B. QUELLE PLACE POUR L'UEO ?
L'UEO est devenue, grâce au traité de Maastricht
et après une longue période d'hibernation interrompue en 1984,
l'instrument militaire
de l'Union européenne. L'article 14 du
traité sur l'Union européenne, relatif à la PESC et
à l'ambition " à terme " d'une défense commune,
précise que
" l'Union (européenne), demande à
l'UEO (...) d'élaborer et de mettre en oeuvre les décisions et
les actions de l'Union qui ont des implications dans le domaine de la
défense ".
Mais ce même traité subordonnait
déjà, dans le même temps, la marge d'autonomie de l'Union
européenne et de l'UEO en matière de sécurité et de
défense à la
" nécessaire compatibilité
avec les obligations contractées par les Etats dans le cadre de
l'Alliance atlantique "
, ce qui était tout dire...
Au demeurant, la volonté, longtemps affirmée par la France, de
donner une autonomie réelle à l'UEO par rapport à l'OTAN,
s'est heurtée à de multiples obstacles :
- obstacles opérationnels
: les moyens de l'UEO, plus que
limités, étant sans commune mesure avec ceux de l'OTAN ;
-
obstacles politiques
: liés à la volonté des
partenaires européens de la France de poursuivre leur effort de
défense dans le cadre de l'OTAN qui a façonné depuis des
années leurs forces militaires et leurs stratégies ;
-
obstacles économiques
: l'idée d'une structure de
défense faisant double emploi avec l'OTAN, à l'heure des
restrictions budgétaires dans la plupart des Etats membres, a
éloigné ces derniers d'une position favorable à une UEO
forte.
1. Quelles capacités pour quelles missions ?
Le 19 juin 1992, lors d'une réunion du Conseil de l'UEO
à Petersberg, les ministres de l'organisation européenne de
sécurité et de défense ont explicitement décrit
les
missions que l'UEO pourrait avoir à remplir
. Ces missions,
dites de Petersberg, sont les suivantes
2(
*
)
:
- des missions humanitaires ou d'évacuation de ressortissants ;
- des missions de maintien de la paix ;
- des missions de forces de combat pour la gestion des crises, y compris des
opérations de rétablissement de la paix.
Remarquons d'emblée que l'UEO n'a pas l'apanage exclusif de ces
missions, l'Alliance Atlantique ayant, la même année, à
Oslo, revendiqué, pour elle-même, ces missions de gestion de
crise. L'expérience et l'actualité démontrent par ailleurs
que ces nouvelles missions de " gestion de crises " ont
été principalement exécutées par l'OTAN -le cas de
la Bosnie est le plus éclairant- et subsidiairement par l'UEO via la
surveillance des embargos sur le Danube et sur l'Adriatique.
Au demeurant, de quelles capacités opérationnelles l'UEO
dispose-t-elle aujourd'hui ?
Sur le plan technique et pour la préparation des plans d'action, une
cellule de planification
comprenant une cinquantaine d'officiers
élabore les plans de circonstances pour les opérations que l'UEO
pourrait entreprendre, sans cependant que cette cellule soit à
même d'assurer le commandement opérationnel des forces et encore
moins de constituer un véritable état-major permanent.
En matière de reconnaissance et de renseignement, l'UEO ne dispose que
de capacités embryonnaires avec le
Centre satellitaire,
opérationnel depuis juin 1996, situé à Torrejon
près de Madrid, chargé d'interpréter les données
provenant des satellites d'observation ou de renseignement.
Egalement opérationnel depuis juin 1996, un
centre de situation
,
placé sous l'autorité du directeur de la cellule de
planification, a pour mission de surveiller les zones de crises
désignées par le Conseil ainsi que le déroulement des
opérations de l'UEO.
Ces structures, de création récente pour la plupart, ne sont donc
qu'embryonnaires. Au surplus, les Européens, comme le rappelait en juin
1997 le secrétaire général de l'UEO, souffrent encore de
lacunes dans les domaines du commandement, du contrôle, des
transmissions, du renseignement, de la mobilité stratégique et de
l'interopérabilité. Ces lacunes relativisent le caractère
pleinement opérationnel des forces proprement dites affectées par
les Etats-membres à l'UEO, dites
forces relevant de l'UEO
pour
des missions d'ampleur. Ces forces multinationales sont les suivantes :
- le
Corps européen
regroupant des éléments
allemands, français, belges, espagnols et luxembourgeois, lequel, bien
que qualifié d'"opérationnel" dès 1993, n'a jamais
exécuté la moindre mission.
- la
division multinationale centrale
composée d'unités
allemandes, belges, britanniques et néerlandaises ;
- la
force amphibie
britanno-néerlandaise ;
- l'état-major du
Premier Corps germano-néerlandais
;
- la
Force amphibie italo-espagnole.
-
Eurofor
(force opérationnelle rapide) et
Euromarfor
(force maritime européenne) regroupant chacune la France, l'Espagne,
l'Italie et le Portugal et qui font l'objet du présent rapport.
Si l'on voulait schématiser à l'extrême la situation de
l'UEO entre l'organisation atlantique et l'Union européenne, on pourrait
dire que l'organisation européenne de défense relève
d'
une
double dépendance
:
dépendance militaire
à l'égard de l'OTAN, dépendance politique à
l'égard de l'Union européenne
.
Encore cette dernière dépendance est-elle dans la logique de
l'élaboration d'une politique étrangère et de
sécurité commune qui serait décidée, conduite et
mise en oeuvre par l'Union européenne, y compris dans ses implications
militaires éventuelles, ce qui est encore loin d'être le cas.
A ce sujet, la complexité des procédures mises au point pour les
opérations menées par l'Union européenne et l'UEO en
application de l'article J7-3 du traité d'Amsterdam n'est sans doute pas
de nature à permettre à l'Union européenne des prises de
décision commune et des réaction rapides.
La nature du lien entre Union européenne et UEO avait en effet
été l'un des thèmes abordés lors de la
Conférence intergouvernementale qui a conduit au traité
d'Amsterdam. L'option ouverte était triple : le statu quo -défini
par Maastricht-, l'établissement de liens plus étroits entre les
deux organisations, enfin la fusion entre l'UEO et l'Union européenne.
2. Quelle relation entre l'UEO et l'Union européenne ?
Les dispositions du traité de Maastricht relatives
à la
"définition à terme d'une politique de
défense commune (qui puisse) conduire, le moment venu, à une
défense commune",
permettaient que l'Union européenne
reprenne, à terme, les attributions de l'UEO en matière de
défense et de sécurité.
Cela étant, le traité d'Amsterdam n'a pas permis de
véritable avancée sur ce point. L'éventuelle
intégration de l'UEO dans l'Union européenne, qui aurait permis
une cohérence dans le domaine de la PESC et une simplification du
processus décisionnel, sera subordonnée à une
décision du Conseil, en conformité avec les exigences
constitutionnelles respectives des Etats-membres.
Le traité d'Amsterdam a toutefois permis quelques progrès : les
objectifs de la PESC intègrent les missions dites de Petersberg. L'Union
européenne aura recours à l'UEO pour élaborer et mettre en
oeuvre les décisions et les actions de l'Union qui ont des implications
dans les domaines de la défense. Le Conseil exercera sa
compétence d'orientation générale liée à la
PESC sur l'UEO lorsque l'Union européenne aura recours à l'UEO.
Enfin, chaque fois que l'Union européenne demandera à l'UEO de
mettre en oeuvre ses décisions relatives à des missions
Petersberg, tous les Etats membres de l'Union apportant une contribution
à la mission
"pourront participer pleinement et sur un pied
d'égalité à la planification et à la prise de
décision au sein de l'UEO"
3(
*
)
.
La mise en oeuvre de cette disposition, qui concerne les pays
observateurs
4(
*
)
auprès de
l'UEO membres de l'Union européenne pourrait entraîner
juridiquement des conséquences plus lourdes que les "modalités
pratiques" auxquelles fait référence le Traité.
Dans une de ses recommandations
5(
*
)
, la commission permanente de
l'Assemblée de l'Union de l'Europe Occidentale a exprimé sa
crainte que
"les difficultés rencontrées jusqu'ici par l'Union
européenne pour prendre des décisions communes et réagir
rapidement à une situation de crise particulière (...) ne soient
aggravées par
l'extrême complexité du projet de
procédure mis au point pour les opérations menées par
l'Union européenne et l'UEO
, conformément à l'article
J.7.3 du Traité d'Amsterdam".
Le traité d'Amsterdam mentionne par ailleurs, à plusieurs
reprises, le rôle de l'OTAN comme
cadre privilégié de
défense
commune entre certains Etats-membres. M. Vrettos, rapporteur
à l'assemblée de l'UEO écrivait le 19 novembre 1997 :
" Les décisions qui ont été prises, ou ne l'ont
pas été, par l'Union européenne à Amsterdam et par
l'Alliance atlantique à Madrid ont engendré une situation
laissant planer de graves doutes quant à savoir si le projet de
défense
européenne commune est toujours l'objectif
politique que poursuivent réellement tous les gouvernements des pays
européens concernés. Alors qu'il semblerait que l'Alliance
atlantique et l'OTAN soient parvenues à s'adapter plus efficacement
à la nouvelle situation sécuritaire internationale, on a
l'impression que les Européens sont toujours à la traîne.
Cette impression a été (...) renforcée par les maigres
progrès enregistrés à Amsterdam dans la constitution d'une
identité européenne de sécurité et de
défense dans le cadre de l'Union européenne ".
On ne saurait mieux dire, mais il est permis de souligner que cette analyse
concourt trop visiblement à établir la primauté de l'OTAN.
3. La dépendance militaire assumée
On fait souvent valoir que l'un des principaux acquis de la réforme interne de l'OTAN aura été la prise en compte de l'identité européenne de sécurité et de défense (IESD) au sein de l'Alliance. La désignation d'un adjoint européen au SACEUR, la tenue de sessions conjointes des conseils de l'UEO et de l'OTAN, la conclusion d'un accord de sécurité facilitant l'échange d'informations classifiées, l'utilisation par l'UEO du système de télécommunications intégré de l'OTAN, une meilleure coopération entre les deux secrétariats, illustrent cette tendance. Surtout, le principe des GFIM, associé à la mise à disposition de l'UEO de certains moyens de l'OTAN, ont pour objet de concrétiser tout à la fois la possibilité d'une action militaire purement européenne et le nécessaire recours à des moyens et à des structures de l'OTAN pour la mener à bien. Il est clair néanmoins que cette subordination obligée sera d'autant plus réduite que l'UEO aura réussi à se doter de moyens opérationnels propres. Cela concerne les capacités de renseignement et de projection, mais aussi les unités multinationales. Relevons que la mise à disposition de moyens de l'OTAN (moyens américains pour l'essentiel) pour une opération européenne nécessitera un accord préalable du Conseil atlantique et donc l'aval des Etats-Unis, ce qui n'est pas peu dire. Comme le relève avec franchise le Président de l'Assemblée de l'UEO : " Il ne fait aucun doute que l'offre des moyens de l'OTAN pour les opérations de l'UEO recouvre une volonté d'intervenir dans la prise de décision et il ne saurait en être autrement " . Malgré tout, poursuit le Président de Puig avec optimisme " malgré l'existence d'une certaine volonté d'influencer et même de diriger le cours des événements, la voie ouverte à Madrid est très favorable à l'Europe ".