EXAMEN EN COMMISSION
Réunie le mercredi 22 mars 2000, sous la
présidence de
M. Alain Lambert, président, la commission a
procédé à
l'examen
des
conclusions
du
groupe de travail
sur la
régulation financière
et
monétaire internationale
, sur le rapport
de M. Philippe
Marini, rapporteur, président du groupe de travail.
Après avoir remercié l'ensemble des membres du groupe de
travail,
M. Philippe Marini, rapporteur
, a rappelé que sa
constitution avait été décidée à la suite
des crises internationales de 1997 et 1998. Il a alors indiqué que la
régulation se situait dans l'esprit du groupe entre la
réglementation au sens strict du terme et le libre jeu des
marchés, et qu'elle était apparue comme devant être
sérieusement renforcée.
Il a indiqué que le rapport suivait une démarche ordonnée
en trois étapes, répondant d'abord à la question de savoir
pourquoi réguler, examinant ensuite les dispositifs actuels de
régulation et se penchant enfin sur les propositions susceptibles
d'améliorer la situation. Il a observé, à ce sujet, que
les suggestions du groupe de travail visaient notamment à orienter les
positions que peuvent être appelés à prendre nos
représentants dans les diverses instances internationales.
M. Philippe Marini
a ensuite développé le contenu du
premier chapitre du rapport, consacré à démontrer la
nécessité d'une régulation des flux monétaires et
financiers internationaux.
Il a fait valoir que la mondialisation financière, si elle avait des
effets bénéfiques en favorisant le développement
économique mondial, pouvait présenter des aspects
négatifs, en facilitant l'essor des circuits financiers criminels et en
exposant l'économie mondiale à des
déséquilibres systémiques. A ce propos, il a
insisté sur l'impact, particulièrement défavorable, de
crises sur les pays pauvres et a relevé qu'au sein des pays
développés, l'Europe et le Japon en avaient subi le contrecoup,
tandis que les Etats-Unis semblaient en avoir tiré un certain parti.
Il a alors jugé que la prévention de ces
déséquilibres ne pouvait être atteinte à travers un
retour au système monétaire international de Bretton Woods, non
plus que par l'instauration systématique de régimes de change
plus rigides.
Il a émis un jugement analogue s'agissant de solutions globales, telle
la " taxe Tobin " ou l'instauration d'une monnaie mondiale.
Détaillant le chapitre deuxième du rapport consacré
à l'examen des modalités actuelles de la régulation,
M.
Philippe Marini, rapporteur
, a indiqué qu'il s'agissait d'abord
d'examiner le rôle des grandes institutions financières
internationales. Pour le fonds monétaire international (FMI), il a
souligné que face à des attentes excessivement ambitieuses et
contradictoires, l'institution était contrainte par les limites et
l'ambiguïté de son rôle propre. Evoquant l'action de la
Banque mondiale, il a tout particulièrement souligné les
défauts de coordination de ses interventions avec celles du FMI. Enfin,
mentionnant la Banque des règlements internationaux (BRI), il a
observé que sa fonction, bien que fondamentale, était
naturellement limitée par la composition de ses membres.
M. Philippe Marini, rapporteur
, a complété son
exposé du chapitre deuxième du rapport en indiquant qu'il
était enfin consacré à cerner les limites de la
supervision financière et bancaire.
Il a souligné, à ce propos, que la défaillance dans la
maîtrise des risques pris par les acteurs du marché avait
été à l'origine des crises les plus récentes. Puis
il a remarqué que cette situation traduisait tout à la fois une
insuffisante autodiscipline des acteurs alimentée par le risque
d'irresponsabilité, les insuffisances des règles prudentielles,
telles que le ratio Cooke , comme du contrôle de leur
application, et l'existence de " trous noirs " dans le système
financier international, comme certains centres
offshore
.
Abordant les propositions du groupe de travail
,
M. Philippe Marini, rapporteur
, a commencé par un
recensement des travaux existants sur le même sujet. Il a ainsi
présenté rapidement les propositions du Gouvernement
français sur la représentativité des organes de direction
des institutions de Bretton Woods, le dernier rapport du Congrès
américain, les réflexions engagées par le Fonds
monétaire international (FMI) et la Banque mondiale sur leur
fonctionnement interne et leur coordination, les propositions au G7, du Forum
de stabilité financière, les travaux engagés par plusieurs
groupes d'entreprises privées aux Etats-Unis, et les nombreuses
initiatives en matière d'annulation de la dette des pays en voie de
développement.
Il a organisé les propositions du groupe de travail autour de cinq
principaux points : l'architecture institutionnelle, le contrôle
prudentiel interne, le contrôle externe, la lutte contre la
délinquance financière et la réduction de
l'irresponsabilité des agents.
Tout d'abord, le groupe de travail souhaite une réorganisation des
compétences au sein du système financier international. Il
préconise ainsi de développer les compétences
régionales sur le modèle européen (banque centrale
européenne) et autour de l'idée japonaise d'un fonds
monétaire asiatique : il s'agit d'asseoir la prévention et
la régulation sur des relais régionaux avec des zones de
stabilité monétaire et des enceintes de surveillance prudentielle
au même échelon. Il convient également de clarifier les
relations entre le FMI et la Banque mondiale. Le rapporteur a estimé que
le FMI devrait se voir confier des missions de court terme visant au
rééquilibrage de la balance des paiements des Etats, ainsi que le
rôle de clé de voûte de l'ensemble du système
prudentiel international. Il a considéré que,
parallèlement, la Banque mondiale devrait s'attacher à des
actions de long terme, au financement structurel des économies en voie
de développement et à la mise en place des indispensables filets
de protection sociale. Enfin, le groupe de travail s'est prononcé pour
une annulation, sous conditions, de la dette des pays les plus pauvres, en
précisant que cette annulation ne saurait être
séparée de la réforme globale du système
monétaire et financier international.
M. Philippe Marini, rapporteur
, a ensuite exposé ses
propositions s'agissant du système prudentiel. Il a estimé qu'il
convenait d'abord d'améliorer la qualité des normes
internationales et leur respect. Il s'agit ensuite d'assurer la circulation et
la transparence de l'information sur les marchés, en distinguant les
deux niveaux de responsabilité que sont l'élaboration des
concepts techniques, qui revient à la BRI, et la responsabilité
politique de la surveillance, qui incombe au FMI et à ses relais
régionaux. Il s'est enfin interrogé sur le devenir des agences de
notation, estimant que le cadre de leur travail mériterait d'être
plus régulé et plus homogène, ce qui passe probablement
par l'intervention d'un arbitre international situé au niveau du FMI.
Puis le groupe de travail a formulé trois principales propositions en
matière d'organisation du contrôle externe : il s'agit
d'apporter une assistance aux organes chargés de ce contrôle,
notamment dans les pays en voie de développement qui en sont
dépourvus, d'assurer une meilleure coordination des interventions des
organes de contrôle et enfin, de créer une instance internationale
d'arbitrage, probablement placée au sein du FMI.
Le rapporteur a voulu développer, en quatrième point, la
nécessité de lutter contre la criminalité
financière (corruption, blanchiment). Se demandant quel niveau de
décision serait le plus opérationnel en la matière, il a
estimé que ce rôle pourrait revenir à l'Organisation des
Nations unies et à l'Organisation mondiale du commerce. Il a
distingué le traitement des fonds provenant d'une activité
licite, mais replacés offshore, de celui des fonds criminels. De ce
point de vue, il a considéré qu'il convenait de coopérer
à l'établissement de règles de conduite et à la
mise en place d'organes de contrôle propres à mettre sous pression
les Etats ou territoires délinquants. Enfin, il a proposé
l'établissement d'une classification des zones offshore allant des plus
opaques à celles qui sont déjà un peu
régulées. Il a conclu en estimant qu'en la matière, la
France devait encore travailler avant de se poser en donneuse de leçons.
Enfin, le rapporteur a abordé la question de l'irresponsabilité
des acteurs et de l'aléa moral que représentent les interventions
des prêteurs en dernier ressort. Il a estimé qu'il était
indispensable de réduire cette irresponsabilité et de
réfléchir à la mise en place d'un prêteur en dernier
ressort au plan international ou, au moins, de règles communes sur le
coût et les conditionnalités des interventions des
différents prêteurs en dernier ressort, nationaux ou
régionaux.
Pour conclure,
M. Philippe Marini, rapporteur,
a rappelé que M.
Michel Camdessus avait déclaré à la commission des
finances, en septembre 1998, que " le lâche soulagement "
des marchés financiers n'avait pas fait disparaître les risques de
crise.
Un large débat s'est alors ouvert.
M. Denis Badré
a indiqué que les travaux du groupe
avaient permis à ses membres de mieux appréhender les
réalités de la mondialisation des marchés financiers. Il a
souligné qu'une organisation mondiale de la finance comparable à
l'OMC n'était pas justifiée. Il a constaté que
l'organisation du système monétaire et financier international
avait des implications politiques importantes, mais que certains sujets
nécessitaient néanmoins des prises de position politiques
claires, notamment le problème des paradis bancaires et fiscaux et celui
du remboursement de la dette, qui pose le problème de l'aide au
développement.
M. Denis Badré
a rappelé l'expression de M. Michel
Camdessus évoquant les " trois mains " : la main
invisible du marché, la main de fer de la justice, mais également
la main tendue de la solidarité. Il a également insisté
sur le rôle que doit jouer l'Union européenne dans
l'établissement d'un nouveau système de régulation
à l'échelle internationale, et en particulier le modèle
que peuvent constituer la Banque centrale européenne (BCE) et le
système européen de banques centrales (SEBC).
M. Joël Bourdin
a rappelé que la régulation devait
résulter des ajustements naturels des marchés. Ainsi les rapports
de change à long terme entre les monnaies sont-ils
déterminés en fonction des taux de croissance et d'inflation de
l'économie, selon la théorie de la parité des pouvoirs
d'achat. Il a insisté sur la nécessité de distinguer les
grandes monnaies mondiales des monnaies dont la valeur est uniquement
déterminée par la création monétaire des banques
centrales, et dont la valeur ne représente généralement
pas grand chose. Dans les pays développés, il a estimé que
l'exagération des réactions des marchés financiers ne peut
être imputée qu'à l'insuffisance des informations
disponibles. Pour les pays moins avancés, l'existence d'accords
monétaires, tels que la zone franc, constitue une garantie de change
avantageuse.
M. Jacques Chaumont
a souligné que le rapport
" Meltzer ", commandé par le Congrès américain,
s'appuyait sur l'objectif de réduction de la pauvreté et
préconisait un recentrage des compétences du FMI. Compte tenu des
effets négatifs des interventions du FMI sur l'environnement, les
dépenses de santé et d'éducation, il a
considéré que celui-ci ne devait pas être
exonéré de ses responsabilités vis-à-vis des pays
en voie de développement. Il s'est également interrogé sur
l'organisme adapté pour jouer le rôle de prêteur en dernier
ressort, et les avantages respectifs des Banques centrales et du FMI en ce
domaine.
M. Paul Loridant
a souligné que la taxe " Tobin " sur
les mouvements de capitaux constituait un élément de
réflexion important, mais également un outil de régulation
susceptible de provoquer des ajustements bénéfiques sur les
marchés financiers. Il a rappelé que le
ratio " Cooke " était devenu obsolète, et qu'un
nouveau ratio mieux adapté était actuellement
étudié par des techniciens. Il s'est indigné de ce
qu'aucune institution démocratique ne débatte d'un tel outil,
dont l'importance est fondamentale pour le fonctionnement des marchés
financiers et des économies.
Il a ensuite constaté que l'existence de paradis bancaires et fiscaux
constituait la preuve de l'impossibilité, pour le système
financier international, de fonctionner de manière totalement
régulée. Il a proposé que tous les centres
offshore
soient prohibés sur le territoire de l'Union européenne, qui doit
servir de modèle pour les autres régions du monde. Il a enfin
insisté sur la nécessité de confier, à une
institution internationale, l'évaluation et le contrôle des
agences de notation.
Mme Maryse Bergé-Lavigne
a défendu la création
d'une taxe sur les mouvements de capitaux, qui constituerait un signe important
en faveur des victimes de la globalisation financière, et s'est
interrogée, par rapport à d'autres propositions de
réforme, sur sa dimension.
M. Jacques Pelletier
s'est prononcé en faveur de l'effacement de
la dette en faveur des pays les plus pauvres. Il a cependant rappelé que
la France avait participé à quatre opérations d'effacement
de la dette depuis dix ans. Il a estimé que cette constatation
conduisait à s'interroger sur l'opportunité d'accorder des
subventions aux pays les moins avancés, plutôt que des
prêts. Il a rappelé la dégradation des relations entre le
FMI et la Banque mondiale, et a souhaité que l'on profite du changement
de directeur général du FMI pour recadrer l'action de
l'organisation et faire progresser les positions européennes. Il a
enfin indiqué partager les vues de M. Paul Loridant sur l'interdiction
des paradis bancaires au sein de l'Union européenne.
M. Maurice Blin
a souligné l'impossibilité de
créer une autorité internationale unique, chargée de la
régulation financière. En conséquence, il a
considéré qu'un réflexe commun de transparence et de
coopération était nécessaire chez l'ensemble des acteurs
sur les marchés financiers. Il s'est également
interrogé sur les moyens techniques dont disposent les autorités
publiques pour repérer les capitaux criminels. Afin d'améliorer
la transparence des marchés, il s'est interrogé sur la
possibilité d'existence d'une autorité qui passerait outre le
secret que souhaitent maintenir certains Etats sur leurs actions et leurs
moyens.
M. Alain Lambert, président,
a insisté sur la
portée démocratique des réflexions du groupe de travail et
a souhaité que ses travaux soient l'occasion d'un dialogue avec tous
ceux qui s'inquiètent des effets de la mondialisation. Il a
considéré que si les autorités de marché faisaient
preuve de leur capacité à s'organiser, les autorités
publiques peinaient à faire de même à l'échelle
internationale.
En réponse aux intervenants,
M. Philippe Marini, rapporteur,
a
d'abord observé que les débats de la commission confirmaient la
légitimité du rapport en apportant, après
l'assiduité des membres du groupe de travail, la démonstration de
l'intérêt du politique pour des sujets fréquemment
confisqués en Europe par les techniciens. Il a souligné que cette
situation tranchait avec celle observée aux Etats-Unis, où le
Congrès suivait de près ces sujets, et a souhaité que les
travaux du groupe puissent connaître la plus large diffusion, en
particulier auprès de nos partenaires européens.
Revenant sur la question des centres
offshore
, il a insisté sur
la nécessité de leur appliquer des normes, sur le fondement de
procédures du type de celles de l'Organisation mondiale du commerce
(OMC). Il a considéré qu'il s'agissait de rétablir, en la
matière, l'Etat de droit au niveau international et que cela supposait
d'entamer l'élaboration d'une convention internationale fixant des
règles et ménageant les conditions permettant de garantir leur
respect.
S'agissant du FMI, il a indiqué qu'on ne pourrait se passer d'un tel
organisme que dans le cadre d'un monde idéal, où les besoins de
régulation seraient absents. Il a ajouté cependant que le Fonds
devait évoluer vers des missions plus précisément
définies.
Généralisant cette dernière observation, il a
insisté sur les enjeux d'une clarification des responsabilités de
chacun des niveaux et des acteurs de la régulation.
Il a alors observé que la prohibition des centres
offshore
sur le territoire de l'Union européenne
supposerait sans doute d'introduire une modification des règles de vote
au sein des instances européennes, allant dans le sens d'un
fédéralisme approfondi. Il s'est alors demandé si telle
était bien l'intention de chacun des commissaires et, en particulier, de
ceux qui pouvaient souhaiter une telle mesure.
Il a enfin admis que l'humilité était de mise face à
l'ensemble des sujets abordés par le groupe de travail, en soulignant
que les propositions du groupe, contrairement à d'autres, ne relevaient
pas d'une démarche utopique, puisqu'elles s'appuyaient sur une prise de
conscience collective, illustrée notamment par les profondes
évolutions observées au Japon, sur des réflexions
préexistantes.
La commission a alors
pris acte des conclusions de son rapporteur et en a
décidé la publication sous forme d'un rapport d'information
.