V. M. PIERRE GILSON
VICE-PRÉSIDENT CHARGÉ DES AFFAIRES
SOCIALES DE LA CONFÉDÉRATION GÉNÉRALES DES PETITES
ET MOYENNES ENTREPRISES (CGPME)
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M. le président -
Monsieur GILSON, nous vous
remercions d'avoir accepté de venir devant nous.
Quelle est votre position par rapport aux stages diplômants ? Comment
votre organisation les considère-t-elle? Avez-vous été
associé aux discussions ? Quelle est votre position par rapport aux
propositions du CNPF ? Quel rôle peuvent jouer les entreprises que vous
représentez ?
Nos collègues sénateurs de province se demandent ce que les PME
peuvent faire dans ce domaine. Un de nos collègues du sud-ouest
expliquait même que son département compte peu d'industries
importantes, mais davantage de PME, et il s'interroge sur la portée de
cette formule.
M. Pierre Gilson
- Nous n'avons pas du tout été
associés à cette démarche que nous avons apprise par voie
de presse.
Toutefois, chaque organisation pouvant faire des propositions, c'est
certainement ce que nous allons faire lundi prochain, si le Premier ministre le
souhaite.
Les PME ont énormément souffert d'une façon que vous ne
pouvez imaginer de la grève de novembre et décembre 1995 et un
peu moins du conflit des transporteurs de la fin de l'année
passée...
M. le président
- Je l'imagine assez bien !
M. Pierre Gilson
- ... Environ 500 entreprises, directement ou
indirectement, se sont trouvées profondément
gênées : impossibilité de recevoir les chèques,
dépôts de bilan en cascade... Nous ne voulons donc pas que les
propositions qui seront faites puissent déclencher un conflit au niveau
de l'université.
Je connais bien le milieu universitaire, étant membre du Comité
national d'évaluation. Nous venons de travailler sur les
universités technologiques notamment de Compiègne et de Troyes.
Les universités -y compris technologiques- se tournent de plus en plus
vers les PMI car les grandes entreprises ont déjà licencié
tout leur personnel de plus de 55 ans et renouvelé leurs cadres
grâce aux grandes écoles ou aux universités, par le biais
d'une sélection assez sévère. Elles en ont maintenant pour
une trentaine d'années avant de renouveler leurs cadres
supérieurs, sauf exception.
Nous travaillons donc en étroite collaboration et souhaitons que les
universités préparent des jeunes gens et des jeunes filles
polyvalents pour entrer dans les PMI. En effet, celles-ci ont besoin de se
développer, quitte à le faire sous forme de temps partagé,
certaines PMI ne pouvant s'offrir le luxe d'avoir plusieurs ingénieurs
-ou même un ingénieur à plein temps.
Le CNPF, qui connaît les problèmes spécifiques des grandes
entreprises, a proposé une formule de stages diplômants. Ce n'est
pas nous qui allons le critiquer, car cela correspond peut-être à
un besoin des 1.570 grandes entreprises de plus de 500 salariés.
Pour le reste, il existe 1.380.000 établissements du secteur
privé non-agricole en France, dont 1.280.000 de moins de 50
salariés et 930.000 de moins de cinq salariés. C'est à ce
niveau que l'on peut essayer de faire un effort -nous sommes prêts
à le faire et nous le faisons déjà- pour embaucher des
jeunes avec ou sans qualification.
Le tout est que le système éducatif et les écoles
d'ingénieurs forment des jeunes gens plus adaptés et qui ont
l'intention d'entrer dans ce type d'entreprises, alors qu'encore beaucoup trop,
y compris aux Arts et Métiers, ambitionnent de se faire embaucher chez
Thomson, Alcatel, ou Renault...
Nous n'avons pas critiqué le projet proposé par le CNPF, et nous
ne le ferons pas : il correspond peut-être à une attente et
à un besoin d'entreprises d'une certaine taille, mais nous sommes
convaincus que les entreprises que je viens de citer ne risquent pas
d'être intéressées par ce type de stages...
Cela ne peut avoir qu'un impact limité sur le chômage des jeunes
diplômés. Je suis depuis plus de trente ans mobilisé sur
ces problèmes de la formation et de l'insertion des jeunes dans les
entreprises. Je connais bien les réactions des PME.
Lorsqu'on a bâti les formations en alternance avec le CNPF, on a voulu
mettre en place les contrats d'orientation, après la suppression du
stage d'initiation à la vie professionnelle. Nous étions à
peu près sûrs qu'il y avait des possibilités dans les PME,
mais nous étions également certains d'aller à
l'échec : pour preuve, 345 contrats d'orientation ont été
signés le mois dernier ! On en connaît la raison : les PME
sont très frileuses en ce moment et hésitent à embaucher,
même si c'est au détriment de leur chiffre d'affaires et
préfèrent ne pas prendre d'engagements.
Les entreprises craignent en effet de ne pouvoir licencier -bien que les textes
le permettent- et surtout les procédures devant les juridictions
prud'homales.
L'AGEFOS, en partenariat avec les organisations syndicales, qui a engagé
un travail depuis plus de 25 ans sur le terrain, tente de placer des jeunes
gens dans le cadre de contrats d'apprentissage, de qualification ou
d'alternance...
M. le président
- C'est un organisme paritaire...
M. Pierre Gilson
- Il s'agit d'un organisme interprofessionnel national,
qui est agréé pour collecter les fonds de la formation
professionnelle et faire de l'assistance auprès des PME, avec 24
structures territoriales connues de chaque entreprise, alors que
nous-mêmes le sommes à peine !
De plus, le système des stages est complexe pour une entreprise moyenne
-double tutorat, contraintes administratives jouant contre l'embauche...
Nous venons d'obtenir satisfaction sur la simplification du bulletin de paye,
qui constitue un handicap. On passe de 27 à 10 rubriques.
Nous ne formulons donc pas de critiques sur les stages diplômants, si ce
n'est que ceux-ci paraissent destinés à une clientèle
spécifique et n'auront pas d'impact sur les populations immenses que
nous représentons. En tout état de cause, nous formulerons lundi
prochain les propositions que nous avons déjà soumises par
écrit au cabinet du ministre du travail, au Président de la
République et à M. Raffarin.
Il existe 1.200.000 micro-entreprises sans salarié auprès
desquelles nous pensons pouvoir encore placer des jeunes ayant
échoué sur le plan scolaire ou dans l'enseignement
supérieur, à qui il faudrait proposer une convention d'aide
à l'insertion volontaire, comme le fait le CNPF, et dont un
modèle leur serait remis lors de leur première inscription
à l'ANPE.
Cette convention, d'une durée de 4 à 6 mois, serait une sorte de
convention de stage dont le but serait d'insérer les jeunes dans le
milieu des entreprises. En effet, beaucoup ignorent malheureusement ce qu'est
l'entreprise et ne croient pas qu'ils peuvent s'y faire apprécier. Or,
les expériences démontrent que plus de 50 % des jeunes
s'épanouissent dans l'entreprise souvent durant les premiers mois, et se
font remarquer par leurs compétences, leurs capacités
d'initiatives, en y prenant même un certain goût.
Il conviendrait toutefois de permettre aux entreprises de n'avoir
simultanément qu'une possibilité de convention -ou deux à
la rigueur- pour éviter les abus que l'on a connus autrefois, où
ce type d'insertion était devenu pour certaines entreprises un mode de
recrutement systématique.
Il s'agirait d'une sorte de devoir de citoyenneté à assumer
vis-à-vis de la jeunesse, et l'on ne demanderait pas de prime à
qui que ce soit, l'entreprise versant ce qui est versé en tant que
rémunération dans un stage du type scolaire ou étudiant...
M. le président
- C'est-à-dire ?
M. Georges Tissié
- Cela représente un peu plus de 1.800
francs...
M. Pierre Gilson
- Le jeune serait volontaire et donnerait le double de
son accord de convention à nos organisations, qui essaieraient alors de
trouver une entreprise ad hoc.
Toutefois, aux 1.200.000 entreprises qui ne comptent aucun salarié,
s'ajoutent les entreprises ayant moins de cinq salariés. Presque deux
millions d'entreprises peuvent donc être sollicitées. Il y a
là un effet de masse qui pourrait dégager des emplois au bout de
la période de convention.
Il faudrait cependant encourager le chef d'entreprise à embaucher le
jeune qui se serait fait apprécier, car il y a presque un regret
à laisser partir quelqu'un sur lequel on a commencé à
investir, qu'on a commencé à former et qui est impliqué
dans le fonctionnement de l'entreprise...
M. le président
- Ce que vous proposez correspond à un
stage d'insertion...
M. Georges Tissié
- Ce n'est pas dans le cursus !
M. le président
- Quel serait le statut du jeune ?
M. Pierre Gilson
- Un statut de stagiaire...
M. le président
- Pas un contrat de travail ?
M. Pierre Gilson
- Non ! Dans la mesure où elle
apprécie le jeune dans les quatre mois, l'entreprise est tentée,
au moins dans un pourcentage de 40 à 50 %, d'embaucher le jeune.
Une prime forfaitaire serait à cet égard la bienvenue. Elle
pourrait être constituée par un pourcentage des sommes
versées pendant la période de stage au moment de la signature du
contrat.
On demande aux PME de remplir gratuitement un devoir de citoyenneté. Un
tel effort pourrait donner lieu à une prime, puisqu'on en donne à
d'autres niveaux.
L'embauche pourrait se faire sous forme d'un CDD, d'un CDI, d'un contrat
d'apprentissage, d'un contrat de qualification ou d'adaptation, qui
permettraient d'obtenir une qualification. Toutefois, le jeune pourrait rompre
le contrat à tout moment, contrairement à l'entreprise.
M. le président
- C'est évidemment dans l'esprit et la
forme tout à fait différent de ce qui a été
proposé...
M. Pierre Gilson
- Cela n'a rien à voir !
M. le président
- Vous vous adressez de manière
privilégiée à des jeunes de niveau secondaire -ou
même en situation d'échec- et non à des jeunes en
université?
M. Pierre Gilson
- Cela peut être aussi un jeune en début
de deuxième année de DEUG.
Il existe -on en a vu récemment à Grenoble- des entreprises dont
l'effectif de 10 salariés est uniquement composé
d'ingénieurs.
M. Georges Tissié
- Le jeune peut également entrer dans
l'entreprise dans le cadre d'un contrat de qualification...
M. le président
- Ce n'est pas un passage obligé, mais
c'est un moyen supplémentaire.
M. Pierre Gilson
- Des chiffres de l'AGEFOS montrent une augmentation
des bénéficiaires de 20 % par rapport à l'année
dernière. Il y a un travail en profondeur sur les contrats de
qualification, d'adaptation et d'apprentissage...
M. le président
- La formule que vous proposez ne regarde pas les
universités, mais l'entreprise...
M. Pierre Gilson
- La seule structure qui pourrait être
éventuellement cosignataire serait l'ANPE, si l'on veut être
sûr que le jeune ne rentre pas dans une entreprise non recommandable.
Nous ne sommes pas contre, mais il faut que ce soit simple.
M. le président
- La formule que vous proposez n'est pas
exclusive de l'autre...
M. Pierre Gilson
- Elles n'ont rien à voir ! Certaines grandes
entreprises ou quelques PME peuvent être intéressées par le
stage diplômant, mais nous considérons que nous avons une
responsabilité à assumer vis-à-vis des 650.000 jeunes sans
emploi. Il faut que l'on arrive à convaincre les toutes petites PME, car
il a là un résultat tangible à attendre, étant
donné les volumes considérés ! Nous sommes
persuadés que nous irions au-delà d'une entreprise sur cinq...
M. le président
- Vous en avez parlé à
M. Jacques Barrot ?
M. Pierre Gilson
- Il a reçu notre courrier...
M. Georges Tissié
- Nous avons également eu un entretien
avec lui...
M. Pierre Gilson
- Je ne sais quel est l'accueil que peut
réserver le Gouvernement à un tel projet, mais nous sommes
prêts à lancer une telle opération, car on ne peut
continuer à fonctionner comme cela ! Cela représente un
coût, et il n'est pas prouvé que, d'ici quelques mois ou quelques
années, compte tenu des perspectives de reprise, nous n'aurons pas
besoin de gens adaptés à l'entreprise. On anticipe donc une
reprise éventuelle...
M. le président
- Je sens que la confiance revient !
M. Pierre Gilson
- Elle revient, mais pas dans tous les secteurs. Il est
cependant vrai que l'on ressent une certaine confiance. Le bâtiment reste
toutefois notre gros problème, car 40 ou 50 professions vivent de cette
activité.
M. Georges Tissié
- Par ailleurs, nous demandons que la prime du
contrat de qualification soit reconduite.
M. le président
- A combien s'élève-t-elle ?
M. Georges Tissié
- ... De 5 à 7.000 francs, suivant la
durée, pour un contrat d'une durée maximum de 24 mois...
M. Pierre Gilson
- Nous avons été atterrés de
constater qu'elle n'avait pas été reconduite. Heureusement, elle
va l'être...
M. le président
- Combien y a-t-il de contrats de
qualification ?
M. Georges Tissié
- 95.000 et un peu moins de 45.000 contrats
d'adaptation. Leur nombre a cru de 10 % au cours des quatre derniers mois.
M. Pierre Gilson
- Par ailleurs, nous avons embauché près
de 80.000 premiers salariés en 1996.
M. Georges Tissié
- Deux ans après la mise en place de
l'exonération pour l'embauche du premier salarié, le
ministère des finances a estimé que cela coûtait trop cher.
Il a fallu se battre pour maintenir ce système. Or, six ans
après, nous sommes passés à
80.000 bénéficiaires ! Ces mécanismes doivent
donc s'inscrire dans la durée...
M. Pierre Gilson
- C'est indispensable pour les PME !
M. Georges Tissié
- C'est pourquoi il faut absolument maintenir
la prime pour le contrat de qualification, car c'est un élément
du système qui doit s'inscrire dans la durée !
M. Pierre Gilson
- Deux années sont nécessaires à
nos chefs d'entreprise pour avoir confiance en un système nouveau. On ne
peut donc estimer qu'une expérience s'est révélée
négative à l'issue d'une année et la supprimer !
Cette méthode n'est pas adaptée à nos entreprises.
M. le président
- Merci de nous avoir éclairés et
fait part de vos propositions.
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