II. L'EXTENSION DU VOTE À LA MAJORITÉ QUALIFIÉE
Le problème du vote à la majorité se pose
de manière spécifique pour chacun des trois piliers de l'Union :
- dans le
premier pilier
, la plupart des décisions sont
déjà prises à la majorité qualifiée :
toutefois, cette règle subit des exceptions, relativement peu
nombreuses, mais importantes. Un large accord existe pour maintenir certaines
de ces exceptions ; la plupart des Etats membres sont en principe favorables
à la suppression des autres, mais il est difficile d'obtenir un accord
unanime dès lors que l'on passe à un examen au cas par cas ;
- dans le
deuxième pilier
, des propositions sont avancées
pour que soient prises à la majorité qualifiée les mesures
d'application des décisions politiques arrêtées d'un commun
accord par les Etats membres ;
- dans le
troisième pilier
, un accord paraît se dessiner
pour introduire le vote à la majorité qualifiée pour une
partie des décisions, celles concernant la libre circulation des
personnes et certaines mesures corrélatives, mais un accord unanime sur
ce point ne pourra manifestement être obtenu qu'en accordant des clauses
d'"
opting out
" à certains Etats qui souhaitent
rester
en dehors du dispositif communautaire dans ce domaine.
A. LE PREMIER PILIER
Au mois de février, la présidence néerlandaise a présenté un document sur l'extension du vote à la majorité qualifiée dans le premier pilier.
1. Une liste négative
Afin de faciliter les négociations, ce texte
présente tout d'abord une liste
négative
de domaines qui
resteraient régis par l'unanimité :
- les dispositions à caractère " constitutionnel " ou
" quasi constitutionnel ",
- les dispositions constituant des dérogations aux règles du
marché intérieur,
- les dispositions ayant un impact direct sur le budget des Etats membres.
Cette liste est retracée ci-dessous :
Dispositions pour lesquelles l'unanimité devrait rester la règle |
|
A - Dispositions à caractère constitutionnel ou quasi-constitutionnel |
|
Article 8 B |
Droit de vote et d'éligibilité aux élections du Parlement européen et aux élections municipales |
Article 8 E |
Droits de citoyenneté complémentaires |
Article 136 |
Associations des pays et territoires d'outre-mer |
Article 138 par.3 |
Adoption d'une procédure électorale uniforme pour le Parlement européen |
Article 145 |
Principes et règles de l'exercice des pouvoirs d'exécution conférés à la Commission |
Article 157 par.1 |
Modification du nombre des membres de la Commission |
Article 159 |
Non remplacement d'un membre de la Commission |
Articles 165,166 |
Augmentation du nombre des juges de la Cour de justice et des avocats généraux |
Article 189 A |
Modification d'une proposition de la Commission (y compris les dispositions des articles 189 B, paragraphe 3 (procédure de codécision, deuxième lecture) et 189 C, point d) et e) (procédure de coopération, deuxième lecture) |
Article 201 |
Dispositions relatives au système des ressources propres |
Article 217 |
Régime linguistique des institutions |
Article 227 |
Territoires d'outre-mer |
Article 228, par.2 |
Conclusion i) d'accords portant sur un domaine pour lequel l'unanimité est requise pour l'adoption des règles internes et ii) d'accords d'association (article 238) |
Article 235 |
Réalisation d'un objet de la Communauté sans que soient prévus les pouvoirs d'action requis à cet effet |
Article O, 1 er al. |
Adhésion de nouveaux Etats membres |
B - Dispositions relatives aux dérogations aux règles du marché intérieur |
|
Article 73C, par. 2 dernière phrase |
Mesures constituant un pas en arrière en ce qui concerne la libéralisation des mouvements de capitaux |
Article 75, par.3 |
Mesures spéciales concernant les transports |
Article 93, par.2 |
Dérogations aux dispositions sur les aides d'Etat de l'article 92 ou 94 |
Article 223 |
Commerce des armes |
C - Dispositions ayant un impact direct sur le budget des Etats membres |
|
Article 51 |
Sécurité sociale |
Article 99 |
Fiscalité |
Article 121 |
Sécurité sociale |
Article 130 D |
Fonds structurels |
2. Une liste positive
Le document de la présidence énumère
ensuite les dispositions actuellement régies par l'unanimité pour
lesquelles le vote à la majorité qualifiée pourrait
être introduit :
Dispositions susceptibles de constituer une base de travail pour l'examen d'une extension éventuelle du vote à la majorité qualifiée |
|
Article 8 A |
Droit de circulation et de séjour |
Article 45, par.3 |
Paiements compensatoires pour les importations de matières premières |
Article 57, par.2 |
Modification des principes législatifs du régime des professions dans un Etat membre |
Article 100 |
Rapprochement des législations pour le marché commun lorsque l'article 100 A n'est pas applicable |
Article 128 |
Culture |
Article 130 |
Industrie |
Article 130 B |
Actions spécifiques en dehors des fonds structurels |
Article 130 I, par.1 |
Adoption du programme-cadre de recherche |
Article 130 O |
Création d'entreprises communes pour la recherche et le développement technologique |
Article 130 S, par.2 |
Environnement |
Article 151, par.2 |
Nomination du Secrétaire général du Conseil |
Article 168A, par.2 et 4 |
Détermination des catégories de recours que le tribunal de première instance est chargé de connaître et approbation de son règlement de procédure |
Article 188 |
Modification du titre III du statut de la Cour de justice et approbation de son règlement de procédure |
Article 188B |
Nomination des membres de la Cour des comptes |
Article 194 |
Nomination des membres du Comité économique et social |
Article 198 A |
Nomination des membres du Comité des régions |
Article 198 B |
Approbation du règlement intérieur du Comité des régions |
Article 209 |
Règlement financier |
Dans un document complémentaire, présenté
en avril, la présidence néerlandaise a suggéré de
compléter cette liste positive en y ajoutant, d'une part, les
règles applicables en matière de
sécurité
sociale
aux travailleurs qui se déplacent dans l'Union (article 51
du traité), et d'autre part, certaines
mesures fiscales
:
- les dispositions se rapportant aux systèmes d'imposition communautaire
en vigueur ;
- les mesures relatives à l'harmonisation complète de la TVA dans
un secteur d'activité limité, dans la mesure où le
fonctionnement du marché intérieur exige des conditions
égales de concurrence dans le secteur concerné ;
- les mesures nécessaires en vue d'éliminer tout obstacle de
nature fiscale à la libre circulation de biens et services à
l'intérieur de l'Union européenne ;
- les mesures relatives à l'administration des systèmes de taxes
harmonisés et permettant de renforcer la coopération
administrative et l'assistance mutuelle entre les Etats membres
nécessaires à cet effet ;
- les mesures nécessaires pour lutter contre la fraude fiscale,
éliminer les doubles impositions, et d'une manière
générale, supprimer les discriminations ou restrictions à
la libre circulation des travailleurs, à la liberté
d'établissement et de prestation des services et à la libre
circulation des capitaux, qui ont pour origine les disparités entre les
législations relatives à l'imposition des revenus.
3. Une négociation difficile
La France s'est prononcée pour une extension importante
du champ des décisions à la majorité qualifiée dans
le premier pilier, sous réserve d'une repondération des votes au
Conseil, notamment en matière de recherche, de culture, d'industrie, de
transports, de fonds structurels ; mais cette position est loin de
refléter un sentiment dominant parmi les délégations.
Certaines des décisions en cause ont en effet des incidences
financières importantes et la perspective d'un abandon de
l'unanimité suscite des inquiétudes aussi bien chez certains pays
contributeurs net que chez certains pays bénéficiaires net.
Par ailleurs, l'introduction, même limitée à certains
domaines, de la fiscalité dans les matières régies par la
majorité qualifiée est repoussée par la plupart des Etats
membres, dont la France.
La CIG semble ainsi s'orienter vers une extension relativement limitée
du vote à la majorité dans le premier pilier.
Une solution de rechange pourrait résider dans le développement
éventuel de " coopérations renforcées "
permettant à certains Etats membres de réaliser ensemble des
approfondissements de la construction européenne dans des domaines
précis ; l'exigence d'unanimité se trouverait alors en quelque
sorte contournée. Cependant, les Etats inquiets de cette
possibilité de contournement ont obtenu que d'éventuelles
" coopérations renforcées " dans le premier pilier
soient soumises à des conditions rigoureuses qui risquent d'en rendre
difficile la mise en place ; en outre, certains Etats persistent à
demander que ces " coopérations renforcées " soient
soumises à une autorisation accordée à l'unanimité
par le Conseil. Dans ces conditions, il semble que le recours à la
" flexibilité " ne puisse aisément servir de substitut
à l'extension de la majorité qualifiée.
Finalement, on peut se demander si, pour les matières du premier pilier,
le traité de Maastricht n'a pas déjà fait l'essentiel du
chemin possible au stade actuel de la construction européenne, ne
laissant à l'actuelle CIG qu'une marge de progrès relativement
limitée. Seule une forte impulsion politique pourrait modifier les
données du problème ; on ne la voit pas de dessiner pour
l'instant.