DEUXIÈME PARTIE -
L'AUSTRALIE ET LA NOUVELLE-ZÉLANDE :
DEUX PARTENAIRES TRÈS ÉTROITEMENT LIÉS
MALGRÉ LEURS PARTICULARISMES
ET LEURS INÉVITABLES
RIVALITÉS
Observations préliminaires : les soeurs rivales de l'Océanie
- La carte d'identité de l'Australie.
Trente fois plus vaste et cinq fois plus peuplée que la
Nouvelle-Zélande, l'Australie est naturellement la puissance dominante
de l'Océanie.
S'étendant sur plus de 7,7 millions de kilomètres carrés,
l'Australie est la terre des paradoxes.
Ile-continent,
elle a quatorze
fois la taille de la France et est presque aussi vaste que les Etats-Unis hors
Alaska. Mais, avec
18 millions
d'habitants, elle est à peine plus
peuplée que les Pays-Bas et sa croissance démographique est
faible (1,02 %). La densité de sa population -2,3 habitants au km²-
est l'une des plus faibles du monde et l'Australie abrite la population la plus
urbanisée de la planète (88 %), dont 3,8 millions vivent à
Sydney et 3 millions à Melbourne.
L'Australie est un pays très riche sur le plan agricole et en
matières premières minérales dont le
produit national
brut
s'élève à 453 milliards de dollars australiens
(le dollar australien valant environ 4 F). Le PNB par habitant dépasse
25 000 dollars australiens.
La part des principaux secteurs
d'activités dans le PNB australien, est la suivante :
- 10 % dans le secteur primaire,
- 15 % dans le secteur secondaire,
- et 75 % dans le secteur tertiaire.
Sur le plan institutionnel, enfin, l'Australie est une
démocratie
fédérale
constituée de sept Etats et territoires. La
Constitution, entrée en vigueur le 1er janvier 1901, met en place un
régime parlementaire bicaméral
composé d'un
Sénat fédéral de 76 membres (élus au suffrage
universel) et d'une Chambre des représentants de 148
députés. Le Chef de l'Etat reste la Reine Elizabeth II
représentée sur place par le
gouverneur
général
(actuellement Sir William Deane en poste depuis
février 1996).
-
La carte d'identité de la Nouvelle-Zélande.
D'une superficie de
270 000 km²
-soit l'équivalent de la
Grande-Bretagne ou deux fois et demie le territoire de la Corée du
Nord-, la Nouvelle-Zélande n'est évidemment pas
géographiquement comparable à l'Australie. La
référence à la " grande soeur " australienne est
inévitable même si les résultats sont, dans certains
domaines, supérieurs à ceux de " l'île de
l'Ouest " de l'autre côté de la mer de Tasmanie -par analogie
à l'île du Nord et à l'île du Sud qui composent la
Nouvelle-Zélande.
La population néo-zélandaise est limitée à
3,6
millions d'habitants
(dont plus de 2,6 millions dans l'île du Nord),
soit moins que Hong-Kong et à peine plus que Singapour. Elle comprend
près de 10 % de Maoris,
mais aussi 4 % d'habitants d'origine
polynésienne et 1 % d'origine asiatique. La densité de la
population -13,5 habitants au km²- y est sensiblement plus importante
qu'en Australie, de même que la croissance démographique
(1,4 %).
Sur le plan économique, le PNB néo-zélandais
s'élève à 83,5 milliards de dollars
néo-zélandais (le dollar néo-zélandais valant
environ 3,75 F), et le PNB par habitant est estimé à plus de
23 500 dollars néo-zélandais.
La répartition de ce
PNB entre les principaux secteurs d'activités est la suivante :
- 8,4 % dans le secteur primaire,
- 28,5 % dans le secteur secondaire,
- et 63,1 % dans le secteur tertiaire.
Dans le domaine institutionnel, enfin, la Nouvelle-Zélande est
également
une démocratie parlementaire membre du Commonwealth.
La couronne britannique y est représentée par le gouverneur
général (actuellement Sir Michael Hardy Boys). Le Parlement,
monocaméral, est constitué par une Chambre des
représentants composée de 120 députés.
*
* *
I. DES DONNÉES POLITIQUES INTÉRIEURES NON DÉNUÉES DE SIMILITUDES
A. LA SITUATION POLITIQUE AUSTRALIENNE
1. Le paysage politique australien
a) Les grands axes de l'évolution politique depuis 1945
Après la seconde guerre mondiale -qui a conduit
l'Australie, après la chute de Singapour en 1942, à se
détacher progressivement de l'Empire britannique pour devenir
l'allié et le relais naturel des Etats-Unis dans la région-
l'île-continent a connu pendant plus de deux décennies une
prospérité et une élévation de son niveau de vie
exceptionnelles, parfois présentées comme
" l'âge
d'or " de l'Australie.
Deux millions d'immigrants, essentiellement
européens, sont alors venus s'installer dans le pays.
La vie politique australienne est alors dominée par le parti
libéral et un Premier ministre régulièrement
réélu
de 1949 à 1966, Sir Robert Menzies.
Ses
successeurs, également libéraux, poursuivront jusqu'en 1972 une
politique de fidèle alliance avec les Etats-Unis, notamment au Vietnam.
En 1972,
après vingt-trois années de pouvoir de la
coalition conservatrice, une
majorité travailliste conduit M. Gough
Whitlam
au poste de Premier ministre. De profondes réformes sont
engagées, de la fin de la présence australienne au Vietnam
jusqu'à la mise en place d'un système de protection sociale
universel en passant par l'abolition de la politique du " Keep
Australia
White " et la restitution de leurs terres ancestrales aux
aborigènes. Mais les difficultés économiques et sociales,
l'inflation et le chômage étant aggravés par la crise
internationale, conduisent le gouverneur général, dans des
conditions controversées, à faire appel
en 1975
au leader
de l'opposition
M. Malcolm Fraser,
choix confirmé par les
électeurs à trois reprises lors des élections
législatives suivantes.
Ce gouvernement conservateur restera ainsi au pouvoir
jusqu'en 1983,
date à laquelle
les travaillistes
accèderont une
nouvelle fois aux responsabilités du gouvernement fédéral.
Ils y demeureront cette fois jusqu'en 1996, sous les directions successives de
M. Bob Hawke,
jusqu'en 1991, puis de son ancien ministre des finances,
M. Paul Keating.
Les travaillistes ont alors engagé, avec l'appui
du puissant syndicalisme australien, une véritable
révolution
libérale
(privatisations, réformes de structures, fin de
l'indexation des revenus sur les prix...) afin de permettre
l'intégration de l'Australie dans une économie asiatique en
pleine expansion, alors que le pays était jusqu'alors doté d'une
économie fortement administrée. La récession de
l'économie mondiale, s'ajoutant à la persistance de
déséquilibres, a toutefois porté un coup à la
réussite des réformes engagées par les travaillistes qui
n'ont ainsi pu enrayer l'érosion progressive de leurs positions.
b) L'alternance du 2 mars 1996 et le retour au pouvoir d'une coalition libérale-nationale
Alors que M. Paul Keating, leader charismatique mais quelque
peu autocratique, avait fixé trois rendez-vous à son pays au
tournant du siècle -la République, la réconciliation
nationale avec les aborigènes et l'arrimage définitif de
l'Australie à l'Asie-, les élections législatives du 2
mars 1996 ont marqué le retour au pouvoir de la coalition
nationale-libérale comme aboutissement d'un glissement de l'opinion
australienne entamé depuis plusieurs années au niveau des Etats
fédérés.
La
coalition formée du parti libéral,
formation de centre
droit,
et du parti national,
plus conservateur et représentant
les intérêts du monde rural, a en effet remporté une longue
série de
succès aux élections locales,
successivement dans l'Etat de Victoria et en Tasmanie (en 1992), en
Australie occidentale (en 1993) et dans le Queensland (en février 1996).
La Nouvelle-Galles du Sud est ainsi aujourd'hui le seul des sept Etats et
territoires australiens à être dirigé par les
travaillistes, sous l'autorité du gouvernement de M. Bob Carr qui vise
à maintenir ses positions dans la perspective des élections de
1999 qui précèderont de peu les Jeux olympiques qui se
dérouleront en l'an 2000 à Sydney.
La coalition dirigée par
M. John Howard
-jusqu'alors chef de
l'opposition depuis janvier 1995, après l'avoir déjà
été de 1985 à 1989 avant de laisser provisoirement la
place à M. Alexander Downer- a ainsi remporté, après
treize années d'opposition, les élections du 2 mars 1996 sur la
base d'un programme consensuel effaçant les aspérités
thatchériennes de ses prédécesseurs et
bénéficiant de la lassitude des Australiens à
l'égard du gouvernement travailliste. Cette victoire électorale a
été très nette puisque la coalition a remporté
54 % des suffrages et 94 sièges sur 148 à la Chambre des
représentants
(dont 76 pour le parti libéral et 18 pour le
parti national). Le parti travailliste (Australian Labour Party ou ALP) n'a
conservé que 49 sièges, avec 45 % des voix ; trente
députés sortants travaillistes, dont sept ministres, ont
été battus.
M. John Howard a constitué
une équipe gouvernementale
resserrée
de 23 membres au sein de laquelle les postes
économiques et sociaux reviennent à des personnalités aux
convictions libérales affirmées -notamment M. Peter Costello,
ministre des finances- tandis que M. Alexander Downer y détient le
ministère des Affaires étrangères, élargi à
la coopération, et que M. Tim Fischer cumule ses fonctions de
président du parti national avec celle de vice-Premier ministre et de
ministre du commerce extérieur. Le parti national, dont le poids
électoral tend à diminuer au profit des libéraux, ne
détient toutefois que 5 portefeuilles sur 23.
Malgré la relative inexpérience de nombreux ministres -justifiant
les rumeurs successives de remaniement ministériel-, le nouveau
gouvernement a atteint les principaux objectifs qu'il s'était
assignés depuis un an et le Premier ministre, M. John Howard, s'est
imposé comme un dirigeant sérieux et responsable et comme un
habile tacticien qui bénéficie
d'une popularité
personnelle particulièrement élevée.
c) Une opposition affaiblie
La position actuelle du gouvernement australien paraît
aujourd'hui d'autant plus solide que l'opposition y semble durablement
affaiblie. Les observateurs prédisent ainsi -à tort ou à
raison- le maintien de la majorité actuelle au moins pour deux
législatures (c'est-à-dire jusqu'en 2002), appréciation
confortée par les derniers résultats d'élections
partielles.
-
Le parti travailliste,
qui a subi en mars 1996 son revers le plus
cinglant depuis soixante ans, ne semble pas représenter à court
terme une alternative crédible. Son leader, l'ancien Premier ministre
Paul Keating, s'est retiré de la vie politique et a été
remplacé par son ancien ministre des finances, M. Kim Beazley. Il
a
perdu une partie de son électorat populaire et ouvrier
du fait de la
politique libérale de modernisation de l'économie conduite depuis
1983 (déréglementation bancaire, privatisations,
démantèlement des barrières tarifaires, flottement du
dollar australien...) parallèlement à la stratégie
d'insertion de l'Australie en Asie. Fortement lié au mouvement syndical,
le Labour s'efforce ainsi de reconquérir son influence traditionnelle
aupès de la classe ouvrière et des minorités non
anglo-saxonnes (catholiques, asiatiques...).
- Le parti travailliste est de plus confronté à
la concurrence
des autres formations d'opposition
qui conservent en particulier, en tant
que partis charnières,
un rôle déterminant au
Sénat.
Les
Verts et le parti démocrate
-dirigé
par Mme Cheryl Kennot- jouent ainsi un rôle important dans la vie
politique et parlementaire australienne et privent le gouvernement de M. Howard
de majorité à la Chambre haute. Ils jouent également un
rôle comparable dans certains Etats fédérés,
notamment en Tasmanie.
2. Les grands thèmes de la vie politique intérieure australienne
a) Les réformes économiques et sociales
Malgré cette conjonction des oppositions
-travaillistes, démocrates et écologistes- au Sénat, le
nouveau gouvernement est parvenu à faire adopter les premiers projets de
son
programme économique
dont trois axes principaux doivent
être soulignés :
-
la rigueur budgétaire
est la caractéristique majeure de
la nouvelle loi de finances qui prévoit sur deux ans un effort
exceptionnel de réduction de dépenses publiques et des
diminutions drastiques des effectifs de la fonction publique (25 000 agents) ;
- en second lieu,
la déréglementation du marché du
travail
a fait l'objet de mesures destinées à accroître
la flexibilité du marché du travail et visant à favoriser
les petites entreprises ; moins importantes qu'initialement prévu, ces
mesures de compromis ont, semble-t-il, désarmé l'hostilité
de la centrale syndicale ACTU qui rassemble encore 37 % des salariés (au
lieu de 50 % en 1982) ;
- enfin, le programme gouvernemental prévoit la poursuite du processus
de
privatisations
malgré l'opposition qu'elles suscitent,
notamment dans le secteur du transport maritime, des
télécommunications et de la banque.
Le gouvernement a toutefois jusqu'ici adopté une certaine prudence dans
la mise en oeuvre des réformes annoncées. La question est
aujourd'hui posée de savoir s'il pourra aller plus vite et plus loin
-comme le souhaitent les milieux d'affaires qui préconisent un
rythme
de réformes
plus soutenu- ou s'il devra se contenter de mesures
prudentes et limitées pour ne pas accroître les tensions
syndicales et risquer de remettre en cause treize années de relative
paix sociale et de modération salariale résultant de la large
association du mouvement syndical à la conduite de la politique
économique sous le gouvernement travailliste.
b) La question de l'identité australienne
Le gouvernement doit également gérer avec
délicatesse les débats relatifs à
l'identité
australienne
et au
multiculturalisme
de l'île-continent qui
témoignent d'un certain malaise identitaire et de la fragilité du
consensus qui semblait s'être dégagé à ce sujet.
L'Australie -qui fascine un peu partout dans le monde et attire un très
grand nombre de demandes d'immigration- attache en effet une grande importance
à la question de son identité. Si son caractère de
société multiculturelle doit lui permettre de répondre au
défi de la mondialisation -peut-être plus aisément que les
vieilles nations européenes- des débats importants -notamment
entre la majorité et l'opposition- portent sur deux questions
essentielles : celle de la communauté aborigène et celle de
l'immigration, notamment asiatique.
- S'agissant des mesures en faveur de
la communauté aborigène
(240 000 personnes, soit 1,6 % de la population)
,
le gouvernement
travailliste avait engagé une politique de réconciliation
nationale qui fait aujourd'hui l'objet d'un réexamen prudent afin de ne
pas attiser un risque de contestation aborigène violente. La
question
des droits fonciers
reconnus depuis 1993 aux descendants des premiers
occupants provoque de vifs débats dans la mesure où la nouvelle
législation abolit la théorie de la " terra nullius "
en vigueur depuis 1788 et fait obstacle à l'exploitation minière
et agricole. Dans le même temps, la commission pour le
développement économique des aborigènes (ASTIC) fait
l'objet d'un projet de réforme contesté et les aides
financières à la promotion des aborigènes sont atteintes
par l'extrême rigueur budgétaire. De manière
générale, la question aborigène resurgit du fait d'
une
nouvelle lecture de l'histoire
conçue désormais au
départ avec l'idée d'une invasion et non plus celle,
établie jusqu'alors comme un postulat, d'une implantation pacifique des
colons.
- En ce qui concerne
le développement de l'immigration asiatique
(qui représente aujourd'hui 5 % des résidents australiens et
pourrait atteindre 15 % en 2050), le nouveau gouvernement est également
plus sensible que son prédécesseur travailliste aux
craintes
identitaires de l'opinion.
Mais il souhaite aussi ménager les
partenaires asiatiques de l'Australie par le maintien d'une
politique
migratoire libérale.
C'est dans ce double esprit que doivent
être appréciées la réduction limitée du flux
annuel de nouveaux immigrés (de 93 000 à 76 000) ou la
sévérité accrue du régime de regroupement familial.
Mais la classe politique australienne quasi unanime a condamné les
thèses xénophobes et populistes
développées
notamment par le Sénateur Pauline Hanson -qui ont pourtant reçu
à l'automne dernier un vaste écho médiatique- et s'efforce
d'empêcher l'émergence d'un mouvement de contestation radicale de
l'immigration asiatique et de la société multiculturelle
australienne, prouvant que l'angoisse du " péril jaune "
demeure dans la conscience australienne et que les fantômes de la
" politique de l'Australie blanche " pourraient être
prêts à resurgir.
c) La question constitutionnelle et le débat sur la République
La question constitutionnelle et de
l'avènement
d'une Répulique australienne "
n'apparaît pas aujourd'hui
au premier rang des priorités de la coalition libérale-nationale,
traditionnellement plus attachée aux liens avec la Couronne britannique.
Elle n'en constitue pas moins, sinon un enjeu majeur, du moins un thème
important du débat politique australien.
Il convient à cet égard de rappeler que, si l'Australie n'a
guère modifié sa loi fondamentale d'inspiration britannique
depuis 1901,
l'Australia act de 1986
a déjà
découplé définitivement le Commonwealth australien du
Parlement de Wetsminster. Le précédent Premier ministre,
M. Keating, travailliste, avait prévu l'organisation d'un
référendum pour transformer l'Australie en république
à l'horizon 2001, pour le centenaire de la Fédération. Et,
en dépit de ses convictions personnelles monarchistes, le nouveau
Premier ministre, M. Howard, s'est engagé à organiser une
convention constitutionnelle et une consultation populaire sur ce
thème
.
S'il existe encore sur ce terrain un certain clivage traditionnel entre
travaillistes républicains et libéraux majoritairement
monarchistes, l'issue d'une telle consultation ne ferait, aux yeux des
observateurs, guère de doute. L'opinion australienne, à
l'exception des personnes les plus âgées ou de certains milieux
d'ascendance anglo-saxonne, paraît en effet majoritairement favorable
à la désignation du Chef de l'Etat australien par le corps
électoral. Une majorité semble ainsi, si la question est
posée, devoir se dégager en faveur de l'avènement d'une
République australienne au terme d'une évolution qui
apparaît inévitable. Si la question est politiquement sensible et
pose des problèmes constitutionnels délicats, chacun admet
aujourd'hui que l'évolution vers la république est
désormais dans l'ordre des choses.