b) L'incertitude des relations entre l'Euro et le Dollar
Les
mécanismes de la PAC (restitutions et prélèvements) ont
permis, jusqu'à la réforme de 1992, d'atténuer les effets
des variations du dollar sur la compétitivité de l'agriculture
Européenne. Mais, dans le même temps, comme l'ont montré
différentes études portant notamment sur les marchés
céréaliers, les variations de change ont incontestablement eu des
répercussions sur les parts de marché de pays comme les
Etats-Unis, l'Australie ou le Canada.
En outre, des études avaient indiqué que les Etats-unis avaient
pu, particulièrement dans la période 1979-1985, limiter les
effets de la hausse du dollar en faisant pression sur les prix, à la
baisse. En d'autres périodes, la baisse du dollar avait permis, au
contraire, des hausses de prix, tout en continuant de stimuler les exportations
américaines. Les Etats-Unis cumulent, en somme, les avantages de leur
position dominante, à la fois comme " price-makers " et comme
pays à monnaie-clé.
Rappelons que la réforme de 1992 a modifié la situation de
l'agriculture Européenne en prévoyant une réduction
importante, sur la période de 1995 à l'an 2000, des restitutions
à l'exportation et des prélèvements à
l'importation, ainsi qu'une baisse des prix agricoles Européens.
La nouvelle réforme de la PAC, telle que la prévoit
" l'agenda 2000 " publié par la commission Européenne,
confirme la volonté d'aligner les prix Européens sur les prix
mondiaux. L'objectif déclaré est d'assurer la
compétitivité de l'agriculture Européenne et de confirmer
sa vocation exportatrice face à une demande mondiale dont on anticipe
l'expansion. Dans cette nouvelle situation, l'agriculture Européenne se
trouve davantage exposée à la concurrence des autres producteurs,
sur les marchés mondiaux et, par conséquent, aussi, aux effets
des fluctuation du dollar.
L'une des grandes ambitions des Européens est que l'Euro constitue un
contrepoids au dollar et contribue à stabiliser les relations
monétaires internationales
. Les considérations
précédentes montrent qu'il s'agit d'un enjeu important, mais
aussi incertain, pour l'agriculture Européenne.
Le degré d'ouverture de l'économie communautaire,
évalué d'après le rapport de ses échanges
extérieurs à son PIB, est faible : il est comparable à
celui des Etats-Unis et du Japon (9 % du PIB).
L'impact d'éventuels " mésalignements "
(appréciés en référence à la parité
des pouvoirs d'achat) de l'Euro vis-à-vis du dollar s'en trouverait
minimisé. Certains experts estiment que l'Europe pourrait même,
sans inconvénient, adopter une attitude de " douce
insouciance " (politique dite du " benign neglect ") en
matière de change. En réalité, le raisonnement
effectué à partir du degré d'ouverture de l'Union n'est
pas satisfaisant.
Lorsque la Commission propose d'aligner les prix agricoles Européens
sur les prix mondiaux (qui sont exprimés en dollars), ce
paramètre ne vient pas atténuer les effets de la politique des
prix : c'est l'ensemble des transactions, internes et externes, de l'Union, qui
est concerné.
Pour étayer la thèse selon laquelle la création de l'Euro
permettrait de stabiliser les taux de change, si possible à des niveaux
compatibles avec une concurrence équitable, on fait notamment valoir le
fait que le G7 (groupe des sept principaux pays industrialisés) se
trouverait réduit à un G4 (à partir de 2002, si le
Royaume-Uni adhère à cette date à l'Euro). Les pays
Européens, qui représentent une puissance économique
comparable à celle des Etats-Unis (le PIB des Quinze a
été, en 1996, de 8.600 milliards de dollars, celui des
Etats-Unis de 7.300 milliards de dollars), parleraient d'une seule voix.
Les relations entre les " gendarmes " du système
monétaire international s'en trouveraient plus
équilibrées. En s'affirmant comme une
" devise-clé ", l'Euro viendrait contester
l'omniprésence du dollar dans les relations internationales (le dollar
intervient actuellement dans 48 % des transactions commerciales
internationales, alors que les Etats-Unis ne réalisent que 12 % du
commerce mondial).
On observera, tout d'abord, que ce partage plus équilibré des
pouvoirs ne pourra se manifester que très progressivement.
L'Union
devra, en effet, pour parler d'une seule voix, résoudre auparavant un
certain nombre de difficultés d'ordre politique
. Par exemple, seuls
des Etats peuvent être membres du Fonds monétaire international.
L'Union ne pourra donc pas, dans l'immédiat, adhérer au Fonds. La
question se pose également à propos du G7 : l'Union y
sera-t-elle effectivement représentée en tant que telle ?
Ainsi, la réalisation de l'Union et les avantages qui en sont
attendus ne peuvent pas se ramener à une arithmétique
fondée sur le " poids économique de l'Europe "
. En
outre, quelle sera la politique de change de l'Union ? Il apparaît,
comme l'ont confirmé les Quinze en septembre 1997, que le Conseil de
l'Union, qui doit en principe définir les orientations
générales de la politique de change, ne pourra pas faire
prévaloir son point de vue, si celui-ci n'est pas compatible avec
l'objectif de stabilité des prix assigné à la Banque
Centrale Européenne.
Enfin et surtout, il faut bien reconnaître que l'émergence de
relations monétaires internationales plus stables n'est pas le seul
scénario vraisemblable. La compétition entre le dollar et l'Euro
peut très bien déboucher sur une instabilité accrue.
La mission d'information considère que la puissance économique et
commerciale de l'Europe, ainsi que la rigueur de ses politiques
monétaire et budgétaire, ne seront donc pas une condition
suffisante pour assurer la stabilité de l'Euro ni, a fortiori, pour
amener son taux de change face au dollar à un niveau compatible avec le
respect d'une concurrence équitable entre les deux continents.
Un renforcement de la coopération politique entre Etats membres est donc
plus que jamais nécessaire dans le respect des identités
nationales.
Par ailleurs, rappelons que le Traité de Maastricht a
privilégié la recherche d'une convergence nominale,
définie en référence à la stabilité, interne
(absence d'inflation) et externe (stabilité des taux de change), des
monnaies nationales. Or, la suppression des monnaies nationales suppose
également la convergence d'un certain nombre de variables
" réelles " ou " structurelles ", comme le niveau de
développement ou le niveau de productivité atteint par les pays.
Pour s'en convaincre, il suffit de se rappeler que les taux de change
constituent traditionnellement des instruments d'ajustement. Ils permettent
à des productions nationales dont les niveaux de productivité
sont hétérogènes, d'être également
compétitives sur les marchés internationaux : la comparaison des
prix s'effectue par leur intermédiaire. Supprimer les taux de change,
c'est donc mettre en concurrence des producteurs qui sont inégalement
armés, sauf si l'on s'est préalablement préoccupé
de faire converger les conditions dans lesquelles il exercent leurs
activités.
Il est donc nécessaire d'assurer une véritable
égalité de concurrence entre les producteurs.