La politique de lutte contre le cancer
OUDIN (Jacques)
RAPPORT D'INFORMATION 31 (98--99) - COMMISSION DES FINANCES
Table des matières
-
INTRODUCTION
- I. LE CONSTAT : UNE ABSENCE DE RÉSULTATS SIGNIFICATIFS
- II. LA PRÉVENTION ET LE DÉPISTAGE : LES MAILLONS FAIBLES DU DISPOSITIF
- III. LES SOINS : UN MANQUE DE COORDINATION PRÉOCCUPANT
- IV. LA RECHERCHE : UNE DÉPENDANCE ENVERS LES FONDS PRIVÉS
- V. LES PROPOSITIONS DE LA COMMISSION
- ANNEXE
- LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES
N° 31
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 1998-1999
Annexe au procès verbal de la séance du 21 octobre 1998.
RAPPORT D'INFORMATION
FAIT
au nom de la commission des Finances, du contrôle budgétaire et
des comptes économiques de la Nation (1),
sur
le financement et l'organisation de la politique de lutte contre le
cancer
Par M. Jacques OUDIN,
Sénateur.
(1)
Cette commission est composée de :
MM. Alain Lambert,
président
; Jacques Oudin, Claude Belot, Mme Marie-Claude
Beaudeau, MM. Roland du Luart, Bernard Angels, André Vallet,
vice-présidents
; Jacques-Richard Delong, Marc Massion,
Michel Sergent, François Trucy,
secrétaires
; Philippe
Marini,
rapporteur général
; Philippe Adnot, Denis
Badré, René Ballayer, Jacques Baudot, Mme Maryse
Bergé-Lavigne, MM. Roger Besse, Maurice Blin, Joël Bourdin,
Gérard Braun, Auguste Cazalet, Michel Charasse, Jacques Chaumont, Jean
Clouet, Yvon Collin, Jean-Pierre Demerliat, Thierry Foucaud, Yann Gaillard,
Hubert Haenel, Claude Haut, Alain Joyandet, Jean-Philippe Lachenaud, Claude
Lise, Paul Loridant, Michel Mercier, Gérard Miquel, Michel Moreigne,
Joseph Ostermann, Jacques Pelletier,
Louis-Ferdinand de Rocca Serra, Henri
Torre, René Trégouët.
Santé publique. - Cancer.
INTRODUCTION
Mesdames, Messieurs,
Le cancer est en voie de devenir la première pathologie et la
première cause de mortalité des Français. A ce titre, il
constitue le principal défi lancé à notre système
de santé.
Or, nul ne sait exactement quelle est la part des dépenses d'assurance
maladie consacrée à la lutte contre le cancer, ni si ces sommes
sont efficacement employées. Cette lacune de l'information
financière est, en soi, révélatrice d'un défaut
d'organisation.
Le scandale de l'ARC a jeté un doute durable dans l'esprit des
Français sur le financement de la politique de lutte contre le cancer.
L'effort financier en faveur de cette politique est pourtant
inévitablement appelé à s'accroître, en raison du
coût des innovations thérapeutiques.
Par ailleurs, les insuffisances de la politique de lutte contre le cancer sont
révélatrices des dysfonctionnements plus généraux
du système de soins.
Faiblesse de la prévention, qualité des soins non garantie,
lacune des systèmes d'information médicaux, cloisonnement des
structures, effets pervers des modes de tarification : autant d'insuffisances
qui affectent également le traitement des autres pathologies, et qui ne
trouveront de solutions que dans la réforme d'ensemble du système
de soins engagée par le Gouvernement de M. Alain Juppé.
Ces considérations désignent le financement et l'organisation de
la politique de lutte contre le cancer comme un domaine de réflexion
prioritaire pour le Parlement, qui est convié à se saisir des
questions de santé dans le cadre nouveau des lois de financement de la
sécurité sociale.
I. LE CONSTAT : UNE ABSENCE DE RÉSULTATS SIGNIFICATIFS
A. LA PROGRESSION DE LA MORTALITÉ PAR CANCERS
a) L'évolution des différentes causes de mortalité
L'évolution comparée des différentes
causes de
mortalité depuis 1950, fait apparaître une progression relative de
la mortalité par cancer
1(
*
)
.
Cette évolution s'inscrit dans un contexte de baisse globale de la
mortalité. Le nombre de décès n'a guère
varié en France au cours du dernier demi-siècle : 534.000 en
1950, contre 520.000 en 1994. Dans le même temps, la population s'est
accrue de quelque 40 %, passant de 42 à 58 millions, et le nombre de
personnes âgées a considérablement augmenté : les
personnes âgées de 70 ans ou plus sont deux fois plus nombreuses
en 1994 qu'en 1950, 6 millions contre 3 millions. Ainsi, la constance du
nombre annuel de décès recouvre en fait un formidable recul de la
mortalité.
Le taux comparatif de mortalité, c'est-à-dire le taux
corrigé de l'effet structurel du vieillissement de la population, a
diminué de moitié en cinquante ans : 14 pour mille en 1950,
contre 7 pour mille en 1994. Quant à l'espérance de vie, elle a
gagné 12 ans, progressant de 66 à 78 ans.
Les statistiques de l'INSERM identifient sept grands groupes de causes
médicales de décès. Le tableau ci-après retrace
l'évolution des taux comparatifs de mortalité pour chacun d'entre
eux depuis 1950.
Taux
comparatifs de mortalité, par causes de décès, en 1950 et
en 1994
|
Taux comparatif pour 1.000 personnes |
Nombre de décès en 1994 |
|||||||
Cause de décès |
Taux en 1950 |
Variation 1950-70 |
Variation 1970-90 |
Variation 1990-94 |
Variation totale |
Taux en 1994 |
Avant 65 ans |
Après 65 ans |
Tous âges |
Maladies infectieuses (a) |
3,25 |
- 2,20 |
- 0,47 |
- 0,02 |
- 2,69 |
0,57 |
8.967 |
35.383 |
44.350 |
dont sida |
- |
- |
+ 0,05 |
+ 0,04 |
+ 0,09 |
0,09 |
4.994 |
164 |
5.158 |
Cancers et autres tumeurs |
2,21 |
+ 0,14 |
+ 0,03 |
- 0,09 |
+ 0,08 |
2,29 |
45.305 |
106.417 |
151.723 |
Maladies cardio-vasculaires |
5,80 |
- 1,41 |
- 1,97 |
- 0,27 |
- 3,65 |
2,15 |
17.761 |
162.163 |
179.924 |
dont cardiopathies |
3,37 |
- 0,97 |
- 0,95 |
- 0,14 |
- 2,05 |
1,32 |
11.395 |
97.473 |
108.868 |
mal. vasculaires cérébrales |
1,89 |
- 0,32 |
- 0,92 |
- 0,11 |
- 1,35 |
0,54 |
3.897 |
43.478 |
47.374 |
autres mal. cardio-vascul. |
0,54 |
- 0,12 |
- 0,11 |
- 0,02 |
- 0,25 |
0,29 |
2.469 |
21.212 |
23.682 |
Maladies appareil digestif et alcoolisme (troubles mentaux) |
|
|
|
|
|
|
|
|
|
Anomalies congénitales et affections périnatales |
|
|
|
|
|
|
|
|
|
Autres maladies (b) |
0,82 |
+ 0,03 |
- 0,01 |
- 0,06 |
- 0,03 |
0,78 |
8.145 |
56.149 |
64.295 |
Traumatismes |
0,79 |
+ 0,24 |
- 0,22 |
- 0,08 |
- 0,06 |
0,73 |
26.169 |
22.469 |
48.638 |
dont accidents de |
|
|
|
|
|
|
|
|
|
véhicules à moteur |
0,09 |
+ 0,17 |
- 0,08 |
- 0,04 |
+ 0,06 |
0,15 |
7.376 |
1.693 |
9.069 |
autres accidents |
0,50 |
+ 0,06 |
- 0,19 |
- 0,06 |
- 0,18 |
0,32 |
7.254 |
16.938 |
24.193 |
suicides |
0,19 |
+ 0,01 |
+ 0,04 |
+ 0,01 |
+ 0,06 |
0,24 |
10.735 |
3.743 |
14.478 |
Toutes causes |
13,91 |
- 3,17 |
- 3,16 |
- 0,60 |
- 6,93 |
6,99 |
118.774 |
401.191 |
519.965 |
Les
maladies infectieuses décroissent fortement jusqu'au milieu des
années quatre-vingt ; le sida et l'hépatite virale font alors
remonter la courbe. Malgré ce retournement, leur taux comparatif de
mortalité a diminué de 83 % entre 1950 et 1994. Les anomalies
congénitales et causes périnatales connaissent une
réduction d'ampleur comparable. Les maladies cardio-vasculaires ont
également beaucoup décliné : moins 63 % de 1950 à
1994. La chute s'est accélérée à partir de 1970, et
plus encore depuis 1985. Le recul de ces maladies a modifié le cours de
la baisse séculaire de la mortalité : jusqu'en 1970, celle-ci a
surtout concerné les jeunes ; depuis, elle concerne majoritairement les
personnes âgées.
La mortalité par les autres grandes causes a augmenté de 1950
jusque vers 1970, voire 1987. Les cancers sont dans ce dernier cas. Ces
mouvements contrastés ont bouleversé la hiérarchie des
causes de décès. De 1950 à 1994, selon les taux
comparatifs de mortalité, les maladies cardio-vasculaires sont
passées du 1er rang au 2ème, les maladies infectieuses du
2ème au 5ème rang, et les cancers du 3ème rang au 1er
rang. Les autres maladies et les traumatismes sont passés,
respectivement, des 4ème et 5ème rangs aux 3ème et
4ème rangs.
b) La mortalité par tumeurs
La France se caractérise par une mortalité encore excessive avant 65 ans : 119.000 décès sur 520.000 en 1994, soit près d'un quart. Sur ces 119.000 décès prématurés, 45.000 sont dus au cancer, qui est le facteur majeur de cette surmortalité des adultes .
Nombre de décès par cancers et autres tumeurs en 1994
Siège du cancer ou type de tumeur |
Avant 65 ans |
Après 65 ans |
Tous âges |
Bouche, pharynx, larynx et oesophage |
7.946 |
7.521 |
15.467 |
Estomac |
1.173 |
5.127 |
6.300 |
Intestin et rectum |
3.296 |
14.052 |
17.347 |
Foie et vésicule biliaire |
1.766 |
4.741 |
6.508 |
Pancréas, rein et vessie |
3.371 |
11.242 |
14.613 |
Poumons |
9.330 |
14.764 |
24.094 |
Sein et organes génitaux |
7.314 |
21.183 |
28.497 |
dont prostate |
700 |
90.38 |
9.738 |
sein (femmes) |
4.339 |
6.978 |
11.317 |
utérus |
1.032 |
2.217 |
3.249 |
ovaire |
1.039 |
2.331 |
3.370 |
Peau, os, tissu conjonctif et système nerveux |
3.250 |
4.050 |
7.300 |
Tissus lymphatiques et hémato- poïétiques |
3.140 |
8.719 |
11.859 |
Autres tumeurs |
4.720 |
15.019 |
19.739 |
dont cancers de siège mal défini |
2.987 |
9.254 |
12.240 |
Toutes tumeurs |
45.305 |
106.417 |
151.723 |
Les
45.000 décès par cancers avant 65 ans survenus en 1994
sont d'abord dus au tabac et à l'alcool : poumon, bouche, pharynx,
larynx, oesophage, pancréas, rein, vessie, foie et vésicule
biliaire. L'alcool n'est sans doute pas étranger aux décès
précoces par cancers de l'intestin et du rectum. Les cancers des organes
génitaux provoquent 7.300 morts prématurées, surtout
féminines.
Dans le passé, l'augmentation de la mortalité par tumeurs, en
dépit des progrès thérapeutiques, résultait de
l'augmentation de l'incidence, c'est-à-dire de la fréquence des
personnes atteintes chaque année. Celle-ci est actuellement
estimée à 221.000 cas par an.
L'explosion des cancers
bronchiques est directement liée à l'augmentation de la
consommation de tabac dans les années 1960 et 1970
.
Le tassement de la mortalité tumorale observé depuis 1988 est
lié aux progrès de la médecine et aux facteurs
comportementaux : stabilisation du tabagisme masculin, baisse de l'alcoolisme,
changement des comportements alimentaires, meilleure autosurveillance.
Les progrès diagnostiques expliquent une part de l'accroissement
apparent de la mortalité par cancer, auparavant sous estimée.
Ainsi, la multiplication par trois en dix ans du nombre des tumeurs
intracrâniennes résulte surtout des progrès de l'IRM.
Mais, globalement, l'accroissement relatif de l'incidence du cancer est une
conséquence inévitable de l'allongement de la durée de vie
et de la diminution de l'incidence des autres pathologies
. En effet, il
s'agit d'une maladie dégénérative, qui ne peut que
progresser à mesure du vieillissement de la population et du recul des
autres causes de décès.
En dépit de sa part dans la mortalité prématurée
avant 65 ans, le cancer est d'abord une maladie de personnes
âgées. En l'an 2000, un cancer sur deux se déclarera chez
des personnes âgées de plus de 70 ans. Mais la comorbidité
est fréquente et nombre des personnes atteintes du cancer
décèdent d'une autre maladie avant que l'évolution de leur
tumeur ne devienne fatale.
B. QUELQUES SUCCÈS LIMITÉS
Les
progrès thérapeutiques ont été réels pour
certains types de cancers.
Ainsi, 70 % des cancers de l'enfant et
près de 90 % des leucémies sont désormais guéris.
Environ 50 % des cancers de la femme sont guéris, à la condition
d'un diagnostic précoce. De même, alors qu'un tiers seulement des
cancers se déclarant avant l'âge de 60 ans étaient
guéris il y a vingt ans, 50 % le sont aujourd'hui
.
Toutefois, les succès rencontrés dans le traitement de certains
cancers spécifiques ne suffisent pas à contrebalancer
l'échec thérapeutique persistant pour les cancers les plus
fréquents, tels ceux du poumon, du colon, ou du pancréas, qui
demeurent incurables. Le tableau ci-dessous montre que les taux de survie
à cinq ans sont extrêmement variables selon la localisation de la
tumeur.
Survie
à cinq ans des principaux cancers
De l'ordre de 90 % |
Supérieure à 60 % |
de 40 à 60 % |
Inférieure à 40 % |
Testicule |
Hodgkin stade III- IV |
Rhinopharynx |
Langue |
Hodgkin stade I-II |
Lymphomes non hodgkiniens nodulaires |
Glandes salivaires |
Oropharynx |
Leucémie lymphoblastique aiguë |
Sein |
Rectum |
Larynx |
|
Utérus, col et corps |
Rein |
Sinus |
|
Ovaire |
Prostate |
Oesophage |
|
Côlon |
Vessie |
Estomac |
|
Thyroïde |
Os et sarcomes tissus mous |
Pancréas |
|
Peau |
Lymphomes diffus |
Vésicule |
|
Lèvre |
Leucémies chroniques |
Intestin grêle |
|
|
Astrocytomes |
Bronches |
|
|
Médulloblastomes |
Glioblastomes |
|
|
Médulloblastomes |
Myélomes |
En fait, les progrès les plus sensibles de la lutte contre le cancer
résident dans l'amélioration des conditions de survie et du
confort des patients.
La chirurgie est devenue moins invalidante, les
radiothérapies sont plus finement dosées, et les
chimiothérapies mieux tolérées.
Cette situation d'échec thérapeutique explique sans doute que le
cancer reste une maladie dramatisée, et souvent encore honteuse,
à la différence des maladies cardio-vasculaires. Elle signifie
également la fin de l'illusion du quantitatif : il n'a pas suffi de
"mettre le paquet" pour faire progresser de manière décisive la
lutte contre le cancer ; les espoirs fondés dans les années 1970
sur la biologie moléculaire n'ont pas abouti.
C. DES INÉGALITÉS MARQUÉES
a) Des inégalités entre sexes
L'incidence du cancer marque d'abord une
inégalités
entre les sexes : alors qu'il est la première cause de mortalité
chez l'homme (31 %), il n'est que la deuxième chez la femme
(21 %). Sur les 221.000 nouveaux cas de cancers déclarés
chaque année, 118.000 touchent des hommes et 103.000 touchent des femmes.
Cette inégalité recouvre une différence
comportementale, essentiellement en matière d'alcool et de tabac. Mais
cette différence s'estompe, et les cancers liés au tabagisme des
femmes sont en forte progression depuis 1980.
Les principales localisations cancéreuses sont très
différentes selon le sexe . Chez les hommes, les trois premières
localisations sont le poumon (22 % des décès), la prostate
(11 %) et l'intestin (9 %). Chez les femmes, les trois
premières localisations sont le sein (18 %), l'intestin (14 %)
et l'utérus (6 %).
b) Des inégalités géographiques
L'incidence du cancer marque également une
inégalité géographique. Des disparités existent
entre le Nord et le Sud de la France : toutes les régions du Nord ont,
à structure d'âge identique, une mortalité par cancers bien
supérieure à la moyenne française.
Pour les hommes, chez qui la mortalité par tumeurs est fortement
liée au tabagisme et à l'alcoolisme, les 8 régions en
surmortalité sont toutes situées dans le Nord, de la Bretagne
à l'Alsace. A l'exception de 3 régions qui présentent des
taux proches de la moyenne nationale (Corse, Bourgogne et Auvergne), les 11
autres régions présentent une sous-mortalité.
L'écart entre les deux régions extrêmes est très
important : le Nord-Pas-de-Calais a une surmortalité de
+ 26 % par rapport à l'indice national, et
Midi-Pyrénées une sous-mortalité de - 19 %.
Pour les femmes, la surmortalité se retrouve dans le Nord-Est du pays, y
compris l'Ile de France, seule la Champagne-Ardennes faisant exception.
L'écart constaté est moindre que chez les hommes : le
Nord-Pas-de-Calais a une surmortalité de + 12 % par rapport
à l'indice national, et Midi-Pyrénées une
sous-mortalité de - 11 %.
c) Une discrimination dans l'accès aux soins
La prise
en charge du cancer laisse transparaître une discrimination implicite
dans l'accès aux soins, sur la base de trois paramètres :
- selon le stade la maladie, le type de prise en charge différant selon
qu'il s'agit d'un cancer précoce ou déjà
évolué, d'une première occurrence ou d'une rechute ;
- selon l'âge du malade, la médiane d'âge des patients qui
ont accès aux centres les plus spécialisés étant de
55 ans, sensiblement inférieure à la médiane d'âge
de l'ensemble des personnes atteintes de cancers ;
- selon la proximité géographique et la disponibilité des
structures spécialisées, lorsque l'hospitalisation devient
nécessaire.
La problématique plus générale des
inégalités dans l'offre et l'accès aux soins prend ici une
dimension particulièrement grave, puisqu'elle affecte les chances de
survie des personnes atteintes de cancers
.
II. LA PRÉVENTION ET LE DÉPISTAGE : LES MAILLONS FAIBLES DU DISPOSITIF
A. UN EFFORT DE PRÉVENTION MODESTE
a) La part réduite de la prévention dans les dépenses de soins
Il n'est
pas possible d'isoler une part spécifiquement consacrée au cancer
au sein des dépenses de prévention. Prises dans leur
globalité, ces dépenses de prévention restent modestes
dans le système de soins français.
Ainsi, selon les comptes nationaux de la santé, les dépenses
comptabilisées au titre de la prévention se sont
élevées en 1995 à 18,3 milliards de francs,
soit
315 francs par habitant
, ou encore 2,3 % seulement des
dépenses courantes de santé.
Elles recouvrent, d'une part, des dépenses de prévention
individualisées (14,7 milliards de francs, soit 253 francs par
habitant) : médecine du travail (5,8 milliards), santé
scolaire (2,7 milliards de francs), protection maternelle et infantile
(2,1 milliards de francs), toxicomanie, planification familiale, examens
de santé, dépistages, vaccinations (4 milliards de francs).
Elles recouvrent, d'autre part, des dépenses de prévention
collective (3,6 milliards de francs, soit 62 francs par habitant) :
action et recherche d'intérêt général, campagnes
permanentes d'information et d'éducation sanitaire.
A titre de comparaison, la consommation totale de soins et biens
médicaux s'est élevée en 1995 à
682,3 milliards de francs,
soit 11.735 francs par
habitant
.
b) La prévention de l'alcoolisme et du tabagisme
Le
rapport du Haut comité de la santé publique de 1996 a mis en
exergue l'existence en France d'une mortalité prématurée
et "évitable", comparativement élevée aux regards des
autres pays développés. Cette surmortalité est notamment
imputable aux cancers du poumon et des voies aero-digestives supérieures
liés aux comportements individuels en matière d'alcool et de
tabac, qui relèvent prioritairement d'une action de prévention.
Hypothèse d'école, un arrêt total et immédiat du
tabagisme réduirait de 30 % la mortalité par cancer dans les
50 ans à venir. Il est douteux qu'aucun progrès
thérapeutique procure jamais un gain de cette ampleur
.
Les crédits budgétaires consacrés à la lutte contre
l'alcoolisme et le tabagisme sont limités. Pour 1998, dans le budget de
la Santé, 185 millions de francs sont spécifiquement
affectés aux programmes et dispositifs de lutte contre le tabagisme et
l'alcoolisme.
Ces dotations budgétaires sont complétées par les
contributions du Fonds national de prévention, d'éducation et
d'intervention sanitaire (FNPEIS) de la Caisse nationale d'assurance maladie.
Le FNPEIS finance les grandes campagnes d'information du Comité
français d'éducation sanitaire (CFES), auxquelles il a
consacré, en 1997, 19 millions de francs pour la lutte contre le
tabagisme et 17,7 millions de francs pour la lutte contre l'alcoolisme. En
1998, ces montants devraient être respectivement de 50,5 millions de
francs et 18 millions de francs.
En pratique, l'action publique de prévention de la consommation de
tabac et d'alcool repose principalement sur l'effet dissuasif de la
fiscalité spécifique applicable à ces deux substances.
Le produit de l'ensemble des droits sur les alcools attendu pour 1998
s'élève à 16 milliards de francs, et celui du droit
de consommation sur les tabacs à 43 milliards de francs.
Le partage des rôles entre l'assurance maladie, qui supporte les
coûts médicaux du tabagisme et de l'alcoolisme, et l'Etat, qui
engrange les recettes fiscales générées par ces deux
fléaux, a souvent été critiqué. Un premier effort
de cohérence a été fait en 1983, avec la création
d'une taxe sur les boissons alcooliques affectée à la CNAMTS,
d'un rendement attendu de 2,3 milliards de francs pour 1998.
Cette cohérence a été renforcée par la loi de
financement de la sécurité sociale pour 1997, qui a
affecté à l'assurance maladie certains des droits de consommation
sur les alcools. Le produit de ces droits est estimé à
4,1 milliards de francs pour 1998.
Parallèlement, la loi de finances pour 1997 a affecté à la
CNAMTS une fraction du droit de consommation sur les tabacs. Initialement
fixée à 6,39 % du produit de ce droit, soit 3 milliards
de francs, cette fraction a été portée à 9,1 %
par la loi de finances pour 1998, soit 4,2 milliards de francs.
Sur le long terme, l'action de prévention de la tabagie et de
l'alcoolisme porte des fruits, encore insuffisants. La consommation moyenne
d'alcool pur par adulte est passée de 22 litres en 1970 à
16 litres en 1994. Toutefois, cette évolution favorable s'effectue
au détriment du vin et s'accompagne d'une progression de la consommation
d'alcools forts, surtout chez les jeunes.
Sous l'effet de la hausse de la fiscalité, la consommation de tabac a
diminué régulièrement au cours des années 1990, au
rythme de - 2,5 % par an. Toutefois, la tabagie a continué
à progresser chez les jeunes femmes : alors qu'en moyenne un homme sur
deux fume et une femme sur trois seulement, l'écart est beaucoup plus
resserré dans les dernières générations. Les
adolescents français restent les plus gros fumeurs en Europe (59 %
de fumeurs à 18 ans), même s'ils commencent à fumer un
peu plus tard qu'auparavant, à 14 ans en moyenne.
B. DES PRATIQUES DE DÉPISTAGE ANARCHIQUES
a) Des dépistages organisés encore trop rares
Le
dépistage et le diagnostic précoce du cancer contribuent de
manière décisive à l'efficacité ultérieure
de la thérapeutique et à l'amélioration des chances de
survie. Or, l'organisation du dépistage est notoirement insuffisante en
France.
Les lois de décentralisation de 1983 ont confié aux
départements une compétence pour le dépistage du cancer.
Cette situation apparaît incompatible avec la nécessaire
centralisation de la conception et du suivi d'une campagne de
dépistage.
Ainsi, la participation effective des départements
reste très variable. Elle est estimée à près de 40
millions de francs en 1995, mais les trois quarts de ces crédits sont
concentrés sur une douzaine seulement de départements.
Les actions organisées de dépistage restent l'exception. Depuis
1994, un Comité national de pilotage anime un programme de
dépistage du cancer du sein, associant les caisses d'assurance maladie
et les départements. A la fin 1997, une trentaine de départements
sont inclus dans ce programme, qui propose un dépistage
systématique à environ un tiers de la population féminine
de 50 à 69 ans. La participation du FNPEIS s'est élevé
à 96 millions de francs en 1997 et devrait atteindre 105 millions de
francs en 1998.
Le dépistage du cancer du col de l'utérus n'était
organisé que sur quatre sites expérimentaux en 1997,
financés par le FNPEIS à raison de 3,3 millions de francs. Cette
action devrait être étendue en 1998, pour un coût de 99
millions de francs. Le dépistage non organisé relève de la
pratique courante des médecins gynécologues. Cependant, une
partie de la population ne bénéficie pas, ou trop rarement, de ce
dépistage : femmes de plus de 50 ans, sans activité ou
marginalisées. Pour la majorité bénéficiant de
frottis fréquents, le suivi des femmes ayant des frottis anormaux n'est
pas toujours assuré correctement.
Le dépistage du cancer colo-rectal a fait l'objet
d'expérimentations à partir de 1989 dans le ressort d'une
douzaine de caisses primaires d'assurance maladie, avec le financement du
FNPEIS. Compte tenu des résultats insatisfaisants de ces
expériences en termes de participation et de qualité des actes,
celles-ci ont été suspendues par la CNAMTS à la fin
1996.
b) Des dépistages individuels non contrôlés
Alors
que les dépistages organisés restent l'exception, les
dépistages individuels réalisés sur une base
spontanée se multiplient. Ainsi, on estime le coût des examens de
dépistage (hors consultations) du cancer du col de l'utérus
à 700 millions de francs, et celui des examens de dépistage
du cancer du sein à 1 milliard de francs.
Ces dépenses non contrôlées aboutissent à des
gaspillages.
Pour le cancer du sein, une mammographie tous les deux ou
trois ans à partir de l'âge de 40 ans suffit. Or, le parc de
2.500 appareils installés favorise la multiplication des
mammographies, selon une fréquence annuelle, sur la population qui en a
le moins besoin : 50 % des femmes dépistées ont entre 35 et
50 ans.
Par nature, les dépistages individuels se prêtent mal à
une harmonisation des pratiques et à une exploitation
épidémiologique des résultats.
La coexistence
même de deux systèmes de dépistage n'est pas satisfaisante,
et explique notamment des taux de participation insuffisants au
dépistage organisé.
c) Les conditions d'un dépistage efficace
Les
actions de dépistage sont a priori peu efficientes : le test doit
être pratiquée à l'ensemble de la population ciblée,
qui en subira les désagréments, pour identifier un petit
pourcentage de sujets potentiellement atteints, et dont une plus petit nombre
encore pourra éventuellement en tirer bénéfice.
Dans une approche de santé publique, tout dépistage doit
s'inscrire autant que possible dans un raisonnement coûts-avantages.
Les conditions de l'efficacité d'un dépistage précoce sont
les suivantes :
- existence d'une stratégie thérapeutique ou préventive
lorsqu'une anomalie est découverte, le dépistage étant
inutile si le rapport entre le bénéfice et le risque du suivi
n'est pas favorable ;
- stabilité de la méthode de dépistage et qualité
des examens ;
- équilibre géographique et social du dépistage.
Ces conditions sont difficilement réunies. Ceci explique que le
dépistage ne soit pas toujours justifié.
Par exemple, plus des deux tiers des hommes présentent à 70 ans
une forme de cancer de la prostate. Cependant, sur un strict plan
thérapeutique, une intervention chirurgicale précoce,
forcément invalidante, n'est que rarement justifiée. Le patient
et son médecin se trouvent donc inutilement embarrassés si le
cancer de la prostate se trouve dépisté très
antérieurement. C'est pourquoi, après étude, le Canada a
conclu qu'il ne convient pas de dépister le cancer de la prostate.
Autre exemple, la volonté des pouvoirs publics d'étendre en 1997
le programme de dépistage organisé du cancer du col de
l'utérus s'est heurté à la piètre qualité
des frottis réalisés par les professionnels qui,
vérification faite, se sont révélés inexploitables
pour près d'un tiers.
La problématique du dépistage du cancer colo-rectal s'inscrit
dans le même raisonnement coûts-avantages. L'expérimentation
conduite à partir de 1989 a été suspendue parce que la
méthode de dépistage retenue paraissait en voie d'obsolescence,
que la qualité des examens n'était pas garantie, et que la
participation ne s'est élevée qu'à 20 % au lieu des
60 % attendus.
III. LES SOINS : UN MANQUE DE COORDINATION PRÉOCCUPANT
A. UNE TROP FAIBLE PLURIDISCIPLINARITÉ
a) Une prise en charge par l'ensemble du système de soins
Le
cancer est l'une des rares pathologies, avec la tuberculose dans le
passé, à laquelle est dédiée exclusivement une
catégorie d'établissements spécialisés.
Les centres de lutte contre le cancer (CLCC), créés par une
ordonnance du 1er octobre 1945, avaient initialement l'exclusivité du
traitement du cancer. Mais il s'agissait alors d'un "monopole" par
défaut, car le cancer était à l'époque une maladie
à 100 % mortelle. Avec le développement de l'arsenal
thérapeutique et l'apparition de possibilités nouvelles de
guérir le cancer, de nombreuses structures de soins ont
décidé de traiter à leur tour cette pathologie, qui s'est
ainsi banalisée.
Les CLCC sont demeurés des centres de recours, pour les cas complexes ou
désespérés, les cancers primaires étant
majoritairement pris en charge en dehors d'eux. Statutairement, les CLCC
associent à leurs fonctions de soins des missions de recherche et
d'enseignement de la cancérologie. Leur budget total s'est
élevé à environ 6 milliards de francs en 1996.
En l'absence de codage précis et centralisé des pathologies,
il n'est pas possible de connaître exactement le nombre des cas de
cancers pris en charge dans l'ensemble du système de soins
.
Selon le rapport public de l'inspection générale des affaires
sociales de 1994, la répartition des prises en charge de cancers entre
les établissements de soins serait la suivante : 20 à 25 %
pour les CHU, 20 à 25 % pour les CLCC, 50 à 60 % pour
les autres structures (CH et cliniques privées). Selon d'autres sources,
les entrées se répartiraient à peu près
également, par tiers, entre les CLCC, les centres hospitaliers publics
(CHU et CH), et les cliniques privées.
En fait, l'appréciation des parts d'activité respectives
dépend de l'instrument de mesure : elle varie selon que l'on prend en
compte la file des patients, ou les activités en chimiothérapie
et radiothérapie.
Des chiffres plus précis existent pour la radiothérapie
libérale. Les centres privés commerciaux ont traité 92.000
patients en 1996, soit 40 % des 140.000 personne traitées
annuellement selon cette méthode en cancérologie. Ces centres
possèdent 45 % des appareils de radiothérapie
(59 télécobalt sur 125 et
105 accélérateurs sur 238).
Les lits de cancérologie ne sont pas identifiés dans le secteur
privé, où les malades cancéreux sont hospitalisés
dans des lits de chirurgie et de médecine générale. Quant
aux lits de cancérologie dans le secteur public, ils sont loin de
correspondre à la totalité des hospitalisations pour pathologies
tumorales.
b) La pluridisciplinarité organisée reste l'exception
Pathologie complexe nécessitant des traitements
combinés, le cancer est par essence pluridisciplinaire. En tant que
discipline constituée récemment, la cancérologie ne semble
pas encore jouir d'une reconnaissance unanime, et n'est de toute façon
pas présente dans chacun des établissements de soins.
Pratiquement, le diagnostic initial est fait le plus souvent par le
spécialiste d'organes. La suite du traitement dépend donc des
connaissances du spécialiste, ou de sa propension à s'entourer
d'avis pluridisciplinaires.
Le caractère déterminant de la pluridisciplinarité pour
l'efficacité du traitement du cancer implique que le cloisonnement entre
les structures de soins, et au sein de celles-ci, a des conséquences
néfastes.
Dans la majorité des CHU, à l'exception notable de ceux de
Grenoble et de Tours qui ont fait oeuvre de précurseurs en
matière de pluridisciplinarité, le mode de prise en charge est
"vertical". Il existe autant de dossiers médicaux que de services. Rares
sont les CHU, et plus encore les CH, qui ont mis en place des comités
interdisciplinaires, des protocoles thérapeutiques et des formations
initiales et continues à la cancérologie. Cette situation est de
nature à pénaliser gravement les chances des patients.
Ce problème du cloisonnement des structures de soins apparaît
très profond. Il relève de l'isolement culturel du médecin
français, qui reste attaché à des notions telles que
l'exercice libéral individualiste ou que l'autonomie du chef de service.
Il relève également d'une réticence bien française
à reconnaître les spécialités nouvelles : la
cancérologie est réduite à la radiothérapie et
à la chimiothérapie, mais ne s'inscrit pas dans la
spécialisation par organes dominante dans les CHU.
L'opposition au sein du système de soins ne se situe donc pas tant
entre secteur privé et secteur public, qu'entre les spécialistes
d'organes et les cancérologues "transversaux".
Les cliniques privées ont développé une politique ancienne
de coopération avec les CLCC, qui ont formé la plupart des
cancérologues du secteur privé. Cette coopération est
institutionnalisée au niveau des fédérations : un accord
a été signé le 1er mars 1995 entre l'UNHPC (Union
Nationale Hospitalière Privée de Cancérologie) et la
FNCLCC (Fédération Nationale des Centres de Lutte Contre le
Cancer).
Cet accord prévoit la mise en réseau des moyens et des plateaux
techniques des deux fédérations, sous la surveillance d'un
comité national de liaison paritaire. Les établissements
privés se sont engagés à adhérer aux "Standards,
Options et Recommandations" (SOR) définis par la FNCLCC, ensemble de
recommandations pour la pratique clinique en cancérologie.
Les cliniques privées semblent rencontrer plus de difficultés
pour coopérer avec les CHU et les CH, même si une évolution
favorable est perceptible.
La décision récente des CHU de créer une
fédération de cancérologie est ainsi l'indice d'une prise
de conscience, qui doit se traduire concrètement sur le terrain. La
FCCHU s'est donnée pour première tâche d'élaborer un
dossier médical commun et de développer la coordination avec les
CLCC.
c) Des dépenses mal connues mais en expansion
Une
évaluation exhaustive et précise des coûts de traitement du
cancer est actuellement impossible, faute d'un système d'information
adéquat. Par exemple, la cotation des actes de chirurgie n'identifie pas
la nature des pathologies concernées, cancéreuses ou non. A
terme, l'affinement du PMSI (Programme de Médicalisation des
Systèmes d'Information) dans les établissements sanitaires, et le
codage des actes dans le secteur ambulatoire, devraient permettre de disposer
des chiffres nécessaire pour l'élaboration de véritables
politiques de santé publique.
Des estimations sont néanmoins disponibles.
Par extrapolation du
budget des CLCC, on peut estimer entre 20 et 30 milliards de francs le
coût annuel du traitement des cancers dans le secteur hospitalier.
Les dépenses de soins ambulatoires sont les plus mal connues. On ne
dispose dans ce secteur du système de soins que d'ordres de grandeur
pour quelques actes indubitablement liés au cancer : 700 millions
de francs pour les frottis du col de l'utérus, 1 milliard de francs pour
les mammographies.
Alors que les maladies infectieuses et cardio-vasculaires sont en
régression, les pathologies cancéreuses continuent de
croître. Ce "marché" en expansion de patients est devenu l'objet
d'une concurrence entre les établissements de soins. Il existe ainsi
à moyen terme une forte probabilité d'explosion des
dépenses, accrue par l'apparition de nouveaux médicaments
particulièrement onéreux.
En effet, les innovations ont été nombreuses ces dernières
années et les indications de chimiothérapie augmentent. Les
produits anticancéreux récents sont très onéreux et
de plus en plus souvent associés avec des médicaments
améliorant la tolérance (anti-nauséeux) ou
renforçant le traitement (facteurs de croissance, interleukine,
interféron), qui majorent encore les prix des protocoles.
Les dépenses de médicaments anticancéreux ont ainsi
augmenté de 35 % entre 1990 et 1995, pour atteindre un montant de
2,25 milliards de francs.
Même si une pause dans les innovations
est perceptible, il ne fait guère de doute que ce poste de
dépenses restera dynamique.
B. LES LIMITES DU MODÈLE DES CENTRES DE LUTTE CONTRE LE CANCER
a) Une qualité inégale selon les centres
La
vertu principale des CLCC est leur pluridisciplinarité constitutive,
statutairement obligatoire.
Chaque centre dispose d'un plateau technique
réunissant les trois techniques : chirurgie, chimiothérapie,
radiothérapie. Le médecin traitant de chaque patient est le
référent d'une équipe pluridisciplinaire, et arbitre en
cas de désaccord entre les spécialistes. Le patient dispose d'un
dossier unique, dont il est tenu informé.
Cependant, les vingt CLCC existants sont loin d'être homogènes.
Tout d'abord, par leur taille : le centre le plus important disposait en 1997
d'un budget supérieur à 1 milliard de francs, et le plus
petit, d'un budget inférieur à 130 millions de francs.
Par ailleurs,
l'excellence des CLCC n'est pas toujours garantie dans
les faits.
Sous le couvert protecteur de l'ordonnance du 1er octobre 1945,
certains centres semblent s'être laissé aller. Dans l'attente de
l'accréditation par l'ANAES (Agence Nationale d'Accréditation et
d'Evaluation en Santé), il est difficile d'apprécier leur valeur
médicale réelle. Mais, selon certains connaisseurs des CLCC, on
peut estimer qu'environ un tiers d'entre eux sont excellents, un tiers tout
juste bons, et un tiers médiocres.
b) Des coûts de fonctionnement élevés
Comme
l'a fait remarqué l'IGAS dans son rapport de 1994, les coûts de
fonctionnement des CLCC sont élevés, comparativement aux autres
établissements de soins. Ce surcoût s'explique notamment par leurs
pratiques salariales. Jusqu'à sa renégociation récente, la
convention collective du personnel non médical des centres était
basée sur le "point FEHAP" majoré de 14%, tandis que les
traitements des médecins sont majorés de 30 % pour compenser
l'interdiction qui leur est faite d'exercer parallèlement une
activité libérale.
Soucieux de demeurer à la pointe de la technologie médicale,
certains CLCC ont parfois cédé à une forme de "folie des
grandeurs" dans leurs décisions d'investissement. Ainsi, dans son
rapport particulier de 1995 consacré au centre Antoine Lacassagne de
Nice, l'IGAS a relevé que le projet de cyclotron "Medicyc"
dépassait par son ampleur, soit un coût d'investissement de 130
millions de francs, très largement les capacités de financement
courant du centre. Or, cet appareil s'est révélé
inadapté aux besoins et son budget de fonctionnement lourdement
déficitaire.
Les CLCC sont des établissements privés participant au service
public hospitalier, financés par budget global sous taux directeur.
La comparaison des coûts de fonctionnement autorisée par le
PMSI fait apparaître en 1996 une valeur du point ISA (Indice
Synthétique d'Activité) de 15,30 pour les CLCC, plus
élevée que celle des autres établissements privés
à but non lucratif (15,16) ou que les centres hospitaliers (14,18).
Elle reste toutefois inférieure à la valeur du point ISA des CHU
(15,72).
c) Des adaptations nécessaires
Dans son
rapport public de 1994, l'IGAS avait dénoncé une certaine
confusion des genres résultant de la présidence des CLCC par les
préfets. En effet, le préfet étant par ailleurs
chargé de la tutelle du centre, il pouvait se trouver en situation de
conflit d'intérêts. La situation a été depuis
clarifiée, puisque l'autorité de tutelle des CLCC est
désormais le directeur de l'agence régionale de
l'hospitalisation. Il n'est toutefois pas certain que la présidence du
préfet, dépourvu de compétence sanitaire
particulière, soit parfaitement justifiée.
Privés de leur "monopole" initial dans la lutte contre le cancer, les
CLCC n'ont pas vocation à prendre en charge tous les patients. Par
ailleurs, l'offre de soins dans les régions est en voie de
réorganisation.
Il semble donc opportun de réviser la carte des CLCC et d'envisager
la fusion de certains d'entre eux avec les CHU
, bien que l'absence
d'habilitation universitaire de la plupart des chefs de services dans les
centres complique leur intégration éventuelle. En effet, le CLCC
coexiste avec un CHU dans 13 départements, parfois sur le même
site. Le plus souvent, le CLCC est seul à disposer d'un
équipement de radiothérapie, mais on trouve des doublons parfaits
à Paris, Lyon, Marseille et Bordeaux. A l'inverse, dans 8
départements, on trouve un CHU et pas de CLCC.
Il faut reconnaître aux CLCC le mérite d'avoir pris en compte
les critiques et les suggestions formulées par l'IGAS en 1994.
Ainsi, la FNCLCC a mis au point un manuel d'accréditation avec l'ANAES,
qui définit la cancérologie de qualité. Elle a
également établi, avec un financement de la direction des
hôpitaux, de l'INSERM, de la Ligue contre le cancer et de laboratoires
pharmaceutiques, un manuel de bonnes pratiques cliniques en
cancérologie, diffusé sur CDrom et sur Internet. Enfin, elle a
dénoncé sa convention collective pour la renégocier sur un
mode plus économe. Toutefois, cette nouvelle convention salariale
entraînera des coûts supplémentaires dans l'immédiat,
et ne permettra de dégager des économies qu'à partir de
2007.
C. LES EFFETS PERVERS DES SYSTÈMES DE TARIFICATION
a) L'inadaptation du PMSI au cancer
Les
modalités de tarification actuellement en pratique dans le
système de soins sont inadaptées aux spécificités
de la lutte contre le cancer, et peuvent produire des effets pervers sur les
décisions thérapeutiques.
Ces insuffisances sont d'abord celles du PMSI. La concertation indispensable
à une réelle pluridisciplinarité est consommatrice de
temps. Or, elle n'est pas prise en compte par le PMSI. Le coût
additionnel de la concertation est évalué à 1,5 point ISA
pour les CLCC.
Par ailleurs, 4 GHM (Groupes Homogènes de Malades) seulement sont
sensés décrire toutes la cancérologie, à la
différence de la chirurgie qui est finement décrite et
cotée par le PMSI.
Le point ISA en cancérologie n'est de ce
fait pas très pertinent.
b) L'obsolescence de la nomenclature
Dans le
secteur privé à tarification, les prix sont fixés à
l'acte par l'Etat (K pour chirurgie, Z pour radiothérapie), sans rapport
avec les coûts réels. La nomenclature en cancérologie date
de vingt ans et est complètement dépassée.
Cette obsolescence est particulièrement marquée pour la
nomenclature en radiothérapie.
Les actes sont tarifés de
manière homogène, alors qu'une radiothérapie peut durer de
dix minutes à une demi-journée.
Globalement, la radiothérapie française s'estime en perte de
vitesse techniquement en raison de la contrainte financière, les
établissements n'ayant plus les moyens de s'offrir les appareils de la
dernière génération. Le tarif moyen d'une
radiothérapie est de 11.000 francs par patient, alors que son coût
réel est de 15.000 à 16.000 francs.
Or, les nouvelles techniques sont beaucoup moins nocives pour le patient. Les
traitements par radiothérapie peuvent devenir curateurs, et non plus
seulement palliatifs, grâce aux nouveaux appareils plus
précis.
c) Les aberrations de la tarification des médicaments
La
tarification des médicaments anticancéreux apparaît
particulièrement aberrante. Trois systèmes de remboursement des
mêmes médicaments coexistent : facturation à coût
réel avec marge bénéficiaire pour la chimiothérapie
ambulatoire délivrée dans des structures privées à
but lucratif, budget global pour l'hôpital public et privé
participant au service public, forfait pour la chimiothérapie en
hospitalisation privée à but lucratif.
Les déterminants implicites de l'orientation des malades à
l'intérieur du système de soins obéissent alors à
des déterminants plus financiers que médicaux.
Ainsi, les médicaments les plus chers ont été sortis du
secteur hospitalier, qui en avait auparavant l'exclusivité, dans le seul
but de contourner la contrainte du budget global. Mais les
chimiothérapies à domicile sont plus coûteuses pour
l'assurance maladie, et l'intérêt véritable du malade n'est
pas toujours respecté.
A l'inverse, des établissements sous budget global demandent parfois au
malade hospitalisé d'apporter ses propres médicaments
achetés dans le secteur ambulatoire.
Autre exemple d'aberration, le même traitement chimiothérapique
qui revient à 9.000 francs à un CLCC, dans le cadre d'appels
d'offres groupés, peut être facturé 13.000 francs à
l'assurance maladie par un établissement privé. Structurellement,
le CLCC a intérêt à hospitaliser, tandis que la clinique
privée a intérêt à traiter en ambulatoire.
IV. LA RECHERCHE : UNE DÉPENDANCE ENVERS LES FONDS PRIVÉS
A. DES FINANCEMENTS PUBLICS MAL IDENTIFIÉS
De
l'avis des spécialistes, la recherche sur le cancer doit être
désormais très large, la recherche ciblée sur la
pathologie ayant été globalement un échec. La recherche
fondamentale sur le fonctionnement de la cellule apparaît essentielle
pour mieux comprendre la cancérogenèse.
Des espoirs nouveaux sont placés dans les thérapies
géniques et l'immunologie thérapeutique. Des applications sont
envisageables à échéance de dix ans, et un
véritable saut qualitatif dans la lutte contre le cancer apparaît
possible, bien-sûr sans garantie de succès.
Pour reprendre un formule éclairante, "
le traitement du cancer
viendra d'un hasard, mais d'un hasard commandé
". En attendant, un
effort de recherche important reste à faire.
L'évaluation des dépenses engagées à ce titre est
délicate. La part consacrée au cancer n'est pas isolée
dans les budgets des instituts de recherche. Du reste, cette distinction
n'aurait pas beaucoup de sens, compte tenu de l'importance de la recherche
fondamentale non spécifique au cancer pour les progrès futurs
dans la compréhension de cette maladie.
Les dépenses de recherche médicale sont évaluées
à 6,7 milliard de francs, dont 50 % correspondant aux salaires.
Sur ce total, les moyens consacrés à la recherche sur le cancer
sont estimés à 1,2 milliards de francs
.
Les CLCC, qui ne disposent pas d'un corps de chercheurs fondamentaux propre,
sont liés par des conventions avec l'INSERM et le CNRS pour l'accueil
d'unités de recherche, dont ils partagent les frais de logistique et de
techniciens.
D'une manière générale, la recherche
réalisée dans les CLCC et les CHU est mal prise en compte par le
budget global
. Le coût exact de la recherche, comme de l'enseignement
d'ailleurs, reste mal évalué. Tous les établissements
prétendent en faire, la recherche apparaissant comme la seule
bouffée d'oxygène dans un système hospitalier sous forte
contrainte budgétaire. Conventionnellement, elle est estimée
à 13 % des dépenses, cet abattement forfaitaire étant
appliqué à tous les CHU et à tous les CLCC pour la
détermination de la valeur de leur point ISA.
B. UNE RECHERCHE CLINIQUE ORIENTÉE PAR L'INDUSTRIE PHARMACEUTIQUE
Les
établissements hospitaliers qui font de la recherche clinique sont aussi
généralement ceux qui soignent le mieux, car ils évaluent
nécessairement leurs pratiques.
Dans l'ensemble, la participation des établissements privés
lucratifs à la recherche clinique est faible. Lorsqu'ils en font,
ponctuellement, c'est le plus souvent en collaboration avec les CLCC.
La recherche clinique est donc conduite principalement par les
établissements non lucratifs, CHU et CLCC.
Une enquête
réalisée par la FNCLCC évalue à 690 millions de
francs le montant des dépenses consacrées en 1995 à la
recherche clinique par les deux catégories d'établissements
,
dont 220 millions de francs pour les CHU et 470 millions de francs pour les
CLCC.
Dépenses de recherche clinique dans les CHU et CLCC en 1995
(en millions de francs)
Nature des dépenses |
|
Dépenses de salaire |
444,9 |
Dépense de fonctionnement |
185,2 |
Dépenses d'investissement |
59,6 |
Total des dépenses intérieures |
689,8 |
Ce
montant correspond aux dépenses engagées pour environ 9.000
protocoles en cours.
Les promoteurs de plus de 6.000 de ces protocoles, soit
les deux tiers, sont des laboratoires pharmaceutiques.
Les CHU ont
l'initiative d'environ 1.400 protocoles.
Origine des protocoles de recherche dans les CHU et les CLCC en 1995
Promoteurs |
Nombre de protocoles |
CHU |
1.477 |
Associations et médecins |
590 |
Industriels |
6.363 |
Autres |
690 |
Total des protocoles |
9.101 |
Les dépenses de recherche clinique sont ainsi dans leur très grande majorité orientées par l'industrie pharmaceutique, même si celle-ci ne contribue que marginalement à leur financement, qui provient surtout des ressources propres des établissements.
Financement de la recherche clinique dans les CHU et les CLCC en 1995
- Programme hospitalier de recherche clinique : |
114 MF |
- Ressources propres sur budget des hôpitaux : |
435 MF |
- Contrats liés au secteur public : |
27 MF |
- Ressources en provenance des associations : |
62 MF |
- Recettes correspondant aux surcoûts refacturés à l'industrie pharmaceutique : |
57 MF |
Toutefois, les surcoûts refacturés à
l'industrie
pharmaceutique ne représentent que la fraction identifiée de sa
contribution. Dans les faits, celle-ci participe également au
financement de la recherche clinique par des voies plus
détournées (associations péri-hospitalières, fonds
de concours aux établissements), pour des montant non connus.
La prédominance de l'industrie pharmaceutique dans les choix de
recherche clinique peut présenter certains inconvénients
.
Elle se traduit par la préférence donnée au test de
molécules nouvelles, dans une approche marketing, plutôt
qu'à l'évaluation de nouvelles combinaisons
thérapeutiques, qui sont pourtant à l'origine des derniers
progrès significatifs.
Elle se traduit également par un manque de coordination et une certaine
redondance des essais, ainsi que par une faible accessibilité des
résultats. Des essais cliniques isolés sont toujours moins
pertinents que des protocoles étudiés, portant sur un nombre de
patients suffisant pour atteindre la masse critique.
C. UN APPEL À LA GÉNÉROSITÉ PUBLIQUE NON DÉPOURVU D'INCONVÉNIENTS
a) L'Association pour la Recherche sur le Cancer
Il n'est
pas besoin de rappeler les errements passés de l'Association. pour la
Recherche sur le Cancer (ARC), qui consacrait une fraction
disproportionnée de ses ressources à des frais de communication
et de représentation injustifiés.
Avant l'éclatement du scandale en 1994, l'ARC disposait d'un budget de
400 millions de francs, partiellement gonflé, toutefois, par une
comptabilité truquée. L'association survit actuellement
grâce aux legs, qui représentent les 2/3 de ses recettes, avec un
effet d'inertie lié à l'antériorité des
décisions des testataires. Elle dispose néanmoins encore de
réserves importantes, d'environ 500 millions de francs, car les
promesses d'aides faites aux chercheurs étaient comptabilisées
comme des décaissements effectifs.
La remise en ordre de l'ARC s'est opérée dans un contexte
d'hémorragie des recettes. Le budget de l'association est tombé
à 200 millions de francs en 1996, pour remonter à
250 millions de francs en 1997.
Antérieurement, le bureau de l'ARC était en pratique
réduit à son président, qui prenait seul les
décisions, le conseil d'administration fonctionnant comme une chambre
d'enregistrement. Le bureau a été restauré comme organe de
préparation et de suivi des décisions du conseil
d'administration, assisté en amont d'une commission scientifique et, en
aval, d'une commission financière chargée de suivre les appels
d'offre et de se prononcer sur les comptes.
L'ARC aide uniquement la recherche. Ses interventions sont concentrées
sur les unités du CNRS et de l'INSERM, et concernent peu le secteur
privé, faute de projets de qualité suffisante. L'association
conserve la trésorerie des subventions qu'elle accorde, ce qui lui
permet de contrôler les factures. Elle a également posé le
principe de dates butoirs pour l'utilisation des fonds, au-delà
desquelles ceux-ci reviennent dans son budget.
b) La Ligue Nationale Contre le Cancer
La Ligue
nationale contre le cancer a été créée en 1918. Il
s'agit d'une structure fédérale, qui réunit des
comités départementaux dotés de la personnalité
morale et de budgets propres. Son budget total s'est élevé
à 266 millions de francs en 1997.
La Ligue a subi le contrecoup
du scandale de l'ARC, qui s'est traduit pour elle par une perte de 15 %
des dons en 1995 et 1996.
La Ligue aide la recherche fondamentale, mais aussi la recherche clinique dans
les secteurs spécifiques délaissés par la recherche
pharmaceutique. A la différence de l'ARC, elle subventionne
également des actions de prévention et dépistage et des
aides aux malades, individuelles ou relatives à la prévention de
la douleur.
Le processus de décision de la Ligue repose sur un conseil scientifique
national composé de chercheurs, renouvelés périodiquement
sans possibilité de prolonger leur mandat. Ce conseil est
organisé en sections, et assisté d'un comité de la
recherche. Toutes les demandes d'aide sont examinées selon une
procédure de double rapport, le conseil statuant en cas de
désaccord, avant de transmettre le dossier au conseil d'administration.
Les comités départementaux réalisent 50 % de l'aide
à la recherche, selon des procédures calquées sur la
procédure nationale. Mais, l'assise départementale apparaissant
un peu étroite, la Ligue encourage la mise en place de conseils
scientifiques régionaux, dotés d'un guide de procédures et
d'une liste d'experts nationaux consultables en cas de besoin.
c) Les inconvénients du recours à la générosité publique
Premièrement, les frais de structures des associations
apparaissent non négligeables.
L'effondrement de l'ARC en 1995-1996
s'est même traduit par un inversement paradoxal des proportions :
45 millions de francs seulement ont été collectés en
1996, pour 65 millions de frais de fonctionnement
.
L'ARC a fondé son succès sur des techniques commerciales. La
Ligue a dû y recourir à son tour, avec plus de réticence,
alors qu'elle se contentait encore d'une simple quête annuelle il y a 30
ans. Mais elle emploie encore beaucoup de bénévoles.
Par un injuste retour des choses, le sentiment de désaffection des
donateurs envers l'ARC a rejailli sur la Ligue, et celle-ci a dû
consentir un effort de communication supplémentaire pour insister sur
ses différences.
Deuxièmement, la contribution des associations au financement de la
recherche est en soi problématique. Initialement, celles-ci s'occupaient
surtout d'aide à l'équipement et aux malades.
C'est à
la demande des pouvoirs publics qu'elles se sont orientées vers le
soutien à la recherche, et ont acquis ainsi une influence
considérable sur ses orientations, le financeur étant le
décideur
.
Par principe, les associations ne financent jamais la prise en charge des
rémunérations du personnel. Mais les critères de
sélection des projets retenus ont longtemps été opaques,
bien que les comités scientifiques apportent désormais des
garanties
a priori
satisfaisantes.
Cet apport de fonds apparaît parfois comme une aubaine pour les
services concernés, qui ne se sentent pas toujours suffisamment
responsables de leur bonne utilisation
. Certains laboratoires tendent
même à minorer leurs budgets vis à vis de leurs
autorités de tutelle, en comptant sur les dons privés pour les
compléter. Les associations s'efforcent de freiner ces dérives en
passant des contrats d'objectifs clairs avec les chercheurs, et en
édictant des codes de déontologie.
V. LES PROPOSITIONS DE LA COMMISSION
Une
remarque préalable s'impose : la problématique de la politique de
lutte contre le cancer est d'abord qualitative, et non pas quantitative.
En l'absence de corrélation mécanique entre les sommes
dépensées et les résultats obtenus, il importe de
s'attacher surtout aux aspects organisationnels, qui permettront de parvenir
à une plus grande efficacité tout en dégageant les marges
financières nécessaires pour couvrir certaines dépenses
inévitablement croissantes.
Les propositions tendant à dynamiser la politique de lutte contre le
cancer sont regroupées sous les quatre rubriques suivantes :
connaître ; coordonner ; informer ; et contrôler.
A. CONNAÎTRE
1. Recenser l'ensemble des fonds publics consacrés à la lutte contre le cancer
L'absence de chiffres précis et exhaustifs sur les
sommes
consacrées à la lutte contre le cancer est en soi
révélatrice de l'inorganisation de cette politique. Le contraste
est particulièrement frappant avec la politique de lutte contre le sida,
dont les dépenses sont connues avec la plus grande précision.
Par principe, le ministère de la Santé s'est refusé
à mettre en place une structure verticale chargée de la lutte
contre le cancer, afin de diluer le poids des lobbies (qui ne sont pas
étrangers à la structuration de la lutte contre le sida). Mais,
dans certains pays étrangers plus avancés que la France en
matière de santé publique, on trouve des structures
administratives spécialisées par pathologie.
Certes, une cellule cancer existe au sein de la direction
générale de la santé. Mais les moyens humains qui lui sont
affectés, correspondant à un emploi budgétaire et demi,
limitent forcément ses ambitions.
En tout état de cause, le Parlement devrait être en situation de
prendre connaissance chaque année, dans le cadre de la conférence
nationale de la santé préparatoire au projet de loi de
financement de la sécurité sociale, des montants et de la
répartition des dépenses de lutte contre le cancer.
2. Pérenniser le Conseil national du cancer
Le
Conseil national du cancer a été créé par un
arrêté du ministre délégué à la
Santé en date du 14 avril 1995. Il est constitué de
personnalités du monde de la cancérologie, dans ses quatre
composantes principales : les CLCC, les CHU, les centres hospitaliers non
universitaires et les établissements privés.
Le conseil s'est réuni très régulièrement et s'est
exprimé sous la forme de neuf avis, sur les thèmes les plus
variés. Toutefois, il n'apparaît pas que ses avis aient
été suivis de beaucoup d'effets. Le mandat du conseil est
arrivé à échéance et n'a pas été
renouvelé.
Organe de réflexion central, le Conseil national du cancer mérite
d'être pérennisé, dans une composition élargie
au-delà du secteur hospitalier. Son avis devrait être obligatoire
sur tous les actes réglementaires intéressant la lutte contre le
cancer.
3. Adapter les systèmes d'information médicaux à la prise en compte du cancer
Le PMSI
doit être adapté aux spécificités de la lutte contre
le cancer, afin de prendre en compte les coûts invisibles de la
concertation pluridisciplinaire.
Par ailleurs, les GHM (Groupes Homogènes de Malades) en
radiothérapie comme en chimiothérapie méritent
d'être affinés.
4. Approfondir l'étude des disparités régionales
Les
études épidémiologiques des Observatoires Régionaux
de la Santé, qui fonctionnent avec des moyens très
réduits, présentent le plus grand intérêt. Elles
pourraient utilement être axées sur les pathologies tumorales.
L'action des Comités techniques régionaux de cancérologie
peut également être optimisée. Ces comités devraient
participer au recueil de données et statistiques régionales,
ainsi qu'à l'élaboration des SROSS (Schémas
Régionaux d'Organisation Sanitaire).
Une exploitation des premiers travaux des Agences Régionales de
l'Hospitalisation permettrait sans doute de dégager des
éléments d'analyse comparative intéressants.
B. COORDONNER
1. Harmoniser les systèmes de financement
Les
mesures d'harmonisation les plus urgentes concernent la tarification des
chimiothérapies et la mise à jour de la nomenclature des actes.
A terme, il convient de viser une neutralité parfaite des modes de
financement entre établissements sous budget global et
établissements à prix de journée, ainsi qu'entre
établissements et soins ambulatoires.
2. Mettre en place une politique nationale de dépistage
Après de longues années d'atermoiement,
l'article 15
du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 1999
met enfin en place un système national de dépistage
organisé des "
maladies aux conséquences mortelles
évitables
", qui concerne principalement le cancer.
Les dépistages utiles d'un point de vue scientifique et
économique seront désormais établis sur avis conjoint de
l'ANAES et de la CNAMTS, afin de maximiser les bénéfices et de
minimiser les coûts. Les deux premiers programmes de dépistage
prévus pour 1999 portent sur le cancer du sein et le cancer du col de
l'utérus.
Les actes de dépistage réalisés dans le cadre de ces
programmes seront remboursés à 100 % par l'assurance maladie, et
imputés sur la masse de l'objectif national des dépenses
d'assurance maladie (ONDAM). Un financement additionnel de 250 millions de
francs du FNPEIS est destiné au suivi et à l'évaluation.
La formation de l'ensemble des partenaires du programme, ainsi qu'un
contrôle de qualité des tests et examens complémentaires
pratiqués, sont par ailleurs prévus. Il manque toutefois une
mesure complémentaire de rationalisation des dépistages
spontanés : les dépistages inutiles ou trop fréquents
devraient cesser d'être remboursés.
3. Encourager le développement des réseaux en cancérologie
Par
nature, la cancérologie relève tout particulièrement d'une
logique d'organisation en réseaux pour une prise en charge globale et
coordonnée des patients, afin d'offrir à ceux-ci
l'égalité des chances, la qualité et la continuité
des soins.
Il convient donc, dans le cadre expérimental posé par les
ordonnances d'avril 1996, de privilégier les expérimentations de
réseaux en cancérologie, sur une base conventionnelle. Des
projets fonctionnent déjà, tels les réseaux ONCOLOR en
Lorraine, et ONCORA en Rhône-Alpes.
Le réseau en oncologie permet d'assurer la pluridisciplinarité,
d'accroître la compétence des acteurs, et de définir de
manière consensuelle les bonnes pratiques débouchant sur de
véritables protocoles.
Pris en compte dans les SROSS, chaque réseau en oncologie devra se
soumettre à une évaluation périodique de ses
procédures, évoluant vers une accréditation des
différents éléments du réseau ou du réseau
lui-même.
Il importe de procéder avec pragmatisme, de ne pas imposer un
modèle unique de réseau et d'éviter autant que possible
les mesures autoritaires. Celles-ci ne sont toutefois pas à exclure pour
la réorganisation de la filière publique en cancérologie,
qui relève de la responsabilité directe des pouvoirs
publics.
4. Rendre obligatoire l'interdisciplinarité
La
circulaire du 24 mars 1998 relative à l'organisation des soins en
cancérologie, adressée aux directeurs des agences
régionales de l'hospitalisation ainsi qu'aux directeurs régionaux
et départementaux des affaires sanitaires et sociales, souligne cette
nécessité d'une approche pluridisciplinaire. Elle
préconise, notamment, l'établissement d'un schéma
écrit de prise en charge pour chaque patient.
Le développement des pratiques interdisciplinaires peut passer par leur
valorisation financière, dans le cadre de procédures de
tarification forfaitaire ou à l'acte nouvelles.
Néanmoins, il semble nécessaire d'aller plus loin et d'imposer
l'interdisciplinarité en cancérologie, en rendant obligatoire la
participation à une structure fonctionnelle de concertation, et en
rendant répréhensible le fait pour un médecin de
décider seul.
5. Mettre en place un pilotage de la recherche
Les
contributions des associations au financement de la recherche doivent demeurer
compatibles avec les objectifs de santé publique du Gouvernement.
Cette coordination souhaitable peut être assurée de manière
souple par des contrats d'objectifs avec les ministères de la Recherche
et de la Santé, du type de ceux que l'ARC a entrepris de négocier.
Les financements publics et caritatifs pourraient notamment être
associés au profit de la recherche clinique sur la validation des
stratégies thérapeutiques.
C. INFORMER
1. Amplifier les campagnes contre le tabac et l'alcool
Une
application stricte de la loi Evin apparaît plus que jamais
nécessaire, face aux tentatives de contournement permanentes et au
relâchement des comportements quotidiens.
Une augmentation modérée des dotations budgétaires
consacrées à la lutte contre le tabagisme et l'alcoolisme est par
ailleurs envisageable.
Enfin, il ne faut pas hésiter à utiliser la fiscalité pour
porter les prix du tabac à des niveaux réellement dissuasifs,
notamment pour les jeunes fumeurs. L'Etat doit définitivement choisir
entre ses préoccupations de rendement budgétaire et celles de
santé publique.
2. Inscrire la prévention dans l'éducation
L'éducation sur la santé doit être
globalisée. Tout ce qui est bon pour prévenir les cancers est
simultanément bon pour prévenir les maladies cardio-vasculaires :
les régimes riches en antioxydants et pauvres en graisses
saturées, la prévention de l'obésité, l'abstention
de tabac, la réduction de la consommation d'alcool. Les méthodes
de conservation de la santé sont générales et
indépendantes du risque auquel on est psychologiquement plus sensible.
La lutte contre le tabac doit être renforcée et orientée
vers les jeunes. Alors que le nombre global de fumeurs diminue lentement, il
est décisif d'obtenir des générations de jeunes
non-fumeurs, fiers et heureux de l'être.
L'éducation sanitaire devrait également porter sur le
dépistage. La population doit en connaître les principes et les
pratiques, pour adhérer pleinement aux programmes qui seront mis en
place.
3. Adapter la formation initiale des médecins
L'enseignement universitaire de la cancérologie est
resté longtemps éclaté entre les diverses disciplines
d'organes. Un décalage existe encore entre la pratique performante,
nécessairement pluridisciplinaire, et l'enseignement.
Dans le deuxième cycle des études médicales, une
coordination pédagogique s'avère indispensable entre les
enseignements des disciplines d'organes en matière de
cancérologie pour éviter les redondances, les omissions, et
parfois les contradictions. Parallèlement, la part de l'enseignement
autonome dispensé par les professeurs de cancérologie devraient
être accrue.
Dans le troisième cycle des études médicales
générales, l'enseignement de la cancérologie, qui est
toujours lacunaire et souvent absent, devrait être renforcé.
Le nombre des spécialistes en cancérologie pourrait être
augmenté par un assouplissement des programmes, qui permettrait de
favoriser les vocations tardives et de permettre un accès plus facile
aux spécialistes d'organes.
4. Inscrire la cancérologie dans la formation médicale continue
Le
renouvellement des connaissances est rapide en cancérologie, tandis que
le diagnostic de cancer reste rare en médecine générale.
On estime, en moyenne, qu'un médecin généraliste a
l'occasion de diagnostiquer seulement deux cas de cancers par an, et suit vingt
personnes soignées pour cancer.
Le médecin généraliste doit être formé
à la rigueur méthodologique du dépistage. Il a la
responsabilité de la surveillance des effets secondaires des
thérapies anticancéreuses et des récidives
éventuelles.
La formation médicale continue, désormais obligatoire, doit donc
accorder dans ses programmes une place prioritaire à la
cancérologie.
D. CONTRÔLER
1. Instaurer une assurance de qualité pour tous les actes
La
préoccupation de la qualité s'est traduite jusqu'à
présent surtout par des initiatives spontanées, qu'il s'agisse
des standards définis par la FNCLCC ou de la "Charte des centres de
référence" établie par la cancérologie
privée.
Cet effort de qualité consenti par la profession est louable, mais il ne
saurait se substituer à une certification par les autorités
publiques. Le contrôle médical de la CNAMTS mériterait
d'être centré prioritairement sur les actes de cancérologie.
L'assurance de qualité devrait concerner en particulier les
procédures de dépistage, qui n'ont de pertinence que parfaitement
réalisées.
2. Mettre en oeuvre les procédures d'accréditation
La
montée en charge de l'Agence nationale d'évaluation en
santé (ANAES) créée en avril 1996 est lente. La
période écoulée a été consacrée
à l'élaboration des procédures et au recrutement du
personnel nécessaire. Les premières accréditations
d'établissements de soins ne devraient débuter, sur une base
volontaire, qu'au dernier trimestre 1998.
La FNCLCC a participé à cette réforme en publiant en
septembre 1996 une "Contribution à une démarche
d'accréditation pour la cancérologie".
La cancérologie doit être désignée comme prioritaire
pour la mise en oeuvre des procédures d'accréditation. Celles-ci
pourraient d'ailleurs porter sur les réseaux, plutôt que sur les
établissements.
3. Réviser l'admission au remboursement des médicaments anticancéreux
Le
rapport de la Cour des comptes sur la sécurité sociale de
septembre 1998 a relevé les insuffisances de la politique du
médicament. Les autorisations de mise sur le marché, d'une
validité théoriquement limitée à cinq ans, sont en
pratique reconduites sans examen, tandis que les admissions au remboursement
sont dans leur majorité d'une durée illimitée.
Or, la découverte de nouveaux médicaments anticancéreux
efficaces peut justifier des coûts croissants. La progression de
l'enveloppe des médicaments remboursés doit cependant être
contenue dans des limites économiquement soutenables.
Il importe donc de contrôler les dépenses de médicaments
inutiles ou redondantes. Cette maîtrise suppose la révision
systématique, par classes thérapeutiques, des autorisations de
mise sur le marché, ainsi que la révision périodique des
admissions au remboursement.
Ce double réexamen peut déboucher sur des
déremboursements, exceptionnellement, ou plus fréquemment sur des
baisses de prix et/ou des réductions des taux de
remboursement.
4. Contrôler l'emploi des fonds provenant de la générosité publique
Le
contrôle de l'emploi des fonds consacrés à la lutte contre
le cancer et provenant de la générosité publique passe
d'abord par celui des associations collectrices. Il est essentiel, pour que la
confiance des donateurs soit pleinement rétablie, que les dérives
de l'ARC ne puissent pas se reproduire.
L'extension récente des compétences de la Cour des comptes et de
l'IGAS en la matière devrait contribuer à l'amélioration
de ce contrôle de premier niveau.
Mais le contrôle de l'emploi des fonds passe également par celui
des centres de recherche bénéficiaires. Par le passé,
certains laboratoires ont eu tendance à utiliser assez librement les
sommes qui leur étaient confiées pour des objets précis.
Ce contrôle de second niveau est de la responsabilité des
associations qui accordent les subventions.
ANNEXE
LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES
M.
Pierre LOUISOT
, président du Conseil National du Cancer
M. Jean-François GIRARD
, directeur général de la
Santé
Mme Christine GESTIN
,
chargée des questions relatives au
cancer à la DGS
M. Joël MENARD
, président de la Conférence nationale
de la santé 1997
2(
*
)
M. Thierry PHILIP
, président de la Fédération
Nationale des Centres de Lutte Contre le Cancer
M. Thomas TURSZ
, directeur de l'institut Gustave Roussy
M. Gabriel PALLEZ
, président de la Ligue nationale contre le
cancer
M. Michel LUCAS
, président de l'Association pour la recherche
contre le cancer
M. Thierry ALLEMAND
, médecin-conseil national de la CNAMTS
M. Alain COULLOMB
, délégué général de
l'Union Hospitalière Privée
M. Philippe MARTIN
, président du Syndicat national des
radiothérapeutes oncologues
1
Les développements suivants sont
issus
du n° 327 - septembre 1997 - de Population et société,
bulletin mensuel d'information de l'Institut d'Etudes Démographique,
intitulé "Les trois révolutions de la mortalité depuis
1950"..
2
M. Joël MENARD est depuis devenu directeur
général de la santé, en remplacement de
M. Jean-François GIRARD.