8. OCDE et économie mondiale - Interventions de MM. Jean VALLEIX, député (RPR), Claude BIRRAUX, député (UDF), et Paul DHAILLE, député (Soc) (Mercredi 23 septembre)
Préoccupé par la crise économique en Asie
et
tout particulièrement au Japon, ainsi qu'en Russie, le rapporteur invite
les institutions financières internationales ainsi que les pays membres
de l'OCDE à soutenir les réformes politiques, économiques
et sociales que doivent entreprendre ces pays. Le rapporteur se tourne
également vers l'OCDE pour lui demander que, dans la définition
finale de l'Accord multilatéral d'investissement (AMI), elle prenne
mieux en compte les préoccupations nationales dans les domaines des
normes sociales et de travail, l'environnement et les objectifs culturels
nationaux. Dans la lutte contre le chômage, le rapporteur demande
d'encourager des politiques pouvant permettre l'essor du secteur des services,
davantage utilisateur de main-d'oeuvre.
Le rapport sera débattu par l'Assemblée parlementaire
élargie, composée de délégations des Etats membres
de l'OCDE et du Conseil de l'Europe.
M. Jean VALLEIX, député (RPR)
prend la parole dans le
débat en ces termes :
" Ce débat sur l'OCDE et l'économie mondiale se
déroule - on l'a parfaitement rappelé - dans un contexte de crise
à l'échelle planétaire : crise des économies
asiatiques, changement d'orientation en Russie, chute des cours dans de
nombreux pays, notamment en Amérique latine, fragilisation du
leadership
américain. Un tel contexte, tellement
préoccupant, aurait mérité, à mon avis, un
débat plus long, il aurait mérité plus que cette seule
après-midi. Je regrette aussi ce " resserrement " du
débat par égard à nos amis venus de continents lointains,
de pays tels que le Japon, la Corée, le Canada, ou le Mexique.
Comment, mes chers collègues, pouvons-nous considérer, nous
Européens, que l'euro peut nous tenir éventuellement, et
souhaitons-le, à l'écart ? Certains, bien sûr,
soulignent les capacités protectrices et stabilisatrices d'un euro qui
n'est même pas encore en vigueur. Sommes-nous certains nous-mêmes,
mes chers collègues, de la capacité de l'euro à
protéger l'Europe dans la durée ?
Il serait intéressant que nous connaissions à cet égard le
point de vue de l'OCDE et, Monsieur le Secrétaire général,
vous avez bien voulu aborder certains de ces aspects.
La crise actuelle a, par ailleurs, montré les limites des politiques
conduites par les grands organismes financiers mondiaux. La question a
été posée aussi bien par notre rapporteur que par le
Secrétaire général de l'OCDE : l'OCDE croit-elle
toujours elle-même que les prescriptions monétaristes, et
exclusivement monétaristes, sont bien le seul remède au
développement des économies en transition ?
N'est-il pas préoccupant que le Congrès des Etats-Unis refuse
d'accorder la dotation financière réclamée par le
FMI ?
Monsieur le Secrétaire général, vous avez longuement
développé la situation en Russie et il est tout à fait
important que nous puissions en débattre - j'espère pas trop
tard, en janvier prochain. Mais ces bouleversements remettront-ils en cause
l'aide occidentale accordée à la Russie ? La question est
posée.
On le voit, l'OCDE doit actuellement apporter toute sa capacité
d'analyse et de conseil pour nous donner les meilleures solutions à la
crise. Dans l'excellent rapport de notre collègue, Terry Davis, une
large place est faite à la crise asiatique et notamment aux graves
difficultés que connaît l'économie japonaise. Le
relèvement du Japon qui, je le rappelle, est observateur au Conseil de
l'Europe et partenaire régulier à nos travaux, est une
priorité. Nous devons tout mettre en oeuvre pour aider à ce
redressement. Le Japon non seulement joue un rôle décisif pour la
stabilité de l'ensemble de la région d'Asie, mais il demeure la
deuxième puissance économique mondiale.
De même, le problème n'a pas été
évoqué, mais que sera la Chine demain ? Et quelles seront
par conséquent ses capacités de croissance et de stabilité
ou d'instabilité ?
Enfin, je pense que le moment est venu d'engager une réflexion, une
réflexion à laquelle notre Assemblée doit être
associée, sur l'évolution des marchés et des capitaux
à l'échelle mondiale. Ce problème est bien posé
aujourd'hui, il doit connaître des lendemains de travail entre nous.
Comme le souligne excellemment le projet de résolution, Monsieur le
rapporteur, il est en effet urgent de mettre en place des normes comptables
claires et des mesures de transparence afin d'aider les marchés mondiaux
à mieux prévenir et gérer les crises.
S'agissant de l'Europe, parallèlement à cette
régularisation nécessaire des flux monétaires, et à
la mise en place de la monnaie unique, il est indispensable de renforcer la
coordination de nos politiques économiques et sociales, de poursuivre
résolument la lutte contre le chômage en respectant le rôle
et la souveraineté des Etats, qui demeurent les seuls garants de la
cohésion nationale.
Mes chers collègues, enfin, nous savons gré au rapporteur d'avoir
porté un regard très ouvert sur le projet d'accord
multilatéral pour les investissements (AMI), d'avoir insisté sur
l'indispensable transparence des discussions sur le sujet et sur la
nécessité de renforcer le contrôle parlementaire. Nous lui
savons gré d'avoir souligné en outre que la culture - il ne fait
que reprendre la position du Canada, très ferme à cet
égard - ne doit pas forcément tomber dans le cadre d'un tel
accord, au contraire, un accord qui doit s'appuyer sur des aspects, des
approches également sociales et humaines, sans envahir le domaine
culturel qui reste le domaine de l'expression de chacun de nos Etats et de nos
civilisations.
Voilà mes chers collègues, une manière de conclure sur
l'aspect humain des choses. En effet, vous évoquiez, à l'instant,
madame Lalonde, la nécessité de penser à l'homme et
à la femme ordinaires. Je voudrais aussi que nous pensions à la
capacité d'épanouissement que nous pouvons offrir à nos
contemporains et à nos générations qui montent. Cette
dimension humaine, très bien rappelée par le Secrétaire
général de l'OCDE aussi bien que par notre rapporteur, vous me
permettrez de la résumer aussi dans une formule de Charles de
Gaulle : " La seule querelle qui vaille est celle de
l'homme ". "
M. Claude BIRRAUX, député (UDF)
, fait à son tour
les observations suivantes :
" Je tiens tout d'abord à remercier et à féliciter
M. Davis pour son rapport fort complet qui replace le sujet dans un cadre
plus large, y compris en ce qui concerne les finalités mêmes du
développement. Pour ma part, je souhaite mettre l'accent sur quelques
points qui me semblent importants.
Ce rapport traite d'abord de la crise asiatique alors que l'actualité
récente nous plonge déjà dans une autre, la crise russe.
Marquant les limites du miracle asiatique, cette crise a pour
caractéristique de ne pas être seulement économique et
monétaire, mais elle est aussi une remise en cause d'un certain
schéma sociopolitique où démocratie et
développement économique ne font pas toujours bon
ménage ; un rapide panorama de l'Asie nous renvoie à des
régimes politiques allant des dictatures à des démocraties
plus ou moins musclées, ou plus ou moins molles, et par là
même toutes deux perméables à des intérêts
privés.
La libéralisation récente des marchés, le
développement des bourses se sont faits sans être
accompagnés de contrôles suffisants. Cette insuffisance de
réglementation dans un contexte de copinage et de népotisme ont
facilité certaines pratiques fallacieuses : prêts douteux,
ratios élevés d'engagements bancaires... Dès lors, fait
nouveau dans ces sociétés, l'affaiblissement du contrôle de
la puissance publique a conduit à une remise en cause des dirigeants.
C'est pourquoi, je partage pleinement le projet de résolution qui
rappelle que la prééminence du droit et la transparence sont des
facteurs essentiels pour un développement économique durable.
Il y a un point sur lequel je souhaite également m'exprimer :
l'accord multilatéral d'investissement. L'AMI, dans les
négociations engagées sous l'égide de l'OCDE en
février dernier, s'est soldé par un échec tant les
divergences entre les participants étaient profondes.
Cet accord, qui a pour but d'assurer aux investisseurs des règles
stables pour l'accès aux marchés tout en libéralisant les
investissements, a suscité sur certains points des réactions
hostiles. Dans mon pays, en France, des dispositions ont été
critiquées sur tous les bords de l'échiquier politique, en
particulier en ce qui concerne le domaine culturel et audiovisuel. Nombreux
sont ceux qui ont plaidé pour ce qu'il est convenu d'appeler, depuis
l'exclusion de l'audiovisuel de l'accord du GATT, " l'exception culturelle
française et européenne ".
Je suis de ceux qui pensent que la culture n'est pas une marchandise comme les
autres et accepter cet accord en l'état, c'est accepter le financement
des oeuvres comme de simples investissements, oublier que la culture
relève des intérêts d'une nation : il en va du respect
de notre identité culturelle, du pluralisme culturel à
l'échelle mondiale en équilibrant par des subventions la
domination de certains pays.
Par ailleurs, tout accord sur l'investissement ne saurait s'abstraire ou se
soustraire à une prise en compte de données sociales, des
conditions de travail ou d'environnement. Ce n'est pas parce que certains pays
tolèrent le travail des enfants, que l'interdire deviendrait
discriminatoire pour l'investisseur. Il en est de même en ce qui concerne
l'environnement et ce qui insupportable pour l'environnement de nos pays ne
l'est pas moins pour celui d'autres pays.
M. le rapporteur a aussi abordé le non moins important
problème du vieillissement des populations dans la zone OCDE. Par
vieillissement de la population, on entend une baisse de la
fécondité conjuguée à une diminution de la
mortalité. Cette évolution démographique soulève de
nombreux problèmes. Il y a l'avenir des régimes de retraite qui
fonctionnent par répartition où les actifs d'aujourd'hui
financent pour les retraités d'aujourd'hui et les actifs de demain
financeront pour les actifs d'aujourd'hui. Le vieillissement de la population
perturbe cette solidarité entre générations.
Le coût de la santé pose un autre problème qui risque de
s'accroître alors que l'équilibre du budget social est
déjà pour certains pays d'actualité.
Le vieillissement de la population entraîne en outre un problème
qui me semble ne pas être le moindre : le dynamisme de
l'économie. On peut en effet concevoir que la capacité d'innover,
la réceptivité au changement sont plus fortes dans une population
jeune que dans une population âgée.
Pour toutes ces raisons, il est urgent de mener une véritable politique
familiale avec des mesures incitatives générales versées
par l'Etat au motif qu'un enfant est un investissement pour la
société tout entière. Un enfant, faut-il le rappeler,
représente l'avenir de la société.
Enfin, les crises en Asie et en Russie, il est vrai quelque peu
éclipsées dans les médias, en particulier
outre-Atlantique, ,par les obsessions, que je qualifierai de pathologiques,
d'un procureur américain, sont là pour rappeler que le
développement économique durable ne se mesure pas uniquement
à travers des grilles et des ratios, mais qu'il ne saurait ignorer ni
les principes de la démocratie, l'Etat de droit et la transparence, ni
les considérations sociales et environnementales. Mieux, il ne peut
s'accroître pour lui-même, mais pour la société et au
service des citoyens qui la composent. "
M. Paul DHAILLE, député (Soc)
, s'exprime alors sur ce
thème de la façon suivante :
" En ce qui concerne la situation économique mondiale, M. le
rapporteur écrit qu'il a l'impression d'être un artiste qui
s'efforce de peindre un soleil couchant : le temps de fixer sur sa toile
et le soleil a déjà bougé dans le ciel ! L'image est
jolie, mais elle est aussi dramatique pour de nombreux peuples de l'Asie, pour
les pays émergents également et peut être demain pour les
pays développés, sans parler des pays en voie de
développement qui voient leurs efforts anéantis du fait des
soubresauts de l'économie mondiale.
Pourtant le soleil n'a pas été toujours aussi changeant et l'on a
voulu nous faire croire pendant des années qu'il était fixe,
c'est-à-dire qu'il n'existait qu'une voie possible, qu'une solution, une
seule, pour le développement économique mondial,
l'économie de marché, la loi du marché sans
contrôle, ni mesure, surtout de la part des Etats.
Le marché se régulait de lui-même, paraît-il,
corrigeait ses propres excès de par ses propres mécanismes
d'autocontrôle interne qui se créaient d'eux-mêmes. Les bons
élèves de la classe étaient alors les pays d'Asie, les
" dragons " petits et grands qui, à l'inverse de nos vieux
pays industriels et des vieilles démocraties occidentales avaient su
tout subordonner à leur puissance économique, en particulier les
droits sociaux, la protection de leur environnement et, pour certains, les
principes démocratiques. Les difficultés du Mexique avaient
constitué une première alerte, mais ce pays n'appartenait pas
à cette zone géographique asiatique et la secousse avait
été limitée.
Aujourd'hui, il faut se rendre à l'évidence : le
modèle économique dominant est en crise. Née en Asie, la
crise a gagné la Russie et un certain nombre de pays de l'ex-bloc
soviétique. Elle menace maintenant les économies
émergentes de l'Amérique du Sud et la croissance retrouvée
dans les démocraties occidentales. La " bulle "
financière a éclaté ; les bourses se sont
effondrées ; les monnaies ont perdu une bonne partie de leurs
valeurs et certains systèmes bancaires sont au bord de la faillite.
M. le rapporteur met bien en évidence les raisons de cet
effondrement. En particulier, il ne peut y avoir de développement
économique sans développement parallèle des droits
sociaux, de la protection de l'environnement et, bien sûr, des
mécanismes démocratiques.
Pourtant, dans un certain nombre d'organismes internationaux et de
gouvernements, on ne semble pas prêt à tirer les leçons de
cette crise et à remettre en cause les théories
économiques. Ainsi, comme les médecins des comédies de
Molière qui ne connaissent que les purges et les saignées ne se
rendaient même pas compte que leurs remèdes tuaient plus
sûrement le malade que la maladie, les solutions économiques
relèvent toutes aujourd'hui de la pensée unique, sans
interrogation sur ses conséquences.
Si parallèlement au développement économique, il n'y a pas
de développement des droits et de la protection sociale ainsi que des
principes démocratiques, les peuples seront tentés de se
détourner vers des solutions simplistes et souvent totalitaires.
Lorsque vous nous dites qu'à la fin de la seconde guerre mondiale,
l'Europe ne s'est pas relevée seulement du fait du Plan Marshall ou de
ses propres forces économiques, il ne faut pas oublier de rappeler
qu'à cette époque, le bloc soviétique constituait une
force en expansion sous la menace de laquelle les droits sociaux et
démocratiques se sont développés de manière
considérable. Les gouvernements, même les plus
réactionnaires, et les puissances industrielles ont consenti des
avancées sociales et des contreparties démocratiques importantes
aux peuples, de peur de les voir séduits par les mirages du
modèle soviétique.
Nos concitoyens veulent être heureux " ici et maintenant " et
c'est dans l'équilibre entre l'économique, le social et le
politique que se fonde le développement harmonieux des
sociétés. Aujourd'hui l'économique semble avoir pris le
pas sur tout le reste et un certain nombre d'experts ne s'interrogent
même pas sur la pertinence de leurs méthodes et sur les mesures
qu'ils préconisent. Autrefois, en Union soviétique, lorsque les
résultats économiques n'étaient pas conformes au plan, on
disait que la réalité avait tort et devait être
changée. On sait ce qu'il en est advenu !
Aujourd'hui, avec la crise, certains pensent qu'ils ont toujours raison et que
ce serait la réalité qui a tort ! La situation actuelle
montre bien que le système financier international n'a plus qu'un
rapport lointain avec la réalité de la production des biens et
des services.
C'est ainsi qu'une grande entreprise française a vu le cours de ses
actions chuter de près de 40 % parce que son bénéfice
s'élevait seulement à 2,6 milliards de francs contre les
3,6 milliards de francs espérés. Quelle aurait
été l'attitude de la Bourse si cette entreprise avait
annoncé un déficit ? Mais quel effet aussi sur l'homme de la
rue qui ne voit aucun rapport entre l'origine industrielle du résultat
de la firme et la sanction financière subie par celle-ci !
Sur la base de ce que je viens de dire, permettez-moi d'aborder un point du
rapport : les régimes de retraite à l'horizon 2005. A
nouveau, il semble que la seule solution consiste à passer du
régime des retraites par répartition au régime par
capitalisation.
Cette théorie simple, pour ne pas dire simpliste, me semble
mériter une discussion. Dans un souci de concision, je me limiterai
à trois interrogations.
Cette modification ne va-t-elle pas apparaître à beaucoup de nos
concitoyens -surtout les plus pauvres- comme une nouvelle régression
dans leur protection sociale ? Ne vont-ils pas voir dans cette
évolution le sacrifice des droits sociaux au bénéfice des
intérêts financiers ?
Quelle est la sécurité des fonds de pension dans un monde en
crise, sauf à demander une nouvelle fois aux Etats d'assumer les
déficits éventuels ?
Quels seraient les effets sur l'économie mondiale d'un autre gonflement
de la bulle financière par l'accroissement des capitaux
spéculatifs ?
Pour ces raisons, je crois que nous devons nous méfier des solutions
simples et toutes faites, séduisantes par ailleurs sous prétexte
qu'elles appartiennent à la pensée économique dominante.
Au contraire, le doute et la confrontation des idées me paraissent
féconds et porteurs d'avenir. "
A l'issue du débat,
la résolution 1167 amendée figurant
dans le rapport 8179 est adoptée à l'unanimité.