II. LA CONCENTRATION THÉMATIQUE ET GÉOGRAPHIQUE : VRAIE REFORME OU FAUX SEMBLANT ?

A. LA NOUVELLE RÉPARTITION PROPOSÉE

Le contexte de rigueur budgétaire et de valorisation de l'utilisation des ressources financières obligent à une politique de redistribution des fonds plus sélective. La Commission propose donc de resserrer l'effort sur trois objectifs, au lieu des sept existants, et de concentrer l'intervention communautaire sur les régions les plus sensibles.

1. Deux objectifs régionaux et zonés :

a) Un objectif 1 plus restrictif
· pour qui ?

Resteraient éligibles à cet objectif, pratiquement inchangé, les régions en retard de développement. Toutefois, celles-ci seraient désormais appréciées en appliquant plus strictement le critère de PNB par habitant inférieur à 75 % de la moyenne communautaire . La Commission a donc fait le choix de maintenir l'aide structurelle aux régions pauvres des pays riches de l'Union.

Aux dires de la Commission, ce critère objectif sera apprécié sur la base du PNB de l'Union à quinze et restera valable pour toute la période de programmation. Il n'est donc pas prévu de recalculer une nouvelle moyenne communautaire au fur et à mesure des adhésions successives.

· comment ?

A échéance 2000-2006, une grande part des régions actuellement couvertes seraient donc exclues du bénéfice de l'objectif 1 : on parle de l'Irlande intégralement, de la Corse et de la Sardaigne, du Hainaut belge et français, des Pouilles, des régions de Lisbonne et, peut-être, de Valence..., soit au total environ 20 millions d'habitants. Pour ces régions, une phase transitoire de sortie douce du dispositif (" phasing out ") sera ultérieurement prévue ; ses modalités pourraient être proposées par la Commission en février ou mars 1998.

Par un hasard qui devrait aider à l'acceptation du nouveau dispositif, tous les Etats membres sont concernés par cette réduction, à l'exception de la Grèce et des Länder de l'ancienne Allemagne de l'Est.

Par ailleurs, la situation particulière des régions ultrapériphériques -pour lesquelles un nouvel article et un protocole ont été introduits dans le traité- conduira à les assimiler de façon spécifique à l'objectif 1, disposition qui bénéficiera aux quatre départements d'outre-mer français. De même, les régions nordiques de l'ex-objectif 6 sortant de l'objectif 1, nouvelle version, bénéficieraient d'arrangements particuliers.

· combien ?
Les deux tiers des crédits des fonds structurels seront consacrés à ce seul objectif (8( * )) , qui continuera ainsi de bénéficier de la même priorité que celle actuellement en vigueur.

En valeur, cet engagement aboutit à accroître l'enveloppe de l'objectif 1 de 20 % environ , pour atteindre 160 milliards d'écus, alors même que le nombre des bénéficiaires potentiels est en net recul. Cette situation est paradoxale si l'on rappelle que la Commission entendait réduire le poids de l'objectif 1 dans l'enveloppe globale. Ceci se traduira nécessairement par une diminution des fonds destinés aux deux autres objectifs.
b) Un objectif 2 plus large
· une grande ambition

Le nouvel objectif 2 regrouperait désormais les actuels objectifs 2, 5b et 3, partiellement, ainsi que le programme d'initiative communautaire (PIC) Urban. Comme aujourd'hui, son champ géographique sera distinct de celui couvert par l'objectif 1.

Son nouveau domaine d'action consisterait en la promotion et le soutien au développement des régions en mutation économique (industrie et services), en restructuration, en difficulté économique ou des zones urbaines fragiles et rurales en déclin précisément identifiées. L'aspect urbain, qui constitue une novation, conduirait à prendre en compte non pas une ville dans son intégralité, mais ses quartiers en difficulté. Il est en outre prévu d'agir dans les régions frappées par la crise de la pêche pour lesquelles un effort particulier serait accompli.

La Commission évoque de multiples voies d'intervention dans ce domaine, afin de valoriser le potentiel de développement économique de ces régions, d'accompagner les restructurations et d'encourager les adaptations nécessaires, notamment par l'éducation, la formation et l'accès aux nouvelles technologies : renforcer le soutien aux PME et à l'innovation, privilégier la formation professionnelle, protéger l'environnement, réhabiliter les quartiers difficiles, lutter contre l'exclusion sociale...

L'idée générale est de faire en sorte que toutes les actions fassent désormais l'objet d'un projet unique de l'objectif 2, ce qui permettra une plus grande cohérence d'ensemble et un allègement des procédures.

· des critères encore flous
Globalement, l'objectif affiché est celui de l'action en faveur de l'emploi, suivant de nouveaux critères d'éligibilité qui restent à élaborer. Des critères communautaires seront précisés, comme le taux de chômage national, le niveau de l'emploi industriel, le degré d'exclusion sociale, qui peuvent constituer une référence en la matière. Mais il est également envisagé de laisser jouer certains critères nationaux, élaborés par les Etats membres sur la base d'indications communautaires, afin qu'une certaine souplesse puisse être mise en oeuvre.

La Commission considère aussi que les demandes des Etats membres sur l'objectif 2 ne seront acceptables que sur les zones où l'Etat engage directement des aides nationales, comme la prime à l'aménagement du territoire française. En pratique, le zonage objectif 2 devrait donc être englobé dans les zonages d'intervention nationale. Le but est d'aboutir à un champ d'intervention moins diffus qu'aujourd'hui et à une action concentrée sur les régions, rurales et urbaines (9( * )) , les plus affectées de l'Union.

Pour l'heure, aucun chiffrage financier n'est indiqué pour ce type d'actions, mais il sera proposé une enveloppe par pays, correspondant aux nécessités locales, en fonction du degré de gravité de chaque situation. Toutefois, sachant que l'objectif 1 bénéficiera des deux tiers des fonds disponibles, les objectifs résiduels 2 et 3 ne peuvent prétendre, ensemble, qu'à 29 % environ de l'enveloppe globale (10( * )) .

Comme pour l'objectif 1, une phase transitoire de sortie, limitée en volume, sera accordée aux zones actuellement éligibles aux objectifs 2 et 5b, mais qui en perdraient le bénéfice.

En conséquence de ces modifications, la population des régions de l'Union à quinze couverte par ces deux objectifs 1 et 2 nouvelle version devait être ramenée de 51 % à un taux compris entre 35 % et 40 %. L'objectif 1 pourrait ne plus concerner que 20 % seulement de la population communautaire.

2. Un objectif horizontal et thématique

L'objectif 3 se substituerait aux actuels objectifs 3, en partie, et 4, et serait davantage axé sur des actions innovantes dans le domaine des ressources humaines. Cet objectif serait exclusivement destiné aux régions situées hors objectifs 1 et 2 nouvelle version , afin que le développement des ressources humaines soit également pris en compte sur l'ensemble du territoire de l'Union, en cohérence avec les plans pluriannuels pour l'emploi et le nouveau titre sur l'emploi intégré au traité d'Amsterdam.

L'objectif 3 aurait pour but d'aider les Etats membres à adapter et moderniser leur système d'éducation, de formation et d'emploi (11( * )) : il serait désormais thématique et non plus ciblé sur certaines populations fragiles comme c'est le cas actuellement. Quatre domaines d'intervention sont prévus :

- l'accompagnement des changements économiques et sociaux,

- les systèmes de formation et d'éducation tout au long de la vie,

- les politiques actives de lutte contre le chômage,

- la lutte contre l'exclusion sociale.

Il faut souligner que les moyens financiers accordés par l'Union sur cet objectif seront infiniment inférieurs à ceux que les autorités nationales consacrent à la lutte contre le chômage. L'apport communautaire n'aura d'intérêt que s'il est concentré sur quelques projets précis et non pas fondu dans la masse des budgets sociaux des Etats membres où il perdrait toute efficacité .

3. Des interventions directes de la Communauté mieux calibrées

a) Les programmes d'initiative communautaire
· La situation actuelle

Résultant de la réforme des fonds structurels de 1993, les programmes d'initiatives communautaire (PIC) constituent une forme particulière d'action régionale. Ces programmes sont bien proposés par les Etats membres mais ils ont pour origine des orientations d'actions élaborées par la Commission européenne elle-même.

En principe, les projets décidés sur cette base sont ceux comportant une incidence communautaire particulière, qui dépassent les intérêts des Etats membres et qui complètent ainsi l'efficacité de chacun des objectifs.

Pour la période 1994-1999, sept thèmes généraux ont été retenus pour encadrer les programmes proposés par les Etats membres et adoptés par la Commission :

- la coopération transfrontalière : l'initiative INTERREG -la plus importante des initiatives communautaires, dotée de 2,9 milliards d'écus- a pour but la préparation des régions frontalières à l'achèvement du marché unique et les problèmes spécifiques de développement économique des régions frontalières intérieures et extérieures de la Communauté ;

- le développement local en milieu rural : LEADER II (1,7 milliard d'écus) qui vise essentiellement à promouvoir la coopération transnationale comme support de la cohésion rurale dans l'Union ;

- l'intégration professionnelle des femmes, des jeunes et des groupes défavorisés : EMPLOI (1,4 milliard d'écus) ;

- le soutien aux régions ultrapériphériques : REGIS (0,6 milliard d'écus) ;

- l'adaptation aux mutations industrielles : plusieurs initiatives coexistent (ADAPT, PME, RECHAR...) pour une dotation globale de 3,8 milliards d'écus ;

- la politique urbaine : URBAN (0,6 milliard d'écus) ;

- la restructuration de la pêche : PESCA (0,25 milliard d'écus).

· Les modifications envisagées
Il existe actuellement quatorze initiatives communautaires qui ont engendré 400 programmes (12( * )) -c'est-à-dire autant que toutes les autres actions structurelles réunies-, nombre d'autant plus excessif que certaines de ces initiatives font double emploi avec les programmes principaux.

Il est donc prévu de réserver désormais ce mode d'intervention aux domaines relevant clairement de l'intérêt communautaire et pour lesquels le caractère innovant de l'initiative est incontestable.

La Commission a donc proposé de s'en tenir à trois sujets où l'intervention communautaire apparaît utile :

- la coopération transfrontalière, transnationale et interrégionale, afin d'agir pour un aménagement du territoire harmonieux et équilibré, soit un INTERREG III ;

- le développement rural, soit un LEADER III reformulé, pour en minimiser la complexité bureaucratique et renouveler les propositions concrètes, aux dires du commissaire européen à l'agriculture, M. Franz Fischler ;

- les ressources humaines dans un contexte d'égalité des chances.

Les autres actions jusqu'alors conduites dans le cadre des PIC seront désormais rattachées aux trois objectifs généraux. Dans ces conditions, le financement destiné à ces programmes serait ramené de 9 % à 5 % des moyens accordés aux fonds structurels, soit environ 10,5 milliards d'écus (contre 13,45 milliards d'écus pour la période 1994-1999) (13( * )) .
b) Les actions novatrices et les projets pilotes

Par dérogation au principe de programmation des interventions régionales en partenariat avec les Etats membres, la Commission européenne mène, de sa propre initiative et avec des moyens financiers spécifiques, certaines actions novatrices destinées à ébaucher des politiques nouvelles. Ce mode particulier d'intervention des instances communautaires avait pour objectif de tester des projets innovants, de servir de levier de financement et de développer des partenariats renforcés.

Quatre priorités avaient été fixées pour 1994-1999 :

- la coopération interrégionale : coopération entre autorités locales, coopération avec les régions de pays tiers voisins...

- l'aménagement de l'espace européen : programme " Europe 2000 " concernant l'évolution du territoire européen et la cartographie, cofinancement de plans d'aménagement ou d'études de faisabilité...

- le développement économique régional : valorisation des ressources locales, technologie et télécommunications dans les régions les moins favorisées, patrimoine culturel...

- le développement des politiques urbaines : financement d'actions intégrées dans les quartiers difficiles des villes européennes.

Ces actions novatrices bénéficiaient jusqu'alors d'un crédit s'élevant à 1 % de l'ensemble des fonds structurels (soit 1,3 milliard d'écus environ sur la période qui s'achève). Exposée au reproche d'un saupoudrage de financement sur une multitude de mini-projets dénués d'efficacité et difficilement contrôlables, cette procédure devrait être révisée . Selon la Commission, " une réflexion sur une concentration sur des projets significatifs et une mise en oeuvre simplifiée et transparente s'impose ".

B. UNE RÉELLE SIMPLIFICATION ?

1. La tentation du reclassement

L'intérêt d'une simplification du système des objectifs est évident : dans le dispositif actuel à sept objectifs, une même région peut être bénéficiaire de fonds structurels pour dix programmes différents, ce qui ne permet pas toujours une grande cohérence d'ensemble des actions. Le risque est grand, toutefois, que, dans les faits, les anciens objectifs soient simplement replacés dans la version nouvelle, sans réelle remise à plat du dispositif en vigueur.

2. Le maintien de la pluralité des fonds

On peut aussi observer que la volonté de simplification n'est pas allée jusqu'à organiser l'unification des différents fonds structurels existants, alors même que l'article 130 du traité prévoit cette faculté de regroupement . Quatre fonds continueront donc de co-exister, FEDER, FSE, FEOGA et IFOP.

L'argument avancé pour maintenir le statu quo réside dans le fait que les différents fonds structurels sont mentionnés séparément dans le traité, qu'ils ont chacun leur propre règlement et leur mode spécifique de fonctionnement, ce qui rend impossible, en l'état, de prévoir leur fusion. Cette situation ne contribue pas à la clarté du dispositif global.

La seule amélioration qui est envisagée actuellement consisterait à désengager le FEOGA-section orientation de l'action structurelle, et de ne prévoir son intervention qu'au titre de l'objectif 1. Les discussions actuellement en cours sur le " paquet financier " et la réforme de la PAC pourraient aboutir à la prise en charge de l'aide aux structures de développement rural directement par la PAC si elle en a les moyens financiers.

C. CE QUI CHANGERA POUR LA FRANCE

1. La dotation actuelle

S'agissant des fonds structurels destinés à la France, le montant programmé pour la période 1994-1999 s'élève à 15,17 milliards d'écus, soit 102,6 milliards de francs environ.

Cette dotation équivaut à 8,2 % de l'enveloppe structurelle, taux de retour médiocre si l'on rappelle que la France contribue au budget communautaire à hauteur de 17,5 %. Les crédits sont ainsi répartis par objectif :

· Objectif 1 14,5 %

· Objectif 2 25,1 %

· Objectifs 3 et 4 21,1 %

· Objectif 5a 13,2 %

· Objectif 5b 15,2 %

· PIC 10,9 %
L'ensemble constitue une enveloppe annuelle de 16,5 milliards de francs par an -dont 10,22 milliards pour les objectifs régionaux 1, 2 et 5 b-, soit 37,9 écus par an et par français, environ 250 francs.
a) Les objectifs zonés
· au titre de l'objectif 1 (régions en retard de développement), la France percevra, sur la période 94-99, 2,2 milliards d'écus, soit 15 milliards de francs.
Rapporté à la population des zones géographiques couvertes (Corse, quatre DOM et Hainaut français), cette participation équivaut à 5.700 francs par habitant concerné.
· au titre de l'objectif 2 (aide à la reconversion des zones industrielles en déclin), les interventions se répartissent sur une cinquantaine de territoires ou bassin appartenant à l'ensemble des régions métropolitaines, à l'exception de la Corse et de l'Ile-de-France.
Ce zonage couvre 26 % de la population totale, soit 14,6 millions d'habitants. Attributaire de 3,8 milliards d'écus sur la période, cet objectif bénéficie d'une dotation de 260 écus par habitant concerné, soit environ 1.700 francs.
· au titre de l'objectif 5b (aide aux zones rurales fragiles et dépeuplées), la France recevra, sur la période, 2,3 milliards d'écus pour un zonage couvrant la diagonale Lorraine-Pyrénées, y compris le Jura, les Alpes du Sud, la Basse-Normandie et le centre breton.
Rapportée aux 17 % de population française concernée, la contribution s'élève à 230 écus par habitant, soit 1.500 francs.
b) Les objectifs nationaux

Les objectifs s'appliquant à l'ensemble du territoire rapportent à la France 4,8 milliards d'écus sur la période (plus de 30 milliards de francs), ainsi répartis :

· Objectif 3 (lutte contre le chômage de longue durée et contre l'exclusion du marché du travail) : 2,5 milliards d'écus (17 milliards de francs).

· Objectif 4 (adaptation des travailleurs aux mutations industrielles, prévention de l'exclusion professionnelle et mobilité professionnelle) : 700 millions d'écus (4,6 milliards de francs).

· Objectif 5a (adaptation des structures agricoles et modernisation de la pêche) : 2 milliards d'écus, soit environ 13,5 milliards de francs.
c) Les programmes d'initiatives communautaires

Enfin, pour ce qui concerne les PIC, ces programmes s'élèvent à 1,65 milliard d'écus, soit 11,2 milliards de francs sur la période.

2. Les nouvelles dotations

a) Sur la base du futur objectif 1

Compte tenu des éléments actuellement disponibles, seuls les quatre DOM français continueront d'être éligibles au bénéfice de l'objectif 1 nouvelle version.

Les régions aujourd'hui couvertes en objectifs 1, 2 et 5 b bénéficieront d'un soutien communautaire au titre des mesures progressives de " phasing out " jusqu'en 2003 (14( * )) , afin de rendre psychologiquement acceptable la nouvelle concentration géographique proposée. Il pourrait être envisagé le maintien des dotations actuelles la première année de la nouvelle période de programmation, puis une diminution par paliers jusqu'à l'année de sortie. Il va de soi que certaines parties des régions actuellement en objectif 1 seront alors reclassées en futur objectif 2, si elles en réunissent les conditions d'éligibilité.

b) Sur la base du futur objectif 2

Il est prématuré aujourd'hui, d'évaluer le zonage qui résultera du futur objectif 2 dont les critères sont encore trop imprécis pour que l'on apprécie la portée de la réforme proposée.

Toutefois, certaines estimations officieuses laissent entendre que la France pourrait être le premier bénéficiaire de cet objectif en raison de son fort taux de chômage et conserverait de ce fait le montant global de fonds européens qu'elle perçoit aujourd'hui .

c) Sur la base du futur objectif 3

Le territoire français sera éligible à l'objectif 3 pour les zones non couvertes par les objectifs 1 et 2.

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