III. LES CONSEQUENCES INSTITUTIONNELLES
Grâce aux nombreuses questions écrites posées par des sénateurs en 1997 et 1998, le Gouvernement a pu préciser progressivement les conséquences de l'intégration des accords de Schengen dans le traité de l'Union européenne. Ces conséquences sont assurément importantes au regard du rôle du Conseil et des compétences de la Cour de Justice des Communautés européennes, comme des attributions du Parlement européen.
1. Le rôle du Conseil
Dès l'entrée en vigueur du traité
d'Amsterdam,
et donc dès l'entrée en vigueur du protocole Schengen, le Conseil
de l'Union européenne se substitue au Comité exécutif des
ministres qui avait été créé par la Convention de
1990.
Son premier acte devrait être, à l'unanimité des
membres concernés, d'arrêter les nouvelles bases juridiques de
chacune des dispositions ou décisions constituant l'acquis de Schengen.
C'est la détermination de cet acquis de Schengen et des nouvelles bases
juridiques applicables, soit communautaires, soit intergouvernementales, qui
est actuellement en cours de négociation au sein d'un groupe de
fonctionnaires du Conseil.
Comme cet acte du Conseil doit être
adopté à l'unanimité, le gouvernement français
dispose d'un pouvoir de blocage de toute décision de transfert qui ne
serait pas conforme aux intérêts de notre pays.
Le ministre des affaires européennes, M. Pierre Moscovici, soulignait ce
pouvoir d'appréciation laissé à chaque Etat dans une
réponse à une question écrite portant sur
l'unanimité requise pour communautariser les dispositions du nouveau
titre IV du traité (1(
*
)) : "
le conseil devra prendre
une décision en vue de rendre la procédure de codécision
visée à l'article 251 (nouvelle numérotation) applicable
à tous les domaines couverts par le nouveau titre IV (libre circulation
des personnes) ou à certains d'entre eux.
Le conseil devra donc
statuer sur l'opportunité de passer, dans chacune
de ces
matières, de l'unanimité à la majorité
qualifiée et à la codécision avec le parlement
européen
. Il est important de relever que
cette
décision sera prise à l'unanimité des Etats membres, et
qu'elle ne pourra donc être adoptée sans l'accord du gouvernement
français. Au moment de l'adoption d'une telle décision, une
appréciation pourra être portée sur les progrès
effectués dans la réalisation de l'espace de liberté, de
sécurité et de justice que prévoit le
traité
. L'article 73 I sous a), introduit par le traité
d'Amsterdam, établit en effet un lien contraignant entre l'adoption de
mesures visant à assurer la libre circulation des personnes, d'une part,
et des mesures d'accompagnement concernant les contrôles aux
frontières extérieures, l'asile et l'immigration, d'autre part,
qui doivent être adoptées dans les cinq ans qui suivent
l'entrée en vigueur du traité.
Ce lien établi
par le traité constituera un levier, permettant au Gouvernement, chaque
fois que des propositions seront faites tendant à faciliter
l'instauration de la libre circulation des personnes, de demander que des
progrès soient réalisés dans la mise en oeuvre des mesures
d'accompagnement visant à renforcer la
sécurité
".
Le même pouvoir d'appréciation laissé à chaque
Etat doit prévaloir pour le transfert de l'acquis de Schengen dans
l'Union européenne.
Tant que le Conseil n'aura pas arrêté ces bases juridiques, les
dispositions ou décisions constituant l'acquis de Schengen seront
considérées comme des actes fondés sur la partie
intergouvernementale du traité, comme le prévoit
expressément le protocole annexé au traité
d'Amsterdam : "
Aussi longtemps que les mesures visées
ci-dessus n'ont pas été prises..., les dispositions ou
décisions qui constituent l'acquis de Schengen sont
considérées comme des actes fondés sur le titre VI
(intergouvernemental) du traité sur l'Union
européenne
".
Le protocole ne fournit pas de date impérative pour l'adoption de l'acte
portant détermination des bases juridiques de l'acquis de
Schengen ; tout au plus une déclaration annexée à
l'Acte final précise-t-elle que
les travaux préparatoires
devront être entrepris en temps utile pour permettre au Conseil,
dès la date d'entrée en vigueur du traité, d'adopter
toutes les mesures relatives à la définition des bases juridiques
pertinentes
.
La "
décision du Conseil déterminant,
conformément aux dispositions pertinentes du traité instituant la
Communauté européenne et du traité sur l'Union
européenne, la base juridique de chacune des dispositions constituant
l'acquis de Schengen
", qui ventilera l'acquis de Schengen entre le
premier et le troisième pilier de l'Union, sera d'une importance
majeure.
Conscient de cette importance, M. Hubert Védrine, ministre des
affaires étrangères, s'était d'ailleurs engagé
à que le Parlement soit complètement informé, par le
Gouvernement, de l'évolution de ce dossier sensible :
"
S'agissant des directives de négociation des
représentants du gouvernement français sur ces questions, elles
sont bien sûr préparées dans le cadre
interministériel du SGCI, en tenant le plus grand compte des avis des
ministères intéressés au premier chef que sont celui de
l'intérieur et celui de la justice.
Le Gouvernement veillera, en
temps utile, à ce que la représentation nationale soit
informée par les voies appropriées des premières
orientations de ces discussions dès qu'elles apparaîtront et
s'engage à apporter tous les éclaircissements que les membres des
assemblées voudront bien lui demander à ce
sujet
. " (2(
*
)).
En l'état actuel de la Constitution, le Parlement français ne
peut adopter de résolution sur un tel acte qui ressortit au
troisième pilier de l'Union. Toutefois, la révision
constitutionnelle en cours permet de prévoir que l'adoption de
résolution sur les projets d'actes de l'Union sera possible avant la
mise en vigueur du traité d'Amsterdam. Dès lors, il serait peu
compatible avec la volonté du Gouvernement d'associer le Parlement aux
travaux de l'Union de ne pas soumettre ce projet d'acte aux Assemblées
dans le cadre de l'article 88-4 nouveau de la Constitution.
Aussitôt que le projet de loi constitutionnelle sera promulgué,
il serait souhaitable que les Assemblées soient saisies de ce projet
d'acte de l'Union afin qu'elles puissent se prononcer à ce propos avant
l'examen du projet de loi de ratification du traité d'Amsterdam
. Il
serait en effet étonnant que les Assemblées, compte tenu des
engagements pris par le Gouvernement, n'aient pas la possibilité de
s'exprimer sur cet aspect du traité avant de donner leur autorisation
à la ratification.
2. Les compétences de la Cour de Justice des Communautés européennes
Le contrôle de la Cour de justice des Communautés européennes s'organise désormais de façon différente selon que l'on vise les matières qui relevaient autrefois de la coopération intergouvernementale et qui ont été transférées dans le pilier communautaire (nouveau titre IV : " visas, asile, immigration et autres politiques liées à la libre circulation des personnes ") ou les matières qui demeurent dans le troisième pilier intergouvernemental (dispositions relatives à la coopération policière et judiciaire en matière pénale).
a) Au regard des matières communautarisées
Le
régime de droit commun prévu par les traités
communautaires s'agissant de la Cour de justice s'applique au nouveau titre
"
visas, asile, immigration et autres politiques liées à
la libre circulation des personnes
", sous réserve de deux
aménagements importants prévus par l'article 73 P du
traité communautaire (nouvel article 68 du traité
consolidé sur la Communauté européenne).
D'une part, s'agissant des recours préjudiciels, qu'il s'agisse de
recours en interprétation ou en appréciation de validité,
seules les juridictions nationales dont les décisions ne sont pas
susceptibles d'un recours juridictionnel de droit interne peuvent saisir la
Cour si elles estiment qu'une décision est nécessaire pour rendre
leur jugement
. En pareille hypothèse, la Cour ne peut statuer sur
les décisions portant sur le maintien de l'ordre public et la sauvegarde
de la sécurité intérieure.
D'autre part, il est prévu une sorte de recours dans
l'intérêt de la loi puisque
le Conseil, la Commission ou un
Etat membre peuvent demander à la Cour de statuer sur une question
d'interprétation de ce titre ou d'actes communautaires adoptés
sur sa base
(le jugement rendu par la Cour en pareil cas n'étant pas
applicable aux décisions des juridictions nationales ayant force de
chose jugée).
b) Au regard des matières intergouvernementales
S'agissant des compétences de la Cour de justice sur les matières intergouvernementales relevant du titre VI du traité sur l'Union européenne (" dispositions relatives à la coopération policière et judiciaire en matière pénale "), celles-ci ont été sensiblement étendues. Un nouvel article K7 (article 35 du traité sur l'Union européenne) et une déclaration relative à cet article annexée au traité sur l'Union européenne disposent que la Cour de justice est compétente pour vérifier la légalité des décisions-cadres et des décisions lorsqu'un recours en annulation est formé par un Etat membre ou par la Commission dans un délai de deux mois à compter de la décision du Conseil .
c) les limitations liées à l'ordre public ou à la sécurité intérieure
Mais le
traité d'Amsterdam comporte aussi plusieurs stipulations
destinées à écarter la compétence de la Cour de
justice des communautés européennes (CJCE) lorsque se trouve
engagée la responsabilité des Etats en matière d'ordre
public ou de sécurité intérieure.
L'article 35 paragraphe 5 du traité de l'Union européenne,
concernant
la coopération policière et judiciaire en
matière pénale
exprime très clairement ce principe :
"
la Cour de justice n'est pas compétente pour vérifier
la validité ou la proportionnalité d'opérations
menées par la police ou d'autres services répressifs dans un Etat
membre, ni pour statuer sur l'exercice des responsabilités qui incombent
aux Etats pour le maintien de l'ordre public et la
sécurité
".
De même,
l'article 68 paragraphe 2 du traité communautaire
relatif à la compétence de la Cour de justice en ce qui concerne
la libre circulation
, prévoit sans ambiguïtés que cette
Cour "
n'est pas compétente pour statuer sur les mesures ou
décisions prises en application de l'article 62 point 1
- qui traite
de la suppression des contrôles aux frontières intérieures
-,
portant sur le maintien de l'ordre public et la sauvegarde de la
sécurité interne
".
Enfin,
le protocole intégrant l'acquis Schengen dans le traité
de l'Union européenne, annexé au traité d'Amsterdam
,
comporte dans son article 2, une formule identique : "
En tout
état de cause, la Cour de justice n'est pas compétente pour
statuer sur les mesures ou décisions portant sur le maintien de l'ordre
public et la sauvegarde de la sécurité
intérieure
".
Au regard du traité d'Amsterdam, il est ainsi établi que toute
mesure prise par les Etats membres destinée à préserver
l'ordre public et la sécurité intérieure relève de
la souveraineté nationale et échappe au champ de
compétence de la Cour de justice
.
3. Le rôle du Parlement européen
Dans les
mêmes conditions que pour la Cour de justice,
le Parlement
européen verra ses pouvoirs étendus pour les matières
issues de Schengen qui seront intégrées, soit dans le premier
pilier communautaire, soit dans le troisième pilier
. Les pouvoirs du
Parlement européen seront cependant différents dans la
première période de cinq ans et après cette
première période.
Pour les matières relevant de la coopération policière
et maintenues dans le pilier intergouvernemental,
son rôle est
légèrement renforcé puisque le Conseil sera tenu de le
consulter avant d'adopter les décisions-cadres, les décisions ou
les conventions.
Pour les matières qui seront transférées dans le premier
pilier - c'est-à-dire sur les questions relevant des visas, de l'asile,
de l'immigration et des autres politiques liées à la libre
circulation des personnes -, le traité d'Amsterdam prévoit une
procédure particulière assortie d'une période transitoire
de cinq ans durant laquelle le Conseil statuera à l'unanimité
après consultation du Parlement européen.
a) Pendant les cinq premières années
Sur les matières relevant de Schengen qui seront dans le pilier communautaire pendant cette période transitoire de cinq ans, le Parlement européen sera consulté , alors que jusqu'à présent il était simplement informé.
b) Après la période de cinq ans
Au terme
de cette période de cinq ans, le Parlement européen reste
seulement consulté si le Conseil maintient la procédure de
l'unanimité. En revanche, il bénéficie de la
procédure de codécision, si le Conseil décide à
l'unanimité de passer au vote à la majorité
qualifiée
pour les matières transférées dans le
pilier communautaire (asile, immigration, libre circulation des personnes et
franchissement des frontières extérieures).
Il faut enfin souligner que les députés européens des pays
n'ayant pas repris tout ou partie de l'acquis de Schengen - ce qui sera le cas
du Royaume-Uni et de l'Irlande - pourront participer aux
délibérations du Parlement européen sur les
matières de Schengen transférées dans l'Union
européenne.
On arrivera ainsi à cette situation paradoxale
où des députés européens appartenant à des
pays n'appliquant pas l'acquis de Schengen pourront participer à des
débats - et à des votes contraignants pour le Conseil en cas de
codécision - alors que les parlementaires nationaux du pays
concerné ne seront même plus consultés !