N° 183
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SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 1997-1998
Annexe au procès-verbal de la séance du
RAPPORT D'INFORMATION
FAIT
au nom de la commission des Affaires étrangères, de la défense et des forces armées (1) sur les forces européennes Eurofor et Euromarfor.
Par MM. Michel CALDAGUÈS et André BOYER,
Sénateurs
(1) Cette commission est composée de :
MM.
Xavier de Villepin,
président
; Jean Arthuis, Yvon Bourges, Guy
Penne, Jean Clouet, François Abadie, Mme Danielle Bidard-Reydet, M.
Jacques Genton,
vice-présidents
; MM. Michel Alloncle, Jean-Luc
Mélenchon, Serge Vinçon,
Bertrand Delanoë,
secrétaires
; Nicolas About, Jean Arthuis, Jean-Michel Baylet,
Jean-Luc Bécart, Jacques Bellanger, Daniel Bernardet, Pierre
Biarnès, Didier Borotra, André Boyer, Mme Paulette Brisepierre,
MM. Michel Caldaguès, Robert Calmejane, Mme Monique Cerisier-ben
Guiga, MM. Charles-Henri de Cossé-Brissac, Pierre Croze, Marcel
Debarge, Jean-Pierre Demerliat, Xavier Dugoin, André Dulait, Hubert
Durand-Chastel, Claude Estier, Hubert Falco, Jean Faure, Philippe de Gaulle,
Daniel Goulet
,
Jacques Habert, Marcel Henry, Roger Husson, Christian de
La Malène, Edouard Le Jeune, Maurice Lombard, Philippe Madrelle, Pierre
Mauroy, Mme Lucette Michaux-Chevry, MM. Paul d'Ornano, Charles Pasqua, Alain
Peyrefitte, Bernard Plasait, Régis Ploton, André Rouvière,
André Vallet.
Mesdames, Messieurs,
En mai 1995, deux nouvelles forces européennes multinationales ont
été créées : une force terrestre, Eurofor, une
force aéromaritime, Euromarfor. Regroupant la France, l'Espagne, le
Portugal et l'Italie, elles ont pour théâtre naturel la zone
méditerranéenne et pour missions les opérations
humanitaires, de maintien ou de rétablissement de la paix.
Vos rapporteurs, après un déplacement à Florence,
siège de l'état-major d'Eurofor et des entretiens avec des
représentants de chacune des deux forces, ont souhaité, par le
présent rapport d'information, présenter les principales
caracteristiques de ces euroforces.
Il est apparu opportun de rappeler tout d'abord le contexte institutionnel dans
lequel ces forces trouvent leur place : l'Organisation atlantique se
réforme et s'adapte, encore qu'imparfaitement ; l'UEO devra
établir des relations nouvelles avec l'Union européenne, d'une
part et l'OTAN, d'autre part.
Par ailleurs la Méditerranée, zone naturelle de
déploiement de ces forces, apparaît à beaucoup comme le
cadre de multiples tensions aux traductions diverses qui concentrerait les
germes de crises à venir.
Autre enjeu de ces Euroforces, l'identité européenne de
sécurité et de défense : thème défendu et
prôné par la plupart des pays concernés, elle semble
trouver avec difficulté les moyens de son expression. Il revient
à ces Euroforces, mieux qu'au Corps européen qui les a
précédées, de tenter d'incarner dans les faits une
ambition que les crises européennes récentes, paradoxalement,
n'ont pas permis de mettre en oeuvre.
I. LE CONTEXTE INSTITUTIONNEL ET STRATÉGIQUE DES EUROFORCES
A. LA RÉFORME DE L'ORGANISATION ATLANTIQUE
L'alliance atlantique, appuyée par son organisation militaire intégrée, a assumé jusqu'à l'avènement, en 1991, du nouveau contexte géostratégique, la sécurité et la défense du monde occidental. Depuis six ans, les 16 pays membres de l'Alliance atlantique ont, par touches successives, redessiné le format, les missions et les structures de l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord.
1. L'élargissement à l'Est
La " demande de sécurité " exprimée par les pays d'Europe centrale et orientale dès l'éclatement de l'URSS, associée au souci des " 16 " de projeter vers cette zone " la stabilité atlantique " ont conduit au projet d'élargissement de l'Alliance. Celui-ci, très mal perçu par la Russie, a été compensé par la mise en place en 1997 d'un dialogue spécifique entre l'Alliance et la Russie, puis entre l'Alliance et l'Ukraine, à travers un Acte fondateur conclu avec la première et une Charte de coopération avec la seconde. Cette évolution vers l'Est s'est faite en trois temps : création en 1992 du Conseil de coopération Nord-Atlantique -enceinte de dialogue entre les 16 de l'Alliance et les pays neutres observateurs de l'UEO d'une part, et les pays d'Europe centrale et orientale d'autre part ; mise en place en 1994 du " Partenariat pour la paix ", structure contractuelle conçue comme un processus de consultation politique doublé d'une possibilité de planification, d'entraînement et d'exercices conjoints, afin d'améliorer l'interopérabilité des forces et développer une doctrine de sécurité commune. Un Conseil de Partenariat euro-atlantique (CPEA), créé le 30 mai 1997 a par ailleurs pour objectif d'élargir le domaine des consultations politiques et d'associer progressivement les partenaires de l'Est aux structures militaires de l'OTAN. Enfin, le 8 juillet 1997, décision, au Sommet de Madrid, d' élargir l'Alliance dans un premier temps et avant 1999 à trois pays d'Europe centrale et orientale : la Pologne, la Hongrie et la République tchèque.
2. Des missions et des structures rénovées
Si la mission originelle de l'Alliance -défense de ses
membres contre toute attaque (article 5)- est confirmée, sa
capacité militaire est réorganisée sur la base de quatre
données :
réduction à 100 000 hommes
(soit une
baisse de 65 %) des effectifs américains, portant ainsi à 60 % la
part des troupes européennes dans les forces de l'OTAN ;
création d'unités multinationales
, celle en 1993 de deux
corps d'armée germano-américains après celle, en 1991, du
corps de réaction rapide de commandement allié en Europe (ARRC),
liée à la mise en avant de la polyvalence et de la
flexibilité par le recours aux forces de réaction et de
projection ou encore par le concept de groupes de forces armées
multinationales (GFIM).
Surtout les Conseils atlantiques d'Oslo (4 juin 1992) et de Bruxelles (17
décembre 1992), ont assigné à l'OTAN
des missions
nouvelles
comme la mise en oeuvre d'opérations de gestion de crises
ou de maintien de la paix sous l'égide de l'ONU ou de la CSCE (devenue
OSCE).
L'allégement des structures militaires intégrées
,
conçues pour des perspectives d'engagement terrestre massif, en
Centre-Europe, était le corollaire nécessaire des adaptations des
missions liées au nouveau concept stratégique. La structure des
commandements a donc été modifiée. Si les deux
commandements stratégiques SACLANT et SACEUR demeurent, les
commandements de second rang, actuellement au nombre de trois, seront
réduits à deux. Seuls demeureront le commandement Sud (AFSOUTH),
basé à Naples, et le commandement Centre-Europe (AFCENT),
basé aux Pays-Bas, le commandement Nord-Ouest Europe, situé en
Grande-Bretagne, étant supprimé. Les commandements de 3e rang
seront fortement réduits, ceux de 4e rang étant supprimés.
3. Une certaine européanisation de l'OTAN
S'il s'agit, par ces différentes réformes,
d'adapter l'Alliance à la nouvelle configuration stratégique
européenne, il faut également y voir l'occasion de
donner une
meilleure place aux acteurs européens en matière de
défense
.
Dès 1991, lors du Sommet de Rome, l'OTAN avait fait mention de la
nécessaire
" complémentarité entre l'Alliance et
l'identité européenne de sécurité et de
défense qui prend forme au sein des Douze et de l'UEO ".
Le soutien de l'Alliance au développement, en son sein, d'une
identité européenne de sécurité et de
défense, a pris une expression plus précise au Sommet de
Bruxelles de janvier 1994 et surtout au Conseil atlantique de Berlin en juin
1996 où des décisions de principe importantes ont
été arrêtées.
"
Depuis cette date il
est acquis que la concrétisation progressive de l'IESD est l'un des
trois objectifs fondamentaux de l'Alliance avec le maintien de la
cohésion transatlantique et l'adaptation de la structure militaire de
l'OTAN au contexte de paix en Europe "
1(
*
)
.
De fait, une partie des réformes internes engagées par l'Alliance
tend à cette fin : institution d'un adjoint européen au SACEUR ;
mise en place du concept des GFIM, déjà évoqué,
dont l'un des objectifs est de permettre à une coalition d'Etats
européens d'engager seule une opération de gestion de crise en
bénéficiant des moyens -logistique, communications,
renseignement- de l'OTAN. Enfin, le débat qui a opposé la France
et certains de ses partenaires européens d'une part aux Etats-Unis
d'autre part sur l'européanisation du Commandement régional Sud
(AFSOUTH) s'inscrivait du point de vue français, dans la logique d'une
nécessaire concrétisation d'une identité européenne
de défense " au sein de l'Alliance ".
Au demeurant, les faits eux-mêmes témoignent de
l'européanisation des crises, laquelle justifie, à elle seule, la
légitimité d'une meilleure européanisation du principal
outil de sécurité pour le continent. Le premier engagement
militaire de l'OTAN depuis sa création aura eu lieu en Europe
-ex-Yougoslavie- et le maintien en Bosnie-Herzégovine d'une situation
pacifiée dépend encore largement de son implication
politico-militaire.
Quelle place l'émergence souhaitée d'une véritable
identité européenne de sécurité et de
défense au sein de l'Alliance laissera-t-elle à l'UEO, seul outil
institutionnel européen de sécurité et de défense ?