PRÉSENTATION PAR M. GÉRARD LARCHER,
VICE-PRÉSIDENT DU
SÉNAT
Monsieur
le Président du Sénat,
Monsieur le Président des Affaires économiques,
Mes chers collègues sénateurs et députés, Mesdames
et Messieurs,
Merci d'avoir répondu nombreux à l'invitation de la Commission
des Affaires économiques. Pour son Président et moi-même,
c'est l'occasion de faire un exercice comme nous l'avons déjà
fait en 1991 quand la commission a rapporté sous la présidence de
Jean François-Poncet sur l'avenir de l'espace rural, quand,
préparant en 1994 le texte sur l'aménagement et le
développement du territoire, nous nous étions retrouvés
à Poitiers pour parler de la ville. Oui, Monsieur le Président du
Sénat comme vous l'avez souligné, le Sénat est soucieux du
devenir des espaces périurbains.
La Commission des Affaires économiques a adopté au printemps
dernier, le premier rapport parlementaire consacré à ce sujet qui
a eu un assez large écho. Certaines des pistes ouvertes ont
suscité des interrogations, de fortes réactions, des
propositions, des contre-propositions. Il faut nous interroger sur des
questions qui nous sont posées aujourd'hui : que faire pour ne pas
opposer artificiellement et de manière récurrente, que faire pour
ne pas opposer idéologiquement la ville et la campagne ? Que faire
pour éviter de cantonner nos espaces à être
protégés, voire surprotégés et d'autres territoires
à n'être considérés que comme les
« kleenex » du territoire ? Comment éviter de
résumer le problème périurbain à la seule
région Ile-de-France alors qu'il se pose autour de nombreuses
métropoles régionales. Nos débats doivent le montrer,
cette question concerne le territoire national. Je ne souhaite pas vous en dire
davantage car le temps va nous être compté et nous souhaitons que
nos interventions permettent à chaque fois d'entamer un bref instant le
débat avec vous. L'important est d'écouter les
témoignages, les expériences, les propositions et les
contre-propositions, car, comme l'a dit le M. le Président du
Sénat, cet exercice n'est pas un exercice intellectuel qui ne va pas
connaître d'aboutissement à partir de fin mars sous
l'autorité du Président de la Commission des Affaires
économiques qui, sans nul doute cet après-midi même,
pourrait être Président de la Commission spéciale ayant en
charge d'examiner le rapport et de préparer la discussion du projet de
loi sur l'aménagement et le développement durable du territoire.
Le Sénat va avoir à reprendre une partie de ces débats
dans ce texte important, je pense à son article 47, mais il y aura un
second texte qui est le texte sur le développement de
l'intercommunalité, élément essentiel dans la gestion du
territoire et dans nos débats. Je ne doute pas que notre travail
d'aujourd'hui contribue à nourrir et à éclairer les
débats à venir. Voilà pourquoi nous consacrons notre
matinée à la géographie et cet après-midi à
l'environnement, à l'urbanisme et au foncier, afin que nous puissions
faire profiter la commission spéciale de nos travaux. Ces politiques,
l'environnement, l'urbanisme et le foncier et les questions autour de la
pérennité agricole du nécessaire développement de
nos infrastructures, de l'équilibre de nos villes seront les enjeux de
cette journée. Je souhaite pleine réussite à ce colloque
et ceux qui n'auraient pas pu s'exprimer aujourd'hui peuvent le faire en
m'écrivant ou en m'adressant leur contribution mais pour qu'elle soit
utilisée dans un délai qui n'excède pas quinze jours afin
d'alimenter nos réflexions, Monsieur le Président du
Sénat, Monsieur le Président des Affaires économiques,
merci d'avoir bien voulu accepter de présider et d'organiser ce colloque.
M. Christian PONCELET -
Avant de passer la parole à
M. Jean François-Poncet, Président de la Commission des
Affaires économiques, puisque nous avons parlé à plusieurs
reprises de commission spéciale j'ai souligné tout à
l'heure que pour l'organisation de vos travaux il y avait un oecuménisme
véritable puisque des sénateurs des différents groupes
parlementaires composant le Sénat vont présider les tables
rondes. Pour le travail législatif il en va de même. Sur la
proposition du Président Jean François-Poncet, une commission
spéciale a été créée, qui va être
composée de parlementaires de tous les groupes qui vont travailler
ensemble pour savoir quels amendements pourront être
déposés pour modifier le texte qui sera soumis à notre
appréciation. La parole est au Président Jean
François-Poncet.
I. LE CONSTAT
A. LES ESPACES PÉRIURBAINS : UNE FRONTIÈRE EN MOUVEMENT ?
Introduction par M. Jean FRANCOIS-PONCET, sénateur de Lot-et-Garonne, président de la Commission des Affaires économiques
Vous ne
serez pas surpris que le Sénat s'intéresse tout
particulièrement aux problèmes de l'aménagement du
territoire. C'est un des sujets auquel il a consacré le plus de
réflexions, le plus de rencontres et le plus de rapports ; il s'est
profondément impliqué dans la loi Pasqua de 1995 sur
l'aménagement du territoire. Il en fera autant pour la loi Voynet, avec
le même esprit d'objectivité.
Nous abordons aujourd'hui un des volets essentiels de la problématique
de l'aménagement du territoire qui est toute entière contenue
dans les rapports entre ville et campagne, avec une fluctuation de la
frontière qui est le thème de notre première table
ronde : quelle est la définition de l'espace périurbain ?
Cet espace recouvre neuf millions de Français, 28% des communes, et
reste un producteur significatif puisque 12 % de la production française
émane de ces zones. Il y a donc un rapprochement entre une agriculture
qui continue d'exister et un espace urbain qui l'envahit peu à peu et
vous imaginez les tensions qui peuvent en résulter. Ceux qui connaissent
ces zones savent que les rapports entre les nouveaux arrivants et ceux qui sont
installés depuis longtemps, et qui ont des exploitations agricoles,
donnent lieu à toutes sortes de tensions. Il y a les tensions
paysagères, ces zones suburbaines s'étant
développées de façon anarchique, il y a donc un complexe
de problèmes. La zone suburbaine, qui est la frontière mouvante
entre l'espace rural et l'espace urbain, préjuge d'une certaine
façon des rapports qui posent toutes sortes de problèmes entre la
ville et le rural profond. Il y a là un sujet central dans la
problématique de l'aménagement du territoire et le grand
mérite de M. Gérard Larcher est d'avoir sorti ce problème
pour l'examiner en tant que tel. Votre présence prouve que c'est un
sujet qui préoccupe.
Je vais donner la parole à M. Delorme, directeur à l'INSEE, qui
va nous parler des définitions. La commune rurale est encore la commune
qui a moins de deux mille habitants, mais il y a bien des communes
qui ont moins de deux mille habitants et qui ont cessé d'être
rurales. Il y a le " rurbain " qui a été inventé
par les esprits de l'INSEE. Entré à l'INSEE en 1961, M. Delorme
est un ancien élève de Polytechnique ; chef de la Division
de l'Agriculture en 1969, rapporteur de l'INSEE, rapporteur de la commission
des comptes et de l'agriculture, il a été à l'Organisation
des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture, à la FAO, comme
chef de projet ; il est allé en Afrique Centrale avant de devenir,
en 1977, le directeur du Centre européen de formation des statisticiens
économistes pour les pays en voie de développement, en 1980,
directeur Régional de l'INSEE en Auvergne, chef du département de
l'action régionale et directeur de la diffusion et de l'action
régionale aujourd'hui. C'est dire qu'il a une vaste expérience.
Vous avez la parole Monsieur Delorme.
1. L'extension progressive de la surface des espaces périurbains par M. Pierre DELORME, directeur de la diffusion et de l'action régionale à l'INSEE
Merci
Monsieur le Président, Monsieur le sénateur, Mesdames, Messieurs.
Les cartes ici présentes résument les travaux faits par l'INSEE,
l'INRA, la DATAR etc. pour essayer de mieux cerner ces différents
concepts d'urbain, périurbain, rural.
Cette carte s'appelle " territoires vécus " parce qu'elle est
basée sur l'observation des tribulations de nos concitoyens dans leur
vie quotidienne. Désormais on ne naît plus, on ne vit plus, on ne
meurt plus, on ne travaille plus dans le même village. Notre vie
quotidienne est soumise à des tas de déplacements qui ne
s'organisent pas au hasard. Le territoire s'organise à partir des
phénomènes de polarisation, d'attraction et de zones d'influence.
Il y a des lignes de force qui sont liées à des attractions et
l'attraction qui structure principalement l'espace dans notre monde actuel,
c'est l'attraction de l'emploi et c'est à partir des déplacements
entre le domicile et le lieu de travail qu'a été faite cette
délimitation des différents espaces.
Au départ, il y a la ville dans son sens traditionnel
c'est-à-dire la ville comme une accumulation de populations et d'habitat
pour ces populations. Les premières définitions de la ville ont
été données par référence à la
continuité de l'habitat ce qui permet de définir un univers de
pierre par opposition à un univers plus végétal, l'un
étant la ville, l'autre la campagne. Mais c'est une notion qui est
maintenant complètement obsolète. La limite de deux mille
habitants pour définir l'unité urbaine date de 1856 et je ne puis
vous dire pourquoi elle a été prise et pourquoi nous avons
continué à l'utiliser. Mais cette dichotomie : une ville de
pierres, une campagne de terre et de végétaux n'a plus aucun
sens. Ce que nous avons essayé de faire avec les données du
recensement de 1990, et qui sera actualisé avec le recensement de mars
1999, c'est d'étudier cette organisation du territoire en partant des
pôles urbains c'est-à-dire des villes qui offraient un potentiel
d'emplois d'au moins cinq mille habitants. C'est autour de ces pôles
urbains en observant les déplacements domicile/travail que nous voyons
les cercles concentriques des couronnes périurbaines qui sont
l'entourage de ces pôles urbains. Et puis il y a aussi des communes dans
lesquelles les habitants ne sont pas attirés uniquement par un
pôle urbain mais par plusieurs, ce que nous avons appelé des
communes multipolarisées et c'est cet ensemble de couronnes urbaines et
de communes multipolarisées qui constitue l'espace périurbain.
Contrairement à la ville de pierres, ces espaces périurbains sont
plus composites puisqu'ils résultent d'une avancée de formes
urbaines à l'intérieur d'un périmètre rural, donc
il subsiste dans ces espaces de la forêt, des exploitations agricoles
etc. Ce phénomène a été très bien
décrit dans le rapport du sénateur Larcher et l'on voit bien
qu'il y a là des espaces de confrontation puisqu'il y a des cultures,
des activités, des modes de vie différents mais il est clair que
ces espaces sont soumis à une forte influence de la ville. Tout cela a
été appelé " espace à dominante urbaine "
et le reste est un espace qualifié de " dominante rurale ".
Une frontière artificielle a été tracée entre ces
espaces périurbains et le reste en mettant un seuil : au moins 40 %
des actifs résidant dans une aire urbaine y travaillent aussi. De
l'autre côté de cette frontière il y a des espaces qui sont
déjà sous influence de la ville et avec le résultat du
recensement nous verrons des modifications.
Dans le reste du territoire rural, il y a aussi des petites villes entre deux
mille et cinq mille qui fonctionnent comme des petites villes mais qui sont du
milieu rural. Il reste un rural isolé qui est tout le reste.
Quelques chiffres pour situer tout cela :
- les pôles urbains représentent 60 % de la population pour 7
% de la surface,
- les espaces périurbains représentent 15 % de la population
totale pour 22 % de la surface,
- le rural représente treize millions de population soit 24 % pour
une surface de 70 %.
Il est intéressant d'étudier la dynamique parce que l'extension
des villes se fait d'une part par la surface et d'autre part par la croissance
démographique à l'intérieur d'un même
périmètre.
Juste deux chiffres : entre 1982 et 1990 il y a eu une croissance
d'environ quatre millions de personnes du domaine urbain avec pour
moitié une extension en superficie et pour une autre moitié une
extension en population.
Ce phénomène d'influence de la ville sur son environnement est de
plus en plus marqué. J'avancerai une explication : les nuisances
mêmes de la ville telles que l'encombrement créent de l'emploi. Il
y a des tas d'activités qui sont là pour gérer
l'encombrement : creuser des tunnels, faire des parkings etc. ; alors
que dans l'espace rural, la faible densité de population n'est pas
créatrice d'emplois. Il faut gérer dans les espaces
périurbains ce mélange d'influence de la ville et d'un maintien
de la campagne.
M. Jean FRANCOIS-PONCET -
Merci. La parole est à
présent à M. Jean-Raymond Cohen qui est responsable du
département périurbain de la Bergerie Nationale de Rambouillet,
où il préside aux destinées d'un établissement qui
fait de la recherche sur les problèmes évoqués et qui, par
conséquent, peut éclairer très utilement notre
problématique.