3. Une préférence communautaire fragilisée
a) Un pilier essentiel de la PAC
Lors de
sa mise en place dans les années 1960, la politique agricole
Européenne s'est structurée autour d'un principe essentiel,
économique mais aussi symbolique :
la préférence
communautaire
.
Il s'est traduit, concrètement, par un mécanisme de
prélèvements aux importations agricoles extra-communautaires
permettant de maintenir le prix des produits importés au-dessus des prix
d'intervention communautaires, favorisant ainsi la consommation des produits
agricoles internes, en leur accordant une
" préférence ".
Réciproquement, à l'exportation, les producteurs communautaires
bénéficiaient d'une restitution attribuée par le FEOGA
selon certaines modalités (adjudication au moins offrant...),
égale à la différence entre le prix mondial et le prix
Européen.
Ce système,
en déconnectant les prix communautaires des prix
mondiaux, a été une option politique majeure et l'un des
principaux pivots de la construction Européenne, qui a garanti
:
- une amélioration considérable de
l'autosuffisance
alimentaire
Européenne ;
-
un revenu
aux agriculteurs Européens ;
- un
débouché communautaire
pour les productions des
Etats membres ;
- une participation à la
croissance du commerce mondial
: la
préférence communautaire n'a pas empêché l'Europe de
prendre part à la mondialisation des échanges. Elle est ainsi
devenue le premier importateur mondial de produits agro-alimentaires.
b) Une notion quelque peu dénaturée par les accords du GATT
La
transformation des mécanismes douaniers agricoles
Pendant près de 30 ans
et jusqu'en 1994, la
préférence communautaire
a fonctionné sur le
schéma initial. La plupart des produits agricoles communautaires
(céréales, sucre, produits laitiers, viande bovine...)
étaient protégés des baisses de prix mondiaux par ce
système de prélèvements, versés par l'importateur
au FEOGA. Ce prélèvement était
automatique,
immédiat et variable
, puisqu'égal à la
différence entre un prix d'entrée à la frontière
communautaire, fixé chaque année par règlement (prix de
" seuil " pour la plupart des produits ; prix de
" référence " pour certains fruits et légumes,
situés au-dessus du prix d'intervention) et le prix mondial.
Le prélèvement sur l'importation augmentait donc lorsque le prix
mondial diminuait (soit sous l'effet de la baisse du prix de la matière
première, soit sous l'effet de la baisse du dollar).
Soulignons toutefois que le système a été appliqué
plus ou moins efficacement : certains secteurs en ont plus
particulièrement bénéficié (céréales,
sucre, produits laitiers, viandes bovine et porcine, aviculture), de
préférence à d'autres (fruits et légumes, vin,
viande ovine, aliments du bétail...).
MÉCANISME DE LA PRÉFÉRENCE COMMUNAUTAIRE JUSQU'EN 1994
prélèvement variable
Après la signature de l'accord de Marrakech
, en avril 1994,
clôturant le cycle de négociations du GATT, un nouveau
mécanisme de protection aux frontières a dû être mis
en place, l'ancien système étant devenu incompatible avec
l'accord international.
L'accord du GATT transforme les prélèvements variables
communautaires en droits de douane fixes, appelés
"
équivalents tarifaires
". Ces droits sont, en outre,
réduits de 36 % en moyenne, de façon régulée
suivant les produits sur les six ans de mise en oeuvre initiale de l'accord.
LE NOUVEAU MÉCANISME ISSU DES ACCORDS DU GATT
équivalent tarifaire (fixe et réduit de 36%)
L'agriculture est donc " banalisée " puisque lui est
appliqué désormais un régime classique de droits de douane
fixes, comme pour les autres secteurs.
Elle a ainsi perdu la
spécificité de sa protection extérieure,
qui avait
été instaurée, au moment de la mise en place de la
Communauté, pour des raisons liées aux structures agricoles
Européennes et au rôle de ce secteur dans l'économie et la
société. Ce tournant de la PAC a consacré
la fin de
" l'exception agricole " Européenne
.
Une
clause dite " de sauvegarde
"
a toutefois
été prévue par l'accord du GATT, censée
éviter un trop fort démantèlement de la protection
communautaire.
Ce système est destiné à préserver un certain
" équilibre ", en n'accroissant pas le volume d'importations
d'un pays déjà fortement importateur et en corrigeant
partiellement les effets d'un trop fort différentiel de prix.
Deux conditions déclenchent l'imposition de
droits additionnels
:
- lorsque le prix mondial se situe au-dessous d'un prix de
référence mondial (dont la liste fait partie de la liste d'offres
Européennes au GATT),
une clause de sauvegarde " prix "
peut être déclenchée : des droits additionnels sont
imposés, en fonction du différentiel de prix ;
- lorsque les importations annuelles dépassent un certain volume,
une clause de sauvegarde " volume "
peut être
déclenchée, en cas d'augmentation de 25 % des importations
pour un pays dont les importations représentent entre 0 et 10 % de
la consommation ; de 10 % pour les pays dont la part est de 10 et
30 % ; de 5 % pour les pays dont les importations représentent
plus de 30 % de la consommation.
Ces droits de douane additionnels ne s'appliquent toutefois que jusqu'à
la fin de l'année civile ; en outre, certains contingents d'importation
en sont exclus.
Au total, on peut estimer que dans ce nouveau système,
la
préférence communautaire est fragilisée par sa
dépendance à l'égard de plusieurs paramètres
:
- le niveau des équivalents tarifaires pour chaque produit ;
- le niveau des prix de référence mondiaux
déclenchant la " clause de sauvegarde " ;
- le degré d'efficacité de la " clause de
sauvegarde " en cas de baisse du prix mondial : rapidité de
déclenchement, volume des importations déjà
réalisées avant son déclenchement, importance et effet des
droits additionnels, pérennité du dispositif.
Au-delà des changements imposés dans le mécanisme
Européen de mise en oeuvre de la préférence communautaire,
le GATT a imposé l'ouverture aux pays tiers de contingents d'importation
à tarifs préférentiels.
Les contingents d'importation octroyés aux pays tiers
Des contingents préférentiels d'importation, quantités
importables sous des régimes douaniers spécifiques
(prélèvements réduits, droits de douane faibles voire
nuls) ont été imposés à toutes les parties
contractantes à l'accord du GATT.
L'accord prévoit
une ouverture des marchés
, de telle sorte
que les possibilités de telles importations par secteur soient
égales à
3 %
(en 1995)
puis 5 %
(en 2000)
de la consommation
de ces produits observée en 1986-1988.
Signalons que, sous la pression de la France, ces contingents ont
été calculés par " agrégation ", par
groupes de produits, alors que le projet initial raisonnait produit par produit.
Les contingents concédés par l'Union Européenne sont les
suivants :
CONTINGENTS D'IMPORTATION PRÉFÉRENTIELLE DANS L'UNION EUROPÉENNE
(en tonnes)
PRODUITS |
ACCÈS COURANT 16( * ) |
ACCÈS MINIMUM 17( * ) |
||
Bovins vivants |
194.000 (têtes) |
|
||
Viande bovine |
151.050 |
20.000 |
||
Viande porcine |
|
75.600 |
||
Ovins et caprins (vivants et viande) |
319.875 |
|
||
Volailles |
|
29.000 |
||
Oeufs |
|
208.000 |
||
Beurre |
76.667 |
90.000 |
||
Poudre 0 % |
|
69.000 |
||
Fromages |
15.250 |
104.000 |
||
Manioc, patates douces |
6.857.390 |
|
||
Bananes |
2.000.000 |
|
||
Oranges et agrumes |
45.000 |
|
||
Maïs-sorgho |
2.300.000 |
500.000 |
||
Blé |
|
300.000 |
||
Sucre de canne ou de betterave |
1.565.000 |
|
||
Sons |
475.000 |
|
||
Champignons |
62.660 |
|
Source : Commission Européenne
Rappelons que ces contingentements ne s'appliquent pas aux produits de
substitution des céréales et notamment au corn gluten feed, qui
entrent toujours sans protection douanière dans la Communauté
depuis les accords du " Dillon Round " de 1961.