CHAPITRE TROIS

DES CRÉDITS UTILISÉS DE FAÇON ALÉATOIRE ET SYSTÉMATIQUEMENT SOUS-CONSOMMÉS

Depuis 1990, aucun changement n'est intervenu dans l'imputation des crédits pour dépenses éventuelles et dépenses accidentelles.

Il apparaît que ces crédits, notamment ceux alloués aux dépenses accidentelles, n'ont pas toujours été utilisés conformément aux dispositions des articles 10 et 11 de l'ordonnance organique de 1959.

Par ailleurs, l'analyse des exécutions budgétaires des dix dernières années montre que les crédits pour dépenses éventuelles et accidentelles font l'objet d'une sous-consommation systématique et parfois importante, mettant en exergue l'inadaptation des modalités de calcul de leurs dotations initiales.

I. L'UTILISATION DES DÉPENSES ÉVENTUELLES ET ACCIDENTELLES : FAIRE FACE AUX BESOINS

Les opérations financées sur les crédits alloués aux dépenses éventuelles et aux dépenses accidentelles sont nombreuses et variées.

Votre rapporteur vous renvoie à l'annexe qui rend compte très précisément de l'utilisation des dépenses éventuelles et des dépenses accidentelles depuis 1990.

Il se limitera à quelques remarques d'ordre général.

A. UNE UTILISATION PARFOIS ÉLOIGNÉE DES DISPOSITIONS DE L'ORDONNANCE ORGANIQUE DE 1959

Les crédits ouverts, depuis 1990, au titre des dépenses éventuelles et des dépenses accidentelles sont parfois sans lien direct avec les dispositions de l'ordonnance organique de 1959.

1. Les dépenses éventuelles

Le régime juridique des dépenses éventuelles, on l'a vu au chapitre 1 er , est bien établi, et le gouvernement estime ne disposer que de peu de marges de manoeuvre puisque les chapitres qui peuvent supporter des crédits provisionnels, conformément à l'article 10 de l'ordonnance organique de 1959, sont récapitulés à l'état G annexé à la loi de finances de l'année.

Pourtant, l'analyse de l'exécution budgétaire suscite certaines interrogations.

Il apparaît en effet que certaines dépenses, financées par des crédits inscrits au chapitre 37-94 du budget des charges communes, revêtent un caractère récurrent, tandis que d'autres présentent un caractère bien plus accidentel qu'éventuel.

Les dépenses engagées sur le chapitre 34-03 " Frais de réception et voyages exceptionnels " du budget des affaires étrangères sont particulièrement importantes, ces crédits étant visiblement sous-évalués de manière récurrente.

En 1990, sur plus de 274 millions de francs, les dépenses engagées au titre des frais de réception et de voyages exceptionnels ont atteint un montant de 255 millions de francs, soit plus de 93 % du total. Du reste, ces crédits ont été engagés sur le même chapitre 34-03 précité, mais au titre de trois ministères différents : 245 millions de francs sur le budget du ministère des affaires étrangères, 6 millions de francs sur celui du ministère de l'intérieur et 4 millions de francs sur celui du ministère des DOM-TOM.

Cette situation se retrouve en 1994, les crédits ouverts sur le chapitre 34-03 représentant près de 60 % des 142 millions de francs de dépenses éventuelles utilisés cette année-là.

En 1996 également, les frais de réception et de voyages exceptionnels ont totalisé 106 millions de francs, soit plus de 75 % des dotations du chapitre 37-94.

Par ailleurs, les dépenses engagées au titre des opérations électorales ou du financement des partis politiques se trouvent réparties entre deux chapitres et deux ministères.

Le budget de l'intérieur et de la décentralisation comporte un chapitre 37-61 " Dépenses relatives aux élections " et un chapitre 41-61 " Financement des partis et groupements politiques ", tandis que le budget de la justice comprend un chapitre 37-61 " Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques - Dépenses relatives aux élections ".

Il conviendrait d'engager une refonte de la nomenclature budgétaire relative au financement de la vie politique.

Il apparaît aussi que le chapitre 37-94 du budget des charges communes, bien qu'il soit expressément intitulé " Dépenses éventuelles ", contribue à financer des dépenses dont le caractère accidentel est affirmé.

En 1993, près de 148 millions de francs ont été dépensés au titre des dépenses éventuelles. Or, plus de 70 % de ces crédits, soit environ 105 millions de francs, ont été consacrés à la réparation des conséquences de sinistres et autres calamités comme les inondations de Vaison-la-Romaine, des inondations survenues en Corse ou des intempéries dans le Nord et l'Est de la France, qui présentent pourtant bien le caractère de dépenses imprévues. Elles auraient donc dû être financées par le chapitre 37-95.

Cette situation s'est reproduite au cours des années suivantes, notamment en 1995 et, bien-sûr, en 1999, suite aux intempéries de la fin de l'année.

Il convient toutefois de rappeler que l'état G annexé comporte bien trois chapitres relatifs à ce type de dépenses : 46-02 " Secours aux victimes de sinistres et calamités " du budget des charges communes, 46-91 et 46-93 " Secours d'extrême urgence aux victimes de calamités publiques " des budgets, respectivement, de l'intérieur et de l'outre-mer.

Enfin, il existe des chapitres qui permettent d'inscrire des dépenses de nature diverse.

En 1990, le chapitre 46-95 a assuré le financement du surcoût lié à la mensualisation des versements au fonds spécial institué par la loi du 10 juillet 1952, pour 2,5 millions de francs.

En 1991, la prime de fidélité sur les comptes de dépôts des agents du ministère des finances a été financée par l'inscription d'une dotation de 51 millions de francs sur le chapitre 31-96 du budget des services financiers. Le même chapitre a servi, en 1995, à financer, pour 30,5 millions de francs, la prime de fidélité versée aux titulaires d'un compte de dépôts et remises sur vignettes.

Votre rapporteur ne peut que constater que l'état G annexé à la loi de finances de l'année est susceptible de certaines améliorations.

Ainsi pourrait être effectué un regroupement sur un chapitre budgétaire unique de dépenses allouées à des opérations identiques.

Surtout, certaines mesures présentant un caractère accidentel évident, telles que la réparation de dégâts occasionnés par des intempéries, devraient être financées non par le chapitre 37-94 mais par le chapitre 37-95.

2. Les dépenses accidentelles

Une part des mouvements de crédits portant sur le chapitre 37-95 du budget des charges communes fait l'objet de textes réglementaires qui ne sont pas publiés au Journal officiel, pour des raisons tenant à la défense nationale.

Comme le montre le tableau ci-après, la part de ces crédits est parfois importante :

En 1992, les mouvements non publiés ont représenté plus de 120 millions de francs, soit un montant équivalent à celui des crédits ayant fait l'objet de mouvements publiés (126 millions de francs). Cette situation s'est renouvelée en 1995.

En 1994, 1996 et 1997, les crédits engagés sans publication au Journal Officiel ont même été plus importants que ceux dont les décrets ont été publiés, et dans des proportions importantes : environ le double en 1994 et 1996, le triple en 1997.

Votre rapporteur estime que si des raisons tenant à la défense nationale peuvent évidemment imposer le recours à des crédits budgétaires inscrits sur des chapitres " réservoirs ", il convient que cette procédure ne prenne pas trop d'ampleur afin que la représentation nationale soit informée dans la plus grande transparence possible de l'utilisation qui est faite des deniers publics.

Au-delà de cet aspect, il convient de noter que les crédits pour dépenses accidentelles sont utilisés pour faire face à des dépenses dont le caractère accidentel ou imprévu est très incertain.

Dans son rapport sur l'exécution des lois de finances pour 1991, la Cour des comptes avait relevé cet état de fait : " D'autres répartitions ne sont manifestement pas motivées par l'urgence ou l'imprévu " .

Elle citait le financement du Livre blanc sur les retraites par le chapitre 37-10 du budget des services généraux du Premier ministre pour 5 millions de francs, ou encore le financement, sur le chapitre 47-21 du budget des affaires sociales, d'interventions en faveur de l'action sociale et de la lutte contre la pauvreté, à hauteur de 40 millions de francs. Elle aurait également pu relever l'engagement d'une dépense de plus de 1,1 million de francs sur les chapitres 34-98 et 35-91 du budget des services généraux du Premier ministre, au titre de dépenses exceptionnelles de fonctionnement.

En fait, les crédits alloués aux dépenses accidentelles présentent pour le gouvernement l'intérêt de constituer une réserve lui permettant de financer toutes sortes d'opérations qui, certes, n'étaient pas nécessairement prévues, mais qui ne semblent pourtant pas relever de l'esprit de l'article 11 de l'ordonnance organique de 1959.

Ainsi, on aurait pu penser que le déménagement du ministère de la Défense était prévu. Pourtant, 20 millions de francs ont été prélevés à ce titre sur les dépenses accidentelles en 1992. Cette même année, 4 millions de francs ont été mobilisés pour assurer le financement de la campagne de communication sur des mesures en faveur du logement, tandis que 7,5 millions de francs ont été consacrés aux frais de déplacement des agents du ministère des affaires étrangères. Enfin, alors qu'il existe un chapitre budgétaire spécifique à ce type de dépenses, figurant à l'état G annexé à la loi de finances dans le cadre des dispositions relatives aux dépenses éventuelles, le chapitre des dépenses accidentelles a supporté le financement des dépenses liées au référendum portant ratification du traité de Maastricht, pour un total de 16,2  millions de francs 5( * ) .

En 1994, 8 millions de francs ont abondé le chapitre 43-80 du budget de la recherche afin de financer le versement de décembre d'allocations de recherche, tandis que, en 1995, le paiement des bourses sur critères sociaux de décembre s'est établi à 40 millions de francs.

En 1998, 8 millions de francs ont été consacrés au financement d'études relatives à des opérations de restructuration du secteur public, et 100 millions de francs à l'aide sociale d'urgence, dans le cadre des décisions annoncées par le gouvernement en faveur de l'exclusion.

Certes, il convient de noter que, au fil du temps, l'utilisation plus ou moins discrétionnaire des crédits pour dépenses accidentelles a tendance à diminuer, mais votre rapporteur entend rester vigilant sur l'utilisation qui sera faite à l'avenir de crédits en forte augmentation.

B. L'UTILISATION AU BÉNÉFICE DE LA RÉPARATION DES INTEMPÉRIES DE 1999

Votre rapporteur a demandé au ministère de l'économie, des finances et de l'industrie de lui indiquer la façon dont les crédits inscrits aux chapitres 37-94 et 37-95 avaient été utilisés pour faire face aux conséquences des intempéries qui ont frappé la France à la fin de l'année 1999.

Au total, 1.742 millions de francs ont été mobilisés sur ces crédits pour réparer les conséquences de ces calamités.

Ce montant se répartit ainsi :

- 202 millions de francs au titre des dépenses éventuelles, dont 40 millions de francs pour faire face aux conséquences du cyclone Lenny ;

- 1.540 millions de francs au titre des dépenses accidentelles, soit 570 millions de francs pour traiter les suites de la marée noire, et 970 millions de francs pour faire face à celles de la tempête de décembre 1999.

Alors que ces intempéries sont par nature des événements imprévus, il convient de noter que les dépenses éventuelles ont été mises à contribution pour financer leurs conséquences.

Bien sûr, votre rapporteur n'ignore pas que le gouvernement a dû agir dans l'urgence afin de prendre des mesures que les circonstances imposaient. Toutefois, ce malheureux épisode montre qu'il prend des libertés avec les dispositions de l'ordonnance organique de 1959, faisant financer, sans justification, des dépenses imprévues sur des crédits pour dépenses éventuelles !

Votre rapporteur considère, en revanche, que le gouvernement fait preuve de mauvaise foi lorsqu'il fonde implicitement la très vive progression des crédits pour dépenses accidentelles par la nécessité de réparer les dégâts occasionnés par les intempéries.

En effet, dans sa réponse écrite, le ministère de l'économie, des finances et de l'industrie explique que " la dotation inscrite en loi de finances [en 1999 et 2000] a ainsi permis la mise en place dans les meilleurs délais et sans recours à des annulations sur les budgets d'autres ministères des crédits de financement des opérations liées au plan humanitaire français en faveur des réfugiés du Kosovo et des besoins liés aux tempêtes de décembre 1999 et au naufrage du pétrolier Erika " .

Le projet de loi de finances pour 2000 ayant été préparé au cours de l'été 1999, puis examiné en Conseil des ministres et présenté aux commissions des finances du Parlement au mois de septembre, votre rapporteur s'interroge sur la capacité du gouvernement d'anticiper des événements, par nature imprévisibles, qui ne se sont produits qu'au cours du dernier trimestre 1999 !

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