N° 2330.
ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

ONZIÈME LÉGISLATURE

N° 311
SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 1998-1999

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale

Annexe au procès verbal de la séance du 6 avril 2000

le .7 avril 2000

OFFICE PARLEMENTAIRE D'ÉVALUATION

DES CHOIX SCIENTIFIQUES ET TECHNOLOGIQUES

RAPPORT

sur

les programmes multilatéraux de soutien à la recherche et à l'innovation :

perspectives pour les petites et moyennes entreprises françaises

par M. Pierre LAFFITTE, sénateur

Tome I : Conclusions du rapporteur

Déposé sur le Bureau de l'Assemblée nationale

par M. Jean-Yves LE DÉAUT

Vice-président de l'Office

Déposé sur le Bureau du Sénat

par M. Henri REVOL

Président de l'Office

Recherche.

AVANT-PROPOS

___

L'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques a décidé de circonscrire l'objet du présent rapport aux programmes communautaires -et, au premier chef, au programme-cadre de recherche et de développement (PCRD)- et à l'initiative Eurêka , lors de l'approbation de l'étude de faisabilité des saisines qui lui ont été transmises 1 ( * ) .

INTRODUCTION

___

Les programmes multilatéraux de soutien à la recherche et à l'innovation et les perspectives que ces programmes offrent aux petites et moyennes entreprises françaises doivent être analysés, en parallèle à des inflexions profondes dont on peut penser qu'elles marqueront durablement les deux décennies à venir .

Quelle est la nature de ces changements ?

En premier lieu, la combinaison actuelle de la mondialisation et de l'accélération des progrès scientifiques et technologiques permet assez raisonnablement d'estimer que ces progrès ont eu un rôle important dans le développement de ce qu'il est convenu d'appeler " les nouvelles économies " génératrices d'une dynamique qui ne paraît pas se ralentir.

1. Beaucoup s'accordent à reconnaître que cette conjonction a un caractère durable .

2. Le phénomène n'implique plus des interrelations linéaires ; les effets d'adossement et de multidisciplinarité y prédominent. Les progrès informatiques ou des sciences du vivant ont des effets économiques et sociaux complexes et transversaux.

3. Les progrès scientifiques et technologiques actuels sont marqués par leur généralité et leur rapidité . Leur généralité, car ils ne se limitent pas aux deux domaines phares que sont les nouvelles techniques d'information et de communication et la biologie. Leur rapidité, car sans être tout à fait récente, la mondialisation scientifique a enregistré un ressaut -probablement imputable aux effets bénéfiques de la mise en réseau- qui lui permet d'atteindre et dépasser les seuils critiques de découverte plus rapidement qu'auparavant.

4. L'évolution s'accompagne d'une mondialisation, sans précédent par son volume, de l'emploi scientifique . Et si l'exode des chercheurs de l'ex. Union soviétique vers la Californie en est la manifestation la plus spectaculaire (il y a plusieurs centaines de milliers de chercheurs russes aux États-Unis), elle ne constitue que la forme exacerbée d'un phénomène très inquiétant pour l'espace scientifique européen. Si l'on reprend le même point de référence, on dénombre plus de 50.000 chercheurs et ingénieurs anglais, près de 40.000 allemands et autant de français sur ce seul espace géographique. C'est dire que le continent européen doit faire face à un moment assez critique de la division internationale du travail dans ce domaine .

On discerne bien alors, qu'au delà de l'apaisante sécurité que confère l'espérance de la durée, ces traits dominants posent aux gestionnaires de la recherche, des problèmes très différents de ceux rencontrés par les fondateurs du Centre national de la recherche scientifique (CNRS) ou, plus près de nous, par les concepteurs du premier programme-cadre européen.

Dans le même temps, l' Europe , déjà confrontée aux difficultés de son approfondissement institutionnel et aux perspectives de son élargissement, n'adapte que très lentement sa politique scientifique et technologique .

Pour les raisons suivantes.

1. Même considérée en fonction des structures et des politiques de ses trois plus grandes nations scientifiques, l'Europe ne constitue pas un espace de recherche cohérent. Et en élargissant ce cercle, les rares lignes de convergence que l'on peut constater entre l'Allemagne, la France et le Royaume-Uni s'estompent assez rapidement. Les questions centrales restent :

Quelle plus-value européenne d'une action communautaire de recherche dans cet espace hétérogène ?

Comment en asseoir la légitimité vis-à-vis du principe de subsidiarité ?

2. Par ailleurs, comment éviter que le principe de subsidiarité soit synonyme, par faute de coordination, de trop nombreuses redondances, et donc de gaspillages d'argent et de compétences ? On aborde, ici, un des points centraux du débat. Au fond, lorsque l'on examine l'espace scientifique nord-américain, l'on s'aperçoit qu'il n'est pas beaucoup plus cohérent que celui que dessine, dans ce domaine, la géographie scientifique de l'Union européenne. Il s'en distingue pourtant par une caractéristique porteuse d'efficacité : les quelques très grands centres et la dizaine de pôles d'excellence que l'on y trouve sont relativement spécialisés Et sans mésestimer le relais d'un secteur privé extraordinairement puissant, l'on n'aura pas la naïveté de croire que cette spécialisation n'a pas été graduellement encouragée par le pouvoir fédéral, et confortée par les États dans une nation où l'autorité publique sait utiliser le credo libéral pour aboutir, à être souvent plus intelligemment interventionniste que les États européens. On notera que, dans le domaine aéronautique et spatial, l'Europe a su résoudre ce problème. Dans le domaine de la téléphonie mobile, grâce à l'ETSI et une stratégie communautaire intelligente, aussi. Et les résultats économiques sont là !

3. Dernier obstacle tout aussi important : l'état de l'industrie européenne . Le regroupement des grandes industries européennes traditionnellement porteuses des projets scientifiques dans les secteurs de haute technologie s'accélère, mais n'est pas achevé. Il en a résulté, et en résulte encore, que le poids européen de ces groupes, dont les convergences d'intérêts devraient inévitablement porter à la cohérence transnationale des politiques de soutien à la recherche et à l'innovation, n'est pas un facteur de cohésion aussi prévalant qu'aux États-Unis.

Ces difficultés se dupliquent lorsque l'on examine les principaux instruments programmatiques de la politique européenne de recherche.

Le V e programme-cadre -en dépit d'une volonté incontestable de lui redonner un dynamisme conceptuel correspondant aux enjeux actuels- résulte assez largement d'une agrégation des demandes des États membres qui n'ont ni les mêmes moyens, ni les mêmes structures, et donc pas les mêmes objectifs en matière de recherche et de développement. Ce handicap -en partie consubstantiel à la règle de l'unanimité qui préside à son élaboration- est amplifié par des défauts propres au fonctionnement communautaire. On en relèvera deux.

Le " syndrome du décalogue " qui consiste à appliquer à la lettre le Traité : égalité d'accès, égalité de traitement (quoique sur ces points on peut concevoir des doutes légitimes sur le succès d'un dossier de recherche qui serait présenté dans une autre langue que l'anglais). Si l'on comprend les motifs juridiques extérieurs qui commandent cette application étroite, on mesure immédiatement les conséquences d'un principe qui consiste à traiter suivant les mêmes procédures une demande portant sur une recherche académique en astronomie et un dossier portant sur un développement dans le domaine des nouvelles techniques de communication.

En préservant ce principe de traitement quasi uniforme des dossiers, les États membres et la Commission se privent des arbitrages programmatiques nécessaires dans un contexte qui n'y prédispose déjà pas, puisque la discrimination d'allocations de moyens -la seule qui subsiste- est, en amont, largement élimée par l'unanimité imposée dans l'approbation des programmes.

Le " réflexe du bunker " consiste, pour la Commission et pour les directions générales qui ont la très lourde tâche de mettre en application le programme-cadre, à garder la maîtrise la plus complète possible de cette application.

De là, deux conséquences inévitables .

Malgré les articles du Traité qui permettent de mettre en oeuvre des politiques déconcentrées ou à géométrie variable, les services de la Commission se privent systématiquement de tout facteur de souplesse dans la conception du programme, comme dans son exécution.

Les évaluations et les contrôles à tous les niveaux sur le plan administratif alourdissent considérablement les procédures. (Malgré des efforts indéniables d'allégement et de transparence introduits dans le V e programme-cadre, celles-ci sont généralement considérées comme tatillonnes sur la forme et inefficaces en ce qui concerne le fond.)

Ce constat est largement partagé. La critique de la gestion, répétons-le très difficile, à laquelle se livrent la Commission et ses services n'est pas notre propos. Il s'agit bien, plutôt, à ce niveau d'application, de s'interroger sur la pertinence de l'instrument programmatique, sur ses résultats et sur ses coûts. Et, en toute première analyse, il apparaît que l'on ne peut plus gérer les problèmes de l'espace européen de recherche suivant des modalités qui l'apparentent -en étant quelque peu excessif- à un " Akademgorod " bruxellois.

A l'opposé, l' initiative Eurêka , qui se distingue du programme-cadre sur beaucoup de points (moindre volume de fonds engagés, participation volontaire des États, procédures allégées et plus respectueuses de la confidentialité et de la propriété industrielle, remontée ( bottom up ) des demandes des entreprises), semble donner pleine satisfaction à ses utilisateurs .

Mais, en dépit de son succès dans un segment du développement et de l'innovation plus proche du marché que le programme-cadre, elle a subi le contrecoup des politiques de régulation budgétaire des principaux pays participants. A tel point que sur les cinq derniers exercices, les contributions de ces pays ont diminué de 50 %. Au printemps dernier, un rapport d'évaluation stratégique de l'initiative a été présenté qui avançait des propositions de revitalisation dont le principe a été accepté par les États parties à l'initiative, sans trop de résultats apparents jusqu'ici...

Compte tenu des enjeux décrits précédemment, on ne peut donc que trouver particulièrement inquiétant l'état de crise latente pour l'un, déclarée pour l'autre, dans lequel se trouvent les deux principaux instruments multilatéraux de soutien à la recherche et à l'innovation en Europe .

L'attention portée à la participation des petites et moyennes entreprises à l'effort de développement et d'innovation repose principalement sur le postulat que celles-ci constituent un gisement d'emplois plus substantiel que les grandes entreprises. Cette affirmation semble assez exacte dans le domaine scientifique où l'on estime que chaque emploi de haute technologie dans une PME induit de 5 à 10 emplois complémentaires.

Il n'en demeure pas moins que la notion de petite et moyenne entreprise recouvre des réalités économiques et scientifiques très diverses. L'immense majorité des entreprises concernées sont des entreprises des secteurs traditionnels dont les produits varient peu avec une clientèle très locale et, au mieux, régionale.

Les services de la Commission estiment que seulement 15 % des petites et moyennes entreprises européennes sont virtuellement concernées par des actions de recherche et de développement -dont 12 % sont justiciables de procédures spécialisées et 3 % éligibles aux procédures de droit commun de l'attribution des contrats de recherche-développement.

Parmi celles-ci, celles qui sont dans le secteur des nouvelles technologies et qui sont parmi les plus concernées par la recherche-développement ont des besoins qui ne peuvent être satisfaits par la Communauté tant que les vitesses de réaction et de paiement se mesureront en semestres. Les perspectives que ces programmes offrent aux petites et moyennes entreprises dépendent, en dernière analyse, de la rénovation totale de la configuration de ces programmes ; il faut exclure les procédures d'appels d'offres qui sont à la fois lentes, donc inadaptées, et sujettes à multiples critiques en matière de coût et de qualité d'évaluation .

C'est pourquoi, après avoir rapidement décrit la situation de la recherche, du développement et de l'innovation européenne dans le monde (chapitre I), votre rapporteur s'efforcera d'analyser les perpectives offertes par la nécessaire évolution du programme-cadre de recherche communautaire (chapitre II) et par l'initiative Eurêka (chapitre III), avant de formuler des propositions (chapitre IV).

* 1 Cf. p. 116 à 119 le texte des saisines

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