Audition de Luc FERRY et Pierre SAGET |
Respectivement Président et secrétaire
général
du Conseil national des programmes
Résumé : Face à une certaine réticence du milieu intellectuel à l'égard de tout ce qui est nouvelles technologies, il faut trouver une argumentation forte prouvant que celles-ci sont véritablement utiles sur le plan pédagogique. Le Conseil national des programmes a demandé que, dans les nouveaux programmes de 6è, le traitement de texte soit le minimum enseigné en technologie : l'école doit en effet intégrer l'apprentissage des nouvelles technologies pour aider à dépasser les inégalités entre ceux qui ont les moyens de les pratiquer et les autres.
1. Le milieu intellectuel a toujours fait preuve d'une certaine réticence à l'égard de tout ce qui est nouvelles technologies ; la France offre d'ailleurs une assez longue histoire de la critique de la modernité, de la technologie et particulièrement du domaine de l'image, pratiquement depuis le livre de Guy DEBORD ( La société du spectacle ), jusqu'aux travaux de Régis DEBRAY.
2. Dans un certain milieu enseignant , on retrouve la même réticence à l'égard de l'entrée de ces nouvelles technologies à l'école. Chez les littéraires , cela correspond à « faire entrer le loup dans la bergerie », avec l'idée que les enfants regardent déjà suffisamment la télévision, qu'on va tuer le livre, privilégier tout ce qui est de l'ordre de l'émotion contre la réflexion , que c'est contraire à la distanciation nécessaire pour véritablement apprendre les savoirs fondamentaux... Je ne suis franchement pas de cet avis.
3. Les moyens , en gros, sont là, contrairement à ce qu'on dit partout : il semblerait qu'il n'y ait aucune difficulté à équiper les établissements scolaires en ordinateurs multimedia par le biais des collectivités locales, des pouvoirs locaux ; le problème n'est donc pas tant celui des moyens que celui de l'absence de demande .
4. En revanche, les nouvelles technologies soulèvent une critique immédiate : on a la nette impression que l'offre précède la demande (la technologie est disponible mais le consommateur, à la limite, ne sait pas ce qu'il va en faire). Dans cet esprit, les CD-ROM seraient très utiles sur un plan pédagogique, à condition, d'abord, de justifier leur intérêt véritable à l'intérieur du monde scolaire.
5. Le risque de créer une atomisation du social est réel, le rôle fondamental de la télévision étant de créer une sorte « d'espace public privé », tout au moins un espace commun. Souvent on discute, le lendemain, d'une émission vue à la télévision la veille : il se crée ainsi un espace de sens commun autour de cet objet télévisuel. Avec 30 chaînes, il sera beaucoup plus difficile de parler du même sujet au bureau le matin ! Ce risque là me semble tout à fait justifié.
6. Dire que l'image tue le livre est totalement faux et constitue une espèce de manipulation intellectuelle du type « années 60 » ; en revanche, sur l'usage et l'intérêt de la chose, un problème réel se pose.
7. Le Conseil national des programmes a demandé que, dans les nouveaux programmes de 6 è , les professeurs de technologie aient l'obligation d'enseigner au moins le traitement de texte , afin que les élèves apprennent à se servir d'un clavier et commencent à comprendre le fonctionnement d'un ordinateur. Tous les enfants entrant aujourd'hui en 6 è auront un jour à se servir de ces outils ; c'est le problème de l'égalité démocratique qui se pose dans ce domaine. L'école doit aider à y accéder et donc intégrer l'usage des nouvelles technologies dans ses programmes.
8. (Pierre SAGET). L'utilisation des nouvelles technologies ne remet pas du tout en cause les problèmes d'apprentissage de la lecture : au contraire , cela implique presque une maîtrise de la lecture plus performante . Si l'on veut combattre les idéologies qui soutiennent le contraire - dont la puissance est extrême dans le milieu intellectuel, donc scolaire - il faut être capable de justifier un vrai usage du multimedia . On ne peut se contenter de dire « La France va prendre du retard » parce que « les intellos s'en fichent » (« on n'a pas besoin d'être en avance si c'est sur une mauvaise voie ! »). Bien plutôt il faut trouver une argumentation forte pour expliquer la véritable utilité, l'intérêt réel sur le plan pédagogique, culturel et scolaire, des nouvelles technologies. Des arguments tels que « l'apprentissage des nouvelles technologies est utile parce qu' il faut préparer nos enfants à la mondialisation » n'apportent rien : tous ceux qui sont hostiles à la mondialisation - c'est à dire une grande majorité d'enseignants - entendent par là « grand capital » ... Il n'y aura pas de réformes si le personnel enseignant n'est pas convaincu de leur intérêt.