Elaboration d'une Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne
HAENEL (Hubert)
RAPPORT D'INFORMATION 395 (1999-2000) - DELEGATION DU SENAT POUR L'UNION EUROPEENNE
Rapport au format Acrobat ( 289 Ko )Table des matières
-
INTRODUCTION
- I. TRAVAUX DE LA DÉLÉGATION
-
II. QUESTION ORALE AVEC DEBAT DU 11 MAI 2000
- A. INTERVENTION DE M. HUBERT HAENEL
- B. INTERVENTION DE M. PIERRE FAUCHON
- C. INTERVENTION DE M. PAUL MASSON
- D. INTERVENTION DE MME MARIE-MADELEINE DIEULANGARD
- E. INTERVENTION DE M. GÉRARD DELFAU
- F. INTERVENTION DE MME DANIELLE BIDARD-REYDET
- G. INTERVENTION DE M. DANIEL HOEFFEL
- H. INTERVENTION DE M. JAMES BORDAS
- I. RÉPONSE DE M. PIERRE MOSCOVICI, MINISTRE DÉLÉGUÉ CHARGÉ DES AFFAIRES EUROPÉENNES
- ANNEXES
- NOUVELLE PROPOSITION DU PRESIDIUM POUR LES ARTICLES 1 À 30 (DROITS CIVILS ET POLITIQUES ET DROITS DU CITOYEN)
- NOUVELLE PROPOSITION DU PRESIDIUM POUR LES ARTICLES SUR LES DROITS ÉCONOMIQUES ET SOCIAUX ET SUR LES CLAUSES HORIZONTALES
-
EXTRAITS DES CONCLUSIONS DU
CONSEIL EUROPEEN DE COLOGNE
(3 ET 4 JUIN 1999) -
EXTRAITS DES CONCLUSIONS DU
CONSEIL EUROPEEN DE TAMPERE
(15 ET 16 OCTOBRE 1999)
N°
395
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 1999-2000
Annexe au procès-verbal de la séance du 7 juin 2000
RAPPORT D'INFORMATION
FAIT
au nom de la délégation du Sénat pour l'Union Européenne (1) sur l'élaboration d'une Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ,
Par M.
Hubert HAENEL,
Sénateur.
(1) Cette délégation est composée de : MM. Hubert Haenel, président ; Mme Danielle Bidard-Reydet, MM. James Bordas, Claude Estier, Pierre Fauchon, Lucien Lanier, Aymeri de Montesquiou, vice-présidents ; Nicolas About, Hubert Durand-Chastel, Emmanuel Hamel, secrétaires ; Bernard Angels, Robert Badinter, Denis Badré, José Balarello, Mme Marie-Claude Beaudeau, MM. Jean Bizet, Maurice Blin, Xavier Darcos, Robert Del Picchia, Marcel Deneux, Mme Marie-Madeleine Dieulangard, MM. Jean-Paul Emin, André Ferrand, Jean-Pierre Fourcade, Philippe François, Yann Gaillard, Daniel Hoeffel, Serge Lagauche, Louis Le Pensec, Simon Loueckhote, Paul Masson, Jacques Oudin, Mme Danièle Pourtaud, MM. Simon Sutour, Xavier de Villepin, Henri Weber.
Union européenne.
INTRODUCTION
Mesdames, Messieurs,
Avec la réforme de ses institutions préalable à son
élargissement à l'Est, l'adoption d'une Charte des droits
fondamentaux de l'Union européenne est sans conteste le grand dossier
sur la table de l'Europe des Quinze en cette année 2000.
Il s'agit en effet de la doter d'un texte affirmant les principes essentiels
qui forgent son identité en recensant et en proclamant au niveau de
l'Union ces droits et libertés que chaque Etat membre considère
comme inhérents à la personne humaine et place, à ce
titre, au sommet de sa hiérarchie des valeurs.
La proclamation de cette Charte relèvera du Conseil européen qui,
selon l'agenda convenu à Cologne en juin 1999, devrait y procéder
lors de sa réunion de Nice, en décembre prochain. Il le fera sur
la base d'un projet dont la rédaction a été confiée
par le Conseil européen de Tampere à une enceinte (qui a pris la
dénomination de " Convention ") composée de
parlementaires nationaux et européens ainsi que de représentants
de chefs d'Etat et de gouvernements et du président de la Commission.
Cette méthode inédite souligne bien le caractère
éminemment politique de la démarche dont l'objectif est
d'adresser un message fort, percutant, aux citoyens en leur montrant que
l'Europe qui se construit depuis un demi-siècle n'est pas seulement,
comme on l'affirme parfois, celle des industriels et des banquiers, qu'elle ne
se limite pas à un grand marché, un budget et une monnaie.
Ce message, il s'adressera non seulement aux citoyens de l'Union d'aujourd'hui,
mais aussi à ceux de l'Union de demain et, partant, à tous les
pays candidats à l'adhésion qui doivent savoir que cet ensemble
dont ils aspirent à faire partie repose sur un socle de valeurs communes
à tous les Etats.
Pourtant, à côté de cet objectif clairement
identifié, la rédaction d'une Charte des droits fondamentaux de
l'Union européenne soulève son lot d'interrogations et, selon le
sentiment que l'on éprouve à l'égard de la construction
européenne, suscite espoirs ou craintes, voire
arrière-pensées.
Beaucoup en effet voient dans cette Charte, pour s'en réjouir ou s'en
inquiéter, l'embryon d'une constitution européenne et même
le début d'une marche qui conduirait irrésistiblement vers une
Europe fédérale.
Conscient des enjeux de ce texte, le Sénat a débattu à
plusieurs reprises de ces interrogations aussi bien au sein de sa
délégation pour l'Union européenne qu'en séance
publique.
La première d'entre elles concerne
le contenu de la future
Charte
: celle-ci doit-elle, et si oui dans quelle mesure, aller
au-delà de la reprise pure et simple des droits d'ores et
déjà consacrés dans d'autres textes ou par la
jurisprudence ?
D'aucuns craignent en effet que, en consacrant des droits qui ne figurent pas
dans le champ des compétences de l'Union (droit à
l'éducation, droit de grève...), la Charte étende le
domaine d'investigation de celle-ci ou, à tout le moins, légitime
des initiatives dans des matières qu'une bonne application du principe
de subsidiarité réserve aux Etats membres. A l'opposé,
d'autres font valoir que la Convention, organe que le Conseil européen a
voulu politique, ne saurait se limiter à un simple travail de
codification et ce d'autant plus que les citoyens ne comprendraient pas que la
Charte se borne à reprendre la Convention européenne des droits
de l'homme, faisant en quelque sorte l'impasse sur les droits
économiques et sociaux et sur ce que l'on appelle les nouveaux droits
(ceux liés à la bioéthique, aux nouvelles technologies,
à la consommation, au fonctionnement de l'administration...).
Toujours en ce qui concerne le contenu de la Charte, la question se pose, comme
l'a souligné notre collègue Pierre Fauchon, de
l'opportunité d'y insérer un article sur les devoirs. Si l'on
veut en effet adresser un message clair aux citoyens, peut-être serait-il
en effet utile de rappeler qu'il n'est pas de liberté sans devoirs, de
démocratie sans civisme, ni de citoyenneté sans
responsabilité. Cette notion de responsabilité est d'ailleurs
jugée préférable par certains à celle de devoir.
Mais l'idée reste la même et a reçu de nombreux soutiens,
dont celui de M. Pierre Moscovici, ministre délégué
chargé des Affaires européennes.
La deuxième série d'interrogations soulevées par le projet
de Charte des droits fondamentaux a trait aux statuts du futur texte :
doit-il revêtir un caractère juridiquement contraignant
(par exemple en étant incorporé au traité)
ou
consistera-t-il en une simple déclaration de principe ?
La réponse appartient au Conseil européen et M. le Ministre
délégué aux Affaires européennes considère
qu'elle dépendra avant tout du contenu qui sera donné à la
Charte. Pourtant, à l'inverse, nul ne contestera que le contenu
lui-même dépende dans une certaine mesure de la valeur juridique
qui sera conférée au texte en préparation. Dans ces
conditions, retenant la sage suggestion de son président, M. Roman
Herzog, la Convention a décidé de conduire ses travaux partant de
l'hypothèse que son projet pourrait être érigé en
texte juridiquement contraignant par le Conseil européen.
Une autre interrogation, étroitement liée à la
précédente, concerne
l'articulation entre la future Charte et
la Convention européenne des droits de l'homme
, avec en filigrane le
risque de conflits de jurisprudence entre la Cour de Luxembourg et celle de
Strasbourg. Excellemment mises en avant par M. Daniel Hoeffel, les
conséquences d'une mauvaise articulation sont souvent avancées
par les tenants d'une Charte qui ne constituerait qu'une déclaration
solennelle sans valeur juridique. Il semble pourtant difficile que la Charte ne
se voie pas conférer, à terme plus ou moins lointain, un
caractère contraignant dans la mesure où, comme l'a
souligné M. Hoeffel et comme l'ont rappelé plusieurs orateurs
lors du débat en séance publique, il s'agira
précisément de combler un vide juridique tenant au fait que la
Communauté européenne n'est pas justiciable de la Cour
européenne des droits de l'homme. Une solution pourrait, selon certains,
résider dans l'adhésion de l'Union à la Convention
européenne des droits de l'homme, mais M. Pierre Moscovici a
formellement écarté cette hypothèse.
Il appartiendra à la Convention et au Conseil européen, chacun
dans le cadre de ses responsabilités, de répondre à toutes
ces interrogations. Mais le Sénat ne pouvait rester en dehors d'un tel
débat. Le présent rapport reprend l'ensemble des interventions
effectuées soit au sein de sa délégation pour l'Union
européenne, soit en séance publique, à l'occasion d'une
question orale avec débat déposée sur ce sujet.
I. TRAVAUX DE LA DÉLÉGATION
A. RÉUNION DU 23 FÉVRIER 2000
1. Communication de M. Hubert Haenel sur les travaux de la Convention chargée d'élaborer la Charte
C'est le
Conseil européen de Cologne qui, en juin 1999, sur une initiative de la
présidence allemande de l'Union européenne, a posé le
principe de l'élaboration d'une Charte des droits fondamentaux de
l'Union européenne et souhaité qu'un projet soit
élaboré à cette fin par une "
enceinte
composée de représentants des chefs d'Etat et de gouvernement et
du président de la Commission européenne ainsi que de membres du
Parlement européen et des parlements nationaux
".
A Tampere, les 15 et 16 octobre, un Conseil européen
spécifiquement consacré aux questions de justice et d'affaires
intérieures a défini la
composition de cette enceinte qui
comporte soixante-deux membres
, à savoir :
-
quinze représentants des chefs d'Etat ou de gouvernement
.
La France a désigné M. Guy Braibant, éminent juriste que
l'on ne présente plus ;
-
un représentant du président de la Commission
européenne
; M. Prodi a désigné M. Vitorino,
commissaire chargé des questions de justice et d'affaires
intérieures ;
-
seize membres du Parlement européen
;
-
trente membres des parlements nationaux
, à raison de deux
par parlement ;
En cas d'empêchement, les membres peuvent être remplacés par
des suppléants.
Le Président du Sénat m'a alors désigné ainsi que
Mme Marie-Madeleine Dieulangard, respectivement comme titulaire et
suppléante, tandis que le Président de l'Assemblée
nationale désignait parallèlement M. François Loncle et
Mme Nicole Ameline. Enfin, c'est Mme Jacqueline Dutheil de la
Rochère qui est suppléante de M. Guy Braibant.
L'élaboration de ce projet de Charte est intéressante non
seulement en raison des nombreuses questions de fond qu'elle soulève,
mais aussi par la méthode retenue.
1) La méthode retenue
a) La composition de l'enceinte
Il me semble important d'insister tout d'abord sur le fait que,
pour la
première fois, des parlementaires nationaux et des parlementaires
européens sont associés es qualités en amont à
la préparation d'un texte européen
. Cela me paraît
intéressant à un double titre :
- d'abord parce que cela confère
une légitimité
parlementaire
à l'élaboration d'un texte fondamental ;
nous avons suffisamment regretté par le passé que les
mécanismes institutionnels de l'Union européenne aboutissent
à un transfert de compétences du pouvoir législatif au
pouvoir exécutif pour ne pas nous féliciter de cette novation,
- ensuite parce que
les deux légitimités parlementaires
de l'Union européenne
-celle qui découle des parlements
nationaux et celle qui résulte de l'élection du Parlement
européen- se trouvent réunies et en mesure de travailler en
complémentarité.
Mais au-delà de cette première originalité, il me semble
que le Conseil européen a apporté
un élément
nouveau particulièrement intéressant en faisant participer
à cet organe de travail des représentants des chefs d'Etat ou de
gouvernement
. Cet apport est utile d'abord parce que nous savons bien que,
dans un régime parlementaire moderne, un travail normatif résulte
de la collaboration du législatif et de l'exécutif et non des
seuls débats du législatif. Mais il est particulièrement
judicieux en l'occurrence parce que l'expérience a montré que le
travail en commun de parlementaires nationaux et de parlementaires
européens sans apport extérieur ne peut, indépendamment de
la volonté des uns et des autres, que s'effectuer au détriment
des parlementaires nationaux qui, très vite, se trouvent en position
d'infériorité.
Ce fut la leçon que tirèrent unanimement tous les parlementaires
nationaux qui participèrent, en novembre 1990 à Rome, à la
Conférence des Parlements de la Communauté
européenne
, que l'on a appelée aussi
Assises
. Il n'est
pas inutile de rappeler à cet égard les remarques
formulées alors par mon prédécesseur, le président
Jacques Genton, dans le rapport qui, au nom de la délégation du
Sénat pour les Communautés européennes, rendait compte
alors des travaux de ces
Assises
qui avaient rassemblé
173 membres des Parlements nationaux des Etats membres et 85 membres
du Parlement européen, soit deux-tiers de parlementaires nationaux et un
tiers de parlementaires européens. Le président Jacques Genton
relevait alors que, en dépit de l'infériorité
numérique de sa représentation, la délégation du
Parlement européen avait dominé de bout en bout la
Conférence
en raison de son homogénéité, des
travaux antérieurs menés au sein du Parlement européen et
de son esprit de corps. Et il ajoutait que les délégations des
parlements nationaux s'étaient comportées en revanche
" comme des novices, peu accoutumées à ce genre de
débat, mal adaptées à ces exercices éloignés
des habitudes politiques nationales, moins animées aussi d'un souffle
commun "
. Je dois dire que les deux réunions des parlementaires
nationaux membres de l'enceinte auxquelles j'ai participé m'ont
confirmé la pertinence de ces remarques. Il est à
l'évidence long et difficile de faire travailler avec efficacité
30 parlementaires qui jusque-là n'ont jamais été
associés à une entreprise commune et qui, donc, ne se connaissent
pas.
J'ai cru utile de souligner la composition originale de l'enceinte
chargée d'élaborer la Charte car je crois que, si
l'expérience s'avère positive, il serait possible d'y recourir
à nouveau pour d'autres travaux européens où
l'expérience et la légitimité des parlementaires nationaux
pourraient être utilement mises à profit.
b) Les méthodes de travail
Les méthodes de travail ont été définies, dans le
cadre des lignes tracées par le Conseil européen, lors des deux
séries de réunions que nous avons tenues jusqu'à ce
jour : la première, le 17 décembre, à l'occasion de
laquelle nous avons élu le président de l'enceinte, M. Roman
Herzog, qui a été président de la République
fédérale d'Allemagne de 1994 à 1999 après avoir
été président de la Cour constitutionnelle
fédérale de 1987 à 1994. Le matin même, la
délégation des parlementaires nationaux s'était
réunie pour élire son président,
M. Gunnar Jansson, député finlandais, qui est donc
à ce titre vice-président de l'enceinte. Les deux autres
vice-présidents sont MM. Mendez de Vigo, au nom du Parlement
européen, et M. Bacelar de Vasconcellos, représentant du
gouvernement portugais. Ce dernier sera remplacé par M. Braibant au
second semestre.
Le Président Herzog, les vice-présidents et le commissaire
Vitorino constituent le
comité de rédaction de la Charte
et sont assistés dans cette tâche par le secrétariat
général du Conseil, qui assure le secrétariat de
l'enceinte.
Je dis " enceinte " car il s'agissait là du terme retenu par
le Conseil européen et par lequel nous avons désigné cet
organe jusqu'au 1
er
février. Mais le 1
er
février, à une très large majorité, les membres ont
décidé de substituer le terme "
Convention
"
à celui d'enceinte. La dénomination officielle de cette structure
est donc à présent "
Convention chargée de
l'élaboration d'un projet de Charte des droits fondamentaux de l'Union
européenne
".
La
Convention
, dont le projet de Charte doit être soumis au
Conseil européen de Nice,
prévoit de tenir quatre nouvelles
sessions de deux jours
dont la dernière aurait lieu les 18 et 19
octobre. Ces réunions plénières seront
préparées par des réunions informelles
qui tiendront
lieu de groupes de travail et auxquelles pourront assister tous les membres de
la Convention, titulaires ou suppléants. Jusqu'à mi-octobre, la
Convention devrait ainsi tenir douze sessions informelles de deux jours.
De facto
, la seule différence entre les réunions
formelles et les réunions informelles concernent le statut des
suppléants
: invités à toutes les
réunions, ils ne pourront prendre la parole et voter dans le cadre d'une
réunion formelle qu'en l'absence du titulaire ; ils pourront en
revanche intervenir, même si le titulaire est présent, au cours
des réunions informelles, étant précisé que
celles-ci ne donneront jamais lieu à un vote.
Concrètement, les discussions au sein de la Convention auront pour
support une liste de droits que le Président Herzog nous a
adressée. M. Herzog souhaiterait que la Convention ait dressé
avant l'été l'inventaire des droits qui figureraient dans son
projet de Charte.
2) Les questions de fond
J'en viens ainsi, après les questions de méthode, aux
questions de fond
qu'a abordées la Convention lors de ses
réunions des 1
er
et 2 février :
- quels droits doivent figurer dans la future Charte ?
- quelle sera sa valeur juridique et comment s'articulera-t-elle avec
d'autres textes, notamment avec la Convention européenne des droits de
l'homme ?
a) Quels droits ?
En ce qui concerne la première question, celle du contenu de la
Charte, le débat porte sur le point de savoir si et, si oui, dans quelle
mesure, nous devons aller au-delà de la reprise pure et simple de droits
d'ores et déjà consacrés dans d'autres textes ou par la
jurisprudence.
Pour simplifier, je dirai que
deux conceptions du rôle de la
Convention se sont fait jour :
- pour certains, il nous appartiendrait de reprendre et le cas
échéant de préciser l'existant
. Les tenants de cette
thèse, défendue notamment par le représentant de Tony
Blair, Lord Goldsmith, s'appuient sur les conclusions du Conseil
européen de Cologne qui réclamaient le recensement "
des
droits fondamentaux
en vigueur
au niveau de l'Union [...] de
manière à leur donner une plus grande
visibilité
". Dans cette optique, la Convention serait donc
appelée en quelque sorte à codifier des droits reconnus par la
Convention européenne des droits de l'homme, la Charte sociale
européenne, la Charte communautaire des droits sociaux fondamentaux des
travailleurs, les traditions constitutionnelles communes des Etats membres ou
la jurisprudence de la Cour de justice.
- à l'opposé de cette thèse, d'autres membres de
la Convention semblent souhaiter aller au-delà de cette simple
codification.
Ceux-là peuvent tirer argument de la composition
même de la Convention, que le Conseil européen a voulu politique
et qui comprend en effet, à commencer par M. Herzog, des personnes
qui ont exercé d'importantes fonctions dans leur pays.
La Convention n'ayant procédé à aucun vote, il n'est pas
aisé de déterminer avec précision le rapport des forces en
présence. Il semble cependant que la seconde thèse, d'ailleurs
soutenue par le président Herzog, soit majoritaire, la première
rassemblant essentiellement des suffrages nordiques et britanniques.
Pour ma part, je suis intervenu pour dire que la Convention devait s'efforcer
de montrer que l'Union européenne ce n'est pas seulement, comme on le
croit parfois, l'Europe des banquiers, que c'est également l'Europe des
hommes et des citoyens et qu'il nous appartient de délivrer un message
fort à l'opinion publique en soulignant tout ce qui fait
l'identité européenne. Et j'ai expliqué qu'il me
paraîtrait intéressant que, avant le dispositif même de la
Charte, figure une sorte de préambule exprimant ce message. J'ai par
ailleurs posé la question de la définition d'un droit
fondamental. Qu'est-ce qu'un droit fondamental ? Quelle est sa
spécificité, s'il y en a, par rapport à un droit de
l'homme ou à une liberté publique ?
Sur le contenu, la discussion ne fait que commencer. Le Président Herzog
considère toutefois que, même si la Convention décidait
d'aller au-delà d'une simple codification, cela ne conduirait pas
à de profondes modifications. Il sera en effet difficile, fait-il
valoir, de trouver un droit fondamental qui ne soit consacré par aucun
texte européen ni par la jurisprudence, sauf à entrer dans le
détail -ce que refuse M. Herzog- en mentionnant par exemple, comme cela
a été proposé, le droit des femmes à
intégrer les forces armées.
b) Quelle valeur juridique ?
En ce qui concerne la valeur juridique de la future Charte
, une
opposition est également apparue entre, d'une part, les tenants d'un
texte contraignant et, d'autre part, ceux qui souhaitent un catalogue de droits
qui constituerait certes une référence, mais n'aurait pas en
lui-même un caractère contraignant.
C'est un problème fondamental, mais qui n'est pas du ressort de la
Convention. Certes, il serait utile de savoir si la future Charte sera par
exemple intégrée aux traités car la portée d'un
texte n'est pas sans influence sur son contenu. Néanmoins, la
décision finale échappera à la Convention car c'est au
Conseil européen qu'il appartiendra de dire s'il souhaite que la Charte
soit ou non revêtue d'un caractère contraignant.
Les conclusions du Conseil européen de Cologne sont très
explicites à cet égard puisqu'elles mentionnent que :
" L'enceinte doit présenter un projet en temps utile avant le
Conseil européen en décembre de l'an 2000. Le Conseil
européen proposera au Parlement européen et à la
Commission de proclamer solennellement, conjointement avec le Conseil, une
Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne sur la base dudit
projet. Ensuite il faudra examiner si et, le cas échéant, de
quelle manière, la Charte pourrait être intégrée
dans les traités. "
M. Herzog a donc parfaitement résumé la situation en disant que
la Convention devait élaborer un projet de Charte dont le Conseil
européen pourrait décider l'intégration tel quel dans les
traités, sous réserve de l'autorisation de ratifier que devraient
donner les parlements nationaux.
Je précise toutefois, car l'erreur est souvent faite, que la future
Charte aurait
a priori
vocation à s'appliquer aux institutions de
l'Union et non directement aux Etats membres.
Je ne reviendrai pas sur la question de l'articulation de la future Charte avec
la Convention européenne des droits de l'homme, qui est l'objet de la
communication de notre collègue Daniel Hoeffel. Je dirai seulement que
certains membres ont soulevé la question de l'adhésion de l'Union
européenne à la Convention mais, là encore, ce n'est pas
une question qui relève du mandat que nous a donné le Conseil
européen.
Je vous tiendrai bien entendu informés de l'évolution des travaux
de la Convention. J'ai l'intention de les suivre assidûment, non
seulement parce que le sujet en vaut la peine, mais aussi parce que je trouve
excellent le fait d'associer des parlementaires en amont sur un texte aussi
important. Si cette expérience porte ses fruits, si elle montre
l'utilité de l'association de parlementaires nationaux, de
parlementaires européens et de représentants des chefs d'Etat et
de gouvernement, nous pourrions alors la renouveler dans d'autres domaines. Je
pense en particulier à la justice, conformément à ce
qu'avait proposé Pierre Fauchon il y a deux ans.
2. Communication de M. Daniel Hoeffel sur les débats de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe sur la Charte
Ma
contribution portera sur le débat qui s'est déroulé le 25
janvier dernier au sujet de la Charte des droits fondamentaux de l'Union
européenne dans le cadre de l'Assemblée parlementaire du Conseil
de l'Europe.
Cela fait de nombreuses années que le Conseil de l'Europe se
préoccupe de ses relations avec l'Union européenne.
Il était normal que cette préoccupation porte plus
particulièrement sur l'articulation de la Convention européenne
des droits de l'homme et de la compétence de la Cour européenne
des droits de l'homme avec l'ordre juridique communautaire.
Si vous me le permettez, je voudrais d'abord décrire la situation
actuelle avant de vous rapporter la solution envisagée par
l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe au problème
posé.
I - Le régime des droits de l'homme en Europe
a) La Convention européenne des droits de l'homme
La Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés
fondamentales a été signée en 1950 et
complétée par de nombreux protocoles.
Sa principale originalité est d'être dotée d'un
mécanisme de contrôle supra-national. Il s'agit, depuis le
1
er
novembre 1998, d'une Cour unique et permanente dont les
arrêts sont obligatoires pour les Etats adhérents.
Les quarante et un Etats qui composent le Conseil de l'Europe sont tous
signataires de la Convention et acceptent donc la juridiction de la Cour
européenne des droits de l'homme. Cette Cour est composée d'un
juge par Etat membre, élu par l'Assemblée parlementaire du
Conseil de l'Europe.
L'engagement de souscrire à la Convention est même devenu une
condition d'adhésion au Conseil de l'Europe.
On l'aura compris, les
quinze Etats de l'Union européenne ont
souscrit depuis longtemps la Convention, l'ont incorporée dans leur
droit interne et sont soumis à la juridiction de la Cour de
Strasbourg
.
Une jurisprudence très abondante a d'ailleurs contribué à
inspirer nombre de réformes législatives dans les Etats de
l'Union européenne et la jurisprudence de la Cour est désormais
une référence pour leurs tribunaux, en particulier en France.
b) L'Union européenne et les droits de l'homme
A l'origine, le traité de Rome était essentiellement un mode
d'organisation des relations économiques entre les Etats qui formaient
précisément la Communauté Economique Européenne.
Sans doute, la liberté de circulation des personnes s'apparentait-elle
à la liberté d'aller et venir. De même, certains principes
de non-discrimination, notamment entre hommes et femmes dans l'exercice d'une
activité professionnelle, s'apparentent-ils à des " droits
de l'homme " dans la conception classique.
Ces garanties semblaient cependant comme accessoires aux libertés
économiques.
A partir de l'Acte unique européen, les traités ont fait mention
de la soumission de l'ordre juridique communautaire aux droits de l'homme en
particulier aux principes généraux de valeur constitutionnelle
dans les différents Etats membres, et, explicitement, à la
Convention européenne des droits de l'homme.
Toutefois, cette référence à la Convention reste une
" ardente obligation " de valeur essentiellement morale puisqu'elle
n'est pas située dans le dispositif normatif des traités, mais
dans leur préambule.
Il subsiste donc
un vide juridique dans l'espace de l'Union
européenne
: si toutes les personnes vivant dans cet espace (y
compris celles qui n'ont pas la citoyenneté d'un Etat membre) peuvent se
prévaloir devant la Cour de Strasbourg des garanties de la Convention
européenne des droits de l'homme contre des normes ou décisions
des autorités publiques qui leur font grief, en revanche
les actes et
décisions émanant des organes communautaires ne sont pas soumis,
quant à eux, à un contrôle de légalité au
regard des droits de l'homme
. La Cour de justice de Luxembourg ne peut
qu'examiner la conformité de ces actes aux dispositions des
traités, même si sa jurisprudence, extensive, a pu faire à
plusieurs reprises référence aux droits de l'homme
conformément à la proclamation contenue dans le préambule
des traités européens.
II - L'articulation entre l'ordre juridique communautaire et la Cour
européenne des droits de l'homme
Pour combler ce vide juridique et sur la base de cette référence
dans le préambule des traités européens,
l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe a, à plusieurs
reprises, invité l'Union européenne à formaliser la
soumission de l'ordre juridique communautaire à la Convention
européenne des droits de l'homme au moyen d'une adhésion de
l'Union qui s'ajouterait donc aux adhésions individuelles des quinze
Etats membres.
Cette solution a été longtemps soutenue par le Parlement
européen. Elle l'a été également occasionnellement
par la Commission européenne.
En revanche, elle a fait l'objet d'un avis défavorable de la Cour de
justice des Communautés européennes et ne semble pas avoir
rencontré le soutien des gouvernements des Etats membres. C'est donc une
tout autre orientation qui se dégage avec le projet d'adoption d'une
Charte des droits fondamentaux propre à l'Union européenne.
a) La Résolution adoptée par l'Assemblée
parlementaire du Conseil de l'Europe le 25 janvier 2000
L'Assemblée du Conseil de l'Europe a consacré un débat
à la Charte européenne des droits fondamentaux lors de sa
première session de l'année 2000 il y a un mois. Les
rapporteurs, dont M. Claude Evin, au nom de la commission des Affaires sociales
de cette Assemblée, ainsi que tous les intervenants se sont
prononcés en faveur d'une
incorporation des droits garantis par la
Convention européenne des droits de l'homme dans la future Charte
.
Ils se sont également prononcés pour la modification des
traités européens afin de rendre possible l'adhésion de
l'Union européenne à cette Convention. Je suis moi-même
intervenu en ce sens au nom de mon groupe le Parti populaire européen.
Tel est le sens de la Recommandation 1439 adressée aux gouvernements des
Etats du Conseil de l'Europe, parmi lesquels bien entendu les quinze Etats de
l'Union européenne, tel est également le sens de la
Résolution 1210 adressée à l'Union européenne.
Ces propositions sont d'ailleurs conformes à celles que formulait le
Professeur Simitis dans son rapport à l'adresse de l'Union
européenne en février 1999.
b) L'approche de l'Union européenne
Il se trouve que M. Romano Prodi, président de la Commission
européenne, s'est exprimé le matin même de ce débat
devant l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe.
Je voudrais citer les propos qu'il a tenus devant nous : "
La
question de l'adhésion de la Communauté à cette Convention
reste ouverte, mais sans vouloir en préjuger, il est utile que l'Union
se dote d'une Charte des droits fondamentaux afin de se rapprocher de ses
citoyens. La rédaction de cette Charte offrira une chance unique
d'établir un système cohérent et efficace de
défense des droits de l'homme en Europe.
" Je sais que cette Assemblée est très attentive aux travaux
menés sur la Charte et je me félicite que le Conseil de l'Europe
y soit représenté en tant qu'observateur. Je peux vous assurer
que la Commission est pleinement consciente qu'il faut éviter toute
incohérence entre la Charte et la Convention, ou entre les
jurisprudences des deux Cours européennes.
"
Je pense qu'on est conscient à la Commission européenne comme
dans les gouvernements des Etats membres du difficile exercice dans lequel
s'est engagée l'Union européenne.
Lors du colloque organisé par l'Institut Alain Poher au Sénat le
3 mai 1999 pour marquer le vingt-cinquième anniversaire de la
ratification par la France de la Convention européenne des droits de
l'Homme, Mme Elisabeth Guigou, dans son allocution de clôture, a
déclaré :
" La complémentarité entre
l'Union européenne et le Conseil de l'Europe est
réelle ",
sans plus de précision sur la mise en oeuvre
de cette complémentarité.
Il faut rappeler qu'une ambiguïté court depuis l'origine de la
proposition de doter l'Union européenne d'une déclaration des
droits fondamentaux.
Cette initiative issue originellement du Parlement européen a
été reprise par certains Etats membres, en particulier la
République fédérale d'Allemagne.
Pour beaucoup,
elle se confond avec la revendication de doter l'Union
européenne de la personnalité juridique et d'une Constitution en
bonne et due forme, ainsi que l'établissement d'une pleine
citoyenneté européenne qui ne soit pas limitée à
certaines capacités électorales
.
Dès lors, il s'agit dans l'esprit de beaucoup de constituer une nouvelle
liste de droits individuels dont le mécanisme de contrôle serait
attribué à la Cour de justice des Communautés
européennes, la Cour de Luxembourg.
Pourtant le seul vide juridique actuel est celui du contrôle des actes
communautaires au regard des droits de l'homme puisque toutes les autres normes
applicables aux citoyens des quinze Etats membres et même des
ressortissants extracommunautaires se trouvant sur le territoire d'un de ces
Etats sont d'ores et déjà garantis par la Convention
européenne des droits de l'homme et la Cour de Strasbourg.
Malgré l'assurance, d'ailleurs peu circonstanciée, donnée
par M. Romano Prodi d'"
éviter toute incohérence
entre la Charte et la Convention ou entre les jurisprudences des deux Cours
européennes ",
le risque est donc grand que s'instaure une
divergence entre les deux ordres juridiques.
III - Des solutions nécessairement complexes comportant des risques
à considérer
a) Les risques d'une Europe à deux vitesses
Je voudrais insister sur ces risques de divergences quant aux espaces
respectivement régis, quant à la substance des droits garantis et
enfin, quant aux mécanismes de contrôle.
Le risque d'une Europe à deux vitesses
: à peine dix
ans après la réconciliation du continent européen sur la
base de l'Etat de droit, réconciliation consacrée par la
soumission des quarante et un Etats du Conseil de l'Europe à la
Convention européenne des droits de l'homme et à la Cour de
Strasbourg, on voit poindre le risque d'une nouvelle division. Ce serait un
message particulièrement fâcheux alors même que la
démocratisation et la protection des droits de l'homme dans certains
Etats d'Europe centrale et orientale sont bien loin d'être
parachevées.
Le risque de divergence quant aux droits garantis
: ou bien la
Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne reprend sans aucune
variation la définition des droits garantis par la Convention
européenne des droits de l'homme et, dès lors, on ne comprend pas
bien l'exercice ; ou bien la Charte de l'Union européenne va
au-delà et il ne faut pas sous-estimer le risque de surenchère
menaçant de fragiliser un peu plus l'acceptation des disciplines
collectives et même des repères essentiels du lien social.
Le risque principal tient évidemment à l'institution d'un
double mécanisme de contrôle
au cas où les garanties
énoncées dans la Charte de l'Union européenne
s'appliqueraient non pas seulement aux actes communautaires, mais à
toute norme ou décision visant une personne se trouvant sur le
territoire de l'un des quinze Etats membres ; et au cas où la
Charte des droits fondamentaux serait incorporée dans la partie
normative des traités et donc susceptible de recours juridictionnel
devant la Cour de justice des Communautés européennes.
b) Des mécanismes nécessairement complexes
Le risque est donc très sérieux d'une divergence des droits
garantis et de la jurisprudence des deux Cours, celle de Strasbourg et celle de
Luxembourg.
Certains ont objecté que la solution recommandée par
l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, c'est-à-dire
l'adhésion de l'Union européenne à la Convention
européenne, poserait elle-même des problèmes.
Ainsi, la Cour de justice des Communautés européennes saisie
à l'occasion d'un litige portant sur un acte ou une décision
communautaire d'une question touchant aux droits de l'homme, devrait saisir la
Cour de Strasbourg par voie d'exception préjudicielle afin de faire
trancher la question posée au regard de la Convention européenne
des droits de l'homme. Et ce n'est qu'ensuite que la Cour de Luxembourg
pourrait statuer sur le litige.
Sous ce régime, c'est une Cour européenne des droits de l'homme
composée de quarante et un juges émanant en majorité
d'Etats non-membres de l'Union européenne qui devrait statuer sur un
acte communautaire dont ces juges ignorent à peu près tout. Ce
mécanisme ferait en outre apparaître la Cour de Luxembourg comme
soumise aux avis de la Cour de Strasbourg dans une matière aussi
éminente que les droits de l'homme et les libertés fondamentales.
Ces difficultés expliquent sans doute l'avis négatif de la Cour
de justice de Luxembourg à l'égard d'une adhésion de
l'Union européenne à la Convention européenne des droits
de l'homme, tout autant que l'absence de personnalité juridique de
l'Union.
Sans doute pourrait-on imaginer la constitution de la Cour européenne
des droits de l'homme en une chambre spécialisée dans l'examen
des questions ressortissant à l'ordre juridique communautaire. Ne
siégeraient alors en cette formation que les juges élus au titre
des Etats membres de l'Union européenne.
Sans doute ce mécanisme est-il complexe mais il a le grand mérite
de préserver la cohérence du régime des droits de l'homme
à l'intérieur de l'espace de l'Union européenne et entre
cet espace et le reste du continent européen.
D'ailleurs, l'élaboration d'une Charte de l'Union européenne
autonome ne conduirait pas à un régime moins complexe et
comporterait de toutes façons de très sérieux
inconvénients.
*
La
divergence de la définition des droits entre la future Charte des droits
fondamentaux, ainsi que la divergence des mécanismes de contrôle
et donc des jurisprudences, voire leur concurrence plus ou moins anarchique au
cas où la Charte régirait non seulement les actes communautaires,
mais également les normes et les décisions nationales
n'apporteraient sans doute pas une sécurité supplémentaire
aux citoyens de l'Union. En outre, les inévitables conflits de droits et
conflits de juridiction ne contribueraient pas à la lisibilité et
d'une construction européenne devant laquelle nos concitoyens ne se
perdent déjà que trop.
Sans doute le Parlement européen est-il d'abord animé d'une
volonté d'" affichage politique " comme il l'a
déjà été lors de l'institution d'un Observatoire
des phénomènes racistes et xénophobes de l'Union
européenne, alors même que nos collègues étaient
parfaitement conscients du double emploi avec la commission européenne
contre le racisme et l'intolérance du Conseil de l'Europe.
Notre collègue Pierre Fauchon, dans son intervention au colloque du
3 mai 1999, avait d'ailleurs souligné, s'agissant de
l'adhésion de l'Union européenne à la Convention
européenne des droits de l'homme ou de l'élaboration d'un
catalogue des droits propres à l'Union, que
" la question est
plus politique que juridique "
.
Pour conclure, je crois que nous devons
inviter le Gouvernement
français à éviter toute divergence entre la Convention
européenne des droits de l'homme et la future Charte des droits
fondamentaux dans la définition même des droits. Nous devons
également l'inviter à faire preuve de circonspection à
l'égard d'une incorporation de la Charte dans les Traités
européens qui entraînerait la compétence de la Cour de
justice de Luxembourg et donc une concurrence fâcheuse avec la Cour de
Strasbourg
. Et enfin, il conviendrait de bien préciser que la Charte
ne régit que les actes communautaires et laisse donc entier le
système des droits reconnus à toutes les personnes
présentes sur le territoire communautaire, qu'elles aient ou non la
citoyenneté d'un des Etats membres. Il convient donc de laisser entier
le mécanisme de la protection de ces droits par la Cour de Strasbourg au
moyen, le cas échéant, des recours individuels.
3. Compte rendu sommaire des débats
M. Paul Masson :
Je
souhaiterais poser deux questions.
La première est d'ordre juridique : la Convention a-t-elle la
possibilité d'élargir sa mission par rapport à ce qui a
été prévu à Cologne ? Le mandat donné
alors par le Conseil européen me semble fort clair et j'approuve le
représentant du gouvernement britannique lorsqu'il affirme que la
Convention doit se limiter à l'inventaire des droits existants.
Ma seconde question est d'ordre politique : le gouvernement
français a-t-il une position sur ce point fondamental du mandat de la
Convention, et vous-même, représentant du Sénat, avez-vous
pris contact avec MM. Braibant et Loncle pour recueillir leurs points de
vue et, si besoin est, vous concerter avec eux ?
M. Hubert Haenel :
Personnellement, je pense que la Convention ne peut pas sortir
du
mandat délivré par le Conseil européen. J'ai l'impression
que cette position est aussi celle de M. Herzog et de la majorité des
membres de la Convention. Cela me paraît d'autant plus normal que nous ne
sommes chargés que d'élaborer un projet qui sera soumis au
Conseil européen : que deviendrait un texte qui ne respecterait pas
les lignes tracées par les chefs d'Etat et de gouvernement ?
En ce qui concerne votre seconde question, je souhaite en effet que les
représentants du gouvernement et du Parlement français se fassent
rapidement une religion. C'est d'ailleurs pour cette raison que j'ai voulu
recueillir dès aujourd'hui vos premières impressions. Pour ma
part, j'ai discuté avec M. Braibant et M. Loncle et nous allons
continuer. Nous serons parfaitement éclairés sur la position de
l'exécutif français lorsque M. Braibant aura pu s'entretenir avec
tous les responsables intéressés, c'est-à-dire, outre le
chef de l'Etat et le Premier ministre, avec les membres du gouvernement
concernés.
M. Paul Masson :
Nous devons bien être conscients du fait que, selon le contenu et la portée juridique de la future Charte, nous pourrions être amenés à une nouvelle révision de notre Constitution sur des points essentiels. Il est donc indispensable de prendre toute la mesure des droits qui pourraient figurer dans la Charte. Considérera-t-on, par exemple, les droits des minorités comme des droits fondamentaux ?
M. Lucien Lanier :
La question est posée aussi pour le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes.
M. Hubert Haenel :
Elle se pose pour beaucoup de droits si j'en juge par tous ceux qui ont été évoqués. Ce fut par exemple le cas pour les droits des minorités, bien que ceux-ci ne figurent pas dans la liste de M. Herzog.
M. Pierre Fauchon :
Il est à mon avis indispensable que l'Union européenne se dote d'un système de valeurs sous la forme d'un texte tel qu'une Charte des droits fondamentaux. Il me semble d'ailleurs que le traité d'Amsterdam en a posé le principe : en prévoyant la possibilité de sanctionner un Etat qui ne respecterait pas certaines valeurs essentielles, il postulait l'existence et à terme la définition de ces valeurs. Je précise qu'il serait souhaitable de se demander si, outre des droits fondamentaux, ces valeurs ne comprennent pas aussi des devoirs fondamentaux.
M. Hubert Haenel :
Je crois en effet que la question des devoirs mérite d'être posée. J'ajoute que toutes ces valeurs constitueront, quelle que soit la portée juridique donnée à la Charte, des références pour les pays désireux d'adhérer à l'Union européenne.
Mme Marie-Madeleine Dieulangard :
J'ai
fort apprécié l'exposé limpide de M. Hoeffel. Cela
étant, il semble considérer qu'il suffirait que l'Union
européenne adhère à la Convention européenne des
droits de l'Homme pour se doter d'un texte en la matière applicable
à ses institutions. Or, je crois qu'il pourrait être utile de
concevoir un texte spécifique pour l'Union européenne, ne
serait-ce que, comme l'a dit M. Haenel, pour servir de
référence dans la perspective de l'élargissement. Il y a
en effet des sujets sur lesquels l'Union européenne pourrait aller plus
vite et plus loin que le Conseil de l'Europe. Je pense en particulier à
la bioéthique, à l'environnement ou aux droits économiques
et sociaux. C'est pourquoi je suis favorable à une Charte qui irait
au-delà d'un simple inventaire, à une Charte qui, par son
contenu, constituerait en quelque sorte le texte de l'identité
européenne.
Quant à l'autre problème, celui de la portée juridique, je
crois que la Charte devrait à terme être intégrée
aux Traités.
M. Hubert Haenel :
La Convention va effectivement se pencher sur les droits que vous venez d'évoquer. Il m'a d'ailleurs semblé que la thèse d'une Charte se limitant à récapituler l'existant était minoritaire au sein de la Convention.
Mme Danielle Bidard-Reydet :
Il s'agit d'un sujet complexe, que notre Président a fort bien fait d'inscrire à l'ordre du jour de notre délégation. J'espère que nous aurons d'autres réunions sur cette question car la matière est dense.
M. Hubert Haenel :
Je vous rendrai régulièrement compte de l'évolution des travaux non seulement pour vous en informer, mais aussi pour recueillir votre avis.
Mme Danielle Bidard-Reydet :
Sur le fond, cette Charte est une chance, pour l'Union européenne, d'effacer cette image que l'opinion publique a souvent d'elle, celle d'une Europe du capital. Pour ce faire, le futur texte devrait mettre l'accent sur les droits des citoyens.
M. Lucien Lanier :
En ce qui concerne la mission impartie à la Convention, je donne personnellement raison à Lord Goldsmith. La Convention a un mandat du Conseil européen et elle doit s'y tenir. D'ailleurs, la priorité, c'est bien de recenser l'existant, de le préciser si besoin est, afin de bien identifier ces valeurs essentielles avant, le cas échéant, de discuter des droits que l'on pourrait ajouter et de leur valeur juridique.
M. Paul Masson :
La question est d'une importance telle que le Gouvernement devrait présenter sa position aux assemblées. J'imagine mal que le Parlement n'en débatte pas.
M. Hubert Haenel :
Je comptais justement demander à la Conférence des présidents l'organisation d'un débat en séance publique, si possible au printemps.
M. Simon Sutour :
Avez-vous pris contact avec les parlementaires européens français qui siègent au sein de la Convention ?
M. Hubert Haenel :
Je pense le faire prochainement. Cela étant, il faut bien être conscient du fait que ma situation n'est pas comparable à la leur : je suis, comme tous mes collègues parlementaires nationaux, le représentant d'une assemblée, et peu importe mon groupe politique ; chaque parlementaire européen, pour faire partie de la délégation du Parlement européen, n'en demeure pas moins rattaché à un groupe politique.
B. RÉUNION DU 15 MARS 2000
1. Communication de M. Pierre Fauchon sur la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : Charte des droits - Charte des devoirs
La
méthode d'élaboration de la Charte, où la France est
représentée à l'échelon parlementaire
-Assemblée et Sénat- tout comme à l'échelon
gouvernemental, nous permet de formuler des propositions et de les porter
à la connaissance des autres participants, que ce soit lors des
réunions de la Convention chargée d'élaborer la Charte,
où le Sénat est représenté par le président
Haenel, ou bien sur le site Internet du Conseil de l'Union européenne,
qui contient une page dédiée à ces contributions.
Il me semble qu'une des contributions possibles que nous pourrions apporter
serait de proposer d'inclure dans la Charte non seulement un
énoncé des droits, mais aussi un énoncé des devoirs
des citoyens européens. Je dirai plus loin que, pour ce que je veux
exprimer, le mot " responsabilité " est peut-être
meilleur que le mot de " devoir ". Mais provisoirement, je vais m'en
tenir au terme " devoir " qui été consacré par
l'histoire.
1) Justification de cette proposition
La Charte va, pour l'essentiel, codifier les droits fondamentaux
déjà reconnus. Elle va donc comprendre deux séries de
droits :
-
les droits-libertés
(telle la Déclaration de 1789)
qui énoncent principalement des limitations des pouvoirs des
autorités publiques (leurs pouvoirs doivent être contenus dans
certaines limites, et ne doivent pas pouvoir s'exercer de façon
arbitraire) ;
-
les droits-créances à contenu social
, qui
créent des obligations pour la société. Or cette
deuxième catégorie de droits -qui a tendance à
s'étendre (par exemple, le droit au logement)- implique, plus clairement
encore que la première, des devoirs pour les citoyens.
Cette relation droits/devoirs est au coeur des sociétés modernes,
qui reposent -à l'opposé des sociétés
traditionnelles fondées sur des hiérarchies permanentes- sur un
contrat implicite entre égaux, donc sur la réciprocité.
L'idée même de " contrat social " suggère que les
droits des citoyens impliquent des devoirs pour les mêmes citoyens.
2) Quelques références
Pour des raisons historiques, l'accent a été mis jusqu'à
présent sur les droits plus que sur les devoirs, mais ceux-ci ne sont
pas absents des déclarations successives :
- la Déclaration de 1789 précise dans son préambule
que, si une déclaration est nécessaire, c'est que pour que
" cette déclaration, constamment présente à tous
les membres du corps social, leur rappelle sans cesse leurs droits et leurs
devoirs "
. Le contenu même de la Déclaration de 1789 fait
place à la notion de devoir. Par exemple,
" la liberté
consiste à faire tout ce qui ne nuit pas à autrui "
(article 4) : la garantie de la liberté individuelle est donc
associée au devoir de respecter la liberté d'autrui. Je rappelle
que l'abbé Grégoire avait proposé que la
Déclaration de 1789 contienne un énoncé des devoirs. Sa
proposition n'avait pas obtenu la majorité, mais une minorité
substantielle l'avait soutenue.
- la Déclaration du 5 fructidor an III (1795,
régime du Directoire) contient une déclaration des devoirs
complétant la déclaration des droits.
(Article premier :
" La déclaration des droits
contient les obligations des législateurs : le maintien de la
société demande que ceux qui la composent connaissent et
remplissent également leurs devoirs "
).
- la Constitution de 1848 fait place également, dans son
préambule, à la notion de devoir. (Article 6 :
" Des
devoirs réciproques obligent les citoyens envers la République,
et la République envers les citoyens "
. Article 7 :
" Les citoyens doivent (...) participer aux charges de l'Etat en
proportion de leur fortune ; ils doivent s'assurer, par le travail, des
moyens d'existence, et, par la prévoyance, des ressources pour
l'avenir ; ils doivent concourir au bien-être commun en s'entraidant
fraternellement les uns les autres, et à l'ordre général
en observant les lois morales et les lois écrites qui régissent
la société, la famille et l'individu
").
- plus près de nous, le préambule de la Constitution de 1946
reprend, en des termes plus sobres, un aspect des devoirs mentionné dans
la Constitution de 1848 : en effet, ce préambule, toujours en
vigueur (puisque le préambule de la Constitution de 1958 y fait
référence) précise que
" chacun a le devoir de
travailler "
.
- la Déclaration universelle des droits de l'homme (ONU)
proclamée en 1948 fait également place à la notion de
devoir (article premier : les êtres humains
" doivent agir
les uns envers les autres dans un esprit de fraternité "
;
article 29 :
" L'individu a des devoirs envers la
Communauté "
; il doit satisfaire aux exigences
" de la morale, de l'ordre public et du bien-être
général "
).
- quelques constitutions européennes peuvent enfin être
citées : celle de la République de Weimar (1919), la
Constitution actuelle de l'Espagne (1978), la Constitution actuelle de la
Pologne (1997), intègrent des déclarations des droits et des
devoirs.
A ceux qui trouveraient un parfum " réactionnaire " à
l'idée d'un énoncé des devoirs, on peut citer le
troisième couplet de l'Internationale : " Pas de droits sans
devoirs (...), pas de devoirs sans droits ".
3) Quel contenu donner à une déclaration
européenne des devoirs ?
Je songe aux thèmes suivants :
-
les devoirs civiques
: voter, participer à la vie
politique, s'informer, participer équitablement à
l'impôt ;
-
les devoirs économiques
: travailler, participer
à la création de richesses (ces devoirs sont une contrepartie
nécessaire des droits sociaux, cf. Tony Blair) ;
-
les devoirs socio-culturels
: participer à la vie
associative et culturelle notamment dans l'optique de la dimension
européenne ;
-
les devoirs vis-à-vis de l'environnement
(devoirs
vis-à-vis des générations futures) ;
-
les devoirs envers autrui
(tolérance, non abus de la
liberté, entraide, devoirs envers les enfants et les personnes
âgées).
4) Quelle opportunité ?
On peut certes discuter de l'opportunité d'un énoncé des
devoirs. Les droits sont plus à la mode que les devoirs. Ne risque-t-on
pas de " ringardiser " la déclaration européenne en y
intégrant des devoirs ? Mais on peut penser aussi qu'une
déclaration solennelle, faite pour durer, n'a pas nécessairement
à se plier à l'individualisme ambiant.
Deux arguments d'opportunité me paraissent pouvoir être
avancés en faveur d'une déclaration des devoirs :
-
la Charte européenne répond moins à un besoin
juridique qu'à un souci politique
. C'est un aspect de l'affirmation
politique de l'Europe, un signal adressé aux citoyens et aux Etats
membres (actuels et potentiels). Or un message rédigé seulement
en termes de droits est-il un bon signal ? Par cette Charte, nous allons
en quelque sorte exprimer la philosophie de la construction européenne.
Est-ce que nous en donnons une présentation juste et honnête, en
mentionnant seulement des droits et pas de devoirs ?
- Surtout, nous devons considérer
la spécificité
de la Charte européenne
. Les diverses déclarations des droits
dans les pays européens, et d'abord en France, ont surtout mis l'accent
sur les droits parce qu'il s'agissait de les conquérir sur des
régimes autoritaires, dont les pouvoirs n'étaient pas
limités. L'Union européenne est dans une situation très
différente. Elle n'est pas un empire. Elle repose sur une volonté
commune de dépasser les affrontements et les haines entre les peuples
européens ; elle est fondée sur la recherche d'une union
toujours plus étroite entre les peuples, et non pas sur la
volonté de limiter l'arbitraire d'un pouvoir préexistant ;
elle est donc une construction, un véritable " contrat
social " auquel participent des peuples d'une grande diversité,
dont l'association doit être sans cesse consolidée et
cimentée. Il me paraît donc particulièrement
justifié, dans ce cas, d'insister sur la solidarité et la
réciprocité, donc sur les devoirs. Je crois en outre que l'on
pourrait corriger la connotation négative du terme de
" devoir " en lui substituant la notion et le terme de
" responsabilité ", qui a le mérite d'introduire une
réflexion plus large et plus actuelle.
2. Compte rendu sommaire des débats
M. Emmanuel Hamel :
J'approuve l'idée que la Charte doit contenir à la fois des droits et des devoirs, notamment pour mettre l'accent sur l'exigence de solidarité. Mais le statut de cette Charte m'inquiète : elle ne doit pas doter Bruxelles de nouveaux pouvoirs de sanction.
M. Yann Gaillard :
J'approuve la position de Pierre Fauchon. Il est dans le rôle du Sénat de savoir prendre du recul pour poser ce type de question. J'ai été particulièrement intéressé par l'accent mis sur la notion de contrat social. C'est une notion que la philosophie anglo-saxonne contemporaine a réhabilité depuis John Rawls. Nous devons nous en inspirer.
Mme Danièle Pourtaud :
Je reconnais que la conscience de la citoyenneté pose aujourd'hui problème. Mais je reste réservée sur l'idée d'une déclaration des devoirs. Si, dans un texte censé favoriser l'adhésion à l'idée européenne, on mentionne par exemple le " devoir de travailler ", comment les chômeurs le ressentiront-ils ? De plus, des notions comme la solidarité, la fraternité, n'ont pas le même sens selon les sociétés ; en réalité, nous les comprenons en référence à notre propre histoire, notre propre culture. Sur les droits fondamentaux, il est plus facile d'être d'accord. Enfin, j'observe que vous n'avez pas mentionné l'impératif d'égalité hommes/femmes.
Mme Marie-Madeleine Dieulangard :
Il est vrai que nous sommes dans une société où l'on a tendance à revendiquer des droits et à oublier ses propres responsabilités. Mais en mettant l'accent sur ce point, est-ce que l'on ne change pas l'objet de la Charte ? Est-ce que ce type de problème entre dans la mission définie par le Conseil européen de Cologne ? Va-t-on changer le titre même de la Charte ?
M. Jacques Oudin :
Ce
débat a une dimension sociologique. Les dix commandements
n'énonçaient que des devoirs. La déclaration de 1789 n'a
énoncé que des droits. Nous devons songer au contexte social de
1789, avec des privilèges pour une partie de la société et
des charges pour l'autre : cela explique la tonalité de la
déclaration. Aujourd'hui, les droits ont pris toute leur place, et il
n'y a plus de morale religieuse pour encadrer la société. Je
crois donc utile de mentionner les devoirs fondamentaux, y compris le devoir de
travailler. Celui-ci figure déjà dans notre droit, par le biais
du préambule de la Constitution. La contrepartie de l'aide, de la
prestation, doit effectivement être la recherche d'un travail ou d'une
formation en vue d'un travail. Les responsabilités à
l'égard de l'environnement doivent également être
mentionnées, c'est fondamental.
Sur le statut de la Charte, je rejoins la question d'Emmanuel Hamel :
comment sera-t-elle appliquée, par qui, sous quelle forme ?
M. Hubert Haenel :
On ne peut savoir aujourd'hui ce que sera la Charte, quel sera son statut, si ce sera un texte resserré ou développé. Rien n'est tranché. Nous pouvons précisément faire des propositions.
M. Marcel Deneux :
Il est utile de rappeler qu'invoquer des créances sur la société suppose d'accepter des responsabilités, même si cela paraît " ringard ". Je souhaite que la Convention soit saisie des suggestions de Pierre Fauchon.
M. James Bordas :
Je regrette que l'articulation entre la future Charte et les activités du Conseil de l'Europe en matière de droits de l'homme reste obscure. Une Charte propre à l'Union européenne est-elle vraiment indispensable ? Ne faudrait-il pas plutôt s'appuyer sur le Conseil de l'Europe ?
M. Denis Badré :
Bien
sûr, il faudrait davantage préciser le contenu d'une
déclaration des responsabilités ou des devoirs, mais Pierre
Fauchon nous propose surtout une position de principe, et je le suis volontiers
sur ce terrain. C'est tout le problème du civisme, de l'éducation
à la citoyenneté. Je crois que les jeunes peuvent être
intéressés par cette idée, et qu'il serait bon de faire
réfléchir des jeunes élèves sur ce sujet, pour voir
quels contenus se dégagent.
Les valeurs de la construction européenne -c'est un résultat de
l'histoire, quelles que soient les croyances de chacun- découlent de la
tradition judéo-chrétienne. L'homme reçoit une
responsabilité, il a le monde à façonner. Pour ce qui est
du devoir de travailler, ou de contribuer à la société, il
faudrait peut-être s'inspirer de la formule de l'article 215 du Code
civil pour la participation des époux aux charges du ménage, et
dire que chacun a le devoir de contribuer à proportion de ses
facultés. Un handicapé mental profond peut être utile
à la société, lorsqu'un lien s'établit entre lui et
une autre personne. La contribution à la société peut
prendre bien d'autres formes que le travail rémunéré.
L'idée directrice à retenir, me semble-t-il, c'est que chaque
Européen doit se sentir comptable d'un espace social à rendre
plus humain.
M. Lucien Lanier :
La France va prendre la présidence de l'Union, et elle reste le pays des droits de l'homme, même si notre déclaration a vieilli. Nous sommes fondés à vouloir apporter une contribution, qui doit être un rappel à la raison dans un domaine où règne souvent la logorrhée. On a dit à juste titre que l'éthique européenne avait, historiquement, un fondement judéo-chrétien.
M. Hubert Haenel :
Judéo-gréco-chrétien !
M. Lucien Lanier :
Il faut effectivement dégager les valeurs fondamentales de l'Europe, notamment dans l'optique de l'élargissement, qui ne doit pas conduire à ébranler cet héritage.
M. Pierre Fauchon :
J'admets
volontiers qu'il serait difficile de rédiger une bonne
déclaration des responsabilités. Mais en 1789, on a su aller
vite, ou plutôt on a su s'arrêter, en estimant que le texte auquel
on était parvenu, même imparfait, permettrait de faire passer le
message voulu. J'approuve, bien sûr, l'inclusion du principe de
l'égalité hommes/femmes dans la Charte. Pour ce qui est du devoir
de travailler, je songe à une formulation plus actuelle et plus large,
comme le devoir de contribuer à la croissance, au développement
de la société, mais, en tout cas, il me paraît
nécessaire d'affirmer cette responsabilité en lien avec
l'énoncé des droits-créances.
L'idée d'une déclaration des responsabilités nous
éloigne-t-elle de l'objet de la Charte ? Je ne le crois pas.
Celle-ci a pour but de dégager et de réaffirmer les valeurs
fondamentales de la construction européennes en énonçant
des droits de base ; mais en soulignant que ces droits sont
inséparables de certaines responsabilités, on ne revient en rien
sur les droits : on donne plutôt un éclairage
complémentaire sur leur signification. Les précédentes
déclarations émanaient de sociétés qui
s'émancipaient ; nous sommes désormais entrés dans un
âge contractuel. Encore une fois, je mets à part -et, au-dessus-
les libertés fondamentales : énoncer des
responsabilités ne peut être un moyen de les restreindre en quoi
que ce soit. Mais les droits comme le droit à la santé, au
logement, à l'air et à l'eau pure, ne peuvent être
proclamés sans souligner les responsabilités qui s'imposent en
contrepartie. Je suis d'accord avec Denis Badré pour vouloir
préciser ces responsabilités dans un esprit d'humanisme, et pour
estimer qu'un dialogue avec des jeunes sur ce sujet pourrait être utile.
Le fait que la France soit appelée à exercer bientôt la
présidence aidera-t-il à ce que nos idées soient prises en
considération ? Je l'espère. Mais je crois surtout utile
d'envoyer à la Convention une contribution, et, selon l'accueil qu'elle
recevra, nous verrons s'il faut aller plus loin et sous quelle forme.
M. Hubert Haenel :
C'est bien dans cet esprit que j'envisage de transmettre votre texte à la Convention.
Mme Danièle Pourtaud :
Je suis d'accord pour que ce texte soit présenté comme contribution à la réflexion, mais je souhaite qu'il soit signalé qu'il n'y a pas consensus sur le détail des propositions.
M. Pierre Fauchon :
Enfin, en réponse à James Bordas, je reconnaîtrai que des voix fort autorisées ont exprimé des doutes sur l'utilité de la future Charte, le Conseil de l'Europe leur paraissant le cadre adapté pour la protection des droits. Mais, maintenant, la Convention est lancée, et nous ne pouvons nous tenir à l'écart. Mieux vaut participer en essayant d'avoir une influence sur le résultat.
II. QUESTION ORALE AVEC DEBAT DU 11 MAI 2000
A. INTERVENTION DE M. HUBERT HAENEL
Le
débat qui nous réunit aujourd'hui porte sur un sujet dont le seul
intitulé permet de mesurer toute l'importance : " Les droits
fondamentaux de l'Union européenne ".
Il s'agit ni plus ni moins de recenser et de proclamer, au niveau de l'Union,
ces droits et libertés que les Etats membres considèrent comme
inhérents à la personne humaine et placent, à ce titre, au
sommet de leur hiérarchie des valeurs.
On ne saurait imaginer que les parlements ne soient pas associés
à ce programme ambitieux qui touche directement aux libertés
publiques. Le Conseil européen l'a d'ailleurs admis, lui qui, à
Cologne, en juin dernier, a confié le soin d'élaborer un projet
de charte des droits fondamentaux de l'Union européenne à une
enceinte composée de représentants des chefs d'Etat et de
gouvernement et du président de la Commission europénne, mais
aussi de membres du Parlement européen et des parlements nationaux,
à raison de deux par Etat.
A Tampere, en octobre 1999, le Conseil européen a décidé
que cet organe comporterait soixante-deux membres et autant de
suppléants : quinze représentants des chefs d'Etat et de
gouvernement, le représentant du président de la Commission,
seize parlementaires européens et trente parlementaires nationaux.
Cette enceinte, qui a pris le nom de convention a élu à sa
présidence, à l'unanimité, M. Roman Herzog, ancien
président de la République fédérale d'Allemagne.
Elle tient plusieurs réunions par mois, formelles ou informelles, et
compte achever ses travaux suffisamment tôt pour que son projet soit
soumis au Conseil européen sous présidence française et
peut-être examiné de façon informelle en juin à
l'occasion du Conseil de Feira.
Je dis bien " son projet ", car le rôle de la convention ne consiste pas,
comme on le dit parfois abusivement, à élaborer une charte des
droits fondamentaux, mais, plus modestement, à élaborer un texte
dont le destin dépendra du seul Conseil européen. A cet
égard, peut-être pourriez-vous nous éclairer, monsieur le
ministre, sur la manière dont vous voyez
l'intervention
ultérieure du Conseil européen : pourra-t-il amender le projet de
la convention et, dans l'affirmative, comment ?
Quoi qu'il en soit, il est nécessaire -c'est ce que j'ai voulu en posant
cette question orale avec débat sur un sujet européen- que notre
assemblée recueille le sentiment de l'exécutif, mais aussi que
chacun d'entre nous puisse s'exprimer sur ce dossier qui soulève de
multiples interrogations, tant juridiques que politiques.
1. Pourquoi une Charte des droits fondamentaux ?
Parmi
ces interrogations
, la première qui vient à l'esprit porte
sur
le principe même d'une charte des droits fondamentaux
.
Pour quoi faire, disaient certains, puisqu'
il suffirait à l'Union
européenne d'adhérer à la convention européenne des
droits de l'homme
pour se doter d'un texte assurant une garantie efficace
des droits fondamentaux face aux institutions européennes ?
Cette thèse est peut être défendable sur le plan juridique
; mais je crois que la question de la raison d'être d'une charte des
droits fondamentaux dépasse largement le strict champ du droit.
Il s'agit, à mon sens, d'
adresser un message clair aux citoyens sur
ce que fait et sur ce qu'est l'Europe
. Les relations entre l'Union et les
citoyens sont en effet marquées d'un paradoxe qu'il convient d'effacer :
d'une part, les citoyens se déclarent à une large majorité
favorables à la construction européenne ; mais, d'autre part,
lorsqu'ils parlent de Bruxelles, c'est souvent pour dénoncer la
frénésie réglementaire de technocrates, ou d'eurocrates,
faisant fi de leurs aspirations.
On passe trop souvent sous silence tous les apports de l'Europe pour la
placer au sein de controverses
: on dénonce
l'Europe qui
décide trop
, sur le chocolat, la chasse, le fromage au lait cru ;
parfois, on dénonce aussi
l'Europe qui ne décide pas
assez
, par exemple à propos de la prévention des
marées noires ou de la justice.
Et lorsque l'on reconnaît les succès de la construction
européenne, des politiques communes à l'euro, en passant par la
réalisation du marché intérieur, c'est souvent pour y voir
le signe que l'Europe est faite pour les banquiers et les industriels plus que
pour les citoyens.
Elle reste, aux yeux de beaucoup, synonyme de
marché commun.
Il en résulte un sentiment d'incompréhension, de frustration et
parfois de révolte, que nous devons effacer en montrant aux citoyens
qu'ils sont au coeur de la construction européenne et que, ce qui unit
les Etats, et, par-delà les Etats, les peuples, ce n'est pas seulement
une interdépendance économique quasi indissoluble, c'est aussi,
et surtout,
une véritable communauté d'idées et de
valeurs
. L'Europe n'est pas un simple marché, nous devons sans cesse
le rappeler, c'est une Communauté.
A cet égard, l'adoption d'une charte des droits fondamentaux
représenterait un message fort, car seraient proclamés, au niveau
de l'Union, ces droits et libertés que chaque Etat membre
considère comme inhérents à la personne humaine et place,
à ce titre, au sommet de sa hiérarchie des valeurs.
Parce qu'elle rappellerait les principes qui constituent le fondement de
l'identité européenne, cette charte serait, en quelque sorte, un
ciment pour les peuples, une référence pour les institutions et
aussi, ne l'oublions pas, un modèle pour tous les pays candidats, qui
devraient pleinement adhérer à ce socle de valeurs communes aux
Etats membres et pas seulement manifester la volonté d'entrer dans un
marché ou de bénéficier d'aides.
Voilà pourquoi
je fais partie de ceux qui sont partisans de cette
Charte
. Voilà pourquoi je considère que le débat sur
sa raison d'être dépasse largement le cadre juridique. Il a une
véritable dimension politique, et je crois que c'est ce que le Conseil
européen a voulu montrer en confiant le travail préparatoire
à un organe composé aux trois quarts de parlementaires, nationaux
ou européens.
L'adhésion de l'Union européenne à la convention
européenne des droits de l'homme est demandée par nos
collègues du Parlement européen, comme ils réclament
l'adoption d'une charte des droits fondamentaux.
Monsieur le ministre, lorsque vous êtes venu devant la
délégation du Sénat pour l'Union européenne,
voilà quelques semaines, vous nous avez dit que le Gouvernement ne
souhaitait pas l'adhésion de l'Union à la convention. Nous
serions heureux, tous autant que nous sommes, que vous précisiez les
raisons qui amènent le Gouvernement à s'opposer à cette
adhésion.
Quant aux autres interrogations, je les regrouperai en deux
catégories : certaines concernent le contenu de la future charte,
d'autres, sa portée.
2. Le contenu de la Charte
En ce
qui concerne la contenu de la charte
, la question se pose de savoir s'il
convient -et, si oui, dans quelle mesure- d'aller au-delà de la reprise
pure et simple de droits d'ores et déjà consacrés dans
d'autres textes ou par la jurisprudence.
Sur ce point, deux conceptions se sont fait jour au sein de la convention.
Pour certains, la charte devrait simplement reprendre et, le cas
échéant, préciser l'existant.
Les tenants de cette thèse, défendue notamment par le
représentant du gouvernement britannique, Lord Goldsmith, s'appuient sur
les conclusions du Conseil européen de Cologne, qui réclamaient
le recensement " des droits fondamentaux en vigueur au niveau de l'Union ... de
manière à leur donner une plus grande visibilité. " Dans
cette optique, la convention serait donc appelée en quelque sorte
à codifier des droits reconnus par la convention européenne des
droits de l'homme, la charte sociale européenne, la charte communautaire
des droits sociaux fondamentaux des travailleurs, les traditions
constitutionnelles communes des Etats membres ou la jurisprudence de la Cour de
justice de Luxembourg.
A l'opposé de cette thèse, d'autres membres de la convention
semblent souhaiter aller au-delà de cette simple codification.
Ceux-là peuvent tirer argument de la composition même de la
convention, que le Conseil européen a voulu politique et qui comprend,
en effet, à commencer par M. Roman Herzog, des personnes qui ont
exercé d'importantes fonctions dans leur pays.
Monsieur le ministre, pourriez-vous nous dire
quelle est, de ces deux
conceptions, celle du Gouvernement français ?
Peut-être pourriez-vous également nous dire, si votre religion est
faite, ce que, selon vous, doit être la charte et ce qu'elle ne doit pas
être. Doit-elle se prononcer sur ces questions qui posent
déjà tant de difficultés au niveau national, comme celle
des minorités ou celle de la laïcité ?
Par ailleurs, il me semble indispensable que la charte mentionne, sous une
forme ou une autre, que tous les droits fondamentaux impliquent des devoirs et
des responsabilités. Je suppose que notre éminent collègue
Pierre Fauchon reviendra sur ce point. A la suite de sa très
intéressante communication devant la délégation pour
l'Union européenne, j'ai déposé une contribution en ce
sens au sein de la convention. Je serais donc heureux de savoir, monsieur le
ministre, si le Gouvernement appuie cette contribution et si vous souhaitez que
le représentant de l'exécutif français à la
convention, M. Guy Braibant, qui est resté jusqu'ici assez "
taisant " sur ce sujet, la soutienne. Pour ma part, je ne pourrais donner mon
aval à un texte qui ne comprendrait pas une disposition sur les devoirs
et les responsabilités.
Enfin,
la charte ne doit-elle reprendre que des droits justiciables ou
peut-elle également inclure des droits affirmant des objectifs et
appelant des actions de l'Union européenne ?
3. La portée de la Charte
Avec ces
questions, j'aborde déjà la seconde catégorie
d'interrogations, celles qui concernent
la portée de la charte
.
Au sein de la convention, une opposition est apparue entre, d'une part,
les
tenants d'un texte contraignant
et, d'autre part, ceux qui souhaitent
un
catalogue de droits qui constituerait, certes, une référence
,
mais n'aurait pas en lui-même -en tout cas pas tout de suite- un
caractère contraignant.
Sur ce point, les conclusions du Conseil européen de Cologne n'apportent
guère de lumière, puisqu'elles se contentent d'indiquer que,
après la proclamation solennelle, " il faudra examiner si et, le cas
échéant, de quelle manière la charte pourrait être
intégrée dans les traités. "
Il appartient donc au Conseil européen de dire s'il souhaite que la
charte soit ou non revêtue d'un caractère contraignant, et rien ne
nous permet aujourd'hui de préjuger sa décision. Il serait
pourtant utile de savoir quelle est son intention, car la portée d'un
texte n'est pas sans influence sur son contenu. Peut-être pouvez-vous
nous éclairer sur ce point, monsieur le ministre, en nous disant quelle
position la France, par la voix du Président de la République,
entend défendre au Conseil européen.
Bien entendu, dans l'hypothèse où la charte aurait un
caractère contraignant, se poserait inéluctablement la question
de son articulation avec la convention européenne des droits de l'homme.
Je précise que
nos collègues du Parlement européen se
sont prononcés sur la portée de la future charte dans des termes
qui ne laissent aucune place à l'équivoque
.
Considérant " qu'une charte des droits fondamentaux qui ne constituerait
qu'une déclaration non contraignante... décevrait les attentes
légitimes des citoyens " et que " la charte des droits fondamentaux doit
être conçue comme l'élément essentiel du processus
nécessaire pour doter l'Union européenne d'une constitution ", le
Parlement européen demande notamment que la charte soit dotée
pleinement d'un caractère juridique contraignant par le biais de son
incorporation au traité, que tout amendement à ce texte soit
soumis à l'avis conforme du Parlement européen et que la charte
contienne une clause exigeant l'assentiment du Parlement européen pour
toute restriction sur les droits fondamentaux, en toute circonstance et sans
aucune exception.
Je souhaite savoir, monsieur le ministre,
comment le Gouvernement
français accueille ces " revendications " et, d'une manière
générale, la résolution du Parlement européen dans
son ensemble.
4. Le domaine d'application de la Charte
Enfin,
un dernier point suscite beaucoup d'interrogations et sans doute aussi beaucoup
d'incompréhension. Il porte sur
le domaine d'application de la
Charte
. Il va de soi qu'il s'agirait là d'un point essentiel si la
charte devait devenir un peu contraignante.
Certains aspects paraissent clairs. C'est ainsi qu'il semble admis par tous
qu'un acte pris par un Etat membre dans un domaine où l'Union n'a pas de
compétence ne sera pas soumis au respect de la charte.
Parallèlement, il va de soi qu'un acte de l'Union, qu'il émane de
la Commission ou du Conseil, qu'il soit ou non adopté selon la
procédure de codécision, sera soumis au respect de la charte.
Mais il y a toute la zone grise qui se trouve entre ces deux extrêmes. Il
y a tout le domaine pour lequel les Etats membres prennent des actes normatifs
ou des décisions qui découlent, directement ou indirectement, du
droit communautaire.
Ces actes et ces décisions seront-ils tenus de respecter la charte ? Et,
dans le cas où la charte serait contraignante, un recours sera-t-il
possible devant la Cour de justice à leur sujet ? Si tel est le cas, ne
risque-t-on pas des conflits de jurisprudence ? Et ne risque-t-on pas de
laisser à la seule discrétion de la Cour de justice un vaste
champ de compétences, au détriment du principe de
subsidiarité ?
Je serais heureux, monsieur le ministre, de connaître l'opinion du
Gouvernement sur ce point essentiel. Car vous le savez, ce n'est pas du ressort
de la seule convention ; cela dépendra en réalité, au
premier chef, des décisions que sera appelé à prendre le
Conseil européen. Ai-je besoin de souligner qu'il serait souhaitable,
sur un point aussi important, que le Conseil européen prenne alors sa
décision en toute clarté, en refusant toute ambiguïté
et toute obscurité ?
5. L'originalité de la méthode d'élaboration de la Charte
J'en ai
terminé avec les principales interrogations que soulève, à
mes yeux, l'élaboration d'une charte des droits fondamentaux.
Je ne saurais cependant achever mon propos sans revenir, pour m'en
féliciter, sur l'originalité de la méthode retenue par
le Conseil européen.
Je tiens en effet à saluer le double équilibre trouvé par
celui-ci : équilibre, d'une part, entre représentants des
gouvernements et de la Commission et représentants des parlements, qui
fait la part belle à ces derniers, ce qui semble tout à fait
normal pour un texte avant tout politique ; équilibre, d'autre part,
entre le pouvoir législatif au niveau des Etats -parlementaires
nationaux- et le pouvoir législatif au niveau de l'Union,
c'est-à-dire Conseil et Parlement européens.
Je crois que cette convention peut être un bon laboratoire pour une
expérience qui, si elle se révélait concluante,
mériterait de servir pour d'autres grands sujets éminemment
politiques, soumis in fine à ratification ; je pense par exemple
à la justice.
Il nous faut, en effet, réfléchir aux
moyens qui permettraient de réinsérer de manière plus
précise et plus étroite les parlementaires nationaux dans
l'élaboration des grands textes de l'Union
. Pour
l'élaboration de la plupart des normes communautaires, le
mécanisme de l'article 88-4 de la Constitution permet une assez bonne
association des députés et des sénateurs. Mais, pour des
textes plus sensibles, tels que ceux qui seraient susceptibles de toucher aux
libertés publiques -et là je pense à l'espace judiciaire
européen-, une implication plus forte des parlementaires nationaux est
sans doute nécessaire. A la fois parce qu'ils ont une compétence
certaine dans des matières de ce genre, en raison de leur
expérience de législateur national, et parce qu'ils incarnent une
légitimité très forte aux yeux des citoyens des
différents Etats membres de l'Union,
les parlementaires nationaux ont
alors une vocation naturelle à intervenir de manière plus directe
que par le seul dialogue avec leur gouvernement
, comme ce fut trop souvent
le cas dans le passé. Est-ce bien la position du Gouvernement, monsieur
le ministre ?
6. Conclusion
Pour
conclure, ne perdons pas de vue que cette charte a été voulue
essentiellement par l'Allemagne pour résoudre des problèmes
constitutionnels qui lui sont propres.
Or il apparaît clairement, à l'occasion des débats au sein
de la convention, que les intérêts sont souvent divergents entre
les différents participants et les différentes
sensibilités. Entre les pays du Nord et ceux du Sud, entre la culture
latine et la culture anglo-saxonne, le consensus est loin d'être atteint.
Nous aurons encore l'occasion de le constater dans quelques semaines à
Lisbonne, lors de la réunion de la conférence des organes
spécialisés dans les affaires communautaires, puisque la charte
figure à l'ordre du jour de la XXIIe COSAC.
C'est normalement sous présidence française que le projet de
charte devrait être adopté. Notre responsabilité ne sera
pas mince, tant sur le contenu de la charte que sur la nature juridique de
celle-ci.
La charte devrait contribuer à répondre à quelques-unes
des grandes questions existentielles de la construction européenne. Il
est temps, en effet, que les Européens se posent ensemble des questions
fondamentales telles que : qui sommes-nous ? D'où venons-nous ?
Où allons-nous ? L'occasion nous en est donnée.
L'élaboration de la charte devrait nous aider à donner à
l'Europe les dimensions sociale, intellectuelle, culturelle et spirituelle ou
morale qui lui font trop souvent défaut. Mais cet exercice ne nous
épargnera pas de traiter avec tout le discernement nécessaire des
questions plus fondamentales encore : quelle Europe pour demain ? Pourquoi
? Pour qui ? Et quelle configuration pour cette Europe ? Faut-il une
avant-garde ou une Europe à géométrie variable ? Les
coopérations forcées, une fois rénovées,
suffiront-elles à répondre à cette question ? La charte
n'y suffira pas.
Cinquante ans après la convention européenne des droits de
l'homme, cinquante ans après la déclaration de Robert Schuman qui
a ouvert la voie vers l'Union européenne, il est temps de
réfléchir à ces questions essentielles.
Si l'exercice réussit, nous aurons montré la solidité et
la consistance du ciment européen et nous aurons affirmé nos
valeurs fondatrices au grand jour pour ceux qui vont nous rejoindre dans les
années qui viennent.
Si l'exercice ne réussit pas, ce sera un révélateur : cela
fera apparaître que la construction engagée il y a cinquante ans
est aujourd'hui à bout de souffle et qu'il est temps de repartir sur de
nouvelles bases.
En tout état de cause, je suis persuadé qu'il serait
préférable de renoncer à la charte plutôt que
d'adopter un texte décevant, qui apparaîtrait, au mieux, comme une
sorte d'ersatz de la Convention européenne des droits de l'homme.
B. INTERVENTION DE M. PIERRE FAUCHON
Je ne surprendrai sans doute pas en disant que je partage les interrogations de notre collègue Haenel. Il est permis de se demander si les dirigeants de l'Europe avaient une vue claire et commune de l'objectif à atteindre quand ils ont décidé, à Cologne, d'ouvrir au sein de l'Union une réflexion sur les droits fondamentaux des citoyens de cette Union, réflexion, disons-le immédiatement, qui n'a de sens que si elle dégage des principes, des exigences nouvelles, marquant une différence et un progrès par rapport aux texte nationaux ou internationaux existants, spécialement la Convention européenne des droits de l'homme. C'est un thème qui sera traité tout à l'heure, avec l'autorité qui lui est particulière, par notre excellent collègue M. Hoeffel.
1. La notion de droits fondamentaux
Il est
douteux en tout cas que l'on puisse attendre une telle innovation dans le
domaine classique des droits fondamentaux, domaine déjà
exploré en tous sens depuis la fin du XVIIIe siècle dans les
grands textes qui, face aux pouvoirs établis et alors quasiment
tout-puissants, ont affirmé la liberté, l'éminente et
imprescriptible dignité de l'homme, avec les garanties essentielles que
nous connaissons.
Dans ce domaine, le problème est bien moins dans la proclamation que
dans la vigilance face à des menaces qui peuvent prendre des formes
nouvelles et sans cesse renaissantes, tant sont diverses et insidieuses les
voies et moyens de l'esprit de domination et d'intolérance.
En revanche, la notion de droits fondamentaux s'étend, pour nos
consciences modernes, à ce qu'il est convenu d'appeler les droits
économiques et sociaux, tels que les droits au logement, au travail,
à l'enseignement, à la santé et d'autres, qui sont des
droits relatifs dans la mesure où ils procèdent non de la
dignité de l'homme perçue comme valeur universelle, mais de la
relation particulière de ce dernier avec le corps social
déterminé auquel il appartient, c'est-à-dire, au sens
propre du terme, que ces droits explicitent certains aspects du contrat social
particulier à ce corps.
La notion de " droit " prend ici la forme plus active d'une notion de
créance sur la société. Voilà un domaine qui ne
peut être traité au fond que dans un cadre juridique
cohérent, doté de pouvoirs publics capables de faire droit
à de telles créances d'une manière concrète et
réelle. Cela nous ramène à la raison d'être d'une
déclaration intéressant les citoyens de l'Union
européenne, celle-ci disposant d'une telle structure contraignante.
Il n'est donc pas anormal -cela pourrait même être très
significatif, M. Haenel le signalait tout à l'heure- que l'Union se
pose de telles questions, ce qui implique évidemment qu'elle se juge en
état d'y apporter des réponses sérieuses ; sinon il
vaudrait mieux ne pas se les poser.
2. Une déclaration des droits et des devoirs
Je me
placerai donc dans cette perspective, ce qui implique, je le reconnais, une
certaine dose d'optimisme. Et je mettrai à profit le temps que la
commission des lois a bien voulu me confier pour inviter à un
élargissement du débat et à poser, comme l'a
annoncé M. Haenel tout à l'heure, la question de savoir si une
déclaration de droits ne devrait pas s'accompagner d'une
déclaration de devoirs.
A considérer l'esprit revendicatif qui est l'un des traits des
sociétés modernes, spécialement des sociétés
avancées comme les nôtres, n'est-on pas amené à se
demander si l'individu est en droit de camper, en quelque sorte, sur une
position de créancier détenteur de droits unilatéraux,
sans prendre du même coup conscience du fait que la société
est en droit, de son côté, d'attendre de lui qu'il contribue
à la bonne mise en oeuvre du contrat social, dans son propre
intérêt comme dans l'intérêt de ses concitoyens ?
Le contrat social, en effet, ne saurait se réduire à un faisceau
d'exigences unilatérales ; comme tout contrat, il postule
nécessairement, sous le signe de la solidarité, que chacun des
membres du corps social se considère non seulement comme porteur
d'exigences et de droits, mais aussi comme porteur d'obligations, de devoirs
et, disons-le dans une formulation peut-être plus nouvelle, comme porteur
de responsabilités.
Sans doute est-ce une tendance actuelle et très favorisée par
l'évolution générale des mentalités que chacun soit
plus attentif, plus vigilant et plus sensible à faire valoir ses droits
qu'à assumer ses responsabilités ; mais ne nous appartient-il pas
justement à nous, en tant qu'élus responsables de la
cohésion sociale, de rappeler qu'il n'y a pas de contrat sans
réciprocité des obligations, que la société ne peut
distribuer qu'à la condition de recevoir, étant entendu que les
termes de l'échange ne sont pas seulement d'ordre financier, comme on
l'imagine parfois un peu sommairement, qu'il ne s'agit pas seulement de la
redistribution des richesses entre ceux qui ont trop et ceux qui n'ont pas
assez, mais que l'intérêt commun englobe plus
généralement des valeurs que j'appellerai, pour simplifier, des
valeurs de civilisation par rapport auxquelles il est juste et
nécessaire que chacun se sente tout à la fois
bénéficiaire et contributeur.
Quelques exemples éclaireront sans doute utilement ce propos quelque que
peu abstrait.
Je songe aux responsabilités civiques : n'y a-t-il pas un devoir de
participer à la vie politique, de voter, de s'informer, ce qui va
très au-delà du paiement de l'impôt, obligation,
évidemment, élémentaire ?
Dans le domaine économique, peut-on affirmer un droit à l'emploi
et à une juste rémunération sans proclamer un devoir
d'activité, de travail, de participation à la création des
richesses ?
Dans le domaine socioculturel, peut-on tout mettre à la charge de la
collectivité, tout attendre d'elle, en ignorant le rôle
nécessaire de toutes les formes d'action non gouvernementales, qu'elles
soient associatives ou individuelles, et de l'obligation d'apporter son
concours à de telles actions, en particulier pour ceux qui en
revendiquent le bénéfice ?
Dans le domaine du cadre de vie et de l'environnement, auquel nous avons tant
de raisons d'être sensibles actuellement, n'est-il pas évident que
personne ne saurait revendiquer le droit à la pureté de l'air et
de l'eau non plus qu'à la propreté et à la beauté
de la nature s'il ne s'en reconnaît pas lui-même responsable et
activement responsable pour la part qui peut dépendre de lui ?
3. Des précédents historiques
Tel est,
mes chers collègues, le vaste champ de réflexion que le
présent débat donne l'occasion d'ouvrir et qui me semble avoir le
mérite de replacer au coeur de nos préoccupations l'idée
de responsabilité, dont Montesquieu, approuvé par Jean-Jacques
Rousseau, enseignait que, sous la dénomination de vertu, elle
était le principe même des sociétés
démocratiques. Montesquieu ne manque pas de préciser qu'il parle
de vertu politique, de celle qui tend au bien public, selon sa propre formule,
et non des vertus morales particulières.
Dès 1789 et depuis lors, les deux idées ont été
fréquemment associées dans la réflexion politique, l'une
d'elle étant, en quelque sorte, le contrepoint justifié de
l'autre.
En 1789, c'est Grégoire qui tente de faire adopter par la Constituante
une déclaration des devoirs. Il n'est pas parvenu à obtenir une
majorité suffisante, mais il a recueilli un nombre de voix très
important. Il est permis de regretter cette lacune initiale, car nous aurions
introduit ainsi, dans notre conscience et dans le plus fondamental de nos
textes, une dimension qui lui manque fâcheusement, me semble-t-il.
La déclaration de 1795 comme la Constitution de 1848 font état
des devoirs des citoyens, que l'article 7 de la Constitution de 1848 formule
ainsi : " Les citoyens doivent (...) participer aux charges de l'Etat en
proportion de leur fortune ; ils doivent s'assurer, par le travail, des moyens
d'existence et, par la prévoyance, des ressources pour l'avenir ; ils
doivent concourir au bien-être commun en s'entraidant fraternellement les
uns les autres et à l'ordre général en observant les lois
morales et les lois écrites qui régissent la
société, la famille et l'individu ".
Le préambule de 1946 rappelle que chacun " a le devoir de
travailler ", et la Déclaration universelle des droits de l'homme
intègre cette notion des devoirs des citoyens. On peut citer aussi la
Constitution de Weimar de 1919, très développée sur ce
thème, et les actuelles Constitutions de l'Espagne ou de la Pologne. On
peut citer enfin -et je ne le fais pas uniquement pour le pittoresque, car cela
mérite d'être mentionné- dans un ordre moins juridique mais
non moins politique, la formule de l'un de nos chants les plus populaires : "
Pas de droits sans devoirs, pas de devoirs sans droits ".
Je suppose qu'en tout cas nos amis du groupe communiste républicain et
citoyen auront reconnu là l'un des couplets de l'Internationale, tout
simplement !
On ne s'étonnera pas si je préfère le concept, si
fécond, de contrat social à celui, si néfaste et
dévastateur -je n'hésite pas à le dire- de lutte des
classes. C'est d'ailleurs bien une démarche contractuelle, quasiment la
première dans l'histoire de l'humanité, qui caractérise la
construction européenne, procédant tout entière de la
volonté des peuples, et c'est parce qu'une telle démarche serait
mal assurée si elle ne conjuguait pas les droits des citoyens de l'Union
européenne avec leurs responsabilités que j'ai cru
intéressant, d'autant que je m'exprimais au nom de la commission des
lois, d'attirer l'attention de notre assemblée sur ce thème.
C. INTERVENTION DE M. PAUL MASSON
Le
débat qui nous rassemble aujourd'hui est simple à énoncer
: quels droits fondamentaux devront figurer dans la charte, notamment en
matière sociale et économique ? Quels caractères donner
à cette charte ? Est-ce une déclaration politique ou doit-elle
avoir valeur juridique contraignante ?
Vous avez personnellement esquissé une position, monsieur le ministre,
en déclarant le 26 avril dernier : " Il me paraît de bon sens de
ne s'interroger sur une éventuelle valeur contraignante de cette charte
que lorsque nous connaîtrons le projet rédigé par la
convention. " Il faudrait, selon vous, un texte percutant, fort, concis,
lisible pour justifier que l'on puisse s'interroger sur la pertinence de son
insertion dans les traités européens.
Vos propos me conduisent à penser que vous n'excluez pas de proposer au
gouvernement français l'insertion de cette charte dans les
traités européens bien que cette option n'ait pas
été jusqu'ici retenue, même comme hypothèse de
travail, par le Conseil européen de Tampere.
Pour sa part, le Parlement européen a déjà tranché
: il propose la solution extensive et souhaite donner à la charte une
forme normative. Cependant, nous savons que certains représentants des
gouvernements sont réticents sur la formulation large. Quelle est la
position du représentant du gouvernement français à cet
égard ?
Rappelons que, jusqu'ici, l'Union européenne s'en est tenue aux termes
de l'acte unique, ratifié en 1986. Celui-ci précisait qu'il
s'agissait de " promouvoir ensemble la démocratie en se fondant sur
les droits fondamentaux reconnus dans les constitutions et lois des Etats
membres ".
Les traités de Maastricht et d'Amsterdam n'ont jamais mis en cause ce
principe fondamental, qui a été ratifié, faut-il le
rappeler, par le peuple français lui-même, à l'occasion du
référendum sur le traité de Maastricht.
Certes, les deux traités introduisaient dans les normes
européennes des droits spécifiques complémentaires : droit
de circuler, droit de vote, etc., mais l'énoncé de ces droits
spécifiques ne fait que renforcer a contrario le principe de
prépondérance jusqu'ici retenu des constitutions nationales et
des lois des Etats membres.
Pour tout le reste, on doit le rappeler avec une certaine force, il existe
déjà un dispositif international de contrôle, la Convention
européenne des droits de l'homme, qui assure avec vigilance depuis
plusieurs décennies la régularité des mécanismes
juridiques internes de chacun des Etats membres. Personne ne s'en plaint. Il y
a peu, le gouvernement français lui-même, pourtant chatouilleux
sur le sujet, a modifié le code de procédure pénal
après un jugement de la Cour de Strasbourg dénonçant un
procès inéquitable fait à un ressortissant de la justice
française à l'occasion d'une décision d'une juridiction
d'appel nationale.
Donc, le système tient debout et il fonctionne. Pourquoi alors vouloir
donner à la Cour de justice de Luxembourg une responsabilité
nouvelle, responsabilité que la Cour de Strasbourg assume fort bien ?
L'option fondamentale est soit de s'en tenir à une déclaration
solennelle qui ne modifie pas le traité soit d'aller plus avant et
d'introduire un préambule dans le traité qui donne un
caractère normatif à cette charte, conduisant ipso facto à
une nouvelle modification des traités.
La présidence française doit-elle pour autant proposer aux
partenaires européens une nouvelle réforme des traités
avec pour conséquence d'introduire une concurrence entre deux
juridictions, celle de Strasbourg, qui fonctionne bien, et celle de Luxembourg,
les conduisant toutes deux à des conflits d'interprétation et
introduisant une confusion dans les compétences, d'une part, de donner
à la Cour de justice européenne un droit de regard sur la
pratique des droits fondamentaux des Etats à partir de leur propre
Constitution ou de leurs propres lois, d'autre part.
Est-ce le moment ? Est-ce l'objectif voulu par les Quinze ? On peut en douter.
Le mandat donné est clair : procéder à un recensement des
droits fondamentaux, au besoin complétés. Une déclaration
solennelle sans aucune implication normative est prévue.
Cette solution aurait sans doute l'avantage de rallier l'unanimité. Il
n'est pas dit cependant qu'elle trouve une majorité au Parlement
européen.
Faut-il pour autant choisir une voie, à mon sens plus dangereuse, en
proposant une option juridique normative avec, à la clé, une
nouvelle modification des traités par l'introduction d'un
préalable quasi constitutionnel à ces traités ?
Outre le fait que cette option risquerait de ne pas faire l'unanimité
chez les Quinze, il pourrait paraître singulier d'ouvrir un débat
de fond sur le pouvoir politique de l'Europe à quelques encablures d'une
série de consultations électorales prévues en France
dès 2001.
Serait-il convenable que le peuple français soit, à la veille de
ces élections, écarté une nouvelle fois de ce débat
par le biais d'une procédure purement parlementaire ?
Le Parlement lui-même ne se placerait-il pas, dans cette circonstance, en
situation ambiguë par rapport à nos concitoyens, dont il est le
mandataire ? Ne pourrait-on s'étonner de la hâte mise à
ratifier un nouveau texte, alors que le même exercice a
déjà été fait, selon les mêmes
procédures, il y a deux ans à peine ? La voie du Congrès
serait-elle toujours privilégiée lorsqu'il s'agit de parler de
l'Europe à la France ?
Si la présidence française cherche une option plus politique que
celle de la simple déclaration, une voie plus juste ne serait-elle pas
alors de proposer à l'Union d'adhérer à la Convention
européenne des droits de l'homme afin d'établir, selon la
formulation même du Parlement européen, " avec le Conseil de
l'Europe, une coopération étroite " ?
Cet acte significatif aurait une double vertu : combler, ainsi que l'explique
très bien M. Hoeffel, le vide juridique actuel concernant les actes
communautaires et ne pas engager entre les deux cours de justice une
concurrence aux effets imprévisibles.
Comme cela a été dit à l'Assemblée nationale le 9
mai, pour réussir la présidence française, il importe
essentiellement de donner à l'opinion internationale un sentiment de
réalisme. L'élargissement attendu, qui est aujourd'hui surtout
perçu comme un facteur d'affaiblissement de l'Union, pourrait être
un facteur novateur dans la mesure où il pourrait conduire, si on le
veut, à une refondation de l'Union. Mais ce n'est pas par le biais d'une
déclaration sur les droits fondamentaux, si solennelle fût-elle,
que l'opinion publique prendra conscience des nouvelles exigences de notre
Europe face aux mutations mondiales que nous connaissons.
L'Europe politique ne se fera pas sans l'adhésion du peuple
français ni sans un mandat constituant clairement authentifié par
le vote populaire.
Il serait à mon sens pernicieux, pour le devenir même de l'Europe,
que le chemin de ce pouvoir politique nouveau, qui ne peut être
délégué que par la nation, soit emprunté d'abord
par des juges, si estimables fussent-ils. Aujourd'hui, monsieur le ministre,
vous avez l'occasion de clarifier ce débat. Autant, me semble-t-il, la
France est particulièrement qualifiée pour proposer aux Etats de
l'Union une communauté de valeurs partagées, autant il me
paraît hasardeux d'engager à cette occasion, et sur ce seul point,
une nouvelle révision, qui mérite à l'évidence un
autre débat, moins confidentiel que ceux que nous connaissons toujours
sur ce sujet qui nous rassemble aujourd'hui.
D. INTERVENTION DE MME MARIE-MADELEINE DIEULANGARD
Je me réjouis que nous ayons aujourd'hui l'occasion de débattre d'un processus tout à fait unique et novateur, lancé lors du sommet de Cologne en juin 1999, celui de l'élaboration d'une charte européenne des droits fondamentaux au sein d'une convention qui réunit les représentants non seulement des gouvernements et du Parlement européen, mais aussi des parlements nationaux, représentants dont j'ai l'honneur de faire partie, en tant que suppléante de M. Haenel.
1. Un processus novateur
Il
s'agit d'un processus novateur, et tout d'abord par la démarche
retenue : celle d'une convention et non d'une négociation
strictement intergouvernementale, par nature plus confidentielle.
C'est un processus novateur également par la composition de la
convention, dont la représentation intègre une forte
présence des parlements nationaux, ce qui ne peut que mieux affirmer
l'identité européenne de chaque Etat membre et mieux concourir
à faire percevoir aux citoyens l'évolution de la construction
européenne.
Enfin, il est novateur par sa transparence, grâce à un
accès facilité des citoyens aux contributions individuelles et
collectives, ainsi qu'aux nombreux débats avec la société
civile.
Il s'agit, en effet, de définir clairement des principes et des droits
auxquels pourront se référer les citoyens et résidents
européens, ainsi que toute personne circulant dans l'espace
européen.
La charte est destinée à s'appliquer aux actes des institutions
européennes. Elle ne peut attribuer de compétences
supplémentaires à l'Union européenne et doit respecter les
principes de subsidiarité et de proportionnalité.
2. L'intérêt d'une Charte
Il me
paraît important de rappeler ici en quoi cette charte est urgente,
nécessaire et légitime.
En effet, peu de droits fondamentaux sont expressément
énoncés dans les traités. Certes, les directives
européennes ont progressivement intégré nombre de ces
droits, et la Cour de justice des Communautés européennes en a
assuré le respect au regard des actes de souveraineté des
institutions communautaires.
Cette nouvelle étape est pourtant capitale pour les citoyens, qui
éprouvent très souvent le sentiment d'être tenus à
l'écart de l'édification de l'espace européen.
La charte peut donc contribuer à réduire le déficit
démocratique qu'ils perçoivent dans le fonctionnement de nos
institutions.
L'Union ne doit pas constituer seulement une organisation économique et
financière et une zone de libre échange. Depuis son origine, elle
prétend réaliser un projet de civilisation guidé par des
valeurs auxquelles doivent adhérer tous ses Etats membres.
L'arrivée en Autriche d'un gouvernement de coalition comprenant un parti
d'extrême droite qui défend des thèses xénophobes
renvoie soudainement nos Etats et nos concitoyens à des interrogations
essentielles sur ce que sont ces valeurs et sur leur portée.
L'objet de la charte est donc bien de " référencer ", dans un
texte identitaire, un ensemble de valeurs communes aux citoyens
européens mais aussi d'enrichir ce " référentiel ".
De plus, cette entreprise est importante pour l'élargissement de l'Union
à de nouveaux Etats membres. Nous pensons en effet que cette future
charte doit faire partie de ce que nous appelons l'acquis communautaire.
Sur ce point, je rejoins M. Haenel, pour qui l'adhésion à l'Union
est aussi une adhésion à un système de valeurs.
Nous disposons déjà de textes et de juridictions. Aussi la
Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme
constitue-t-elle les fondamentaux de la charte. Ce texte est toutefois devenu
insuffisant au regard de l'évolution des réalités
politiques et économiques, et aussi des défis auxquels doit
désormais faire face l'Union.
3. La valeur de la Charte
Je tiens
maintenant à présenter quelques remarques sur la valeur qui sera
assignée à la Charte.
Si nous comprenons qu'il soit prématuré, aujourd'hui, de fixer
définitivement le statut qui lui sera dévolu, je veux souligner
qu'il est pour le moins délicat de repenser des droits, d'en approfondir
certains, voire d'en consacrer de nouveaux, sans en connaître la
véritable portée. Mais je veux croire que le terme de "
convention " n'a pas été chois par hasard.
Le texte rédigé par le Parlement européen en 1989 n'est
resté qu'à l'état de déclaration puisqu'il n'a pas
été ratifié par tous les Etats membres. Quel serait donc
le sens d'une simple déclaration alors que l'objectif premier de cette
charte, tel que défini par le mandat de Cologne, est d'offrir aux
citoyens et aux résidents européens un texte clair, dont ils
pourront revendiquer l'application ?
Si la charte n'était qu'une énonciation de droits proclamatoires,
elle serait uniquement l'édiction d'une protection minimale, un simple
rempart. En revanche, intégrée dans le préambule des
traités, elle pourrait garantir la préservation d'un certain
nombre de droits dans l'élaboration des actes communautaires. Cela
signifierait que les institutions européennes ne pourraient enfreindre
les droits énoncés, sans être pour autant obligées
de légiférer dans ces domaines.
Je sais qu'il est encore prématuré de trancher cette question.
Néanmoins, il est, pour nous, important d'avoir dès à
présent une haute ambition pour ce texte que nous considérons
comme indispensable à une construction européenne plus politique
et plus sociale. Et nous n'excluons pas que la charte puisse devenir, à
terme, le texte de base d'une Constitution. Cependant, et sans qu'il soit
question de brûler les étapes, elle doit contribuer dès
à présent à placer la personne humaine au coeur du projet
européen. C'est cet objectif qui doit guider nos travaux, lesquels sont
soumis à deux impératifs : la clarté et
l'accessibilité.
4. Le contenu de la Charte
Je
formulerai quelques remarques sur ce qui devrait figurer dans ce texte quant
aux principes et aux droits affirmés.
Tout d'abord, l'application du principe d'indivisibilité des droits me
paraît essentielle, notamment en ce qui concerne l'indivisibilité
des droits civiques et sociaux, ceux-ci étant également
interdépendants.
C'est en ce sens que nous estimons, par exemple, que le principe de
non-discrimination doit être inscrit aussi bien au titre des droits des
individus qu'au titre du droit au travail. L'égalité entre les
femmes et les hommes doit, à cet égard, être garantie dans
son ensemble, et pas seulement dans le cadre du travail.
S'agissant du droit de toute personne d'accéder aux soins, il
représente un droit universel qui relève de la dignité
humaine et il doit donc figurer dans l'article 1er de la charte.
Il en est de même pour le droit au logement, qui participe directement
à la lutte contre l'exclusion sociale et conditionne l'exercice des
droits les plus élémentaires de la personne.
Par ailleurs, le traité d'Amsterdam place la construction d'un espace de
sécurité, de liberté et de justice au centre de nos
préoccupations. Il " communautarise " des domaines liés
à la libre circulation des personnes dans l'Union, tels que les visas,
l'asile ou l'immigration.
L'inscription de droits économiques et sociaux est, à nos yeux,
essentielle, car ils doivent être considérés comme
déterminants pour l'exercice des libertés. D'ailleurs, notre pays
avait opté pour une telle reconnaissance dans les constitutions de 1946
et 1958.
Cet objectif est, au demeurant, d'actualité : les décisions
prises au récent sommet de Lisbonne vont tout à fait dans ce sens.
Il est ainsi fondamental, selon nous, que soit affirmé un droit à
l'emploi en tant que tel, car il ne peut constituer seulement un objectif.
S'agissant du droit à la protection en cas de licenciement, nous
souhaitons que soit prévu un droit de recours.
Nous serons particulièrement attentifs à l'inscription des droits
à la formation professionnelle et à la formation tout au long de
la vie, qui, dans les conclusions du Conseil européen de Lisbonne, ont
été enfin reconnus comme " une composante essentielle du
modèle social européen ".
Un représentant français de la Confédération
européenne des syndicats rappelait d'ailleurs récemment que,
compte tenu des nouvelles trajectoires professionnelles, de moins en moins
linéaires, il était urgent de consacrer un droit et de voir
aboutir des dispositifs de crédit formation, utilisables en fonction des
besoins et pendant toute la vie professionnelle.
Nous soutenons, de même, l'inscription d'un salaire minimum. Il existe
désormais dans tous les Etats membres de l'Union. Cette
généralisation atteste le bien-fondé d'une telle
disposition, alors que, il n'y a pas si longtemps, dans certains milieux, on
fustigeait encore l'institution d'un tel salaire minimum, décrivant
celui-ci comme un obstacle à l'emploi.
Nous souhaitons que, conjointement, soit traduit le principe
d'équité dans la rémunération, dans le sens d'une
égalité de rétribution pour des situations
professionnelles identiques.
Nous voudrions aussi qu'un article sur un revenu minimum soit inscrit dans le
champ des prestations sociales. D'ailleurs, la notion de prestation minimale a
été introduite, dans le cadre de la conférence
intergouvernementale, parmi les thèmes susceptibles de
bénéficier de l'extension de la majorité qualifiée.
S'agissant du droit à la protection sociale, nous estimons qu'il doit
s'appliquer à toutes les personnes, et pas simplement aux travailleurs.
C'est cette démarche qui a guidé le Gouvernement et le Parlement
quand nous avons instauré la couverture maladie universelle.
Nous soutenons aussi l'inscription des droits d'accès aux services
d'intérêt général. Ils garantissent l'exercice de
certains droits sociaux élémentaires, en particulier la
santé, l'éducation, les transports. Nous estimons en effet que la
défense du principe d'égal accès est essentiel et concourt
à la définition d'un modèle social européen.
Pour ce qui est du droit de la famille, nous tenons à souligner que
c'est l'enfant, et non le mariage, qui fonde la famille et, donc, justifie les
droits qui en découlent.
J'ajoute que, dans la perspective d'une modernisation de notre corpus de droits
fondamentaux et de leur interdépendance, il convient de
reconnaître parallèlement un droit permettant de concilier vie
familiale et vie professionnelle.
Nous devons encore envisager que soit inséré un article sur la
protection des personnes âgées, afin que leur dignité soit
préservée et leur marginalisation évitée, en
particulier pour les plus dépendantes d'entre elles.
Enfin, si l'exigence de protection des personnes handicapées est
clairement définie dans nos pays, il convient d'accomplir des
progrès notables pour que leur insertion dans le monde du travail soit
expressément garantie.
5. Droits et devoirs
Avant de
terminer, je voudrais faire quelques brèves remarques sur l'idée,
défendue à la fois par M. Haenel et par M. Fauchon, selon
laquelle il ne peut y avoir de droits sans devoirs.
Je conviens avec eux qu'il existe des responsabilités réciproques
; à titre d'exemple, on peut citer le droit à un environnement
sain, qui implique pour chacun de nombreux devoirs.
Pourtant je préfère la notion de responsabilités à
celle de devoirs, tout comme je m'interroge sur la nécessité
d'introduire un " devoir de travailler ".
Ce sont principalement les Etats et l'Union européenne qui ont des
responsabilités envers les citoyens en matière de croissance,
d'économie, d'emploi.
Si nous avons effectivement des devoirs, le premier est collectif : c'est celui
de la solidarité.
Nos travaux sont un révélateur de la volonté des Etats de
construire une union politique. A cette union politique, une Charte des droits
fondamentaux est indispensable.
E. INTERVENTION DE M. GÉRARD DELFAU
A
l'heure où la crise autrichienne relance le débat sur les valeurs
politiques et morales qu'incarne l'Union européenne, et surtout sur les
moyens dont elle dispose pour les défendre, l'élaboration d'une
Charte des droits fondamentaux est plus que jamais d'actualité.
Je n'évoquerai que par allusion la longue marche de cette idée,
qui passe par l'appel lancé en 1946 par Winston Churchill à la
famille européenne, par le Mouvement européen, par les
différents traités, par le préambule de l'Acte unique,
lequel se réfère à la convention européenne de
sauvegarde des droits de l'homme, ou par de multiples décisions de la
Cour de justice des Communautés, celle-ci s'étant, à
plusieurs reprises et sous des formes différentes, posée en
garante des libertés traditionnelles, chèrement acquises, en deux
siècles de lutte, car elles ne furent jamais octroyées.
De son côté, dès 1977, le Parlement européen s'est
prononcé en faveur de la défense des droits et des
libertés fondamentaux dans l'Union européenne. Adopté par
le Conseil et cosigné par la Commission, ce document a permis d'engager
le long processus conduisant à l'élaboration de la future Charte
des droits fondamentaux.
Voilà où nous en étions en juin 1999, quand la
décision du Conseil européen de Cologne a été prise
d'élaborer une Charte des droits fondamentaux de l'Union
européenne.
La phase concrète d'élaboration a été mise en
oeuvre lors du Conseil de Tampere de décembre 1999.
La France, ainsi qu'elle l'a affirmé par les voix de ses plus hauts
responsables, souhaite qu'une telle Charte soit adoptée sous sa
présidence du Conseil européen, au cours du second semestre 2000.
Les soixante-deux membres de la convention chargée d'élaborer la
Charte -formule effectivement originale- en ont d'ores et déjà
esquissé l'architecture globale et ébauché les
modalités d'application.
Je formulerai une remarque préalable : la Charte devrait concerner
uniquement les citoyens de l'Union, à la différence de la
convention européenne des droits de l'homme, qui intéresse les
quarante et un Etats membres du Conseil de l'Europe.
Je dois cependant remarquer que cette position limitative, que je comprends par
ailleurs, n'est pas sans poser quelque problème de conscience aux
héritiers des valeurs universalistes de la Révolution
française et de la Déclaration des droits de l'homme et du
citoyen, qui conçoivent la construction européenne sur le long
terme, et non en fonction de préoccupations, certes, légitimes et
délicates. Mais nous sommes ici au Parlement, et nous devons nous
inscrire dans la longue durée.
L'élément novateur de la Charte réside dans l'adjonction
aux droits civils et politiques des droits économiques et sociaux tels
qu'ils sont énoncés dans la Charte sociale européenne et
dans la Charte communautaire des droits sociaux fondamentaux des travailleurs.
On l'a dit et on le dira encore, c'est bien ainsi que les citoyens attendent
que l'Europe descende de ses traités, de ses organisations, de ses
manifestations solennelles et qu'elle entre un peu plus avant dans le
quotidien, et pas seulement sous la forme, un peu caricaturale, que prennent
parfois certaines directives.
Lors de l'élaboration de la convention européenne des droits de
l'homme, il y a cinquante ans, certains droits relatifs à la
santé publique ou au salaire minimum, sans parler, bien sûr, des
droits de la bioéthique, de l'informatique ou de l'environnement,
n'avaient pas encore été créés. Il est donc
aujourd'hui essentiel d'ajouter ces nouveaux droits, par ailleurs objet d'une
revendication ancienne de nombreuses associations et de syndicats, entre
autres.
1. La valeur juridique de la Charte
Une des
questions qui se posent aujourd'hui même réside dans le point de
savoir s'il faut accorder ou non à la Charte un caractère
juridique contraignant. Le 16 mars dernier, le Parlement européen a
souhaité, à une écrasante majorité, doter la Charte
de cette force juridique, par le biais de son incorporation dans les
traités.
Ces avancées constitueraient sans aucun doute le premier pas de l'Union
européenne vers l'adoption d'une constitution, objectif à long
terme.
Il est en effet permis de s'interroger sur l'intérêt d'une Charte
qui ne disposerait que d'un caractère déclaratif, alors que des
millions de citoyens européens vivent encore aujourd'hui en dessous du
seuil de pauvreté. Tel est l'un des enjeux de la présidence
française, monsieur le ministre, et vous le savez, comme le Parlement
tout entier. Nous attendons sur ce point des éclaircissements et, si
possible, quelques pas en avant de votre part.
La Charte doit répondre à une forte aspiration des opinions
publiques européennes, à un renforcement des droits des citoyens
de l'Union européenne et à un rééquilibrage des
textes en leur faveur.
Pour autant, et je le dis au passage sans pouvoir développer, il est
souhaitable de ne pas créer de concurrence fâcheuse entre la Cour
de Luxembourg et celle de Strasbourg.
Aussi sera-t-il nécessaire de bien préciser que la Charte ne
régira que les actes communautaires et laissera entier le système
des droits reconnus à toutes personnes présentes sur le
territoire communautaire, qu'elles aient ou non la citoyenneté des Etats
membres.
2. Le contenu de la Charte
Du
reste, rappelons que la Charte comprendra bien d'autres droits que ceux qui
sont actuellement garantis par la Cour de Strasbourg et constituera une
avancée, notamment dans les secteurs économiques et sociaux.
Marie-Madeleine Dieulangard l'a excellemment dit, il faut donner un contenu
concret au droit du travail, à la protection des salariés et
à la formation continue, pour ne prendre que quelques exemples.
J'ajouterai une dimension de notre mode de vie européen qui n'a pas
encore été évoquée, et même une dimension de
notre civilisation, je veux parler de la contribution des services publics
appelés, dans le nouvel article 16 du traité d'Amsterdam, "
services d'intérêt général à la
cohésion sociale et territoriale ".
Un ensemble d'organisations syndicales et d'associations ont
élaboré à ce sujet une plate-forme commune. Ils souhaitent
que la France fasse inclure cette forme d'organisation sociale originale dans
la Charte des droits fondamentaux. L'objectif est bien que nos partenaires
européens confirment que la notion de " services d'intérêt
général ", et pas seulement à vocation économique,
soit l'une des valeurs communes de l'Union européenne.
Cette intégration au sein de la Charte aura pour conséquence de
donner un cadre conceptuel à la mise en oeuvre concrète des
droits fondamentaux en matière économique et sociale.
Elle permettra, dans un deuxième temps, de renforcer encore la timide
avancée réalisée par la rédaction de l'article 16
du traité d'Amsterdam. Dans l'immédiat, je souhaite, sur ce sujet
comme sur les autres, que la Charte puisse être incluse dans le
préambule du traité sur l'Union européenne. Ce serait un
premier pas particulièrement significatif.
La Charte aura en même temps vocation à s'appliquer aux
institutions et non aux Etats membres. Elle doit donc traiter d'un certain
nombre de sujets sensibles. Je vais prendre pour exemple l'introduction, dans
la Charte, des droits collectifs et régionaux, voire le droit des
minorités. Ces domaines suscitent des opinions extrêmement
divergentes, voire contradictoires, en fonction des sensibilités
ethniques et culturelles. Ils ne semblent pas faire aujourd'hui l'objet d'un
compromis et devront être très sérieusement approfondis. La
question est cependant posée.
Pour l'heure, la convention a décidé de prendre pour base de
travail une liste relativement complète, incluant
l'intégralité des droits de l'homme, auxquels sont ajoutés
des droits économiques, sociaux et environnementaux.
Particulièrement attachés aux valeurs de la démocratie,
les sénateurs du groupe du Rassemblement démocratique et social
européen adhèrent sans restriction à ces valeurs.
Parce qu'ils partagent l'idée selon laquelle la Charte des droits
fondamentaux constitue une avancée essentielle pour la poursuite de la
construction européenne au service des citoyens, les sénateurs du
groupe que je représente à cette tribune estiment qu'une
dimension morale, je dirai même éthique, et un principe de justice
sociale doivent présider à son élaboration. Telles sont
les raisons pour lesquelles, monsieur le ministre, nous serons
particulièrement attentifs à vos réponses.
F. INTERVENTION DE MME DANIELLE BIDARD-REYDET
Au
conseil de Tampere, à la fin de l'année 1999, les chefs d'Etat et
de gouvernement ont lancé le processus de rédaction d'une Charte
des droits fondamentaux de l'Union européenne, rédaction qui doit
s'achever sous présidence française.
L'adoption éventuelle du projet de texte devrait avoir lieu au Conseil
européen de Nice, en décembre prochain.
La France a donc une responsabilité toute particulière à
cet égard et devra se montrer à la hauteur d'une telle ambition.
Il s'agit véritablement d'un enjeu pour la construction d'une Europe
citoyenne.
Alors que l'élargissement aux pays de l'Est se précise et que
l'actualité montre, avec le cas autrichien, que des reculs sont toujours
possibles, il est de la responsabilité de l'ensemble des pays
européens de rester vigilants.
Réaffirmer dans cette Charte et rendre visibles aux yeux des citoyens
européens, mais aussi au reste du monde, les valeurs qui fondent la
Communauté européenne est un objectif auquel on ne peut que
souscrire. L'Europe est aujourd'hui essentiellement économique et
financière. Il est grand temps de privilégier la construction
d'une Europe " communauté de valeurs de démocratie, de
progrès et de justice sociale ".
La question de l'identité de l'Europe est au coeur des réflexions
sur l'élaboration de cette Charte. Il convient donc non pas de
s'enfermer dans un débat purement technique et juridique mais au
contraire d'élargir la discussion, de l'ouvrir pour lui donner une
dimension nouvelle.
1. L'élaboration de la Charte
Partout
aujourd'hui en Europe, le désir de citoyenneté s'exprime et se
renforce. A défaut de répondre à cette attente, l'Europe
s'éloignera encore plus des peuples et de leurs préoccupations.
Nous appuyant sur ces préoccupations, nous devons renforcer les liens
entre les exigences des citoyens européens et la construction
européenne. L'enjeu est d'importance si l'on veut donner sens au contenu
de cette construction et répondre ainsi aux aspirations des citoyens
à un renouvellement de la démocratie, dans les institutions comme
dans le contenu social de l'Union européenne.
Le processus d'élaboration de la Charte peut constituer une
avancée citoyenne, un instrument de progrès et de justice
sociale. Elle doit constituer un point d'appui pour les citoyens dans leurs
revendications pour l'application de l'ensemble des droits déjà
acquis ainsi que pour une formulation de nouveaux droits. Cela implique que
l'ensemble des citoyens européens soient mieux informés, qu'ils
puissent s'exprimer dans ce débat.
Nous nous félicitons du processus original d'élaboration, avec
une convention composée de membres de l'exécutif et du
législatif, des différents parlements, avec une transparence
affirmée par le compte tendu intégral des débats publics
sur internet et avec les appels à contribution des membres de la
société civile.
Pourtant, il nous semble nécessaire de privilégier encore la
démarche participative " dans l'élaboration de la Charte ", de
développer l'information dans tous les pays européens. Je pense
que, dans cet esprit, un forum public pourrait être organisé au
niveau européen, associant des élus, des membres de la
société civile et des experts.
Les attentes des citoyens sont immenses pour une réorientation de
l'Europe vers plus de solidarité, de démocratie, de protection de
l'environnement et de développement durable. Nous devons y
répondre. Pour cela, il n'est pas possible de se limiter à un
simple " recopiage " des droits déjà existants dans la convention
européenne des droits de l'homme et dans la Charte communautaire des
droits sociaux fondamentaux des travailleurs. Ces droits doivent, bien
sûr, être inscrits de façon lisible dans la Charte, avec
l'application du principe de non-régression, mais il faut
également y mentionner de nouveaux droits tendant à construire
une Europe plus juste et plus humaine ainsi que ceux qui sont relatifs,
notamment, à la bioéthique et à la transparence
administrative.
2. Le contenu de la Charte
Le
projet de Charte prévoit trois " corbeilles ", comme cela a
déjà été rappelé.
La troisième corbeille, qui traite des droits économiques et
sociaux, est à l'origine de nombreuses divergences entre les partenaires
européens. Il s'agit, en effet, de traduire le concept social
européen, sur lequel les opinions des gouvernements sont loin
d'être semblables. On a pu le vérifier au sommet sur l'emploi de
Lisbonne, avec la volonté affichée de certains Etats, en
particulier le Royaume-Uni, de " moderniser " le système de protection
sociale en le réduisant au minimum !
Une telle évolution constituerait un véritable danger pour
l'avenir de l'Europe, qui doit développer, au contraire, un projet
social ambitieux pour répondre aux attentes des citoyens
européens.
Les " droits fondamentaux " sont indivisibles. L'ensemble des droits
économiques et sociaux qui concernent la vie quotidienne de chaque
citoyen constituent donc des droits fondamentaux à part entière.
Le gouvernement français a déjà affirmé sa
volonté d'accorder une importance particulière aux droits de la
troisième corbeille, mais il faut développer un argumentaire plus
exigeant dans ce domaine.
Nous pensons qu'il est de la responsabilité de la France d'être
ferme sur cette question, en mettant en avant la justice sociale, le
bien-être de tous. L'être humain doit être au coeur de la
construction européenne, à la place des marchés financiers
soutenus par la logique de Bruxelles.
Nous avons conscience des réticences des gouvernements des pays
partenaires, mais nous pensons que le rôle des peuples de l'Union, qui
tous aspirent à un mieux-être, peut permettre d'aller dans ce
sens. Il est donc utile de leur donner les moyens de participer aux
débats et de se mobiliser pour préciser quels droits doivent
être considérés dans le cadre d'une Europe sociale et
solidaire. Les très nombreuses contributions d'associations,
d'organisations non gouvernementales et de syndicats de l'ensemble des pays
européens témoignent du foisonnement de propositions sur ce sujet
et de l'urgence de leur prise en compte.
Il est tout d'abord fondamental de réaffirmer et, surtout,
d'étendre les droits des citoyens à la prise de décision
et aux choix économiques qui conditionnent la construction
européenne, ce qui implique une démocratisation des institutions
européennes, y compris des institutions financières telles que la
Banque centrale européenne.
Dans le même sens, il nous faut prendre en compte les droits des
salariés à l'information et à la gestion des groupes
économiques dans le cadre des comités de groupe européens,
afin que les salariés soient associés aux réformes qui les
concernent au premier chef.
Le droit d'association et les droits syndicaux transnationaux doivent
être revalorisés. Le développement d'une véritable
démocratie en Europe et la mobilisation des citoyens en faveur de la
construction européenne passent nécessairement, selon nous, par
l'extension de ces droits.
Donner aux citoyens la possibilité de peser réellement sur les
choix des orientations permettra à l'Europe de se réorienter vers
un développement au service des peuples. Dans une Europe où la
précarité et le chômage font des ravages, le droit à
la sécurité de l'emploi et à la formation est une
priorité pour tous. C'est également le cas pour le droit à
une protection sociale suffisante, à un revenu minimal décent,
à l'accès total et sans discrimination de ressources aux soins de
qualité, à l'éducation, au logement.
Des associations et des ONG se battent depuis des années pour que les
injustices prennent fin. Comment ne pas répondre à ces attentes ?
D'autres droits constituent aussi des priorités pour les citoyens. Il
s'agit, par exemple, du droit à l'accès à des services
publics de qualité, du droit à l'accès aux nouvelles
technologies de l'information et du droit à un environnement durable et
de qualité concernant, notamment, la sécurité sanitaire,
alimentaire et maritime.
Certains droits spécifiques doivent, selon nous, être
considérés avec attention. Je pense en particulier aux droits des
jeunes, qui sont trop peu pris en compte en tant que tels au sein de l'Union.
Des consultations pourraient être organisées à
l'échelon européen pour mieux connaître les aspirations des
jeunes. Quant aux droits des femmes, il est indispensable d'inscrire
l'égalité des sexes, notamment socio-économique, comme le
réclament les associations féministes, et non pas de se limiter
à une clause générale de non-discrimination. Les femmes ne
sont pas, en effet, une minorité, elles représentent plus de la
moitié de la population européenne.
3. La portée de la Charte
D'une
façon générale, la question se pose de savoir si les
droits contenus dans la Charte concerneront uniquement les ressortissants
européens -immigrés extracommunautaires exclus- ou tous ceux qui
résident légalement dans l'Union.
La notion de citoyenneté européenne ne doit pas être
réductrice, elle doit s'appliquer à l'ensemble des individus qui
réside sur le territoire européen, dans un souci
d'amélioration de la vie démocratique et de recul des
inégalités et des discriminations.
Il faudrait également veiller, en particulier dans le contexte actuel,
à la stricte application de l'article 13 du traité d'Amsterdam
s'agissant des discriminations fondées sur la race, l'orientation
sexuelle, la religion, le sexe, les handicaps.
Nous sommes pour l'instauration d'une citoyenneté de résidence
qui passe par la promotion, dans un premier temps, du droit de vote et
d'éligibilité pour les étrangers extracommunautaires dans
tous les pays de l'Union européenne aux élections locales. Cela
est devenu incontournable, car majoritairement souhaité par l'opinion
publique européenne. Avec les droits de la première corbeille et
les droits économiques et sociaux, les citoyens extracommunautaires de
l'Union doivent bénéficier des mêmes avantages que les
ressortissants de l'Union européenne.
La question de la portée juridique de la Charte est également
importante. Sera-t-elle un document juridiquement contraignant
intégré dans les traités et contrôlé par la
Cour de justice ? Quelles seront, dans ce cas, les voies de recours ?
Sera-t-elle un texte déclaratoire à valeur purement symbolique ?
Le débat est vif sur ce sujet et la position de nombreux acteurs,
notamment celle du Gouvernement français, est de choisir la prudence en
concentrant les efforts sur la qualité du contenu de la Charte. C'est,
bien sûr, un préalable indispensable : il n'y aurait aucun
intérêt à intégrer dans le traité une Charte
restrictive, voire régressive, ou même simplement peu lisible.
Cependant, il n'est pas inopportun d'amorcer ce débat sur cette question.
Si nous estimons que ce texte ne doit en aucun cas avoir pour objet de
supplanter les textes fondamentaux de la République, il nous semble
malgré tout nécessaire que des conditions pour l'application
effective des droits contenus dans la Charte, droits nouveaux comme droits
existants, pas toujours appliqués, soient clairement définies.
En conclusion, je dirai notre engagement pour que la Charte permette une
réelle avancée dans la construction d'une Europe du
progrès humain et de la citoyenneté. Nous sommes convaincus que
le Gouvernement français, en particulier pendant la présidence
française de l'Union européenne, oeuvrera en ce sens.
G. INTERVENTION DE M. DANIEL HOEFFEL
La
nécessité d'une volonté politique de l'Europe a
été mise en relief tout au long de cette semaine. Cette
volonté doit s'accompagner d'une clarté dans la démarche
et d'une complémentarité dans l'intervention des diverses
institutions européennes.
Il y a l'Europe des Quinze et l'Europe des Quarante et un : chacune a sa
vocation et son champ d'action, mais chacune, dans sa sphère, concourt
à la réalisation d'objectifs et à la défense de
valeurs qui doivent faire de notre continent un pôle de rayonnement
exemplaire.
Il me semble inutile et même inopportun que l'Union européenne
cherche, dans certains domaines, à répéter ce que le
Conseil de l'Europe a déjà réalisé. J'exprime cette
crainte à propos de l'élaboration de la Charte des droits
fondamentaux, dont l'articulation avec la convention du Conseil de l'Europe ne
doit en aucun cas être source de difficultés ou d'équivoque.
Il n'est pas question, bien entendu, de remettre en cause l'originalité
de la méthode ni la qualité et la compétence de ceux qui
préparent la Charte et qui réalisent un travail sérieux,
notre collègue Haenel, que je remercie de l'initiative de cette question
orale européenne avec débat, l'a bien relevé.
Cependant, les interrogations naissent de certaines déclarations faites
récemment et que je voudrais rappeler : " Personne ne sait encore
très bien ce sur quoi l'on va déboucher ", ou encore "
L'important est, pour le moment, d'obtenir une bonne Charte et la question du
statut viendra plus tard. "
L'Europe n'est pas née d'une équivoque, elle ne peut pas avancer
dans l'équivoque. Il faut qu'au départ les choses soient claires.
Il y va du caractère confiant des relations entre institutions
européennes. Il faut, à cet effet, rappeler la situation actuelle.
La convention européenne des droits de l'homme du Conseil de l'Europe a
été signée en 1950. Elle est dotée d'un
mécanisme de contrôle supranational. Il s'agit, depuis 1998, d'une
cour unique et permanente dont les arrêts s'imposent aux Etats
adhérents. Les quarante et un Etats qui composent le Conseil de l'Europe
sont tous signataires de la convention, et l'engagement de souscrire cette
convention est même devenu une condition d'adhésion au Conseil de
l'Europe.
Les quinze Etats de l'Union européenne ont souscrit depuis longtemps
à la convention, l'ont incorporée dans leur droit interne, et
sont donc soumis à la juridiction de la Cour de Strasbourg.
Pour sa part, l'Union européenne, à partir de l'Acte unique
européen, a prévu que les traités, dans leur
préambule, fassent mention de la soumission de l'ordre juridique
communautaire aux droits de l'homme et explicitement à la convention
européenne des droits de l'homme.
Il ne subsiste qu'un vide juridique : les actes et décisions
émanant des organes communautaires ne sont pas soumis, quant à
eux, à un contrôle de légalité au regard des droits
de l'homme.
Se pose, de ce fait, la question de l'articulation entre les deux ordres
juridiques. Comment combler ce vide juridique.
A plusieurs reprises, l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe a
invité l'Union européenne à formaliser la soumission
à l'ordre juridique de la convention européenne des droits de
l'homme, solution longtemps approuvée par le Parlement européen.
Mais la Cour de justice des Communautés européennes a émis
un avis défavorable, et il se dégage donc actuellement une tout
autre orientation. L'Assemblée du Conseil de l'Europe s'est pourtant
prononcée en faveur d'une incorporation des droits garantis par la
convention européenne des droits de l'homme dans la future Charte.
Elle s'est également prononcée pour la modification des
traités européens afin de rendre possible l'adhésion de
l'Union européenne à cette convention.
Le président de l'Union européenne, s'exprimant devant le Conseil
de l'europe, a déclaré : " Il est utile que l'Union se dote d'une
Charte des droits fondamentaux afin de se rapprocher de ses citoyens. " Mais il
a ajouté : " Il faut éviter toute incohérence entre la
Charte et la convention ou entre les jurisprudences des deux cours
européennes. "
Cela entraîne évidemment trois risques.
Le premier, c'est celui d'une Europe à deux vitesses, avec une certaine
conception des droits de l'homme dans une partie de l'Europe et une autre dans
le reste de l'Europe. Ce serait le risque d'une nouvelle division au moment
même où le continent européen refait son unité.
Le deuxième risque, c'est le risque de divergence quant aux droits
garantis.
Le troisième risque, principal, tient à l'institution d'un double
mécanisme de contrôle. Existe donc le risque d'une divergence des
droits garantis et de la jurisprudence des deux cours, celle de Strasbourg et
celle de Luxembourg.
La divergence sur la définition des droits entre la future Charte et la
convention existante ainsi que la divergence des mécanismes de
contrôle et des jurisprudences, voire leur concurrence, n'apporteraient
sans doute pas une sécurité supplémentaire quant aux
droits des citoyens. Les inévitables conflits de droit et conflits de
juridiction ne contribueraient pas à la lisibilité de la
construction européenne.
Ce sont, monsieur le ministre, les trois questions qui ont déjà
été posées mais que je répète.
Il faut, en premier lieu, inviter le Gouvernement français à
éviter toute divergence entre la convention européenne des droits
de l'hommes et la future Charte des droits fondamentaux dans la
définition même des droits.
Il convient, en deuxième lieu, faire preuve de circonspection à
l'égard d'une incorporation de la Charte dans les traités
européens qui entraînerait la compétence de la Cour de
justice de Luxembourg, et donc une concurrence fâcheuse avec la Cour de
Strasbourg.
Il faudrait, en troisième lieu, que soit bien précisé que
la Charte ne régit que des actes communautaires, et laisse donc entier
le système des droits reconnus à toutes les personnes
présentes sur le territoire communautaire, qu'elles aient ou non la
citoyenneté de l'un des Etats membres.
C'est une question d'efficacité, mais aussi de lisibilité de
l'Europe et des droits de l'homme par la population européenne. Nos
concitoyens éprouvent souvent des difficultés à savoir qui
fait quoi en Europe et qui est compétent pour quoi. A un moment
où l'Europe est à un tournant, il faut des réponses
claires à ces interrogations. Il est encore temps d'y contribuer. Je ne
doute pas, monsieur le ministre, que vous ayez la volonté d'y
contribuer.
H. INTERVENTION DE M. JAMES BORDAS
Si les
bonnes intentions ne donnent pas toujours les meilleurs résultats, le
groupe des Républicains et Indépendants approuve toutefois
l'idée d'un renforcement des droits fondamentaux des citoyens
européens.
Nous y sommes favorables par principe, car cela correspond à notre
vision d'une société plus humaine et plus juste, qui prenne mieux
en compte chaque individu en tant que tel.
Nous y sommes également favorables parce que ce projet peut contribuer
à forger une identité européenne qui soit non seulement
économique ou historique, mais également fondée sur des
droits et des principes communs pour tous les citoyens de l'Union.
Cela étant dit, mon groupe est perplexe quant au résultat final.
Le débat sur la Charte des droits fondamentaux de l'Union repose, en
effet, sur deux ambiguïtés majeures : ambiguïté
vis-à-vis de la convention de protection des droits de l'homme, qui est
déjà en vigueur dans le cadre du Conseil de l'Europe ;
ambiguïté sur le contenu même de la future Charte, que
beaucoup veulent étendre et que certains voient comme un embryon de
Constitution européenne.
Il est indispensable de lever rapidement ces deux ambiguïtés. A
défaut, le malaise que nous sommes déjà nombreux à
ressentir se transformera en affrontement idéologique, au risque de
faire échouer l'ensemble du processus.
Le débat d'aujourd'hui a donc beaucoup d'importance, et je rends hommage
à M. Haenel, président de la délégation pour
l'Union européenne, qui en a eu l'initiative.
Notre collègue nous a présenté les enjeux politiques et
juridiques de la Charte des droits fondamentaux.
De mon côté, je souhaite vous faire part de mes interrogations en
tant que sénateur membre de l'assemblée parlementaire du Conseil
de l'Europe.
Tout se passe comme si l'Europe découvrait la nécessité de
garantir le respect des droits de l'homme.
Or, il existe déjà une convention de sauvegarde des droits de
l'homme et des libertés fondamentales : elle a été
signée en 1950 au niveau du Conseil de l'Europe et elle dispose, depuis
1998, d'une cour unique et permanente dont les arrêts s'imposent aux
Etats membres.
Pourquoi alors refaire à quinze ce qui existe déjà
à quarante et un ? Pourquoi prendre le risque d'instituer un double
ordre juridique, l'un dépendant de l'Union européenne, l'autre du
Conseil de l'Europe ? Quelle serait alors la cour compétente ? Celle de
Strasbourg ou celle de Luxembourg ?
Je veux témoigner de l'esprit d'ouverture dans lequel la question a
été abordée au sein du Conseil de l'Europe, notamment par
la commission juridique et des droits de l'homme dont je fais partie.
Nous avons à plusieurs reprises -et longuement- débattu de
l'intention de l'Union européenne de se doter d'une Charte.
Je crois pouvoir assurer que le Conseil de l'Europe n'est absolument pas
opposé à une telle initiative et ne cherche pas à
préserver un quelconque monopole. Au contraire, le rapporteur de la
commission juridique, M. Magnusson, a accueilli favorablement l'adoption
de la Charte, la considérant comme un renforcement de la protection des
droits de l'homme en Europe. Il s'est seulement inquiété, comme
beaucoup, des risques de double emploi entre la Cour de justice de Luxembourg
et la Cour de Strasbourg.
Tel était le sens de la proposition d'adhésion de l'Union
européenne à la convention européenne des droits de
l'homme, qui serait ainsi venue s'ajouter aux adhésions individuelles
des quinze Etats membres.
Tel est aussi le sens de la résolution adoptée le 25 janvier
dernier par l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, qui
propose une autre solution, sous forme d'une incorporation dans la future
Charte des droits garantis par la convention.
Dans les deux cas, cela permettrait de combler le vide juridique qui exclut
aujourd'hui les actes et les décisions des institutions de l'Union
européenne du champ d'application du contrôle du respect des
droits de l'homme.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, ne nous voilons pas la face.
Soyons conscients que le problème est non pas juridique mais politique.
L'Union européenne, sous la pression du Parlement européen et de
quelques Etats membres, cherche à renforcer son identité. Elle
souhaite donc mettre en place son propre cadre juridique, dans tous les
domaines, et je pourrais prolonger mon propos en parlant de ce que l'on appelle
la " corbeille " des droits fondamentaux réservés aux citoyens de
l'Union ou de celle des droits économiques et sociaux.
Il est clair que certains veulent étendre le contenu de la future Charte
pour aller au-delà d'une simple codification du droit existant et lui
donner un caractère contraignant, avec toutes les dérives que
cela peut comporter.
Pour ma part, j'ai souhaité centrer mon intervention sur les risques
liés à la coexistence de deux juridictions en matière de
droits fondamentaux.
Je ne pense pas qu'il soit nécessaire de faire table rase du
passé. Il y a deux assemblées européennes mais une seule
Europe. Les citoyens n'ont rien à gagner d'une lutte d'influence entre
Strasbourg et Luxembourg.
Nous demandons en conséquence que la France mette tout en oeuvre pour
clarifier la situation.
L'Union européenne et le Conseil de l'Europe ont des objectifs
différents, mais une vision commune. Nous ne devons pas l'oublier.
I. RÉPONSE DE M. PIERRE MOSCOVICI, MINISTRE DÉLÉGUÉ CHARGÉ DES AFFAIRES EUROPÉENNES
Je veux
en premier lieu remercier M. Hubert Haenel pour la question qu'il a
posée aujourd'hui, question qui nous permet de débattre de cette
très importante initiative pour l'Europe qu'est le projet de Charte des
droits fondamentaux.
Il est en effet nécessaire que la représentation nationale, mais
aussi, à travers elle, l'opinion publique soient informées de ce
projet y apportent leur contribution. Je veux aussi remercier M. Hubert Haenel
et Mme Marie-Madeleine Dieulangard pour leur très active
participation au sein de la convention, où ils représentent tous
les deux le Sénat : je sais l'investissement de temps et
d'énergie que requiert cet exercice, et je me réjouis de
l'enthousiasme dont ils font preuve l'un et l'autre.
Le débat de ce matin aura été de haute tenue. Il aura
permis, j'en suis certain, d'approfondir toute une série de questions
importantes pour nos concitoyens.
1. L'élaboration de la Charte
Avant
d'apporter des éléments de réponse aux différentes
interrogations soulevées, je voudrais vous livrer les quelques
réflexions que m'inspire cette tentative unique, cette "
expérience ", devrais-je presque dire -M. Haenel a d'ailleurs
évoqué l'idée d'un " laboratoire "- qu'est la
rédaction d'une Charte des droits fondamentaux de l'Union
européenne par une enceinte tout à fait spécifique par
rapport aux institutions européennes classiques.
M. Fauchon s'est demandé si les dirigeants européens avaient une
idée claire lorsqu'ils ont lancé ce processus. Je crois que oui.
Je veux tout d'abord souligner la prise de conscience qu'a
révélée le lancement de cet exercice. Il est vrai que l'on
pourrait s'interroger sur son bien-fondé, ou peut-être même
sur son caractère paradoxal, et ce à deux titres : tout
d'abord, quinze Etats membres de l'Union ont incorporé depuis longtemps,
chacun en ce qui le concerne -plusieurs orateurs l'ont indiqué- la
convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés
fondamentales dans leur droit interne, et ils sont soumis à la
juridiction de Strasbourg, à laquelle nous sommes très
attachés ; par ailleurs, la Cour de justice des Communautés
européennes de Luxembourg a jugé à de nombreuses reprises
que le respect des droits fondamentaux faisait partie intégrante des
principes généraux du droit dont la Cour de justice assure le
respect.
Et pourtant, on est bien obligé de constater que les traités
constitutifs des Communautés ne contiennent aucun énoncé
des droits et des libertés qui en découlent. Si, en 1953, il fut
prévu dans l'avant-projet de " statut " des Communautés
européennes que les dispositions du titre Ier de la convention
européenne en feraient partie, aucune référence, a
fortiori aucune liste des droits fondamentaux, n'a, depuis, été
inscrite dans les textes constitutifs des Communautés de l'Union
européenne.
Il y a donc, dans ce projet de Charte des droits fondamentaux de l'Union
européenne, la volonté clairement politique - M. Delfau a
justement insisté sur ce point - de combler là une lacune. Il
s'agit en effet, comme l'indiquent clairement les conclusions du Conseil
européen de Cologne, d'ancrer l'importance et la portée
exceptionnelles de ces droits de façon visible pour les citoyens, et de
créer ainsi un texte de référence, un texte identifiant
précisément ce qu'est l'Union européenne, y compris dans
ses différences avec l'Europe des quarante et un, ses valeurs et, d'une
certaine façon, son projet politique.
Le projet de Charte des droits fondamentaux lancé par le Conseil
européen de Cologne des 3 et 4 juin 1999 répond donc, à
mon sens, à ce souci d'affirmer que la Communauté, que l'Union
européenne n'est pas seulement un ensemble à vocation
économique et financière, mais qu'elle est d'abord une
communauté de valeurs, une communauté de civilisations, une
communauté au sens fort, c'est-à-dire un lien de rattachement
indissoluble, d'adhésion identitaire, qui transcende les
tragédies de l'histoire européenne.
Je suis certain que nous nous sentons européens justement parce que nous
avons tiré les leçons des crimes qui ont conduit à
l'asservissement, à la dégradation, à la négation
de la dignité de la personne humaine et non pas seulement parce que
l'histoire et la géographie nous ont rassemblés au bout d'un
isthme continental. Nous sommes européens parce que nous avons la
volonté de vivre une vie commune et que nous partageons certaines
valeurs et non pas parce que le hasard nous fait vivre ici ou là en nous
contraignant à coopérer dans un grand marché unique,
doté maintenant d'une monnaie unique.
Si la méthode de construction graduelle de l'Europe, fonction par
fonction -charbon, acier, agriculture, transports- si bien décrite dans
la déclaration de Robert Schuman du 9 mai 1950 dont nous venons de
célébrer le cinquantième anniversaire, l'a emporté
et a conduit à la réalisation des solidarités de fait, il
faut aujourd'hui réfléchir à l'identité profonde de
l'Union, et ce ne peut être que le produit d'une volonté politique.
On sait aussi -Mme Dieulangard y a justement insisté- que, par une
coïncidence malheureuse, hélas ! les événements
politiques autrichiens ont mis également en exergue de façon
aiguë l'absence d'un référentiel de valeurs au sein de
l'Union et ont, je le crois sincèrement, accentué la
nécessité d'un tel exercice.
L'autre dimension que je veux souligner brièvement, c'est, bien
sûr, le caractère totalement inédit de la méthode
retenue. Comme vous l'avez indiqué, monsieur Haenel, c'est la
première fois qu'est confié à une enceinte composée
en majorité de parlementaires nationaux et européens ainsi
qu'à des personnalités représentants les chefs d'Etat et
de gouvernement le soin de rédiger un texte qui est appelé
à être adopté par les trois institutions que sont : le
Parlement européen, la Commission et le Conseil européen.
Cette volonté d'intégrer les parlementaires a été
fortement soutenue par la France ; il nous paraissait en effet indispensable,
s'agissant des droits fondamentaux, de recourir à un processus
d'élaboration associant d'abord les représentants élus des
citoyens.
De même, je me réjouis du principe de transparence qui
préside aux travaux de la convention, puisque tous les documents et
contributions sont disponibles immédiatement sur Internet. On pourra
peut-être, à Nice, adopter le premier texte européen on
line, la " charte.com ", en quelque sorte. En tout cas, la
société civile ne s'y est pas trompée et participe
pleinement à cette élaboration en ligne.
Cette initiative montre bien, à l'heure où sont engagées
les réformes fondamentales des institutions de l'Union dans le cadre de
la conférence intergouvernementale, que l'Union doit savoir et sait
aussi innover de façon pragmatique.
Il est vrai -je rejoins M. Hubert Haenel sur ce point- que le caractère
inédit de la procédure retenue fait peser une sorte d'obligation
de réussite sur la convention, si l'on veut que cette démarche
soit, demain, reprise dans d'autres circonstances ; mais c'est très
certainement ce qui fait aussi tout le piquant de participer à une telle
aventure.
J'en viens maintenant aux questions, nombreuses et très précises,
qui ont été soulevées ce matin. Je tâcherai d'y
apporter des réponses aussi précises que possible, même si
certains points n'ont pas encore fait l'objet de décisions
définitives au sein du Gouvernement et entre les autorités de
l'exécutif, justement parce que nous respectons le travail de la
convention, qui est un travail évolutif et conduit de façon
intelligente par son président, M. Herzog, et par ses membres.
2. Le processus d'adoption de la Charte
Je veux,
en premier lieu, préciser le calendrier et les modalités
d'adoption de cette Charte. Comme vous le savez, les conclusions du Conseil
européen de Cologne précisent que la convention devra remettre en
temps utile le projet de Charte pour permettre sa proclamation, lors du Conseil
européen qui se tiendra en décembre 2000 à Nice, par les
trois institutions principales de l'Union, à savoir la Commission, le
Parlement européen et le Conseil.
Le respect de ce calendrier implique que le projet de Charte issu de la
convention soit présenté lors du Conseil européen informel
qui se tiendra à la mi-octobre à Biarritz. Il est indispensable
que les Etats membres puissent, dès ce moment-là, vérifier
que le projet transmis respecte la " feuille de route " fixée à
Cologne. Par définition, le Conseil européen -et je
réponds ainsi à la première question de M. Hubert Haenel-
pourrait amender le texte, et c'est d'ailleurs son rôle.
Mais je veux me placer volontairement dans une perspective où le texte
de la Convention sera si parfaitement lisible, concis et percutant, qu'il ne
nécessitera tout au plus que de légères modifications, ce
qui n'est pas illogique compte tenu du fait que chaque chef d'Etat ou de
Gouvernement a un représentant dans la convention.
J'exclus en tout cas l'hypothèse d'une complète
réécriture du projet par le Conseil européen ou, plus
encore, par le Parlement européen ; je tiens à souligner, au
contraire, toute l'attention que porte le Conseil aux travaux de la convention,
puisque la présidence portugaise a souhaité entendre un rapport
de M. Herzog lors du Conseil européen qui se tiendra, en juin prochain,
à Feira.
3. Le contenu de la Charte
J'en
viens maintenant aux interrogations relatives au contenu même de la
Charte.
Tout d'abord, va-t-il s'agir d'une codification du droit existant ou d'une
innovation ? Mme Bidard-Reydet, par exemple, s'est demandé si l'on
ferait du recopiage du droit existant ou si l'on créerait des droits
nouveaux.
Un premier débat, ainsi que l'a rappelé M. Haenel, opposerait les
tenants d'une codification stricte à ceux qui souhaitent aller plus
loin. Il est certain que, pour le Gouvernement français, il s'agit non
pas de créer
ex nihilo
de nouveaux droits, mais de reprendre
largement et d'écrire des principes et des valeurs qui existent
déjà soit dans des textes internationaux, soit dans les textes
communautaires de " droit primaire " ou de " droit dérivé ", soit
encore dans les traditions constitutionnelles des Etats membres.
C'est peut-être d'ailleurs sur ce dernier point que le travail, que je
qualifierai d'" innovation stylistique ", qui sera mené, à la
marge, par la convention peut être le plus intéressant.
La Charte des droits fondamentaux prévoira-t-elle des droits effectifs
ou des objectifs politiques ? Cette question a notamment été
soulevée concernant les droits économiques et sociaux, sur
lesquels je reviendrai plus tard un peu plus longuement.
Sur ce point, il faut, à mon avis, avoir une lecture souple et
volontariste de la " feuille de route " dessinée par les conclusions du
Conseil européen de Cologne. Le droit à l'emploi, par exemple, ne
saurait être évincé au prétexte qu'il s'apparente
plus à un objectif qu'à un droit effectif. C'est ce que font nos
amis britanniques mais, pour nous, c'est totalement inacceptable.
Cette conception peut d'ailleurs être aisément contrée si
l'on rappelle que l'ensemble des dispositifs mis en oeuvre depuis le
traité d'Amsterdam -lignes directrices pour l'emploi, pacte
européen pour l'emploi...- ont déjà donné corps, au
niveau européen, à ce droit à l'emploi qui ne constitue
donc plus seulement un objectif.
J'entrerai maintenant dans ce que l'on peut appeler " le contenu
matériel " de la Charte, qui est bien sûr, pour le Gouvernement,
l'aspect le plus important.
Vous m'avez interrogé, monsieur Haenel, sur l'éventuelle
inscription d'un droit des minorités ou, encore, du principe de
laïcité. Mme Dieulangard a, quant à elle, indiqué
avec précision les droits sociaux qu'elle souhaitait voir figurer dans
ce texte.
Comme vous le savez, les conditions du Conseil de Cologne ont défini les
trois " corbeilles " de droits que doit contenir ce texte, et je sais que la
convention s'en tiendra à cette feuille de route.
S'agissant du droit des minorités, le Gouvernement ne peut que s'opposer
à une telle inscription, qui est contraire à notre tradition
constitutionnelle. Par ailleurs, le traité sur l'Union comporte, en son
article 13, le principe général de non-discrimination qui peut
permettre, par exemple, la défense de telle ou telle " tradition
culturelle ", expression que je préférerais à celle de "
droit des minorités ".
Sur le principe de laïcité -c'est un autre exemple d'un principe
qui n'appartient pas, loin de là, à l'ensemble des traditions
constitutionnelles des Etats membres, mais je sais qu'au cours des
débats de la convention certains l'ont toutefois évoqué
sous le nom de " principe de neutralité "- je ne dissuaderai
sûrement pas les membres français de l'enceinte de tenter la
chose, mais je ne suis pas certain, et je le regrette, qu'ils obtiendront
satisfaction ; en tout cas, ils seront soutenus.
Les droits économiques et sociaux
J'en viens maintenant à un sujet essentiel, que M. Masson a
présenté à sa façon et sur lequel ont
insisté Mme Bidard-Reydet et M. Delfau. Ce sujet constitue le coeur de
cette Charte pour ceux qui veulent en faire un projet social : je veux parler
des droits économiques et sociaux.
Vous le savez, mais je veux le rappeler, cette partie constitue pour nous le
coeur de la démarche puisqu'elle souligne le caractère global et
équilibré de la Charte et qu'elle traduira aussi la
réalité du modèle social européen.
Vous le savez aussi bien que moi, les premiers débats ont montré
que, sur ces points, les choses n'allaient pas de soi pour tous nos
partenaires. Certains pays nordiques et nos amis britanniques s'opposent
même clairement à nous sur l'ampleur et la portée de ces
droits. Ainsi, le droit de négocier et de conclure des conventions
collectives, le droit de grève, mais également l'insertion dans
la Charte du droit à un salaire minimum sont contestés par
certains.
Pour ma part, j'estime qu'il faut au minimum, pour que la Charte ait un contenu
acceptable pour nous, qu'y figurent une quizaine de droits sociaux essentiels
allant du droit au travail et à la protection sociale au droit de
grève en passant par le droit syndical ou la garantie d'accès
pour tous aux services d'intérêt général, sujet sur
lequel M. Delfau a insisté.
Je reprendrai bien volontiers à mon compte ce qui a été
dit sur le droit au logement par Mme Dieulangard, ou encore tout ce qui a
été dit sur la revalorisation des droits sociaux, notamment
syndicaux, par Mme Bidard-Reydet.
Je partage sur ce point l'avis du président Haenel, à savoir que,
honnêtement, mieux vaut pas de Charte du tout qu'une Charte qui serait un
ersatz ne comprenant pas ces droits économiques et sociaux.
La présence de droits sociaux dans cette Charte consacre par ailleurs
une évolution philosophique et juridique, l'unicité des droits
fondamentaux. Il est effectivement clair, aujourd'hui, que droits civils,
droits politiques, droits économiques et sociaux sont
interdépendants. La liberté d'association, de pensée,
d'opinion, la liberté syndicale -j'y reviens- la liberté de
manifestation ou de négociation sont ainsi intimement liées.
C'est l'intérêt, et je dirai même la condition sine qua non
d'un tel texte.
Les droits de troisième génération
En outre, M. Haenel et Mme Dieulangard se sont demandé si d'autres
droits, dits nouveaux droits ou droits de troisième
génération, pouvaient être intégrés dans le
projet de Charte. Il s'agit notamment des droits relatifs à la
protection de l'environnement, à la bioéthique, ou encore
à la transparence administrative.
Ces questions sont importantes pour nos concitoyens et le président
Herzog semble lui-même -je parle sous votre contrôle, Monsieur
Haenel- favorable à leur intégration.
Il est certain que c'est également à travers l'inscription de
tels droits que la valeur ajoutée de cette Charte se confirmera. J'ai
donc une attitude ouverte à l'égard de ces propositions, à
la condition expresse, je le répète, qu'aucun de ces droits ne
constitue une création
ex nihilo
. Un droit énoncé
doit forcément se rattacher à un texte existant, soit à un
texte international ratifié par les Quinze, soit à telle ou telle
tradition constitutionnelle partagée par tous les Etats membres.
Droits et devoirs
Enfin, s'agissant de l'idée de " devoirs " ou de "
responsabilités " que M. Fauchon à défendue avec son
éloquence coutumière, je ne peux que confirmer que j'y suis, pour
ma part, très favorable.
La citoyenneté, bien sûr, mais plus généralement
l'appartenance à une société exigent que chacun soit aussi
conscient de ce que l'on attend de lui.
Je renvoie cette question à la convention et je suis certain que Guy
Braibant, même s'il a pu être perçu comme " taisant ", ou "
taiseux ", a été dûment sensibilisé par M. Haenel et
a appliqué à ce sujet le principe selon lequel " qui ne dit mot
consent ". Je crois en tout cas que c'est ainsi qu'il faut interpréter
ce silence.
4. La valeur de la Charte
J'en
reviens à une question fondamentale posée par beaucoup d'entre
vous, notamment par M. Masson, chez lequel j'ai cru ressentir une
légère hostilité, et par Mme Dieulangard, qui y est au
contraire très favorable : je veux parler de la valeur contraignante ou
non de la Charte.
Vous connaissez ma position. Elle a été critiquée
mezzo
voce
par M. Hoeffel, mais, pour ma part, j'assume ce que j'ai dit
auparavant. Outre le fait que les conclusions de Cologne sont
particulièrement claires et qu'il est difficile pour la France, qui
assurera la présidence de l'Union, de préempter aujourd'hui un
tel débat, il me paraît de bon sens d'attendre de connaître
le projet rédigé par la convention pour nous interroger sur une
éventuelle valeur contraignante de cette Charte. J'attends donc de voir
ce qu'il en sera avant de me prononcer.
Plus ce texte sera percutant, fort, concis, lisible, accessible à nos
concitoyens, plus la question de sa valeur juridique et de son
éventuelle insertion dans les traités sera pertinente, et je me
refuse de poser cette question par principe.
Je redis à M. Masson que tel n'est effectivement pas notre objectif
premier. Mais il est tout aussi vrai que des réflexions sont
menées par le Gouvernement et par le Président de la
République dans l'hypothèse où la qualité de ce
texte serait suffisante. A ce stade, l'une des solutions envisageables serait
son intégration par voie de protocole, mais nous verrons bien en
fonction des travaux.
A ce titre, je rappelle que nous ne sommes pas seuls dans cette affaire et que
conférer un caractère contraignant à ce texte poserait
à certains de nos partenaires des difficultés
particulières. Je pense notamment au Danemark, pour lequel une telle
option entraînerait nécessairement l'organisation d'un
référendum, ce qui n'est jamais simple sur les questions
européennes. Et, pour d'autres pays aussi, se poseraient certainement
des questions constitutionnelles.
En tout cas, soyez sûr, monsieur Haenel, que le Président de la
République et le Premier ministre, qui siègent ensemble au
Conseil européen, ont à coeur de traiter cette question.
Notre objectif est donc de disposer du meilleur texte possible lors du Conseil
européen de Nice, qui conclura notre présidence. Au demeurant, il
me semble que la ligne choisie par le président Herzog est la bonne : il
a fait le choix de conduire les travaux de rédaction du projet de Charte
comme si celle-ci devait être un jour contraignante. C'est sans doute la
meilleure solution, et je vous fais toute confiance pour parvenir à un
résultat probant.
Sans préjuger la valeur juridique qui sera finalement
conférée à la Charte, je veux néanmoins traiter
rapidement quelques interrogations juridiques que soulève l'existence
même de ce texte.
M. Hoeffel et M. Bordas se sont faits les avocats éloquents du Conseil
de l'Europe. Il a souvent été avancé -parfois sous forme
critique, reconnaissons-le- que le projet de Charte constituerait une sorte de
" doublon " de la convention européenne des droits de l'homme, risquant
ainsi d'entraîner une confusion aux yeux des citoyens, voire d'être
à l'origine d'une " Europe des droits de l'homme à deux vitesses
". Telle est bien, en substance, la thèse que vous avez défendue.
J'essaie d'évaluer avec sérieux un tel risque. En termes de
contenu, tout d'abord, la Charte constituera un texte plus global -plus
approfondi aussi, j'espère- que la convention européenne des
droits de l'homme, puisqu'elle doit non seulement contenir les droits civiques
et politiques tels qu'on peut les trouver dans la convention, mais aussi les
droits inhérents à la citoyenneté européenne ainsi
que les fameux droits économiques et sociaux dont nous parlions à
l'instant.
Ce projet a donc, pour moi, sa légitimité propre, ainsi que l'ont
d'ailleurs reconnu les membres de l'assemblée parlementaire du Conseil
de l'Europe dans leur résolution relative à la Charte.
S'agissant du risque de confusion, ou même d'une éventuelle
concurrence entre la Cour du Luxembourg et la Cour de Strasbourg -risque que je
ne méconnais pas et que je ne sous-estime pas- il est certain que,
lorsque la Charte reprend des droits directement issus de la convention, elle
doit veiller -et elle y veille- à adopter la formulation la plus proche
possible de celle-ci et de la jurisprudence de la Cour européenne des
droits de l'homme afin d'assurer la plus grande sécurité
juridique, ce qui est notre préoccupation commune.
Un autre élément doit permettre, me semble-t-il, de
réduire les inquiétudes : la Charte concernera d'abord les
institutions de l'Union, conformément aux conclusions de Cologne, et, de
ce point de vue, les partisans des droits de l'homme que nous sommes tous ici
ne peuvent que se réjouir, car cette initiative comble un vide, la
Communauté européenne en tant que telle n'étant pas
justiciable -et nous souhaitons que cela demeure ainsi- de la Cour
européenne des droits de l'homme.
La Cour de justice des Communautés européennes a
déjà la faculté de recourir, pour élaborer sa
jurisprudence, aux principes contenus dans la convention, aux termes de
l'article 6, paragraphe 2, du traité sur l'Union.
La Charte devrait donc, au contraire des craintes qui ont pu apparaître
et que, encore une fois, je ne sous-estime pas, aller dans le sens d'une plus
grande sûreté juridique puisque, d'une certaine façon, elle
donnera une traduction précise et écrite -et non pas
abandonnée à la seule jurisprudence- de ce fameux article 6.
C'est pourquoi -et cela découle, je crois, de tout ce que je viens de
dire- je veux rappeler notre opposition à l'adhésion de l'Union
à la convention européenne des droits de l'homme. En effet, outre
le fait que nous refusons une subordination juridique de l'Union à la
Cour européenne de Strasbourg, j'attire votre attention sur le fait
qu'au-delà de cette subordination juridique l'adhésion risquerait
d'être perçue comme une subordination politique de l'Europe des
quinze à l'Europe des quarante et un.
En tout état de cause, une adhésion ne saurait être
considérée comme répondant de façon satisfaisante
aux objectifs assignés à la Charte des droits fondamentaux de
l'Union européenne, puisque la convention européenne des droits
de l'homme, je le rappelle, ne comprend aucun droit social.
Je tiens à insister sur la différence de nature non pas entre le
Conseil de l'Europe et l'Union européenne, mais entre les deux cours,
puisque la Cour européenne de Strasbourg est composée de quarante
et un juges -qui ont autant de traditions juridiques différentes- ce qui
pose certains problèmes de sûreté. Mais nous veillons
très attentivement à la correspondance des jurisprudences des
deux cours.
Je veux enfin répondre à la question du M. Haenel relative au
champ d'application de la Charte, et plus précisément au sort
réservé aux actes des Etats membres pris en application du droit
communautaire.
Je souhaite d'abord vous indiquer, Monsieur Haenel, qu'en posant cette question
vous vous placez dans l'hypothèse d'une Charte à laquelle aurait
été donnée une valeur contraignante. Soit ! Mais, dans
cette hypothèse, il est aussi clair, à mon sens, qu'il ne s'agira
pas nécessairement d'appliquer les règles de procédure
habituelles, et notamment le droit de " gardien " des textes reconnu par les
traités à la seule Commission européenne.
Mais je dois dire que, même si le Conseil européen décide
que la Charte ne sera pas formellement contraignante, il ne me paraîtrait
néanmoins pas choquant que la Cour de justice des Communautés
européennes fasse référence ou s'inspire de la Charte des
droits fondamentaux, comme elle le fait déjà, au fond, de
façon " jurisprudentielle ", en application de l'article 6 du
traité, lorsqu'elle est amenée à juger de dispositions
nationales prises en application du droit communautaire.
Mesdames, Messieurs les sénateurs, alors que nous venons de
célébrer, le 9 mai dernier, le cinquantième anniversaire
de la déclaration de Robert Schuman, il me paraît essentiel de
rappeler que la construction européenne répond d'abord à
une exigence morale et politique : asseoir définitivement sur notre
continent tant de fois meurtri la paix, la démocratie et la
liberté. Cinquante ans après cette déclaration, au moment
où l'Europe rencontre de formidables succès mais s'interroge en
même temps sur son avenir, il est important qu'un texte fort rappelle ce
que sont les valeurs essentielles sur lesquelles se fonde ce modèle
européen. C'est en tout cas, pour moi, le sens premier que revêt
la rédaction de la Charte des droits fondamentaux de l'Union
européenne.
Quoi qu'il en soit, il me paraît certain, pour reprendre les propos de M.
Haenel, que, si cette initiative réussit, elle constituera un
indéniable et considérable succès pour l'Europe, pour les
citoyens, mais aussi pour les parlements. En revanche, si, hélas ! nous
échouons -et je rejoins encore une fois M. Haenel-, il serait alors
difficile de ne pas en tirer quelques conclusions quant à l'avenir de
l'Europe politique. Toutefois, j'ai bien compris que les propos de M. Haenel
représentaient une mise en garde s'agissant de la méthode, une
impulsion, un aiguillon, et ne reflétaient pas un manque de confiance.
Je partage totalement son optimisme.
En elle-même, cette Charte ne résout pas tous les
problèmes. Très prochainement, se tiendra ici même le
débat sur les objectifs de la présidence française,
à l'image de celui qui a eu lieu le 9 mai dernier devant
l'Assemblée nationale. La Charte est l'un des aspects de l'Europe
politique, de même que la réforme des institutions et la
construction de l'Europe de la défense. Ce sont là des
éléments constitutifs du projet que nous voulons mettre en oeuvre
pour l'Europe, un projet social, un projet politique, un projet, encore une
fois, de civilisation.
La Charte sera-t-elle une Constitution ? Ce débat sur l'avenir de
l'Europe, que nous reprendrons, si vous le voulez bien, le 16 mai prochain et
qui a été illustré de façon brillante à
l'Assemblée nationale, par exemple par M. Giscard d'Estaing, par M.
Juppé, par M. Hue ou par M. le Premier ministre, est devant nous. Quant
à la Constitution, nous verrons bien !
Je n'y suis pas opposé par principe, mais cela ne se fera en tout cas
pas sans Constituants !
ANNEXES
ETAT DU PROJET DE CHARTE EN DISCUSSION AU 1ER JUIN 2000
NOUVELLE PROPOSITION DU PRESIDIUM POUR LES ARTICLES 1 À 30 (DROITS CIVILS ET POLITIQUES ET DROITS DU CITOYEN)
(11 mai 2000)
Article 1
. Dignité de la personne humaine
1. La dignité de la personne humaine doit être respectée et
protégée.
2. Toutes les personnes sont égales en droit.
Exposé des motifs
Cet article figure comme premier article de la Charte, car la dignité de
la personne humaine constitue le fondement même des droits fondamentaux.
La déclaration universelle des droits de l'homme établit ce
principe dans son préambule :
" considérant que la
reconnaissance de la dignité inhérente à tous les membres
de la famille humaine et de leurs droits égaux et inaliénables
constitue le fondement de la liberté, de la justice et de la paix dans
le monde ".
Le respect de la dignité de la personne humaine constitue une limite
inhérente à tous les autres droits qui ne peuvent être
utilisés pour porter atteinte à cette dignité.
Le paragraphe 2 retrace un principe que la Cour a jugé être un
principe fondamental communautaire (arrêt du 13.11.1984, Racke, Aff.
283/83, Rec. p. 3791).
Article 2
. Droit à la vie
1. Toute personne a droit à la vie
2. Nul ne peut être condamné à la peine de mort, ni
exécuté.
Exposé des motifs
Le paragraphe 1 reproduit l'article 2 de la Convention européenne des
droits de l'homme qui se lit ainsi :
" 1. Le droit de toute personne à la vie est
protégée par la loi. La mort ne peut être infligée
à quiconque intentionnellement, sauf en exécution d'une sentence
capitale prononcée par un tribunal au cas où le délit
serait puni de cette peine par la loi
.
2. La mort n'est pas considérée comme infligée en
violation de cet article dans les cas où elle résulterait d'un
recours à la force rendu absolument nécessaire :
a. pour assurer la défense de toute personne contre la violence
illégale ;
b. pour effectuer une arrestation régulière ou pour
empêcher l'évasion d'une personne régulièrement
détenue ;
c. pour réprimer, conformément à la loi, une émeute
ou une insurrection ".
Les exceptions visées au paragraphe 2 de l'article 2 de la Convention
s'appliquent dans le cadre de la présente charte conformément
à la clause générale au projet d'article H 2 figurant au
doc. charte 4235/00 CONVENT 27.
Le paragraphe 2 reproduit la deuxième phrase de l'article 1 du protocole
n° 6 à la Convention européenne des droits de l'homme.
L'article 2 du protocole est rédigé ainsi :
" Un Etat
peut prévoir dans sa législation la peine de mort pour des actes
commis en temps de guerre ou de danger imminent de guerre; une telle peine ne
sera appliquée que dans les cas prévus par cette
législation et conformément à ses dispositions... ".
Le problème des limitations sera résolu par la clause horizontale
relative à la Convention européenne.
Article 3
. Droit au respect de l'intégrité de la
personne humaine
1. Toute personne a droit au respect de son intégrité physique et
mentale.
2. Dans le cadre de la médecine et de la biologie, les principes
suivants doivent notamment être respectés :
- interdiction des pratiques eugéniques ;
- respect du consentement éclairé du patient ;
- interdiction de faire du corps humain et de ses produits une source de profit
;
- interdiction du clonage reproductif des êtres humains.
Exposé des motifs
Ces principes figurent dans la Convention sur les droits de l'homme et la
biomédecine. La présente charte ne vise à pas
déroger à ces dispositions. L'énumération n'est pas
exhaustive, ce qui permet une évolution pour tenir compte des
progrès éventuels en la matière.
Article 4
. Interdiction de la torture et des traitements
inhumains.
Nul ne peut être soumis à la torture, ni à des peines ou
traitements inhumains ou dégradants.
Nul ne peut être expulsé ni extradé vers un Etat où
il serait menacé d'être soumis à la peine de mort, à
la torture ou à d'autres traitements inhumains.
Exposé des motifs
Cet article reproduit l'article 3 de la Convention européenne des droits
de l'homme :
" Nul ne peut être soumis à la torture ni à des
peines ou traitements inhumains ou dégradants ".
La seconde
phrase de cet article incorpore la jurisprudence de la Cour européenne
sur l'article 3.
Article 5
. Interdiction de l'esclavage et du travail forcé
1. Nul ne peut être tenu en esclavage ni en servitude.
2. Nul ne peut être astreint à accomplir un travail forcé
ou obligatoire.
Exposé des motifs
Cet article reprend l'article 4 de la Convention européenne des droits
de l'homme :
"1. Nul ne peut être tenu en esclavage ni en servitude.
2. Nul ne peut être astreint à accomplir un travail forcé
ou obligatoire.
3. N'est pas considéré comme "travail forcé ou
obligatoire" au sens du présent article :
a) tout travail requis normalement d'une personne soumise à la
détention dans les conditions prévues par l'article 5 de la
présente Convention, ou durant sa mise en liberté conditionnelle ;
b) tout service de caractère militaire ou, dans le cas d'objecteurs de
conscience dans les pays où l'objection de conscience est reconnue comme
légitime, à un autre service à la place du service
militaire obligatoire ;
c) tout service requis dans le cas de crises ou de calamités qui
menacent la vie ou le bien-être de la communauté ;
d) tout travail ou service formant partie des obligations civiques normales.
"
Le troisième alinéa de cet article qui indique dans quel cas un
travail n'est pas considéré comme forcé ou obligatoire n'a
pas été reprise. Cette disposition sera intégrée
par la clause horizontale relative à la Convention européenne des
droits de l'homme. Il va de soi que ne relèvent notamment pas de la
notion de travail forcée les prestations personnelles établies
par la loi et qui sont exigées des citoyens pour des raisons civiques ou
dans des cas d'urgence ou de calamité, l'accomplissement des obligations
militaires ou le service de remplacement, ni le travail exigé
normalement d'une personne privée de liberté.
Article 6
. Droit à la liberté et à la
sûreté Toute personne a droit à la liberté et
à la sûreté.
Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans des cas et
selon les formes prévus par la loi.
Exposé des motifs
L'article 5 de la Convention européenne des droits de l'homme
défini ainsi les cas dans lesquels une personne peut être
privée de sa liberté :
" 1. Toute personne a droit à la liberté et à la
sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté,
sauf dans les cas suivants et selon les voies légales :
a) s'il est détenu régulièrement après condamnation
par un tribunal compétent ;
b) s'il a fait l'objet d'une arrestation ou d'une détention
régulières pour insoumission à une ordonnance rendue,
conformément à la loi, par un tribunal ou en vue de garantir
l'exécution d'une obligation prescrite par la loi ;
c) s'il a été arrêté et détenu en vue
d'être conduit devant l'autorité judiciaire compétente,
lorsqu'il y a des raisons plausibles de soupçonner qu'il a commis une
infraction ou qu'il y a des motifs raisonnables de croire à la
nécessité de l'empêcher de commettre une infraction ou de
s'enfuir après l'accomplissement de celle-ci ;
d) s'il s'agit de la détention régulière d'un mineur,
décidée pour son éducation surveillée ou de sa
détention régulière, afin de le traduire devant
l'autorité compétente ;
e) s'il s'agit de la détention régulière d'une personne
susceptible de propager une maladie contagieuse, d'un aliéné,
d'un alcoolique, d'un toxicomane ou d'un vagabond ;
f) s'il s'agit de l'arrestation ou de la détention
régulières d'une personne pour l'empêcher de
pénétrer irrégulièrement dans le territoire, ou
contre laquelle une procédure d'expulsion ou d'extradition est en cours.
2. Toute personne arrêtée doit être informée, dans le
plus court délai et dans une langue qu'elle comprend, des raisons de son
arrestation et de toute accusation portée contre elle.
3. Toute personne arrêtée ou détenue, dans les conditions
prévues au paragraphe 1.c du présent article, doit être
aussitôt traduite devant un juge ou un autre magistrat habilité
par la loi à exercer des fonctions judiciaires et a le droit
d'être jugée dans un délai raisonnable, ou
libérée pendant la procédure. La mise en liberté
peut être subordonnée à une garantie assurant la
comparution de l'intéressé à l'audience.
4. Toute personne privée de sa liberté par arrestation ou
détention a le droit d'introduire un recours devant un tribunal, afin
qu'il statue à bref délai sur la légalité de sa
détention et ordonne sa libération si la détention est
illégale.
5. Toute personne victime d'une arrestation ou d'une détention dans des
conditions contraires aux dispositions de cet article a droit à
réparation ".
L'article 6 de la charte n'entend permettre aucun autre cas de privation de
liberté que ceux qui sont autorisés par la Convention
européenne des droits de l'homme, lesquels s'appliquent en vertu du
projet d'article H 2 (2) relatif aux limitations des droits garantis, figurant
au document CHARTE 4235/00 CONVENT 27. Dans la mesure où la charte
s'applique dans le cadre de l'Union, ces droits devront notamment être
respectés lorsque, conformément au titre VI du traité sur
l'Union européenne, l'Union adopte des décisions-cadres pour
l'harmonisation en matière pénale.
Article 7
. Droit à un recours effectif
Toute personne dont les droits et libertés ont été
violés à droit à un recours effectif devant un tribunal.
Exposé des motifs
Cet article reprend l'article 13 de la Convention européenne des droits
de l'homme:
" Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la
présente Convention ont été violés, a droit
à l'octroi d'un recours effectif devant une instance nationale, alors
même que la violation aurait été commise par des personnes
agissant dans l'exercice de leurs fonctions officielles ".
La Cour de justice a consacré le principe en droit communautaire dans
son arrêt du 15 mai 1986 (Johnston, aff. 222/84, Rec. p.1651). Selon la
Cour, ce principe s'applique également aux Etats membres lorsqu'ils
appliquent le droit communautaire. L'inscription de cette jurisprudence dans la
charte n'a pas pour objet de modifier le système de recours prévu
par les traités et notamment les règles relatives à la
recevabilité. Ce principe est mis en oeuvre selon les voies
procédurales prévues dans les traités : recours en
annulation lorsque les conditions de recevabilité sont remplies ou
recours préjudiciel en appréciation de recevabilité
lorsque la question est posée devant un juge national. La
rédaction de l'article a été adaptée pour tenir
compte des spécificités de l'Union.
Ainsi, on a supprimé la référence à une instance
nationale puisque la Charte s'applique qu'aux institutions et organes de
l'Union et que, dans ce cadre, le recours peut être exercé soit
devant le juge communautaire, soit devant le juge national qui est le juge de
droit commun en matière d'application du droit communautaire. De
même, la notion d'instance nationale a été remplacée
par celle de tribunal puisque la jurisprudence de la Cour vise la protection
juridictionnelle.
Article 8
. Droit à un tribunal impartial
1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendu
équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un
tribunal indépendant et impartial, établi par la loi.
2. Une aide juridictionnelle est accordée à ceux qui ne disposent
pas de ressources suffisantes dans la mesure où cette aide serait
indispensable pour assurer l'effectivité de l'accès à la
justice.
Exposé des motifs
Cet article se fonde sur l'article 5 § 1 de la Convention
européenne des droits de l'homme qui se lit ainsi :
" Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue
équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un
tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui
décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de
caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en
matière pénale dirigée contre elle. Le jugement doit
être rendu publiquement, mais l'accès de la salle d'audience peut
être interdit à la presse et au public pendant la totalité
ou une partie du procès dans l'intérêt de la
moralité, de l'ordre public ou de la sécurité nationale
dans une société démocratique, lorsque les
intérêts des mineurs ou la protection de la vie privée des
parties au procès l'exigent, ou dans la mesure jugée strictement
nécessaire par le tribunal, lorsque dans des circonstances
spéciales la publicité serait de nature à porter atteinte
aux intérêts de la justice ".
En droit communautaire, le droit à un tribunal s'applique à tous
les contentieux. Elle est l'une des conséquences du fait que la
Communauté est une communauté de droit comme la Cour l'a
constaté dans l'affaire 194/83, Les Verts contre Parlement
européen (arrêt du 23 avril 1986, rec. p.1339), ce qui
entraîne comme conséquence un droit à un recours effectif
devant un juge (parmi une jurisprudence abondante, Johnston, aff. 222/84,
arrêt du 15 mai 1986 rec. p. 1682).
Les limitations n'ont pas été reproduites, mais elles
s'appliquent dans le cadre de la clause générale de limitation
qui devrait figurer dans la charte.
En ce qui concerne le paragraphe 2, il convient de noter que d'après la
jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, une aide
judiciaire doit être accordée lorsque l'absence d'une telle aide
rendrait inefficace la garantie d'un recours effectif (Arrêt CEDH du
9.10.1979, Airey, Série A, Volume.32, 11). Il existe également un
système d'assistance judiciaire devant la Cour de justice des
Communautés européennes. Dans ces conditions, il a
été jugé important de consacrer le principe dans la charte.
Article 9
. Présomption d'innocence et droits de la
défense
1. Tout accusé est présumé innocent jusqu'à ce que
sa culpabilité ait été légalement établie.
2. Le respect des droits de la défense est garanti à tout
accusé.
Exposé des motifs
Cet article se fonde l'article 5 § 2 et 3 de la Convention
européenne des droits de l'homme qui se lit ainsi :
" 2.Toute personne accusée d'une infraction est
présumée innocente jusqu'à ce que sa culpabilité
ait été légalement établie.
3. Tout accusé a droit notamment à :
a) être informé, dans le plus court délai, dans une langue
qu'il comprend et d'une manière détaillée, de la nature et
de la cause de l'accusation portée contre lui ;
b) disposer du temps et des facilités nécessaires à la
préparation de sa défense ;
c) se défendre lui-même ou avoir l'assistance d'un
défenseur de son choix et, s'il n'a pas les moyens de
rémunérer un défenseur, pouvoir être assisté
gratuitement par un avocat d'office, lorsque les intérêts de la
justice l'exigent ;
d) interroger ou faire interroger les témoins à charge et obtenir
la convocation et l'interrogation des témoins à décharge
dans les mêmes conditions que les témoins à charge ;
e) se faire assister gratuitement d'un interprète, s'il ne comprend pas
ou ne parle pas la langue employée à l'audience ".
Compte tenu du parti pris de brièveté dans la rédaction
qui a été retenu, il n'a pas été jugé utile
de reproduire cet article dans son intégralité, mais
conformément à l'article 6 du traité sur l'Union
européenne ces dispositions qui explicitent les principes retenus dans
l'article de la charte, s'appliquent dans le droit de l'Union.
Article 10
. Pas de peine sans loi
1. Nul ne peut être condamné pour une action ou une omission qui,
au moment où elle a été commise, ne constituait pas une
infraction d'après le droit national ou le droit international. De
même, il n'est infligé aucune peine plus forte que celle qui
était applicable au moment où l'infraction a été
commise. Si, postérieurement à cette infraction, la loi
prévoit une peine plus légère, celle-ci doit être
appliquée.
2. Le présent article ne porte pas atteinte au jugement et à la
punition d'une personne coupable d'une action ou d'une omission qui, au moment
où elle a été commise, était criminelle
d'après les principes généraux du droit international.
Exposé des motifs
Cet article reprend le principe classique de la non-rétroactivité
des lois et des peines en matière pénale. Il a été
ajouté le principe de la rétroactivité de la loi
pénale plus douce qui existe dans de nombreux Etats membres et qui
figure à l'article 15 du Pacte sur les droits civils et politiques.
L'article 7 de la Convention européenne des droits de l'homme est
rédigé comme suit :
" 1. Nul ne peut être condamné pour une action ou une
omission qui, au moment où elle a été commise, ne
constituait pas une infraction d'après le droit national ou
international. De même il n'est infligé aucune peine plus forte
que celle qui était applicable au moment où l'infraction a
été commise.
2. Le présent article ne portera pas atteinte au jugement et à la
punition d'une personne coupable d'une action ou d'une omission qui, au moment
où elle a été commise, était criminelle
d'après les principes généraux de droit reconnus par les
nations civilisées ".
On a simplement remplacé au paragraphe 2 le terme " civilisées "
par le terme plus moderne de principe généraux du droit
international ce qui n'implique aucun changement dans le sens de ce paragraphe
qui vise notamment les crimes contre l'humanité.
Article 11
.
Droit à ne pas être jugé ou
puni deux fois.
Nul ne peut être poursuivi ou puni pénalement en raison d'une
infraction pour laquelle il a déjà été
acquitté ou condamné par un jugement définitif
conformément à la loi.
Exposé des motifs
L'article 4 du protocole n 7 à la Convention européenne des
droits de l'homme se lit ainsi :
" 1. Nul ne peut être poursuivi ou puni pénalement par les
juridictions du même Etat en raison d'une infraction pour laquelle il a
déjà été acquitté ou condamné par un
jugement définitif conformément à la loi et à la
procédure pénale de cet Etat.
2. Les dispositions du paragraphe précédent n'empêchent pas
la réouverture du procès, conformément à la loi et
à la procédure pénale de l'Etat concerné, si des
faits nouveaux ou nouvellement révélés ou un vice
fondamental dans la procédure précédente sont de nature
à affecter le jugement intervenu.
3. Aucune dérogation n'est autorisée au présent article au
titre de l'article 15 de la Convention ".
Le paragraphe 2 de l'article du protocole n°7 s'appliquera en vertu de la
clause horizontale relative à la Convention. Le principe "non bis in
idem" s'applique en droit communautaire (voir parmi une importance
jurisprudence, arrêt du 5 mai 1966, Gutmann c/Commission, aff. 18/65
et 35/65, Rec 1966, p.150 et pour une affaire récente arrêt du
Tribunal du 20 avril 1999, aff. Jointes T-305/94 et autres, Limburgse
Vinyl Maatschappij NV c/Commission, non encore publié).
Article 12
. Respect de la vie privée
Toute personne a droit au respect de sa vie privée, de son honneur et de
sa réputation, de son domicile et du secret de sa correspondance et de
ses communications.
Exposé des motifs
Cet article se fonde l'article 8 de la Convention européenne des droits
de l'homme qui se lit ainsi :
" 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et
familiale, de son domicile et de sa correspondance.
2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans
l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est
prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une
société démocratique, est nécessaire à la
sécurité nationale, à la sûreté publique, au
bien-être économique du pays, à la défense de
l'ordre et à la prévention des infractions pénales,
à la protection de la santé ou de la morale, ou à la
protection des droits et libertés d'autrui ".
Par rapport au texte de la Convention, la mention de l'honneur a
été ajoutée. Elle est reprise de nombreuses constitutions
nationales. Le terme de "communication" a été ajouté
à celui de "correspondance" pour tenir compte de l'évolution des
moyens de communication. Le respect de la vie familiale fait l'objet d'un
article distinct. Le paragraphe 2 sur les limitations n'ait pas
été repris, mais il s'applique dans le cadre du droit de l'Union
en vertu de la clause horizontale relative à la Convention.
Article 13
. Vie familiale
1. Toute personne a droit au respect de sa vie familiale.
2. Toute personne a le droit de se marier et de fonder une famille selon les
lois nationales régissant l'exercice de ce droit.
3. La protection de la famille sur le plan juridique, économique et
social est assurée.
Exposé des motifs
Cet article est inspiré dans son premier paragraphe de l'article 8 de la
Convention européenne des droits de l'homme et dans son paragraphe 2 de
l'article 12 de ladite Convention qui se lit ainsi :
" A partir de l'âge nubile, l'homme et la femme ont le droit de
se marier et de fonder une famille selon les lois nationales régissant
l'exercice de ce droit ".
Le renvoi à la législation nationale au paragraphe 2 est conforme
à la subsidiarité et à la diversité des situations
nationales. Le paragraphe 3 impose à l'Union lorsqu'elle adopte des
mesures dans le cadre de ses compétences de tenir compte des exigences
de protection de la famille. Sa place exacte dans la Charte sera
déterminée lorsque la structure d'ensemble sera examinée.
Article 14
. Liberté de pensée, de conscience et de
religion.
Toute personne a droit à la liberté de pensée, de
conscience et de religion.
Exposé des motifs
Cette formule reproduit de l'article 9 de la Convention européenne des
droits de l'homme qui se lit ainsi :
" 1. Toute personne a droit à la liberté de
pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la
liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la
liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou
collectivement, en public ou en privé, par le culte, l'enseignement, les
pratiques et l'accomplissement des rites.
2. La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire
l'objet d'autres restrictions que celles qui, prévues par la loi,
constituent des mesures nécessaires, dans une société
démocratique, à la sécurité publique, à la
protection de l'ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou
à la protection des droits et libertés d'autrui ".
Le fait que la charte ne reprenne pas les limitations énoncées au
paragraphe 2 ne prive celles-ci d'effets dans le cadre du droit de l'Union en
vertu de la clause horizontale relative à la Convention. La Cour de
justice des Communautés a consacré la liberté religieuse
dans l'affaire Prais (Arrêt du 27 octobre 1976, aff. 130/75, Rec.
p.1589). Compte tenu du parti pris de brièveté retenu pour la
rédaction de la charte, les implications de la liberté religieuse
n'ont pas été reproduites, mais cela ne vise pas à priver
ses dispositions d'effet puisqu'elles ne sont que des implications du principe
général.
Article 15
. Liberté d'expression
Toute personne a droit à la liberté d'expression. Ce droit
comprend la liberté d'opinion et la liberté de recevoir ou de
communiquer des informations ou des idées sans qu'il puisse y avoir
d'ingérence d'autorités publiques et sans considération de
frontière.
Exposé des motifs
Cet article reprend les principes de l'article 10 de la Convention
européenne des droits de l'homme qui se lit ainsi :
" 1. Toute personne a droit à la liberté d'expression. Ce
droit comprend la liberté d'opinion et la liberté de recevoir ou
de communiquer des informations ou des idées sans qu'il puisse y avoir
ingérence d'autorités publiques et sans considération de
frontière. Le présent article n'empêche pas les Etats de
soumettre les entreprises de radiodiffusion, de cinéma ou de
télévision à un régime d'autorisations.
2. L'exercice de ces libertés comportant des devoirs et des
responsabilités peut être soumis à certaines
formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la
loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une
société démocratique, à la sécurité
nationale, à l'intégrité territoriale ou à la
sûreté publique, à la défense de l'ordre et à
la prévention du crime, à la protection de la santé ou de
la morale, à la protection de la réputation ou des droits
d'autrui, pour empêcher la divulgation d'informations confidentielles ou
pour garantir l'autorité et l'impartialité du pouvoir
judiciaire ".
Le paragraphe 2 n'a pas été repris, mais il est applicable dans
le droit de l'Union en vertu de la clause horizontale relative à la
Convention. La Cour de justice a consacré à plusieurs reprises le
principe de la liberté d'expression et, en premier lieu, dans
l'arrêt ERT (Arrêt du 18 juin 1991, aff. C-260/89, Rec. p. I-5485).
Article 16
. Droit à l'éducation
1. Toute personne a droit à l'éducation ainsi qu'à
l'accès à la formation professionnelle et continue. Ce droit
comporte la faculté de suivre gratuitement l'enseignement obligatoire.
2. La création d'établissements d'enseignement est libre.
3. Le droit des parents d'assurer l'éducation et l'enseignement de leurs
enfants, conformément à leurs convictions religieuses et
philosophiques, doit être respecté.
Exposé des motifs
Cet article est inspiré tant des traditions constitutionnelles communes
aux Etats membres que de l'article 2 du protocole additionnel à la
Convention européenne des droits de l'homme qui se lit ainsi :
" Nul ne peut se voir refuser le droit à l'instruction. L'Etat,
dans l'exercice des fonctions qu'il assumera dans le domaine de
l'éducation et de l'enseignement, respectera le droit des parents
d'assurer cette éducation et cet enseignement conformément
à leurs convictions religieuses et philosophiques ".
Il a été jugé utile d'ajouter le principe de
gratuité de l'enseignement obligatoire. Tel qu'il est formulé, il
implique seulement que pour l'enseignement obligatoire, chaque enfant ait la
possibilité d'accéder à un établissement qui
pratique la gratuité. Il n'impose pas que tous les
établissements, notamment privés, qui dispensent cet enseignement
soient gratuits. Dans la mesure où la Charte s'applique à
l'Union, ceci signifie que dans le cadre de ses politiques de formation,
l'Union doit respecter la gratuité de l'enseignement obligatoire, mais
cela ne crée pas bien entendu de nouvelles compétences. Le
principe de la liberté académique n'est pas repris, mais il
constitue tant un principe structurel de l'organisation universitaire que la
garantie de la liberté d'expression dans ce domaine. La charte ne porte
en rien atteinte à ce principe.
Article 17
. Liberté de réunion et d'association
Toute personne a droit à la liberté de réunion pacifique
et à la liberté d'association, y compris le droit de fonder avec
d'autres des syndicats ou des partis politiques et de s'y affilier.
Exposé des motifs
Cet article se fonde sur l'article 11 de la Convention européenne des
droits de l'homme :
" 1. Toute personne a droit à la liberté de
réunion pacifique et à la liberté d'association, y compris
le droit de fonder avec d'autres des syndicats et de s'affilier à des
syndicats pour la défense de ses intérêts.
2. L'exercice de ces droits ne peut faire l'objet d'autres restrictions que
celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures
nécessaires, dans une société démocratique,
à la sécurité nationale, à la sûreté
publique, à la défense de l'ordre et à la
prévention du crime, à la protection de la santé ou de la
morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. Le
présent article n'interdit pas que des
restrictions
légitimes soient imposées à l'exercice de ces droits par
les membres des forces armées, de la police ou de l'administration de
l'Etat ".
La question des limitations sera réglée par la clause horizontale
relative à la Convention européenne des droits de l'homme.
Article 18
. Droit d'accès aux documents
Tout citoyen de l'Union ou toute personne résidant dans l'Union a un
droit d'accès aux documents du Parlement européen, du Conseil et
de la Commission.
Exposé des motifs
Cet article reproduit l'article 255 du traité CE dans sa première
phrase. Les conditions et limites mentionnées dans la suite de l'article
relèvent de la clause horizontale qui règle d'une manière
générale la question.
Article 19
. Protection des données
Toute personne a le droit de décider elle-même de la divulgation
et de l'utilisation de ses données personnelles.
Exposé des motifs
L'article 286 du traité CE rend applicable aux institutions et organes
les directives communautaires relatives à la protection des
données. Ces directives sont fondées sur la Convention du Conseil
de l'Europe sur la protection des données personnelles. Il semble
préférable d'énoncer une règle
générale plutôt que de reprendre une liste
détaillée de principes qui seront soumis à
évolution en raison du progrès technique. En tout état de
cause, la protection des données est un élément du respect
de la vie privée.
Article 20
. Droit de propriété
Toute personne a le droit de posséder des biens acquis
légalement, de les utiliser et d'en disposer. Nul ne peut être
privé de sa propriété que pour cause d'utilité
publique et dans les cas et conditions prévus par une loi et moyennant
l'assurance préalable d'une juste indemnité.
Exposé des motifs
Cet article se fonde sur l'article 1er du protocole additionnel à la
Convention européenne des droits de l'homme :
" Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens.
Nul ne peut être privé de sa propriété que pour
cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la
loi et les principes généraux du droit international.
Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que
possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent
nécessaires pour réglementer l'usage des biens
conformément à l'intérêt général ou
pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des
amendes ".
Il s'agit d'un principe fondamental commun à toutes les constitutions
nationales. Il a été consacré à des maintes
reprises par la jurisprudence de la Cour de justice et en premier lieu dans
l'arrêt Hauer (13 décembre 1979, Rec. p. 3727). Un certain
nombre de membres ont souhaité moderniser la rédaction de la
Convention. L'usage des biens doit s'exercer dans le respect des limitations
exigées dans l'intérêt général.
Article 21
. Droit d'asile et expulsion
1. Les ressortissants des pays tiers ont un droit d'asile dans l'Union
européenne conformément aux règles de la Convention de
Genève du 28 juillet 1951 et au protocole du 31 janvier 1967 relatifs au
statut des réfugiés.
2. Les expulsions collectives d'étrangers sont interdites.
Exposé des motifs
Le paragraphe 2 de cet article est inspiré de l'article 4 du protocole n
4 à la Convention européenne des droits de l'homme en ce qui
concerne les expulsions collectives. Il vise à garantir que chaque
décision fasse l'objet d'un examen spécifique et que l'on ne
puisse décider par une mesure unique d'expulser toutes les personnes
présentant des caractéristiques déterminées. Le
texte du paragraphe 1 est inspiré de l'article 63 CE qui incorpore en
droit communautaire la Convention sur les réfugiés. Les
dispositions de l'article 1 du protocole n 7 à la Convention
européenne des droits de l'homme relatives aux garanties
procédurales en cas d'expulsion n'ont pas été reprises,
car la plupart des Etats membres n'ont pas signé ou ratifié ce
protocole. De toute façon, la Convention de Genève contient des
garanties en ce domaine.
Article 22
. Egalité et non-discrimination
1. Est interdite toute discrimination fondée sur le sexe, la race, la
couleur ou l'origine ethnique ou sociale, la langue, la religion ou les
convictions, les opinions politiques, l'appartenance à une
minorité nationale, la fortune, la naissance, un handicap, l'âge
ou l'orientation sexuelle.
2. Dans le domaine d'application du Traité instituant la
Communauté européenne et du Traité sur l'Union
européenne, toute discrimination fondée sur la nationalité
est interdite.
3. L'Union cherche à éliminer les inégalités et
à promouvoir l'égalité entre les hommes et les femmes.
L'égalité des sexes est notamment assurée dans la fixation
des rémunérations et des autres conditions de travail .
Exposé des motifs
Le paragraphe 1 reprend la Convention européenne des droits de l'homme.
Celle-ci limite l'application du principe aux droits garantis, mais le droit
communautaire va plus loin après l'adoption du traité
d'Amsterdam. La liste combine la liste de l'article 13 du traité
communautaire et la liste de l'article 14 de la Convention européenne
des droits de l'homme. Le principe de non-discrimination formulé au
paragraphe 2 est consacré à l'article 12 du Traité CE.
Article 12 CE :
" Dans le domaine d'application du présent traité, et
sans préjudice des dispositions particulières qu'il
prévoit, est interdite toute discrimination exercée en raison de
la nationalité.
Le Conseil, statuant conformément à la procédure
visée à l'article 251, peut prendre toute réglementation
en vue de l'interdiction de ces discriminations ".
La formule du paragraphe 3 vise à permettre les actions positives qui
sont prévues par le traité.
Article 23
. Droit des enfants
Les enfants doivent être traités comme des personnes à part
entière et doivent pouvoir influer sur les questions les concernant
personnellement dans une mesure correspondant à leur niveau de
maturité.
Exposé des motifs
Cet article répond à diverses demandes et s'inspire de la
Convention sur les droits de l'enfant.
Principe de démocratie
A la suite des travaux de la Convention, il a été
décidé que figureront au préambule, les mentions suivantes
:
1. Toute autorité publique émane du peuple.
2. L'Union et ses institutions se fondent sur les principes de la
liberté, de la démocratie, du respect des droits de l'homme ainsi
que de l'Etat de droit, principes qui sont communs aux Etats membres.
Le paragraphe 3 reproduisait l'article 190 § 1 CE qui a été
jugé préférable à l'article 3 du protocole
additionnel CEDH :
" Les Hautes Parties contractantes s'engagent
à organiser, à des intervalles raisonnables, des élections
libres au scrutin secret, dans les conditions qui assurent la libre expression
de l'opinion du peuple sur le choix du corps législatif ".
En effet, cet article prend la forme d'un engagement international alors que le
traité prévoit déjà l'élection dans
l'article 190 §1 traité CE :
" Les
représentants, au Parlement européen, des peuples des Etats
réunis dans la Communauté sont élus au suffrage universel
direct ".
Ce paragraphe a été déplacé
à l'article relatif aux élections européennes.
Article 24
. Partis politiques
Tout citoyen a le droit de fonder avec d'autres un parti politique au niveau de
l'Union et toute personne a le droit de s'y affilier. Ces partis politiques
doivent respecter les droits et libertés garantis par la présente
charte.
Exposé des motifs
Le droit de fonder un parti politique est garanti à tout citoyen de
l'Union, celui de s'y affilier étant ouvert à toute personne
résidant dans un Etat membre. La possibilité de limitations
à l'exercice de ces droits découlera de l'article horizontal
consacré aux limitations.
Article 25
. Droit de vote et d'éligibilité au Parlement
européen
1. Les membres du Parlement européen sont élus au suffrage
universel direct, libre et secret.
2. Tout citoyen de l'Union a le droit de vote et d'éligibilité
dans l'Etat membre dans lequel il réside dans les mêmes conditions
que les ressortissants de cet Etat.
Exposé des motifs
Ce texte reprend l'article 19 § 2 CE :
" 2. Sans préjudice
des dispositions de l'article 190, paragraphe 4, et des dispositions prises
pour son application, tout citoyen de l'Union résidant dans un
État membre dont il n'est pas ressortissant a le droit de vote et
d'éligibilité aux élections au Parlement européen
dans L'Etat membre où il réside, dans les mêmes conditions
que les ressortissants de cet État. Ce droit sera exercé sous
réserve des modalités, arrêtées par le Conseil,
statuant à l'unanimité sur proposition de la Commission et
après consultation du Parlement européen; ces modalités
peuvent prévoir des dispositions dérogatoires lorsque des
problèmes spécifiques à un État membre le
justifient ".
Une référence sera faite dans un article horizontal aux
conditions prévues par le traité.
Article 26
. Droit de vote et d'éligibilité aux
élections municipales.
Tout citoyen de l'Union a le droit de vote et d'éligibilité aux
élections municipales dans l'Etat membre dans lequel il réside
dans les mêmes conditions que les ressortissants de cet Etat.
Exposé des motifs
Ce texte reprend l'article 19 § 1 CE :
" Tout citoyen de l'Union
résidant dans un État membre dont il n'est pas ressortissant a le
droit de vote et d'éligibilité aux élections municipales
dans l'État membre où il réside, dans les mêmes
conditions que les ressortissants de cet État. Ce droit sera
exercé sous réserve des modalités arrêtées
par le Conseil, statuant à l'unanimité sur proposition de la
Commission et après consultation du Parlement européen; ces
modalités peuvent prévoir des dispositions dérogatoires
lorsque des problèmes spécifiques à un État membre
le justifient ".
Une référence aux conditions prévues par le traité
sera reprise dans une clause horizontale.
Article 27
. Relations avec l'administration
1. Toute personne a le droit de voir ses affaires traitées
impartialement, équitablement et dans un délai raisonnable par
les institutions et organes de l'Union.
2. Ce droit comporte notamment :
- le droit de toute personne d'être entendue avant qu'une mesure
individuelle qui l'affecterait défavorablement soit prise à son
encontre ;
- le droit d'accès de toute personne au dossier qui la concerne, dans le
respect des intérêts légitimes de la confidentialité
et du secret des affaires;
- l'obligation pour l'administration de motiver ses décisions.
3. Toute personne peut s'adresser aux institutions de l'Union dans une des
langues officielles de l'Union et doit recevoir une réponse dans cette
langue.
Exposé des motifs
Le premier paragraphe répond à une demande exprimée
plusieurs fois au cours de la Convention, notamment par le médiateur.
Les principes repris dans le paragraphe 2 qui ne concernent que les
décisions individuelles, résultent pour l'essentiel de la
jurisprudence de la Cour et, en ce qui concerne l'obligation de motiver, de
l'article 253 du traité :
" Les règlements, les
directives et les décisions adoptés conjointement par le
Parlement européen et le Conseil ainsi que lesdits actes adoptés
par le Conseil ou la Commission sont motivés et visent les propositions
ou avis obligatoirement recueillis en exécution du présent
traité ".
Les principes de procédure administrative non
contentieuse sont rappelés notamment dans les arrêts Orkem, aff.
374/87, rec. 1989, 3283, Lisrestal, TPI, aff. T-450/93, Rec. 1994,
II-1177, TU München, C-269/90, rec. 1991, I-5469, Nölle, T-167/94,
Rec.1995, II-2589. La référence à la
confidentialité se réfère à la protection de
données personnelles.
Le paragraphe 3 reprend l'article 21 CE :
" Tout citoyen de l'Union
peut écrire à toute institution ou organe visé au
présent article ou à l'article 7 dans l'une des langues
visées à l'article 314 et recevoir une réponse
rédigée dans la même langue ".
Article 28
. Médiateur
Tout citoyen ainsi que toute personne physique ou morale résidant ou
ayant son siège statutaire dans un Etat membre a le droit de saisir le
médiateur de l'Union des cas de mauvaise administration des institutions
et organes de l'Union, à l'exception de la Cour de Justice et du
Tribunal de Première instance dans l'exercice de leurs fonctions
juridictionnelles.
Exposé des motifs
Cet article présente les principes qui résultent des articles 21
et 195 du traité CE.
Article 21 :
" Tout citoyen de l'Union peut s'adresser au
médiateur institué conformément aux dispositions de
l'article 195 ".
Article 195 § 1 :
" Le Parlement européen nomme un
médiateur, habilité à recevoir les plaintes émanant
de tout citoyen de l'Union ou de toute personne physique ou morale
résidant ou ayant son siège statutaire dans un Etat membre et
relatives à des cas de mauvaise administration dans l'action des
institutions ou organes communautaires, à l'exclusion de la Cour de
justice et du Tribunal de première instance dans l'exercice de leurs
fonctions juridictionnelles.
Conformément à sa mission, le médiateur procède aux
enquêtes qu'il estime justifiées, soit de sa propre initiative,
soit sur la base des plaintes qui lui ont été
présentées directement ou par l'intermédiaire d'un membre
du Parlement européen, sauf si les faits allégués font ou
ont fait l'objet d'une procédure juridictionnelle. Dans les cas
où le médiateur a constaté un cas de mauvaise
administration, il saisit l'institution concernée, qui dispose d'un
délai de trois mois pour lui faire tenir son avis. Le médiateur
transmet ensuite un rapport au Parlement européen et à
l'institution concernée.
La personne dont émane la plainte est informée du résultat
de ces enquêtes. Chaque année, le médiateur présente
un rapport au Parlement européen sur les résultats de ses
enquêtes.
2. Le médiateur est nommé après chaque élection du
Parlement européen pour la durée de la législature. Son
mandat est renouvelable.
Le médiateur peut être déclaré démissionnaire
par la Cour de justice, à la requête du Parlement européen,
s'il ne remplit plus les conditions nécessaires à l'exercice de
ses fonctions ou s'il a commis une faute grave.
3. Le médiateur exerce ses fonctions en toute indépendance. Dans
l'accomplissement de ses devoirs, il ne sollicite ni n'accepte d'instructions
d'aucun organisme. Pendant la durée de ses fonctions, le
médiateur ne peut exercer aucune autre activité professionnelle,
rémunérée ou non.
4. Le Parlement européen fixe le statut et les conditions
générales d'exercice des fonctions du médiateur
après avis de la Commission et avec l'approbation du Conseil statuant
à la majorité qualifiée ".
Une référence au traité sera faite dans une clause
horizontale.
Article 29
. Droit de pétition
Tout citoyen ainsi que toute personne physique ou morale résidant ou
ayant son siège statutaire dans un Etat membre a le droit de
pétition devant le Parlement européen.
Exposé des motifs
Cet article présente les principes qui résultent des articles 21
et 194 du traité CE.
Article 21 :
" Tout citoyen de l'Union a le droit de
pétition devant le Parlement européen conformément aux
dispositions de l'article 194."
Article 194 CE :
"Tout citoyen de
l'Union, ainsi que toute personne physique ou morale résidant ou ayant
son siège statutaire dans un Etat membre, a le droit de
présenter, à titre individuel ou en association avec d'autres
citoyens ou personnes, une pétition au Parlement européen sur un
sujet relevant des domaines d'activité de la Communauté et qui le
ou la concerne directement ".
Article 30
: Liberté de circulation
Tout citoyen de l'Union a le droit de circuler et de séjourner librement
sur le territoire des Etats membres.
Exposé des motifs
Cet article reprend le principe énoncé à l'article 18 du
traité CE.
Article 18 :
" 1. Tout citoyen de l'Union a le droit de circuler et de
séjourner librement sur le territoire des Etats membres, sous
réserve des limitations et conditions prévues par le
présent traité et par les dispositions prises pour son
application.
2. Le Conseil peut arrêter des dispositions visant à faciliter
l'exercice des droits visés au paragraphe 1; sauf si le présent
traité en dispose autrement, il statue conformément à la
procédure visée à l'article 251. Le Conseil statue
à l'unanimité tout au long de cette procédure ".
Une référence au traité sera faite dans une clause
horizontale.
16 mai 2000
NOUVELLE PROPOSITION DU PRESIDIUM POUR LES ARTICLES SUR LES DROITS ÉCONOMIQUES ET SOCIAUX ET SUR LES CLAUSES HORIZONTALES
Article 31
. Droits et principes en matière
sociale
Les institutions et organes de l'Union, les Etats membres, exclusivement dans
le champ d'application du droit communautaire, et les partenaires sociaux au
niveau communautaire et dans le cadre de leurs compétences respectives,
respectent les droits et mettent en oeuvre les principes sociaux
énoncés dans la présente Charte.
Exposé des motifs
Cette disposition permet de tenir compte de la spécificité des
droits sociaux et de mettre en relief les conséquences du champ
d'application de la Charte en la matière. Les droits sociaux lient le
législateur communautaire, la législation des Etats membres
lorsqu'ils mettent en oeuvre le droit de l'Union, ainsi que les partenaires
sociaux au niveau communautaire qui, en vertu de l'article 139 TCE, peuvent
conclure des accords au niveau communautaire. Toutes ces instances doivent
respecter ces droits sociaux et ne peuvent dans le cadre de leur
activité normative agir contrairement à ces droits, à
l'exception de limitations conformes à ce qui est prévu dans la
clause générale relative aux limitations. Compte tenu du
caractère dynamique de ses droits et du fait qu'ils ne se
concrétisent fréquemment qu'à travers leur mise en oeuvre,
lorsqu'ils contiennent un droit à une prestation positive, il est
nécessaire de préciser que, dans un certain nombre de cas, il
s'agit de principes dont l'application est subordonnée à
l'adoption de mesures de mise en oeuvre. Dans ce cas, il est clair que
l'adoption de ces mesures est fonction de la répartition des
compétences, telle qu'elle est opérée par les
traités et, dans le respect du principe de subsidiarité. En
d'autres termes, il n'est pas possible, par exemple, d'adopter une
réglementation qui porterait atteinte au droit à une aide sociale
ou empêcherait sa mise en oeuvre. Mais l'invocation de ce droit ne peut
intervenir que dans le cadre des mesures communautaires ou nationales
existantes.
Article 32
. Liberté professionnelle
Toute personne a le droit de choisir et d'exercer sa profession.
Exposé des motifs
Ce droit est reconnu sans aucune ambiguïté par la jurisprudence de
la Cour comme un droit fondamental (voir l'arrêt de principe Nolde, aff.
4/73, Rec. 1974, p 491). Conformément à l'article 48, ce droit
s'exerce dans les conditions et limites prévues par les traités,
ce qui inclut également les réglementations relatives à
l'exercice des professions.
Article 33
. Droit à l'information et à la consultation
des travailleurs au sein de l'entreprise
Les travailleurs et leurs représentants ont le droit à une
information et consultation en temps utile au sein de l'entreprise qui les
emploie.
Exposé des motifs
Texte inspiré de la Charte sociale européenne
révisée (article 21) et de la Charte communautaire (article 17).
L'acquis communautaire dans ce domaine est important : directives
98/59/CE (licenciements collectifs), 77/187/CE (transferts d'entreprises) et
94/45/CE (comités d'entreprise européens).
Article 34
. Droit de négociation et d'action collective
Les employeurs et les travailleurs ont le droit de négocier et de
conclure des conventions collectives et de recourir, en cas de conflits
d'intérêts, à des actions collectives pour la
défense de leurs intérêts économiques et sociaux, y
compris au niveau de l'Union, dans les conditions prévues par les
législations et pratiques nationales.
Exposé des motifs
Le droit syndical est reconnu à l'article 11 de la Convention
européenne des droits de l'homme. Le droit de négociation
collective et d'action collective est reconnu par la charte sociale
révisée (article 6) et par la charte sociale. Il est
mentionné au point 12 de la charte communautaire. Il est reconnu par la
jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme comme
découlant de l'article 11 de la Convention (syndicat suédois des
conducteurs de locomotives 1976). Enfin, les articles 138 et 139 du
traité CE organisent le dialogue social à l'échelle
communautaire et prévoient la conclusion de conventions collectives.
Dans la notion d'actions collectives, le droit de grève, notamment, est
inclus.
Article 35
. Droit au repos et au congé annuel
Tout travailleur a droit à une limitation de la durée maximale du
travail et à des périodes de repos journaliers et hebdomadaires,
ainsi qu'à une période annuelle de congés payés.
Exposé des motifs
Cet article est notamment inspiré par la directive 93/104/CE ainsi que
par l'article 2 de la Charte sociale.
Article 36
. Santé et sécurité dans le travail
Tout travailleur a droit à la santé et à la
sécurité dans le travail.
Exposé des motifs
Cet article est inspiré de la directive 89/391/CE ainsi que de l'article
3 de la Charte sociale. Voir également le paragraphe 19 de la Charte
communautaire.
Article 37
. Protection des jeunes
L'âge minimal d'admission au travail ne doit pas être
inférieur à l'âge auquel cesse la période de
scolarité obligatoire sans préjudice de règles plus
favorables aux jeunes, notamment celles assurant par la formation leur
insertion professionnelle et sauf dérogations limitées à
certains travaux légers.
Les jeunes admis au travail doivent bénéficier de conditions de
travail adaptées à leur âge.
Exposé des motifs
Ce texte s'inspire de l'article 7 de la Charte sociale européenne et de
la Charte communautaire des droits sociaux fondamentaux des travailleurs
(points 20 à 23). Il reprend, tout d'abord, l'essentiel du point 20 qui
prévoit la fixation d'un âge minimal lié à la fin de
la scolarité obligatoire qui ne peut, en aucun cas, être
inférieur à 15 ans. La charte commence toutefois par le texte
suivant :
" Sans préjudice de règles plus favorables aux jeunes,
notamment celles assurant par la formation leur insertion professionnelle et
sauf dérogations limitées à certains travaux
légers... ".
Le deuxième alinéa s'inspire du contenu du point 22 de cette
Charte qui stipule que les règles de droit du travail applicables aux
jeunes doivent être aménagées de façon à
prendre en compte leur développement et les besoins de la formation
professionnelle. Le libellé de cet alinéa est repris
essentiellement de l'article premier, paragraphe 3 de la directive 94/33/CE
relative à la protection des jeunes au travail.
Article 38
. Droit à la protection en cas de licenciement
Tout travailleur a droit à une protection contre tout licenciement
injustifié ou abusif.
Exposé des motifs
Cet article établit simplement une protection contre l'arbitraire en
matière de licenciement.
Article 39
. Droit de concilier vie familiale et vie
professionnelle
Tout travailleur a le droit de concilier sa vie professionnelle et sa vie
familiale. Ce droit comprend notamment le droit à un congé de
maternité, avant et/ou après l'accouchement et le droit à
un congé parental à la suite de la naissance ou de l'adoption
d'un enfant.
Exposé des motifs
Articles 8 et 27 de la charte sociale révisée.
Directive 92/85/CE du 19 octobre 1992 concernant le droit à un
congé de maternité d'au moins quatorze semaines et directive
96/34 concernant le droit à un congé parental d'au moins 3 mois.
Article 40
. Droit des travailleurs migrants à
l'égalité de traitement
Les ressortissants de pays tiers qui travaillent légalement sur le
territoire des États membres ont droit à un traitement non moins
favorable que celui dont bénéficient les travailleurs de l'Union
européenne en matière de conditions de travail.
Exposé des motifs
La compétence communautaire en la matière est établie dans
l'article 137 §3 quatrième tiret. La règle posée ici
est simplement celle de la non-discrimination dans les conditions d'emploi.
Article 41
. Sécurité sociale et aide sociale
1. Des prestations de sécurité sociale sont prévues selon
les modalités propres à chaque Etat membre, assurant une
protection en cas de maternité, de maladie, de dépendance ou de
vieillesse ainsi qu'en cas de perte d'emploi.
2. Une aide sociale et une aide au logement est prévue afin d'assurer
une existence digne à toute personne ne disposant pas de ressources
suffisantes.
Exposé des motifs
Il s'agit d'un principe qui est mis en oeuvre selon les législations
nationales et en conformité avec le droit communautaire.
Article 42
. Protection de la santé
L'accès aux soins médicaux et à la prévention
sanitaire est assuré à toute personne selon des modalités
propres à chaque Etat membre.
Exposé des motifs
Il s'agit d'un principe qui est mis en oeuvre essentiellement par les
législations nationales.
Article 43
. Personnes handicapées
Des mesures d'insertion sociale et professionnelle sont prévues au
bénéfice des personnes handicapées.
Exposé des motifs
L'article 13 du traité instituant la Communauté européenne
autorise l'adoption de mesures positives pour éviter la discrimination
en fonction d'un handicap. L'article 137 § 1, quatrième tiret
crée une compétence communautaire en vue de l'intégration
des personnes exclues du marché du travail.
Article 44
. Protection de l'environnement
La protection de l'environnement qui implique la préservation, la
protection et l'amélioration de la qualité de l'environnement, la
protection de la santé des personnes ainsi que l'utilisation prudente et
rationnelle des ressources naturelles est assurée dans les politiques de
l'Union.
Exposé des motifs
Le titre XIX du traité établit la compétence communautaire
en matière d'environnement. Ici encore, il s'agit d'un principe qui se
concrétise à travers des mesures de mise en oeuvre qui
délimitent la portée de ce droit. La formule est proche de
l'article 174 du traité CE.
Article 45
. Protection des consommateurs
Un niveau élevé de protection de la santé, de la
sécurité et des intérêts des consommateurs est
assuré dans les politiques de l'Union.
Exposé des motifs
La compétence communautaire est établie par le titre XIV du
traité. La charte consacre un principe qui se concrétise à
travers les législations communautaires ou nationales. La formule est
proche de l'article 153 du traité CE.
Article 46
. Champ d'application
1 Les dispositions de la présente charte s'adressent aux institutions et
organes de l'Union dans le cadre des attributions qui leur sont
conférées par les Traités ainsi qu'aux Etats membres
exclusivement dans le champ d'application du droit de l'Union.
2. La présente charte ne crée aucune compétence ni aucune
tâche nouvelle pour la Communauté et pour l'Union ni ne modifie
les compétences et tâches définies par les traités.
Exposé des motifs
L'objet de cette disposition est de déterminer le champ d'application de
la Charte. Elle vise à établir clairement que la Charte
s'applique d'abord aux institutions et organes de l'Union et dans le cadre des
compétences et tâches de celle-ci. En d'autres termes, la Charte
s'applique uniquement dans des matières qui relèvent de la
compétence communautaire et des tâches de l'Union. Cette
disposition est fidèle à l'article 6 § 2 du traité
sur l'Union européenne qui impose à l'Union de respecter les
droits fondamentaux ainsi qu'au mandat donné par le Conseil
européen de Cologne.
Le terme "institutions" est consacré par le traité qui
énumère les institutions dans son article 7.
Le terme d' " organe " est couramment employé pour viser
toutes les instances établies par les traités ou par des actes de
droit dérivé. Il résulte sans ambiguïté de la
jurisprudence de la Cour que l'obligation de respecter les droits fondamentaux
s'impose également aux Etats membres lorsqu'ils agissent dans le cadre
du droit communautaire (Arrêt du 13 juillet 1989, Wachauf, affaire 5/88,
rec. p.2609). Tout récemment, la Cour de justice a confirmé cette
jurisprudence dans les termes suivants : "De plus, il y a lieu de rappeler que
les exigences découlant de la protection des droits fondamentaux dans
l'ordre juridique communautaire lient également les Etats membres
lorsqu'ils mettent en oeuvre des réglementations communautaires..."
(Arrêt du 13 avril 2000, aff. C-292/97, attendu 37, non encore
publié). Le second paragraphe confirme que la charte ne peut avoir
d'incidences sur les compétences et tâches conférées
par les traités à la Communauté et à l'Union.
Article 47
. Limitation des droits garantis
Toute limitation à l'exercice des droits et libertés reconnus par
la présente Charte doit être prévue par l'autorité
législative compétente. La substance même desdits droits et
libertés doit être respectée. Dans le respect du principe
de proportionnalité, toute limitation doit rester, dans les limites
nécessaires à la protection d'intérêts
légitimes dans une société démocratique.
Elle ne peut excéder celles permises par la Convention européenne
de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Exposé des motifs
L'objet de cette disposition est de fixer le régime
général des limitations. L'article établit qu'en aucun cas
il n'est possible d'aller au-delà du régime de limitation
prévu par la Convention européenne des droits de l'homme laquelle
constitue un standard minimum. Il en résulte que lorsque la Convention
ne permet pas de limiter certains droits, ceux-ci ne pourront pas l'être
non plus sur la base du droit communautaire. S'agissant du régime de
limitation propre à l'Union, la formule s'inspire de la jurisprudence de
la Cour de justice :"...selon une jurisprudence bien établie, des
restrictions peuvent être apportées à l'exercice des droits
fondamentaux, notamment dans le cadre d'une organisation commune de
marché, à condition que ces restrictions répondent
effectivement à des objectifs d'intérêt
général poursuivis par la Communauté et ne constituent
pas, par rapport au but poursuivi, une intervention démesurée et
intolérable, qui porterait atteinte à la substance même de
ces droits" (arrêt du 13 avril 2000, aff. C-292/97, considérant
45).
Article 48
. Conditions et limites définies dans le
traité.
Les droits reconnus par le traité instituant la Communauté
européenne s'exercent dans les conditions et limites définies par
celui-ci.
Exposé des motifs
Cet article a pour effet de renvoyer au traité lorsque les droits en
cause sont définis par le traité lui-même. Il en va ainsi
pour certains droits comme la liberté de mouvement, le droit de
participer aux élections européennes et municipales, le droit de
saisir le médiateur, le droit de pétition etc...
Article 49
. Niveau de protection
Aucune disposition de la présente Charte ne sera
interprétée comme limitant ou portant atteinte aux droits de
l'homme et libertés fondamentales reconnus, dans leur champ
d'application respectif, par les constitutions des Etats membres, le droit
international et les conventions internationales auxquelles sont parties
l'Union, la Communauté ou tous les Etats membres, et notamment la
Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des
libertés fondamentales.
Exposé des motifs
L'objet de la disposition est clair. Il vise à préserver le
niveau de protection offert actuellement par le droit de l'Union, le droit des
Etats membres et le droit international. En raison de son importance, mention
est faite de la Convention européenne des droits de l'homme qui
constitue dans tous les cas un standard minimum. La référence
à la Convention européenne des droits de l'homme s'entend
évidement de la Convention telle qu'elle est ou sera
interprétée par la Cour européenne des droits de l'homme
en vertu du principe selon lequel toute interprétation s'incorpore au
texte interprété. Il en va de même de la jurisprudence de
la Cour de justice des Communautés européenne en ce qui concerne
le droit communautaire.
Article 50
. Interdiction de l'abus de droit
Aucune des dispositions de la présente Charte ne peut être
interprétée comme impliquant un droit quelconque de se livrer
à une activité ou d'accomplir un acte visant à la
destruction des droits ou libertés reconnus dans la présente
Charte ou à des limitations plus amples des droits et libertés
que celles prévues par la présente Charte.
Exposé des motifs
Cet article reproduit l'article 17 de la Convention européenne des
droits de l'homme :
" Aucune des dispositions de la présente Convention ne peut
être interprétée comme impliquant pour un Etat, un
groupement ou un individu, un droit quelconque de se livrer à une
activité ou d'accomplir un acte visant à la destruction des
droits ou libertés reconnus dans la présente Convention ou
à des limitations plus amples de ces droits et libertés que
celles prévues à ladite Convention ".
EXTRAITS DES CONCLUSIONS DU
CONSEIL EUROPEEN DE COLOGNE
(3 ET 4 JUIN
1999)
" Une charte des droits fondamentaux de l'UE.
44. Le
Conseil européen estime qu'à ce stade du développement de
l'Union européenne il conviendrait de réunir les droits
fondamentaux en vigueur au niveau de l'Union dans une charte de manière
à leur donner une plus grande visibilité.
45. Il a arrêté à ce sujet la décision jointe
à l'annexe IV. La future présidence est invitée à
faire en sorte que les conditions préalables à la mise en oeuvre
de cette décision soient réalisées d'ici la réunion
spéciale du Conseil européen à Tampere les 15 et 16
octobre 1999 ".
ANNEXE
IV
DECISION DU CONSEIL EUROPEEN CONCERNANT L'ELABORATION
D'UNE CHARTE DES
DROITS FONDAMENTAUX DE L'UNION EUROPÉENNE
Le
respect des droits fondamentaux est l'un des principes fondateurs de l'Union
européenne et la condition indispensable pour sa
légitimité. La Cour de Justice européenne a
confirmé et défini dans sa jurisprudence l'obligation de l'Union
de respecter les droits fondamentaux. Au stade actuel du développement
de l'Union, il est nécessaire d'établir une charte de ces droits
afin d'ancrer leur importance exceptionnelle et leur portée de
manière visible pour les citoyens de l'Union.
Le Conseil européen est d'avis que cette charte doit contenir les droits
de liberté et d'égalité, ainsi que les droits de
procédure tels que garantis par la Convention européenne de
sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et tels
qu'ils résultent des traditions constitutionnelles communes des
États membres, en tant que principes généraux du droit
communautaire. La charte doit en outre contenir les droits fondamentaux
réservés aux citoyens de l'Union. Dans l'élaboration de la
charte, il faudra par ailleurs prendre en considération des droits
économiques et sociaux tels qu'énoncés dans la Charte
sociale européenne et dans la Charte communautaire des droits sociaux
fondamentaux des travailleurs (article 136 TCE) dans la mesure où ils ne
justifient pas uniquement des objectifs pour l'action de l'Union.
Le Conseil européen est d'avis qu'une enceinte composée de
représentants des Chefs d'Etat et de Gouvernement et du Président
de la Commission européenne ainsi que de membres du Parlement
européen et des parlements nationaux devrait élaborer un projet
d'une telle charte des droits fondamentaux de l'Union européenne. Des
représentants de la Cour de justice devraient y participer à
titre d'observateurs. Des représentants du Comité
économique et social et du Comité des régions ainsi que
des groupes sociaux et des experts devraient être entendus. Le
secrétariat devrait être assuré par le Secrétariat
général du Conseil.
Cette enceinte doit présenter un projet en temps utile avant le Conseil
européen en décembre de l'an 2000. Le Conseil européen
proposera au Parlement européen et à la Commission de proclamer
solennellement, conjointement avec le Conseil, une charte des droits
fondamentaux de l'Union européenne sur la base dudit projet. Ensuite il
faudra examiner si et, le cas échéant, la manière dont la
charte pourrait être intégrée dans les traités. Le
Conseil européen donne mandat au Conseil "Affaires
générales" d'engager les mesures nécessaires avant le
Conseil européen de Tampere.
EXTRAITS DES CONCLUSIONS DU
CONSEIL EUROPEEN DE TAMPERE
(15 ET 16 OCTOBRE
1999)
ANNEXE
COMPOSITION, METHODE DE TRAVAIL ET MODALITES PRATIQUES DE L'ENCEINTE POUR
L'ELABORATION DU PROJET DE CHARTE DES DROITS FONDAMENTAUX DE L'UNION EUROPEENNE
ENVISAGE DANS LES CONCLUSIONS DE COLOGNE COMPOSITION DE L'ENCEINTE
Membres
Chefs d'Etat ou de gouvernement des Etats membres : quinze représentants
des chefs d'Etat ou de gouvernement des Etats membres.
Commission : un représentant du président de la Commission
européenne.
Parlement européen : seize membres du Parlement européen
désignés par celui-ci.
Parlements nationaux : trente membres des parlements nationaux (deux par
parlement) désignés par ceux-ci.
Les membres de l'enceinte peuvent être remplacés par des
suppléants en cas d'empêchement.
Président et vice-présidents de l'enceinte
L'enceinte élit son président. Un membre du Parlement
européen, un membre d'un parlement national et le représentant du
président du Conseil européen exercent les
vice-présidences de l'enceinte, s'ils n'ont pas été
élus à la présidence. Le membre du Parlement
européen exerçant la vice-présidence est élu par
les membres du Parlement européen faisant partie de l'enceinte. Le
membre du parlement national exerçant la vice-présidence est
élu par les membres des parlements nationaux faisant partie de
l'enceinte.
Observateurs
Deux représentants de la Cour de justice des Communautés
européennes désignés par la Cour. Deux
représentants du Conseil de l'Europe, dont un représentant de la
Cour européenne des droits de l'homme.
Instances de l'Union européenne devant être entendues
Le Comité économique et social. Le Comité des
régions. Le médiateur.
Echange de vues avec les pays candidats
Il convient d'organiser un échange de vues approprié entre
l'enceinte ou son président et les pays candidats.
Autres instances, groupes sociaux ou experts devant être entendus
D'autres instances, groupes sociaux et experts peuvent être entendus par
l'enceinte.
Secrétariat
Le Secrétariat général du Conseil assure le
secrétariat de l'enceinte. Afin de garantir une bonne coordination, des
contacts étroits seront établis avec le Secrétariat
général du Parlement européen, avec la Commission, et,
dans la mesure nécessaire, avec les secrétariats des parlements
nationaux.
METHODES DE TRAVAIL DE L'ENCEINTE
Travaux préparatoires
Le président de l'enceinte propose, en étroite concertation avec
les vice-présidents, un programme de travail pour l'enceinte et effectue
les autres travaux préparatoires nécessaires.
Transparence des délibérations
En principe, les débats de l'enceinte et les documents
présentés au cours de ces débats devraient être
rendus publics.
Groupes de travail
L'enceinte peut constituer des groupes de travail
ad hoc
, qui sont
ouverts à tous ses membres.
Rédaction
Sur la base du programme de travail établi par l'enceinte, un
comité de rédaction, composé du président, des
vice-présidents et du représentant de la Commission et
assisté par le Secrétariat général du Conseil,
élabore un avant-projet de charte en tenant compte des propositions de
texte soumises par tout membre de l'enceinte.
Chacun des trois vice-présidents procède
régulièrement à des consultations avec les composantes
respectives de l'enceinte dont il est issu.
Elaboration du projet de charte par l'enceinte
Lorsque le président de l'enceinte, en concertation étroite avec
les vice-présidents, estime que le texte du projet de charte
élaboré par l'enceinte peut être en définitive
adopté par toutes les parties, celui-ci peut être transmis au
Conseil européen conformément à la procédure
préparatoire habituelle.
MODALITES PRATIQUES
L'enceinte se réunit à Bruxelles, alternativement dans les locaux
du Conseil et dans ceux du Parlement européen. Le régime
linguistique intégral s'applique aux réunions de
l'enceinte.