V. LES PERSPECTIVES
De nombreuses critiques sont adressées à l'Union Européenne en raison de l'impact des dévaluations, des distorsions de concurrence entre États, d'une libéralisation du cabotage insuffisamment préparée et défavorable à la France, enfin de la perspective de ratification de l'accord de l'OCDE sur la construction navale.
Il en résulte que la politique de la mer doit d'abord être nationale , et s'attaquer par priorité aux menaces à court terme. En effet, les intérêts des États membres de l'Union sont trop contradictoires pour leur permettre de concevoir sans arrière-pensée une réelle politique communautaire.
La France a un des dispositifs d'aide à la construction navale les moins généreux et parmi les plus vulnérables alors que ses concurrents européens et américains ont développé des systèmes complexes d'aides au financement, qui leur ont permis de s'affranchir du passage par les aides directes à la construction navale. La France se situe donc au coeur de la cible de l'accord de l'OCDE.
À très court terme, la construction navale devrait être confrontée à d'importantes difficultés, en raison d'une contraction de ses plans de charge et de carnets de commandes déprimés. L'aide budgétaire paraît donc plus que jamais essentielle.
À plus long terme, certaines pistes sont proposées pour améliorer la compétitivité de cette industrie : la recherche-développement (la stratégie de niche adoptée par la France requiert un travail incessant d'innovation), le développement de la filière pétrochimique, de la filière "gaz" (méthanier de nouvelle génération), de la filière do l'offshore ou des navires à grande vitesse.
En matière de marine marchande , en raison de la disparition du dispositif quirataire qui avait un impact quantitatif non négligeable, une refonte du système d'aide publique à la flotte est nécessaire. Parmi les aides existantes, l'aide à la consolidation et à la modernisation (ACOMO) a une grande utilité car elle est d'une grande souplesse d'attribution. Elle répond donc à des situations d'urgence, lorsqu'une compagnie fait face à une difficulté temporaire : elle doit demeurer présente dans la panoplie des aides.
En matière portuaire , le rapport préconise une politique d'aménagement du territoire en faveur des ports et en particulier des investissements portuaires, fluviaux et ferroviaires, pour établir des liaisons est-ouest favorables a leur développement.
Enfin, concernant la pêche , la loi d'orientation sur la pêche maritime et les cultures marines a apporté des réponses importantes aux préoccupations du secteur. Mais des efforts devraient encore être réalisés concernant l'amélioration de l'information et la structuration de l'offre nationale, la politique de préservation des ressources et la coordination des autorités administratives compétentes dans l'application des réglementations.
Conclusions
L'évaluation de la politique maritime menée par le Commissariat général du plan constitue le premier travail commandé par l'Office parlementaire d'évaluation des politiques publiques.
Cette étude, réalisée dans des délais assez brefs, représente une synthèse unique sur les difficultés et les attentes du secteur maritime français. Réalisé en concertation avec les milieux professionnels concernés, particulièrement bien documenté, ce travail d'évaluation décrit les principaux enjeux auxquels le secteur maritime sera confronté demain : une concurrence accrue dans toutes les filières, une modification rapide de la demande internationale, la nécessité de s'adapter à cet environnement et de moderniser les dispositifs publics.
Eu égard à la qualité du travail fourni par le Commissariat général du plan, cette étude mériterait d'être rendue publique 3 ( * ) , si l'auteur de la saisine de l'office souhaitait en décider ainsi 4 ( * ) .
Il serait par ailleurs tout à fait approprié que les conclusions du rapport de l'office puissent être portées à la connaissance du gouvernement , amené à envisager, dans un avenir proche, les mesures indispensables pour maintenir la compétitivité de notre filière maritime française.
Votre rapporteur estime également souhaitable qu'un débat d'orientation sur l'avenir de la politique maritime de la France se tienne devant le Parlement, afin de prolonger la réflexion sur l'ambition maritime de notre pays.
Le rapport remis par le Commissariat général du plan témoigne notamment de l'urgence à redéfinir les moyens d'interventions de l'État dans des domaines aussi essentiels à l'avenir de la filière maritime que la construction navale et la marine marchande.
Il met en valeur l'efficacité incontestable des dispositifs d'incitation fiscale en matière d'investissements outre-mer ou d'acquisition de parts de navires de commerce, mais également certaines insuffisances de ces dispositifs au regard de leur coût budgétaire.
Il engage donc à poursuivre la réflexion sur l'adaptation de ces outils fiscaux à la réalité des besoins de la filière maritime française. La défiscalisation des investissements outre-mer devra peut-être se concentrer sur des investissements productifs structurants et garants d'un développement de long terme, comme les mesures budgétaires et fiscales concernant la marine marchande devront tout à la fois inciter à construire de nouveaux navires et s'attaquer à la faiblesse essentielle de l'activité armatoriale française, à savoir le surcoût du pavillon français.
Il appartient maintenant aux commissions permanentes du Parlement de mettre à profit cette étude d'évaluation pour enrichir leurs travaux de contrôle et de proposition.
Tableau récapitulatif des principales propositions du Commissariat général du plan par secteur
Secteur |
Points faibles |
Efficacité des politiques menées |
Propositions |
Outre-mer |
Handicaps, faibles ressources naturelles, éloignement de la métropole, faible intégration régionale, coûts salariaux élevés. Ports : coûts de manutention et de passage prohibitifs. |
De nombreuses incitations budgétaires et fiscales mais surtout : Loi du 11/07/86 : fort effet d'incitation à l'investissement mais trop concentré sur le tourisme et insuffisamment diffusé. La dépense fiscale est élevée (supérieure à un milliard de francs par an) Risques du monodéveloppement |
- loi Pons : assurer un suivi systématique de l'exploitant ayant bénéficié de l'investissement, allonger le délai de séjour et de location pour la navigation de plaisance, favoriser la rénovation d'hôtels. Se concentrer sur les investissements garants d'un développement de long terme et associer à la procédure d'agrément des organismes publics (CFD, CDC). - renforcer le professionnalisme en matière touristique (efforts de formation) - mettre en valeur la zone économique exclusive |
Pêche |
La filière pêche est dominée par la demande car l'offre est atomisée. |
Depuis la crise de 1992-1993, la filière s'est redressée avec des indicateurs satisfaisants (prix du poisson, revenu) et la loi d'orientation pour la pêche a répondu à certaines attentes du secteur mais la filière reste fragile (raréfaction de la ressource, charges sociales et financières élevées) |
- améliorer la circulation de l'information - concentrer les dépenses d'équipement sur les ports à fort développement - enrayer la chute des aides à la construction, développer la transparence des aides - clarifier le contexte réglementaire et préciser les modalités du contrôle sanitaire - renforcer les politiques de gestion de la ressource et les démarches de qualité |
Secteur |
Points faibles |
Efficacité des politiques menées |
Propositions |
Marine marchande |
Une faible intégration dans les flux internationaux (est-ouest) Un surcoût du pavillon français Une flotte en réduction constante et très dispersée sur la plupart des créneaux Un handicap certain en matière de cabotage alors que la libéralisation du secteur est prévue pour 1999 |
Des aides publiques insuffisantes pour compenser le surcoût du pavillon français L'échec de l'État actionnaire (Compagnie générale maritime) Une loi sur les quirats avec des effets positifs incontestables mais un dérapage de la dépense et des risques de "dépavillonnement" |
- impliquer les importateurs et exportateurs français sur la partie maritime du transport - intégrer les armateurs aux alliances internationales - redéfinir un dispositif d'aide à la marine marchande, incluant certaines aides indispensables (ACOMO) - revoir la loi sur les quirats notamment par l'allongement de la durée sous pavillon français |
Littoral |
Une urbanisation préoccupante, qui pourrait nuire au potentiel touristique du littoral |
- des réussites incontestables, notamment dans la qualité des eaux même si des efforts restent à faire (protection contre l'érosion, milieux humides, ...) |
- mettre un terme au flou juridique entourant la loi littoral et simplifier le cadre réglementaire - mieux prendre en compte l'environnement dans la fiscalité locale appliquée au littoral - étendre les avantages aujourd'hui accordés aux seules communes de montagne. |
Secteur |
Points faibles |
Efficacité des politiques menées |
Propositions |
Construction navale |
Les concurrents de la France bénéficient de nombreux atouts (faible coût du travail, sous-appréciation des taux de change, forte intégration entre les chantiers navals et les équipementiers, des efforts de recherche-développement, l'adossement à un marché intérieur civil et militaire) La France n'a pas de logique de filière affirmée |
La France a un des dispositifs d'aide les moins généreux et parmi les plus vulnérables La ratification de l'accord OCDE (interdiction des aides directes) entraînerait à très court terme la disparition de la construction navale française |
- développer l'effort de recherche-développement - développer la filière pétrochimique - rapprocher la construction navale civile et les arsenaux militaires - soutenir une filière en grande difficulté par des aides importantes et appropriées |
Les ports |
Une situation financière globalement bonne (désendettement, augmentation de la capacité d'autofinancement) mais une évolution des trafics défavorables sur moyen terme (pertes de parts de marché). |
- une réforme de la manutention portuaire avec une réduction significative des effectifs - une chute des crédits d'investissement compensée par l'implication des collectivités locales et l'autofinancement des ports |
- l'objectif principal doit être le renforcement de la compétitivité globale de la chaîne de transport avec une politique de desserte terrestre adéquate (desserte ferroviaire est-ouest même si elle est encore difficile à mettre en oeuvre, desserte fluviale notamment par le projet Seine-est) - renforcer la coopération entre les ports - concentrer les investissements dans les plus grands ports. - parachever la réforme de la manutention portuaire |
Fiches sectorielles
* 3 À l'exception de certaines informations nominatives ou à diffusion restreinte
* 4 Dans sa réunion du mardi 3 mars 1998, le bureau du Sénat a suivi les conclusions de l'office, et s'est prononcé en faveur de la publication du présent rapport