II. UN BILAN CONTRASTÉ EN RAISON DE L'INSUFFISANCE DES CRÉDITS
A. UNE ACTION GLOBALEMENT POSITIVE EN MATIÈRE D'ENTRETIEN DU PATRIMOINE
1. Un entretien tout à fait satisfaisant des nécropoles nationales au regard des crédits mis à disposition
L'engagement de l'Etat à conserver les tombes des
combattants tués à la guerre remonte à une loi du 4 avril
1873. Mais les sépultures sont, à l'époque, le plus
souvent des fosses communes surmontées de monuments. Cette pratique se
poursuit encore au début de la première guerre mondiale,
jusqu'à la stabilisation des fronts, en 1915. L'importance des pertes
impose alors la prise de mesures pour l'organisation des sépultures.
La loi du 29 décembre 1915 donne droit à la sépulture
perpétuelle, aux frais de l'Etat, aux militaires Morts pour la France
pendant la guerre et définit le principe de la tombe individuelle.
La loi du 25 novembre 1918 crée une commission nationale chargée
de définir les principes architecturaux de base des cimetières
militaires.
La loi du 31 juillet 1920 confie à la nation qui en reçoit la
propriété, l'entretien des cimetières militaires à
installer ou à créer sur l'ancien front.
Le ministre des pensions a fait procéder jusqu'en 1935 à
l'exhumation des corps sur les champs de bataille et a fait regrouper les
sépultures dispersées dans les nécropoles nationales et
les carrés militaires des cimetières communaux qui ont
été, pour la plupart, aménagés au cours des
années 20.
Dans le même temps, des cimetières militaires français ont
été érigés dans les pays étrangers où
la France a combattu : en Belgique, en Italie et dans les pays du front
d'Orient et du Levant.
Après la seconde guerre mondiale, de nouvelles nécropoles ont
été installées, en France, en Italie et en Afrique du Nord
surtout. Les guerres de décolonisation provoquèrent la
création ou le développement de cimetières militaires en
Indochine, à Madagascar et en Algérie.
Il existe ainsi :
· en France : 263 nécropoles nationales où
reposent 729.000 corps dont 244.000 en ossuaires (88 % de ces corps
sont ceux de victimes de la première guerre mondiale) et quelques
3.200 carrés militaires contenant 115.000 corps.
· à l'étranger : 234 cimetières
principaux répartis dans 58 pays et près de 2.000 plus
petits où reposent 197.000 morts dont 90.000 en ossuaires.
Le ministère des anciens combattants et victimes de guerre a la charge
de l'entretien et de la conservation de ces sépultures.
En France, les nécropoles nationales sont entretenues directement par
les équipes d'ouvriers professionnels des directions
interdépartementales du ministère des anciens combattants.
Les techniques d'entretien varient selon les sites, même si la tendance
est au développement des équipes mobiles. Celles-ci assurent,
chacune pour une zone, les missions menées jusqu'alors dans chaque
nécropole par des agents affectés à un poste fixe.
En revanche, pour l'entretien des carrés communaux, des conventions sont
passées avec les municipalités ou les associations qui
reçoivent une indemnité forfaitaire de 8 francs par tombe.
Cette délégation de crédits s'explique à la fois
par la grande hétérogénéité des
carrés militaires et le manque de moyens de l'Etat. En effet, outre les
sépultures perpétuelles à la charge de l'Etat, ces
cimetières contiennent également des tombes
" normales , dont l'entretien revient aux communes, et des tombes
mixtes, à savoir des caveaux familiaux contenant un ou des Morts pour la
France, dont les restes mortels ont été rendus aux familles et
dont, par conséquent, l'Etat n'est plus responsable. Lorsque ces caveaux
tombent en déshérence, le Souvenir français se fait un
devoir moral de veiller à leur entretien. Il perçoit alors de
l'Etat l'indemnité forfaitaire prévue pour l'entretien des
sépultures perpétuelles. Au total, 93.351 tombes de
militaires morts pour la France, bénéficiant de la
sépulture perpétuelle aux frais de l'Etat, situées dans
les carrés communaux, sont entretenues soit par les communes, soit par
les associations.
Enfin, à l'étranger, sauf en Tunisie et au Maroc où
existent des services déconcentrés du ministère des
anciens combattants, la gestion des sites est confiée aux ambassades et
aux consulats, sous le contrôle du ministère.
Au total, le coût de l'entretien des sépultures de guerre
s'élève à 34 millions de francs pour 1997, salaires
et dépenses relatives à la mise en état des
sépultures de guerre inclus.
LES CIMETIÈRES ÉTRANGERS EN FRANCE
1. Les cimetières du Commonwealth
C'est la " Commonwealth War Graves Commission " (C.W.G.C)
qui est
responsable de l'entretien des cimetières des combattants du
Commonwealth dans le monde entier. Pour l'entretien des cimetières qui
se trouvent sur le sol français, cette organisation dispose d'un budget
de 100 millions de francs et emploie 421 agents.
En France, les restes mortels de près de 700.000 combattants du
Commonwealth sont enterrés dans 2.909 cimetières, dont 818 ont
été réalisés et sont entretenus
intégralement par la C.W.G.C. Les 2.091 autres ne sont en
réalité que des groupes de tombes accueillies soit au sein des
nécropoles nationales françaises, soit dans les carrés
militaires des cimetières communaux. Il existe enfin des tombes
très dispersées sur les lieux mêmes où moururent
certains combattants (équipages d'avions, groupes victimes d'une attaque
surprise...).
En effet, le refus des exhumations des restes mortels des combattants
constitue un principe fondamental, auquel il n'est dérogé qu'en
cas de réelle nécessité publique ou lors de l'inhumation,
à la demande expresse des familles, sur le lieu même du
décès, avant la fin de la guerre.
Les cimetières du Commonwealth se caractérisent également
par la commémoration individuelle nominative et la rigoureuse
uniformité des stèles entraînant l'absence de distinction
entre les morts, quels que soient le grade, le rang social, la race et la
religion. Les stèles sont en pierre calcaire blanche et chaque
cimetière possède la " Croix du sacrifice ",
fixée sur une base octogonale et portant sur sa flèche une
épée en bronze.
2. Les cimetières américains
" The American Battle Monuments Commission " est chargée de
l'entretien des cimetières militaires et des monuments
érigés à la mémoire des forces armées
américaines, ayant combattu dans le monde entier. Cette organisation
dispose d'un budget de 56 millions de francs et de 161 agents pour
l'entretien des cimetières placés sur le sol français.
Les cimetières américains à l'étranger sont peu
nombreux, très vastes et regroupent, dans les lieux où se sont
déroulés les engagements majeurs, tous les petits
cimetières constitués au cours des opérations liées
à cet engagement. Ainsi, la France accueille 11 cimetières
américains dans lesquels reposent ou est évoqué le
souvenir de 67.572 soldats américains.
Ils sont caractérisés par leur gazon uniformément plat
(c'est-à-dire sans trace du contour des tombes individuelles) et leurs
croix (ou étoiles de David) en marbre blanc. Existent, par ailleurs, une
chapelle oecuménique, des plaques portant le nom de tous les disparus
dans la région considérée, une salle musée
comportant la carte des opérations et le récit de celle-ci, une
sculpture imposante et un local d'accueil pour les visiteurs.
3. Les cimetières allemands
C'est le " Volksbund Deutsche Kriegsgräberfürsorge e.V. ",
association privée qui compte plus d'un million de membres, qui est
responsable de l'entretien des cimetières allemands à
l'étranger. Pour l'entretien des cimetières placés sur le
sol français, cette organisation dispose d'un budget de
38,5 millions de francs et emploie 186 agents.
Depuis la première guerre mondiale, 1.035.000 restes mortels ont
été enterrés dans les 231 cimetières allemands en
France.
L'agencement des cimetières militaires allemands respecte un certain
nombre de principes : les tombes individuelles ne comportent pas de
bordures, elles sont entourées d'arbres et le sol fleuri est
uniformément plat.
Les marques d'identification des tombes se dressent à même le sol
et sont de divers modèles, suivant les cimetières : pupitres
en pierres naturelles, croix ou stèles en pierres locales ou en
béton, parfois même croix sombre en fonte d'aluminium.
Au cours de cette mission, votre rapporteur s'est rendu dans
13 nécropoles nationales réparties dans
7 départements et en Belgique. Il a été
agréablement surpris par la qualité de l'entretien des
nécropoles et leur aspect tout à fait satisfaisant. En effet,
aussi bien les responsables de la politique de la mémoire au
ministère des anciens combattants que les représentants du
" Souvenir français " avaient dépeint une situation
beaucoup plus noire, prenant comme références les
cimetières américains ou du Commonwealth.
Or, la comparaison n'est pas possible dans la mesure où le nombre des
cimetières, les principes qui guident leur entretien et les sommes mises
en jeu sont complètement différents.
Les Américains ont regroupé leurs cimetières militaires en
11 nécropoles nationales, alors qu'il existe
263 nécropoles françaises, 231 cimetières
allemands et 818 cimetières du Commonwealth.
Par ailleurs, au-delà du souci d'entretenir les tombes des combattants
morts pour la patrie, la conservation et la valorisation des nécropoles
obéissent à des motifs différents. Ainsi, pour les jeunes
nations comme les Etats-Unis, le Canada, l'Australie ou encore la
Nouvelle-Zélande, les deux guerres mondiales représentent l'un
des éléments les plus importants de leur patrimoine historique
(on dit même que c'est la guerre mondiale qui a créé les
nations australienne et nouvelle-zélandaise), ce qui permet de mieux
comprendre les efforts, notamment financiers, consentis pour le
préserver. Quant à la Grande-Bretagne, outre son attachement
à sa réputation de nation combattante, elle semble d'autant plus
soucieuse de l'aspect des cimetières qu'ils constituent l'un des
derniers vestiges du Commonwealth et, en conséquent, de son rayonnement
passé.
De plus, les moyens financiers et humains affectés à l'entretien
des tombes sont difficilement comparables. Alors qu'une stèle
britannique coûte 1.500 francs, le prix de la croix française
ne s'élève qu'à 150 francs. De même, plus de
400 agents s'occupent de l'entretien des cimetières du
Commonwealth, contre 200 pour les nécropoles françaises.
Pour autant, la France peut être fière de ses nécropoles
nationales : celles-ci sont bien entretenues, les pelouses sont bien
taillées, les croix sont lavées et repeintes
régulièrement. Il convient à cet égard de saluer
les agents des directions interdépartementales, qui, par leur
dévouement et leur professionnalisme, arrivent souvent à
compenser l'insuffisance des moyens mis à leur disposition.
En outre, depuis 1985, un programme de réfection a été
lancé afin de restaurer les sépultures de guerre qui dataient des
années vingt et avaient considérablement souffert avec le temps.
Un certain nombre de nécropoles nationales et de carrés
militaires ont été complètement reconstruits et leur
aménagement paysager a été recréé. Certes,
cette action a dû être interrompue de 1988 à 1992, lorsque
tous les efforts du ministère ont été portés sur la
construction de la nécropole de Fréjus. Mais depuis 1994, un
nouveau programme a été lancé, qui devrait permettre d'ici
l'an 2000, pour un coût de 50 millions de francs, la
rénovation de l'ensemble des sépultures nécessitant des
travaux.
Votre rapporteur s'inquiète toutefois du ralentissement sérieux
des travaux depuis 1996, soit par réduction des crédits, soit par
gel budgétaire et restera très vigilant lors de l'examen du
projet de loi de finances pour 1998, d'autant que
trois problèmes
importants restent à résoudre
.
Le premier est d'ordre financier et concerne à la fois le manque de
personnel et de matériel
. Confrontées à des budgets de
plus en plus serrés, les directions interdépartementales ont
accru l'efficacité de leurs équipes d'entretien en
développant de nouvelles méthodes de travail. Alors que les
sépultures de guerre étaient traditionnellement entretenues par
des agents affectés à un poste fixe, les équipes mobiles
ont été développées. Cette technique a permis de
compenser la diminution du nombre d'agents d'entretien en augmentant leur
productivité et en rentabilisant au maximum le matériel. Par
ailleurs, les directions interdépartementales utilisent également
le système dit de l'entretien au titre de "l'article 13",
c'est-à-dire qu'elles emploient des saisonniers pour l'entretien des
nécropoles excentrées, afin d'éviter de trop longs
déplacements aux équipes mobiles. Ces agents ont une obligation
de résultat, mais ils n'ont pas à être présents de
manière permanente sur les nécropoles. Ils reçoivent une
rémunération forfaitaire annuelle de 35 francs par tombe.
De manière générale, la contrainte financière qu'a
subie le département du patrimoine s'est donc avérée
positive dans la mesure où elle a augmenté la productivité
des agents responsables des sépultures de guerre. Toutefois, elle tend
à devenir insupportable pour certaines directions et les oblige à
recourir à des expédients qui nuisent au bon entretien des
sépultures de guerre. A cet égard, la direction
interdépartementale Metz-Nancy est la plus touchée du fait de
l'énorme surface à entretenir (1.676.299 m2) et de
l'éloignement des très nombreux sites
(390.772 sépultures) répartis sur cinq départements
(Meurthe et Moselle, Meuse, Moselle, Vosges, et Marne). Les 81 agents
travaillant pour cette direction ont ainsi une surface de 19.032 m2 par
agent à entretenir, alors que la moyenne nationale est fixée
à 15.000 m2.
Certes, une redistribution du personnel entre certaines directions
interdépartementales des anciens combattants peut être
envisagée, mais, outre les résistances auxquelles elle ne
manquerait pas de s'opposer, elle serait insuffisante pour combler les manques
en personnel de la direction de Metz-Nancy. C'est pourquoi l'organisation d'un
concours devant permettre le recrutement de 26 agents était fort
attendu. Il pose toutefois le problème de la qualification des ouvriers.
En effet, le bon fonctionnement des équipes mobiles exige une grande
polyvalence de leur part. Désormais, les agents doivent avoir non
seulement des connaissances en matière d'espaces verts et de
maçonnerie paysagère, mais également être capables
d'entretenir et de réparer les machines qu'ils utilisent. Le
ministère des anciens combattants devra donc s'assurer que les personnes
sélectionnées possèdent bien ces connaissances et, dans le
cas contraire, les former.
Par ailleurs, les retards pris dans l'installation des bases ont parfois des
conséquences financières très dommageables. En effet, le
plan de modernisation de l'entretien des nécropoles nationales mis en
place en 1992 nécessitait impérativement, sur le plan logistique,
l'installation de bases pour le stockage du matériel (tondeuses, outils
de jardin et de maçonnerie...) et des produits d'entretien,
opération qui est à la charge de la Direction de l'Administration
Générale du ministère. Ainsi, pour la gestion des sites
sous la responsabilité de la direction interdépartementale de
Metz-Nancy, la construction de 11 bases avait été
prévue. Or, à ce jour, seules quatre bases ont été
installées. En conséquent, le matériel est dispersé
dans une totale insécurité soit dans des locaux inadaptés,
prêtés gracieusement à titre provisoire, soit chez des
agents, voire même sur la voie publique.
La direction interdépartementale des anciens combattants de Metz-Nancy a
d'ailleurs été victime de plusieurs vols perpétrés
dans les Vosges, dans la Marne, dans la Meuse et en Meurthe et Moselle, pour un
montant de 125.000 francs en 1996 et 50.000 francs depuis le
début de l'année 1997.
En outre, les achats de matières premières et de fournitures ne
peuvent pas être réalisés dans de bonnes conditions,
puisque l'impossibilité de stockage conduit à des acquisitions au
coup par coup, beaucoup plus onéreuses que les achats groupés.
Les services chargés de l'entretien des nécropoles nationales
sont confrontés à un deuxième problème, à
savoir la préservation des sites qui entourent les nécropoles
nationales
. Certes, il existe une règle qui interdit toute
construction dans un périmètre de 100 mètres, mais
elle n'est pas toujours respectée. Ainsi, la nécropole nationale
de Cronenbourg dans le Bas-Rhin est "coincée" entre l'autoroute et une
caserne de pompiers, ce qui nuit gravement au sentiment de recueillement qui
devrait se dégager de tout cimetière. De même, à
l'occasion de la visite de Notre Dame de Lorette, votre rapporteur s'est
entretenu avec le secrétaire général du cabinet du
préfet du Pas-de-Calais qui évoquait la bataille menée par
la préfecture pour éviter qu'un immense poulailler ne soit
construit à côté du cimetière militaire du
Commonwealth " Cabaret rouge . Afin de préserver
l'environnement des nécropoles nationales, l'Etat doit donc rester
très vigilant et lutter contre la banalisation des sites aux yeux des
personnes qui les côtoient tous les jours. Un effort de pédagogie
doit donc être accompli pour sensibiliser la population et lui faire
comprendre le caractère hautement symbolique des sépultures de
guerre.
Enfin, le ministère des anciens combattants doit clarifier ses
relations avec le Souvenir français et pour cela, assumer pleinement les
fonctions qui lui incombent.
Le "Souvenir français" est une association reconnue d'utilité
publique qui a pour objet de conserver la mémoire de ceux qui sont morts
pour la France, d'entretenir leurs tombes et les monuments élevés
à leur gloire, enfin de transmettre cette mémoire aux
générations successives. Son action est donc
complémentaire à celle du ministère des anciens
combattants puisqu'elle concerne des conflits antérieurs à la
première guerre mondiale ainsi que toutes les sépultures de
guerre à l'exception des nécropoles nationales,
propriété exclusive de l'Etat. Le "Souvenir français"
entretient ainsi plus de 34.000 sépultures perpétuelles,
situées hors des nécropoles nationales. Toutefois, en l'absence
de moyens financiers suffisants, l'Etat s'est avéré incapable de
remplir sa mission, notamment son devoir légal d'entretenir les
sépultures perpétuelles des morts pour la France. En
conséquence, depuis 1987, le Souvenir français apporte
systématiquement un fonds de concours au ministère des anciens
combattants pour faciliter la rénovation des nécropoles
nationales. Depuis 10 ans, 5.850.000 francs ont été
ainsi versés à l'Etat, dont 600.000 francs en 1997 pour la
rénovation de Cronenbourg. Or, malgré son intention louable,
cette aide conduit à une confusion des responsabilités
regrettable et à une décrédibilisation de l'Etat, qui a
besoin d'être aidé financièrement pour respecter ses
engagements légaux. En outre, se pose la question de son
indépendance. Certes, jusqu'à présent, le site à
rénover est choisi par le Souvenir français à partir d'une
liste élaborée par le ministère. De même, ce dernier
a toujours refusé au Souvenir français le droit d'apposer son
insigne ou une plaque pour rappeler que ces monuments avaient été
restaurés grâce à sa collaboration financière.
Pourtant, et même si votre rapporteur approuve la fermeté du
ministère, la revendication du "Souvenir français" est tout
à fait légitime et ne fait qu'obéir à la logique du
partenariat. C'est pourquoi il semble nécessaire de clarifier les
relations entre l'Etat et le Souvenir français en permettant au
ministère des anciens combattants de remplir toutes ses fonctions de
manière convenable.
2. Des musées et des hauts lieux bien entretenus mais qui pourraient être mis davantage en valeur
Le ministère des anciens combattants est également chargé de la gestion d'un musée au Mont-Faron (le Mémorial du Débarquement de Provence) et de quatre hauts lieux de mémoire (le Mémorial de la France Combattante du Mont-Valérien, le camp des Milles, le camp de Natzweiler-Struthof et le Mémorial des Martyrs de la Déportation sur l'Ile de la Cité). Au cours de sa mission, votre rapporteur a visité quatre d'entre eux : le Mémorial du Débarquement de Provence, le camp de Natzweiler-Struthof, le camp des Milles et le Mémorial des Martyrs de la Déportation. Le bilan de ces réalisations est assez inégal : si les deux premiers sites répondent dans l'ensemble à leurs objectifs, les deux derniers laissent en revanche à désirer.
a) Le Mémorial du Mont-Faron
C'est le général de Gaulle, alors
Président de la République, qui, voulant rendre hommage à
l'armée B, choisit le Mont-Faron comme site pour le Mémorial du
Débarquement de Provence. Ce dernier est composé de deux
parties : l'une est consacrée à l'évocation
historique ; dans des salles d'exposition, photographies, maquettes, armes
et uniformes rappellent l'historique du débarquement et les combats
tandis que dans une salle audiovisuelle, un diorama fait revivre toutes les
opérations. La seconde partie, davantage consacrée au souvenir,
évoque la mémoire de ceux qui ont contribué à la
réussite du débarquement.
Trois agents s'occupent de l'entretien du mémorial qui a
été entièrement restauré depuis 1993 pour un
coût de 2.160.350 francs. L'aménagement des salles
d'exposition reste traditionnel et statique, la séance de projection
complète donc bien la visite en apportant une touche de mouvement. En
revanche, il serait souhaitable que l'on tienne compte davantage de la
présence de nombreux anglo-saxons (dont, parmi eux, des anciens
combattants ayant participé au débarquement et leurs familles),
notamment en traduisant en anglais les panneaux d'explication et le commentaire
du diorama.
Toutefois, et malgré son intérêt indéniable, le
Mémorial du Mont-Faron est pénalisé par sa situation
géographique. En effet, il n'est desservi que par une route
étroite taillée en corniche, qui ne peut pas être
empruntée par les autocars, et par un téléphérique
qui ne fonctionne pas les jours de vent fort. L'accès au mémorial
est donc difficile pour les groupes (scolaires ou de personnes
âgées). Or, ces derniers constituent la clientèle
privilégiée de ce haut lieu de mémoire. La revalorisation
du site implique donc une réflexion sur l'amélioration de son
accès. Une piste de réflexion pourrait être le
développement de minicars, même si se pose le problème de
leur gestion et de leur rentabilité.
b) Le camp de Natzweiler-Struthof
Le site de Natzweiler-Struthof regroupe un mémorial en
forme de tour tronquée évoquant une flamme, une exposition
permanente, certains bâtiments du camp de concentration conservés
à titre symbolique (la bâtisse qui servit de chambre à gaz,
le pavillon où résidait le chef du camp, l'emplacement de la
carrière de pierre, la sablière qui fut le lieu
d'exécution par fusillade de plusieurs centaines de détenus) et
une nécropole nationale.
Malgré l'aménagement très traditionnel du musée, le
poids de l'horreur passée, que la visite du camp et de l'exposition fait
resurgir, force le visiteur au silence et à une réflexion sur la
folie meurtrière du régime nazi. On peut toutefois imaginer que
la présentation d'un film reportage ou de diapositives sur le camp
renforcerait encore cette invitation au recueillement.
Pour autant, les deux lieux de mémoire évoqués constituent
des réalisations tout à fait satisfaisantes. En revanche, notre
rapporteur a été déçu par la visite du camp des
Milles et du Mémorial des Martyrs de la Déportation, alors que
des moyens financiers importants ont été engagés sur ces
deux sites.
c) Le camp des Milles
Le camp des Milles fut le plus grand camp d'internement du
sud-est de la France. Trois périodes sont à distinguer.
Dans cette ancienne briqueterie furent d'abord internés dès
septembre 1939 les " sujets ennemis ", c'est-à-dire les
allemands et les autrichiens qui se trouvaient sur le territoire
français, souvent d'ailleurs pour échapper au régime nazi.
Beaucoup étaient des intellectuels. Cette période, qui dura
à peu près un an, fut assez libérale, et la fresque de la
salle du restaurant peinte par les internés et rénovée
tout récemment en témoigne.
La deuxième période commence en octobre 1940 et coïncide
avec l'internement des premiers Juifs.
Puis, et c'est la période la plus tragique, à partir d'août
1942, le camp des Milles va constituer le point de départ de convois de
Juifs pour Drancy ou Auschwitz où ils seront exterminés.
Après la guerre, la tuilerie a repris ses activités industrielles
jusqu'à ce que, en 1978, le professeur André Fontaine
écrive sa thèse sur le camp d'étrangers des Milles.
L'intérêt historique de ce site est alors découvert et, en
1989, L'Etat acquiert la propriété d'une partie de la briqueterie
et les travaux de restauration commencent. En 1994, les peintures murales de
l'ancienne salle de restaurant sont restaurées, puis inaugurées
le 27 février 1997 par le ministre des anciens combattants .
Or, si l'intervention de l'Etat se justifiait par le caractère
symbolique de ce lieu, le résultat des aménagements n'est pas
à la hauteur du million de francs investi dans ce projet.
D'une part, la visite du site est très rapide et sans grand attrait
puisque ne sont à la disposition du public que quelques panneaux mobiles
retraçant, à partir de photos et de témoignages, la vie
dans le camp et la salle de restaurant, avec les quatre fresques peintes par
les artistes internés, le reste de la briqueterie appartenant toujours
à un particulier. En outre, le manque de personnel limite l'ouverture du
site au public à un jour par semaine. Il semble donc que le
ministère des anciens combattants ait entrepris la restauration de cette
salle sans réfléchir au préalable à l'utilisation
qu'il comptait en faire. Certes, la transformation du camp des Milles en
véritable musée aurait exigé la mobilisation de sommes
considérables dont ne dispose pas le ministère. Mais ce site
pourrait très bien être utilisé comme bâtiment
officiel ou être mis à la disposition d'une association. Cela
permettrait de faciliter son accès au public sans frais
supplémentaire tout en tirant le meilleur parti de cet espace vaquant.
En définitive, même s'il n'est pas question de vouloir
"rentabiliser à tout prix" ce lieu de mémoire, il s'agit de lui
permettre de remplir sa fonction, à savoir témoigner de
l'histoire passée et inviter les visiteurs à la réflexion
et au recueillement.
d) Le Mémorial des Martyrs de la Déportation
Le Mémorial des Martyrs de la Déportation pose
un problème sensiblement différent. Face à la
difficulté de témoigner de l'horreur nazie, il a
été conçu exclusivement comme un lieu de recueillement.
Construit en béton, enfoui dans la terre, traversé par une longue
galerie obscure, le mémorial, par son architecture, renforce le
sentiment d'oppression qui saisit le visiteur en entrant dans la crypte.
Pourtant, on peut se demander si le refus délibéré de
compléter la fonction de recueillement du mémorial par une
dimension pédagogique est réellement pertinente. Deux arguments
s'y opposent, d'une part le nombre relativement important de gardiens sur le
site, (trois agents y travaillent, soit autant qu'au Mémorial du
Mont-Faron) qui n'est pas justifié si le mémorial constitue
uniquement un lieu de réflexion ; d'autre part, la nature des
visiteurs : en effet, il s'agit pour la plupart de groupes scolaires. Or,
même si les images présentées dans la galerie sont
très poignantes, elles ne répondent pas aux questions qu'elles ne
peuvent manquer de susciter chez ces adolescents. En conséquent,
l'installation d'une animation silencieuse, voire l'aménagement d'une
salle dans laquelle les classes pourraient se réunir pour engager un
débat entre les élèves et les professeurs ou pour regarder
un film-documentaire qui compléterait les images brutes vues auparavant
apparaît très souhaitable. En outre, il serait facilement
réalisable puisque le mémorial possède une grande
pièce meublée uniquement par une photo très marquante d'un
prisonnier de camp de concentration.
Au-delà de la faible valorisation du site, votre rapporteur a
été désagréablement surpris par l'une des salles du
mémorial supposée traiter de la déportation des
résistants. Ce thème reste un sujet très sensible. En
effet, il est difficile de reconstituer, après coup, des
catégories de déportés et d'obtenir des statistiques
fiables. Par ailleurs, le classement des déportés en fonction de
leur gloire supposée peut s'avérer un exercice périlleux.
Or cette salle contient une carte de France précisant le nombre
"exact"
de résistants déportés dans chaque département.
Outre que les chiffres avancés portent à contestation, votre
rapporteur estime que ce genre d'information très polémique n'a
pas sa place dans un mémorial consacré à l'ensemble des
martyrs de la déportation. D'ailleurs, la brochure sur le
mémorial de l'Ile de la Cité n'évoque pas cette salle. Il
apparaît donc nécessaire d'en redéfinir son contenu afin de
l'harmoniser avec le reste du mémorial.
B. UNE ANALYSE PLUS CRITIQUE DES AUTRES MISSIONS DE LA D.M.I.H
L'intervention en faveur de l'information historique et l'organisation des cérémonies sont des chapitres systématiquement affectés par les restrictions budgétaires et caractérisés par une grande précarité.
1. Des actions largement soumises aux restrictions budgétaires
Depuis 1990, et sauf en 1994, année du
cinquantième anniversaire du débarquement allié en
Normandie, les chapitres 41-91 (fêtes nationales et
cérémonies publiques) et 43-02 (interventions en faveur de
l'information historique) ont fait l'objet chaque année de
décrets d'annulations.
Montant des annulations sur les chapitres 41-91 et 43-02
(montants en francs)
Annulations |
1990 |
1991 |
1992 |
1993 |
1994 |
1995 |
1996 |
1997 |
Valeur absolue |
588.810 |
1.500.000 |
1.140.000 |
3.059.090 |
0 |
4.673.000 |
2.400.000 |
1.023.600 |
En % par rapport aux crédits ouverts dans la LFI |
6,8
|
15,5 |
5,8 |
15,0 |
0* |
28,6 |
13,1 |
11,6 |
* L'année 1994 peut difficilement être prise
en compte car elle correspond à l'année de la
célébration des Débarquements
En outre, les crédits affectés à ces chapitres sont
systématiquement insuffisants, et le ministère des anciens
combattants doit faire appel chaque année au Parlement pour faire
financer ses actions par des crédits non reconductibles. En 1997, les
amendements parlementaires constituent plus de 20 % des crédits
affectés aux chapitres 41-91 et 43-02. A cet égard, votre
rapporteur soupçonne le Budget de sous-estimer
délibérément les besoins de la D.M.I.H, sachant que le
Parlement augmentera ses crédits.
Evolution de la part des amendements dans le budget
affecté aux cérémonies et aux actions d'information
historique
Or, le fait, pour le ministère des anciens combattants,
de compter sur le vote de crédits non reconductibles par le Parlement
pour boucler le budget de la Délégation à la
Mémoire et à l'Information Historique est contraire aux
règles élémentaires qui encadrent l'élaboration du
budget.
D'une part, cette technique introduit une grande insécurité
financière dans les services chargés de l'organisation des
cérémonies nationales et de l'information historique et compromet
l'efficacité de leur action.
D'autre part, elle dénature la pratique du vote de crédits
exceptionnels non reconductibles, destinés au financement de mesures
ponctuelles auxquelles les parlementaires attachent un intérêt
particulier, en les intégrant dans le calcul du budget, alors même
que ces crédits n'ont pas encore été votés.
Cet abus du recours aux amendements parlementaires conduit en outre à
faire peser sur le Sénat et l'Assemblée nationale une pression
contraire à l'indépendance du législatif vis-à-vis
de l'exécutif. En effet, l'éventuel refus de compléter le
budget de la Délégation à la Mémoire et à
l'Information historique placerait cette administration dans une situation
financière difficile. Le Parlement se voit donc, au moins moralement et
malgré sa lassitude, contraint de lui venir en aide.
Par ailleurs, ces crédits exceptionnels ont de fortes chances
d'être annulés au moins en partie lors de la régulation
budgétaire. Ce constat s'appuie sur la comparaison du montant des
crédits votés par amendement parlementaire et des annulations
intervenant chaque année à la D.M.I.H.
Evolution du montant des crédits exceptionnels votés par le Parlement et des annulations de crédits touchant la D.M.I.H
(en francs)
1995 |
1996 |
1997 |
|
Montant des amendements |
4.960.000 |
4.300.000 |
2.000.000 |
Montant des annulations |
4.673.000 |
3.275.000 |
1.023.600 |
L'anayse de ce tableau donne à votre rapporteur le
sentiment que les amendements parlementaires permettent essentiellement au
ministère des anciens combattants de faire face aux régulations
budgétaires imposées par le Budget chaque année.
Or, cette grande précarité financière nuit à la
qualité du travail du département des cérémonies et
du département de l'information historique.
2. Une politique dépourvue de vision globale et à long terme
Il ne s'agit pas de remettre en cause le travail
effectué par les deux départements concernés, qui
parviennent, malgré des crédits limités, à
accomplir leurs obligations légales.
Ainsi, toutes les cérémonies nationales sont organisées.
Cette année, le département des cérémonies a
également préparé l'inauguration par le ministre des
anciens combattants du camp des Milles le 27 février et de la
nécropole nationale rénovée de Minaucourt le 16 mai.
Par ailleurs, il a contribué à la parution du timbre "Hommage aux
combattants français en Afrique du Nord". Par ailleurs, lorsque le
Président de la République a décidé d'élever
au grade de Chevalier de la légion d'honneur les anciens combattants de
1914-1918, le ministère des anciens combattants a procédé
à un recensement approfondi des anciens combattants survivants de la
première guerre mondiale et a instruit les dossiers. En revanche, il n'a
pu prendre en charge l'achat des " croix ", qui ont donc dû
être financées soit par les familles, soit par des amis, soit par
des associations, soit même par des maires ou des préfets.
Le département des interventions en faveur de l'information historique,
lui, a poursuivi le tirage de la revue " Les chemins de la
Mémoire ", même si quelques numéros ont
été supprimés par économie. Sont également
parus de nouveaux dépliants historiques sur le Mémorial des
Guerres en Indochine, sur les nécropoles et les monuments du Chemin des
Dames, sur les nécropoles nationales au Moyent-Orient et sur les lieux
de mémoire américains. En outre, l'Arc-de-Triomphe a accueilli
une exposition sur l'Afrique du Nord et une autre est prévue en novembre
sur Guynemer et l'armée de l'air.
Pour autant, le bilan de ces actions est assez décevant.
D'une part, les interventions sont de qualité très
inégale. Votre rapporteur a examiné nombre des livres, revues et
dépliants publiés par le ministère des anciens combattants
et s'est à chaque fois félicité de leur clarté et
de la richesse d'informations qu'ils contiennent. En revanche, il a
été déçu par l'exposition sur l'Afrique du Nord.
Certes, ses crédits étaient très limités,
puisqu'elle n'a disposé que de 95.500 francs, alors qu'une exposition
coûte en règle générale plus de 300.000 francs. En
outre, il s'agit d'un sujet très sensible et le ministère des
anciens combattants s'est efforcé de traiter ce sujet de la
manière la plus neutre possible. Mais cette très grande prudence
a rendu l'exposition insipide. Par ailleurs, l'agencement compliqué des
panneaux et l'absence de fil directeur donnaient l'impression d'une certaine
confusion. Enfin, le lieu de l'exposition (l'Arc de Triomphe) étant
très fréquenté par des touristes étrangers, la
présence de panneaux d'explication en anglais aurait valorisé
l'exposition en élargissant considérablement son public.
D'autre part, les crédits mis à la disposition du
département de l'information historique, déjà
réduits à leur minimum, servent systématiquement de
variable d'ajustement lors des annulations budgétaires.
Sauf
à obtenir des crédits exceptionnels non reconductibles
votés par le Parlement, aucune action de grande envergure ne peut donc
être engagée.
L'administration est condamnée à
mener des actions ponctuelles, au gré des crédits disponibles,
sans aucune vision globale et à long terme sur les objectifs de
l'information historique et les types d'actions à mener.
Par ailleurs, votre rapporteur regrette que la politique de sensibilisation
des jeunes ne soit pas plus active et mieux structurée. Certes, le
ministère des anciens combattants dispose de crédits pour
subventionner les projets d'actions éducatives ou les voyages scolaires
concernant la mémoire des guerres et des conflits. Mais les professeurs
ignorent très souvent l'existence de ces aides, faute d'une
véritable stratégie de communication du ministère
vis-à-vis des collèges et des lycées.