N° 105
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 1997-1998
Annexe au procès verbal de la séance du xxx 1997.
RAPPORT D'INFORMATION
FAIT
au nom de la délégation du Sénat pour l'Union
européenne (1),
sur
les activités de la délégation
:
l'Union européenne au lendemain du traité d'Amsterdam, questions
économiques, examen des propositions d'actes communautaires
(1
er
octobre-15 novembre 1997)
Par M. Jacques GENTON,
Sénateur.
(1) Cette délégation est composée de
: MM. Jacques Genton,
président
; James Bordas, Michel
Caldaguès, Claude Estier, Pierre Fauchon,
vice-présidents
; Nicolas About, Jacques Habert, Emmanuel Hamel, Paul Loridant,
secrétaires
; MM. Robert Badinter, Denis Badré,
Michel Barnier, Mme Danielle Bidard-Reydet, M. Gérard Delfau,
Mme Marie-Madeleine Dieulangard, MM. Michel Dreyfus-Schmidt, Ambroise
Dupont, Jean-Paul Emorine, Philippe François, Jean
François-Poncet, Yann Gaillard, Pierre Lagourgue,
Christian de La Malène, Lucien Lanier, Paul Masson,
Daniel Millaud, Georges Othily, Jacques Oudin, Mme Danièle
Pourtaud, MM. Louis-Ferdinand de Rocca Serra, Jacques Rocca Serra,
André Rouvière, René Trégouët, Marcel Vidal,
Robert-Paul Vigouroux, Xavier de Villepin.
INTRODUCTION
Mesdames, Messieurs
Au cours du mois d'octobre et de la première quinzaine de novembre, la
délégation du Sénat pour l'Union européenne a
examiné les perspectives de l'Union européenne au lendemain de la
signature du traité d'Amsterdam.
Elle a également abordé certaines questions économiques
relatives au cinquième programme-cadre de recherche et aux aides
à la construction navale.
Elle s'est, par ailleurs, penchée sur les travaux récents de
l'Organisation pour la Sécurité et la Coopération en
Europe (OSCE).
Enfin, elle a poursuivi son examen systématique des propositions d'actes
communautaires soumises au Sénat en application de l'article 88-4 de la
Constitution.
Les prochains travaux de la délégation pour l'Union
européenne seront retracés dans une nouvelle publication
intitulée " Actualités de la délégation pour
l'Union européenne ".
I. L'UNION EUROPEENNE AU LENDEMAIN DU TRAITE D'AMSTERDAM
A. AUDITION DE M. PIERRE MOSCOVICI
Le mercredi 15 octobre 1997, la délégation a
entendu M. Pierre Moscovici, ministre délégué
chargé des Affaires européennes, sur l'avenir de l'Union
économique et monétaire, la mise en oeuvre du traité
d'Amsterdam ainsi que sur l'élargissement de l'Union et la
réforme des politiques communes.
M. Pierre Moscovici
évoque tout d'abord l'Union économique
et monétaire. Il souligne que le passage à la monnaie unique
constituera la grande affaire des prochains mois et devra permettre à
l'Europe de s'affirmer comme une grande puissance, capable de faire jeu
égal avec les Etats-Unis.
Le ministre observe qu'au moment de l'entrée en fonction de l'actuel
Gouvernement français, il existait une incertitude sur la
capacité de la France à respecter les critères de
convergence imposés par le traité sur l'Union européenne
et qu'une conception disciplinaire de ces critères a prévalu
alors. Le nouveau Gouvernement s'est attaché à faire adopter par
le Conseil européen une résolution sur la croissance et l'emploi,
placée sur le même pied que le pacte de stabilité. Il a
entrepris en outre de mettre en ordre les comptes publics de la France, ce dont
la Commission vient de lui donner acte en prévoyant pour la France un
déficit budgétaire de 3,1 % en 1997.
M. Pierre Moscovici souligne alors que l'Union économique et
monétaire a acquis une crédibilité encore
inégalée jusqu'à présent. Les conceptions
françaises de cette Union monétaire semblent désormais
admises, puisqu'un report de la monnaie unique n'est plus envisagé, que
les pays du Sud de l'Europe devraient y participer et que l'idée d'une
coordination forte des politiques économiques a beaucoup
progressé. Les ministres français et allemand de
l'économie et des finances ont en effet trouvé un accord pour la
création d'un conseil de coordination entre les pays qui participent
à la monnaie unique.
Le ministre fait valoir que le Gouvernement s'est par ailleurs attaché
à obtenir un rééquilibrage de l'Union économique et
monétaire, afin que la lutte contre le chômage et la
nécessité de développer l'Europe sociale soient davantage
prises en considération. A la demande de la France, le Conseil
européen a décidé de tenir une réunion
exceptionnelle des Chefs d'Etat et de Gouvernement à Luxembourg en
novembre prochain. La préparation de ce Conseil européen sur
l'emploi est désormais bien avancée.
Dès le mois d'août, la France a formulé un certain nombre
de propositions. Elle a appuyé la suggestion d'une mise en oeuvre
anticipée des mécanismes prévus par le chapitre sur
l'emploi du traité d'Amsterdam et soutient les récentes
propositions de la Commission européenne visant à l'adoption
d'une batterie d'objectifs chiffrés qui guiderait les Etats dans leurs
politiques nationales. La France est également favorable à
l'échange d'informations sur les " bonnes pratiques "
nationales qui ont permis de progresser dans la lutte contre le chômage
et défend une approche mieux concertée des restructurations
industrielles. Elle appuie le renforcement de la cohérence des
politiques communautaires, qui doivent placer au premier rang de leurs
objectifs le développement de l'emploi, et propose une mobilisation plus
intense des ressources de la Banque Européenne d'Investissement au
profit des grands travaux communautaires et du développement de l'emploi
dans les PME innovantes. Enfin, le Gouvernement français souhaite un
renforcement du dialogue social, qui doit se consacrer à des
thèmes tels que l'aménagement et la réduction du temps de
travail. A cet égard, l'intégration du protocole social
signé à Maastricht dans le corps du traité sur l'Union
européenne permettra probablement des progrès importants.
M. Pierre Moscovici évoque ensuite la mise en oeuvre du traité
d'Amsterdam. Soulignant que le contenu de ce traité est plus positif
qu'on ne le dit parfois, il estime que ce texte marque un certain nombre
d'avancées :
- la mise en place d'outils pour l'approfondissement de la construction
européenne, tels que les coopérations renforcées et une
certaine extension du vote à la majorité qualifiée au sein
du Conseil ;
- le renforcement de la capacité d'action de l'Union en matière
de politique étrangère et de sécurité ;
- le rapprochement entre l'Europe et les citoyens grâce à
l'inclusion d'un chapitre social, de dispositions relatives aux droits
fondamentaux et de dispositions relatives à l'établissement d'un
espace de liberté, de sécurité et de justice.
Le ministre observe en outre que la France a obtenu gain de cause sur un
certain nombre de préoccupations qui lui sont spécifiques, en
particulier la confirmation de Strasbourg comme siège du Parlement
européen, la reconnaissance du rôle des services publics, enfin
l'affirmation de la situation particulière des DOM-TOM. Il souligne
également que les Parlements nationaux seront désormais mieux
associés à l'activité de l'Union et estime que l'ensemble
de ces avancées constitue, avec le renforcement des pouvoirs du
Parlement européen, un effort important de résorption du
déficit démocratique.
M. Pierre Moscovici estime alors qu'il serait dommage de renoncer à ces
avancées, certes modestes, en refusant de ratifier ce traité. Il
indique que la ratification par le Parlement du traité ne devrait pas
intervenir avant le printemps 1998 et la décision relative aux pays
participant à la monnaie unique.
Le ministre fait valoir que le traité d'Amsterdam n'apporte guère
de solution aux problèmes institutionnels de l'Union et qu'il est
nécessaire qu'une réforme intervienne avant la conclusion des
prochaines négociations d'élargissement. La Commission
européenne doit retrouver son rôle d'organe de proposition et
d'exécution, exprimant l'intérêt général de
l'Union. Cela implique de resserrer la composition du collège des
commissaires. En ce qui concerne le Conseil de l'Union européenne, le
recours généralisé au vote à la majorité
qualifiée doit s'imposer dans une Union élargie. En outre, le
poids démographique de chacun des Etats doit être mieux pris en
compte dans la pondération des voix au sein du Conseil. L'insuffisance
des réformes contenues dans le traité d'Amsterdam explique que la
France, la Belgique et l'Italie aient pris l'initiative d'annexer au
traité une déclaration stipulant que la réforme des
institutions était une condition indispensable à la conclusion du
prochain élargissement.
M. Pierre Moscovici évoque enfin l'élargissement de l'Union et la
réforme des politiques communes. Observant que l'élargissement
constitue une perspective inéluctable et positive, il estime que les
négociations doivent permettre aux pays candidats de reprendre
l'intégralité de l'acquis communautaire et qu'il convient de
mener une politique active de préparation de ces pays. Il souligne en
outre qu'il est nécessaire d'englober les pays de l'Union et l'ensemble
des pays candidats, y compris la Turquie, dont la vocation européenne
est incontestable, dans un cadre collectif. Il rappelle que la France a
proposé la mise en place d'une Conférence européenne
permanente et que cette proposition est en passe d'être acceptée
par ses partenaires.
A propos de la réforme des politiques communes et de leur financement,
le ministre indique que les débats sur ce sujet se dérouleront
probablement jusqu'en 1999. Il fait valoir que, dans le domaine du financement,
il convient d'éviter toute dérive vers une comparaison des
" soldes nets ", qui peut faire supporter à quelques pays
seulement, dont la France, le coût du développement de l'Union et
de son élargissement. Il se prononce pour un maintien du plafond de
ressources à 1,27 % du PIB et souhaite que la nouvelle
programmation financière soit rigoureuse pour tenir compte des
contraintes qui pèsent sur les équilibres budgétaires des
Etats.
Evoquant la réforme des fonds structurels, M. Pierre Moscovici souligne
que la France veillera à ce que les régions touchées par
le chômage, les zones urbaines fragiles et les zones rurales soient bien
traitées. Il estime que la réforme de la politique agricole
commune devra, quant à elle, permettre de préserver les
intérêts français et la sauvegarde du modèle
agricole européen, compétitif mais soucieux du maintien de
structures familiales et d'une occupation équilibrée de l'espace.
M. Christian de La Malène
interroge le ministre sur la
constitutionnalité du traité d'Amsterdam et lui demande si le
Gouvernement a l'intention de saisir le Conseil constitutionnel à ce
propos. Puis il remarque que les gouvernements successifs ont, avant chaque
élargissement, présenté comme un préalable la
réalisation d'un approfondissement de l'Union, mais que ces
proclamations n'ont jamais été suivies d'effet. Enfin, il se
demande si la France n'est pas isolée dans sa volonté de donner
une dimension politique à la construction européenne.
M. Daniel
Millaud
déplore l'absence de solution aux
problèmes des TOM dans le traité d'Amsterdam. Observant que,
depuis quarante ans, les TOM sont sans aucune cohérence tantôt
assimilés aux Etats membres, tantôt assimilés aux Etats
ACP, il cite comme exemple de cette incohérence la volonté du
Gouvernement d'appliquer aux TOM la directive sur le droit de vote des
ressortissants communautaires aux élections municipales.
M. Pierre Lagourgue
s'inquiète de l'ambiguïté des
dispositions du traité d'Amsterdam concernant les DOM, se demandant si
elles vont effectivement permettre une reconnaissance de la
spécificité des DOM. Il craint en effet que le libellé du
dernier alinéa de l'article 227, qui exige que les mesures
spécifiques en faveur des régions
ultrapériphériques respectent " l'intégrité et
la cohérence de l'ordre juridique communautaire, y compris le
marché intérieur ", ne limite à l'extrême la
portée de ces mesures spécifiques.
M. James Bordas
souhaite que le Gouvernement avance des propositions
concrètes en vue du " sommet européen " sur l'emploi.
Puis il déplore que le traité d'Amsterdam n'ait que très
peu étendu le champ du vote à la majorité qualifiée.
Mme Danielle Bidard-Reydet
s'interroge, à son tour, sur les
suites concrètes que pourrait avoir le " sommet
européen " sur l'emploi. Puis elle demande des précisions
sur les modalités de ratification du traité d'Amsterdam.
Mme Danielle Pourtaud
se félicite des progrès de
l'idée d'une coordination renforcée des politiques
économiques des pays de la zone euro, tout en demandant des
précisions sur la manière dont cette idée est comprise au
sein des Etats membres. Après avoir souhaité que le " sommet
européen " sur l'emploi parvienne à des objectifs
mobilisateurs, elle relève, pour s'en inquiéter, que les
propositions de la Commission européenne, centrées sur la
flexibilité du travail, l'amélioration de l'employabilité,
et l'activation des dépenses d'indemnisation, ne recoupent pas toujours
les priorités du Gouvernement.
M. Jacques Habert
revient sur la déclaration italo-franco-belge.
A quels domaines, a-t-il demandé, les signataires souhaitent-ils
étendre le vote à la majorité qualifiée ?
Mme Marie-Madeleine Dieulangard
exprime la crainte qu'un
élargissement sans approfondissement ne provoque un enlisement de la
construction européenne. Elle s'interroge sur la possibilité
d'associer d'autres pays à la déclaration italo-franco-belge, et
se demande si la France peut valablement plaider pour une politique
étrangère et de sécurité commune tout en restant
à l'écart de l'OTAN.
M. Jacques Genton
indique qu'il est personnellement favorable à
la ratification du traité d'Amsterdam, tout en souhaitant un
élargissement de la déclaration italo-franco-belge. Un refus de
ratifier, précise-t-il, serait perçu comme une grave atteinte
à la construction européenne. Enfin, il souhaite que le processus
de ratification soit exclusivement parlementaire.
En réponse,
M. Pierre Moscovici
apporte les précisions
suivantes :
- le Gouvernement va prochainement consulter le Conseil constitutionnel sur le
traité d'Amsterdam ; dans le cas où le Conseil
constitutionnel estimerait qu'une révision constitutionnelle est
nécessaire, celle-ci pourrait intervenir par la voie du
Congrès ;
- l'ensemble du processus de ratification devrait d'ailleurs relever du
Parlement, la technicité du traité ne paraissant pas en
adéquation avec un référendum ;
- la France n'est pas isolée dans sa volonté de réforme
institutionnelle préalable à l'élargissement ; nombre
d'Etats membres approuvent l'esprit de la déclaration
italo-franco-belge, même s'ils ne l'ont pas signée ;
- compte tenu des circonstances politiques du moment, il n'était pas
envisageable de refuser de signer le traité d'Amsterdam au risque de
provoquer une crise ; par ailleurs, la France ne pouvait prendre la
responsabilité de bloquer le processus d'élargissement ; en
revanche elle doit être prête à ne pas signer le
traité d'adhésion s'il n'y a pas eu de réforme
institutionnelle ;
- la volonté de donner une dimension politique à l'Europe pose le
problème du fédéralisme ; mais l'accord n'ayant pu se
faire sur des réformes de base comme l'extension du vote à la
majorité qualifiée, on voit mal comment un accord pourrait
être obtenu pour mettre en place un système
fédéral ;
- la question de la place des TOM dans l'Union est complexe ; ne
faudrait-il pas qu'ils précisent eux-mêmes comment ils
conçoivent leur avenir vis-à-vis de l'Union ?
- Pour les DOM, la notion de " mesures spécifiques ",
notamment en ce qui concerne l'octroi de mer, constitue un
élément nouveau et un progrès ; mais nos partenaires
au sein de l'Union ont tenu à ce que cette possibilité de
régime spécifique soit assortie du rappel que les DOM sont partie
intégrante de l'Union et qu'ils respectent le droit communautaire ;
- le " sommet " sur l'emploi, qui ne doit pas soulever
d'espoirs
démesurés, devrait avoir un effet mobilisateur et favoriser
l'octroi de moyens supplémentaires pour les grands travaux et les
programmes destinés aux PME ;
- l'accord franco-allemand a pour but de permettre aux Etats de la zone euro de
se réunir de manière informelle, avant les réunions du
Conseil " Eco/Fin ", pour se concerter sur toutes les
grandes
questions économiques et financières ; l'indépendance
de la Banque centrale européenne n'en sera en rien affectée ;
- le Gouvernement est favorable à des décisions à la
majorité qualifiée pour la fiscalité, les fonds
structurels, la mise en oeuvre du protocole social ;
- l'affirmation d'une plus forte identité européenne de
défense peut certes s'effectuer également dans le cadre de
l'OTAN, mais à condition que des responsabilités accrues soient
accordées aux Européens ; or, jusqu'à présent,
un meilleur équilibre euro-américain reste à trouver.
Mme Danièle Pourtaud
s'inquiète du faible nombre de
Français et de la place réduite de la langue française
dans les institutions financières européennes, notamment au sein
de l'Institut monétaire européen.
Après avoir rappelé l'indépendance de la Banque centrale
européenne, M. Pierre Moscovici souligne que chaque pays participant
dispose d'un siège au Conseil d'administration de celle-ci ; enfin,
il assure qu'il se montrera vigilant sur la place du français dans cette
institution.