Rapport d'information n° 6 - Le Défi de la mémoire - Politique de la mémoire menée par le ministère des Anciens combattants et victimes de guerre
M. Jacques BAUDOT, Sénateur
Commission des Finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la Nation - Rapport d'information n°6 - 1997/1998
Table des matières
-
INTRODUCTION- I. DES MISSIONS TRÈS VARIÉES QUI S'AVÈRENT ESSENTIELLES POUR LA SAUVEGARDE ET L'ENTRETIEN DE LA MÉMOIRE COLLECTIVE
-
II. UN BILAN CONTRASTÉ EN RAISON DE L'INSUFFISANCE DES CRÉDITS
- A. UNE ACTION GLOBALEMENT POSITIVE EN MATIÈRE D'ENTRETIEN DU PATRIMOINE
- B. UNE ANALYSE PLUS CRITIQUE DES AUTRES MISSIONS DE LA D.M.I.H
-
III. LES PERSPECTIVES
-
A. DES ENJEUX CONSIDÉRABLES
- 1. Des pressions accrues en direction de l'Etat qui impliqueront des choix décisifs en matière de sauvegarde du patrimoine
- 2. La légitimité du ministère des anciens combattants dépend de la qualité de sa politique de la mémoire
- 3. L'éventuelle réforme du service national renforce encore l'urgence de la revalorisation de la politique de la mémoire
- B. LES PROPOSITIONS
-
A. DES ENJEUX CONSIDÉRABLES
- ANNEXES
N° 6
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 1997-1998
Annexe au procès-verbal de la séance du 1er octobre 1997
RAPPORT D'INFORMATION
FAIT
au nom de la commission des Finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la Nation (1) sur la politique de la mémoire menée par le ministère des anciens combattants et victimes de guerre ,
Par M. Jacques BAUDOT,
Sénateur.
(1) Cette commission est composée de :
MM.
Christian Poncelet,
président
; Jean Cluzel, Henri Collard,
Roland du Luart, Mme Marie-Claude Beaudeau, MM. Philippe Marini,
René Régnault,
vice-présidents
; Emmanuel
Hamel, Gérard Miquel, Michel Sergent, François Trucy,
secrétaires
; Alain Lambert,
rapporteur
général
; Philippe Adnot, Bernard Angels, Denis Badré,
René Ballayer, Bernard Barbier, Jacques Baudot, Claude Belot,
Mme Maryse Bergé-Lavigne, MM. Roger Besse, Maurice Blin, Joël
Bourdin, Guy Cabanel, Auguste Cazalet, Michel Charasse, Jacques Chaumont, Yvon
Collin, Jacques Delong, Yann Gaillard, Hubert Haenel, Claude Haut,
Jean-Philippe Lachenaud, Claude Lise, Paul Loridant, Marc Massion, Michel
Mercier, Michel Moreigne, Joseph Ostermann, Jacques Oudin, Maurice Schumann,
Henri Torre, René Trégouët.
Anciens combattants et victimes de guerre. - Rapports d'information. |
INTRODUCTION
A l'initiative de son Président, M. Christian Poncelet,
la commission des Finances a demandé à votre rapporteur, en sa
qualité de rapporteur spécial des crédits du
ministère des anciens combattants
1(
*
)
,
d'effectuer un contrôle, sur pièces et sur place, de l'utilisation
des crédits affectés à la Délégation
à la Mémoire et à l'Information Historique (D.M.I.H).
En effet, depuis plusieurs années, le Parlement est
systématiquement sollicité, lors de l'examen du budget, pour
voter des crédits exceptionnels non reconductibles à la D.M.I.H.
Ce contrôle devait donc permettre de vérifier si cette
administration disposait des crédits nécessaires pour accomplir
ses missions. Dans cette perspective, votre rapporteur a été
conduit à évaluer la politique de la mémoire menée
par le ministère, c'est-à-dire à en apprécier le
coût, à travers une étude quantitative, mais
également le sens et les objectifs.
La mémoire collective constitue en effet un ciment puissant pour chaque
société puisqu'elle véhicule son histoire et transmet ses
valeurs d'une génération à l'autre. Il s'agit donc d'un
patrimoine qu'il faut savoir à la fois protéger, entretenir et
partager, surtout avec les jeunes.
Pourtant, l'analyse de la politique de la mémoire menée par la
D.M.I.H conduit à un bilan mitigé : si le ministère
des anciens combattants semble en mesure, notamment grâce au
dévouement de ses fonctionnaires, d'entretenir correctement les
nécropoles nationales et les lieux de mémoire, les actions de
célébration et de promotion de la mémoire pêchent
par un manque de vision globale et à long terme.
Or, la prise de conscience de cette dérive constitue un enjeu essentiel
pour la légitimité et, en conséquent, la survie de ce
ministère. En effet, la mortalité naturelle qui affecte les
anciens combattants et la diminution du nombre des conflits font perdre de
l'importance aux fonctions traditionnelles, comme le versement des pensions
d'invalidité et des retraites des combattants. En revanche, la
défense de la mémoire apparaît d'autant plus
nécessaire que les dates des conflits reculent, que les survivants se
font rares et que le souvenir s'efface.
En définitive, c'est à une véritable réflexion sur
les missions et le rôle du ministère des anciens combattants
qu'invitent les conclusions de ce rapport.
Votre rapporteur souhaite remercier l'ensemble des intervenants qu'il a eu
l'occasion de rencontrer au cours de ses nombreuses visites et de ses
différents entretiens. Il tient particulièrement à saluer
la précieuse collaboration et la grande disponibilité de
l'ensemble du personnel de la Délégation à la
Mémoire et à l'Information Historique, et notamment de l'ancien
délégué à la mémoire,
M. Roger JOUET, de son adjoint M. Claude AURIOL, et du chef
du département du Patrimoine, M. Bernard KOELSCH.
I. DES MISSIONS TRÈS VARIÉES QUI S'AVÈRENT ESSENTIELLES POUR LA SAUVEGARDE ET L'ENTRETIEN DE LA MÉMOIRE COLLECTIVE
A. DES MISSIONS TRÈS VARIÉES
Le décret n° 92-231 du 12 mars 1992 relatif
à l'organisation de l'administration centrale du secrétariat
d'État aux anciens combattants et victimes de guerre définit les
missions de la Délégation à la Mémoire et à
l'Information Historique. Il dispose que cette dernière
"
participe à la définition et à la mise en uvre
de la politique de l'État dans le domaine de la mémoire des
guerres et des conflits contemporains par la mise en valeur des lieux de
mémoire, l'élaboration du programme commémoratif,
l'organisation d'actions pédagogiques, le soutien à la recherche
historique et à la défense de la mémoire.
"
Les activités de la Délégation à la Mémoire
et à l'Information Historique sont donc très variées. La
division de la D.M.I.H en quatre départements et deux bureaux
témoigne d'ailleurs de cette diversité.
Quatre grandes fonctions lui incombent, qui sont précisées par
l'arrêté du 19 juin 1992 fixant l'organisation en
départements et services de la Délégation à la
Mémoire et à l'Information Historique.
1. L'entretien du patrimoine
L'ensemble du patrimoine est géré par le
département du patrimoine qui conçoit et met en uvre l'ensemble
des activités liées au patrimoine des guerres et des conflits
contemporains.
D'une part, il coordonne l'ensemble des travaux de construction et de
rénovation des nécropoles nationales en France et à
l'étranger ainsi que la sauvegarde des hauts lieux ; il gère
les relations avec les services des tombes étrangères ; en
France, il travaille avec les collectivités locales et les associations
tandis qu'à l'étranger, il est en contact avec les ambassades et
les consulats français ; il étudie tous les dossiers
concernant la création et l'entretien des monuments, stèles,
plaques et musées.
D'autre part, il développe les relations avec les ressortissants
à travers les recherches concernant les " Morts pour la
France ", l'attribution du droit de pèlerinage et l'attribution de
la mention " Mort en déportation ".
Enfin, le département du patrimoine est chargé de la mise en
valeur du patrimoine à travers la réalisation de
dépliants, de panneaux d'information, de plaquettes ou de tout autre
document d'information.
2. L'organisation des cérémonies
C'est le département des cérémonies qui
organise les manifestations à caractère national et les
cérémonies légales ou exceptionnelles. Il s'agit, pour les
commémorations traditionnelles, du 11 novembre, du 8 mai, de la
journée nationale de Commémoration des persécutions et des
crimes racistes, antisémites commis sous l'autorité de fait dite
" gouvernement de l'État français "
(célébré symboliquement le jour de la rafle du
Vélodrome d'Hiver) le 16 juillet, de la journée du Souvenir de la
Déportation le 30 avril et de la fête du Patriotisme le
deuxième dimanche de mai.
Les célébrations d'anniversaire sont plus rares mais mobilisent
des sommes très élevées. La dernière grande
commémoration a eu lieu en 1994/1995, pour fêter le
cinquantième anniversaire des Débarquements et de la
Libération de la France. Une mission avait alors été
créée (sous la forme juridique d'un Groupement
d'Intérêt Public), qui avait été dotée de
150 millions de francs.
3. L'information historique
C'est le département de l'information historique qui
est chargé de cette mission.
D'une part, il met en uvre et soutient les initiatives
pédagogiques : il subventionne les projets d'actions
éducatives et les voyages scolaires ayant trait à la
mémoire des guerres et des conflits (il existe d'ailleurs des
conventions de partenariat avec la Ligue française de l'enseignement et
de l'éducation permanente et l'Association des professeurs d'histoire et
de géographie), il participe à l'organisation du concours
national de la Résistance et subventionne les concours sportifs du 8 mai.
D'autre part, il gère les activités d'information historique
mises en uvre au niveau local par les services
déconcentrés : ainsi, il suit les activités de la
commission départementale pour l'information historique et pour la paix,
qui est présidée par le préfet ; il gère les
subventions liées aux projets d'information historique des associations
et des collectivités locales (réalisations d'expositions, de
films, de livres, de plaquettes, de documentaires sur les thèmes des
guerres et conflits contemporains) ; il suit les vétérans de
1914-1918 ; il est chargé des relations avec les
représentants de la mémoire dans les villes de plus de 10.000
habitants...
Il existe également la cellule communication, directement
rattachée au délégué de la D.M.I.H, qui s'occupe de
la revue mensuelle "Les Chemins de la Mémoire", des dossiers de presse
et des publications spécifiques.
4. La défense de la mémoire
La mémoire doit être non seulement entretenue,
mais également défendue. En effet, elle est menacée
à la fois par l'oubli et par la falsification. C'est pourquoi a
été créé le département Mémoire et
Vigilance, qui est chargé de deux missions complémentaires,
visant à défendre la mémoire de la guerre et des conflits
contemporains.
D'une part, il participe à la collecte des témoignages d'anciens
combattants et subventionne l'organisation de colloques et de journées
de témoignages.
D'autre part, il contribue à l'élaboration des lois relatives
à la défense de la mémoire, des guerres et conflits
contemporains et veille à ce que la mémoire ne soit pas remis en
cause.
B. DES MISSIONS ESSENTIELLES POUR LA SAUVEGARDE ET L'ENTRETIEN DE LA MÉMOIRE
1. Le devoir de mémoire
" Tant peut sur les humains la mémoire
chérie
C'est la cendre des morts qui créa la patrie "
Par ces deux vers, Lamartine se place au coeur du débat sur le devoir de
mémoire et rappelle que la mémoire, en transformant en bien
commun et en héritage collectif les événements
passés, crée et conforte le sentiment d'appartenance à une
nation particulière. La mémoire constitue ainsi l'un des ciments
de la société et ce n'est pas un hasard si tous les
régimes qui, dans l'histoire de l'humanité, ont essayé
d'instaurer une société nouvelle ou un homme nouveau, se sont
attachés, dès leur arrivée au pouvoir, à
réécrire l'histoire de leur pays.
Pour autant, la mémoire ne se contente pas de donner aux hommes des
racines et de leur faire prendre conscience du poids des ans qui les ont
précédés. Elle joue également un rôle
essentiel dans l'éducation de la jeunesse et dans la préservation
de l'avenir. A cet égard, le vingtième siècle constitue
une véritable rupture. En effet, comme le fait remarquer dans un article
l'ancien délégué à la D.M.I.H, Roger Jouet,
"
jusqu'à la première guerre mondiale, la mémoire
était l'auxiliaire d'une marche vers le progrès, continue
malgré les rechutes (guerre de Cent ans, guerres de religion) et qui
avait amené des tribus barbares appelées " Francs "
à former en quinze siècles un grand pays respecté et
libre, qui pouvait à son tour propager dans le monde les valeurs dont il
était porteur
". Les deux guerres mondiales et la
décolonisation ont brisé cette croyance. Désormais,
"
le besoin de se souvenir, d'analyser, de reconnaître
a
pour mission de montrer à la jeunesse
que
" la
démocratie, la liberté, les droits de l'homme sont des valeurs
fragiles, qui ont pu en quelques années être balayées par
une crise économique et une idéologie pernicieuse
".
Le devoir de mémoire revêt donc une double importance, puisqu'il
perpétue le sentiment d'appartenance à la nation et contribue
à la défense nationale et à la paix.
2. Un intérêt accru pour le passé
L'attitude des Français vis-à-vis de la
mémoire est ambiguë. L'éloignement des conflits et la
disparition progressive des combattants diminuent l'intérêt des
Français pour leur passé. Ainsi, les hauts lieux de
mémoire enregistrent une chute de leur fréquentation, d'une part,
parce que les pèlerinages traditionnels, qui touchent les anciens
combattants et leurs familles, se font plus rares faute de participants, et
d'autre part, parce que les jeunes générations, plus enclines
à s'inventer un avenir que de se tourner vers le passé, sont
moins attirées par ces visites.
Pourtant, d'autres signes tempèrent ce constat. Tout d'abord, les
célébrations qui ont accompagné le cinquantième
anniversaire des Débarquements ont suscité un véritable
engouement des Français pour leur histoire, qui s'est notamment traduit
par une reprise sensible de la fréquentation des musées. En
outre, la Délégation à la Mémoire et à
l'Information Historique a constaté depuis quelques années une
recrudescence des demandes de renseignements sur des proches ou des parents
morts pendant les conflits mondiaux. Dans la plupart des cas, ces demandes
d'informations sont le fait soit de personnes âgées, qui,
arrivées à la retraite, ont désormais le temps d'engager
des recherches sur leurs familles, soit de jeunes (entre 12 et 19 ans) qui sont
désireux de connaître le passé de leurs ancêtres,
mais qui n'ont plus d'interlocuteurs, faute de survivants.
En définitive, il existe donc une réelle aspiration des
Français à la sauvegarde de la mémoire, que la
Délégation à la Mémoire et à l'Information
Historique a le devoir de cultiver et de développer. Par ailleurs, il
lui faut relever le défi de l'oubli et, dans cet objectif, concentrer
son action sur les jeunes.
Or, l'absence de crédits limite singulièrement les marges de
manoeuvre de la D.M.I.H.
II. UN BILAN CONTRASTÉ EN RAISON DE L'INSUFFISANCE DES CRÉDITS
A. UNE ACTION GLOBALEMENT POSITIVE EN MATIÈRE D'ENTRETIEN DU PATRIMOINE
1. Un entretien tout à fait satisfaisant des nécropoles nationales au regard des crédits mis à disposition
L'engagement de l'Etat à conserver les tombes des
combattants tués à la guerre remonte à une loi du 4 avril
1873. Mais les sépultures sont, à l'époque, le plus
souvent des fosses communes surmontées de monuments. Cette pratique se
poursuit encore au début de la première guerre mondiale,
jusqu'à la stabilisation des fronts, en 1915. L'importance des pertes
impose alors la prise de mesures pour l'organisation des sépultures.
La loi du 29 décembre 1915 donne droit à la sépulture
perpétuelle, aux frais de l'Etat, aux militaires Morts pour la France
pendant la guerre et définit le principe de la tombe individuelle.
La loi du 25 novembre 1918 crée une commission nationale chargée
de définir les principes architecturaux de base des cimetières
militaires.
La loi du 31 juillet 1920 confie à la nation qui en reçoit la
propriété, l'entretien des cimetières militaires à
installer ou à créer sur l'ancien front.
Le ministre des pensions a fait procéder jusqu'en 1935 à
l'exhumation des corps sur les champs de bataille et a fait regrouper les
sépultures dispersées dans les nécropoles nationales et
les carrés militaires des cimetières communaux qui ont
été, pour la plupart, aménagés au cours des
années 20.
Dans le même temps, des cimetières militaires français ont
été érigés dans les pays étrangers où
la France a combattu : en Belgique, en Italie et dans les pays du front
d'Orient et du Levant.
Après la seconde guerre mondiale, de nouvelles nécropoles ont
été installées, en France, en Italie et en Afrique du Nord
surtout. Les guerres de décolonisation provoquèrent la
création ou le développement de cimetières militaires en
Indochine, à Madagascar et en Algérie.
Il existe ainsi :
· en France : 263 nécropoles nationales où
reposent 729.000 corps dont 244.000 en ossuaires (88 % de ces corps
sont ceux de victimes de la première guerre mondiale) et quelques
3.200 carrés militaires contenant 115.000 corps.
· à l'étranger : 234 cimetières
principaux répartis dans 58 pays et près de 2.000 plus
petits où reposent 197.000 morts dont 90.000 en ossuaires.
Le ministère des anciens combattants et victimes de guerre a la charge
de l'entretien et de la conservation de ces sépultures.
En France, les nécropoles nationales sont entretenues directement par
les équipes d'ouvriers professionnels des directions
interdépartementales du ministère des anciens combattants.
Les techniques d'entretien varient selon les sites, même si la tendance
est au développement des équipes mobiles. Celles-ci assurent,
chacune pour une zone, les missions menées jusqu'alors dans chaque
nécropole par des agents affectés à un poste fixe.
En revanche, pour l'entretien des carrés communaux, des conventions sont
passées avec les municipalités ou les associations qui
reçoivent une indemnité forfaitaire de 8 francs par tombe.
Cette délégation de crédits s'explique à la fois
par la grande hétérogénéité des
carrés militaires et le manque de moyens de l'Etat. En effet, outre les
sépultures perpétuelles à la charge de l'Etat, ces
cimetières contiennent également des tombes
" normales , dont l'entretien revient aux communes, et des tombes
mixtes, à savoir des caveaux familiaux contenant un ou des Morts pour la
France, dont les restes mortels ont été rendus aux familles et
dont, par conséquent, l'Etat n'est plus responsable. Lorsque ces caveaux
tombent en déshérence, le Souvenir français se fait un
devoir moral de veiller à leur entretien. Il perçoit alors de
l'Etat l'indemnité forfaitaire prévue pour l'entretien des
sépultures perpétuelles. Au total, 93.351 tombes de
militaires morts pour la France, bénéficiant de la
sépulture perpétuelle aux frais de l'Etat, situées dans
les carrés communaux, sont entretenues soit par les communes, soit par
les associations.
Enfin, à l'étranger, sauf en Tunisie et au Maroc où
existent des services déconcentrés du ministère des
anciens combattants, la gestion des sites est confiée aux ambassades et
aux consulats, sous le contrôle du ministère.
Au total, le coût de l'entretien des sépultures de guerre
s'élève à 34 millions de francs pour 1997, salaires
et dépenses relatives à la mise en état des
sépultures de guerre inclus.
LES CIMETIÈRES ÉTRANGERS EN FRANCE
1. Les cimetières du Commonwealth
C'est la " Commonwealth War Graves Commission " (C.W.G.C)
qui est
responsable de l'entretien des cimetières des combattants du
Commonwealth dans le monde entier. Pour l'entretien des cimetières qui
se trouvent sur le sol français, cette organisation dispose d'un budget
de 100 millions de francs et emploie 421 agents.
En France, les restes mortels de près de 700.000 combattants du
Commonwealth sont enterrés dans 2.909 cimetières, dont 818 ont
été réalisés et sont entretenus
intégralement par la C.W.G.C. Les 2.091 autres ne sont en
réalité que des groupes de tombes accueillies soit au sein des
nécropoles nationales françaises, soit dans les carrés
militaires des cimetières communaux. Il existe enfin des tombes
très dispersées sur les lieux mêmes où moururent
certains combattants (équipages d'avions, groupes victimes d'une attaque
surprise...).
En effet, le refus des exhumations des restes mortels des combattants
constitue un principe fondamental, auquel il n'est dérogé qu'en
cas de réelle nécessité publique ou lors de l'inhumation,
à la demande expresse des familles, sur le lieu même du
décès, avant la fin de la guerre.
Les cimetières du Commonwealth se caractérisent également
par la commémoration individuelle nominative et la rigoureuse
uniformité des stèles entraînant l'absence de distinction
entre les morts, quels que soient le grade, le rang social, la race et la
religion. Les stèles sont en pierre calcaire blanche et chaque
cimetière possède la " Croix du sacrifice ",
fixée sur une base octogonale et portant sur sa flèche une
épée en bronze.
2. Les cimetières américains
" The American Battle Monuments Commission " est chargée de
l'entretien des cimetières militaires et des monuments
érigés à la mémoire des forces armées
américaines, ayant combattu dans le monde entier. Cette organisation
dispose d'un budget de 56 millions de francs et de 161 agents pour
l'entretien des cimetières placés sur le sol français.
Les cimetières américains à l'étranger sont peu
nombreux, très vastes et regroupent, dans les lieux où se sont
déroulés les engagements majeurs, tous les petits
cimetières constitués au cours des opérations liées
à cet engagement. Ainsi, la France accueille 11 cimetières
américains dans lesquels reposent ou est évoqué le
souvenir de 67.572 soldats américains.
Ils sont caractérisés par leur gazon uniformément plat
(c'est-à-dire sans trace du contour des tombes individuelles) et leurs
croix (ou étoiles de David) en marbre blanc. Existent, par ailleurs, une
chapelle oecuménique, des plaques portant le nom de tous les disparus
dans la région considérée, une salle musée
comportant la carte des opérations et le récit de celle-ci, une
sculpture imposante et un local d'accueil pour les visiteurs.
3. Les cimetières allemands
C'est le " Volksbund Deutsche Kriegsgräberfürsorge e.V. ",
association privée qui compte plus d'un million de membres, qui est
responsable de l'entretien des cimetières allemands à
l'étranger. Pour l'entretien des cimetières placés sur le
sol français, cette organisation dispose d'un budget de
38,5 millions de francs et emploie 186 agents.
Depuis la première guerre mondiale, 1.035.000 restes mortels ont
été enterrés dans les 231 cimetières allemands en
France.
L'agencement des cimetières militaires allemands respecte un certain
nombre de principes : les tombes individuelles ne comportent pas de
bordures, elles sont entourées d'arbres et le sol fleuri est
uniformément plat.
Les marques d'identification des tombes se dressent à même le sol
et sont de divers modèles, suivant les cimetières : pupitres
en pierres naturelles, croix ou stèles en pierres locales ou en
béton, parfois même croix sombre en fonte d'aluminium.
Au cours de cette mission, votre rapporteur s'est rendu dans
13 nécropoles nationales réparties dans
7 départements et en Belgique. Il a été
agréablement surpris par la qualité de l'entretien des
nécropoles et leur aspect tout à fait satisfaisant. En effet,
aussi bien les responsables de la politique de la mémoire au
ministère des anciens combattants que les représentants du
" Souvenir français " avaient dépeint une situation
beaucoup plus noire, prenant comme références les
cimetières américains ou du Commonwealth.
Or, la comparaison n'est pas possible dans la mesure où le nombre des
cimetières, les principes qui guident leur entretien et les sommes mises
en jeu sont complètement différents.
Les Américains ont regroupé leurs cimetières militaires en
11 nécropoles nationales, alors qu'il existe
263 nécropoles françaises, 231 cimetières
allemands et 818 cimetières du Commonwealth.
Par ailleurs, au-delà du souci d'entretenir les tombes des combattants
morts pour la patrie, la conservation et la valorisation des nécropoles
obéissent à des motifs différents. Ainsi, pour les jeunes
nations comme les Etats-Unis, le Canada, l'Australie ou encore la
Nouvelle-Zélande, les deux guerres mondiales représentent l'un
des éléments les plus importants de leur patrimoine historique
(on dit même que c'est la guerre mondiale qui a créé les
nations australienne et nouvelle-zélandaise), ce qui permet de mieux
comprendre les efforts, notamment financiers, consentis pour le
préserver. Quant à la Grande-Bretagne, outre son attachement
à sa réputation de nation combattante, elle semble d'autant plus
soucieuse de l'aspect des cimetières qu'ils constituent l'un des
derniers vestiges du Commonwealth et, en conséquent, de son rayonnement
passé.
De plus, les moyens financiers et humains affectés à l'entretien
des tombes sont difficilement comparables. Alors qu'une stèle
britannique coûte 1.500 francs, le prix de la croix française
ne s'élève qu'à 150 francs. De même, plus de
400 agents s'occupent de l'entretien des cimetières du
Commonwealth, contre 200 pour les nécropoles françaises.
Pour autant, la France peut être fière de ses nécropoles
nationales : celles-ci sont bien entretenues, les pelouses sont bien
taillées, les croix sont lavées et repeintes
régulièrement. Il convient à cet égard de saluer
les agents des directions interdépartementales, qui, par leur
dévouement et leur professionnalisme, arrivent souvent à
compenser l'insuffisance des moyens mis à leur disposition.
En outre, depuis 1985, un programme de réfection a été
lancé afin de restaurer les sépultures de guerre qui dataient des
années vingt et avaient considérablement souffert avec le temps.
Un certain nombre de nécropoles nationales et de carrés
militaires ont été complètement reconstruits et leur
aménagement paysager a été recréé. Certes,
cette action a dû être interrompue de 1988 à 1992, lorsque
tous les efforts du ministère ont été portés sur la
construction de la nécropole de Fréjus. Mais depuis 1994, un
nouveau programme a été lancé, qui devrait permettre d'ici
l'an 2000, pour un coût de 50 millions de francs, la
rénovation de l'ensemble des sépultures nécessitant des
travaux.
Votre rapporteur s'inquiète toutefois du ralentissement sérieux
des travaux depuis 1996, soit par réduction des crédits, soit par
gel budgétaire et restera très vigilant lors de l'examen du
projet de loi de finances pour 1998, d'autant que
trois problèmes
importants restent à résoudre
.
Le premier est d'ordre financier et concerne à la fois le manque de
personnel et de matériel
. Confrontées à des budgets de
plus en plus serrés, les directions interdépartementales ont
accru l'efficacité de leurs équipes d'entretien en
développant de nouvelles méthodes de travail. Alors que les
sépultures de guerre étaient traditionnellement entretenues par
des agents affectés à un poste fixe, les équipes mobiles
ont été développées. Cette technique a permis de
compenser la diminution du nombre d'agents d'entretien en augmentant leur
productivité et en rentabilisant au maximum le matériel. Par
ailleurs, les directions interdépartementales utilisent également
le système dit de l'entretien au titre de "l'article 13",
c'est-à-dire qu'elles emploient des saisonniers pour l'entretien des
nécropoles excentrées, afin d'éviter de trop longs
déplacements aux équipes mobiles. Ces agents ont une obligation
de résultat, mais ils n'ont pas à être présents de
manière permanente sur les nécropoles. Ils reçoivent une
rémunération forfaitaire annuelle de 35 francs par tombe.
De manière générale, la contrainte financière qu'a
subie le département du patrimoine s'est donc avérée
positive dans la mesure où elle a augmenté la productivité
des agents responsables des sépultures de guerre. Toutefois, elle tend
à devenir insupportable pour certaines directions et les oblige à
recourir à des expédients qui nuisent au bon entretien des
sépultures de guerre. A cet égard, la direction
interdépartementale Metz-Nancy est la plus touchée du fait de
l'énorme surface à entretenir (1.676.299 m2) et de
l'éloignement des très nombreux sites
(390.772 sépultures) répartis sur cinq départements
(Meurthe et Moselle, Meuse, Moselle, Vosges, et Marne). Les 81 agents
travaillant pour cette direction ont ainsi une surface de 19.032 m2 par
agent à entretenir, alors que la moyenne nationale est fixée
à 15.000 m2.
Certes, une redistribution du personnel entre certaines directions
interdépartementales des anciens combattants peut être
envisagée, mais, outre les résistances auxquelles elle ne
manquerait pas de s'opposer, elle serait insuffisante pour combler les manques
en personnel de la direction de Metz-Nancy. C'est pourquoi l'organisation d'un
concours devant permettre le recrutement de 26 agents était fort
attendu. Il pose toutefois le problème de la qualification des ouvriers.
En effet, le bon fonctionnement des équipes mobiles exige une grande
polyvalence de leur part. Désormais, les agents doivent avoir non
seulement des connaissances en matière d'espaces verts et de
maçonnerie paysagère, mais également être capables
d'entretenir et de réparer les machines qu'ils utilisent. Le
ministère des anciens combattants devra donc s'assurer que les personnes
sélectionnées possèdent bien ces connaissances et, dans le
cas contraire, les former.
Par ailleurs, les retards pris dans l'installation des bases ont parfois des
conséquences financières très dommageables. En effet, le
plan de modernisation de l'entretien des nécropoles nationales mis en
place en 1992 nécessitait impérativement, sur le plan logistique,
l'installation de bases pour le stockage du matériel (tondeuses, outils
de jardin et de maçonnerie...) et des produits d'entretien,
opération qui est à la charge de la Direction de l'Administration
Générale du ministère. Ainsi, pour la gestion des sites
sous la responsabilité de la direction interdépartementale de
Metz-Nancy, la construction de 11 bases avait été
prévue. Or, à ce jour, seules quatre bases ont été
installées. En conséquent, le matériel est dispersé
dans une totale insécurité soit dans des locaux inadaptés,
prêtés gracieusement à titre provisoire, soit chez des
agents, voire même sur la voie publique.
La direction interdépartementale des anciens combattants de Metz-Nancy a
d'ailleurs été victime de plusieurs vols perpétrés
dans les Vosges, dans la Marne, dans la Meuse et en Meurthe et Moselle, pour un
montant de 125.000 francs en 1996 et 50.000 francs depuis le
début de l'année 1997.
En outre, les achats de matières premières et de fournitures ne
peuvent pas être réalisés dans de bonnes conditions,
puisque l'impossibilité de stockage conduit à des acquisitions au
coup par coup, beaucoup plus onéreuses que les achats groupés.
Les services chargés de l'entretien des nécropoles nationales
sont confrontés à un deuxième problème, à
savoir la préservation des sites qui entourent les nécropoles
nationales
. Certes, il existe une règle qui interdit toute
construction dans un périmètre de 100 mètres, mais
elle n'est pas toujours respectée. Ainsi, la nécropole nationale
de Cronenbourg dans le Bas-Rhin est "coincée" entre l'autoroute et une
caserne de pompiers, ce qui nuit gravement au sentiment de recueillement qui
devrait se dégager de tout cimetière. De même, à
l'occasion de la visite de Notre Dame de Lorette, votre rapporteur s'est
entretenu avec le secrétaire général du cabinet du
préfet du Pas-de-Calais qui évoquait la bataille menée par
la préfecture pour éviter qu'un immense poulailler ne soit
construit à côté du cimetière militaire du
Commonwealth " Cabaret rouge . Afin de préserver
l'environnement des nécropoles nationales, l'Etat doit donc rester
très vigilant et lutter contre la banalisation des sites aux yeux des
personnes qui les côtoient tous les jours. Un effort de pédagogie
doit donc être accompli pour sensibiliser la population et lui faire
comprendre le caractère hautement symbolique des sépultures de
guerre.
Enfin, le ministère des anciens combattants doit clarifier ses
relations avec le Souvenir français et pour cela, assumer pleinement les
fonctions qui lui incombent.
Le "Souvenir français" est une association reconnue d'utilité
publique qui a pour objet de conserver la mémoire de ceux qui sont morts
pour la France, d'entretenir leurs tombes et les monuments élevés
à leur gloire, enfin de transmettre cette mémoire aux
générations successives. Son action est donc
complémentaire à celle du ministère des anciens
combattants puisqu'elle concerne des conflits antérieurs à la
première guerre mondiale ainsi que toutes les sépultures de
guerre à l'exception des nécropoles nationales,
propriété exclusive de l'Etat. Le "Souvenir français"
entretient ainsi plus de 34.000 sépultures perpétuelles,
situées hors des nécropoles nationales. Toutefois, en l'absence
de moyens financiers suffisants, l'Etat s'est avéré incapable de
remplir sa mission, notamment son devoir légal d'entretenir les
sépultures perpétuelles des morts pour la France. En
conséquence, depuis 1987, le Souvenir français apporte
systématiquement un fonds de concours au ministère des anciens
combattants pour faciliter la rénovation des nécropoles
nationales. Depuis 10 ans, 5.850.000 francs ont été
ainsi versés à l'Etat, dont 600.000 francs en 1997 pour la
rénovation de Cronenbourg. Or, malgré son intention louable,
cette aide conduit à une confusion des responsabilités
regrettable et à une décrédibilisation de l'Etat, qui a
besoin d'être aidé financièrement pour respecter ses
engagements légaux. En outre, se pose la question de son
indépendance. Certes, jusqu'à présent, le site à
rénover est choisi par le Souvenir français à partir d'une
liste élaborée par le ministère. De même, ce dernier
a toujours refusé au Souvenir français le droit d'apposer son
insigne ou une plaque pour rappeler que ces monuments avaient été
restaurés grâce à sa collaboration financière.
Pourtant, et même si votre rapporteur approuve la fermeté du
ministère, la revendication du "Souvenir français" est tout
à fait légitime et ne fait qu'obéir à la logique du
partenariat. C'est pourquoi il semble nécessaire de clarifier les
relations entre l'Etat et le Souvenir français en permettant au
ministère des anciens combattants de remplir toutes ses fonctions de
manière convenable.
2. Des musées et des hauts lieux bien entretenus mais qui pourraient être mis davantage en valeur
Le ministère des anciens combattants est également chargé de la gestion d'un musée au Mont-Faron (le Mémorial du Débarquement de Provence) et de quatre hauts lieux de mémoire (le Mémorial de la France Combattante du Mont-Valérien, le camp des Milles, le camp de Natzweiler-Struthof et le Mémorial des Martyrs de la Déportation sur l'Ile de la Cité). Au cours de sa mission, votre rapporteur a visité quatre d'entre eux : le Mémorial du Débarquement de Provence, le camp de Natzweiler-Struthof, le camp des Milles et le Mémorial des Martyrs de la Déportation. Le bilan de ces réalisations est assez inégal : si les deux premiers sites répondent dans l'ensemble à leurs objectifs, les deux derniers laissent en revanche à désirer.
a) Le Mémorial du Mont-Faron
C'est le général de Gaulle, alors
Président de la République, qui, voulant rendre hommage à
l'armée B, choisit le Mont-Faron comme site pour le Mémorial du
Débarquement de Provence. Ce dernier est composé de deux
parties : l'une est consacrée à l'évocation
historique ; dans des salles d'exposition, photographies, maquettes, armes
et uniformes rappellent l'historique du débarquement et les combats
tandis que dans une salle audiovisuelle, un diorama fait revivre toutes les
opérations. La seconde partie, davantage consacrée au souvenir,
évoque la mémoire de ceux qui ont contribué à la
réussite du débarquement.
Trois agents s'occupent de l'entretien du mémorial qui a
été entièrement restauré depuis 1993 pour un
coût de 2.160.350 francs. L'aménagement des salles
d'exposition reste traditionnel et statique, la séance de projection
complète donc bien la visite en apportant une touche de mouvement. En
revanche, il serait souhaitable que l'on tienne compte davantage de la
présence de nombreux anglo-saxons (dont, parmi eux, des anciens
combattants ayant participé au débarquement et leurs familles),
notamment en traduisant en anglais les panneaux d'explication et le commentaire
du diorama.
Toutefois, et malgré son intérêt indéniable, le
Mémorial du Mont-Faron est pénalisé par sa situation
géographique. En effet, il n'est desservi que par une route
étroite taillée en corniche, qui ne peut pas être
empruntée par les autocars, et par un téléphérique
qui ne fonctionne pas les jours de vent fort. L'accès au mémorial
est donc difficile pour les groupes (scolaires ou de personnes
âgées). Or, ces derniers constituent la clientèle
privilégiée de ce haut lieu de mémoire. La revalorisation
du site implique donc une réflexion sur l'amélioration de son
accès. Une piste de réflexion pourrait être le
développement de minicars, même si se pose le problème de
leur gestion et de leur rentabilité.
b) Le camp de Natzweiler-Struthof
Le site de Natzweiler-Struthof regroupe un mémorial en
forme de tour tronquée évoquant une flamme, une exposition
permanente, certains bâtiments du camp de concentration conservés
à titre symbolique (la bâtisse qui servit de chambre à gaz,
le pavillon où résidait le chef du camp, l'emplacement de la
carrière de pierre, la sablière qui fut le lieu
d'exécution par fusillade de plusieurs centaines de détenus) et
une nécropole nationale.
Malgré l'aménagement très traditionnel du musée, le
poids de l'horreur passée, que la visite du camp et de l'exposition fait
resurgir, force le visiteur au silence et à une réflexion sur la
folie meurtrière du régime nazi. On peut toutefois imaginer que
la présentation d'un film reportage ou de diapositives sur le camp
renforcerait encore cette invitation au recueillement.
Pour autant, les deux lieux de mémoire évoqués constituent
des réalisations tout à fait satisfaisantes. En revanche, notre
rapporteur a été déçu par la visite du camp des
Milles et du Mémorial des Martyrs de la Déportation, alors que
des moyens financiers importants ont été engagés sur ces
deux sites.
c) Le camp des Milles
Le camp des Milles fut le plus grand camp d'internement du
sud-est de la France. Trois périodes sont à distinguer.
Dans cette ancienne briqueterie furent d'abord internés dès
septembre 1939 les " sujets ennemis ", c'est-à-dire les
allemands et les autrichiens qui se trouvaient sur le territoire
français, souvent d'ailleurs pour échapper au régime nazi.
Beaucoup étaient des intellectuels. Cette période, qui dura
à peu près un an, fut assez libérale, et la fresque de la
salle du restaurant peinte par les internés et rénovée
tout récemment en témoigne.
La deuxième période commence en octobre 1940 et coïncide
avec l'internement des premiers Juifs.
Puis, et c'est la période la plus tragique, à partir d'août
1942, le camp des Milles va constituer le point de départ de convois de
Juifs pour Drancy ou Auschwitz où ils seront exterminés.
Après la guerre, la tuilerie a repris ses activités industrielles
jusqu'à ce que, en 1978, le professeur André Fontaine
écrive sa thèse sur le camp d'étrangers des Milles.
L'intérêt historique de ce site est alors découvert et, en
1989, L'Etat acquiert la propriété d'une partie de la briqueterie
et les travaux de restauration commencent. En 1994, les peintures murales de
l'ancienne salle de restaurant sont restaurées, puis inaugurées
le 27 février 1997 par le ministre des anciens combattants .
Or, si l'intervention de l'Etat se justifiait par le caractère
symbolique de ce lieu, le résultat des aménagements n'est pas
à la hauteur du million de francs investi dans ce projet.
D'une part, la visite du site est très rapide et sans grand attrait
puisque ne sont à la disposition du public que quelques panneaux mobiles
retraçant, à partir de photos et de témoignages, la vie
dans le camp et la salle de restaurant, avec les quatre fresques peintes par
les artistes internés, le reste de la briqueterie appartenant toujours
à un particulier. En outre, le manque de personnel limite l'ouverture du
site au public à un jour par semaine. Il semble donc que le
ministère des anciens combattants ait entrepris la restauration de cette
salle sans réfléchir au préalable à l'utilisation
qu'il comptait en faire. Certes, la transformation du camp des Milles en
véritable musée aurait exigé la mobilisation de sommes
considérables dont ne dispose pas le ministère. Mais ce site
pourrait très bien être utilisé comme bâtiment
officiel ou être mis à la disposition d'une association. Cela
permettrait de faciliter son accès au public sans frais
supplémentaire tout en tirant le meilleur parti de cet espace vaquant.
En définitive, même s'il n'est pas question de vouloir
"rentabiliser à tout prix" ce lieu de mémoire, il s'agit de lui
permettre de remplir sa fonction, à savoir témoigner de
l'histoire passée et inviter les visiteurs à la réflexion
et au recueillement.
d) Le Mémorial des Martyrs de la Déportation
Le Mémorial des Martyrs de la Déportation pose
un problème sensiblement différent. Face à la
difficulté de témoigner de l'horreur nazie, il a
été conçu exclusivement comme un lieu de recueillement.
Construit en béton, enfoui dans la terre, traversé par une longue
galerie obscure, le mémorial, par son architecture, renforce le
sentiment d'oppression qui saisit le visiteur en entrant dans la crypte.
Pourtant, on peut se demander si le refus délibéré de
compléter la fonction de recueillement du mémorial par une
dimension pédagogique est réellement pertinente. Deux arguments
s'y opposent, d'une part le nombre relativement important de gardiens sur le
site, (trois agents y travaillent, soit autant qu'au Mémorial du
Mont-Faron) qui n'est pas justifié si le mémorial constitue
uniquement un lieu de réflexion ; d'autre part, la nature des
visiteurs : en effet, il s'agit pour la plupart de groupes scolaires. Or,
même si les images présentées dans la galerie sont
très poignantes, elles ne répondent pas aux questions qu'elles ne
peuvent manquer de susciter chez ces adolescents. En conséquent,
l'installation d'une animation silencieuse, voire l'aménagement d'une
salle dans laquelle les classes pourraient se réunir pour engager un
débat entre les élèves et les professeurs ou pour regarder
un film-documentaire qui compléterait les images brutes vues auparavant
apparaît très souhaitable. En outre, il serait facilement
réalisable puisque le mémorial possède une grande
pièce meublée uniquement par une photo très marquante d'un
prisonnier de camp de concentration.
Au-delà de la faible valorisation du site, votre rapporteur a
été désagréablement surpris par l'une des salles du
mémorial supposée traiter de la déportation des
résistants. Ce thème reste un sujet très sensible. En
effet, il est difficile de reconstituer, après coup, des
catégories de déportés et d'obtenir des statistiques
fiables. Par ailleurs, le classement des déportés en fonction de
leur gloire supposée peut s'avérer un exercice périlleux.
Or cette salle contient une carte de France précisant le nombre
"exact"
de résistants déportés dans chaque département.
Outre que les chiffres avancés portent à contestation, votre
rapporteur estime que ce genre d'information très polémique n'a
pas sa place dans un mémorial consacré à l'ensemble des
martyrs de la déportation. D'ailleurs, la brochure sur le
mémorial de l'Ile de la Cité n'évoque pas cette salle. Il
apparaît donc nécessaire d'en redéfinir son contenu afin de
l'harmoniser avec le reste du mémorial.
B. UNE ANALYSE PLUS CRITIQUE DES AUTRES MISSIONS DE LA D.M.I.H
L'intervention en faveur de l'information historique et l'organisation des cérémonies sont des chapitres systématiquement affectés par les restrictions budgétaires et caractérisés par une grande précarité.
1. Des actions largement soumises aux restrictions budgétaires
Depuis 1990, et sauf en 1994, année du
cinquantième anniversaire du débarquement allié en
Normandie, les chapitres 41-91 (fêtes nationales et
cérémonies publiques) et 43-02 (interventions en faveur de
l'information historique) ont fait l'objet chaque année de
décrets d'annulations.
Montant des annulations sur les chapitres 41-91 et 43-02
(montants en francs)
Annulations |
1990 |
1991 |
1992 |
1993 |
1994 |
1995 |
1996 |
1997 |
Valeur absolue |
588.810 |
1.500.000 |
1.140.000 |
3.059.090 |
0 |
4.673.000 |
2.400.000 |
1.023.600 |
En % par rapport aux crédits ouverts dans la LFI |
6,8
|
15,5 |
5,8 |
15,0 |
0* |
28,6 |
13,1 |
11,6 |
* L'année 1994 peut difficilement être prise
en compte car elle correspond à l'année de la
célébration des Débarquements
En outre, les crédits affectés à ces chapitres sont
systématiquement insuffisants, et le ministère des anciens
combattants doit faire appel chaque année au Parlement pour faire
financer ses actions par des crédits non reconductibles. En 1997, les
amendements parlementaires constituent plus de 20 % des crédits
affectés aux chapitres 41-91 et 43-02. A cet égard, votre
rapporteur soupçonne le Budget de sous-estimer
délibérément les besoins de la D.M.I.H, sachant que le
Parlement augmentera ses crédits.
Evolution de la part des amendements dans le budget
affecté aux cérémonies et aux actions d'information
historique
Or, le fait, pour le ministère des anciens combattants,
de compter sur le vote de crédits non reconductibles par le Parlement
pour boucler le budget de la Délégation à la
Mémoire et à l'Information Historique est contraire aux
règles élémentaires qui encadrent l'élaboration du
budget.
D'une part, cette technique introduit une grande insécurité
financière dans les services chargés de l'organisation des
cérémonies nationales et de l'information historique et compromet
l'efficacité de leur action.
D'autre part, elle dénature la pratique du vote de crédits
exceptionnels non reconductibles, destinés au financement de mesures
ponctuelles auxquelles les parlementaires attachent un intérêt
particulier, en les intégrant dans le calcul du budget, alors même
que ces crédits n'ont pas encore été votés.
Cet abus du recours aux amendements parlementaires conduit en outre à
faire peser sur le Sénat et l'Assemblée nationale une pression
contraire à l'indépendance du législatif vis-à-vis
de l'exécutif. En effet, l'éventuel refus de compléter le
budget de la Délégation à la Mémoire et à
l'Information historique placerait cette administration dans une situation
financière difficile. Le Parlement se voit donc, au moins moralement et
malgré sa lassitude, contraint de lui venir en aide.
Par ailleurs, ces crédits exceptionnels ont de fortes chances
d'être annulés au moins en partie lors de la régulation
budgétaire. Ce constat s'appuie sur la comparaison du montant des
crédits votés par amendement parlementaire et des annulations
intervenant chaque année à la D.M.I.H.
Evolution du montant des crédits exceptionnels votés par le Parlement et des annulations de crédits touchant la D.M.I.H
(en francs)
1995 |
1996 |
1997 |
|
Montant des amendements |
4.960.000 |
4.300.000 |
2.000.000 |
Montant des annulations |
4.673.000 |
3.275.000 |
1.023.600 |
L'anayse de ce tableau donne à votre rapporteur le
sentiment que les amendements parlementaires permettent essentiellement au
ministère des anciens combattants de faire face aux régulations
budgétaires imposées par le Budget chaque année.
Or, cette grande précarité financière nuit à la
qualité du travail du département des cérémonies et
du département de l'information historique.
2. Une politique dépourvue de vision globale et à long terme
Il ne s'agit pas de remettre en cause le travail
effectué par les deux départements concernés, qui
parviennent, malgré des crédits limités, à
accomplir leurs obligations légales.
Ainsi, toutes les cérémonies nationales sont organisées.
Cette année, le département des cérémonies a
également préparé l'inauguration par le ministre des
anciens combattants du camp des Milles le 27 février et de la
nécropole nationale rénovée de Minaucourt le 16 mai.
Par ailleurs, il a contribué à la parution du timbre "Hommage aux
combattants français en Afrique du Nord". Par ailleurs, lorsque le
Président de la République a décidé d'élever
au grade de Chevalier de la légion d'honneur les anciens combattants de
1914-1918, le ministère des anciens combattants a procédé
à un recensement approfondi des anciens combattants survivants de la
première guerre mondiale et a instruit les dossiers. En revanche, il n'a
pu prendre en charge l'achat des " croix ", qui ont donc dû
être financées soit par les familles, soit par des amis, soit par
des associations, soit même par des maires ou des préfets.
Le département des interventions en faveur de l'information historique,
lui, a poursuivi le tirage de la revue " Les chemins de la
Mémoire ", même si quelques numéros ont
été supprimés par économie. Sont également
parus de nouveaux dépliants historiques sur le Mémorial des
Guerres en Indochine, sur les nécropoles et les monuments du Chemin des
Dames, sur les nécropoles nationales au Moyent-Orient et sur les lieux
de mémoire américains. En outre, l'Arc-de-Triomphe a accueilli
une exposition sur l'Afrique du Nord et une autre est prévue en novembre
sur Guynemer et l'armée de l'air.
Pour autant, le bilan de ces actions est assez décevant.
D'une part, les interventions sont de qualité très
inégale. Votre rapporteur a examiné nombre des livres, revues et
dépliants publiés par le ministère des anciens combattants
et s'est à chaque fois félicité de leur clarté et
de la richesse d'informations qu'ils contiennent. En revanche, il a
été déçu par l'exposition sur l'Afrique du Nord.
Certes, ses crédits étaient très limités,
puisqu'elle n'a disposé que de 95.500 francs, alors qu'une exposition
coûte en règle générale plus de 300.000 francs. En
outre, il s'agit d'un sujet très sensible et le ministère des
anciens combattants s'est efforcé de traiter ce sujet de la
manière la plus neutre possible. Mais cette très grande prudence
a rendu l'exposition insipide. Par ailleurs, l'agencement compliqué des
panneaux et l'absence de fil directeur donnaient l'impression d'une certaine
confusion. Enfin, le lieu de l'exposition (l'Arc de Triomphe) étant
très fréquenté par des touristes étrangers, la
présence de panneaux d'explication en anglais aurait valorisé
l'exposition en élargissant considérablement son public.
D'autre part, les crédits mis à la disposition du
département de l'information historique, déjà
réduits à leur minimum, servent systématiquement de
variable d'ajustement lors des annulations budgétaires.
Sauf
à obtenir des crédits exceptionnels non reconductibles
votés par le Parlement, aucune action de grande envergure ne peut donc
être engagée.
L'administration est condamnée à
mener des actions ponctuelles, au gré des crédits disponibles,
sans aucune vision globale et à long terme sur les objectifs de
l'information historique et les types d'actions à mener.
Par ailleurs, votre rapporteur regrette que la politique de sensibilisation
des jeunes ne soit pas plus active et mieux structurée. Certes, le
ministère des anciens combattants dispose de crédits pour
subventionner les projets d'actions éducatives ou les voyages scolaires
concernant la mémoire des guerres et des conflits. Mais les professeurs
ignorent très souvent l'existence de ces aides, faute d'une
véritable stratégie de communication du ministère
vis-à-vis des collèges et des lycées.
III. LES PERSPECTIVES
A. DES ENJEUX CONSIDÉRABLES
1. Des pressions accrues en direction de l'Etat qui impliqueront des choix décisifs en matière de sauvegarde du patrimoine
La gestion des lieux de mémoire est amenée à un important bouleversement. Jusqu'à présent, beaucoup de sites étaient administrés par des associations qui réunissaient des anciens combattants et leur famille proche (femmes, frères ou soeurs, enfants). Or, celles-ci sont de moins en moins capables de poursuivre leurs actions du fait de la disparition progressive de leurs membres, et, en conséquence, de leurs crédits. L'Etat est donc sollicité de manière croissante pour devenir propriétaire de ces lieux de mémoire et, surtout, pour en assurer l'entretien et l'éventuelle restauration. Or, le coût de la reprise par l'Etat de l'ensemble de ces monuments dépasse très largement ses capacités financières. L'Etat a déjà été, dans plusieurs occasions, contraint de refuser son concours. Ainsi, le mémorial de Dormans a fait l'objet de quatre donations infructueuses à l'Etat pour être en fin de compte repris par la ville. Avant que les pressions ne deviennent trop fortes, l'Etat doit donc impérativement définir une stratégie cohérente pour sélectionner les hauts lieux qu'il désire voir sauvés.
2. La légitimité du ministère des anciens combattants dépend de la qualité de sa politique de la mémoire
Alors que le budget du ministère des anciens
combattants s'élève à près de 27 milliards de
francs, les crédits affectés à la politique de la
mémoire se montent à un peu plus de 26 millions de francs,
soit moins de 0,1 % du budget global. Pourtant, ces chiffres sont
trompeurs. Certes, la quasi totalité des crédits mis à la
diposition du ministère finance la dette viagère
2(
*
)
et les mesures à caractère social en
faveur des invalides pensionnés et du monde combattant.
Pourtant,
c'est la Délégation à la Mémoire et à
l'Information Historique qui justifie l'existence du ministère des
anciens combattants et, en conséquent, le fait que ce soit ce
ministère (par l'intermédiaire de l'Office National des Anciens
Combattants) et non pas celui des affaires sociales, qui est responsable du
financement de l'action sociale, de l'assistance et de la solidarité
envers les anciens combattants
. Certes, les fonctions des agents des
services territoriaux de l'ONAC sont très proches de celles des
directions départementales des affaires sociales. Mais c'est oublier la
spécificité des anciens combattants et les valeurs symboliques
qu'ils incarnent : les anciens combattants ne sont pas des malades ou des
retraités comme les autres. Ils se sont battus pour défendre leur
patrie et ont subi les traumatismes moraux et physiques infligés par la
guerre. Souvent, ils ont été blessés, voire
estropiés ; ils ont perdu des amis ou des membres de leurs
familles, ils ont vu le monde se disloquer autour d'eux et cette terrible
expérience reste à jamais gravée au plus profond de leur
être.
Or, c'est le témoignage de ce sacrifice, à la fois douloureux
et inestimable car consenti pour la Patrie, et le message de paix et de refus
du totalitarisme et du racisme qui l'accompagne que la Délégation
à la Mémoire et à l'Information Historique a le devoir de
conserver et de transmettre aux générations successives. Une
banalisation, voire pire, une disparition de cette mémoire ôterait
aux anciens combattants leur particularité et ne justifierait plus leur
traitement à part.
L'accomplissement de cette tâche demande
aujourd'hui d'autant plus d'attention, et donc de moyens, que le nombre des
témoins vivants se réduit, que les associations d'anciens
combattants, qui se chargeaient jusqu'alors de l'entretien de la
mémoire, disparaissent progressivement, et que, l'éloignement des
conflits et le crise économique aidant, les jeunes se sentent peu
concernés par ces événements.
Certes, c'est une évolution normale et le signe d'une
société saine, qui ne vit pas recroquevillée sur son
passé. Mais il ne faudrait pas tomber dans l'excès inverse et,
sous prétexte de modernité, négliger le rôle de la
mémoire.
En effet, comme le fait remarquer Pierre Nora dans
Les lieux de
mémoire
, celle-ci n'est pas la simple connaissance du
passé ; elle incarne la vie, "
toujours portée par
des groupes vivants et à ce titre, en évolution permanente ;
elle est un phénomène actuel, un lien vécu au
présent éternel; elle installe le souvenir dans le
sacré
" et, parce qu'elle transmet des valeurs,
développe le sentiment d'appartenance à une nation.
3. L'éventuelle réforme du service national renforce encore l'urgence de la revalorisation de la politique de la mémoire
Votre rapporteur convient que le service national dans ses modalités actuelles ne respecte pas le principe d'égalité des citoyens et n'est plus adapté à notre société. Toutefois, il n'approuve pas le projet de loi du gouvernement relatif à la réforme du service national. En effet, ce texte prévoit le remplacement du service national actuel par l'appel de préparation à la défense. Or, votre rapporteur se montre très sceptique sur la possibilité, en une seule journée, de sensibiliser les jeunes aux questions de défense de leur Patrie. Certes, le projet de loi prévoit que " les principes de la défense nationale font l'objet d'un enseignement dans le cadre des programmes des établissements scolaires ". Cependant, outre que l'Ecole n'apparaît pas aux yeux de votre rapporteur comme l'institution la plus appropriée pour assurer cet enseignement, celui-ci craint que cette disposition législative conduise à une grande disparité de situations en fonction de l'intérêt de l'enseignant pour les questions de défense nationale. Si l'Armée est dessaisie de sa fonction de sensibilisation des jeunes aux questions de défense nationale, le ministère des anciens combattants aura alors la lourde responsabilité de devoir compenser ce manque par une politique de la mémoire qui saura inculquer le respect du drapeau.
B. LES PROPOSITIONS
Conscient à la fois du devoir de mémoire de l'Etat vis-à-vis des Français et surtout, des nouvelles générations, mais également du défi qu'il représente, votre rapporteur souhaite émettre certaines propositions pour améliorer le travail effectué par la Délégation à la Mémoire et à l'Information Historique. Ces suggestions sont le résultat des nombreuses visites effectuées dans toute la France et des différents entretiens que votre rapporteur a eus avec les responsables de la Délégation à la Mémoire et à l'Information Historique et les associations du monde combattant. Empreintes d'un grand pragmatisme, elles proposent des améliorations ponctuelles, mais également des réformes d'une plus grande envergure afin de redonner à la politique de la mémoire la place centrale qu'elle mérite au sein du ministère des anciens combattants.
1. Des améliorations ponctuelles
a) Dans l'entretien et la rénovation du patrimoine
Votre rapporteur a déjà eu l'occasion de saluer
l'excellent travail effectué par le département du patrimoine et
les directions interdépartementales des anciens combattants pour
l'entretien et la restauration des sépultures de guerre. Toutefois, il a
également fait part de son inquiétude devant le ralentissement
des travaux depuis 1996.
Proposition n° 1 : respecter le programme de travaux pour les
sépultures de guerre 1996-2000 lancé par le ministère des
anciens combattants en accordant bien les 50 millions prévus pour
leur financement.
Proposition n° 2 : construire les bases prévues dans le
plan de modernisation de l'entretien des nécropoles nationales mis en
place en 1992.
Depuis quatre ans, l'administration des sépultures de guerre est
partagée entre, d'une part, la Direction de l'Administration
Générale, qui gère le titre III, et, d'autre part, la
Délégation à la Mémoire et à l'Information
Historique, qui a en charge le titre V. Or, cette dualité n'est ni
justifiée ni efficace.
Proposition n° 3 : consacrer la compétence exclusive de la
Délégation à la Mémoire et à l'Information
Historique pour toutes les questions relatives à l'entretien et à
la rénovation des sépultures de guerre.
Proposition n° 4 : clarifier les relations de l'Etat avec le Souvenir
Français en mettant fin à la participation financière de
cette association à la rénovation des nécropoles
nationales, propriété exclusive de l'Etat.
Proposition n° 5 : revaloriser l'indemnité forfaitaire
versée par l'Etat aux communes et bloquée à 8 francs par
tombe depuis 1981 afin de l'adapter au coût réel de l'entretien
des tombes dans les carrés communaux évalué à 36
francs par tombe.
Si votre rapporteur se félicite du bon entretien des nécropoles
nationales, il craint que leur trop grand dépouillement les rende
difficilement compréhensible au public. En outre, leur accès est
parfois rendu difficile par l'absence de panneaux de signalisation.
Proposition n° 6
: rendre les cimetières
militaires français plus accueillants en installant des bancs, en
construisant des panneaux précisant le contexte historique des
nécropoles nationales (résumé des opérations
militaires avec une carte comme support, nombre et nationalité des
participants...), en mettant à la disposition des visiteurs un plan des
tombes, la liste des noms des Morts pour la France et un livre d'or.
Proposition n° 7 : mieux signaler l'emplacement des
cimetières militaires par l'instauration systématique de panneaux
de signalisation .
b) Dans les relations avec les familles et les écoles
Chaque année, le ministère des anciens
combattants reçoit plus de 4.000 lettres de familles ou de proches
désireux d'obtenir des renseignements sur telle ou telle personne morte
au combat. Or, beaucoup de gens ne savent pas vers quelle autorité
s'adresser. Votre rapporteur a ainsi rencontré, à la
nécropole nationale de Minaucourt, un couple qui recherchait la tombe
d'un membre de leur famille mais qui, après s'être tourné
vainement vers la mairie de leur domicile, ne disposait d'aucun interlocuteur
pour poursuivre leurs recherches.
Proposition n° 8
: mettre à la disposition du
public, dans les mairies et les conseils généraux, des fiches
précisant les coordonnées de la direction
interdépartementale des anciens combattants de la région pour
toute demande de renseignements concernant une personne morte lors d'une
guerre.
La communication avec les établissements scolaires doit
également être améliorée. En effet, les aides mises
à leur disposition par le ministère des anciens combattants sont
trop confidentielles pour être réellement utilisées.
Proposition n° 9
:
systématiser l'information
sur les aides du ministère des anciens combattants à la
disposition des établissements scolaires en distribuant, dans chaque
collège et lycée, une brochure récapitulant les
différentes subventions gérées par la
Délégation à la Mémoire et à l'Information
Historique et les possibilités de prêts de documents ou de
prêts d'expositions
.
2. Des réformes plus structurelles
a) Renforcer la politique de la mémoire vis-à-vis des jeunes
Votre rapporteur a déjà souligné le
manque d'ambition de la politique de la mémoire vis-à-vis des
jeunes. Jusqu'à présent, et en grande partie par manque de
moyens, la Délégation à la Mémoire et à
l'Information Historique se contente d'actions ponctuelles et bien
rodées (voyages scolaires, expositions, concours national du prix de la
Résistance...).
Proposition n° 10
:
donner à la politique de la
mémoire vis-à-vis des jeunes une vision globale et à long
terme par l'établissement de relations permanentes avec les
collèges et les lycées et l'organisation, chaque année,
d'une manifestation sur un thème lié à la mémoire
des conflits (exposition, documentaire, témoignage,
conférence...).
Proposition n° 11
: développer, en imitant le
modèle allemand, les camps d'été qui permettent, à
travers l'exécution de petits travaux d'entretien par les jeunes sur les
nécropoles nationales, de les sensibiliser à l'histoire de leur
pays
.
b) Mieux valoriser les archives et le patrimoine géré par la Délégation à la Mémoire et à l'Information Historique
La Délégation à la Mémoire et
à l'Information Historique est responsable de la gestion de l'ensemble
des fichiers concernant les soldats morts lors des deux premières
guerres mondiales, soit 13 fichiers contenant plus de 3 millions de
fiches. Jusqu'à présent, leur maniement est entièrement
manuel. Une première informatisation a été entreprise
à l'occasion de la construction du mémorial de Fréjus,
puisqu'un logiciel avait été créé pour rentrer sur
ordinateur toutes les données sur les morts d'Indochine. Toutefois,
cette opération n'a concerné que 2 % des fichiers du
ministère des anciens combattants, alors qu'elle constitue un gain de
temps considérable et assure une plus grande sécurité dans
le maniement des dossiers.
Proposition n° 12 : informatiser l'ensemble des fichiers
gérés par le
ministère des anciens combattants.
Votre rapporteur a constaté que le patrimoine (nécropoles
nationales, musée, hauts lieux) était bien entretenu par la
Délégation à la Mémoire et à l'Information
Historique mais qu'il mériterait d'être mieux mis en valeur.
Proposition n° 13
: rendre les hauts lieux de
mémoire plus attractifs en les dotant de moyens techniques modernes
(salle de projection, guide vocal...) et en traduisant les commentaires des
panneaux d'information en anglais
.
Proposition n° 14 : mettre fin à la polémique
suscitée par l'existence d'une carte comptabilisant le nombre de
déportés résistants par département dans le
Mémorial des Martyrs de la Déportation.
Votre rapporteur tient aussi à rappeler qu'il n'existe pas de
Mémorial de la Déportation à la hauteur des terribles
événements qu'il aurait à présenter. Certes, le
camp de Natzweiler-Struthof constitue un témoignage poignant des
horreurs nazies, mais l'exposition permanente qu'il abrite, par sa petitesse et
l'absence de moyens techniques modernes comme, par exemple, une salle de
projection, ne remplit pas les conditions d'un musée moderne, capable
d'attirer un grand nombre de visiteurs. Plusieurs propositions sont en
concurrence, mais votre rapporteur estime que celle soutenue par la ville de
Compiègne mérite une attention particulière, dans la
mesure où cette ville a été un témoin direct de la
déportation à travers le camp de Royallieu, dans lequel 54.000
femmes et hommes déportés ont transité de 1940 à
1944.
Proposition n° 15
:
créer un grand
Mémorial de la Déportation à Compiègne qui
évoquerait, d'une manière à la fois historique et
pédagogique, la déportation dans sa réalité
.
c) Redéfinir la politique de la mémoire pour lui donner une véritable ambition
Il ne s'agit pas de modifier les missions accomplies par la
Délégation à la Mémoire et à l'Information
Historique, qui conservent toutes leur pertinence. Mais il apparaît
nécessaire de mieux les coordonner en les intégrant dans une
réflexion d'ensemble sur les objectifs à poursuivre et les moyens
pour y parvenir. Or, le cadre de l'année civile semble trop
étroit pour une telle ambition et ne permet aucune évaluation des
actions entreprises.
Proposition° 16
:
établir un programme
pluriannuel fixant les objectifs et les priorités de la politique de la
mémoire, prévoyant les moyens à mettre en uvre et
instaurant une évaluation des actions entreprises
.
ANNEXES
Premier jour (23 avril)
- Visite du mont Kemmel
- Visite de la nécropole nationale d'Ypres (qui abrite
3.547 soldats morts au cours des batailles des Flandres) avec le
Délégué-adjoint à la mémoire, le Directeur
de la direction interdépartementale de Lille, le Consul
général de France à Bruxelles, l'Attaché des Forces
terrestres près l'Ambassade et le responsable, au sein de la mission
militaire, des problèmes techniques et budgétaires. Discussion
sur le financement de l'entretien des nécropoles nationales en Belgique
et à l'étranger.
- Visite de la nécropole nationale de Neuville- Saint-Vaast (dit
" la Targette ") et du cimetière britannique la côtoyant.
- Déjeuner avec le Délégué à la
mémoire et le Directeur de la direction interdépartementale des
anciens combattants de Lille.
- Visite de Notre Dame de Lorette (nécropole nationale qui abrite
40.057 soldats morts au cours des batailles d'Artois)
- Visite dans la Somme de Dompierre-Becquincourt. (nécropole nationale
qui abrite 7.033 soldats morts au cours des batailles de la Somme) et de
Villers-Carbonnel avec le Directeur de la direction interdépartementale
de Rouen.
Deuxième jour (29 avril)
- Visite du camp d'internement des Milles près d'Aix-en-Provence avec le
Directeur de la direction interdépartementale de Marseille.
- Visite de la nécropole nationale de Luynes (qui contient 11.424 corps).
- Visite du mémorial du débarquement du Mont-Faron.
- Déjeuner à Toulon avec le Délégué-adjoint
à la mémoire et le Directeur de la direction
interdépartementale de Marseille.
- Visite du mémorial des guerres en Indochine de Fréjus
Troisième jour (15 mai)
- Visite des carrés militaires de Reims avec l'Adjoint au maire
responsable des cimetières, le Délégué-adjoint
à la mémoire et le Directeur de la direction
interdépartementale des anciens combattants de Metz-Nancy. Discussion
sur le financement des carrés communaux.
- Visite de la nécropole nationale de Minaucourt qui abrite 21.319
soldats morts au cours de la bataille de Champagne et dont la rénovation
vient juste d'être achevée.
- Déjeuner à Verdun.
- Visite de la nécropole nationale de Fleury-devant-Douaumont qui abrite
16.142 soldats morts au cours des batailles de Verdun.
- Visite du village détruit de Fleury et discussion avec le
Président de l'Association Nationale du Souvenir de la Bataille du
Verdun sur l'entretien et la valorisation du site.
- Visite d'un cimetière militaire allemand.
Quatrième jour (22 mai)
- Visite dans le Bas-Rhin du mémorial de la déportation de
Natzweiler-Struthof avec le Délégué et le
Délégué-adjoint à la mémoire.
- Visite de la nécropole nationale "Cronenbourg" qui abrite 5.462
soldats et dont la rénovation est financée grâce à
un fonds de concours du "Souvenir français" de 600.000 francs.
Discussion avec le colonel Durupt, Président de la section locale de
cette association sur l'action menée par le " Souvenir
français " en Alsace.
Cinquième jour (27 mai)
-Visite du mémorial des Martyrs et de la déportation à
l'île de la Cité en compagnie du
Délégué-adjoint à la mémoire et du Directeur
de la direction interdépartementale des anciens combattants de Paris.
- Visite de l'exposition sur " les combattants français en Afrique
du Nord, 1954-1962 " à l'Arc de Triomphe.
Compte-rendu de l'audition de M. Roger Jouet,
délégué à la mémoire et à
l'information historique.
Monsieur Roger Jouet a tout d'abord présenté la
Délégation à la Mémoire et à l'Information
Historique (D.M.I.H).
Il a décrit les tâches traditionnelles de la D.M.I.H, à
savoir l'instruction des dossiers concernant les Morts pour la France et les
Morts en déportation, l'entretien des nécropoles nationales, la
conservation des hauts lieux de mémoire et, enfin, l'organisation des
cérémonies officielles (journée nationale de la
déportation le dernier dimanche d'avril, 8 mai, journée de la
persécution le 1er dimanche après le 16 juillet, 11 novembre,
ainsi que toutes les commémorations exceptionnelles).
Il a ensuite énuméré les tâches plus nouvelles de la
D.M.I.H concernant l'effort de mémoire et d'information.
Il a ainsi évoqué le centre de documentation sur les conflits
contemporains qui regroupe l'ensemble de la presse combattante et publie les
récits de guerre à faible tirage.
Il a également cité l'action provenant du service de la
documentation du comité d'histoire de la deuxième guerre
mondiale. Celui-ci dispose de très nombreux documents photographiques.
Il s'attache aussi au développement d'une vidéothèque et
de CDroms.
Monsieur Jouet a par ailleurs insisté sur la vulgarisation
d'épisodes de l'histoire de la France à travers des expositions.
Il a précisé qu'outre les deux expositions annuelles
obligatoires, la D.M.I.H mettait à la disposition des
collectivités territoriales et des écoles des kits exposition
contenant chacune 30 à 40 clichés sur une vingtaine de sujets.
Il a aussi rappelé que la D.M.I.H publiait des brochures et
cofinançait des productions cinématographiques et
d'édition selon deux critères : le bel ouvrage et l'objectif
utilitaire (publication de travail).
Monsieur Jouet a ensuite insisté sur l'effort entrepris par la D.M.I.H
en direction de la jeunesse. Il a évoqué le concours national de
la résistance et de la déportation, les aides aux programmes
d'actions éducatives ainsi que les initiatives de voyages de
mémoire (camps de concentration, plages du débarquement, grands
musées...).
Il a précisé qu'au-delà des actions menées an
niveau national, la D.M.I.H déléguait des crédits aux
commissions départementales pour l'information historique et pour la
paix qui sont présidées par le préfet et qui sont
chargées d'organiser l'action de mémoire de l'Etat au niveau
départemental : expositions, publications, cérémonies...
Il a également souligné que la D.M.I.H menait une politique
active de vigilance face au développement du négationnisme et du
révisionnisme, notamment à travers l'organisation d'expositions
et de colloques.
En matière de communication, la D.M.I.H s'appuie sur
les chemins de
la mémoire
, brochure tirée à 15.000 exemplaires pour
une clientèle d'abonnés très fidèle.
Monsieur Jouet a conclu sa présentation sur la politique de
présence de la D.M.I.H par l'intermédiaire de petites
subventions. Il a ainsi donné l'exemple de la participation du
ministère des anciens combattants à la restauration des monuments
aux morts communaux (20 % de la somme avec un maximum de
10.000 francs).
Il a déclaré que la D.M.I.H avait pour objectif de
délivrer un message qui va dans le sens de l'unité nationale et
de la mémoire. A ce sujet, il a rappelé que
l'année 1998 correspondait au 80e anniversaire de l'armistice
de 1918 et a souligné la signification particulière de cette
date. D'une part, ce serait certainement le dernier anniversaire susceptible
d'avoir lieu avec des vétérans. D'autre part, il s'agirait d'une
date charnière avec le 21e siècle. Il a donc souhaité
vivement que les crédits qui seront accordés à cette
commémoration soient à la hauteur de son importance.
Monsieur Jacques Baudot a alors demandé de plus amples renseignements
sur les actions de la D.M.I.H prévues pour 1997.
En réponse, Monsieur Jouet a déclaré que les
crédits votés pour 1997 suffisaient à peine pour le
financement des cérémonies officielles et ne laissaient en
conséquence que peu de marge de manoeuvre à la D.M.I.H. Il a
toutefois souligné que grâce aux crédits non reconductibles
votés par le Sénat, la D.M.I.H serait en mesure de
commémorer le 50e anniversaire de la mort du général
Leclerc.
Il a également précisé que le ministre des anciens
combattants se rendrait probablement à Brest pour assister aux
festivités organisées par la ville à l'occasion du
50e anniversaire de l'entrée des Américains dans la
deuxième guerre mondiale.
Il a ajouté qu'un timbre serait spécialement émis le
10 mai pour commémorer les Français intervenus en
Algérie.
Monsieur Jacques Baudot s'est ensuite interrogé sur l'évolution
de la fréquentation des musées.
En réponse, Monsieur jouet a reconnu que la tendance était
à la baisse malgré la remontée en 1994/1995. Il a ainsi
constaté un tassement du nombre des visites au mémorial du
Struthof et une diminution spectaculaire au mémorial du Mont-Faron.
Par ailleurs, il s'est montré réticent à la multiplication
des musées et a pronostiqué un bouleversement important dans la
gestion des hauts lieux. En effet, jusqu'à présent, beaucoup
étaient administrés par des associations. Or, celles-ci sont de
moins en moins capables de poursuivre leurs actions du fait de la diminution de
leurs membres, et, en conséquence, de leurs crédits. L'Etat est
donc de plus en plus sollicité pour devenir propriétaire des
hauts lieux et assurer leur gestion. Dans la mesure où une reprise de
l'ensemble des monuments est à exclure, il est donc indispensable que
l'Etat détermine une stratégie cohérente pour
sélectionner les hauts lieux qu'il souhaite voir sauvés.
Pour illustrer les difficultés rencontrées par les associations,
Monsieur Jouet a cité le cas du mémorial de Dormans qui a fait
l'objet de quatre donations successives infructueuses à l'Etat pour
être en fin de compte repris par la ville.
Monsieur Jacques Baudot a également demandé des précisions
sur les relations entre le ministère de la culture et le
ministère des anciens combattants.
En réponse, Monsieur Jouet a précisé que le Vieil-Armand
et le village martyr d'Oradour-sur-Glane appartenaient au ministère de
la culture mais que le patrimoine du 20e siècle échappait en
règle générale à ce dernier. Il a ajouté que
ce ministère était concerné pour la préparation des
célébrations nationales, qu'il prêtait des locaux comme
l'Arc de triomphe ou le Panthéon pour des expositions et qu'il
intervenait dans la commission des musées.
Monsieur Jacques Baudot a ensuite demandé quelle était la
stratégie de la D.M.I.H face à la jeunesse.
En réponse, Monsieur Jouet a déclaré que la D.M.I.H
disposait de moyens d'action ponctuels, à la demande, et a
insisté sur la nécessité de relais dans les
collèges et les lycées. Il a également
évoqué le prix de la résistance.
Il a par ailleurs indiqué que la D.M.I.H observait une recrudescence des
demandes de renseignements sur les morts lors des conflits dans lesquels la
France s'est trouvé impliquée et a cité le nombre de 4.000
lettres, correspondant à 12.000 demandes.
En réponse à Monsieur Jacques Baudot sur l'action du Souvenir
français, Monsieur Jouet a précisé que cette association
avait une mission complémentaire à celle du ministère et
s'occupait notamment de l'entretien des tombes en dehors des nécropoles
nationales, propriété exclusive de l'Etat. Toutefois, le Souvenir
français apporte régulièrement un fonds de concours pour
la rénovation de ces dernières.
Monsieur Jouet a ensuite expliqué la répartition des
crédits pour les sépultures de guerre. Il a ainsi
déclaré que l'entretien courant était financé par
des crédits du titre III délégués aux services
déconcentrés, que le titre V était destiné aux
travaux de rénovation et que le titre IV servait pour le financement de
travaux spécifiques.
Il a ajouté que l'absence de ligne dans le titre V pour la
rénovation des musées et hauts lieux engendrait certaines
gênes dans le déroulement des travaux mais s'expliquait par le
faible montant des crédits en jeu. Il a fait remarquer que ce
n'était que depuis les difficultés rencontrées lors du
financement du mémorial de Fréjus sur le titre III qu'avait
été ouverte une ligne dans le titre V pour la
rénovation des nécropoles nationales. En effet, de 1987 à
1993, tous les crédits de fonctionnement avaient alors été
monopolisés (soit 35 millions de francs) aux dépens des autres
nécropoles nationales.
Monsieur Jouet a par ailleurs exprimé le souhait de parvenir un jour
à l'informatisation totale des fichiers. Il a expliqué que la
construction du mémorial de Fréjus avait été
l'occasion de créer un logiciel et de rentrer sur ordinateur toutes les
données concernant les morts d'Indochine. Il a toutefois souligné
que cette opération avait coûté 800.000 francs et ne
représentait que 2 % des fichiers du ministère des anciens
combattants. Les services de la direction des affaires générales
ont fixé à 20 à 30 millions le coût de la
saisie de la totalité des fichiers.
Concernant les nécropoles françaises à l'étranger,
il a indiqué que les crédits pour leur entretien étaient
délégués aux ambassades qui elles-mêmes traitaient
soit avec des entreprises locales, soit recrutaient du personnel sur place.
Selon les pays, un attaché de défense ou un agent du
ministère des anciens combattants supervise les opérations et
effectue des tournées d'inspection.
Monsieur Jouet a également évoqué les difficultés
rencontrées par la France à l'étranger. Il a reconnu
qu'à Alger, l'ambassade continuait de payer du personnel pour
l'entretien des nécropoles nationales, mais qu'aucune inspection n'avait
eu lieu depuis deux ans. Il s'est félicité que la
nécropole de Beyrouth, qui avait été détruite lors
des combats pendant la guerre civile, avait été reconstruite. En
revanche, il a fait part des négociations ardues entre la France et
l'Ukraine pour la reconstruction de la grande nécropole nationale faite
à la demande de Napoléon III. Il a également
évoqué à titre d'exemple les tiraillements avec le
gouvernement de Taiwan qui souhaite récupérer le terrain sur
lequel a été érigée la nécropole nationale
pour les morts ayant combattu en 1883/1884. Il a aussi cité le cas du
Vietnam où la France souhaiterait créer un ossuaire pour les
corps retrouvés sporadiquement et a précisé qu'un rapport
détaillé sur cette question avait été
commandé à l'ambassadeur.
Il a achevé son discours sur les nécropoles nationales en
insistant sur le bilan plutôt positif de la France malgré des
moyens limités. Il a reconnu que les cimetières du Commonwealth
étaient particulièrement bien entretenus mais a ajouté que
les crédits mis à leur disposition étaient bien plus
élevés. Ainsi, une croix britannique coûte
1.500 francs alors que le prix d'une croix française
s'élève à 150 francs. De même, plus de
400 agents s'occupent de l'entretien des cimetières du Commonwealth
alors que les nécropoles françaises n'ont que 200 agents
à leur disposition. Il a aussi ajouté que, pour des pays comme le
Canada, l'Australie, la Nouvelle-Zélande et même, dans une moindre
mesure, les Etats-Unis, les deux guerres mondiales étaient leur unique
patrimoine, ce qui permet de mieux comprendre les efforts fournis pour le
conserver.
En conclusion, Monsieur Jouet s'est entretenu avec Monsieur Baudot la
création éventuelle d'un mémorial de la déportation
à Compiègne.
Il a rappelé que ce projet, soutenu par le sénateur-maire
Philippe Marini, vice-président de la commission des finances du
Sénat, a été élaboré à la suite de
l'annonce de la dissolution du 25ème régiment du
génie de l'air en 1993. A cette époque, la restructuration de
l'armée commençait à peine. Le Premier ministre a
proposé en 1996 de mettre 1 million de francs à disposition
pour financer les études de ce projet de mémorial. Un plan
précis de réalisation existe mais il se heurte à l'absence
de crédits. En effet, un tel monument dont le coût est
évalué à 20 millions au minimum, exige le vote de
moyens en conséquence. La décision ne semble pas aisée
à arrêter dans la mesure où, outre l'aspect financier
déjà essentiel, plusieurs projets de grand mémorial de la
déportation sont en concurrence. Le gouvernement ne semble pas encore
avoir tranché la question de son emplacement. Monsieur Jouet a toutefois
affirmé qu'il était favorable à un tel projet mais qu'il
ne pouvait rien entreprendre sans moyens pour le financer.
Compte-rendu de l'audition du
général Servranckx, Président du Souvenir
français.
Le général Servranckx a tout d'abord
rappelé que l'action du Souvenir français s'inscrivait en
complémentarité avec les missions exercées par l'Etat.
Puis, il a souhaité faire certaines remarques sur la politique de l'Etat
en matière de nécropoles nationales et de coopération avec
le Souvenir français.
Il s'est félicité de la publication de l'atlas des
nécropoles nationales tout en espérant qu'une brochure identique
sera imprimée pour les nécropoles françaises à
l'étranger.
Le général Servranckx a réaffirmé que les
nécropoles nationales étaient propriété exclusive
de l'Etat et que ce dernier avait une obligation légale d'entretenir les
sépultures perpétuelles des Morts pour la France. Il a toutefois
ajouté qu'en l'absence de moyens suffisants, l'Etat était
incapable de remplir sa mission de manière satisfaisante. En
conséquence, depuis 1987, le Souvenir français apporte
systématiquement un fonds de concours au ministère des anciens
combattants pour faciliter la rénovation des nécropoles
nationales. A cet égard, il a émis le souhait de voir le
rôle de son association reconnu pleinement, par exemple à travers
le rappel de sa contribution à la rénovation sur le panneau
d'information.
Le général Servranckx a par ailleurs regretté le
caractère dispersé et terne des cimetières français
par rapport à ses homologues américains ou du Commonwealth. Il a
ainsi souligné que la France comptait 271 nécropoles
nationales contre 11 pour les Américains. Il a également
comparé les tombes françaises, construites en béton et les
tombes américaines (en marbre) ou du Commonwealth (en pierre de taille).
Il a également insisté sur l'attachement des militaires au
mât des couleurs et a estimé que ce dernier n'était pas
assez visible dans la plupart des nécropoles nationales
françaises.
Il a en outre regretté que l'équipement des cimetières
français laisse à désirer et a rappelé la
nécessité d'une liste des morts rassemblés dans chaque
cimetière ainsi qu'un plan des tombes pour pouvoir retrouver facilement
la personne recherchée.
Le général Servranckx a ensuite évoqué l'action du
Souvenir français dans la zone rouge. Il a précisé que
l'Etat avait racheté les terrains dévastés par la
première guerre mondiale et les avait cédés à
l'Office national des forêts. Peu à peu, les tombes ont
été regroupées et les cimetières ont
été remplacés par des chapelles à la mémoire
des soldats tombés pour la France. En outre, de nombreux monuments ont
été érigés par des associations et des
régiments, dont l'entretien a entre-temps été
cédé à l'Etat et aux associations restantes. Le Souvenir
français joue à cet égard un rôle actif, en
collaboration avec le SIVOM créé à cet effet. Il
reçoit un complément de financement de l'Etat.
Le général Servranckx a ensuite présenté la grande
hétérogénéité qui régnait dans les
carrés militaires communaux. Outre les sépultures
perpétuelles à la charge de l'Etat dont l'entretien est
délégué aux communes, ces cimetières contiennent
également des tombes mixtes (à savoir des caveaux familiaux
contenant un ou des morts pour la France dont les restes mortels ont
été rendus aux familles et dont, par conséquent, l'Etat
n'est plus responsable). Lorsque ces derniers tombent en
déshérence, le Souvenir français se fait un devoir moral
de veiller à leur entretien. Il perçoit alors de l'Etat
l'indemnité forfaitaire (8 francs par tombe) prévue pour
l'entretien des sépultures perpétuelles.
Le général Servranckx a également présenté
le Souvenir français en insistant sur le fait que celui-ci ne recevait
pas un seul franc de l'Etat pour assurer son fonctionnement. Les deux aides de
l'Etat correspondaient aux 8 francs par tombes et à l'enveloppe
financière pour l'entretien de la zone rouge. Il a déclaré
que les ressources du Souvenir français provenaient de cotisations, de
dons, de legs et des abonnements à la revue de l'association.
En conclusion, le général Servranckx a regretté la
multiplication des journées du souvenir en France alors que l'Allemagne,
la Grande-Bretagne ou encore les Etats-Unis ont une date unique.
LE DEFI DE LA MEMOIRE
Rapport sur la politique de la Mémoire menée par le
Ministère des Anciens Combattants et Victimes de Guerre
La mémoire collective constitue un ciment puissant pour
chaque société puisqu'elle véhicule son histoire et
transmet ses valeurs d'une génération à l'autre. Il s'agit
donc d'un patrimoine qu'il faut savoir à la fois protéger,
entretenir et partager, surtout avec les jeunes.
Pourtant, l'analyse de la politique de la mémoire menée par les
pouvoirs publics conduit à un bilan mitigé : si le
ministère des anciens combattants semble en mesure, notamment
grâce au dévouement de ses fonctionnaires, d'entretenir
correctement les nécropoles nationales et les lieux de mémoire,
les actions de célébration de la mémoire pêchent par
un manque de vision globale et à long terme.
Or, le devoir de mémoire est essentiel, car c'est lui qui entretient et
conforte le sentiment d'appartenance à la Nation. En outre, il constitue
l'avenir du ministère des anciens combattants, dont les tâches
traditionnelles sont amenées à disparaître avec la
diminution du nombre des anciens combattants.
En définitive, c'est à une véritable réflexion sur
les missions et le rôle de ce ministère qu'invitent les
conclusions de ce rapport.
1
A la suite des élections
législatives anticipées du 1er et 8 juin 1997, le
ministère des anciens combattants et victimes de guerre a
été transformé en secrétariat d'Etat. Toutefois, la
mission ayant été effectuée auparavant, votre rapporteur a
conservé l'ancienne dénomination pour la rédaction de son
rapport.
2
Le terme de dette viagère recouvre les pensions militaires
d'invalidité, les retraites des anciens combattants, l'indemnité
de soins aux tuberculeux et l'indemnisation des victimes civiles des
événements d'Algérie.