CHAPITRE III

LE PARTAGE DU REVENU NATIONAL
ENTRE ACTIFS ET RETRAITÉS

Dans un courrier adressé le 29 mai 1998 à M. Jean-Michel CHARPIN, Commissaire au Plan, le Premier ministre, partant du constat que " le vieillissement de la population constitue l'une des principales mutations auxquelles la société française sera confrontée au cours des prochaines décennies... " et qu'il faut ainsi " ...préparer les adaptations nécessaires de nos systèmes de retraite " , lui demandait " d'élaborer un diagnostic aussi partagé que possible par les partenaires sociaux et les gestionnaires des différents régimes ".

La Commission de concertation réunie par le Commissaire au Plan pour élaborer ce diagnostic a travaillé dans un climat interne que l'on peut qualifier, aux dires des participants et du Commissaire au Plan lui-même, de sérieux et de constructif, malgré des divergences d'analyse tout à fait normales à ce stade. Il en a été tout autrement de l' " environnement extérieur " de ces travaux : chaque réunion de la Commission a suscité une grande effervescence médiatique, chaque thème de discussion a été sorti de son contexte global et dramatisé 62 ( * ) .

Ce climat passionnel était difficilement évitable sur un sujet qui nous touche dans ce qui, individuellement, nous est le plus cher - notre avenir - et dans ce que à quoi, collectivement, nous sommes le plus attachés - l'équité -. Il montre aussi que la question des retraites est une des plus délicates auxquelles la société française est désormais confrontée.

Mais il faut souligner aussi que ce contexte a nui au caractère éminemment pédagogique du rapport de la Commission de concertation, qui dresse un constat assez peu contestable sur les perspectives financières des régimes de retraite et qui analyse lucidement et sans a priori les marges d'action pour assurer l'avenir des retraites. Si l'on en cherchait la preuve, on pourrait d'ailleurs la trouver dans le " feu croisé " des critiques que cette contribution a suscité...

Votre rapporteur considère que le rapport CHARPIN est une étape dans l'élaboration du " diagnostic aussi partagé que possible par les partenaires sociaux et les gestionnaires des différents régimes ".

Les expériences des pays étrangers qui ont engagé ou réalisé une réforme des retraites montrent bien que celle-ci n'a jamais été menée en passant directement des travaux d'experts aux décisions politiques. Il a fallu à chaque fois une longue période de concertation et de débats.

Les analyses présentées ci-dessous relèvent de ce processus difficilement contournable. On n'y trouvera pas de propositions, parce que cela ne relève pas des missions de la Délégation pour la Planification, parce que l'objectif de " mise à plat " de cette question n'a peut-être pas encore été tout à fait atteint et parce que certains aspects du rapport CHARPIN méritent d'être soulignés.

I. CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES

A. PERSPECTIVES FINANCIÈRES DES RÉGIMES DE RETRAITE : L'APPROCHE MACROÉCONOMIQUE

En France, à l'inverse de quelques pays étrangers, les retraites ne relèvent pas d'un régime unique mais d'une multiplicité de régimes (régime général, régimes spéciaux, régimes des professions non salariées et régimes complémentaires) qui relèvent d'histoires particulières et, parfois, de conceptions différentes. Dans un souci d'exhaustivité, le rapport CHARPIN étudie les perspectives financières de la plupart d'entre eux.

Ces régimes constituent le point de passage obligé de toute réforme et il faut rendre hommage à la Commission de concertation de ne pas avoir éludé cette difficulté incontournable.

Mais il faut reconnaître aussi que ces disparités nuisent à la compréhension des enjeux macroéconomiques que soulève sur ce point le vieillissement démographique. C'est pourquoi, dans le cadre du mandat qui lui a été confié, votre rapporteur s'en tiendra ici à une présentation de l' équilibre - plus au sens économique que financier du terme - global de notre système de retraites.

1. Dans ce cadre d'analyse, le rapport CHARPIN précise qu'à l'horizon 2040, et sur la base du scénario macroéconomique de référence 63 ( * ) (soit une croissance de 1,7 % par an en moyenne), le PIB et la masse salariale seraient multipliés par deux , alors que, si l'on souhaite maintenir à son niveau actuel le rapport entre pension moyenne et salaire net moyen (taux de remplacement), le montant total des pensions serait multiplié par trois .

2. Ce premier constat permet de mettre en évidence la nature profonde du problème de financement à long terme des retraites : il sera impossible de maintenir inchangés à la fois le taux de cotisation des actifs, le niveau de vie relatif des retraités 64 ( * ) et l'âge de la retraite. Le vieillissement démographique pose donc un problème d' arbitrage entre niveau de vie des actifs, niveau de vie des retraités et âge de la retraite.

3. Si on laisse de côté la question de l'âge de la retraite, qui sera évoquée plus loin, un premier arbitrage doit se faire entre niveau de vie des actifs et niveau de vie des retraités.

Le rapport CHARPIN montre qu'il existe deux choix extrêmes :

• Soit on cherche à maintenir le revenu relatif des retraités , et le taux de cotisation permettant l'équilibre global des régimes de retraite devra être multiplié par 1,55 (dans l'hypothèse d'un taux de chômage à 6 %).

Il faut observer que ceci est relativement indépendant du contexte macroéconomique . Si le taux de chômage est ramené à 3 %, le taux de cotisation d'équilibre devra encore être multiplié par 1,5 ; si la croissance est plus forte en raison d'une productivité plus élevée , le taux de prélèvement est inchangé 65 ( * ) (même s'il est plus facile de prélever une part croissante d'un revenu qui augmente rapidement que d'un revenu qui augmente lentement).

Ces ordres de grandeur du taux de cotisation d'équilibre sont corroborés par d'autres travaux de même nature. Ainsi, selon les travaux menés par une équipe de l'OFCE 66 ( * ) , sur la base d'hypothèses macro-économiques relativement proches, le taux de cotisation d'équilibre devrait être multiplié par 1,42 à l'horizon 2040.

• Le second choix consiste à abandonner l'objectif de stabilité du niveau de vie relatif entre retraités et actifs au profit d'un objectif de stabilité du taux de cotisation . Dans ce cas, les retraités verraient leur niveau de vie relatif divisé par près de deux .

4. En présentant les conséquences financières de ces deux choix, soit pour les actifs, soit pour les retraités, il ne semble pas faire de doute que le rapport CHARPIN poursuit un objectif pédagogique : montrer entre quelles limites devra être " choisi " un taux de prélèvement sur les actifs ou, symétriquement, un taux de remplacement des pensions.

Le rapport ne propose nullement qu'une des voies ainsi explorées pour baliser les choix possibles devienne un choix effectif .

Votre rapporteur ne peut cependant manquer de relever ce qu'il considère comme une difficulté rédactionnelle. Il est ainsi écrit, page 56 : " A l'extrême, si tout l'effort d'ajustement portait sur les retraités, leur niveau de vie relatif par rapport aux actifs serait divisé par 1,9 en 40 ans ". Votre rapporteur l'a déjà dit, ceci n'est en rien une recommandation.

Mais la phrase qui vient juste après peut semer le trouble : " Dans tous les cas de figure, le niveau de vie absolu des retraités devrait cependant continuer de progresser ". Certes, ce constat n'est pas discutable : même dans l'hypothèse où le rapport entre pension moyenne et salaire moyen diminuerait, le pouvoir d'achat moyen des retraités augmenterait , grâce aux gains de productivité qui suffisent à assurer aux retraités de 2040 des pensions supérieures à celles de leurs aînés, sans augmentation des cotisations et malgré le choc démographique. Il était absolument nécessaire que le rapport le rappelât. Mais cette phrase, venant juste après celle sur l'hypothèse d'une division par deux du niveau de vie relatif des retraités, peut donner au lecteur le sentiment que le choix d'une forte baisse du niveau de vie relatif des retraités, serait finalement le plus indolore.

Peut-être eût-il été préférable qu'à cet endroit le rapport indiquât, comme il le fait d'ailleurs dans l'introduction (page 14, 3°), que quel que soit l'arbitrage qui sera opéré entre niveau de vie des actifs et niveau de vie des retraités, tant le pouvoir d'achat des actifs que celui des retraités augmenteront dans l'avenir .

5. Ceci peut être illustré par le calcul suivant 67 ( * ) : selon les experts de l'OFCE, si le taux de cotisation nécessaire à l'équilibre global des régimes de retraite doit être multiplié par 1,55, il devrait augmenter de 8,5 points 68 ( * ) , et le taux global de cotisations devrait augmenter de 6 points.

Compte tenu d'une augmentation de la productivité et du salaire par tête de 1,7 % par an, si cette hausse des cotisations était intégralement assumée par les salariés, le pouvoir d'achat du salaire net serait multiplié par 1,8 à l'horizon 2040. Autrement dit, la stabilité du rapport entre pension moyenne et salaire net serait compatible avec une augmentation de 80 % du pouvoir d'achat du salaire net en 40 ans.

6. Dépassant cette présentation macroéconomique globale, le rapport de la Commission de concertation fournit les résultats de projections à long terme des charges de pensions sur la base de la réglementation actuelle . Celle-ci ne permet pas une stabilité du rapport entre pension moyenne et salaire net, en raison des règles d' indexation des pensions désormais en vigueur.

Ces projections montrent que pour les régimes de retraite, les charges de pensions représentent 12,1 % du PIB en 1998 , représenteraient 14,1 % du PIB en 2020 et 15,8 % du PIB en 2040 à réglementation inchangée et dans un scénario où le taux de chômage reviendrait à 6 % .

L'essentiel de cette progression, qui commencerait dès 2007, aurait lieu entre les années 2010 et 2030 : les charges de retraites augmenteraient de près de 0,2 point du PIB chaque année au cours de cette période.

Ces évolutions appellent trois observations ;

• L'évolution du taux de chômage n'aurait qu'une incidence relativement secondaire . Dans un scénario où le taux de chômage se stabilise à 9 %, les charges de retraites passent de 12,1 % du PIB en 1998 à 16,7 % en 2040. Si le taux de chômage revenait à 3 %, elles passeraient de 12,1 % du PIB en 1998 à 15,1 % en 2040. Entre un taux de chômage à 9 % et à 3 %, l'écart de la charge des pensions à l'horizon 2040 n'est que de 1,6 point de PIB.

• Dans le scénario de retour au chômage à un taux de 6 %, les économies réalisées sur l'indemnisation du chômage et sur les prestations familiales (en raison de la baisse du nombre de jeunes de moins de 20 ans au cas où la fécondité se stabiliserait à 1,8 enfant par femme) seraient de l'ordre de 1,7 point de PIB. La hausse du taux de cotisation nécessaire à l'équilibre de l'ensemble des régimes de retraite, de l'assurance-chômage et de la branche famille ne serait plus de 7,4 points à l'horizon 2040, mais de 4 points 69 ( * ) .

• L'accroissement prévisible de la charge des pensions ainsi mis en évidence est important. Il faut observer cependant que celle-ci est passée de 5 % du PIB à 12,1 % du PIB entre 1960 et 1998, soit une augmentation beaucoup plus considérable que celle qui est projetée pour les quarante années à venir.

Le taux de cotisation d'équilibre a ainsi été multiplié par 2,5 environ entre 1960 et 1998, permettant une forte progression du pouvoir d'achat des retraités sans empêcher celle du pouvoir d'achat des actifs.

On pourra toutefois objecter que l'augmentation des cotisations pour la retraite (et des cotisations sociales en général) a pu être un facteur de l'accroissement du chômage, ou encore qu'aujourd'hui elles atteignent un tel niveau qu'il sera pour l'avenir beaucoup plus difficile de prolonger cette évolution : ces arguments seront développés plus loin.

7. Que l'on ne s'y méprenne pas : en insistant sur les enjeux macroéconomiques et en tentant de les clarifier, le propos de votre rapporteur n'est pas de les minimiser. Il vise plutôt à montrer que la question que pose le " choc " sur les retraites, lié au vieillissement démographique, n'est pas tant de savoir si l'économie française pourra y répondre - si l'on s'en tient à l'évolution des niveaux de vie, la réponse est sans aucun doute positive - mais comment elle y répondra : quel compromis pourra être trouvé, et accepté, entre augmentation des cotisations des actifs, baisse du taux de remplacement des pensions et allongement de la durée de cotisations ?

B. LA NOTION D'ÉQUITÉ INTERGÉNÉRATIONNELLE

S'il est une expression qui revient souvent dans le débat sur les retraites, c'est celle d'" équité intergénérationnelle ".

Demander à nos systèmes de retraites de viser l'équité entre les générations successives peut faire, a priori , l'objet d'un consensus très large. Mais lorsqu'on la regarde de plus près, l'équité intergénérationnelle obéit à des critères assez différents, dont aucun ne semble finalement très satisfaisant 70 ( * ) .

Selon un premier critère, il y aurait équité intergénérationnelle si chaque génération, à chaque âge, bénéficie exactement des mêmes conditions de vie que les autres générations au même âge. Le problème est que ce critère ne tient pas compte de l'idée même de croissance économique qui fait que chaque génération profite d'un niveau de vie supérieur à celui de la génération précédente.

Un second critère consisterait à considérer que l'équité intergénérationnelle est assurée lorsque, à un moment donné, on constate la parité des revenus entre actifs et retraités. C'est à peu de choses près la situation que l'on observe aujourd'hui. Ce critère ne répond cependant pas à la question de l'âge de la retraite : à quel âge est-il " normal " que soit ouvert ce droit au maintien du niveau de vie avec cessation d'activité ? Cet âge ne doit-il pas varier en fonction des durées de vie active, des conditions de travail ou de l'espérance de vie, très différentes selon les générations ?

Un troisième critère permettrait d'apporter une réponse à cette question : l'équité serait assurée lorsque chaque génération reçoit en prestations de retraite autant , en proportion, que ce qu'elle a donné en cotisations. Mais, outre le fait qu'il est impossible d'assurer parfaitement l'égalité des rendements des systèmes de retraite, est-il anormal que les premières générations profitent des rendements très élevés des systèmes par répartition si cela ne pénalise pas les générations ultérieures et, surtout, si elles ont eu plus d'enfants que les générations suivantes ?

La notion d'équité intergénérationnelle, quel que soit le critère privilégié pour la définir, ne paraît pas ainsi tout à fait opérationnelle. Ne serait-il pas préférable, lorsqu'on réfléchit aux perspectives en matière de retraite, de se demander quelle est la croissance du niveau de vie que l'on souhaite garantir aux générations futures ? Ce qui revient à poser la question du taux de prélèvement sur les actifs au titre de la retraite, dont découle ensuite l'évolution du niveau de vie des retraités ou l'âge de la retraite. C'est la question, trop longtemps esquivée, que le rapport CHARPIN a souhaité privilégier, et à laquelle il faudra maintenant que la société française réponde.

C. VIEILLISSEMENT DÉMOGRAPHIQUE ET CAPITALISATION

Un système de retraite organise les droits des actifs d'aujourd'hui sur une production future. Il y a deux manières d'organiser ces droits :

- soit en épargnant aujourd'hui et en récupérant les revenus de cette épargne demain. C'est le principe des systèmes par capitalisation : son principal avantage est celui de l'" équité actuarielle ", chacun recevant des revenus en proportion de sa contribution ;

- soit en affectant une fraction de la production aux inactifs, fraction qui peut être définie par les partenaires sociaux. C'est le principe du système par répartition : son principal avantage est la souplesse, puisque les droits de chacun sont renégociables en fonction du contexte macroéconomique.

On peut tout d'abord observer, comme le fait l'OCDE 71 ( * ) , que la plupart des pays développés assurent à leurs retraités des revenus comparables élevés, compris entre 70 et 80 % de leur revenu d'activité, en ayant recours à l'un ou l'autre système dans des proportions extrêmement variables.

Il ne faut certes pas en déduire que les deux systèmes seraient relativement équivalents. Si tel était le cas, les débats théoriques sur les avantages et les inconvénients de l'un et l'autre système ne seraient pas aussi nourris.

Votre rapporteur se contentera de replacer cette question dans son contexte : dans quelle mesure l'introduction d'une " dose " de capitalisation dans notre système de retraite permettrait-elle de faire face au choc démographique ?

• Il faut tout d'abord observer que le rapport CHARPIN n'aborde pas cette question. Chaque fois que la remarque lui en a été faite, le Commissaire au Plan a répondu " que cette question ne figurait pas dans le champ d'étude du rapport " 72 ( * ) qui ne concernait que les dispositifs existants.

Cette réponse quelque peu formelle ne doit pas masquer des considérations plus fondamentales.

La préoccupation centrale du rapport CHARPIN peut se résumer ainsi : dans le cadre de la réglementation actuelle , le poids des dépenses des régimes par répartition devrait augmenter de 4 points de PIB environ (entre 3 et 5 points de PIB pour être plus précis et pour tenir compte de diverses hypothèses). L'introduction de fonds de pension créerait des droits nouveaux pour leurs cotisants. Autrement dit, quel que soit le poids des fonds de pension dans notre système de retraite, il faudra soit financer d'une manière ou d'une autre les droits déjà ouverts par les régimes par répartition , soit baisser ces droits.

Ceci montre bien la difficulté de passer d'un système à l'autre .

L'introduction de systèmes par capitalisation pour financer le maintien des droits déjà ouverts par les régimes par répartition aboutit à faire " payer deux fois " la génération actuelle des actifs (pour la retraite de leurs parents et pour la leur).

• Deuxièmement, le choix d'un système de retraite peut sembler relativement indifférent pour faire face au vieillissement démographique. En effet, celui-ci résulte essentiellement de l'allongement de l'espérance de vie à la retraite : il s'agit donc de financer une période plus longue d'inactivité, ce pour quoi la capitalisation ne présente pas d'avantages spécifiques.

Par ailleurs, sur un plan macroéconomique, quel que soit le système, il faut toujours que les actifs produisent ce qui sera consommé à la fois par eux-mêmes et par les inactifs. La manière dont le prélèvement sur le labeur des actifs s'opère à un moment donné - répartition ou capitalisation- est une question beaucoup moins déterminante que le niveau du prélèvement. Dans tous les cas, les actifs devront s'abstenir de consommer ce qui ira aux inactifs, que ceci s'opère par le biais des cotisations sociales (répartition) ou par le biais d'un supplément d'épargne (capitalisation).

Ces considérations sont parfaitement résumées dans la contribution de M. Jean-Michel CHARPIN, Commissaire au Plan, au rapport du Conseil d'Analyse Economique " Retraites et épargne :

"
Le problème à résoudre trouve sa source dans une évolution réelle, presque physique. Il s'agit au départ d'un problème d'effectifs comparés entre la population des actifs et celle des inactifs. D'ailleurs, une partie de la solution sera probablement trouvée directement à ce niveau. Ce problème paraît a priori insoluble sans des changements significatifs dans les niveaux de vie respectifs de ces deux populations ou dans les quantités de biens et services rendus disponibles par la production ou l'importation.


C'est dans l'économie réelle que se situe la véritable difficulté. La finance sait transférer dans le temps des créances nominales. Il ne resterait alors à résoudre que des questions de mutualisation. Mais la finance ne sait pas transférer dans le temps des créances réelles. Elle est incapable d'annoncer à l'avance la valeur réelle future des créances qu'elle transfère. Celle-ci dépend de l'évolution de l'économie réelle.


Historiquement, un problème récurrent a été la ruine des détenteurs de portefeuilles à revenu fixe, des " rentiers ", par l'inflation. Plusieurs ingrédients d'une telle configuration seront réunis dans vingt ans : de probables pénuries de main-d'oeuvre, de nombreux consommateurs inactifs, habitués à un niveau de vie élevé, que de multiples dispositifs plus ou moins astucieux auront doté de montants importants de créances nominales.


Cette observation générale (...) conduit à rappeler une évidence : le niveau général des prix est endogène. En conséquence, il est indispensable de se contraindre à la discipline suivante : pour chacun des dispositifs envisagés, il faut expliciter comment il engendrera, par la production ou l'importation, une quantité supplémentaire de biens et services. Rien ne serait plus léger que de mettre sur pied des dispositifs qui ne créeraient que de la créance nominale, sans contrepartie réelle, et qui prépareraient ainsi le choc inflationniste des années 2015-2020. " , (pages 76 et 77).

Faut-il déduire de ces réflexions que les deux systèmes (répartition et capitalisation) seraient équivalents pour faire face au choc démographique ? Telles ne semblent pas être les conclusions que l'on peut tirer des nombreux travaux qui ont été menés sur cette question :

• Tout d'abord, la non-équivalence entre les deux systèmes réside dans la quantité et la qualité de l' épargne que les dispositifs par capitalisation sont susceptibles d'entraîner :

- Sauf à considérer que ces dispositifs ne se traduisent que par un transfert de l'épargne existante, s'il y a plus d'incitations à épargner, la quantité d'épargne sera supérieure, ce qui est de nature à améliorer la croissance à long terme. Une autre question est évidemment de savoir si, dans le contexte macroéconomique actuel, l'économie française a besoin d'un supplément d'épargne.

- De même, si ces dispositifs encouragent une épargne plus longue, plus risquée, plus largement investie en actions et plus diversifiée , en particulier dans les pays à fort dynamisme démographique et à potentiel de croissance élevée, l'effet positif sur le revenu à partager entre actifs et inactifs ne doit pas être négligé.

A cet égard, il serait donc contre-productif de se priver de structures qui permettent de rassembler l'épargne à risque, et qui alimenterait en fonds propres les grandes entreprises, les PME et les entreprises nouvellement créées.

• Il est difficile, par ailleurs, d'ignorer les changements qui paraissent s'opérer, en France, dans la perception des fonds de pension.

Ceux-ci y ont été longtemps craints pour la contrainte négative qu'ils feraient peser sur la gestion des entreprises (ignorance de l'intérêt des salariés, préférence donnée à une gestion à court terme). Plusieurs travaux récents 73 ( * ) ont montré que ces craintes étaient certainement exagérées et que les fonds de pension concourent à la transparence de la gestion des entreprises et, de manière plus générale, améliorent le " gouvernement d'entreprise ".

De même, le sondage commandé à l'IFOP par Merril LYNCH, selon lequel 78 % des personnes interrogées estiment que le système actuel doit être complété par une forme ou une autre de capitalisation et selon lequel ce " souhait " est partagé par toutes les catégories socioprofessionnelles 74 ( * ) , montre bien que la nécessité de diversifier notre système de retraite est assez clairement perçue.

Des dispositifs de cette nature contribueraient à rassurer les ménages sur le niveau futur de leurs retraites et il y a quelques raisons de croire qu'il en résulterait une amélioration du climat économique général.

Ils répondraient de plus à un objectif d' égalité entre actifs, puisque jusqu'à présent, seule une partie d'entre eux en bénéficient (agriculteurs, fonctionnaires, professions libérales ou salariés des grandes entreprises) et que le régime fiscal de l'assurance-vie a été rendu sensiblement moins incitatif.

• Enfin, l'introduction d'un " étage " de retraite par capitalisation dans le système de retraites français ne dispense pas d'un arbitrage clair et négocié sur les droits ouverts par les régimes par répartition. Il faut cependant observer que, sur la base de la réglementation actuelle des systèmes par répartition, le rapport CHARPIN fait apparaître une divergence d'évolution très marquée entre le niveau de vie des actifs et celui des retraités. On y note en effet (page 94 du rapport) qu'à l'horizon 2040, le salaire moyen augmenterait de 1,7 % par an, alors que les retraites du régime général ne progresseraient que de 1,1 % par an et les retraites complémentaires de 0,3 % par an.

On peut en déduire que le taux de remplacement net passerait ainsi de 83,7 % à 69,4 % pour l'ouvrier-type, et de 71 % à 50,4 % pour le cadre-type 75 ( * ) . N'est-ce pas pour compenser cette diminution du niveau relatif des pensions (de 17 % pour un ouvrier et de 29 % pour un cadre) qu'il y aurait une large place, et même une nécessité, pour l'introduction de dispositifs par capitalisation, sans modification de la réglementation et sans diminution des droits ouverts par les régimes par répartition ?

Discuter de la forme que pourraient revêtir ces dispositifs n'entre pas dans le cadre de ce rapport. Votre rapporteur se contentera ainsi de trois observations générales :

- pour être acceptés socialement, ces dispositifs devraient être négociés collectivement par les partenaires sociaux, tant en ce qui concerne leur mise en oeuvre que leurs orientations et leur suivi ;

- leur efficacité économique suppose que leur gestion soit déléguée aux acteurs les plus qualifiés pour gérer de l'épargne à long terme ;

- il est nécessaire que les pouvoirs publics en assurent un contrôle prudentiel vigilant.

* 62 Ainsi le quotidien LIBÉRATION du 22 mars 1999 titrait-il en une " Courage, bientôt la retraite à 70 ans ! ", alors que rien de tel ne peut être extrait, ou même déduit, du rapport CHARPIN.

* 63 Que votre rapporteur a présenté à la page 35.

* 64 Autrement dit, le rapport entre la pension moyenne et le salaire moyen.

* 65 Si l'on prend par exemple l'hypothèse de gains de productivité du travail au rythme de 2,7 % par an, la masse salariale serait multipliée par trois et le montant des pensions par quatre et demi.

* 66 A. DANTEC, G. DUPONT ET H. STERDYNIAK : " Les retraites, que faire ? ", Revue de l'OFCE, n° 68, janvier 1999.

* 67 Tiré de l'article de H. STERDYNIAK " Débat sur les retraites en France : critique d'un rapport ", Revue de l'OFCE n° 70, juillet 1999.

* 68 En taux apparent de cotisation sur le total salaire + cotisations employeurs. Les experts de la Commission de concertation critiquent cette approche en points de cotisation dans le même article de la Revue de l'OFCE n° 70 de juillet 1999.

* 69 Toujours selon les calculs de l'OFCE.

* 70 Voir la contribution de Didier BLANCHET " Mesurer l'équité intergénérationnelle : le choix des indicateurs ". La Lettre de l'Observatoire des Retraites n° 10, décembre 1998.

* 71 " Préserver la prospérité dans une société vieillissante ", OCDE, 1998.

* 72 Audition par la Commission des Affaires sociales du Sénat du 5 mai 1999.

* 73 Voir notamment le Bulletin de la COB, n° 322, mars 1998.

* 74 Employés, ouvriers, jeunes, sont à 80 % favorables à des fonds de pension, à condition que l'épargne ait lieu sur une base volontaire (sondage cité par Le Monde, Supplément Economie du 30 novembre 1999).

* 75 Calculs extraits de la Revue de l'OFCE n° 70, juillet 1999, page 243.

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