B. AUDITION DE M. GUY NICOLAS, RAPPORTEUR GÉNÉRAL, HAUT COMITÉ DE LA SANTÉ PUBLIQUE
M. Claude HURIET, rapporteur - M. Nicolas, pourriez-vous nous
donner la position du Haut Comité en matière de
sécurité des produits thérapeutiques et de veille
sanitaire.
M. Guy NICOLAS - Si vous me le permettez, je m'exprimerai moins en
qualité de membre du Haut comité qu'au titre de vieux clinicien
et de l'expérience acquise au cours des cinq années que j'ai
passées au sein du ministère des Affaires sociales.
J'étais le personnage qui intervenait pour régler tel ou tel
problème. Je me suis aperçu que si on savait gérer les
crises, on ne les anticipait jamais. Lorsque les affaires des valves cardiaques
ou des sondes de pacemakers défaillantes sont intervenues, il n'y avait
aucun dossier, aucune traçabilité des individus.
M. Charles DESCOURS, président - Il y en a une pour les pacemakers.
M. Guy NICOLAS - C'était il y a trois ans. Trouver en quelques heures
qui portait un pacemaker était difficile. Le mot " veille "
recouvrait une réalité inexistante. C'était de
l'à-peu-près. Il n'y avait pas de projection pour l'avenir.
Il y a parfois plus de crédibilité dans les articles de presse,
même s'ils vont chercher des situations extrêmes. Il y a eu
l'affaire du sang contaminé, celle de l'amiante. Quand cette
dernière a été révélée, le ministre
en charge du dossier était Mme Hubert. Nous avions connu tous deux en
1962, à St-Nazaire, le premier cas de mésotéliome. Nous
pensions la maladie connue, l'amiante interdite et que tout était
réglé. 25 ans plus tard, on s'aperçoit que l'amiante a
été diffusée partout. Un événement s'est
produit, puis a été oublié. Le dossier de la Direction
générale de la Santé était vide !
On apprend que les risques induits par l'amiante étaient
surveillés par des gens intéressés à son
développement. Elle a été remplacée par d'autres
produits. Personne ne peut dire s'ils sont dangereux pour l'homme. Quand les
premiers cas d'encéphalite spongiforme bovine se sont produits, on n'a
pas essayé d'en savoir beaucoup plus sur un éventuel passage
à l'homme.
M. Charles DESCOURS, président - Je partage votre sentiment. Que
préconisez-vous pour sortir de cette situation ?
M. Guy NICOLAS - Il faut développer la notion de connaissance du risque.
Quand un nouveau médicament est introduit, il y a deux
possibilités :
- soit il y a un risque connu. Dans ce cas, des barrières
d'utilisation sont instaurées, le produit est surveillé
régulièrement. C'est le rôle de l'Agence du
médicament. Elle doit également surveiller si le produit est fixe
dans sa composition.
Quand j'étais interne, on donnait du bismuth par wagon. Il ne provoquait
pas d'encéphalopathie. A partir d'une date, alors qu'on en
délivrait moins, il y en a eu. Etait-ce le même produit ? C'est le
rôle de la pharmacovigilance de s'en assurer.
Les médecins signalent-ils les accidents ? Souvent non ; parfois une
fois. Leur déclaration donne lieu à l'ouverture d'un dossier,
à une enquête inquisitoriale alors que les médecins ne sont
pas toujours sûrs que le médicament est en cause. Il faudrait une
procédure moins lourde, que le praticien soit aidé dans le retour
des informations.
- soit le risque n'est pas connu du tout ou apparaît parmi d'autres.
Il faut alors l'identifier, remonter l'information.
La traçabilité est très importante. Si on a un doute sur
un produit, il faut pouvoir remonter la chaîne et voir comment se portent
les autres patients.
Chaque événement doit être analysé. Certains
accidents sont évitables (non-respect des interactions, des contre
indications) ; d'autres résultent de réactions inattendues. On en
revient au débat sur les notions de faute ou de risque.
M. Charles DESCOURS, président - Dans le cas de la vache folle, pourquoi
personne ne s'est-il interrogé sur le passage à l'homme ? On
mange de la viande tous les jours.
M. Guy NICOLAS : Les chercheurs sont coupés de la réalité.
A l'INSERM, chacun regarde son objectif, sa priorité. Par exemple,
l'intérêt des fondamentalistes s'arrête dès qu'on
dépasse le stade de la cellule.
M. Claude HURIET, rapporteur - Si vous avez raison, une autre organisation, une
autre structure ne modifieront pas cette situation...
M. Guy NICOLAS - ... lLa recherche est trop fragmentée.
M. Claude HURIET, rapporteur - C'est un des éléments que nous
avons observé. C'est une forme de myopie intellectuelle. A l'INSERM, il
doit bien y avoir un organisme coordinateur, plus en prise avec la
réalité.
M. Guy NICOLAS - Sans être critique, la santé publique ne les a
jamais intéressés. Les laboratoires de l'INSERM ne
s'intéressent qu'à la recherche fondamentale. Ainsi, par exemple,
ils gèrent les certificats de décès, sans même
expliquer aux médecins à quoi ça sert. Ce qui fait que le
nombre de morts subites de l'adulte varie en France entre 3.200 et 3.500. Dans
les pays équivalents et après péréquation de la
population, il varie entre 60.000 et 70.000. En fait, sur les certificats de
décès, les médecins motivent le décès par un
arrêt cardiaque ou un infarctus, ce qui gonfle le nombre de ces
pathologies. Peu de médecins inscrivent : " mort subite ".
Il
aurait fallu leur expliquer.
M. Charles DESCOURS, président - Le réseau national de la
santé publique pourra-t-il s'imposer auprès de ces mandarins ?
M. Guy NICOLAS - Non. Le réseau fera de la veille infectieuse, mais pas
à un autre échelon. Chaque agence fonctionne comme un centre
autonome. Comme pour le sang, on retrouve des organismes qui fonctionnent en
autarcie. Il faut un organisme du type CSA au-dessus d'eux, transparent,
disposant d'un pouvoir d'investigation et pouvant voir les dossiers.
M. Claude HURIET, rapporteur - Existe-t-il des domaines où rien n'existe
ou d'une manière défaillante ?
M. Guy NICOLAS - Celui de la iatrogénie. On ramène tout aux
maladies nosocomiales. Les accidents devraient être vus globalement. Je
découvre ces dossiers à travers les dossiers de justice. Il y a
des choses horribles.
M. Claude HURIET, rapporteur - Avez-vous des statistiques ?
M. Guy NICOLAS - Il y a 10 à 12 % de pathologies iatrogènes. On
ne sais pas à quoi cela correspond. Il y a un partage entre les fautes
et les accidents. En majorité, les accidents mortels résultent de
fautes. Chaque événement devrait être analysé.
Dans le cadre de la préparation du projet de loi sur l'aléa
thérapeutique, nous avions bâti un schéma, avec un
comité qui aurait étudié chaque dossier.
M. Claude HURIET, rapporteur - En-dehors de la iatrogénie, y a-t-il
d'autres domaines défaillants ? Je pense aux dispositifs. Les valves
sont du ressort de la direction des hôpitaux.
M. Guy NICOLAS - A l'époque, la Direction des Hôpitaux
était incapable de fournir des informations. Depuis, un effort a
été produit.
Il ne faut pas laisser la matério-vigilance vivre en autarcie. Des gens
de l'extérieur doivent pouvoir intervenir. C'est également vrai
pour l'AMM.
M. Charles DESCOURS, président - Dès qu'elle concerne d'autres
ministères, que se passe-t-il ?
M. Guy NICOLAS - Il faudrait une mission interministérielle pour les
questions liées à l'environnement, la pollution et la
toxicomanie. Dans ce dernier cas, deux logiques s'opposent : la logique
sécuritaire et la logique de santé. C'est toujours le
ministère de l'intérieur qui gagne.
Les répercutions sur la santé viennent souvent
d'événements extérieurs au ministère de la
santé. C'est le cas pour la maladie de la vache folle.
M. Charles DESCOURS, président - Le ministère de la santé
ne dispose pas des moyens suffisants.
M. Guy NICOLAS :- Il faudrait le refaire, éliminer les doublons. Dans
les différentes directions, des bureaux font parfois la même chose
et ne s'entendent pas.