III. REDÉPLOYER L'EFFORT DE L'ÉTAT ET MODERNISER LA FISCALITÉ DU TERRITOIRE
La période qui s'ouvre suppose enfin un aggiornamento
de l'environnement financier et fiscal du territoire. Sur ce point, le constat
est double :
- L'Etat doit au moins maintenir à niveau son effort et le
redéployer au profit de quelques axes forts en évitant un certain
saupoudrage qui a marqué les deux premières
générations de contrats de développement.
- Parallèlement, il convient d'inciter le Territoire à poursuivre
une réflexion, d'ailleurs bien engagée, sur la modernisation de
la fiscalité de la Nouvelle-Calédonie.
A. RECENTRER L'EFFORT DE L'ETAT D'UN SAUPOUDRAGE DES CREDITS VERS LE FINANCEMENT D'ACTIONS CORRESPONDANT A UN OBJECTIF D'AMENAGEMENT DU TERRITOIRE
Votre rapporteur doit faire part, à titre liminaire, de
l'attachement très fort,
exprimé par l'ensemble des
responsables calédoniens
, à la présence de l'Etat sur
le territoire. L'Etat "impartial" voulu par les signataires des
accords de
Matignon a incontestablement joué son rôle.
Il ressort ainsi des entretiens que votre rapporteur a eus avec plusieurs
personnalités de la mouvance indépendantiste que même si la
Nouvelle-Calédonie devait accéder à la souveraineté
politique, l'Etat français devrait rester présent, au moins pour
garantir la stabilité interne et externe du pays.
Le présent rapport a souligné plus haut la volonté
manifestée par l'Etat de respecter ses engagements contractuels à
l'égard des collectivités locales de Nouvelle-Calédonie en
1997, dernière année, en principe, de mise en oeuvre des contrats
de développement, de la convention avec le Territoire et du contrat de
ville de Nouméa. Cet effort est réalisé dans un contexte
marqué par l'allongement sur un exercice complémentaire de la
totalité des engagements contractuels de l'Etat avec l'ensemble des
collectivités publiques, hors Nouvelle-Calédonie.
Votre rapporteur estime qu'il convient en effet d'achever au plus vite les
investissements en cours, y compris les équipements jugés
localement, à tort ou à raison, comme étant "de
prestige" : la transversale Koné-Tiwaka, mentionnée plus
haut, mais aussi
le centre culturel Jean-Marie Tjibaou
.
Réalisation remarquable, mais dont la construction a connu quelques
avatars à la suite du désistement de l'un des
équipementiers, le centre culturel Jean-Marie Tjibaou symbolise, en
effet, la reconnaissance de la culture kanak et vise à lui donner toute
sa place dans la vie sociale du territoire. Son coût final est
évalué à 337,15 millions de francs français,
ce qui correspond à 316,7 millions de francs valeur janvier 1992,
soit un montant inférieur à l'enveloppe fixée initialement
(320 millions de francs).
A compter de 1998, l'action de l'Etat sur le territoire devrait être
resserrée autour de quatre objectifs ciblés :
Il est tout d'abord nécessaire de conserver leurs moyens d'action aux
structures dont l'Etat assure pour partie le fonctionnement
:
l'ADECAL, comme cela a déjà été souligné
plus haut, mais aussi
l'ADRAF (Agence de développement rural et
d'aménagement foncier).
En moyenne, les dépenses sur les années 1992 à 1995
au titre des achats de terres effectués par l'ADRAF ont
été de 10 millions de francs par an. Ce rythme paraît
raisonnable compte tenu des besoins recensés.
Or, les montants délégués en 1996 ne s'élevaient
à la date du déplacement de votre rapporteur sur le territoire
qu'à 4,25 millions de francs
18(
*
)
et l'administration, compte tenu des
moyens en diminution dont elle disposera en 1997 sur la section
générale du FIDES, s'apprête à proposer au
comité directeur du fonds l'inscription d'une enveloppe limitée
à 6 millions de francs pour les achats de terre de l'ADRAF.
Une solution, strictement conjoncturelle, peut consister à solliciter
le fonds de roulement dont dispose l'ADRAF. Cette voie n'apparaît
toutefois pas pérenne et met en danger l'action d'une institution
indispensable à la paix civile en Nouvelle-Calédonie.
L'Etat doit ensuite
mieux prendre en compte à l'avenir le
rôle économique des communes
. Non seulement celles-ci doivent
avoir toute leur place dans le statut de la Nouvelle-Calédonie (cf. plus
haut), mais elles ont vocation à être traitées comme des
partenaires au service du développement et de l'aménagement du
territoire.
L'Etat pourrait en particulier s'impliquer de façon décisive
dans l'achèvement de la couverture des besoins en adduction d'eau et en
alimentation électrique
, tous domaines de compétence
communale.
L'enjeu est clair et essentiel : même si beaucoup a
été fait depuis 1989, nombre de tribus de la chaîne
centrale de la Grande Terre ont le sentiment, justifié, de ne pas avoir
encore "touché les dividendes" des accords de Matignon et estiment
qu'il
a été trop sacrifié à des "réalisations de
prestige" sans véritable utilité pratique (transversale
Koné-Tiwaka, Centre culturel Jean-Marie Tjibaou, voire hôpital de
Poindimié...). Il y va finalement de la réussite effective de
l'objectif de rééquilibrage : il manque encore le
"déclic" psychologique qui permettrait à tous de
reconnaître que l'oeuvre entamée voici dix ans est à
présent achevée.
Le coût unitaire, considérable en raison de la dispersion de
l'habitat, des derniers raccordements à réaliser en eau et en
électricité justifie
cette implication de l'Etat
que votre
rapporteur propose, en outre, de placer, le cas échéant,
hors
des plafonds contraignants prévus par le décret n° 72-196 du
10 mars 1972
.
L'enjeu du développement équilibré de
Nouméa et de sa zone d'influence devrait également figurer au
rang des priorités de l'Etat. La multiplication de l'habitat
précaire appelle une réponse énergique qui passe non
seulement par un fort redéploiement des aides directes
déjà accordées depuis 1993 dans le cadre du contrat de
ville de Nouméa, mais également par la mise en place
d'instruments bancaires moins coûteux au service du logement très
social, grâce, par exemple, à une affectation des ressources du
livret A prélevées sur le territoire au profit de la
construction en Nouvelle-Calédonie (produits Caisse des
dépôts et consignations).
Ces problèmes, dont le traitement a des conséquences directes
sur la stabilité du territoire, ont été
détaillés plus haut par votre rapporteur. Leur prise en compte
justifie, au-delà du
renouvellement du contrat de ville de
Nouméa
, la conclusion d'un
contrat d'agglomération
englobant également Dumbéa, Païta et la commune de
Mont-Dore.
Enfin,
l'Etat s'est d'ores et déjà engagé, par la
voix de M. Alain Juppé, Premier ministre, à apporter une
aide décisive à la réalisation des infrastructures
d'accompagnement du projet d'usine métallurgique en province Nord
,
si celui-ci se concrétise.
La question du développement des équipements induits par ce
projet n'est cependant pas détachable du problème posé par
la situation financière particulièrement préoccupante de
la société ENERCAL (société
néo-calédonienne d'énergie).
L'investissement de la centrale thermique "Jacques Iékawé" de
Népoui, réalisé notamment pour subvenir aux besoins futurs
du territoire, et pris en charge totalement par ENERCAL, a en effet
obéré la situation financière de l'entreprise
d'électricité qui affiche depuis 1993/1994 un résultat net
négatif. Un rapport de l'Inspection générale des finances,
remis au mois d'octobre 1995 par M. Hirel, avançait ainsi des
propositions pour tenter de rétablir les comptes d'une entreprise dont
la gestion demeure par ailleurs saine.
S'exprimant sur les conséquences financières des infrastructures
à réaliser dans le secteur énergétique au cours des
prochaines années (doublement des capacités de Népoui et
équipement hydroélectrique de la province Nord afin de
répondre à la demande induite par la nouvelle usine
métallurgique notamment), le Premier ministre, M. Alain
Juppé, a précisé, dans son intervention
précitée du 18 avril 1996 :
"Bien entendu, la mise en oeuvre de ce programme énergétique
devra s'appuyer sur la solidarité nationale afin que, contrairement aux
décisions prises en 1988, elle ne se traduise pas par une augmentation
des tarifs préjudiciable à la compétitivité de
l'économie calédonienne.
"L'impact à terme de ces grands projets d'infrastructures doit d'ores
et déjà être programmé. Leur réalisation
devra en particulier être prise en compte dans les contrats de
développement."
L'Etat ne pouvait mieux souligner, au plus haut niveau, son attachement
à donner toutes ses chances au développement économique de
la province Nord.
Au-delà du respect de ces quatre axes d'intervention
(pérennisation de l'action de l'ADECAL et de l'ADRAF, achèvement
de la couverture du territoire en infrastructures de base, développement
harmonieux de l'agglomération de Nouméa, participation au
financement des infrastructures induites par le projet d'usine
métallurgique du nord), l'Etat doit bien sûr maintenir son aide au
travers des dispositions de
la loi Pons relative à la
défiscalisation des investissements outre-mer
.
Celle-ci a un impact sensiblement plus limité que dans le reste de
l'outre-mer puisque la Nouvelle-Calédonie constitue un espace fiscal
autonome et a signé avec la France, en 1983, une convention fiscale, ce
qui a pour effet d'écarter du bénéfice du mécanisme
de défiscalisation les investisseurs résidant sur le territoire.
La Nouvelle-Calédonie n'a ainsi représenté, en 1995, que
2 % des dossiers agréés (5) et 3,5 % du montant des
investissements agréés (137,9 millions de francs
français).
Le rôle d'appoint de la loi Pons sur le territoire
peut cependant être important dans deux secteurs où efforts public
et privé d'investissement devront s'unir au cours des prochaines
années : l'armement maritime et le logement social.
Votre rapporteur ne cache pas que le dispositif qu'il vient de
détailler (recentrage des actions de l'Etat autour de quatre axes
prioritaires et maintien de la loi Pons) aura
un coût net pour l'Etat
français
, même si une grande partie du financement doit
être obtenue par redéploiement de crédits. Il lui a
semblé que le gouvernement avait cependant, dès aujourd'hui, la
volonté d'assumer ce coût.
Enfin,
à plus long terme, l'Etat ne pourra pas faire
l'impasse sur deux questions
, l'une de portée économique,
l'autre de portée budgétaire, qui doivent cependant être
absolument disjointes du débat institutionnel en cours tant les
solutions à leur apporter demandent une réflexion approfondie. Du
moins le rôle du présent rapport peut-il être d'appeler
à cette réflexion :
Sur la question du niveau d'indexation des salaires de la fonction
publique
: le problème est général à
l'ensemble de l'outre-mer, même s'il se pose en termes
particulièrement aigus en Nouvelle-Calédonie du fait de
l'éloignement de la métropole. Le quasi-doublement des salaires
par rapport à la norme française représente un coût
considérable pour de jeunes collectivités comme les provinces du
Nord et des Iles Loyauté.
Le débat récemment entamé à l'île de la
Réunion, à l'initiative de l'ensemble des partenaires sociaux et
avec le soutien de l'Etat, peut servir d'exemple au territoire s'il
débouche sur une solution consensuelle.
Les esprits ont
, en effet,
paru mûrs
à votre
rapporteur, tant chez les élus locaux que dans la fonction publique
territoriale, mais à la condition, bien sûr, que l'Etat prenne sa
part dans le mouvement de réduction des avantages concédés
à ses propres agents.
Sur la question des avances consenties par l'Etat à la
Nouvelle-Calédonie au titre du protocole "Nickel" (ou question de la
"dette minière) :
Afin de contribuer à la modernisation
de la fiscalité de la Nouvelle-Calédonie, l'Etat, par deux
protocoles successifs de 1974 et 1984, s'était engagé, en effet,
à introduire, pour relativiser les fortes variations de cours du nickel
sur les marchés mondiaux, un système de stabilisation des
recettes fiscales provenant de la vente de ce métal par le territoire.
Le mécanisme, assez complexe, de la caisse de stabilisation des
recettes fiscales du nickel, initialement prévu pour fonctionner de 1975
à 1992, est fondé sur la différence existant entre les
recettes annuelles perçues à partir du volume annuel des
exportations de nickel (en valeur contenue et en minerai brut) et les recettes
correspondantes d'une année de référence (1975). La
différence, lorsqu'elle est négative, doit donner lieu au
paiement d'un complément de recettes par l'Etat, et en revanche à
un remboursement par le Territoire dans le cas contraire.
Du fait des fluctuations du cours du nickel, le mécanisme a joué
essentiellement au bénéfice du territoire. Chaque année,
de 1975 à 1988, l'Etat a accordé des avances dont le montant a
varié de quelque 47 millions de francs français en 1975
à 200 millions en 1984 et 1985 et même 220 millions en
1983. Le territoire, en revanche, n'a procédé qu'à un seul
remboursement de 166 millions de francs en 1989.
L'encours actuel
s'établit à 1.886 millions de francs français
, ou
34,3 milliards de francs CFP et n'a pas bougé depuis 1989 en raison
de l'apparition d'un contentieux provoqué par le changement du taux
d'imposition du nickel décidé par le territoire.
Des divergences sont apparues entre la direction du Trésor
-gestionnaire de compte d'avances- qui avait souhaité établir un
protocole de remboursement non nécessairement lié au nickel, et
le ministère d'outre-mer, pour qui tout remboursement ne pouvait
être lié qu'à l'importance des seules recettes fiscales
provenant des ventes de nickel.
Aucun accord n'ayant encore pu intervenir dans ces conditions, l'existence
d'une avance remboursable de près de 2 milliards de francs
français constitue un problème d'ampleur.
A titre strictement personnel, votre rapporteur se demande si, dans le
contexte qui sera celui des prochaines années, il est raisonnable
d'envisager que le Territoire remboursera l'intégralité de
l'avance consentie par l'Etat.
Il plaide donc pour que cette question soit
abordée, enfin,
avec réalisme
par les administrations
concernées.