition au cours de laquelle vous avez
apporté une contribution importante.
Je vous remercie, la séance est levée.
La séance est levée à 12 h 55.
Seconde séance du 3 mai 2000
La séance est reprise à 16 h 40 sous la présidence de M. Alain Lambert
Audition de M. Laurent FABIUS,
Ministre de l'Economie, des
Finances et de l'Industrie
M. le Président.
-
L'ordre du jour appelle
l'audition de M. Laurent Fabius, Ministre de l'Economie, des Finances et de
l'Industrie.
Je vous rappelle que nous siégeons dans le cadre de la mission
chargée de recueillir des éléments d'information sur le
fonctionnement du service de l'État dans l'élaboration et
l'exécution des lois de finances. Nous sommes ainsi titulaires des
prérogatives reconnues aux commissions d'enquête.
Monsieur le Ministre, je vous souhaite la bienvenue devant une commission qui
a la chance de vous accueillir deux semaines consécutives. Vous savez
quelle est notre mission. Il s'agit de lever, pour partie, tout débat
juridique sur les droits et les compétences de notre commission à
être informée. Nous avons souhaité donner à notre
démarche un caractère pluraliste. C'est ainsi qu'ont
été nommés autant de rapporteurs qu'il y a de groupes dans
l'hémicycle : MM. du Luart, Angels, Vallet, Loridant, le rapporteur
général et votre serviteur.
Il m'appartient de rappeler les solennités requises en pareille
circonstance. D'abord, le secret doit être conservé pour les
travaux non publics, et nous sommes dans ce cadre aujourd'hui. Les articles
n°s 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal traitent des
conséquences liées à votre témoignage. Je dois
recueillir votre serment de dire rien que la vérité mais toute la
vérité. Vous devez lever la main droite et dire « je le
jure ».
(
M. Laurent Fabius, Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie
prête le serment d'usage.
)
M. Laurent Fabius, Ministre de l'Economie, des Finances et de
l'Industrie. -
Monsieur le Président, Monsieur le Rapporteur
général, Mesdames, Messieurs -j'allais dire chers
collègues, mais je dis chers amis-, je vous remercie de m'accueillir une
nouvelle fois au sein de votre commission, dans un cadre plus juridique, il est
vrai.
Je me dois d'abord de rappeler le caractère récent de ma
nomination au Gouvernement, puisqu'elle ne remonte qu'à un mois environ,
ce qui ne me permet pas de me prononcer sur les conditions d'élaboration
et d'exécution du budget de 1999.
Votre champ d'investigation portant sur les conditions de préparation
et d'exécution, je voudrais décrire la séquence et le
contenu des notes traditionnelles de la Direction de la Prévision et de
la Direction du Budget qui, en fait, rythment les procédures pour la
préparation et l'exécution d'un projet de loi de finances.
Quelques modifications ont été décidées ces
dernières années, mais depuis extrêmement longtemps
existent des procédures. Il me faut les rappeler à grands traits.
S'agissant du contexte macro-économique, la Direction de la
Prévision fournit habituellement deux séries de notes au Ministre.
D'abord, à la fin de l'hiver, les principaux résultats des
budgets économiques pour l'année n et pour l'année n + 1.
Les prévisions sont rassemblées dans deux notes principales. La
première décrit le scénario macro-économique
retenu, notamment en matière de croissance, d'inflation et d'emploi. La
seconde présente les prévisions pour l'ensemble des
administrations publiques, en termes de soldes-recettes et de dépenses.
Ensuite, à la fin de l'été, dans la perspective du projet
de loi de finances et du projet de loi de financement de la
sécurité sociale, nous pratiquerons un exercice similaire. Du
point de vue des projections, la direction de la Prévision est aussi
conduite à réaliser des variantes de ses budgets pour
apprécier les conséquences possibles des mesures
envisagées entre deux campagnes de comptes.
En ce qui concerne la préparation du projet de loi de finances
lui-même, la Direction du Budget transmet habituellement au Ministre
trois notes.
Au mois de février, une note synthétise les travaux de la
Direction du Budget sur une projection pluriannuelle - trois ans - des
dépenses publiques en grands postes de dépenses. Il s'agit non
pas d'une projection tendancielle des dépenses, mais d'une série
de propositions qui visent à nourrir la réflexion du Gouvernement
sur les réformes à envisager afin de faciliter le respect des
objectifs de dépense fixés.
Au mois d'avril, une note est consacrée à l'année
à venir et aux propositions de dépenses associées au
projet de loi de finances en vue de l'engagement des négociations avec
les ministères.
En juin, une troisième note fait le point sur le résultat des
conférences budgétaires et propose au Ministre des positions sur
les sujets qui n'ont pas été réglés entre les
services.
J'en viens à la prévision de l'exécution, puisque vous
vous y intéressez également. La Direction du Budget transmet
trois notes associées aux principales étapes de la
procédure budgétaire : la première au début du
mois d'avril, en liaison avec la note relative à la préparation
du budget de l'année suivante, la deuxième, en juin, après
l'achèvement de la première phase de la préparation du
projet de loi de finances de l'année n + 1, et la troisième, au
mois d'octobre, en liaison avec la préparation du projet de collectif
budgétaire de fin d'année. Je ne sais pas depuis quand les choses
fonctionnent ainsi, mais il y a très longtemps, me semble-t-il.
De ce point de vue, il paraît important de se demander quelles notes
peuvent être systématiquement transmises - ou non - au Parlement.
Nous sommes tous ici des responsables, quelle que soit la fonction que nous
exerçons.
Il doit pouvoir exister une itération entre les directions et le
Gouvernement, hors toute publicité. Sinon, connaissant la nature des
institutions et des hommes, nous risquerions d'aboutir à une
espèce de double circuit. Vous auriez d'un côté des notes
destinées à la publication, de l'autre, des
éléments plus confidentiels sur lesquels aurait lieu le
véritable travail. Personne ne souhaite aboutir à ce
résultat, je pense. Il faut de la transparence, mais il faut aussi que
le Gouvernement - pas seulement le Ministère des Finances - puisse
disposer d'un espace de réflexion et de débat internes qui
préserve la liberté de proposition et d'écriture -
j'allais dire de rature - de chacune des directions du ministère, ainsi
que la liberté d'appréciation et d'arbitrage du Ministre et du
Premier ministre.
C'est là qu'apparaît sinon une difficulté, du moins un
champ de réflexion dont vous aurez certainement à entendre
parler. Ce que j'appellerai espace de « proposition », de
« rature » ou de « liberté »,
peu importe l'expression, sera d'autant plus légitimement
protégé que seront mises en oeuvre par ailleurs des mesures de
transparence consensuelle qui permettront au Parlement de connaître, dans
les hypothèses sous-jacentes à la prévision
budgétaire, les résultats précis de l'exécution.
Pour être très concret, des mesures concernant la transparence
seront présentées lors du débat d'orientation
budgétaire.
C'est le cas, par exemple, de l'amélioration de la présentation
du compte général de l'administration des finances, CGF, avec
l'introduction des droits constatés pour les charges de la dette et de
provisions pour dépréciations d'échéances fiscales
et une nouvelle évaluation des dotations et participations, d'une
comptabilisation plus fidèle des immobilisations, de l'introduction
d'une annexe au bilan retraçant les engagements de l'État. Ces
éléments, qui marquent déjà le franchissement d'une
étape importante, tendent vers une meilleure appréciation de la
situation financière et des engagements de l'État.
Autre exemple, le dépôt, au mois de juin, du projet de
règlement pour l'exercice 1999, de manière à informer le
Parlement des conditions d'exécution du budget de l'année
précédente, avant même l'examen du projet de loi de
finances pour 2001. La demande était formulée depuis longtemps.
Le projet de loi de règlement accompagné du compte
général de l'administration des finances et
amélioré, où vous disposerez, pour la première
fois, des comptes rendus de gestion des ministères. C'est l'amorce d'un
rééquilibrage entre, d'une part, la discussion sur le projet de
loi de finances - qui tend vers une présentation plus globale et plus
stratégique - et, d'autre part, l'examen de l'exécution qui
devrait fournir l'occasion de se pencher sur les résultats obtenus ainsi
que sur la situation patrimoniale.
En outre, dans le projet de loi de finances, nous irons dans le sens de la
clarté de la budgétisation avec une présentation par
programme et par acteur faisant apparaître les missions, les objectifs,
les indicateurs de résultats. Une chartre de budgétisation
devrait vous permettre de mieux vous y retrouver dans le budget et son
périmètre d'année en année. S'il y a des
modifications de présentation, il faut pouvoir, en effet, passer
rapidement d'une présentation à une autre. Enfin, nous aurons une
description des relations financières entre l'État et les
organismes de sécurité sociale, comme on le demande depuis
longtemps, et c'est d'ailleurs souhaitable.
Le déploiement de la démarche que je viens de vous exposer
passera par un certain nombre d'étapes que je vais vous décrire.
Premièrement, la poursuite de l'amélioration de la
présentation des comptes, avec une généralisation
progressive des droits constatés afin de mieux cerner les charges
d'exercice et de rapprocher les résultats obtenus.
Deuxièmement, la description des engagements en matière de
retraites, dans le cadre de l'annexe hors bilan. Elle sera progressivement mise
en oeuvre dans un cadre méthodologique qui devrait être
partagé avec nos principaux partenaires européens.
Troisièmement, le développement du contrôle de gestion
dans les services de l'État et la professionnalisation de la gestion
immobilière qui constituent des objectifs également importants
pour l'amélioration de la gestion concrète de l'État et de
son patrimoine. Le Ministère des Finances anime déjà
depuis un certain temps des travaux interministériels sur ces
thèmes afin d'élaborer des propositions opérationnelles
qui pourraient être soumises à l'adhésion du Gouvernement
avant la fin de cette année.
M. le Président. -
Monsieur le Ministre, vous venez,
certes, de prendre récemment vos fonctions. Nos travaux ont donc un
caractère quelque peu rétrospectif. Mais il nous semblait
inimaginable de ne pas commencer par entendre le Ministre de l'Economie et des
Finances. C'était l'occasion d'avoir de plus amples informations sur ce
que vous comptiez faire dans le domaine de la transmission et de la circulation
de l'information entre l'exécutif, que vous incarnez, et le
législatif.
Avant de donner la parole à M. le Rapporteur général, je
dois indiquer que nous avons une idée, que je crois partagée, du
bon équilibre de nos institutions. Il ne s'agit d'aucune façon de
gêner le Gouvernement, car ce ne serait pas bon pour la France. Mais il
faut en même temps que les règles de la démocratie les plus
élémentaires, ou les plus fondamentales, soient
respectées. Vous-même les avez rappelées avec force lorsque
vous étiez président de l'Assemblée nationale. Nous devons
dégager la voie de la conciliation, tel est l'objet des travaux que nous
devons conduire à bien.
M. Philippe Marini, Rapporteur général.-
C'est une
grande chance pour nous, et qui augure bien des travaux de notre commission,
que de pouvoir auditionner à ce stade de nos travaux un Ministre qui
vient de prendre ses fonctions juste après avoir exercé des
responsabilités éminentes au sein du pouvoir législatif,
ce qui le rend à même de comprendre encore mieux nos
préoccupations.
Et ce, d'autant plus qu'en d'autres temps, ce Ministre a lui-même
exercé les fonctions de Ministre du Budget et de Premier ministre. Comme
vous l'avez mis en évidence, toutes ces procédures
décrites sont, dans leur principe, définies depuis longtemps et
s'appliquent dans la continuité. Pour ma part, je serais tenté de
vous poser les questions suivantes.
Au moment où vous prenez des responsabilités éminentes,
quels sont les éléments d'information sur lesquels vous
êtes susceptible de fonder votre appréciation des marges de
manoeuvre dont vous disposez ? Car telle est bien la question essentielle
qui se pose au politique. Comment peut-il faire évoluer les
choses ? Comment, à partir d'une situation donnée, peut-il
imprimer sa marque ?
Qu'est-ce que cela signifie en matière d'élaboration et de suivi
de l'exécution des lois de finances ? Nous
bénéficions d'une conjoncture heureusement très porteuse,
dont nous avons vu les effets dans les résultats de l'année 1999.
Or, cette conjoncture va induire des conséquences spécifiques
pour l'exercice 2000. Comment suivre en temps réel les effets de la
conjoncture sur l'estimation des recettes fiscales ? Comment demeurer
prudent tout en répartissant ce qui peut l'être ? De ce point
de vue, quels sont les instruments de votre tableau de bord ?
De la même manière, s'agissant des dépenses, existe-t-il
parmi ces instruments une appréciation, par exemple, des crédits
susceptibles d'être mis en réserve si la conjoncture
l'exigeait ? Autrement dit, prenant vos responsabilités au
début de l'exercice budgétaire, sur quels instruments pouvez-vous
fonder vos appréciations afin de piloter l'exécution
budgétaire ?
M. Laurent FABIUS. -
Ces questions décrivent
effectivement la problématique, et je vais m'efforcer d'être le
plus concret possible.
D'abord, quelles informations m'ont été communiquées
à mon arrivée ? En prenant mes fonctions, j'ai
été saisi d'une note relative à l'appréciation
portée par la Direction de la Prévision sur la situation
économique et ses perspectives. Cette note mettait en évidence la
bonne situation conjoncturelle de l'économie française. Les
informations tirées des enquêtes de conjoncture confirmaient
qu'elle était sur un rythme de forte croissance pour toutes les raisons
que vous savez. En matière de prévision, les budgets
économiques réalisés permettaient de tabler, toujours
selon la Direction de la Prévision, sur une accélération
de la croissance en l'an 2000, par rapport à 1999, mais sur une
légère décélération en 2001. D'après
la note, les mesures prises dans le collectif budgétaire pourraient
conforter le scénario de croissance qui avait été
envisagé.
Par ailleurs, j'ai reçu de la direction du budget les premiers
éléments d'information sur l'exécution du budget de
l'État. Les documents qui m'ont été communiqués
étaient des documents publics, que vous avez donc eus puisqu'ils sont
publiés mensuellement dans les notes bleues. Ils s'intitulent
« La situation du budget de l'État » et ils
analysent, mois par mois, l'évolution des dépenses et des
recettes. Un peu plus tard, au mois d'avril, la Direction du Budget m'a
transmis les premiers éléments d'une prévision
d'exécution pour 2000.
De même, j'ai reçu, à mon arrivée, les
résultats des travaux de programmation à moyen terme
réalisés par la direction du budget au début de chaque
année, depuis maintenant deux ans. L'exercice consiste essentiellement
à éclairer la réflexion du Gouvernement sur l'effort
envisageable pour atteindre les objectifs fixés.
Si j'élargis mes réponses, pour coïncider très
exactement avec les préoccupations exprimées par le Rapporteur
général, je dois parler de la marge de manoeuvre. Par rapport
à ce que j'ai connu il y a quelques années, je vois deux
éléments supplémentaires.
D'abord, l'aspect absolument décisif de la situation européenne
et de nos engagements européens. Désormais, nous travaillons en
liaison avec nos collègues. La relation n'est pas seulement
théorique. La France a fait connaître aux autorités
européennes, la Commission ou nos partenaires, un certain nombre de
prévisions et même d'engagements en matière de
dépenses publiques et en matière budgétaire. Comme nous
agissons dans le cadre d'une coopération économique qu'au
demeurant nous, Français, revendiquons, il est évident que la
coopération s'applique d'abord à nous-mêmes. Cet
élément, qui n'existait pas il y a quinze ans ou même dix
ans, est déterminant. C'est une donnée quand on
réfléchit aux marges de manoeuvre, c'est-à-dire à
ce que l'on peut ou non modifier.
Ensuite, il en va de l'État comme de nos collectivités
territoriales : pour pouvoir bien travailler, il faut pouvoir se placer
sous un horizon pluriannuel. C'est là que s'aperçoit l'incidence
de ce que nous faisons, ou ne faisons pas. Puisque vous allez vous pencher sur
l'ordonnance du 2 janvier 1959 que cette dimension temporelle ne devra pas
être négligée. L'annualité est une contrainte. Dans
le bon et dans le mauvais sens.
Pardonnez-moi quelques mots incidents, mais à l'époque où
cette ordonnance a été bâtie, elle était
certainement nécessaire en réaction contre un certain nombre
d'excès, bien connus, de la IV
e
République. Oui, mais
nous voici quarante ans plus tard. Ni la comptabilité ni l'environnement
ne sont les mêmes. Des souplesses doivent être recherchées.
La notion de lisibilité est absolument déterminante. Quelle
entreprise pourrait travailler si on lui interdisait de s'ouvrir une
perspective à moyen terme - je ne dis même pas à long terme
? Nombre d'entre vous animent un département, une commune ou une
région, si l'on vous demandait de vous consacrer à l'année
prochaine, en vous interdisant toute perspective sur les années
suivantes, ce ne serait pas facile ! Marges de manoeuvre, oui, mais non
sans garder à l'esprit qu'il y a, d'une part, l'environnement
européen horizontalement, si je puis dire, et, d'autre part, cette fois
verticalement, le moyen terme et le long terme.
Cela dit, existe-t-il la possibilité d'une mise en réserve de
crédits qui auraient vocation à être annulés en cas
d'affaiblissement de la conjoncture ? Là, le système a
été modifié voilà quelques temps, mais pas d'une
façon heureuse.
Quand on se penche sur l'histoire budgétaire des vingt-cinq
dernières années, on s'aperçoit que tout a
été inventé. Je me souviens, par exemple, du
« Fonds d'action conjoncturelle » qui existait à un
certain moment. Autre chose lui a succédé. Avec le FAC, on
partait d'une certaine perspective de croissance, sachant qu'il pouvait
toujours arriver « un pépin », auquel cas, il
fallait pouvoir corriger la trajectoire. Évidemment, les effets pervers
sont apparus très vite, un peu comme si s'appliquait le principe
d'Heisenberg - la simple observation de la trajectoire d'un
élément modifie l'élément lui-même. Un
ministre dépensier pensait à ce qui allait être mis en
réserve conjoncturelle et on agissait de telle manière que,
même si on se heurtait au problème conjoncturel, il arrivait
à financer ce qu'il voulait financer. Dans ces conditions, le Ministre
de l'Economie et des Finances devait manifester encore plus d'imagination pour
que la conjoncture soit vraiment la bonne !
Il y a un ou deux ans - peut-être même au début du
Gouvernement de Lionel Jospin - a été mis en place une
procédure que je juge pertinente, appelée « contrat de
gestion ». Vous vous souvenez - je vous l'ai d'ailleurs dit la
semaine dernière alors que vous me receviez pour débattre du DOB
- qu'une des bases de notre stratégie des finances publiques consistait,
à partir d'une analyse théorique de celles-ci, à projeter
un niveau de dépenses sur plusieurs années qui ne soit pas
sensible à la situation conjoncturelle.
Si celle-ci s'améliore au-delà des prévisions, nous
engrangeons des recettes supplémentaires qui nous procurent des
ressources pour les jours où la conjoncture se retournera. A l'inverse,
si nous assistons à une décélération de la
conjoncture, mais à condition qu'elle se tienne dans des limites
raisonnables, nous n'amputons pas trop les dépenses, ce qui, du
même coup, permet, keynésianisme ou pas, peu importe, de faire
jouer au budget le rôle incitatif qu'il peut avoir en bonne
théorie économique.
La procédure exige évidemment d'avoir un rythme constant de
projection de la dépense quelle que soit, au fond, la conjoncture. C'est
ce que nous avons fait au cours des deux ou trois premières
années de ce Gouvernement. Nous ne nous en sommes pas mal trouvés.
Mais, et c'est là où je voulais en venir, en lançant les
« contrats de gestion », le Gouvernement de M. Jospin a
responsabilisé les ministères. Nous les invitons à
gérer leurs crédits en fonction de l'évolution de la
situation, en prévoyant et en redéployant, c'est selon, parce que
personne ne connaît mieux son budget que le Ministre qui le dirige.
Certes, il a des objectifs à ne pas dépasser, mais dans ce cadre
ce n'est pas à nous, Ministère des Finances, de décider
qu'il vaut mieux faire ceci plutôt que cela. Nous devons être
informés, bien sûr, mais nous passons avec le Ministre un contrat
de gestion. Respectueux de ses propres initiatives, mais un contrat en vertu
duquel les objectifs ne seront dépassés en aucun cas.
A l'expérience que nous en avons, les contrats de gestion sont
probablement plus efficaces que les inventions du passé parce qu'ainsi
les ministres, pour parler familièrement, sont « mis dans le
coup ». Il n'y a plus cette pratique, connue maintenant de bon nombre
d'entre nous, qui consiste à décider à Bercy que puisqu'il
manque X francs, tout le monde va passer sous la même toise. Moyennant
quoi, les investissements étaient amputés considérablement
et les décisions n'étaient pas toujours très pertinentes.
La procédure du « contrat de gestion » est plus
« participante », ou plus
« impliquante », que les fonds d'action conjoncturelle et
autres techniques auxquelles on avait recours auparavant. Je pense donc que
cette procédure est bonne.
Dernier point, Monsieur le Rapporteur général, vous me demandez
si j'ai en cours d'année des informations sur les recettes
fiscales : cette question, tout à fait d'actualité ces
jours-ci, est très complexe. Il vous faudra vous y pencher.
Chaque mois paraît un état de la situation. Nous sommes au mois
de mai : compte tenu de ce que sont nos règles d'acompte, compte
tenu aussi des difficultés techniques considérables, nous avons
beaucoup de mal à évaluer, à ce stade de l'année,
quelle sera exactement l'exécution en matière de recettes. Cela
peut paraître assez étrange, car nous-mêmes, en tant que
particuliers, nous avons une idée, au moins approximative, de nos
rentrées et de nos sorties...
Pourtant, cet état de fait peut expliquer un certain nombre de
mécomptes du passé : au fond, on ne sait qu'assez
tardivement comment va se dérouler l'année.
Pour ce qui concerne les rentrées, le dernier état de la
question vient d'être publié, et le degré de
complexité où se situent les choses rend les comparaisons
extrêmement malaisées. On m'a par exemple indiqué - je
n'ai pas vérifié moi-même - que, pour l'année
précédente, l'une des difficultés de décalage
rencontrées provenait de recettes d'impôt sur les
sociétés de fin d'année qui, à pareille
époque, étaient très difficilement prévisibles.
Il y a donc un suivi infraannuel, ce qui est très intéressant.
Mais, en l'état actuel de nos prévisions, l'idée que l'on
pourrait, au jour le jour, savoir comment se terminera l'année est
malheureusement infondée. Sur ce point, nous avons des progrès
à faire !
M. Roland du Luart. -
Avez-vous eu connaissance du rapport
Bonnet-Nasse et de la liste d'économies potentielles auxquelles il fait
allusion ? Pensez-vous pouvoir utiliser ce rapport dans votre
fonction ?
Par ailleurs, est transmis chaque année à la Commission
européenne un programme pluriannuel dans lequel le Gouvernement s'engage
à un taux de progression des dépenses en volume. Or, en 1999, ce
taux n'a pas été respecté puisque, comme l'a
récemment remarqué la Cour des comptes dans son rapport sur
l'exécution de la loi de finances de 1999, les chiffres du Gouvernement
ont été établis hors dépenses exceptionnelles,
alors que la Cour estimait que celles-ci auraient dû être prises en
compte. Comment sont comptabilisées ces dépenses exceptionnelles
dans les autres États de l'Union ? Quelle a été la
pratique de votre Ministère pour les exercices
précédents ?
En outre, comme ce programme pluriannuel sur les finances publiques est
transmis chaque année en décembre à la Commission
européenne, alors que l'exécution budgétaire n'est pas
terminée, les deux derniers programmes se sont
révélés en contradiction avec la réalité des
dépenses publiques. Ne faut-il pas une coordination plus étroite
entre la présentation pluriannuelle, l'élaboration de la loi de
finances et son exécution ?
M. François Trucy.
-
Monsieur le Ministre, par
notre expérience d'élus locaux, nous savons qu'au moment des
choix et des arbitrages a lieu un dialogue précis entre
l'exécutif et le spécialiste des finances. Comment se passe le
dialogue entre le Premier ministre et son Ministre des Finances,
présumé reposer sur un rapport sincère et véritable
de l'un à l'égard de l'autre ? Le Ministre des Finances
fait-il état des réserves de prudence qu'il a senties chez ses
différents collaborateurs et qui tendent à minorer les recettes
pour ne pas se tromper, pour se ménager une marge et garder des
disponibilités ? Fait-il état de ces réserves afin
que le Premier ministre ait une véritable appréciation qui
éclaire ses choix ?
De façon plus générale, nous sommes nombreux ici à
partager l'opinion du Président de la commission, qui,
considérant le débat budgétaire au Parlement, le trouve
conformiste, lourd, long, comportant des rites certes très sympathiques
et chaleureux, mais tout à fait stériles au regard de la
minuscule marge du budget sur laquelle peut peser le Parlement. Que pensez-vous
de cette procédure, compte tenu également de votre
expérience en tant que Président de l'Assemblée
nationale ? Avez-vous des idées pour réformer ce
débat de façon à le rendre à la fois plus utile,
plus rapide et plus vivant ?
M. Maurice Blin. -
Monsieur le Ministre, je m'adresserai d'abord
non pas seulement au responsable actuel de nos finances, mais aussi à
l'ancien Président de l'Assemblée nationale et, plus
lointainement, au responsable du budget, pour lui poser une question qui
m'habite et dont je ne me défais pas.
La procédure budgétaire a atteint en France un degré de
médiocrité reconnu de tous et subi par tous. Y a-t-il un moyen de
davantage intéresser le Parlement - au sens précis du
verbe - à l'élaboration et, ensuite, à la sanction du
budget ?
Peut-on éviter les deux écueils qui se présentent ?
Nous connaissons bien le premier : c'est que l'on nous apporte un paquet
bien ficelé sur lequel nous n'avons qu'une petite faveur à nouer
autrement, c'est-à-dire à peine 5 % ou 6 % des
crédits, tout le reste étant joué d'avance. Dès
lors, à quoi servons-nous, et comment s'étonner de l'absence des
parlementaires aux séances budgétaires ?
L'autre écueil, auquel se heurtent les États-Unis et quelques
pays à tradition démocratique et parlementaire forte, c'est de
vouloir associer authentiquement la majorité du Parlement à la
préparation du budget.
La première façon de faire est manifestement insuffisante, et la
seconde nous paraît tout à fait utopique. Y aurait-il moyen
de trouver une cote mieux taillée entre ces deux extrêmes ?
Qu'en est-il de nos voisins européens ? Je ne manque pas de poser
la question chaque fois que je rencontre une personnalité susceptible de
nous informer sur ce point, mais jusqu'à présent les
réponses ne me viennent guère ! Pour les Britanniques, on en
a quelque idée. Les Allemands, par exemple, associent davantages les
länder
, mais ils ont des partenaires bien connus ; c'est un
pays fédéral, ce qui n'est pas notre cas.
Les Allemands s'adonnent à la pluriannualité, et cela me
paraît mériter réflexion. J'ai d'ailleurs beaucoup
apprécié ce que vous avez dit tout à l'heure sur
l'impératif désormais incontournable que représente la
pluriannualité. Certains pays d'Europe la pratiquent depuis
longtemps ; pourrait-on aller plus loin ? Je le crois.
Pourrait-on aller jusqu'à fixer de façon durable, donc
pluriannuelle, un pourcentage de croissance - ou de stabilité,
comme on voudra - de l'investissement public ? Je le demande parce
que, depuis quelques années, bien avant votre arrivée,
d'ailleurs, c'est l'investissement public qui a payé le prix des
tentatives tantôt de réduction de la dette, tantôt de
réduction du déficit budgétaire, tantôt de
stabilité générale de l'économie. Ce
procédé est d'autant plus tentant qu'il ne fait de mal à
personne, tout au moins dans l'immédiat, et rares sont les
électeurs qui s'attachent à ce problème. Le
fonctionnement, en revanche, est intouchable, on l'a bien vu il y a peu. Ce
n'est pas sain et c'est grave, vous l'avez dit vous-même.
Pourrait-on fixer, pour une durée de cinq ans par exemple, un quota et
un pourcentage d'investissement public qui seraient sacrés,
tabous ?
Je voudrais également évoquer l'emprunt. Cette année,
nous allons encore emprunter, je crois, plusieurs centaines de milliards de
francs. C'est beaucoup ; certains penseront que c'est trop. Pour quoi le
fait-on ? Pourrait-on au moins connaître d'entrée de jeu
- et je ne la connais pas : qui la connaît autour de cette
table ? - la nature de l'affectation de ces emprunts ? S'ils ne
vont qu'à de l'équipement, cela peut se défendre, celui-ci
étant, par définition, rentable sur de longues durées. En
revanche, je suis très inquiet lorsque, comme cela a été
le cas à plusieurs reprises dans le passé, on emprunte pour payer
des dépenses de fonctionnement, ce qui, vous le savez, est parfaitement
interdit à toutes les communautés de France. En clair, cela
interdirait à l'État de faire ce qu'il se permet et qu'il
interdit lui-même à ses agents principaux. Pourrait-on sur ce
point, au moins, caler des chiffres connus, simples et
réconfortants ? Si j'emprunte pour équiper, je sers mon
peuple ; si j'emprunte pour fonctionner, je le dessers gravement.
M. Jacques Chaumont. -
Monsieur le Ministre, vous avez
donné tout à l'heure une dimension européenne à
votre intervention. La consultation de la Banque de France joue-t-elle dans les
décisions budgétaires ? La Banque centrale européenne
peut-elle éventuellement être consultée ?
Par ailleurs, est-il concevable, compte tenu de nos engagements
européens, d'avoir encore des politiques budgétaires
réellement différentes, avec un contenu véritablement
politique, ou bien les choix qui s'exerceront seront-ils, pour les
années à venir, des choix essentiellement de recettes
techniques ?
M. Jacques Pelletier.
-
Monsieur le Ministre, dans des
vies antérieures, je me suis beaucoup élevé contre la
tentation, voire la volonté des fonctionnaires des finances d'aller dans
l'extrême détail des articles budgétaires des
ministères techniciens.
Je comprends que le Ministère des Finances fixe un plafond global de
dépenses, je comprends même qu'il aille jusqu'à fixer un
plafond de dépenses par grand chapitre. Mais l'Administration des
Finances, d'après mon expérience, allait beaucoup plus loin. J'ai
connu dans mes fonctions un seul Ministre du Budget qui ait su échapper
à cette tentation : c'était Michel Charasse. Je tiens
à lui en rendre hommage.
Vous nous avez parlé de contrats de gestion avec les ministères
afin de responsabiliser ceux-ci. C'est une très bonne idée. Cela
signifie-t-il que votre administration fiscale n'ira plus trop dans le
détail au moment de la discussion budgétaire avec les
ministères techniciens ? Si c'était cela, ce serait un grand
pas vers quelque chose que nous souhaitions depuis longtemps.
M. Paul Loridant.
-
Monsieur le Ministre, si la partie
« dépenses » est importante, le Ministre des
Finances garde néanmoins la possibilité - c'est toujours
très simple, même si nous le contestons alors ! - de
freiner ou d'accélérer les dépenses, et, à la
limite, d'en contenir le volume si la conjoncture et les rentrées des
recettes viennent à faillir.
En vérité - je voudrais me livrer à une
réflexion un peu philosophique sur le fonctionnement du budget de
l'État - ce qui m'intéresse, notamment dans la conjoncture
actuelle, c'est la partie « recettes » : je suis
frappé de l'ampleur des effets cumulatifs, aussi bien à la hausse
qu'à la baisse, en cas de reprise ou de récession
économique. J'ai le souvenir du temps où Pierre
Bérégovoy, pour qui j'avais beaucoup d'estime, a vu son budget
déraper parce que la récession était là. D'une
certaine façon, nous avons vécu l'année 1999 en sens
inverse.
La vraie difficulté pour un Parlement - puisque je me place ici du
point de vue de commissaires qui veulent faire honnêtement, de
façon très rigoureuse et très vigilante, leur travail de
membres de la commission des finances - est de se situer par rapport au
Ministère des Finances sur ces phénomènes cumulatifs.
Ma question est donc relativement simple et naïve : où peut
être cette vigie éclairée qui donnerait des informations au
Ministre, certes, mais aussi à la représentation nationale,
l'instance qui doit voter le budget ? Doit-elle nécessairement
être au sein du pouvoir exécutif ? Si oui, comment fait-elle
alors partager, de façon démocratique, ses informations au
Parlement ? Doit-elle au contraire être au Parlement ? Ou bien
faut-il créer un instrument spécifique ? Cela revient
peut-être à se poser la question de savoir comment on peut
réformer l'ordonnance de 1959 !
Quoi qu'il en soit, nous partageons tous, d'une façon ou d'une autre,
une certaine insatisfaction.
M. Michel Charasse
. -
Je suis tout à fait
convaincu de la nécessité de la pluriannualité. On la
pratiquait déjà autrefois, on est obligé de le faire de
plus en plus, notamment à cause de nos engagements européens.
Mais comment peut-on tenir la pluriannualité, dès lors qu'elle
n'est pas faite à la soviétique, quand il y a des
élections tous les quatre matins, des gens indisciplinés, des
manifestations corporatistes, sans parler des événements
internationaux imprévisibles et des aspirations européennes
liées aux foucades du Parlement européen ou aux imaginations
débordantes des présidences européennes successives ?
En d'autres termes, avez-vous demandé une analyse des
conséquences que pourraient avoir les imprévus sur un
fonctionnement pluriannuel ? En particulier, avez-vous demandé
plusieurs scénarios qui tiendraient compte, justement, des
éléments qui font que la pluriannualité n'est pas
respectée ? Et si elle n'est pas respectée, c'est qu'elle ne
peut pas l'être : on ne fait pas marcher les hommes comme un
adjudant-chef fait marcher ses soldats.
Ma question porte donc sur la question de la fragilité de la
pluriannualité.
Par ailleurs, de quelle marge estimez-vous que nous disposons pour modifier
l'ordonnance de 1959 sans remettre en cause la Constitution de 1958, sans
empêcher le Gouvernement de gouverner, sans rétablir un
régime d'assemblée, sans rendre l'initiative de la dépense
au Parlement et sans supprimer les contraintes que fait peser l'article 40
sur l'augmentation des dépenses ? Si l'on écarte tout ce qui
fait l'originalité du régime de 1958, que reste-t-il que l'on
puisse modifier dans l'ordonnance de 1959 ? À mon avis, il reste
une chose : ce serait, comme dans les budgets communaux, de voter les
recettes à la fin, alors que, actuellement, on les vote au début.
J'aimerais beaucoup avoir votre appréciation sur ce point, si, bien
entendu, le Ministre des Finances a eu le temps de réfléchir
à une question que n'a pas manqué de se poser pendant des
années le Président de l'Assemblée nationale.
M. le Président. -
J'ai été conduit,
vraiment sans plaisir, à harceler votre prédécesseur pour
lui demander de me communiquer la situation hebdomadaire d'exécution du
budget. Cette transmission m'a toujours été refusée, pour
un motif d'ailleurs empreint de délicatesse : c'était pour
m'éviter la peine d'avoir entre les mains un document que je ne pourrais
probablement pas comprendre !
M. Michel Charasse.
-
Il n'y a qu'à prendre votre
carte de presse et entrer au
Monde
!
M. le Président.
-
Monsieur le Ministre,
pensez-vous pouvoir me la transmettre, étant entendu que je pourrais
comprendre que vous souhaitiez vous réserver le temps d'avoir
vous-même examiné l'ensemble de son contenu ? Elle est
hebdomadaire, donc se périme vite, mais peut-on changer les choses sur
ce point ? Car une telle situation n'est agréable ni pour le
Ministre harcelé, ni pour le Président de la commission qui
harcèle ; et je n'ai pas envie de vous harceler.
Vous avez parlé de pluriannualité. J'ai pris bonne note de votre
intention de nous transmettre les hypothèses sur lesquelles reposent les
projets financiers du Gouvernement, et je vous ai fait part de notre souhait
que vous nous communiquiez celles qui sous-tendent le programme de
stabilité pour 2000-2003. Ces éléments seraient
très précieux dans la mission que nous avons reçue, car ce
sont eux qui nous permettent de suivre la trajectoire des comptes et de
vérifier que les objectifs fixés par l'exécutif - et
qui doivent être fixés par l'exécutif - seront
atteints. Pouvons-nous compter sur vous pour la transmission de ces
documents ? J'indique - mais vous le saviez déjà -
que, dans cette maison, vous ne craignez pas qu'on vous demande de
dépenser davantage. Tel n'est pas le but de nos demandes.
Je terminerai par une observation qui prolongera celle de M. Charasse. En
coopération avec l'Assemblée nationale, nous allons nous atteler
à la réforme de l'ordonnance de 1959. Cela ne peut pas se faire
du jour au lendemain. M. Charasse vient de nous en rappeler les
contraintes, et je souscris à toutes celles qu'il a posées il y a
un instant. Mais modernisons ! Et, Monsieur le Ministre, votre
première année dans les fonctions qui sont les vôtres,
pardonnez-moi de le dire avec peut-être trop d'insolence, c'est sans
doute l'occasion ou jamais de moderniser la discussion budgétaire dont
M. Loridant, après M. Blin, soulignait tout à l'heure
qu'elle n'est plus digne d'une assemblée parlementaire. Nous pouvons
peut-être, dans un premier temps sans modifier l'ordonnance, introduire
à titre expérimental dans le détail budgétaire des
éléments sur lesquels on ne votera pas, mais qui seront des
éléments heureux d'information - nous parlions de la
pluriannualité - pour adopter le budget de notre pays.
M. Laurent Fabius.
-
Je m'efforcerai de répondre
à toutes vos questions, dont je vous remercie. Si je ne le fais pas
suffisamment, vous ne m'en voudrez pas, Monsieur le Président,
d'apporter quelques compléments par écrit.
Je commencerai par vos propres questions, Monsieur le Président, comme
il est normal.
Il est exact que la situation hebdomadaire du budget, même pour des
esprits aussi préparés que les nôtres, ressemble parfois,
le talent en moins, à des poèmes de Mallarmé, dont un
écrivain fameux disait : « Mallarmé :
poète abscons qui n'a pas su s'exprimer. » Au demeurant, la
situation mensuelle n'est pas non plus d'une clarté limpide ; j'y
faisais allusion en commentant ce document, que j'ai moi-même reçu
ce matin.
Cela dit, il va de soi que nous n'avons pas de secret pour vous. Je pense, pour
ne pas vous surcharger, vous faire parvenir le document tous les quinze jours.
Cela permettrait d'améliorer les choses et, petit à petit, en les
étudiant, peut-être nous apercevrons-nous que nous comprenons plus
facilement, vous et moi, que ce que nous pensions au départ.
Je donnerai donc des instructions pour que l'on communique bi-mensuellement
ces situations à la fois au président et au Rapporteur
général des commissions des finances du Sénat et de
l'Assemblée nationale.
En ce qui concerne les hypothèses pour le programme de stabilité
2000-2003, il n'y a pas de difficulté.
J'ai noté - vous connaissez la célèbre formule de
Tristan Bernard : « J'ai une excellente mémoire, j'oublie
tout » ; sur ce point je n'oublierai pas - que, dans cette
maison, il n'y a pas de risque que l'on propose de dépenser davantage.
Je suis sûr que, à l'occasion, Mme Parly vous le rappellera.
M. Michel Charasse.
-
Il s'agit de la majorité
sénatoriale, naturellement !
M. le Président
. -
Et uniquement pour les
crédits de fonctionnement !
M. Laurent Fabius.
-
Plusieurs d'entre vous sont revenus
à juste titre sur la discussion budgétaire, et tous auraient pu
le faire. La façon dont vous organiserez vous-mêmes la discussion
budgétaire, évidemment, vous revient. J'essaierai, à
partir de l'automne, de vous donner plus de renseignements, des renseignements
plus utiles surtout, et d'aller vers plus de transparence. J'ai
évoqué ce point tout à l'heure.
Ensuite, la façon dont on peut faire mentir la célèbre
formule du président Edgar Faure, litanie, lithurgie, léthargie,
c'est un petit peu à chacun et à chacune de l'imaginer. Le
problème demeure que cet exercice est extrêmement complexe et
charrie des éléments très divers.
La partie intéressante du débat de la loi de finances est,
à mon avis, celle où l'on discute grands équilibres,
perspectives, grands choix, priorités. Mais il y a aussi la partie
- qui, ayons l'honnêteté de le reconnaître, est souvent
réclamée par nombre de vos collègues - où
certains interviennent sur des sujets qui, dans une certaine vision des choses,
ne mériteraient peut-être pas de mobiliser l'attention de la
totalité de l'hémicycle, comme la situation des abattoirs dans
telle ou telle région ou le développement des routes dans telle
autre. Cependant, je ne verrais aucun inconvénient à ce que vous
canalisiez autrement ce type d'éléments, notamment en les
réservant pour les questions orales, pour les questions
d'actualité ou par des procédures écrites.
La discussion budgétaire, ce sont tout de même les grands choix.
Ce n'est pas la pratique, à l'Assemblée nationale en tout cas. Je
ne sais pas si c'est exactement pareil au Sénat, mais peut-être y
a-t-il entre les deux hémicycles certains éléments de
contagion !
M. le Président.
-
Cela reste imparfait !
M. Laurent Fabius.
- Nous avons donc ce que j'appellerai, d'un
terme neutre, une discussion composite, avec, d'un côté, de
grandes perspectives, de grands arbitrages, de grands choix, de grands
éléments de discussion, et, de l'autre côté, des
thèmes qui, souvent, sont un peu mineurs. Je pense que c'est là,
dans cette hétérogénéïeté, dans cette
juxtaposition, que réside la difficulté principale.
J'ajoute qu'il y en a une autre : c'est ce qui est dit en séance
publique, parfois moins bien, et ce qui a été dit de façon
plus ramassée en commission. Du même coup, l'exercice est fait
deux fois, ce qui vous fait perdre votre temps et ôte beaucoup de son
intérêt à la chose.
Je vous fournirai donc des documents j'espère plus intéressants,
plus lisibles. Ensuite, je me prêterai, de même que mes
collègues « dépensiers », à la
discussion comme vous voudrez l'organiser.
Je reviens rapidement aux différentes interventions.
Pour ce qui est du rapport de MM. Nasse et Bonnet, je vous ferai passer une
note, Monsieur du Luart, sur la façon dont on peut l'utiliser.
La Cour des Comptes a peut-être été, dans une
rédaction intermédiaire, quelque peu sévère sur tel
ou tel point de la programmation pluriannuelle. J'ai tout de même le
sentiment - mais, bien sûr, cette analyse est libre - que nous
avons
grosso modo
tenu les engagements que nous avions pris en la
matière. Je ne sais pas si les dépenses exceptionnelles sont
comptabilisées de la même manière dans les autres
pays ; peut-être. Je crois néanmoins - mes
collègues de la Commission européenne m'en ont rendu
témoignage, d'autant plus que ce n'était pas à moi que
cela s'adressait, puisque je n'étais pas alors au Gouvernement -
que nous sommes attachés à respecter ce que nous avions dit.
Je vous suivrai davantage sur la transmission du programme pluriannuel, sans
pour autant entrevoir de solution à ce stade. Vos remarques sont tout
à fait pertinentes. Nous avons des dates -habituellement, c'est au
mois de décembre que nous transmettons les documents concernés-
mais ce ne sont pas exactement les mêmes que celles de notre exercice
interne, si bien que c'est trop tôt pour les uns, trop tard pour les
autres. Il faut donc que nous réfléchissions à la
façon dont nous pourrions harmoniser les exercices. Je vous propose d'y
réfléchir et de faire des suggestions. Actuellement, j'en suis
d'accord, ce n'est pas très satisfaisant.
Vous avez parlé de coordination plus étroite des politiques
économiques, et notre collègue s'interrogeait sur notre marge de
manoeuvre.
La France plaide, en particulier dans le cadre de l'euro, pour une meilleure
coordination des politiques économiques ; l'un de mes
prédécesseurs parlait même volontiers de
« gouvernement économique » - une formule qui
fait image ! Cela ne signifie pas, heureusement, que notre politique
économique et budgétaire ne comporte pas d'éléments
d'autonomie, mais il est vrai que l'orientation générale de nos
politiques, au moins au sein de l'« Euro 11 », doit
être convergente. C'est la conséquence des traités que nous
avons signés, c'est la logique de l'institution, et c'est le choix de
l'euro. Comment voudrait-on avoir une monnaie unique si l'essentiel des
politiques économiques divergeait ? Elles doivent non pas
être identiques sur tous les points, mais au moins harmonisées.
Nous, Français, réclamons, je crois à juste titre, plus de
coordination économique. C'est une nécessité, en
particulier pour l'euro. Nous n'allons pas conduire aujourd'hui un débat
sur ce thème, mais si l'euro se trouve dans une situation à
certains égards difficiles, c'est sans doute en partie parce que se pose
la question, pour reprendre la formule d'Henry Kissinger : pour parler de
l'euro, qui puis-je appeler au téléphone ? En tout cas comme
responsable politique ! Si nous voulons une monnaie unique stable, si nous
voulons une situation économique prospère par rapport à
celle des autres grands ensembles, il nous faut une coordination plus forte,
c'est-à-dire non pas identité sur tous les points, mais au moins
harmonisation.
Monsieur Trucy, vous m'interrogez sur le dialogue entre le Premier ministre et
le Ministre des Finances. J'ai cette chance, liée aux hasards de
l'histoire, d'avoir été des deux côtés, Premier
ministre avec Pierre Bérégovoy pour Ministre des Finances, et
aujourd'hui Ministre des Finances dans une situation différente. Eh
bien, cela dépend des Premiers ministres et des Ministres des
Finances ! Je peux vous dire ce que je faisais quand j'étais
à Matignon. Je faisais grande confiance à Pierre
Bérégovoy, et il menait son affaire. Je crois qu'il avait Henri
Emmanuelli comme ministre délégué ou comme
secrétaire d'État au budget, qui recevait les ministres. Ils
regardaient les choses ensemble. Quand devait être rendu un arbitrage un
peu difficile, il venait à la connaissance du Ministre de l'Economie et
des Finances, et quand l'arbitrage était vraiment compliqué, il
était traité ensuite entre le Premier ministre et le Ministre des
Finances.
Le processus que je viens de décrire est particulièrement vrai
au moment où se font les arbitrages, c'est-à-dire entre juin et
août ; mais, en général, le Premier ministre et le
Ministre des Finances se voient toutes les semaines, et les choses se font
souvent de façon informelle.
Les pratiques sont sans doute différentes selon les
personnalités, mais, en général, c'est ainsi que cela se
passe.
Sur la question des recettes globales, il n'y a pas beaucoup de discussion,
parce que, lorsqu'on a défini le probable taux de croissance et quelques
autres éléments, les recettes sont du même coup
fixées. Là où il y a davantage discussion, c'est sur la
question de savoir ce que l'on fait spécifiquement pour tel ou tel
impôt. Généralement, on arrête cela au mois
d'août, même si certains journaux croient que c'est tranché
en avril, voire en janvier. Cela leur permet de faire des titres, ou même
de vendre quelques exemplaires supplémentaires !
Plusieurs d'entre vous ont souligné que le débat
budgétaire n'est pas intéressant ou plutôt vivant.
J'évoquerai plusieurs éléments.
Il y a d'abord une spécificité française tout à
fait regrettable. Alors que, dans la quasi-totalité des autres pays, le
débat a lieu sur le point de savoir ce que l'on va faire dans une
situation qui est donnée, en France, le débat porte sur la
situation elle-même. Et quand je dis cela, je n'invente rien, puisqu'il
paraît même que, parmi les causes qui expliqueraient la dissolution
qu'a prononcée un Président de la République - je ne
peux pas totalement lui reprocher de l'avoir fait, sinon je ne serais pas
nécessairement devant vous ! - figure le fait qu'on lui aurait
soumis une analyse selon laquelle la situation financière et
budgétaire était à ce point impossible qu'il valait mieux
dissoudre dans le mois ou les mois qui venaient plutôt que d'affronter
l'année suivante avec les catastrophes qu'elle réserverait.
Je reconnais à sa décharge rétrospective que l'excellence
du Gouvernement qui a suivi nos prédécesseurs a certainement
été la cause que cette situation dramatique s'est
retournée tout d'un coup...
M. le Président.
-
C'est une
hypothèse !
M. Laurent Fabius.
... et a permis que les orages
redoutés ne se produisent pas. Mais il faut être modeste dans la
vie, surtout quand on parle des autres. Si cette explication joue certainement
pour beaucoup, elle n'est peut-être pas la seule !
Nous avons tout de même un génie extraordinaire pour porter la
discussion sur ce que j'appellerai - le terme est à la fois trivial
et littéraire - le « degré zéro de la
politique », en d'autres termes : qu'y a-t-il dans la
caisse ? Il n'y a pas un pays développé au monde où
la question principale soit celle de la situation réelle. Dans un pays
démocratique comme le nôtre, le débat politique doit porter
sur ce que l'on peut faire, compte tenu de la situation, en matière
d'investissement, de fonctionnement, d'impôts, de déficit... En
France, il n'en va pas ainsi, et l'histoire de la cagnotte recommence. Ce n'est
pas la première, puisque je vous en ai donné un autre exemple qui
venait du sommet même de l'Etat. Il faut arrêter cela.
Il faudrait se fixer des mécanismes relativement objectifs pour que
l'on sache à peu près où l'on en est et que le
débat démocratique puisse avoir lieu. C'est donc toute la
question des prévisions.
La Cour des Comptes nous rend un grand service en la matière en nous
donnant peu à peu des renseignements très précis sur la
situation des finances sociales, des finances publiques. La mission
d'évaluation et de contrôle de l'Assemblée nationale, vos
propres travaux sont également de très bons
éléments. Tout cela commence à porter ses fruits.
Il reste un problème, on l'a vu, à propos des recettes. Pour ce
qui me concerne, en tant que Ministre des Finances, je ne verrais aucun
obstacle à ce que la Commission des comptes de la nation, de même
qu'elle est consultée sur la prévision de croissance, donne son
avis sur l'évaluation des recettes. Que le Gouvernement, ensuite, soit
d'accord ou non, c'est de sa responsabilité, mais qu'au moins le
débat ait lieu en amont, de sorte que, lorsque la discussion vient
devant votre assemblée ou devant l'Assemblée nationale, la
situation elle-même soit un acquis. Je suis choqué que ce type de
discussion ait lieu. Si l'on pouvait se débarrasser de cette
problématique qui est un genre bien franco-français, on aurait
déjà fait un pas en avant.
Une fois la situation objectivement constatée, reste à
décider ce que l'on fait. Et là se pose dans toute sa vigueur la
question de savoir à quoi sert la discussion budgétaire. Je ne
suis pas tout à fait d'accord avec plusieurs d'entre vous, qui,
reprenant une thèse souvent évoquée, ont estimé que
l'on pouvait mesurer sa qualité à l'aune de la masse
financière modifiée par les amendements parlementaires. J'ai
moi-même développé ce thème, mais je ne suis plus
sûr qu'il soit exact dans une démocratie moderne.
D'abord, si vous faisiez l'analyse exacte, vous constateriez que, si on laisse
de côté la question du salaire des fonctionnaires, qui
représente tout de même une bonne part du budget mais les
députés et les sénateurs ne vont pas décider de ne
pas payer la dette publique ou les fonctionnaires, laissons cela ! ,
il reste une masse de crédits
x
, cet
x
n'étant pas
infini, sur laquelle peuvent porter les amendements même s'il n'est pas
ridicule par rapport à la masse totale disponible.
De toutes les manières, le critère quantitatif n'est pas le
meilleur. La situation étant connue, l'important est que nous ayons une
discussion sérieuse sur la politique économique, sur la politique
budgétaire, sur la politique fiscale, sur la politique de concurrence,
sur la politique européenne. C'est là que sont les grands choix
politiques.
Que nous ayons une discussion sur les fonctions est également
essentiel; que vous, en matière de dépenses, peut-être,
mais surtout en matière de recettes d'impôts, sur tel ou tel
point, apportiez des corrections, déposiez des amendements, cela a un
sens. Dans les démocraties rationalisées, avec une
majorité et une opposition, l'opposition en général ne
vote pas le budget. Personne ne comprendrait pour autant que la majorité
ramène à 800 ou porte à 3 200 milliards de francs un
budget de 1 600 milliards de francs ! Ce n'est pas là-dessus
que doit porter le débat.
Si le Parlement moderne fait la loi, au sens étymologique, son action la
plus forte est sans doute désormais d'évaluer, de corriger, par
une espèce de rétroaction. Il est souhaitable que vous
évaluiez ou contrôliez la dépense publique et que ce
travail fait une année vous serve l'année suivante. On serait
alors réellement, me semble-t-il, au coeur de la discussion
budgétaire telle qu'elle devrait être pratiquée, les sujets
d'intérêt local étant abordés dans un autre cadre.
J'ajoute que l'on pourrait rendre cette discussion certainement moins
ennuyeuse si vos collègues, dont j'étais il y a quelques semaines
encore, acceptaient que certains éléments soient prononcés
par écrit et que les travaux de vos commissions fassent l'objet d'une
publicité suffisante dans les journaux locaux pour que vous ne soyez pas
obligés de redire la même chose en séance publique.
Au fond, nous sommes les victimes de la conception du parlementarisme issue de
la Révolution française, dans laquelle la capacité
d'entraînement de l'orateur qui s'exprime dans l'hémicycle suffit
à faire basculer l'assemblée. Cela n'existe pas ! Cela
n'existe pas ! Seulement voilà, nous avons les hémicycles.
Je défends une conception légèrement différente
et la nouvelle télévision que Sénat et
Assemblée nationale ont créée peut nous y aider qui
tiendrait compte du fait que le travail réel se fait beaucoup en
commission et qu'il peut aussi se faire par écrit. Un travail
très important est celui du contrôle, qui pourrait reposer sur un
système d'auditions ce que les Anglais et les Américains
appellent les
hearings
. Tout cela permettrait que les citoyens aient le
sentiment que leurs représentants font le travail pour lequel ils les
ont élus.
La discussion budgétaire pourrait être un produit de cette
conception peut-être un petit peu différente du Parlement. Comme
le disait l'un de vos collègues, autant je n'ai pas le temps de
réfléchir depuis que je suis à Bercy, autant j'y avais un
peu réfléchi auparavant. Il est vrai que j'avais le temps !
M. Blin pose des questions fondamentales et, notamment, celle du
fonctionnement et de l'investissement à l'échelon des
collectivités locales.
M. Blin, pour les grands économistes cette distinction entre
investissement et fonctionnement n'a pas de sens lorsqu'il s'agit du budget de
l'Etat. Si l'on prend l'exemple de l'Education nationale, on peut parler de
fonctionnement, mais il n'existe pas de meilleur investissement.
Quant à moi, le modeste économiste que je suis ne serait pas
choqué si l'on disait : l'investissement peut être
financé par l'emprunt et le fonctionnement doit être
équilibré. Il peut être anormal d'utiliser des emprunts
pour couvrir des dépenses de fonctionnement. Nous appliquons ce principe
dans nos collectivités locales, moi dans ma commune, vous dans la
vôtre. Si l'on étendait cette pratique aux finances de l'Etat,
nous aurions un budget de fonctionnement en excédent d'une cinquantaine
de milliards de francs. Peu importe d'ailleurs la conjoncture, c'est le
principe qui compte.
Lorsque cette suggestion avait été esquissée, notamment
devant une commission spéciale de l'Assemblée nationale, on nous
avait regardé de haut. Je me permets de me ranger à vos
côtés. Il n'est pas interdit de continuer à travailler sur
ce point.
Quant à la pluriannualité, j'y suis favorable, mais il arrive
qu'il y ait des à-coups.
M. Chaumont m'a demandé si nous consultions la Banque de France et la
Banque centrale européenne avant d'arrêter les choix
budgétaires. La réponse est non. La Banque centrale
européenne s'exprime peu, la Banque de France s'exprime davantage, mais
nous ne les consultons pas, elles non plus. L'indépendance joue dans les
deux sens.
M. Pelletier a fait observer que les services du Ministère des Finances
vont souvent trop dans les détails, ce qui déresponsabilise les
ministres dépensiers.
M. le Premier ministre vient d'envoyer des lettres de cadrage et c'est
à partir de celles-ci que les ministres vont travailler. Ensuite, ils
discuteront avec Mme Parly et s'il y a des problèmes avec
moi-même. S'il subsiste encore des difficultés, j'en parlerai au
Premier ministre. Le Ministère des Finances ne doit pas se substituer
aux différents ministres.
M. Loridant a abordé la question des changements de conjoncture
économique. Où doit se situer la vigie qui donnerait des
informations ? Au sein de l'exécutif ou ailleurs ?
Il existe plusieurs solutions. Les Etats-Unis disposent d'un office
très puissant, aussi puissant que le Ministère des Finances. En
France, les commissions des finances du Parlement peuvent consulter tel ou tel
organisme public ou privé. Il y a également la Cour des Comptes
et la commission des comptes de la nation. Il n'est peut-être pas
indispensable d'être cartésien. Nous pouvons avoir une
pluralité de regards.
A l'époque où j'arrêtais le taux de croissance figurant
dans le projet de budget - je ne l'ai pas encore fait cette année -
j'écoutais les prévisions des services du Ministère des
Finances, je notais ce que les autres pays disaient de nous et j'arrivais
à une espèce de consensus. D'ailleurs, aujourd'hui on fixe des
fourchettes, ce qui n'est pas plus mal, parce que personne ne connaît les
chiffres à 0,01 % près.
M. Charasse m'a interrogé sur la pluriannualité. Elle est
nécessaire, mais elle doit être souple. Il faut accepter, comme
vous le faites sans doute dans vos collectivités, de remettre
très souvent l'ouvrage sur le métier.
Dans ma commune, lorsque j'étais maire, je prévoyais un plan sur
cinq ans et régulièrement les services le remettaient en cause
parce qu'il survenait tel ou tel problème. C'est plus facile à
réaliser pour le budget d'une petite commune que pour celui de l'Etat.
Toutefois, nous devons avoir ce type de démarche.
M. Charasse a également abordé la question de la modification de
l'ordonnance de 1959. Certaines de ses dispositions peuvent être
modifiées, mais il ne faut pas bouleverser les finances publiques. La
maîtrise et le sérieux sont indispensables, mais entre les deux,
il s'agit de la démocratie économique et parlementaire au
début des années deux mille.
Quand on aborde ce dossier, de nombreux interlocuteurs nous disent :
attention, vous allez revenir à la IVe République ! Ce n'est
pas la question. Il s'agit de voir, quarante ans après, compte tenu des
évolutions économiques de notre pays et de celles de nos voisins,
comment le Gouvernement peut gouverner et comment le Parlement peut
contrôler. Le Parlement ne doit pas gouverner à la place du
Gouvernement, mais il n'est pas non plus un muet volontaire ou involontaire. Il
nous faut trouver un équilibre en changeant peut-être la place du
curseur décidée voilà plusieurs décennies.
M. le Président. -
Monsieur le Ministre, nous vous remercions.
(La séance est levée à dix-huit heures
cinq.)
Séance du 9 mai 2000
La
séance est ouverte à 16 h 10 sous la présidence de M.
Alain Lambert.
Audition de M. Christophe BLANCHARD-DIGNAC,
Directeur du
Budget
M. le Président
.- Mes chers collègues, la
séance est ouverte. Je vous prie de m'excuser pour le retard avec lequel
nous commençons nos travaux, mais notre invité n'en est pas
responsable, j'en suis le seul responsable du fait de cet éloge
funèbre prononcé en séance publique.
Je crois qu'il faut commencer nos travaux le plus vite possible pour rester
dans le délai imparti. Nous siégions en cet instant avec les
prérogatives attribuées aux commissions d'enquêtes, dans le
cadre de la mission chargée de recueillir les éléments
d'information sur le fonctionnement des services de l'Etat dans
l'élaboration des projets de loi de finances et dans leur
exécution.
L'ordre du jour appelle l'audition de Christophe BLANCHARD-DIGNAC, Directeur
du Budget. Monsieur le Directeur, je vous souhaite la bienvenue au nom de mes
collègues. Je vous ai rappelé l'objet de la mission
confiée par le Sénat. Nos travaux visent à lever toutes
controverses juridiques sur les droits de notre commission à s'informer,
et également notre souhait de les mener d'une manière pluraliste
puisque notre commission a nommé autant de rapporteurs qu'il
siège de groupes au sein de notre commission, parmi ceux-ci :
Philippe MARINI (Rapporteur Général), Roland du LUART, Bernard
ANGELS, André VALLET, Paul LORIDANT et votre serviteur.
Je rappelle à chacun que le secret doit être conservé pour
les travaux non publics de notre commission, ce qui est le cas. La loi me fait
obligation de rappeler qu'en cas de faux témoignage la personne
auditionnée est passible des peines prévues aux articles 434-13,
14 et 15 du Code Pénal. Je dois recueillir votre serment, et vous
demander toute la vérité, rien que la vérité,
de lever la main droite, et de dire :
«
Je le
jure
».
M. Christophe BLANCHARD-DIGNAC
.- Je le jure.
M. le Président
.- Je vais vous donner la parole pour un
propos liminaire, et, ensuite, je vous proposerai de répondre aux
questions du Rapporteur Général, puis nous ouvrirons la
discussion avec l'ensemble de la commission.
M. Christophe BLANCHARD-DIGNAC
.- Je vais dans ce propos
liminaire rappeler un peu ce que fait la Direction du Budget. Cette Direction
compte 232 personnes dont deux tiers de cadres. Cette Direction
d'état-major est chargée d'une triple mission actuellement.
La première, celle dont nous allons parler le plus, consiste à
aider le Gouvernement dans la préparation du projet de loi de finances,
en suivre l'adoption et l'exécution, notamment du point de vue des
dépenses.
La deuxième mission est une fonction financière
générale. Comme vous le savez, le Ministre du Budget contresigne
un très grand nombre de textes, et, la plupart du temps, pour tous les
textes touchant à la fonction publique, la Direction du Budget
prépare l'instruction technique des textes. La Direction du Budget
participe à des réunions interministérielles, assure la
co-tutelle financière d'un très grand nombre
d'établissements publics et de quelques entreprises publiques. La
Direction du Trésor est plutôt en première ligne. La
Direction du Budget est au coeur de tout ce qui est régalien.
Plus récemment, une fonction de modernisation de la gestion publique
s'est développée. Il y a eu de très nombreuses
tentatives ; dans le temps, la Direction du Budget a travaillé sur
la rationalisation des choix budgétaires. Ce n'est pas nouveau, mais
c'est devenu une activité ne concernant pas qu'un bureau de la Direction
du Budget, mais son ensemble.
Cela consiste à travailler sur le renforcement de la qualité de
la procédure budgétaire, y compris les règles de
transparence, mais aussi le contrôle de l'efficacité de la
dépense avec de nouvelles méthodes de gestion en s'inspirant des
meilleures pratiques constatées à l'étranger, et je vais
revenir sur ce point.
Cette Direction d'état-major de 232 personnes a un directeur, un
adjoint, sept sous-directeurs, deux sous-directions sont chargées de
fonctions de synthèse et cinq de fonctions sectorielles.
Les sous-directions assurent la fonction de synthèse concernant la loi
de finances, le sous-directeur est derrière moi, et une autre
sous-direction assure le suivi des dépenses de fonction publique,
puisque le Ministre du Budget contresigne tous les textes concernant la
fonction publique.
Les fonctionnaires ne sont pas qu'une dépense, ils représentent
un investissement, une richesse de l'Etat, mais c'est tout de même une
dépense de très long terme : 37,5 ans plus la retraite. La
fonction publique fait l'objet d'un examen partagé par le Ministre du
Budget et le Ministre de la Fonction publique.
Cinq sous-directions sectorielles suivent l'ensemble des ministères,
plus particulièrement sous l'aspect des dépenses.
S'agissant du sujet principal de la commission, la Direction du Budget joue un
rôle éminent dans la préparation de la loi de finances.
Elle nous occupe tout au long de l'année, dès le début de
l'année avec la phase des perspectives, quand nous proposons aux
Ministres les orientations pour l'année suivante, dans les phases de
confrontation avec les ministères, les conférences
budgétaires, l'arbitrage et la confection matérielle des
documents.
Une fois le projet de loi de finances déposé, le plus difficile
reste à faire. Il faut convaincre le Parlement de sa justesse, assurer
son adoption et en suivre l'exécution. Dans ce domaine, la Direction du
Budget a un quasi-monopole sur les dépenses.
Nous travaillons avec la Direction Générale de la
Comptabilité Publique qui nous fournit la matière
première, la Direction du Trésor pour la dette, mais la Direction
du Budget a un rôle éminent dans la synthèse de
l'exécution budgétaire.
Sur les recettes, la fonction est partagée avec les autres Directions
des Finances, chargées de l'encaissement de la fiscalité.
Voilà les quelques mots liminaires, Monsieur le Président, sur
le rôle exact de la Direction du Budget.
M. le Président
.- Merci de ce propos introductif. Je vais
donner à la parole à Monsieur le Rapporteur
général. Vous lui répondrez immédiatement.
M. Philippe MARINI, Rapporteur Général
.- J'ai une
succession de questions, mais ce sera assez bref.
Je voudrais poser une première question en me référant
à l'édition du vendredi 5 mai dernier du journal le
«
Monde
» : il y est évoqué une
note que vous auriez rédigée peu avant septembre 1999, qui
évaluerait le déficit de l'exercice 1999 à un niveau qui
se serait ensuite avéré proche de l'exécution, ce chiffre
selon la source que j'ai citée aurait été de
206 milliards de francs.
Monsieur le Directeur, une telle note existe-t-elle ?
M. Christophe BLANCHARD-DIGNAC
.- Il existe plusieurs notes de ce
type-là. Je voudrais répondre rapidement.
Dans le suivi de l'exécution budgétaire, nous émettons
deux types de documents : ceux de reporting dans lesquels nous nous
contentons, a posteriori, de commenter ce qui s'est passé. Nous avons un
reporting mensuel en termes de recettes élaboré avec les
Directions compétentes de Bercy, appelé «
tableau
inter-directionnel des recettes fiscales
». Nous avons un
reporting de la situation mensuelle budgétaire, publié 36 jours
après son intervention, à la clôture du mois.
Nous avons des outils prévisionnels auxquels l'article du
«
Monde
» doit faire allusion. Je n'ai pas eu
l'opportunité de discuter avec le journaliste en question. Nous
émettons à destination de notre Ministre plusieurs
prévisions d'exécution. Là, nous nous livrons à un
exercice qui n'est pas facile ; il s'agit non pas de commenter ce qui
s'est passé, mais de prévoir ce qui va se passer. La science
n'est pas exacte, l'année 1999 est difficile.
Nous avons fait quatre prévisions d'exécution à un rythme
trimestriel : en avril, en juillet, en octobre et en décembre.
Plus on approche de la fin de l'année, plus on a tendance à voir
juste, et quand on a le résultat, on est encore plus sûr des
données.
Etant la première, la prévision d'avril est entachée de
très grandes incertitudes. Nous n'avons pas fait de note en septembre,
contrairement à l'article que j'ai lu, c'est soit en juillet, soit en
octobre. En juillet, on commence à avoir des éléments
sérieux sur les recettes, et un semestre sur les dépenses. En
octobre, c'est en accompagnement du projet de collectif, en décembre,
c'est une fois le collectif arrêté et déposé. Nous
avons fait ces quatre exercices.
S'agissant du contenu, en avril, nous n'avons pas fait très fort dans
la prévision, il est vrai que la conjoncture de l'année 1999
était très difficile à lire. La prévision initiale
de croissance était de 2,7 %, mais dès la discussion
parlementaire, nous avons eu des contestations.
En début d'année 1999, les meilleurs experts économiques
prévoyaient une situation assez maussade. Ce n'est qu'à la sortie
du premier semestre que nous avons commencé à y voir clair. La
prévision d'exécution d'avril est marquée par ces
éléments.
M. Philippe MARINI, Rapporteur Général
.- Bien
entendu, la commission d'enquête souhaite la production des notes dont
l'existence vient d'être mentionnée. Puisqu'il semble ne pas y
avoir eu de tels documents émis par la Direction du Budget au mois de
septembre 1999, peut-être serons-nous conduits à rechercher par
ailleurs de telles informations, à supposer que les échos ainsi
diffusés par voie de presse reposent sur une réalité
administrative ?
Je voudrais maintenant, Monsieur le Président, me référer
aux récents travaux de la Cour des comptes. Dans son rapport
préliminaire sur l'exécution de la loi de finances 1999, elle
fait apparaître environ 18 milliards de francs d'ajustement de fin
d'exercice sur les recettes non fiscales. Il convient de rappeler, en ce
domaine, que le chiffre allégué par le Gouvernement, à la
fin de l'année au début de l'année 2000, était
à peine supérieur à 15 milliards de francs, et
également que ces sommes auraient été susceptibles, compte
tenu de leur réalité dès ce moment-là, d'être
imputées sur l'année 1999, venant ainsi majorer le
résultat effectif des recettes fiscales et non fiscales de cet exercice
1999.
La Cour des Comptes indique que ces pratiques ne correspondent pas aux
exigences croissantes de sincérité et de permanence de
méthode dans les pays les plus développés. Je voudrais
demander au Directeur du Budget de nous rappeler les règles relatives
à l'imputation des recettes non fiscales, de nous préciser si ces
phénomènes d'imputation aléatoire, sur un exercice ou un
autre, sont spécifiques à la fin de l'année 1999, ou si
des pratiques analogues ont eu lieu fin 1997 ou fin 1998.
Me référant aux travaux de la Cour des Comptes sur
l'exécution du budget 1998, la Direction du Budget évoque le
niveau anormalement élevé des dégrèvements et
remboursements d'impôts en matière de T.V.A. Je
cite : «
On peut penser que des reports ont
été effectués en 1997 sur 1998, et qu'à l'inverse
des remboursements ont été accélérés en fin
d'exercice 1998. De plus, l'ampleur de l'augmentation et des
dégrèvements d'impôt exerce à la fois un effet
important sur la progression globale des recettes nettes et sur le
résultat final de l'exécution du budget 1998
». Je
voudrais demander au Directeur du Budget ses commentaires sur les indications
dont il s'agit, et plus généralement, s'il y a une
procédure permettant de formaliser quelque peu les décisions
d'imputation des éléments variables, tels que ceux
rappelés par la Cour des Comptes, soit sur l'exercice qui se clôt,
soit celui qui va s'ouvrir.
Y a-t-il des décisions explicites en la matière, des
itérations entre la Direction du Budget, Direction
Générale des Impôts, Direction générale de la
Comptabilité Publique, Cabinet du Ministre, Ministre, Premier Ministre
pour aboutir à la clôture des comptes budgétaires tels
qu'ils seront présentés au Parlement et à l'opinion ?
Enfin, dernière question, j'aurais souhaité que le Directeur du
Budget nous explique quels sont les rapports existants entre la Direction du
Budget et du Trésor pour ce qui est de la gestion des charges de la
dette et de son remboursement, et qu'il nous indique, en ce domaine, s'il y a
aussi des marges de manoeuvre, d'imputations sur le budget de l'Etat ou sur les
comptes de trésorerie n'apparaissant pas directement dans le budget de
l'Etat ? S'agissant des imputations budgétaires, y a-t-il aussi des
marges de manoeuvre quant au rattachement à tel ou tel exercice ?
Pourrait-il nous apporter des précisions en ce domaine, et nous
permettre par quelques exemples de concrétiser notre approche ?
M. le Président
.- Merci, Monsieur le Rapporteur
Général. Monsieur le Directeur, vous avez la parole.
M. Christophe BLANCHARD-DIGNAC
.- Sur le premier sujet, les
recettes non fiscales constituent un ensemble peu homogène dans lequel
il y a des produits tout à fait récurrents et prévisibles,
considérés comme non fiscaux par tradition, je prendrai l'exemple
des retenues perçues sur les traitements des fonctionnaires pour le
régime de pension. On peut se tromper dans les calculs, mais c'est
récurrent.
Puis un certain nombre de produits sont plus difficiles à
prévoir, y compris en cours d'année, ce sont les dividendes
versés par les entreprises publiques dépendant de leurs
résultats, les trésoreries dormantes, des sommes disponibles
à un moment donné, exceptionnelles dans leur nature, et qui
peuvent être plus ou moins importantes.
Dans le rapport de la Cour des Comptes, on notera la trésorerie dont
dispose l'Etat dans son compte géré par la COFACE.
En fonction de la situation budgétaire, jouons-nous sur cette marge de
manoeuvre ? Bien sûr, je le reconnais bien volontiers. La Direction
du Budget informe le Ministre en temps réel de la situation de toutes
ces marges de manoeuvre possibles. Nous avons des objectifs de finances
publiques à tenir, et quand nous avons eu des périodes
difficiles, nous avons dû prélever dans ces marges de manoeuvre,
et nous avons été bien contents de les avoir identifiées,
et qu'elles aient pu être constituées précédemment.
En 1995, lors du collectif de fin d'exercice, on a prélevé
15 milliards de francs sur la caisse du Logement social, ce n'est pas
passé inaperçu. Ce sont des sommes non négligeables. Les
années où l'on connaît une situation heureuse en
matière de recettes fiscales, on ne va pas prélever jusqu'au
dernier franc les sommes en question. En fonction de la date à laquelle
nous savons, en fonction des décisions prises, nous sommes en mesure ou
non de retracer ces évolutions dans le collectif de fin d'exercice.
Sur la COFACE, il était prévu de prélever 7 milliards de
francs, et dès le collectif budgétaire de fin d'exercice, le
chiffre a été révisé à 3 milliards de
francs. Aucune somme n'a été finalement prélevée.
Il a été décidé qu'elle serait conservée
pour les mauvais jours.
Quelles sont les règles ? Il faut bien préciser qu'il y a
le budget d'un côté, et les comptes de l'autre. Le budget offre en
ce domaine une certaine souplesse, qui me semble d'ailleurs à peu
près inéluctable. Il est impossible de prévoir dans le
détail toutes les recettes non fiscales, et de savoir quel sera, un an
ou un an et demi après, la situation de trésorerie d'un
organisme. Tout cela est un peu difficile.
En matière de comptabilité européenne, s'imposant
à tous les Etats, un certain nombre de règles se sont
dégagées pour attacher à l'exercice
considéré les bonnes recettes. Nous allons déterminer le
fait générateur, cela s'applique surtout pour les recettes
fiscales, et nous sommes en train de travailler sur les recettes non fiscales.
Le compte général de l'administration des finances, publié
pour l'année 1999, montrera, parallèlement à la
comptabilité budgétaire, que nous travaillons avec la Direction
Générale de la Comptabilité Publique à une
présentation de nos comptes en droits constatés.
On essaie de définir une règle du jeu et de la mettre en oeuvre.
Il y a distinction entre une comptabilité
« budgétaire », comptabilité de caisse, ce
qui entre dans l'année ou pas, et la comptabilité
« comptable », si j'ose dire, faisant appel à des
données beaucoup plus de droit commun.
La Direction du Budget travaille à la réduction de ces
facilités, tout en inspirant un certain nombre de mesures, de perception
ou de non-perception de recettes non fiscales en fonction de la conjoncture
budgétaire, tout ceci donnant lieu à des décisions
explicites des Ministres.
Nous avons proposé de réduire la période
complémentaire. Celle-ci permettait pour les recettes non fiscales,
correspondant à des opérations réciproques en liaison avec
d'autres administrations publiques, de continuer à percevoir des sommes
jusqu'au 8 mars de l'année suivante. Aujourd'hui, c'est le 31 janvier.
Nous avons une période complémentaire d'un mois, et dans les
travaux que nous menons sur la comptabilité en droits constatés,
nous nous efforçons de créer les conditions, techniquement
compliquées (sur lesquelles nous pourrions donner notre sentiment, si le
Sénat le souhaitait) pour supprimer définitivement la
période complémentaire pour les ordonnateurs, c'est-à-dire
qu'il n'y ait que des écritures comptables, et plus de flux financiers
passés le 31 décembre.
Y a-t-il eu des opérations les années
précédentes ? Oui. Je les considère comme des
opérations de normalisation vertueuses : par exemple, dans les
années difficiles, on a prélevé des acomptes sur
dividendes auprès d'entreprises publiques. C'était le cas d'EDF
qui versait son dividende non pas l'année suivante, mais l'année
en cours. On était en anticipation de ce que pouvait être son
résultat.
Nous sommes passés à des systèmes dans lesquels les
entreprises publiques ne versent plus d'acomptes sur dividendes. C'est le droit
commun. Les entreprises versent une fois l'exercice clôturé, avec
un an de décalage. Quand les temps sont heureux, nous procédons
à des opérations de normalisation. Quand ce n'est pas le cas,
nous faisons preuve de plus d'imagination, et tout ceci donne lieu à des
décisions explicites qui, chaque fois que possible, sont
retracées dans un texte de loi de finances.
Voilà pour les recettes non fiscales.
S'agissant des dégrèvements de T.V.A., je peux répondre
que la Direction du Budget n'est pas chargée de l'encaissement des
recettes fiscales, ce qui est vrai, ni du paiement ou du remboursement des
crédits de T.V.A. La Direction du Budget n'est pas destinataire
d'instructions des Ministres en matière fiscale, contrairement aux
recettes non fiscales.
Je n'ai pas le droit de dire qu'aucun budget n'a pu avoir la tentation de
jouer sur l'accélération ou la non-accélération, ou
le retardement d'un certain nombre de dépenses fiscales de type
remboursements.
Je ne crois pas non plus pouvoir dire que ceci a atteint des proportions
énormes ces dernières années. Des phénomènes
identifiés ont très fortement perturbé les
dégrèvements de T.V.A., ce qui fait que nous avons du mal
à y voir clair. Nous avons changé les règles pour nous
mettre en harmonie avec des dispositifs qui paraissaient appropriés.
Nous avons pu avoir des périodes où nous avons
accéléré des rentrées car nous nous sommes
aperçus que certaines entreprises importantes avaient des délais
anormaux. Au contraire, nous avons pu veiller dans des périodes
difficiles à payer plus vite des petites entreprises.
En fin d'année, des grèves des services fiscaux ont pu avoir un
impact très fort sur les dégrèvements sans que nous
souhaitions quoi que ce soit en ce domaine. Il y a eu des
phénomènes peu rationnels tenant à beaucoup des
considérations liées à la vie de la fiscalité.
Y a-t-il une procédure en ce domaine ? A ma connaissance, non. Il
peut y avoir des instructions, mais je n'en suis pas destinataire. Pour les
recettes non fiscales, il y a des décisions des Ministres. J'ai
été à l'origine de certaines de ces décisions
proposant de ne pas prélever sur la COFACE tout l'argent disponible,
considérant que le jour où le commerce extérieur se
dégraderait, nous serions heureux d'avoir une réserve pour ne pas
faire appel au contribuable à ce moment-là.
Quels sont les rapports entre la Direction du Budget et du Trésor en
matière de gestion de la dette ? Nous travaillons avec elle pour
prévoir le mieux possible les charges de la dette dans la loi de
finances. Nous nous sommes trompés dans le bon sens collectivement. Nous
avons surévalué les charges de la dette. Nous avons
sous-estimé la baisse du déficit, et le moment à partir
duquel la conjoncture du taux d'intérêt se retournerait. Il est
très compliqué de prévoir l'évolution exacte des
taux d'intérêt.
Y a-t-il des manipulations sur les charges de la dette ? Si on voulait le
faire, elles seraient retraitées en comptabilité
européenne l'année où les emprunts sont émis pour
la part les concernant. Si l'on se réfère au passé, il fut
un temps où l'on émettait des emprunts comptabilisés en
intérêt in fine, ce qui allégeait l'exercice à due
concurrence.
Nous avons proposé un article de loi de finances, voté par les
deux assemblées, permettant de provisionner la charge des OATI
indexées sur inflation, en vertu d'une disposition législative
clairement présentée et votée par le Parlement.
En revanche, il y a certainement des possibilités d'action en fonction
des opportunités de marché ou de la conjoncture
budgétaire, d'accélérer ou de faire des échanges en
termes d'emprunt, pour optimiser la gestion financière de l'Etat. La
Direction du Trésor fait cela en liaison avec le Ministre sans avoir la
moindre interférence de la Direction du Budget en ce domaine, sinon pour
fournir les éléments de contexte sur ce sujet.
Si nous faisons une prévision d'exécution tous les trimestres,
tous les mois, nous faisons une actualisation pour voir si nous sommes dans le
cadre de la prévision précédente. Cela ne correspond pas
à une note ou à une prévision d'exécution. C'est un
tableau fourni tous les mois.
M. le Président
.- Merci.
M. MARINI, Rapporteur Général
.- Dois-je comprendre
des propos du Directeur que le document, dont l'existence était
alléguée et située en septembre, serait plutôt une
actualisation mensuelle qu'une note en bonne et due forme du Directeur du
Budget ?
M. Christophe BLANCHARD-DIGNAC
.- Je ne crois pas. Je signale
cela pour le Sénat. Cet exercice est un tableau où l'on met des
flèches montantes ou descendantes ou égales. On ne
considère pas ces notes secrètes.
M. le Président
.- Merci. Nous allons pouvoir ouvrir la
discussion à l'ensemble de la commission. La parole est à
François TRUCY.
M. François TRUCY
.- Merci, Monsieur le Président.
C'est une question non pas en dehors du sujet, mais connexe, qui m'est venue
quand vous avez parlé des prélèvements ou des
non-prélèvements sur la COFACE.
Quelles sont les contraintes et les possibilités laissées aux
entreprises pour les placements des fonds ? Les fonds sont
extrêmement importants, visiblement, il y a des occasions très
importantes de placement : France Télécom, COFACE, EDF,
quelles sont leurs latitudes ? Quand la participation de l'Etat vient
à s'amenuiser, comme pour France Télécom, les contraintes
changent-elles ou restent-elles les mêmes ?
M. Michel CHARASSE
.- Je voudrais demander au Directeur du Budget
une précision pour me rafraîchir la mémoire. J'ai
pratiqué en son temps, comme tout le monde, la gestion de fin
d'exercice. Concernant les recettes non fiscales, les instructions sont bien
données par le Ministre à la Direction du Budget ou la Direction
du Trésor, selon qui émet les titres ?
Je ne me suis jamais posé la question de savoir en vertu de quelle
disposition j'avais le droit de ne pas encaisser, étant entendu que la
loi de finances couvre tous les produits intervenant dans le cours de
l'exercice budgétaire. Si les comptes définitifs des organismes
devant verser ne sont pas arrêtés, on peut dire qu'on n'est pas
censé savoir ce qu'ils doivent au moment de la clôture de la fin
d'exercice. Quand ils le sont, et que le Ministre décide de ne pas
encaisser, sur quel article de la loi organique se fonde-t-il ?
M. le Président
.- J'ai deux questions de même
nature.
La première, dans le prolongement des propos de M. CHARASSE, nous avons
tous lu le rapport préliminaire de la Cour sur l'exécution
1999 ; elle nous indique que certaines recettes de T.V.A. et d'I.S.
auraient été déportées sur 2000.
Cette non-imputation existe-t-elle ? Est-elle compatible avec
l'ordonnance de 1959 ? Si ce n'est pas le cas, est-ce une infraction
à l'ordonnance ? Et si elle s'est produite, y a-t-il des
précédents ?
La deuxième, dans ce rapport préliminaire, on constate un
écart entre l'affirmation du Ministère des Finances en
matière de progression des dépenses que l'évolution de
1 % en volume est respectée, et celle de la Cour estimant que les
dépenses se sont accrues de 2,8 % en volume.
Je voudrais connaître votre avis sur la position de la Cour des Comptes.
Dites-nous ce qui peut justifier cette différence importante de 1,8
point, et, si ceci résulte d'un point de vue méthodologique,
indiquez-nous quelles sont les différences d'appréciation en la
matière.
M. Christophe BLANCHARD-DIGNAC
.- S'agissant des recettes non
fiscales, je me suis peut-être mal exprimé tout à l'heure.
L'argent dont il est question pour la COFACE ne lui appartient pas, mais
à l'Etat. La COFACE gère pour le compte de l'Etat des
procédures, et l'Etat a une trésorerie disponible. Cet argent est
indépendant de toutes les règles de placement que peut avoir la
COFACE. Un article de la loi de finances sécurise l'argent. Si la COFACE
disparaissait, l'argent serait insaisissable.
Il n'est pas dans la comptabilité budgétaire, mais dans un
organisme qui le gère pour le compte de l'Etat. Quand il y a des
défaillances de pays, on fait appel à cette trésorerie
pour ne pas avoir à alimenter le compte en termes budgétaires.
En comptabilité européenne, cela ne change rien. Pour la COFACE,
je ne me prononcerai pas, mais un grand nombre d'organismes sont
considérés comme des établissements publics. Si l'on a une
trésorerie importante à l'Opéra de Paris,
considéré comme une administration publique, et qu'on la
prélève pour l'affecter au budget général, cela ne
change rien au résultat consolidé sur lequel on est jugé
au niveau européen. On a des comptes consolidés, pas des comptes
considérés de manière séparée.
Sur le sujet des relations avec les entreprises publiques, nous sommes de plus
en plus vigilants, de très nombreux comités d'audits ont
été créés. Dès qu'une entreprise est une
entreprise, elle n'est plus dans l'obligation de déposer ses fonds
libres au Trésor. Ainsi la Poste est en train de récupérer
la gestion des CCP. Le Directeur du Trésor serait mieux à
même de répondre.
Les trésoreries appartiennent à l'Etat, et les recettes et
dividendes peuvent venir du secteur public, ce sont deux notions
différentes.
S'agissant de la gestion de fin d'exercice, des instructions sont
données par le Ministre à la Direction du Trésor, à
la personne chargée d'émettre les recettes. Je dois avouer mon
ignorance pour savoir quelle est la disposition de l'ordonnance organique
encadrant ou non les recettes non fiscales.
Autant je suis catégorique sur les recettes fiscales, autant sur les
recettes non fiscales, on ne peut pas avoir l'obligation de prélever un
dividende d'un certain montant. Pour France Télécom, on a un
pourcentage du capital. Associé à celui-ci, le taux de
distribution peut changer en fonction d'autres considérations. Si le
résultat n'est pas ce que nous espérons, nous n'aurons pas ce
produit. Si nous vendons des actions, nous n'aurons pas le produit, pourtant,
nous aurons fait tous nos meilleurs efforts pour prélever. Devons-nous
augmenter le taux de distribution pour avoir le même résultat
initialement prévu ?
Tout ceci est un peu complexe. En ce domaine-là, on a plus de
liberté qu'ailleurs. Cela ne veut pas dire qu'il ne faut pas
écrire ou proposer un certain nombre de règles du jeu pour savoir
un peu quel est le référentiel.
Je suis désolé, Monsieur le Ministre, je ne peux pas
répondre à votre question.
M. Michel CHARASSE
.- Nous sommes deux, je ne sais pas non plus.
En réalité, je crois qu'il n'y a pas de disposition, et qu'on
fait ce que l'on veut. Le budget doit retracer toutes les recettes et toutes
les dépenses. C'est la notion.
M. Christophe BLANCHARD-DIGNAC
.- Sur les recettes de T.V.A., je
ne sais pas répondre à la commission, car ce sujet n'entre pas
dans les missions de la Direction du Budget. Nous sommes chargés des
dépenses, nous nous tenons au courant des recettes. Nous assurons le
suivi, la coordination et le recouvrement, mais nous ne sommes pas
chargés de l'encaissement de la T.V.A. ou de l'impôt sur les
sociétés. Ce n'est pas passé par l'instruction ou par
proposition de la Direction du Budget.
En matière de fiscalité, il y a une obligation de recouvrer les
impôts pour autant qu'on en soit capable, que les services fiscaux ne
soient pas en grève ou que les contribuables soient toujours là,
et solvables. Je ne sais pas quelles sont les pénalités.
M. Michel CHARASSE
.- Celles du Code Pénal.
M. Christophe BLANCHARD-DIGNAC
.- Quand on a donné une
semaine de plus pour payer un acompte ou la taxe professionnelle, cela peut
impacter les comptes de l'Etat.
Pour les dépenses, Monsieur le Président, permettez-moi
d'être un peu plus long, je suis dans mon coeur de métier. La
Direction du Budget est au coeur du suivi des dépenses
budgétaires. La stratégie de finances publiques du Gouvernement
est axée sur le respect d'une norme de dépenses intangible, les
recettes faisant appel à des stabilisateurs automatiques.
Cela a été exposé clairement lors du débat
d'orientation budgétaire, on s'engage à des normes de
dépenses. Si les recettes sont meilleures, le déficit
s'améliore, si les recettes sont moins bonnes, le déficit se
dégrade. Si les recettes se dégradent, les services proposent au
Ministre des mesures de redressement. C'était le cas dans le
passé. L'abondance relative des recettes est un phénomène
tout à fait récent.
La Cour des Comptes fait un calcul que j'estime un peu contestable. La
présentation faite au Parlement montre les dépenses du budget
général en dette nette, c'est-à-dire, en neutralisant les
produits financiers liés aux charges brutes de la dette. C'est
compliqué, mais c'est une présentation classique, et hors
rebudgétisation. Quand on rebudgétise des dépenses
n'étant pas dans le budget général, cette
année-là, on donne l'évolution à structure
constante.
Dans son calcul, la Cour des Comptes conteste les rebudgétisations,
c'est son droit, cela représente tout de même 19 milliards de
francs, chiffre indiqué au Parlement lors de la présentation du
budget. De plus, elle considère que des dépenses dites
exceptionnelles doivent être comptées, j'y reviendrai, et elle
retire les fonds de concours. J'insiste parce qu'il y a une erreur
méthodologique très forte.
En 1998, dans le budget initial, il n'apparaissait pas des dépenses de
pension financées par un fonds de concours venant de la Poste. La Poste
rembourse à l'Etat les dépenses de pension que l'Etat fait pour
le compte des pensionnés de la Poste, et d'un certain nombre
d'établissements publics.
Nous avons rebudgétisé ces sommes qui, dans l'exécution
de 1999, y sont au titre du budget général, depuis l'origine, et
en budget exécuté. La Cour des Comptes compare le budget
général incluant ces 22 milliards de francs à un
chiffre hors fonds de concours de l'année précédente dans
lequel les dépenses de pension ont été retirées.
Cela s'appelle une erreur méthodologique, je le dis devant cette
commission, pourtant, nous leur avons indiqué.
En revanche, la Cour des Comptes considère que 13 milliards de
francs de dépenses exceptionnelles ont à être
comptabilisés. Quelles sont ces dépenses exceptionnelles ?
Une somme de 3 milliards de francs est liée aux intempéries
exceptionnelles de l'hiver, les services des finances estiment que la
probabilité qu'une tempête de ce type se renouvelle tous les ans
n'est pas avérée.
De plus, une opération exceptionnelle avec l'UNEDIC concernant 10
milliards de francs, retracée dans le collectif budgétaire de fin
d'exercice, a consisté, en vertu de décisions prises en 1994, et
confirmées en 1996, à se substituer à l'UNEDIC dans le
paiement d'un remboursement d'emprunt que celle-ci avait effectué.
Nous avons considéré que l'opération était
exceptionnelle. Si les dépenses exceptionnelles ne sont pas
comptées dans le calcul du Gouvernement en 1999, dans celui de 2000, il
ne faudra pas les compter non plus. Il faudra raisonner pour apprécier
la réalité par rapport à une base hors dépenses
exceptionnelles, sinon la base serait haute, et il serait facile d'avoir une
très faible progression.
La Cour des Comptes a le droit d'avoir un avis différent sur ce sujet.
Concernant les pensions de la Poste et des organismes détachés,
à mon sens, elle a fait une erreur méthodologique.
M. le Président
.- Une simple précision, quand
même, le Rapporteur Général nous le disait en écho
aux propos de M. CHARASSE, s'agissant des recettes, l'ordonnance ne fait
qu'indiquer, je ne la connais pas par coeur, en son article 2 :
«
La loi de finances prévoit et autorise, pour chaque
année civile, l'ensemble des ressources et des charges de
l'Etat
».
Voilà sans doute le texte sur lequel nous pouvons appuyer nos
débats.
S'agissant des recettes non fiscales, la Cour estime que les pratiques ne
correspondent pas aux exigences croissantes de sincérité et de
permanence des méthodes dans les pays les plus développés.
Je reviens aux questions liées aux prévisions
d'exécution, sans doute d'autres Directions que la vôtre en
dressent-elles ? J'aimerais savoir si ces prévisions sont
confrontées, et comment en pratique sont-elles soumises à
l'arbitrage du Ministre ?
Vous nous avez indiqué la périodicité des notes
prévisionnelles d'exécution, vous en dressez en septembre, en
octobre et en décembre. Par ailleurs, les paramètres
économiques et financiers du projet de loi de finances évoluent,
et, pendant ce temps, le Parlement examine, discute du budget. Il n'est pas
toujours informé de ces évolutions, quand je dis cela, c'est par
courtoisie, et pourtant il débat du projet de budget.
Pensez-vous qu'on puisse améliorer la situation ? Pourrait-on
introduire pendant la discussion, ou cela comporte-t-il vraiment trop
d'inconvénients, des éléments d'informations permettant au
Parlement d'ajuster davantage la loi de finances soumise ?
Nous constatons, je l'ai fait remarquer à d'autres personnalités
auditionnées, que votre Direction obéit à une certaine
forme de fétichisme puisque le déficit adopté par le
Parlement est à peu près celui figurant dans le communiqué
de presse de septembre.
On peut se demander, quand on est au Parlement, si l'exercice auquel on se
livre n'est pas exclusivement formel. Je voudrais votre point de vue d'expert
en la matière. Peut-on faire vivre le débat budgétaire
d'une manière plus réaliste par rapport à la situation
dans laquelle nous nous trouvons ? En particulier, comment pourrait-on
l'articuler avec le programme de stabilité, qui ne fait l'objet d'aucune
consultation du Parlement, alors qu'il est dans la même période
transmis aux autorités européennes ?
La dernière question vise des prévisions à moyen ou long
terme entre cinq et dix ans. Recommandez-vous que de telles prévisions
soient élaborées ? Existent-elles ou méritent-elles
d'être exercées ? Existent-elles dans d'autres pays ?
M. Philippe MARINI, Rapporteur Général
.- Monsieur
le Président, puis-je ajouter deux questions, et j'en aurai
également terminé ? Je voudrais revenir un instant sur la
recette non fiscale en provenance de la COFACE, chiffrée à
7 milliards de francs. Le Directeur nous a précisé que cette
somme devait être considérée comme appartenant à
l'Etat, mais qu'il n'était pas considéré comme opportun de
la rattacher au budget de l'Etat compte tenu de la relative aisance des comptes
budgétaires d'aujourd'hui.
Ce propos signifie-t-il dire que les 7 milliards de francs en question ne
seront pas rattachés à la gestion 2000 ? Le choix en est-il
déjà fait ? Par ailleurs, si tel est le cas, n'est-il pas
gênant de voir diverger les interprétations sur le solde
d'exécution entre le Ministre des Finances et la Cour des Comptes, qui
est en quelque sorte l'auditeur des comptes de l'Etat ? Si des
écarts structurels se creusent, cela ne pose-t-il pas un problème
de crédibilité ?
Le Directeur nous a indiqué qu'il ne peut plus y avoir manipulation des
transcriptions budgétaires de la dette car, si tel était le cas,
il y aurait retraitement au niveau européen.
Ceci me semble appeler deux questions : d'une part, quels sont les
éléments d'informations transmis à l'échelon
européen pour permettre à celui-ci d'opérer les
retraitements nécessaires, s'il y a lieu ? D'autre part, à
quelles époques le Directeur faisait-il allusion en évoquant la
possibilité que de telles manipulations aient eu lieu par le
passé ?
M. Christophe BLANCHARD-DIGNAC
.- Pour la confrontation des
prévisions d'exécution sur les recettes, nous travaillons avec
l'ensemble des Directions de Bercy, et nous faisons un reporting mensuel,
appelé «
tableau inter-directionnel des recettes
fiscales
». Nous confrontons nos points de vue, ce qui n'est pas
toujours facile, notamment s'agissant de la lecture de l'impôt sur les
sociétés. Ce dernier a bondi de 25 % en 1999.
Quand on se trompe sur cet impôt une fois, on se trompe deux fois. Si
l'on se trompe dans l'évaluation du solde payé en avril, avec le
mécanisme des acomptes, on se trompe tout au long de l'année.
Quand des majorations exceptionnelles disparaissent en fin d'exercice, c'est
difficile car on ne connaît pas l'impact.
Nous avons des travaux communs concernant l'ensemble des administrations
publiques, le critère premier n'est pas seulement le budget de l'Etat,
mais l'ensemble consolidé formé par le budget de l'Etat, de la
Sécurité sociale, les budgets locaux, tout ce qui est
considéré comme administration publique au sens européen
du terme ; nous travaillons étroitement avec la Direction de la
Prévision.
Pour les dépenses de l'Etat, se fondant sur le système
d'information de la comptabilité publique, nous élaborons des
prévisions d'exécution des dépenses. Ce n'est pas facile,
nous procédons à des évaluations, des abattements
statistiques, sans savoir si, chaque année, nous avons raison. Pour cet
exercice sur les dépenses, nous sommes un peu seuls, sauf sur les
charges de la dette où nous sommes en parfaite association avec les
gestionnaires, la Direction du Trésor.
Les notes d'exécution donnent lieu à une information du
Ministre. Le Parlement n'est pas toujours informé des évolutions.
Il reçoit tous les éléments concernant les impôts
dans le cadre des questionnaires auxquels nous répondons très
régulièrement. Evidemment, sur le fait de savoir si la situation
amènera des suppléments ou pas, nous nous trompons très
souvent.
Il n'est pas facile de prévoir les recettes, ni la conjoncture, mais
l'information, une fois qu'elle est comptable, est immédiatement
produite au Parlement, sans aucune entrave, dès qu'elle est disponible.
Elle est même publique puisqu'elle est sur Internet avec un
décalage de 36 jours.
Comment peut-on améliorer la situation ? C'est plus par des
obligations de moyens que de résultats. Les pays ayant essayé
d'améliorer les choses dans ce domaine ont eu recours à des
comités d'experts indépendants qui se sont prononcés sur
les prévisions économiques et de recettes des Gouvernements. Ces
comités d'experts se trompent, comme tous les experts, beaucoup, comme
en Allemagne, mais ils offrent la garantie que, si l'on s'est trompé,
c'est de bonne foi.
L'articulation avec le programme de stabilité connaît un
problème de date, son calendrier ne correspond pas au calendrier
parlementaire. Comment font certains pays ? Deux programmes : un
temporaire et un définitif. Le calendrier européen veut que l'on
dépose les programmes pluriannuels avant le 1
er
mars, et
qu'on notifie ensuite au 1
er
avril et au 1
er
septembre la
situation prévisionnelle de l'année en cours.
La Direction du Budget ne fait que des prévisions à trois ans
pour le court et moyen terme, sérieusement, et essentiellement
axées sur les dépenses.
Nous avons désormais une règle en matière de
dépenses, il est facile de voir à quelle condition nous y
arrivons. Des prévisions à long terme existent dans certains
pays, je ne sais pas quelle est la validité de la comptabilité
intergénérationnelle.
Le principal engagement de très long terme concerne les pensions. En ce
domaine, tous les deux ans, nous fournissons au Parlement les informations sur
le régime de retraites des fonctionnaires. Dans le compte
général d'administration des finances pour 1999, une
méthodologie du calcul hors bilan de cette charge de pensions a
été fournie.
S'agissant de la COFACE, je voudrais indiquer au Rapporteur
Général que les considérations intervenant ne sont pas
uniquement liées à l'aisance plus ou moins grande du budget,
aisance toute relative, quand on sait que la dette était de
4 300 milliards de francs fin 1999, mais il y a aussi la situation
des organismes, et les risques que l'on peut avoir. Quand le baril de
pétrole était très bas, nous avions d'importantes
inquiétudes sur un certain nombre de pays du Moyen-Orient. Nous avons eu
des craintes lorsqu'il y a eu la crise du sud-est. On peut ne pas être
dans ce cas de figure. Nous tenons compte des risques devant couvrir les sommes
ainsi disponibles.
Evidemment,
a posteriori
, on peut toujours dire que l'argent aurait
dû ou pas être prélevé. S'agissant de la COFACE, le
Parlement était tenu informé dans le collectif de fin d'exercice
de la révision à la baisse des recettes, et que la somme ainsi
considérée n'était pas extensible. Ce n'est pas un matelas
qui grossit, mais une somme déterminée ; le jour où
elle sera prélevée, elle n'existera plus.
S'agissant de la dette, nous avons une comptabilité européenne
et nationale. La comptabilité européenne est tenue par les
comptables nationaux, l'INSEE. Le Directeur Général a dû
vous dire qu'il n'accepterait aucune instruction, et n'en a jamais reçu.
L'INSEE dispose de toutes les données, et en fonction des
règlements de comptabilité européenne, que cela fasse
plaisir ou non aux services concernés de Bercy, il retraite ou traite
les données comptables.
Les charges de la dette sont en droits constatés. La totalité
des charges du budget de l'Etat est retraitée en droits constatés
en vertu du règlement de comptabilité européenne, le
SEC 95. Il en va de même pour les charges de la dette en
comptabilité publique. Dans le CGAF, pour 1999, les charges de la dette
ont été retracées en comptabilité
budgétaire, mais également en droits constatés. Cela tient
compte notamment des intérêts courus non échus.
Pour les opérations dont il était question qui ont permis dans
le passé de jouer sur les charges budgétaires de certaines
années, elles doivent remonter aux années 1980. Je crois que
c'étaient les ORT. Je ne sais plus la date exacte.
M. le Président
.- Merci. Avez-vous d'autres
questions ?
M. Michel CHARASSE
.- Je profite du caractère un peu
ouvert de votre discussion pour faire une réflexion concernant les
prévisions budgétaires.
Au fond, l'une des difficultés auxquelles nous nous heurtons, ayant
suscité de la part du Parlement des observations et des
récriminations, tient aussi assez largement au dispositif de la loi
organique. Tout cela doit être quand même rapporté aux
obligations du Gouvernement telles qu'elles découlent de la loi
organique. Puisque nous sommes sur une réflexion de réforme de
celle-ci, il n'est pas inutile d'aborder ce point en trente secondes.
Le Gouvernement doit présenter une ordonnance sincère à
la date du dépôt de document, le 1
er
octobre. A cette
date, le Gouvernement dispose des prévisions fondées sur la
réalité utilement observée au mois de juillet
précédent, qu'il extrapole. La loi organique ne lui fait aucune
autre obligation. La question se pose quand, le 15 novembre, il y a le
collectif. Il doit être aussi sincère puisque c'est une loi de
finances. Il doit comporter des prévisions fondées sur les
résultats les plus récemment connus, qui ne sont pas les
mêmes que ceux de la loi de finances initiale, mais qui sont
décalés en septembre ou octobre.
Faut-il tirer les conséquences de la sincérité la plus
récente, celle du collectif, pour modifier encore la discussion de la
loi de finances ? La loi organique ne l'oblige pas. Cela peut
paraître incohérent, mais c'est ainsi. Si elle l'obligeait, ce qui
peut être inclus dans la loi organique, nous serions obligés de
modifier la loi de finances initiale en cours de discussion, à un moment
où elle ne peut plus être modifiée, compte tenu de la
jurisprudence.
L'année dernière, nous étions à la limite
concernant le collectif. S'il y avait eu un recours sur le point de
l'ajustement des recettes devant le Sénat, il n'aurait pu qu'être
annulé puisqu'il s'agissait d'une disposition financière
entièrement nouvelle non soumise à l'Assemblée Nationale.
Si nous introduisions dans la loi de finances l'obligation d'ajuster les
prévisions de la loi initiale en fonction du collectif de fin
d'année - s'il y en a un, ce n'est pas une obligation - je
pense que nous entrerions dans le système des douzièmes
provisoires. Nous passerions notre temps à nous courir après.
Si nous ne pouvons plus modifier la loi de finances initiale, au point
où elle en est arrivée compte tenu de la date du collectif
- je sais pas où nous en sommes, nous pouvons l'envisager -,
il faudrait prévoir la possibilité de faire un collectif
budgétaire d'une loi de finances non entrée en application. Cela
n'est pas possible, mais la loi organique peut tout comporter.
Même si l'on doit traduire en termes juridiques la pratique, je me
demande comment faire, je ne sais pas. Ce n'est pas si facile. Nous pourrions
étudier ce sujet dans le cadre du groupe de travail sur la
révision de la loi organique.
M. le Président
.- Je participe à la
réflexion de Michel CHARASSE, et j'insiste sur le fait que nos
compatriotes ont besoin d'avoir le réel sentiment que le Parlement sert
bien à ce pourquoi il a été institué :
autoriser le prélèvement et suivre l'emploi.
Si le projet de loi de finances doit être sincère, nos
compatriotes attendent que la loi de finances le soit elle-même. Si je
pousse la juste observation de Michel CHARASSE à son paradoxe,
dès lors que le projet serait sincère, peu importe la loi
elle-même. En pratique, s'il va de soi que nous ne pouvons pas travailler
sur des hypothèses en permanence changées, il faut
peut-être, dans le cadre de l'ordonnance remaniée, que nous
soumettions au Parlement un certain nombre de choix généraux,
globaux, moins dans le détail, mais qui ressemble vraiment à ce
pourquoi le Parlement a été institué.
Au moment du collectif, on est près de l'exécution
définitive. Or, on constate des différences importantes. Selon
vous, Monsieur le Directeur, quels sont les événements, les
situations pouvant justifier qu'un écart important se produise entre la
loi, le règlement et le collectif ?
M. Christophe BLANCHARD-DIGNAC
.- La sincérité du
projet de loi de finances initiale, qui n'est d'ailleurs pas un principe de
l'ordonnance organique, mais une construction jurisprudentielle, est une
obligation de moyens, mais cela ne peut pas être une obligation de
résultats à ce stade de l'année. Les comptes sont une
obligation de résultats.
Il s'agit d'émettre les meilleures hypothèses et explications et
garanties possibles, que le texte soit conforme à une certaine
cohérence, à la stratégie que le Gouvernement entend
mener, et qu'il soumet au Parlement.
Nous pouvons nous entourer de très nombreuses précautions, mais
un an à l'avance, nous ne sommes pas capables de prévoir dans le
détail la finesse de ce qui va se passer avec des conjonctures
économiques, telles que celles de 1999.
Nous sommes partis avec une espérance de 2,7 %, les experts
étaient en dessous de 2 %, le Gouvernement a affiché
à 2,4 %, et nous avons fini à 2,9 %. Tous les autres
pays européens ont connu les mêmes problèmes, ils ont tous
eu des dépassements de recettes.
Il est important d'expliquer la stratégie. Le Gouvernement actuel a une
stratégie consistant à dire que l'on a une règle en
matière de dépenses, que l'on s'y tient, et qu'on laisse jouer
les stabilisateurs automatiques ; la règle est
précisée. S'il y a plus de recettes, le déficit
s'améliorera, sinon il se détériorera, car le Gouvernement
ne souhaite pas faire des prélèvements fiscaux pour compenser les
pertes de recettes que la mauvaise conjoncture peut entraîner.
C'est un choix soumis au Parlement, d'autres peuvent être faits. C'est
plus facile pour la Direction du Budget. Nous avons une obligation de
résultats en termes de dépenses ; en termes de recettes, il
s'agit de faire le mieux possible compte tenu de cette stratégie, et de
la difficulté à les prévoir.
Au niveau des comptes, nous appelons de nos voeux l'élaboration de
référentiels, si possible européens, permettant de dire
quelles sont les règles du jeu, de préciser celles qui doivent
l'être, de manière à apprécier la
sincérité des comptes. Il s'agit d'apprécier si les
chiffres sont bons ou pas, c'est plus facile qu'au stade des hypothèses.
Pourquoi y a-t-il des écarts entre le collectif et la fin de
l'année ? Le collectif se prépare en septembre ou octobre et
il reste un trimestre. L'échéance fiscale de décembre est
très lourde (impôt sur les sociétés, T.V.A., taxe
professionnelle), nous avons énormément de dépenses pour
lesquelles nous ne savons pas ce qui va se passer, comme les dépenses
militaires. Des consommations très fortes sont permises et nous
constatons qu'elles ne sont pas réalisées. Puis il y a un mois au
cours duquel des opérations peuvent encore intervenir, jusqu'au 31
janvier, autrefois c'était le 8 mars. Il reste un long moment et des
périodes d'incertitude.
Cet exercice est encore très largement aléatoire. Je rappelle
que lorsque l'on a 1 700 milliards de francs de dépenses et
1 500 milliards de francs de recettes fiscales nettes de
dégrèvement, pour un total de 3 200 milliards de
francs, 1 % d'erreur représente 32 milliards de francs. C'est
un exercice qu'aucun comptable dans aucune entreprise ne sait faire.
Il faut s'attacher aux conditions d'une très bonne budgétisation
initiale. Plus le budget initial est prudent, plus il comporte des marges de
fongibilité dans le respect des droits du Parlement, moins nous sommes
obligés de le modifier en cours d'année.
M. le Président
.- Je vous remercie. Nous mesurons bien la
difficulté qu'il peut y avoir dans la prévision, que les
entreprises ont sans doute elles-mêmes des variations plus importantes
que celles que vous pouvez constater. On ne devient pas actionnaire comme on
devient citoyen d'un pays. On choisit d'être actionnaire, on est dans un
pays. On n'arrivera jamais à la perfection, il faut faire en sorte que
les chiffres soumis au Parlement soient le plus proche possible de la
réalité.
Monsieur le Directeur, je vais vous remercier pour cette longue audition, et
pour les informations que vous nous avez données.
Je vais suspendre cinq minutes la séance puisqu'il est
17 h 25, et que nous accueillons M. LEMIERRE à
17 h 30.
(La séance est suspendue à 17 h 25 et reprise à 17 h
30).
Séance du 9 mai 2000
La séance est reprise à 17 h 30 sous la présidence
de M. Alain Lambert
Audition de M. Jean LEMIERRE,
Direction du
Trésor
M. le Président
.- L'ordre du jour appelle l'audition de
M. Jean LEMIERRE, directeur du Trésor. Monsieur le directeur, je vous
souhaite la bienvenue à la commission des finances du Sénat. Nous
siégeons dans le cadre de la mission qui nous a été
confiée par le Sénat de recueillir des éléments
d'information sur le fonctionnement des services de l'Etat dans
l'élaboration des projets de loi de finances et de leur
exécution.
Nous siégeons avec les prérogatives attribuées aux
commissions d'enquête. Dans le cadre de la méthode pluraliste qui
prévaut dans notre commission, nous avons choisi de nommer autant de
rapporteurs qu'il siège de groupes au sein de notre commission :
Philippe MARINI (rapporteur général), Roland du LUART,
Bernard ANGELS, André VALLET, Paul LORIDANT et votre serviteur.
Je rappelle que notre commission doit conserver le secret sur les travaux non
publics de celle-ci. Conformément à la loi, je dois indiquer
à la personnalité auditionnée, qu'en cas de faux
témoignage, elle est passible des peines prévues aux articles
434-13, 14 et 15 du Code pénal.
Vous devez prêter serment, dire la vérité, toute la
vérité et dire : «
Je le jure
».
M. Jean LEMIERRE
.- Je le jure.
Deux ou trois remarques liminaires avant une intervention plus substantielle.
Vous m'avez adressé un questionnaire la semaine dernière, et je
vous ai envoyé ce matin les réponses. Je suis à votre
disposition pour toute précision complémentaire ou tout
élément supplémentaire que vous souhaiteriez avoir. Nous
avons essayé de rendre les réponses aux questions posées
les plus précises et les plus complètes possibles.
Pour faciliter l'échange, je ferai une intervention liminaire qui
croisera deux approches : que fait la direction du Trésor, quel est
son rôle, et, dans le cadre de ses attributions, qu'y a-t-il de marquant
en 1999 du point de vue de notre travail ?
Au regard des questions posées, je souhaiterais aborder trois points
essentiels figurant parmi les attributions de la direction du
Trésor :
- la gestion de la dette ;
- la gestion du compte d'affectation spéciale des
privatisations ;
- la gestion ou le suivi d'un ensemble de recettes non fiscales
essentiellement au nombre de trois, les recettes provenant de la Caisse des
Dépôts, de la CADES et de la COFACE.
Tout d'abord, premier point, la gestion de la dette : la direction
du Trésor a la responsabilité d'assurer le refinancement de
l'Etat et la gestion de sa trésorerie et de son encours de dette.
Ceci se fait sur la base d'un programme proposé et arrêté
par le ministre. A la fin de l'exercice ou dans les premiers jours du nouvel
exercice, le programme s'appuie sur le besoin de financement de l'Etat pour
l'année à courir, et indique les volumes globaux de nos
émissions, le document est public.
Je n'entrerai pas, sauf en cas de question, dans les modalités pratiques
de gestion de la dette, mais j'indiquerai les caractéristiques de sa
gestion en 1999 : un moindre coût et de moindres encours que
prévus initialement.
Le moindre coût se retrace au travers des informations que vous
avez : les taux d'intérêt moyens constatés en 1999 par
rapport aux prévisions de juillet 1998 pour élaborer le projet de
loi de finances pour 1999. Je vous indique d'abord la prévision, puis le
constaté par département de financement :
- Pour les BTF, on avait prévu un taux de 4 %, on a
constaté 2,74 %.
- Pour les BTAN, la prévision était de 4,3 %, on a
constaté 3,55 %.
- Pour les OAT, on avait prévu 5 %, et le taux est de
4,53 %.
La prévision est élaborée selon des modalités que
vous connaissez parfaitement, le consensus de marché, ce ne sont pas des
chiffres normés en juillet, quand on élabore le projet de loi de
finances.
Les taux constatés ont été plus faibles que prévu.
Ceci est dû à plusieurs phénomènes, notamment
à un afflux de capitaux plus important, et à une baisse des taux
d'intérêt partout dans le monde, dont le coût de la charge
de financement de l'Etat a bénéficié. C'est ma
première remarque.
Le moindre encours : de ce point de vue, l'année 1999 est
caractérisée, dès le mois d'août, par le sentiment
que les flux de trésorerie dont l'Etat a bénéficié
étaient tels que nos indications de besoins de financement seraient
probablement réduites.
Cette appréciation s'est faite à partir des flux de
trésorerie constatés dans les écritures de l'Etat, et
à partir d'un solde budgétaire que nous n'établissons pas.
Ceci nous a conduit à proposer et à gérer deux
décisions :
- la réduction du programme d'émission des BTF : il y
avait davantage d'argent en trésorerie, nous avons réduit nos
émissions puisque nous n'en avions pas besoin ; du 31
décembre au 31 décembre, les émissions de BTF se sont
réduites de 14 milliards d'euros ;
- la deuxième action entreprise, conformément aux
décisions du ministre, est de proposer l'exécution
d'opérations de rachat de la dette pour réduire l'encours ;
notre rachat de dette s'est élevé à environ 3,5 millions
d'euros.
Pour résumer ces deux caractéristiques de cette année
1999 : des taux d'intérêt plus faibles que ceux
anticipés, et la prise en compte d'un bon flux de trésorerie
lié à l'excellence des recettes fiscales à la fois par la
réduction de notre programme de BTF, et par un programme de rachat de
dette.
La deuxième mission de la direction du Trésor est la
gestion du compte d'affection spéciale des recettes de privatisation.
Celui-ci donne lieu à une prévision très souvent
modifiée parce que les opérations ne sont pas parfaitement
arrêtées en début d'année. L'équilibre se
gère à la fin de l'exercice.
Pour 1999, les recettes prévues étaient de 17,5 milliards
de francs, nous avons constaté des recettes de 31,2 milliards de
francs. Face à celles-ci, une partie présente des
caractéristiques tout à fait exceptionnelles, mais cela a
été très largement analysé, s'agissant notamment
des opérations Thomson ou Aérospatiale, et il y a toute une
série de dépenses de dotation en capital d'entreprises publiques.
L'exécution se traduit par un solde de 105 millions de francs. On
est à l'équilibre.
Une opération particulière est à évoquer, ne
figurant pas dans le compte d'affectation spéciale : les recettes
de privatisation du Crédit Lyonnais. Elles ont été
instantanément utilisées pour réduire l'endettement de
l'EPFR qui refinançait le Crédit Lyonnais. Les recettes de
privatisation sont remontées à l'EPFR qui les a utilisées
pour réduire sa propre dette.
Le troisième point concerne les recettes non fiscales. J'en ai
évoqué trois essentielles :
- - La première, les recettes provenant de la Caisse des Dépôts sont constituées de trois sources :
. la
contribution à la Caisse des Dépôts représentative
de l'impôt sur les sociétés, celle-ci a été
acquittée tout à fait normalement ;
. la deuxième contribution est un dividende versé par la Caisse
à l'Etat, fixé de manière
prédéterminée au tiers du résultat net
consolidé du groupe ; ce dividende est versé
annuellement ;
. la troisième contribution est prélevée au titre des
fonds d'épargne rémunérant la garantie accordée par
l'Etat aux fonds collectés au titre du livret A et de l'épargne
populaire. De ce point de vue, l'Etat opère des
prélèvements examinés par la Commission de surveillance de
la Caisse des Dépôts. Son montant est déterminé par
le ministre par décret et inscrit en loi de finances.
- - Le deuxième prélèvement non fiscal est lié à la CADES. Vous savez qu'elle est soumise à un prélèvement fixé par l'ordonnance du 24 janvier 1996 de 12,5 milliards de francs devant s'exercer jusqu'en 2009. En 1999, un prélèvement de 5 milliards de francs devait être versé ; le ministre des finances a donné instruction de ne pas l'effectuer.
- - Le troisième point de recettes non fiscales : en loi de finances initiale, un prélèvement de 7 milliards de francs était inscrit au titre de la COFACE. Il a été modifié en loi de finances rectificative, et a été porté à 3 milliards de francs. Le prédécesseur de l'actuel ministre n'a pas opéré ce prélèvement.
Voilà, brièvement résumés, les
trois
points que je souhaitais évoquer, sous réserve de vos questions,
avec les éléments caractéristiques, la dette, le compte
d'affectation spéciale et les prélèvements non fiscaux de
la responsabilité de la direction du Trésor.
M. le Président
.- Merci, Monsieur le directeur.
Je donne la parole à Monsieur le rapporteur général.
M. Philippe MARINI, rapporteur général
.- Le premier
sujet qui me soucie concerne la coordination direction du Trésor,
direction du Budget, en matière de prévisions relatives à
l'élaboration et à l'exécution des lois de finances.
Vous le savez, Monsieur le Président, j'étais à une
réunion m'empêchant d'assister au début de cette
séance, je n'ai donc pas entendu les propos du directeur du
Trésor, mais je voudrais qu'il nous dise concrètement quelle est
la participation de ses collaborateurs aux réunions permettant :
- d'approcher le niveau des recettes fiscales ou non fiscales d'un
exercice déterminé ;
- s'agissant des comptes d'affectation spéciale de la
compétence de la direction du Trésor, de connaître le
niveau prévisionnel des ressources disponibles dans le cadre de la loi
de finances.
Nous connaissons les spécificités de la gestion de la dette de
l'Etat, nous savons qu'elle est techniquement très performante, et que
ses performances progressent sans doute chaque année, mais nous manquons
de points de repère sur les méthodes appliquées, en
particulier dans la relation direction du Trésor/direction du Budget,
pour définir en prévision, et pour suivre tant les charges
financières que le remboursement de la dette.
Le directeur pourrait-il nous rappeler quelles sont les procédures en la
matière ? Comment les choses se passent-elles lorsque, en cours
d'exercice, et en fonction des événements de marché, des
innovations interviennent dans la gestion de la dette ? Quand il y a des
opportunités de marché conduisant à transformer tel ou tel
élément de la dette, comment les conséquences sur la
gestion budgétaire sont-elles identifiées et par quels
moyens ?
Enfin, je voudrais interroger le directeur sur tous les aspects concernant les
finances publiques liées à l'existence de participations de
l'Etat. Ceci concerne, d'une part, l'évaluation des actifs publics qui,
pour certains d'entre eux, sont susceptibles de devenir liquides, et, d'autre
part, la prévision des remontées de recettes en provenance du
secteur public ou des entités dans lesquelles l'Etat a des
participations. Comment les informations de la direction du Trésor
sont-elles élaborées ? Comment se coordonnent-elles avec
celles de la direction du Budget lorsqu'il y a lieu à des transcriptions
en loi de finances ?
M. Jean LEMIERRE
.- Je vais essayer de répondre de la
manière la plus concise aux questions posées.
La première tentative de réponse à la question :
quelles sont les relations, quelles sont les responsabilités entre
directions du ministère des finances ? La direction du
Trésor n'a aucune responsabilité et ne participe pas aux
réunions de prévisions de recettes. En revanche, bien entendu,
celle-ci participe aux différentes réunions avec le Budget qui
arrêtent les charges de la dette, tout ce qui a trait à sa
gestion, notamment le compte d'affectation spéciale des recettes de
privatisation, et ce qui concerne quelques prélèvements non
fiscaux (la Caisse des Dépôts, la COFACE, la CADES), en
particulier toute une série d'opérations financières avec
des pays étrangers ou des organisations financières
internationales, sur lesquelles je peux donner des précisions portant
sur des montants de moindre importance retracés tous les ans dans la loi
de finances.
Sur la deuxième remarque : de quel type d'informations
disposons-nous ? La direction du Trésor dispose d'une information
extrêmement importante, les flux de trésorerie enregistrés
par l'Etat. C'est de notre responsabilité, nous les suivons et les
gérons, notamment le moyen de couvrir le besoin de financement.
Je reviendrai tout à l'heure sur les enseignements que nous pouvons en
tirer.
Cette information importante donne lieu à une série
d'informations économiques. La direction du Trésor ne dispose pas
régulièrement du solde budgétaire. Nous le connaissons
lorsqu'il est fait. Nous avons une information sur les flux de
trésorerie. A partir de là, je vais revenir sur quelques
éléments déjà évoqués.
Sur la dette, quels sont les deux éléments principaux de
1999 ?
Le premier est un constat positif. Les taux constatés sont
significativement inférieurs à ceux projetés tels qu'ils
pouvaient être appréciés en juillet 1998 par le consensus
de marché.
La deuxième caractéristique : en milieu d'année,
notre sentiment a été que les flux de trésorerie, pas les
soldes budgétaires, étaient élevés. Ils allaient
avoir assez rapidement une incidence sur le besoin de financement. Celui-ci est
fixé, vous le savez, tout à fait à la fin de
l'année précédente, ou au tout début de
l'année en cours, par le ministre des finances et par les communications
publiques.
La situation que nous pressentions en milieu d'année 1999 était
que le besoin de financement de l'Etat serait inférieur, compte tenu des
flux constatés. Nous avons proposé, sur décision du
ministre, de mener deux actions : réduire ce que nous avions
envisagé de faire au titre des BTF ; la trésorerie
étant meilleure, nous avions besoin de moins de ressources
courtes : nous avons réduit de 14 milliards d'euros du 31
décembre 1998 au 31 décembre 1999. De plus, nous avons
proposé et exécuté des opérations de rachat
à hauteur d'un peu plus de 3,5 milliards d'euros.
Encore une fois, sur une double considération : la première,
les flux de trésorerie, la deuxième, l'accord du ministre.
Ce sont des points importants, notamment les opérations de rachat. En
1999, il y a eu une réflexion tout à fait claire. La gestion de
la dette 1999 peut être caractérisée par d'autres
éléments, notamment, une nouveauté importante, les
émissions d'OATi. Il y a, en permanence à la direction du
Trésor, et avec les SVT, des analyses des besoins des investisseurs et
les possibilités d'émission de nouveaux produits pour refinancer
au meilleur coût.
Nous avons étudié plusieurs hypothèses et, compte tenu de
l'intérêt de différents investisseurs, nous avons
procédé à l'émission d'OAT indexés sur
l'inflation avec un réel succès.
Nos politiques d'émissions sont caractérisées par
plusieurs éléments, tous tenant à donner une grande
visibilité à la gestion de la dette de l'Etat pour obtenir le
meilleur taux possible pour le contribuable :
- la constance et la clarté de la politique : ce que nous ne
voulons pas faire, et que nous ne ferons jamais, est de jouer contre le
marché. Nous gérons des encours gigantesques sur des
durées longues. La manoeuvrabilité n'est pas considérable.
Nous devons être prévisibles, visibles, et les investisseurs
doivent savoir ce que nous faisons. Quand on est un très petit
émetteur, on peut se livrer à toute une série
d'opérations, qu'un gros émetteur ne peut pas faire. S'il le
faisait, il le paierait dans le temps ;
- accroître en permanence la liquidité de notre papier, outre
la sécurité, la qualité du papier, l'investisseur cherche
sa liquidité et à ne pas être pris par surprise par le
marché. La liquidité est une question fondamentale, d'où
nos émissions par référence à une même
souche, d'où nos opérations consistant à essayer de
ramener certaines émissions sur d'autres pour accroître en
permanence les liquidités. Tous les émetteurs souverains se sont
engagés dans la même politique.
Pourquoi ne pas basculer brutalement des encours de dette sur du court terme
quand le taux court est bon ? Nous ne pratiquons pas cette politique. Nous
pouvons le faire à la marge, bien entendu, mais pas de manière
massive car nous pourrions être pris à rebours par le
marché. Certains grands émetteurs souverains se sont
lancés dans ces opérations, notamment l'Américain, et cela
lui a coûté extrêmement cher.
La durée moyenne de notre dette est d'environ six ans, six ans et demi,
c'est la durée généralement constatée. Un pays a
tenté ces dernières années de profiter de taux courts plus
faibles, l'Italie, mais elle a redressé la durée moyenne de la
maturité de son papier pour cette raison-là.
Basculer beaucoup d'encours sur une durée déterminée,
notamment courte, est une approche de très courte vue pouvant être
extrêmement dangereuse. On peut se retrouver dans une position où
tout ceci peut coûter extrêmement cher.
Nous avons eu des échanges de vues très importants sur les OATi.
Il est important de prévoir du provisionnement, et nous avons obtenu
qu'il soit réalisé. Cela a été un travail important
de discussions par rapport à des produits nouveaux, et des approches
budgétaires nouvelles, réalisé l'année
dernière pour rendre très sûre la gestion des finances
publiques.
Voilà sur la manière dont nous gérons l'ensemble des
dispositifs.
M. Philippe MARINI, rapporteur général
.- D'autres
questions peuvent être posées, celle sur le patrimoine public.
M. Jean LEMIERRE
.- Le compte d'affectation spéciale
comporte des prévisions en début d'année. Comme vous le
savez, chaque année, il y a un écart significatif entre la
prévision et l'exécution.
La loi de finances 1999 prévoit 17,5 milliards de francs de
recettes pour 31,2 milliards de francs de recettes constatées.
L'année 1999 est caractérisée par des opérations
exceptionnelles, notamment l'ouverture du capital de France
Télécom, pas totalement connue au moment de la
présentation de la loi de finances pour 1999. Cette
année-là, l'exécution a été marquée
par un reversement de 9 milliards de francs à la GGP. Le solde est
de 105 millions de francs. L'ensemble des recettes a été
réaffecté à des dotations en capital des entreprises
publiques.
Un point extrêmement important : car l'EPFR a été
utilisé pour son désendettement dans le CAS 1999. Les recettes
de privatisation du Crédit Lyonnais ne figurent pas car l'EPFR a
été utilisé pour son désendettement.
Nous étions totalement d'accord avec cette approche.
M. le Président
.- Merci, Monsieur le directeur.
M. Jacques CHAUMONT
.- Monsieur le directeur, le Trésor
s'intéresse également à un problème très
important, celui du développement. Je crois savoir que, personnellement,
cela vous intéresserait encore plus.
Il y a les prêts du Trésor à des pays étrangers,
mais également des dons du Trésor. Je voudrais savoir quel
était le montant de ces derniers pour 1999 ? Quel est le
mécanisme de décision intervenant dans ces dons ? Quelle est
la justification de ce mécanisme ? Pourquoi
n'apparaîtraient-ils pas plutôt dans le budget des affaires
étrangères et de la Coopération ? Ils auraient une
plus grande visibilité pour les pays bénéficiaires.
Quelle est l'articulation entre le Fonds monétaire international et le
Trésor ? En particulier, comment interviennent les remises de
dettes, par exemple à la suite d'un G7 ? Les prêts
d'ajustement structurel ? Quels sont les mécanismes que vous avez
avec le Fonds monétaire international ?
M. le Président
.- Merci. La parole est à Maurice
BLIN.
M. Maurice BLIN
.- J'ai écouté avec beaucoup
d'attention les précisions que vous venez de donner sur vos
tâches. Est-il possible d'aller plus avant, et de mieux faire sentir
à vos auditeurs l'originalité de votre fonction ?
Sur la gestion de la dette, hormis la masse considérable que vous avez
en charge, il semble que vous pourriez, d'autres le font d'ailleurs,
gérer l'endettement d'une entreprise, grosse, moyenne ou petite, les
mêmes problèmes se poseraient à elle que ceux que vous
rencontrez.
Y a-t-il une spécificité donnant à votre tâche un
relief particulier la distinguant de toute activité comparable, par
exemple, dans le domaine privé à la tête d'une très
grande entreprise, comme EDF, publique il est vrai, mais privée
également ? Avez-vous un code de conduite particulier vous
interdisant de vous comparer à ce qui se fait ailleurs ?
Vous avez évoqué des prélèvements non fiscaux et la
Caisse des Dépôts. Il me semble que c'est un peu l'inverse. Quelle
est la liberté dont vous disposez ? Quelle est la marge de
manoeuvre ? Vous avez dit, compte tenu de la masse des capitaux à
gérer, qu'elle était faible, le prélèvement sur la
Caisse des Dépôts n'est pas fixé par vous, mais par l'Etat.
Oserais-je dire, sans aucune malice, que dans ces fonctions vous assumez le
rôle d'un super comptable. On vous dit que la Caisse des
Dépôts devra payer le tiers de ce qu'elle gagne par an, vous
appliquez la loi, et vous lui demandez de bien vouloir verser à l'Etat
un chiffre de données que vous avez signifié. Quelle est votre
marge de décision par rapport au pouvoir politique ?
Concernant la gestion des entreprises nationalisées, parlons de
l'industrie et de l'armement où la situation est mauvaise, pour ne pas
dire critique. S'il s'agit de recapitaliser le GIAT, l'Etat en décidera,
vous appliquerez des règles imposées du dehors en lui accordant
tant de dizaines de milliards pour lui permettre de survivre. En d'autres
termes, j'essaie de mieux saisir quelle est, non pas la qualité de votre
gestion, mais votre marge de manoeuvre et de responsabilité. Face au
pouvoir politique, elle me paraît sans doute faible.
M. Roland du LUART
.- J'ai été très
intéressé par vos propos. J'aimerais vous poser des questions
découlant des réflexions venues en vous entendant.
Vous avez évoqué la gestion de la dette à un moindre
coût en 1999, pouvons-nous en connaître le montant ? Votre
sentiment sur les prévisions de l'an 2000 est qu'avec la remontée
des taux d'intérêt le phénomène sera inverse, et
qu'il se traduira par un surcoût, peut-on le connaître ?
Vous avez tout à l'heure parlé de la gestion du compte
d'affectation spéciale en indiquant que les recettes de privatisation du
Crédit Lyonnais avaient été affectées directement
à l'établissement de défaisance. Je n'ai pas l'honneur de
faire partie de cet établissement, et il serait intéressant de
connaître son montant.
Vous avez évoqué le problème de la CADES. J'ai lu avec
attention le rapport MIGAUD dans lequel il est bien précisé que,
sur les 12,5 milliards de francs prévus en 1999, 5 milliards
de francs n'ont pas été appelés sur l'année 1999,
mais ont été versés le 8 février 2000, si ma
mémoire ne me fait pas défaut. Quelle en est la justification et
quel est le montant des intérêts versés pour ce retard
à la CADES pour le différé de règlement ?
M. le Président
.- J'en viens à mes questions,
Monsieur le Directeur.
Celle de Maurice BLIN à propos de la Caisse des Dépôts
m'amène à vous faire la demande suivante : la loi de
finances autorise le prélèvement sur la Caisse des
Dépôts et Consignations, c'est donc le Parlement. Quand le
prélèvement n'est pas effectué, comment juridiquement
cette décision s'analyse-t-elle ?
Quels sont le rôle et le statut de France Trésor ? Pourquoi
cette structure a-t-elle été créée ? En quoi
sa création a-t-elle apporté des améliorations dans la
gestion de la dette de l'Etat ?
Vous nous avez rappelé comment était composée la dette
publique, dette financière, mais aussi désengagement de
l'Etat : retraite, épargne logement, garanties accordées aux
entreprises publiques. Où en est le travail d'évaluation de tous
ces montants ? Avez-vous des chiffres à nous citer ?
Vous nous avez indiqué que la réduction de la charge de la dette
avait été une aide précieuse pour contenir l'augmentation
des dépenses, avez-vous une idée de l'évolution au cours
de l'année 2000, voire de l'année 2001 ?
Enfin, j'ai noté que vous ne participiez pas aux travaux de
prévisions des autres directions, en revanche, vous informez
naturellement le ministre en matière de prévisions de charges de
la dette. Je vous remercie de nous dire à quel moment vous adressez ces
prévisions et sous quelle forme sont-elles transmises ?
M. Jean LEMIERRE
.- Sur l'ensemble du dispositif relatif au
financement du développement, le sujet est extrêmement complexe
car il couvre énormément de rubriques. Globalement, les
crédits se retrouvent au budget des charges communes, et pour partie au
budget des affaires étrangères sur un certain nombre
d'opérations.
Sur le mécanisme de décision, ce sont des discussions de
conférences budgétaires traditionnelles entre la direction du
Budget, le Trésor, le ministère des affaires
étrangères. Les décisions sont prises selon la
mécanique habituelle par le ministre des finances, les membres du
gouvernement, et tranchées par le Premier ministre.
La répartition entre budget des charges communes et des affaires
étrangères tient à la nature des opérations,
notamment, il y a des opérations de prêts avec des charges en
capital et en intérêt passant au budget des charges communes.
Sur les relations entre le FMI et le Trésor, s'agissant de la dette, il
y a deux questions différentes :
- vous avez évoqué les décisions prises en G7 :
les décisions d'annulation de dettes sont bilatérales ;
elles sont examinées par le FMI et par des décisions des
créanciers du Club de Paris. Elles impactent le budget de l'Etat avec
des mécanismes sur les dividendes ou indirectes quand on renonce au
capital. Cela concerne le budget de l'Etat au regard de chacune des
créances qu'il a sur les pays concernés ;
- les formes multilatérales concernent le FMI et certains
mécanismes communautaires de niveau européen avec une
série de mécanismes complexes, notamment ceux relatifs au SCA2,
la réévaluation du stock d'or.
Ces questions étant très complexes, je peux reprendre tout ceci
dans un document écrit, et faire une fiche. Si vous souhaitez voir
l'impact financier de l'ensemble des décisions prises sur 1999, nous
pouvons vous l'établir très facilement.
Le montant relatif au Crédit Lyonnais est de 33 milliards de francs.
Sur la CADES, le ministre a décidé de reporter les
5 milliards de francs. Ce versement n'a été fait ni au titre
de 1999 ni à celui de la période complémentaire, il n'y a
pas eu d'intérêt.
Sur la gestion de notre dette, je pense que la spécificité
essentielle est la taille de ses encours. On ne trouve pas d'émetteurs
privés de la dimension d'un émetteur souverain comme la France. A
la différence d'un émetteur privé, nous avons un avantage,
la solidité du crédit français. C'est évident. Les
taux d'intérêt dont
«
bénéficie
» le papier souverain
français est meilleur grâce à la grande qualité du
risque français.
Bien entendu, nous bénéficions de ceci. La taille de notre dette,
et le fait que nous devons assurer dans le temps le meilleur taux possible,
nous oblige à respecter des règles, que nous communiquons au
marché et auxquelles nous tenons. Il est évident qu'il y a une
immense compétition entre émetteurs souverains. La
création de l'euro a accru la compétition. C'est une bonne chose.
De la compétition naissent des taux plus faibles, ce que nous
recherchons. Il a fallu apparaître comme plus performants.
L'évolution caractéristique de l'année 1999 est une
ouverture internationale beaucoup plus grande de la dette française,
davantage portée par des non-résidents qu'antérieurement.
Nous nous rapprochons de l'habitude allemande, et ceci est important. Cela
signifie que d'autres capitaux que les capitaux français refinancent la
dette française, ce que nous pouvons souhaiter.
Les grands émetteurs privés sont obligés de faire la
même chose, une grande visibilité, une grande clarté des
engagements, et les grands émetteurs privés doivent faire de
même s'ils veulent inspirer confiance. La spécificité est
la taille, nous devons la respecter.
Sur la Caisse des Dépôts, vous avez raison, pour le
prélèvement du tiers, la règle a été
fixée, il n'y a pas d'éléments d'appréciation.
Un autre point important concerne le prélèvement
opéré sur la Caisse des Dépôts au titre du fonds
d'épargne, il est suivi par la Commission de surveillance et donne lieu
à des discussions annuelles avec celle-ci. On a introduit beaucoup de
clarté avec la Caisse des Dépôts et la Commission de
surveillance, notamment de provisionnement du risque, de création de
fonds de garantie. Pour l'année 1999, par exemple, la loi de finances
fixait le montant qui devait être prélevé à
17 milliards de francs.
Sur les décisions prises, en 1998, on avait une prévision de
prélèvements pour 1999 de 17 milliards de francs sur les
fonds d'épargne. Ce chiffre a été repris en loi de
finances initiale 1999, et au total 7 milliards de francs n'ont pas
été prélevés. Techniquement, les chiffres sont
inscrits en loi de finances, et les prélèvements sont
opérés par voie de décret.
Bien entendu, il y a un débat extrêmement compliqué sur
l'ensemble des opérations 1999 sur la Caisse des Dépôts et
les 7 milliards de francs. En 1999, les taux de marché ont
commencé à remonter, la Caisse des Dépôts a
attiré notre attention sur les excédents extrêmement
importants pouvant être affectés par leur remontée.
Un certain nombre de réformes comptables ont été
introduites pour mieux protéger les fonds d'épargne. Les
résultats de prévisions des fonds d'épargne
intégraient des plus-values extrêmement élevées sur
les OPE en cours de réalisation, notamment ELF et les opérations
bancaires, qui ont fait apparaître des profits exceptionnels avec une
incertitude sur leur réalisation connue tardivement.
Sur les entreprises nationales, vous avez raison, Monsieur BLIN, les
prévisions sont réalisées à partir peut-être
des programmes de privatisation envisagés par le gouvernement. Les
résultats ont été plus élevés en 1999 car le
volume des opérations était plus important que prévu, cela
a été à peu près identique en 1998. Des
opérations extrêmement lourdes ont été
réalisées en cours d'année. Les propositions d'affectation
sont préparées par la direction du Trésor qui fait des
propositions, discutées avec la direction du Budget, et
arrêtées par le ministre.
Sur le moindre coût 1999, la charge de la dette prévue
initialement dans le projet de loi de finances était de
237 milliards de francs, la charge réalisée de
227 milliards de francs, soit 10 milliards de francs de moins.
Pour l'année 2000, il est encore un peu tôt pour corriger et avoir
une estimation précise, savoir s'il faut introduire une correction et de
quelle ampleur elle doit être. De fait, nous constatons plutôt une
remontée des taux.
M. Roland du LUART
.- Le ministre de l'économie a dit qu'il
était préoccupé par la remontée des taux, et que
cela aurait une incidence différente. Vous avez fait 10 milliards
de francs de mieux, de quel ordre est-ce, 5 milliards de francs ?
M. Jean LEMIERRE
.- C'est l'ordre d'évolution que l'on peut
avoir.
Les prévisions de taux d'intérêt sont faites sur la base
des analyses de la direction du Trésor mais nous nous appuyons sur le
consensus des analystes de marché. Nous ne faisons pas uniquement
référence à nos propres estimations, mais, surtout, nous
reprenons les analyses de marché pour voir ce qu'ils anticipent comme
évolution des taux d'intérêt ; nous comparons les
approches.
Cette discussion a lieu avec la direction du Budget, à qui nous
expliquons la manière dont nous apprécions les évolutions
de taux d'intérêt ; elles sont soumises au ministre comme
tout élément relatif au projet de la loi de finances.
Sur la Caisse des Dépôts, j'ai peut-être répondu par
avance. Des décrets permettent d'opérer les
prélèvements.
L'appellation France Trésor n'implique pas de modification de nature
statutaire. France Trésor est une équipe de la direction du
Trésor qui, dans son organigramme, s'appelle le Bureau 1 de la direction
du Trésor.
Nous lui avons donné une appellation pour deux raisons :
- la première parce que nous avons réalisé une
réforme en rapprochant les éléments de conception et
d'exécution des travaux matériels de gestion de la dette à
tous les éléments de front-office à tous ceux de
back-office. Pour exprimer le fait d'avoir réuni l'ensemble des
éléments épars, notamment ceux gérés par la
direction de la Comptabilité publique, nous avons souhaité lui
donner un nom clair d'équipe ;
- la deuxième est une raison de présentation au
marché en ayant une présentation plus claire, homogène,
sur l'ensemble des documents, dans le cadre de la compétition
extrêmement vive que j'ai décrite : French Tresories, en
français, France Trésor. C'est extrêmement important
à l'égard du marché.
J'ai répondu aux questions relatives à la charge de la dette.
Elles sont effectuées par la direction du Trésor, en reprenant le
consensus de marché.
M. le Président
.- A quel moment, envoyez-vous cette
prévision ?
M. Jean LEMIERRE
.- Les chiffres sont arrêtés en
juillet.
M. le Président
.- Il y a une note ?
M. Jean LEMIERRE
.- Nous transmettons ceci sous forme de note
à la direction du Budget et au ministre.
M. le Président
.- Avez-vous d'autres questions ?
M. Jean LEMIERRE
.- Le directeur du Trésor demande si nous
avons besoin d'informations complémentaires. Il a noté une
demande. Je vous ferai passer les compléments d'information par
courrier. Je peux vous donner les dates auxquelles nous transmettons nos
prévisions sur les taux d'intérêt.
M. le Président
.- Je vous remercie. La séance est
suspendue.
(La séance est suspendue à 18 h 25 et reprise à 18 h
35.)
Séance du 9 mai 2000
La séance est reprise à 18 h 35 sous la présidence de M.
Alain Lambert
Audition de MM. Jacques BONNET et Philippe NASSE,
Président de
Chambre honoraire et Conseiller-maître à la Cour des Comptes
M. le
Président
.- L'ordre du jour appelle l'audition de Messieurs
Jacques
BONNET et Philippe NASSE. Je vous souhaite la bienvenue à
la commission des finances.
Comme vous le savez, nous siégeons titulaires des prérogatives
attribuées aux commissions d'enquête pour une mission
confiée par le Sénat, chargée de recueillir les
éléments d'information sur le fonctionnement des services de
l'Etat dans l'élaboration et l'exécution des lois de finances.
Nous avons choisi de mener nos travaux avec une méthode pluraliste nous
ayant conduit à désigner un nombre de rapporteurs correspondant
au nombre de groupes siégeant à notre assemblée. Ont
été nommés rapporteurs : Philippe MARINI (rapporteur
général), Roland du LUART, Bernard ANGELS, André VALLET,
Paul LORIDANT et votre serviteur.
Je rappelle à la commission, comme aux personnalités
auditionnées, que le secret doit être conservé sur les
travaux non publics de notre commission. Nous sommes dans ce cadre. Je dois
rappeler aux personnalités auditionnées qu'en cas de faux
témoignage la personne est passible des peines prévues aux
articles 434-13, 14 et 15 du code pénal.
Je vais vous demander de prêter serment, de dire toute la
vérité, rien que la vérité, de lever la main
droite, et de dire : «
Je le jure
».
M. Jacques BONNET
.- Je le jure.
M. Philippe NASSE
.- Je le jure.
M. le Président
.- Je vais, comme nous le faisons pour
toutes les personnalités auditionnées, vous donner la parole pour
un propos introductif, et vous répondrez aux questions du rapporteur
général, et à la commission.
M. Jacques BONNET
.- Avec l'accord de mon collègue Philippe
NASSE, je vais vous donner quelques propos introductifs.
La mission qui nous avait été confiée par le Premier
ministre était de dresser un tableau de la situation financière
de l'Etat, des collectivités locales et des organismes de protection
sociale en juin 1997, et d'en tirer des prévisions sur les
réalisations probables à la fin de 1997, en l'absence de toute
mesure correctrice prise en cette période.
Le délai imparti pour réaliser le travail était
extrêmement court, et je pense que cela intéresse votre
commission. Le problème qui s'est posé a été de
trouver des matériaux suffisamment indépendants pour nous
permettre de nous faire une opinion qui ne soit pas le strict reflet de celle
des services intéressés.
A cette fin, nous avons utilisé plusieurs procédés :
nous avons entendu un certain nombre de personnalités, par exemple, les
dirigeants des principales caisses de sécurité sociale et le
directeur de l'ACCOSS, le directeur du Budget et ses collaborateurs et le
directeur du Trésor.
Pour nous faire une idée de l'état de l'exécution du
budget en juin 1997, nous avons également convoqué et entendu les
principaux contrôleurs financiers, des plus importants ministères
dépensiers, pour savoir si, de leur point de vue, des dérapages
significatifs avaient été notés, en particulier s'ils
étaient anormaux par rapport à ceux constatés les
années précédentes, ou si ces écarts entre
l'exécution de la loi de finances et les prévisions contenues
étaient de nature relativement traditionnelle. La réponse a
été que ces écarts étaient traditionnels.
A supposer que les directions du ministère de l'économie et des
finances aient souhaité nous présenter une vision correspondant
à leurs préoccupations propres plus qu'à l'état
réel de la situation, nous avons bénéficié du fait
qu'elles étaient contradictoires, et qu'il nous était possible
d'essayer de trouver, sinon un juste milieu, du moins un juste équilibre
entre celles-ci.
La direction du Budget souhaitait que nous présentions au gouvernement
la situation la plus noire possible, de manière à dresser un
barrage contre les tentations dépensières que la direction du
Budget imagine à chaque changement de gouvernement.
Changement de ton complet à la direction du Trésor qui souhaitait
le contraire : elle désirait que nous présentions une
situation aussi proche que possible sinon de l'équilibre, du moins des
critères de convergence de Maastricht, et du besoin de financement des
administrations publiques, parce qu'elle redoutait les conséquences
internationales d'une annonce trop mauvaise de la situation budgétaire
de la France, ses conséquences sur le prix de l'argent et sur le
coût du financement du déficit de l'Etat.
Nous avions donc deux préoccupations contradictoires des deux
principales directions du ministère de l'économie et des
finances. Pour la direction générale des impôts, nous avons
eu des documents assez bien faits, tirés de la réunion dite
d'arbitrage, donnant des indications précises et vraisemblables sur la
situation des recettes.
Est-ce à dire pour autant que tout était pour le mieux dans le
meilleur des mondes, et qu'en juin 1997, c'était un jeu d'enfant de
savoir ce qui allait se passer au 31 décembre ? La réponse
est non. La raison majeure n'est pas la mauvaise volonté supposée
des services, mais l'extraordinaire complexité des systèmes
financiers, l'insuffisance notoire des instruments de mesure dont nous
disposions et notre système comptable.
Il s'agit d'un système de comptabilité de caisse, qui ferait
rougir les épiciers de province, et quant aux comptes des organismes
sociaux, pour avoir l'apparence d'être un peu plus
élaborés, les réunir ensemble, sans trous ou double
emploi, a occupé une partie non négligeable de notre temps et
celui de nos interlocuteurs. Ils n'avaient pas les réponses
immédiates aux questions que nous nous posions, même lorsqu'elles
portaient sur 10 milliards de francs, ce qui est un ordre de grandeur
raisonnable, quand on s'occupe des finances publiques.
En 1997, le fait majeur est que l'Etat ne disposait pas de documents ou de
méthodes permettant avec une grande précision de prévoir
l'exécution du budget dans les six mois suivants. Est-ce à dire
que c'était impossible ? Cela serait de ma part malhonnête et
prétentieux, car nos prévisions se sont
révélées à peu près justes. Je ne veux pas
avoir l'air de dire que nous avons réussi là où personne
n'aurait réussi à démêler
l'« indémêlable ». Ce n'est pas vrai.
Il est de fait, lorsque l'on cherche à faire des prévisions, que
l'on se trouve devant des insuffisances comptables, devant des boîtes
noires. Pour n'en citer qu'une, la boîte ODAC (organismes divers
d'administration centrale), dans laquelle il y a tout, de l'université
au Commissariat à l'énergie atomique et des organismes divers,
est complètement noire. Personne n'est capable d'apprécier de
façon convenable l'évolution de cette boîte dans les six
mois qui suivent.
Nous avons aussi une boîte noire pour les collectivités locales.
Les événements nous ont été favorables. Le compte
des collectivités locales était prévu en excédent,
il nous avait un peu intrigué, nous nous sommes demandés s'il
était solide. Nous l'avons pris faute de trouver rapidement quelque
chose de plus solide. Bien nous en a pris, à un milliard près,
les comptes d'exécution ont été conformes aux
prévisions. Peut-être est-ce un heureux hasard ? Mais cela se
s'est passé ainsi. Les prévisions faites concernant les
organismes de sécurité sociale se sont
révélé à peu près justes.
Pour l'Etat, il y a eu un écart important entre les prévisions
faites et les réalisations. Il n'est pas à porter à notre
passif, dans la mesure où l'écart entre ce que nous avions
prévu, une fourchette comprise entre 3,5 et 3,7 % du PIB, comme
mesure des besoins de financement des administrations publiques au sens de la
comptabilité nationale, nous sommes arrivés à 3 %.
Cet écart s'explique presque exclusivement par une conjoncture plus
favorable que celle prévue par l'INSEE, avec l'effet sur les recettes
correspondantes, et il a tenu aux mesures correctrices prises par le
gouvernement à la suite de notre rapport, se traduisant par un
supplément de recettes non négligeable.
En tenant compte de ces deux éléments, notre prévision
était à peu près correcte. Sachant qu'un dixième de
point de PIB représentait 8 milliards de francs, se tromper d'une telle
somme quand les masses mesurées sont de l'ordre de
4 000 milliards de francs, ce n'est tout de même pas si mal, et
c'est un ordre de précision raisonnable.
Je crois que la philosophie que M. NASSE et moi-même avons tirée
de cette mission est qu'il n'y avait volonté ni de dissimuler ni de
tromper, mais des instruments traditionnels très insuffisants,
très lents, pour avoir une vue vraiment satisfaisante de
l'évolution des finances publiques.
J'ajoute, et ce sera mon mot de conclusion, qu'il en est des finances publiques
comme des finances des entreprises. En dedans d'une certaine limite, on peut
faire du résultat, sinon ce que l'on veut, du moins ce que l'on souhaite.
Si vous prenez l'exemple d'entreprises privées, au changement de
président, le compte se dégrade en l'espace d'une nuit de
manière à faire apparaître que le successeur prend une
succession lourde, et qu'il lui appartient de redresser la situation. C'est
arrivé à M. Tchuruk chez Alcatel, à M. Fox quand
il a pris la succession de M. Calvet.
Concernant l'Etat, c'est identique. Même en respectant strictement les
règles de la comptabilité publique, il est possible de faire
varier les soldes dans des proportions pas tout à fait
négligeables, et permettant dans les nuances de gris d'avoir celle
à la mode lorsque l'on présente les comptes de l'Etat.
M. le Président
.- Merci, Monsieur le Président.
M. Philippe NASSE
.- Un seul mot parce que le Président
Bonnet a très bien résumé l'opération. Je confirme
tout à fait son propos. J'ai gardé le souvenir d'une
opération difficile, non pas en raison de la mauvaise volonté des
services, qui ont collaboré très sincèrement à
notre mission, mais du fait de la réelle très mauvaise
qualité et de l'information disponible.
M. le Président
.- Merci beaucoup.
M. Philippe MARINI, Rapporteur Général
.- J'ai deux
questions à poser à Messieurs Bonnet et Nasse.
La première concerne les moyens d'information qu'ils ont pu consulter au
sein de l'administration. Peuvent-ils nous dire aujourd'hui s'ils
considèrent que les deux gouvernements successifs de l'époque ont
été correctement et sincèrement informés de la
situation réelle des finances publiques ?
Leur semble-t-il, après avoir collationné les différentes
notes internes, en particulier celles de la direction du Budget, que ces
informations étaient suffisamment claires, cohérentes, pour
permettre au gouvernement sortant et à celui entrant de piloter les
finances publiques avec la certitude nécessaire ?
En deuxième lieu, s'agissant plus précisément des
recettes, ont-ils un jugement à formuler sur la nature et
l'élaboration des informations au sein de l'administration des finances,
sur leur coordination au sein des différentes directions tendant
à estimer, puis à réestimer en cours d'exercice, le niveau
des recettes fiscales et non fiscales ?
A l'intérieur de cette question, je voudrais les interroger sur les
phénomènes de chevauchement d'exercices, bien que leur mission
soit intervenue en milieu d'année, mais peut-être se sont-ils
posé la question de l'ouverture de la gestion sur laquelle ils
travaillaient, et ont-ils regardé les questions d'imputation ?
Leur semble-t-il que ces questions soient réglées par des
méthodes suffisamment certaines, formalisées, permettant aux
autorités politiques et au travers de l'information
délivrée au Parlement de se faire une opinion sur la
sincérité des documents financiers de l'Etat ?
M. Jacques BONNET
.- Concernant les recettes, nous avons eu
l'impression que, d'une part, la sincérité des états
donnés ne faisait pas de doute, et, d'autre part, que le ministre avait
la totalité des renseignements dont l'administration disposait au moment
où ont lieu les arbitrages. Il n'y a pas de doute.
En revanche, si vous vous souvenez des débats de cette
époque-là, la complexité de la réglementation, les
effets du marché unique, et enfin un certain nombre de
difficultés informatiques, ont fait qu'il y avait toute une série
de débats sur la T.V.A., sur ses apparitions et ses disparitions portant
sur des sommes non négligeables dont on s'expliquait mal l'origine.
Cela rejoint le propos de M. NASSE de tout à l'heure ou le mien, on
avait affaire non pas à une difficulté liée à la
volonté d'orienter le jugement du ministre dans un sens plutôt que
dans un autre, mais à une difficulté réelle. Je crois que
ce débat a disparu. A cette époque, l'estimation des recettes de
la T.V.A. faisait apparaître une certaine incertitude.
Cette même raison explique qu'il y a chaque année des surprises
très agréables, quelquefois moins agréables sur
l'impôt sur les sociétés. Compte tenu du décalage
entre l'établissement de l'assiette et l'encaissement de l'impôt,
on a parfois des surprises en voyant apparaître des plus-values alors
qu'on ne s'y attendait pas ou des moins-values que l'on n'espérait pas
avoir.
Ces difficultés techniques tenant aux complexités de la
réglementation et aux incidences du marché unique doivent
être surmontables.
Nous n'avons eu l'impression ni de documents biaisés, ni de documents de
mauvaise qualité. Les documents que nous avions, dont M. Nasse et
moi-même avons laissé un exemplaire à la commission, nous
ont paru plutôt bien faits.
Je serais moins affirmatif concernant les recettes non fiscales. Il y a
davantage d'incertitudes.
Le rapport de la Cour fait un couplet sur cet intéressant sujet, qui
chaque année mérite des développements, qui ne sont pas
originaux, mais relativement éclairants.
En 1997, je trouve que l'administration éclairait le ministre comme elle
le pouvait, sur la situation financière avec tous les
inconvénients indiqués par M. Nasse et moi-même, et qui
sont dans notre rapport.
Il est traditionnel, et ce n'est pas à vous, Monsieur le
Sénateur, que je l'apprendrai, que la direction du Budget pratique plus
volontiers l'apocalypse que le vaudeville. Il est clair que ces notes sont
toujours marquées d'un certain catastrophisme.
L'année en cours est bien pire que l'année
précédente et bien moins mauvaise que la suivante. Il ne nous est
pas apparu de manques. L'administration met à la disposition du ministre
ce qu'elle a, et c'était d'une qualité tout de même assez
médiocre pour 1997.
M. le Président
.- Merci.
M. Philippe NASSE
.- Il faut bien séparer le
problème des recettes fiscales et non fiscales qui est
complètement différent. J'ai passé une trentaine
d'années au ministère des finances, je le connais assez bien.
Il y a une procédure très bien rôdée pour estimer le
produit des recettes fiscales. Elle tombe en défaut sur deux
points : l'impôt sur les sociétés, qui n'est pas
prévisible compte tenu de la façon dont il est perçu, et
les remboursements de T.V.A. dépendant du rythme des remboursements
opérés en direction d'une centaine de grosses entreprises.
Ce rythme, lié à des problèmes informatiques, est
irrégulier et perturbe la prévision. A ces deux
difficultés près, le système est relativement bien
rôdé.
Pour les recettes non fiscales, la marge d'interprétation, les
possibilités de choix sont beaucoup plus ouvertes, et prévoir les
recettes non fiscales est tout à fait délicat.
C'est le même problème que celui de l'imputation d'exercice tant
qu'on sera en compte de caisse : c'est-à-dire des comptes
abandonnés par le système économique, dans le courant du
quatorzième siècle, les premiers à avoir pris un
système de comptabilité, en droit constaté, étant
les marchands vénitiens.
Nous continuons de faire fonctionner une partie de notre comptabilité
publique selon les comptes de caisse, et ceci ouvre une possibilité de
variation aléatoire dans les imputations d'exercice.
Sur le début de votre question : le gouvernement est-il
correctement informé ? A l'évidence, je dois répondre
non car l'information de base est mauvaise. Est-il informé de
façon non sincère ? Les personnes chargées de
l'informer font-elles au mieux ou pas avec cette information de mauvaise
qualité ?
Je crois qu'il faut reconnaître que l'information est de mauvaise
qualité pour toutes les raisons expliquées par M. Bonnet,
mais que les services essaient de faire au mieux avec.
J'ai vu souvent se produire des erreurs de prévisions lourdes dans un
sens comme dans l'autre. Quand on est tombé en récession,
à la fin 1992, on a eu des révisions à la baisse massive
les unes après les autres décrivant une situation à peu
près inverse de celle que la conjoncture d'aujourd'hui nous
réserve.
Les prévisionnistes des finances courent après les
événements plutôt qu'ils ne les précèdent.
Quand il y a de violentes inflexions conjoncturelles, le système
fonctionne mal. Quand la conjoncture ne change pas trop de rythme, la
prévision des recettes fiscales est relativement bonne.
M. Roland du LUART
.- Il est très intéressant
d'entendre M. le Président Bonnet et M. Nasse car nous sommes un
certain nombre qui, à l'époque, étaient en relation
étroite avec le ministre de l'économie et des finances. Une note
a amené une certaine panique à la fois au ministère,
à Matignon et à l'Elysée, et a entraîné la
dissolution. Une réunion de conjoncture montrait bien qu'il existait des
problèmes.
En vous écoutant, comme on joue sur des masses énormes, en compte
d'exécution, si l'on a plus ou moins 1 %, on est à plus ou
moins 30 milliards de francs. On se rend bien compte qu'il est
extrêmement difficile d'être très précis. A
l'époque, le problème était d'une autre ampleur.
Concernant l'évolution des dépenses, les analyses des
contrôleurs financiers sont-elles divergentes ou non des bureaux de
Bercy ? Nous, rapporteurs spéciaux, devons prendre nos
renseignements pour notre travail auprès des budgétaires du
ministère. Faut-il plus le faire auprès des contrôleurs
financiers ou des chefs de bureau de Bercy ?
Pour avoir une bonne appréhension de la matière à traiter,
à quelle porte s'adresser ?
M. Philippe NASSE
.- Sur cette question de l'information des
contrôleurs financiers ou du bureau de Bercy, ce n'est pas la même
information ni la même nature. Les bureaux de Bercy essaient d'avoir une
information synthétique prenant en compte l'ensemble du domaine qu'ils
sont chargés de surveiller. Par construction, un contrôleur
financier sait ce qui se passe dans son secteur. Il peut percevoir le rythme
instantané de la dépense, il n'a aucun moyen d'opérer des
prévisions ou d'avoir un jugement économique plus global autre
que son opinion personnelle.
J'ai eu le sentiment qu'il faut essayer de conforter les informations issues de
ces deux sources, et pas de les opposer.
Nous avions essayé d'avoir une vue globale à partir de l'opinion
des bureaux, et nous avions interrogé les contrôleurs financiers
pour percevoir si le dérapage des dépenses dont on parlait dans
les bureaux était perçu comme plus ou moins intense que la
normale. Tous les ans, on parle d'un dérapage de dépenses. La
vraie question est de savoir si cela dérape plus que naturel ou dans les
limites habituelles. Un contrôleur financier peut avoir une certaine
perception de cela.
Les informations procédant de ces deux sources n'ont pas la même
nature, et c'est à l'explorateur hardi d'en faire la synthèse.
M. le Président
.- Merci.
J'ai quelques questions à vous poser. Vous nous indiquez avoir, pour vos
travaux, consulté la situation hebdomadaire. Pour nous éviter
trop de labeur et de misères, le ministre, pour l'instant, n'a pas
trouvé le temps de nous la faire parvenir, au motif qu'elle est lourde
à comprendre et à décrypter. Avez-vous eu des
difficultés à en analyser la substantifique moëlle ?
Vous évoquez dans votre rapport de l'été 1997, une liste
de dépenses et d'économies supplémentaires à
réaliser. Cette liste est-elle habituelle ? Qui la
rédige ? Qui en est le destinataire ? Dans quelle mesure
est-elle prise en considération pour l'exécution de la loi de
finances ?
Vous nous avez confirmé ce que nous savons un peu, c'est-à-dire
que les grandes directions ont leurs préoccupations, et celles du
Trésor ne sont pas celles du Budget. Il y a une sorte de dialogue un peu
convenu sur le sujet, et le ministre doit arbitrer à partir de là.
Pensez-vous que ces usages demeurent depuis la qualification pour l'euro, ou
pensez-vous qu'ils ont évolué ?
Enfin, une question relative aux autorités européennes : nos
finances publiques nationales sont maintenant soumises au regard et à
l'appréciation des autorités communautaires, et de nos
partenaires de l'euro.
Comment les instances européennes forment-elles leur propre
jugement ? Disposent-elles d'éléments complémentaires
à celles dont le Parlement français dispose ?
Disposent-elles d'éléments tels que ceux dont vous avez
disposés en 1997 ?
M. Jacques BONNET
.- Nous sommes arrivés à la
conclusion que les situations hebdomadaires étaient inutilisables,
qu'elles nous apportaient beaucoup de soucis, et en aucune manière des
renseignements utiles à la rédaction de notre rapport. Nous en
avons eu une collection considérable, nous les avons regardées,
laissées de côté, sans pratiquement les utiliser.
Il y a deux éléments concernant la liste des économies
à réaliser. D'abord, le Budget considère que l'on constate
des écarts, des budgets ne sont pas dépensés, et,
globalement, ce sont à peu près les mêmes chaque
année, une quinzaine de milliards. Il considère que c'est un
acquis qu'il empoche.
Ensuite, il a un certain nombre d'idées pouvant varier d'une
année à l'autre sur des économies réalisables ou
sur des dépenses dont il apparaît qu'elles ne seront pas
réalisées dans l'année, compte tenu des difficultés
de procédure. Pendant des années -je ne sais pas si la situation
est encore celle-là- les budgets de la ville n'étaient
dépensés que dans des proportions tout à fait
dérisoires en raison de la complexité extrême du
système mis en place. Cela varie d'une année sur l'autre, les
montants également.
Sur les divergences entre le Budget et le Trésor, je l'ignore, je ne les
ai pas revus depuis.
Sur l'Europe, des organismes internationaux, comme le FMI, ont
incontestablement des systèmes de renseignements propres, et qui,
à dire le vrai, nous avaient paru assez performants. Nous avions
rencontré un expert du FMI qui avait parlé de la situation, et il
nous avait paru relativement bien informé sur ces sujets. Comment
font-ils ? Je l'ignore.
Sur l'information du gouvernement transmise à l'Europe, des
déclarations sont faites par le gouvernement français chaque
année aux autorités communautaires. La Cour des comptes a eu
beaucoup de difficultés à en avoir communication. On nous dit
qu'elles sont terriblement secrètes, et que nous serions à
l'origine de graves catastrophes si nous en étions destinataires. Ayant
eu tant de mal, je ne sais pas ce qu'il y a dedans, je n'ai pas d'opinion.
M. Philippe NASSE
.- Monsieur le Président, sur
l'utilisation de la situation hebdomadaire, je n'ai pas de commentaires
supplémentaires. Il est navrant de voir que la fonction de reporting
mise en place, la situation hebdomadaire, n'est pas utilisable pour des raisons
sur lesquelles on pourrait disserter à l'infini.
J'ai retrouvé la liste des dépenses établie par le Budget,
je l'ai mise dans le dossier. Vous pourrez constater que c'est un inventaire
d'éléments tout à fait divers et variés, et, du
côté des recettes, on retombe sur la question des recettes non
fiscales. Il y a là un peu de possibilités, de choix et de place
pour l'imagination budgétaire.
Sur les préoccupations des grandes directions de Bercy, c'était
le cas en 1997, mais il vous appartient de vérifier si c'est toujours le
cas en 2000.
Je peux être un peu plus précis sur l'information des
autorités européennes ou internationales car j'ai eu
professionnellement à connaître ce sujet. Il y a trois
autorités internationales : le FMI, l'OCDE et Bruxelles.
Le FMI a un système d'information fondé sur une grande pratique
de la discrétion. Il a des contacts réguliers avec les
administrations, il est sincèrement mis au courant
d'énormément de choses. Il y a la certitude dans les
administrations nationales qu'il ne fera jamais de fuites, d'histoires, et
n'ira pas se targuer d'une information non publique reçue. Il est bien
informé en contrepartie de sa très grande discrétion.
L'OCDE rend public tout ce qu'elle sait. La problématique est
différente. Sa technique est d'entretenir au contraire un petit groupe
d'experts spécialisés sur chaque pays, et de l'utiliser pour
soumettre les fonctionnaires nationaux à des interrogatoires
extrêmement serrés, et à procéder, environ une fois
par an, à l'examen collectif annuel du pays, où la situation
économique d'un pays est regardée à la loupe.
Pour avoir autrefois dirigé la délégation française
devant se soumettre à cet examen, c'est un vrai examen dont on ressort
épuisé. Ils sont bons, ils connaissent bien les sujets, et ils
s'informent simplement parce qu'ils font cet effort.
La situation est un peu différente à Bruxelles. L'information
macro-économique de Bruxelles est reprise de l'OCDE car ils ne font pas
le même effort pour s'informer sur la situation des pays. En revanche,
les innombrables comités bruxellois donnent accès à des
informations pouvant être plus ou moins privilégiées en
contrepartie de la discrétion dans leur utilisation.
M. le Président
.- Avez-vous d'autres questions ?
Je ne résiste pas à vous faire part d'un sentiment. Le constat
que vous avez été amené à faire en 1997 est au fond
assez sévère sur le système d'information dont dispose
l'exécutif pour prendre ses décisions. Avez-vous, de votre
côté, des avis sur des mesures qui pourraient être mises en
oeuvre afin de l'améliorer ?
Vous est-il arrivé de connaître la manière dont les choses
fonctionnaient dans d'autres pays, afin de voir si des méthodes
pouvaient être importées chez nous ?
Avez-vous un sentiment sur la période différente que nous venons
de traverser, où les recettes fiscales ont été très
supérieures à celles anticipées, et portées
à la connaissance du Parlement avec beaucoup de retard ?
Quel est votre sentiment par rapport à votre expérience acquise
en 1997 ?
M. Jacques BONNET
.- Sur la dernière partie de votre
question, je pense que, traditionnellement, et pour des raisons de prudence,
Bercy a tendance à sous-estimer légèrement le montant des
recettes attendues, même si les prévisions conjoncturelles sont
bonnes.
C'est une première source de légère sous-estimation des
recettes, par prudence. Le souci majeur de la direction du Budget est
d'éviter de se laisser aller à faire progresser la dépense
dans des conditions inconsidérées, dramatiques si la situation se
retournait.
Je crois que les prévisionnistes ont un peu sous-estimé la
croissance pour des raisons tout à fait estimables. On continue à
réviser la croissance attendue, mécaniquement, ceci s'est traduit
par une sous-estimation des recettes.
Ce n'est que progressivement que l'on a fait les ajustements. M. NASSE y
faisait allusion tout à l'heure, je n'ai pas d'expérience
directe, il s'est passé la même chose qu'en 1993, mais dans
l'autre sens. Alors que l'on avait pris conscience par à-coups
successifs de l'ampleur du ralentissement auquel nous avions affaire, autant
par à-coups successifs on a pris conscience que la croissance se
révélait plus forte que prévue. Probablement, cela
explique ces retards dans la réévaluation des recettes.
Concernant les réformes à entreprendre, il faudrait avoir un
système comptable tenant à peu près la route, que cela
ressemble à une vraie comptabilité en droit constaté, et
que les différents éléments constituant les finances
publiques puissent s'agréger les uns dans les autres dans des conditions
raisonnables.
La Comptabilité nationale le fait avec un certain retard. On devrait
pouvoir arriver à consolider les comptes publics alors qu'aujourd'hui
c'est du domaine de l'impossible. Ce n'est pas raisonnable, ni convenable.
Il me semble que, plus l'Etat fait compliqué, plus il aura du mal
à connaître exactement sa situation, et celle des innombrables
collectivités qui l'entourent. Si l'on se refuse à simplifier les
législations, les réglementations, la constellation d'organismes
publics, cela sera toujours compliqué. Il y aura toujours place pour des
incertitudes et des aberrations.
C'est un peu dans ce sens qu'il faudrait aller, mais j'ose à peine le
dire, tellement je suis sûr d'être bien mort et enterré
avant que la situation n'ait évolué dans des proportions
sensibles.
M. le Président
.- Restons optimistes !
M. Philippe NASSE
.- Sur la troisième partie de votre
question, la situation actuelle du reporting fiscal, je ne connais pas le
dossier, je n'ai pas d'opinion.
En revanche, sur la connexion entre le problème de la mauvaise
qualité de l'information sur les comptes publics, la connexion entre
cela, et l'organisation même du système étatique, je crois
qu'il y a beaucoup d'informations non pas d'exemples ou de modèles, mais
d'informations à prendre dans les expériences
étrangères.
La réforme de l'Etat - mot familier qu'il faudrait vraiment
préciser - recouvre une multitude de facettes, de choses
différentes, compliquées, couvrant une superficie étendue.
Parmi celles-ci, il y a une information sur le système public.
Ma conviction, peut-être, mais je me sépare du Président
Bonnet, est que l'ensemble des réformes forme un tout, et que l'on peut
faire des efforts pour améliorer les comptes publics. Cela ne peut pas
aller loin, non pas parce qu'on n'aurait pas la volonté de faire des
efforts, ni qu'on ne serait pas assez persévérant, si cela n'est
pas inclus dans un projet plus cohérent, plus étendu, plus
consistant.
Plusieurs exemples étrangers le montrent, à commencer par celui
des Etats-Unis. Leur Président a dû taper du point sur la table en
disant que l'information fournie était de mauvaise qualité, et a
demandé à son système comptable de faire des efforts et de
transformer les comptes en droit constaté.
Le GAO américain, l'équivalent de la Cour des Comptes, a vu
arriver un rapport fort compliqué sur la transformation des comptes
américains, et il a été rejeté parce que les
Américains ont essayé de plaquer sur une situation
«
administrativo-budgétaro-financière
», restée à l'identique, un nouveau système de
comptes, sans faire aucune réforme sur le fond. Et ce nouveau
système de compte ne fonctionne pas. Les comptes sont le reflet de ce
que l'on compte, et la mauvaise qualité de nos comptes est probablement
le reflet d'une mauvaise qualité plus profonde dans ce que nous faisons.
Je vous donne ma réponse, je pense que la réforme du
système d'information ne peut pas être menée comme un objet
en soi, seul, sans toucher à beaucoup d'autres éléments.
M. Jacques BONNET
.- Nous ne sommes pas en désaccord.
M. le Président
.- Merci beaucoup de la qualité de
vos réponses faisant la qualité de cette audition.
Je rappelle à mes collègues que nous nous retrouverons demain
à 10 h 00, et à 15 h 00, pour poursuivre nos
travaux d'auditions, et l'examen des rapports soumis.
Merci encore. La séance est levée.
La séance est levée à 19 h 25.