2.2 Une faible rentabilité d'exploitation
A. La structure des coûts
A1. La typologie des coûts du transport maritime
Les coûts sont les suivants :
- les coûts liés à l'investissement se déterminent à partir du prix du navire neuf ou d'occasion, des conditions de financement, des dispositions fiscales, des subventions et des aides. Compte tenu du montant des investissements et des faibles capacités des armateurs en fonds propres, les charges en capital pèsent sur les comptes de résultat des navires ;
- les coûts liés au voyage sont par nature fonction des routes et des ports desservis par les navires. Ils comprennent les frais de soute, les frais de port et les droits de passage des canaux (Suez, Panama...) et sont communs à tous les armateurs. Il existe cependant un différentiel sur les consommations des moteurs favorable aux navires les plus récents (à l'exception des navires à grande vitesse). Mais compte tenu du prix actuellement relativement bas des carburants, ce différentiel est faible ;
- les coûts liés à l'exploitation comprennent les postes réparations et maintenance, approvisionnements et lubrifiants, assurances, gestion ou administration et équipage.
Certains coûts sont communs à tous les armateurs. D'autres sont variables, D'une manière général, les nationalités - de la compagnie et du pavillon -jouent un rôle dans la détermination des coûts.
A2. Les causes nationales du différentiel de coût.
La majorité des grands armements ont une flotte composée à la fois de navires sous pavillon du pays d'origine de la compagnie et de navires sous pavillon de libre immatriculation.
Comme les capitaux sont accessibles sur les marchés internationaux, les coûts liés à l'investissement sont donc supposés être les mêmes pour tous. Cependant les disparités quant aux conditions de financement entre les compagnies sont réelles, et certaines d'entre elles ont recours à des financements non bancaires.
Le groupe AP Moller/Maersk, constitué en fondation, et les conglomérats coréens sont des exemples de compagnies bénéficiant d'un taux élevé d'autofinancement des investissements. La compagnie chinoise d'État Cosco ne répond pas aux mêmes impératifs comptables que ses concurrentes. Le système allemand de quirats a permis le financement d'une grande flotte de porte-conteneurs sous pavillon allemand. Cette flotte est affrétée par des compagnies exploitantes étrangères à des sociétés de gestion allemande.
Quelques exemples portant sur des grands groupes maritimes soulignent les écarts avec les armements français. Parmi les grands groupes, le groupe maritime et pétrolier danois A.P Moller, dont une de ces filiales est Maersk Line, dégage 5,11 Mds de dollars de chiffre d'affaires et déclare 341 millions de dollars de bénéfice en 1996. Il contrôle 230 navires, dont 150 en propriété. La filiale maritime Sea Land du groupe CSX, premier opérateur de chemin de fer aux Etats Unis, dégage à elle seule 1,98 Mds de dollars de chiffre d'affaires en 1996. L'armement japonais le plus important, Nippon Yusen Kaisa (NYK) contrôle 425 navires, dont 60 en propriété. NYK réalise 293,25 Mds de Yen de chiffre d'affaires (environ 2,53 Mds de dollars), pour un bénéfice avant impôt de 10,23 Mds de Yen (environ 86,5 millions de dollars) en 1996. L'armement français Delmas réalise 5,5 Mds de francs (soit environ 900 millions de dollars) de chiffre d'affaires en 1996, et gère 60 navires, dont 28 sont armés par Delmas et 12 sont sous pavillon français.
Dans un univers très concurrentiel, où les marges sont donc faibles, ce sont sur les coûts d'exploitation, et notamment sur le poste équipage, fonction du choix du pavillon, que se créent les plus grandes disparités.
Postes du coût d'exploitation |
Part du poste sur l'ensemble du coût d'exploitation |
réparation et maintenance |
20 % à 35 % |
approvisionnements et lubrifiants |
8 % et 10 % |
assurances |
15 % à 20 % |
frais de gestion |
10 % |
charges d'équipage |
25 % à 50 % |
Le poste réparations et maintenance représente 20% à 35% des coûts d'exploitation. Il comprend les réparations et la maintenance au cours de la période de navigation, et le passage en cale sèche, pour les plus gros travaux d'entretien et de révision du navire. Il est fonction de l'âge du navire, des règlements nationaux et internationaux, des politiques d'entretien des armements. Les pavillons les moins stricts permettent de suivre des politiques moins coûteuses d'entretien. Cependant un mauvais entretien compromet la valeur marchande du navire en cas de revente et peut pénaliser les facultés commerciales de l'armateur exploitant le navire.
Les approvisionnements et lubrifiants représentent entre 8 % et 10 % des coûts d'exploitation, selon les armements, et couvrent les besoins de matériel pour le fonctionnement du navire.
Les assurances comptent pour 15 % à 20 % des charges d'exploitation. Il s'agit d'une part d'une assurance sur la coque et la machine dite assurance corps de navire, et, d'autre part, d'une assurance portant sur la responsabilité de l'armateur en cas de sinistre, mutualisée au sein d'un groupement d'armateur (P&I club). Les statistiques de ces P&I club rappellent l'importance du facteur humain 17 ( * ) lors de dommages :
- erreur d'officier de pont 25 %
- erreur équipage 17 %
- erreur à quai 14 %
- défaut de structure 10 %
- défaut d'équipement 8 %
- défaut de mécanique 5 %
- erreur de pilotage 5 %
- erreur d'officier machine 2 %
- autres 14 %
Les frais de gestion administrative de l'équipage ne peuvent pas raisonnablement être différents entre les armements, et sont estimés aux environs de 10% des coûts d'exploitation. La gestion peut se faire grâce à des compétences internes à l'entreprise, mais aussi par des sociétés de « ship management », souvent filiales des compagnies maritimes, et prestataires de services pour d'autres compagnies.
Les charges d'équipage sont déterminantes : elles représentent de 25 % à 50% des coûts d'exploitation, suivant le type d'activité et le pavillon. Le pavillon détermine le nombre et les nationalités des marins, et aussi les salaires, les régimes sociaux et fiscaux applicables aux navigants. Trois types de pavillons sont à distinguer :
- les registres de libre immatriculation dits « pavillons de complaisance » qui offrent la possibilité d'engager des marins sans condition particulière de nationalité et déterminent les conditions de travail. Ils doivent respecter les normes internationales concernant les conditions de travail et les rémunérations, mais celles-ci procèdent d'une moyenne mondiale ;
- les « seconds registres » des pays occidentaux peuvent combiner navigants nationaux et navigants étrangers, selon des parts très variables. Certains sont exigeants, d'autres moins. Certains pays, comme le Danemark ou la Norvège, possèdent des accords avec des syndicats de marins des pays les plus sollicités, comme les Philippines et l'Inde. Les marins nationaux y bénéficient d'exemption de charges et d'imposition. À titre d'exemple, un officier français reçoit un salaire net de 25 000 FF par mois pour un montant brut de 55 000 FF, alors qu'un officier norvégien reçoit un salaire net de 30 000 FF à 35 000 FF par mois, pour un montant brut de 45 000 FF ;
- les pavillons principaux appliquent les conventions collectives et le code du travail en vigueur dans l'État.
La politique de gestion des armements dans le cadre légal du pavillon choisi et des règles de sécurité propres à chaque activité du navire définit la composition et les rotations de l'équipage. À titre d'exemple, le nombre réglementaire de postes à bord défini par l'administration française des Affaires Maritimes, comparé au nombre réglementaire moyen de postes en Europe, est de 18 contre 15 pour un navire citerne de 9 000 jb 18 ( * ) (+ 20 %), 16 contre 11 pour un navire transporteur de marchandises générales de 3300 jb (+ 45 %) et 12 contre 9 pour un navire transporteur de marchandises générales de 1500 jb (+33%). En moyenne, en France, le coefficient de rotation pour un an de navigation est 1,8 équipage par navire et se situe dans la moyenne européenne. Les compositions d'équipage portent sur le nombre d'officiers et de marins et la proportion de nationaux sur les navires immatriculés sous second registre (TAAF pour la France).
La grille (ci-après) des salaires de marins de différentes nationalités souligne les disparités des coûts du travail sur le marché international. Les salaires sont ceux observés et validés par le seul syndicat international actif dans le secteur : l'International Transport workers Fédération (ITF).
Les salaires mensuels des navigants sur pétroliers (en dollars), comprennent les heures supplémentaires, les relèves et les cotisations de prévoyance et de retraite :
Officiers |
personnels d'exécution |
|
Moyenne Europe du Nord |
7 100 $ |
nc |
France |
8 300 $* |
6 500 $** |
Royaume Uni |
5 550 $ |
2 500 $ |
Portugal |
5 115 $ |
2 005 $ |
Croatie |
5 000 $ |
1 100 $ |
Pologne |
3 000 $ |
1 107 $ |
Russie |
2 400 $ |
1 100 $ |
Inde |
3 170 $ |
1 000 $ |
Philippines |
2 170 $ |
991 $ |
Chine |
2 070 $*** |
690 $ |
Afrique du Sud |
nc |
1 107 $ |
* : officier polyvalent en début de carrière.
** : salaire d'un premier maître français
*** : non agréé par l'ITF.
(sources : LSE, Precious Associates Ltd, maritime consultant & ISF, enquêtes- 1996-)
Pour le cabotage, le différentiel de coût entre un équipage formé exclusivement de marins européens et un équipage mixte (européen et non européen) peut être de 25 à 60 %, selon la proportion de marins étrangers autorisée. Les navires sous registre DIS (second registre danois), peuvent être armés d'un seul navigant danois, le commandant, le reste de l'équipage étant engagé aux conditions internationales les plus économiques. La formation d'équipages mixtes se rencontre sur les navires appartenant aux seconds registres européens. Le salaire de base d'un marin non européen, il personnel d'exécution qualifié sur les navires battant pavillon européen, est proposé par le BIT à 900 $ hors charges par mois. Pour le marin européen, il est d'environ 2000/2500 $ par mois. Lorsqu'il s'agit de navires sous registres ouverts (de complaisance), le salaire mensuel plancher du même marin est de 440 $ hors charges.
Coût d'équipage au cabotage (petites unités), charges incluses :
Taille du navire |
1500 tjb |
3000 tjb |
Tanker 9000 tjb |
Base moyenne UE |
100 |
100 |
100 |
France Métropolitain |
171 |
172 |
161 |
TAAF |
113 |
109 |
94 |
Danemark coût moyen registre bis (DIS) |
136 46 |
129 41 |
135 41 |
Allemagne registre bis (ISR) |
80 52 |
75 63 |
92 77 |
Grèce |
86 |
94 |
77 |
Italie |
72 |
75 |
96 |
Pays Bas coût moyen coût minimum |
46 32 |
54 29 |
41 27 |
Espagne registre bis (REC) |
95 71 |
98 74 |
93 70 |
Portugal registre bis (Madère) |
69 41 |
65 38 |
69 41 |
Suède |
190 |
177 |
154 |
Royaume Uni |
85 |
87 |
70 |
Norvège registre bis (NIS) |
162 69 |
168 56 |
197 79 |
(source : Mercer consultant, base ISF -1996-)
B. La spéculation au secours d'une rentabilité d'exploitation incertaine.
La rentabilité d'exploitation incertaine, doit être secondée par un comportement actif et pertinent d'achat/vente de navires. Une évaluation simplifiée, du rendement du transport maritime sur le vrac montre que l'exploitation ne permet que rarement d'envisager des Taux de Rendements Internes (TRI) suffisants. Des prises de position gagnantes sur le marché d'achat/vente sont donc nécessaires. Le graphique suivant compare le taux moyen d'affrètement 19 ( * ) requis pour obtenir un TRI de 10% et le taux d'affrètement réalisé sur les 5 dernières années, étant donné les prix d'occasion et du neuf pour les différents types de pétroliers.
Un autre exemple sur un vraquier panamax de 75000 tpl 20 ( * ) , construit au début des années 1990 pour une valeur de 20 millions de dollars, montre l'importance d'une juste anticipation des prix des navires à terme et confirme la faiblesse des rendements. Les hypothèses suivantes sont retenues : le navire est acheté, affrété à temps pendant 5 ans et revendu au terme de ces 5 ans. Le prix d'achat est un prix de marché moyen et le prix de revente est celui estimé au moment de l'achat (sans commission). Le taux d'affrètement à temps est le taux moyen du marché, moins une commission de 2,5 %, avec une augmentation annuelle de 2,5 %, le navire étant affrété 355 jours par an. Les paramètres des coûts d'exploitation sont un registre de pavillon de libre immatriculation avec un équipage asiatique de 22 hommes, rémunérés au taux ITF (International Transport workers Fédération), avec 5 % d'augmentation par an. Les provisions pour la mise en cale sèche sont incluses.
Le TRI est calculé sur 5 ans, en incluant dans le flux de recette le produit brut de la revente.
Résultats :
Vraquier panamax :
Prix d'achat en (M $) en 91
20 Anticipé en 1991 |
20 réalisé en 1996 |
|
Prix de revente en (M $) |
18,5 |
13,5 |
Coût d'exploitation moyen ($ en jour) de 1991 à 96 |
5 000 |
5 000 |
Affrètement à temps 21 ( * ) moyen ($ en jour) de 1991 à 96 |
11 000 |
11 000 |
TRI global |
+ 10 % |
+ 4 % |
(sources Lloyd Shipping Economist, Drewry Shipping Consultant)
Pour ce qui concerne la ligne régulière, la baisse des taux de fret et les stratégies de regroupement des compagnies dans un marché très concurrentiel, ne créent pas des conditions favorables à une forte rentabilité. La logique d'optimisation de la gestion patrimoniale doit alors être accompagnée d'une politique commerciale très agressive, afin d'augmenter les parts de marché.
* 17 Dans ces statistiques, le facteur humain intervient pour un sinistre sur deux. Dans une telle situation, le rôle de la formation initiale et continue est prépondérant pour écarter les risques d'accident.
* 18 Jauge Brut (jb), (cf glossaire).
* 19 Prix de location des navires.
* 20 Tonne de Port en Lourd est une capacité de charge (cf. glossaire).
* 21 Location d'un navire pour une durée déterminée (cf. glossaire).