XI. SÉANCE DU MARDI 10 DÉCEMBRE 1996
A. AUDITION DE M. NORBERT ANSELMANN, CHEF DU SECTEUR DISPOSITIFS MÉDICAUX, COMMISSION DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
M. Norbert ANSELMANN - Je tiens tout d'abord à dire que
je suis très honoré d'être entendu par votre commission.
Je m'occupe des dispositifs médicaux à la Commission
européenne, secteur que j'ai créé et où je
travaille depuis sept ans maintenant. Je me suis occupé de la
première directive sur les dispositifs implantables actifs et de la
seconde directive concernant les dispositifs médicaux. Je suis
maintenant en charge de la troisième directive concernant les
dispositifs de diagnostic
in vitro
.
Pour nous, un dispositif médical n'est pas seulement un produit
thérapeutique : il peut s'agir d'appareils -implants ou autres- à
destination thérapeutique ou diagnostique ou même de dispositifs
utilisés par les handicapés. Le secteur est extrêmement
large.
Les directives sont fondées sur l'article 100 A du Traité. Dans
ce domaine, la situation était auparavant extrêmement
hétérogène, et de larges gammes de produits demeurent non
réglementées, aussi bien en France que dans les autres pays.
Ainsi, les valves cardiaques ou les implants mammaires -produits relativement
délicats- n'étaient-ils pas réglementés.
Bien entendu, notre législation vise d'une façon homogène
à protéger les aspects de santé et à favoriser la
libre circulation des produits.
De ce point de vue, notre objectif est la protection de la santé des
patients, mais également du personnel médical ainsi que des tiers
qui peuvent être concernés, lorsqu'il y a radiations par exemple.
Il s'agit là d'une nouvelle approche, destinée à
protéger la santé et la sécurité des citoyens
européens. Ce me semble l'instrument approprié destiné
à la gamme de produits dont nous parlons.
Nos exigences essentielles portent sur la fabrication et la construction des
produits. Nous disposons également de procédures
d'évaluation de conformité. Le fabricant travaille sous sa propre
responsabilité ou recourt à un organisme de certification qui
doit établir la conformité grâce au marquage CE.
Les aspects bénéfice/risque sont suffisamment
élaborés. Les préconisations essentielles sont
développées dans deux chapitres, un chapitre
général et un chapitre plus spécifique. Dans le chapitre
général, la première clause précise qu'un
dispositif ne doit pas compromettre la santé ni la
sécurité des patients, et stipule que les risques doivent
être acceptables par rapport aux avantages que l'on attend du dispositif.
La sécurité absolue n'existe pas, mais nous réduisons les
risques au maximum, et le fabricant doit procéder à une analyse
des risques de façon systématique.
Une autre clause générale précise que le fabricant doit
tenir compte de la sécurité en essayant d'abord de réduire
les risques inhérents à la conception même du produit. Ce
n'est pas toujours faisable, comme dans le cas des émissions
électromagnétiques...
Cependant, il restera toujours des risques. Il faudrait par exemple trouver des
moyens de protection contre les rayons X.
En outre, il faudrait informer le patient et l'utilisateur des risques
résiduels.
Il existe enfin, en termes d'analyse des risques, un projet de norme
européenne.
Il existe d'autres étapes, comme la maîtrise et le management des
risques, et l'on tente d'élaborer à ce sujet des normes qui
tiennent compte des différentes approches scientifiques.
On trouve ainsi quatre classes de produits, répartis selon la
gravité des conséquences en cas de défaut. Ainsi, pour une
valve cardiaque, celles-ci peuvent être bien sûr plus graves que
pour une lentille de contact.
Pour les classes II A, II B et III, la construction, ainsi que toute la
fabrication, font l'objet d'une vérification par un organisme de
certification, que nous appelons organisme notifié...
M. Claude HURIET, rapporteur - Les objectifs que vous venez d'évoquer
répondent à mes interrogations, mais on est cependant
confronté à l'extrême
hétérogénéité des dispositifs.
Quelles garanties les organismes notifiés peuvent-ils avoir en
matière de bénéfice/risque ? Pour nous, c'est un
problème extrêmement important !
Est-on dans un dispositif d'auto-contrôle décentralisé ?
... Dans ce cas, on peut s'interroger sur l'efficacité de structures
qui, une fois leur notification obtenue, échapperaient à
l'autorité de l'Union européenne...
M. Norbert ANSELMANN - Nous disposons actuellement de cinquante normes
harmonisées. Deux cent cinquante à trois cents sont par ailleurs
en élaboration.
Depuis sept à huit ans, nous avons réussi à mettre en
place des référentiels qui permettent une meilleure
appréciation des risques que par le passé.
Vous avez dit par ailleurs que les organismes notifiés assumaient des
fonctions déléguées. Selon moi, ils assument toujours des
fonctions publiques, même si leur caractère peut être
privé ou public. Ils doivent refuser les certificats si les conditions
ne sont pas réunies et être sous le contrôle permanent des
autorités compétentes. Nous avons ainsi une dizaine de groupes au
sein desquels l'application est plus ou moins homogène.
Je dois admettre que la nouveauté du système nous cause encore
quelques problèmes, mais on doit le laisser mûrir avec le temps.
L'évolution est d'ailleurs relativement rapide...
Afin d'obtenir une application homogène, nous avons formé
différents groupes de travail, dont un groupe d'organismes
notifiés, à l'intérieur duquel une "task force" s'est
occupée de la certification des implants mammaires, du fait d'une clause
de sauvegarde française, et a élaboré certaines
recommandations.
L'enquête publique relative à certains projets de normes qui n'ont
pas été adoptés à ce stade circule
également. Ces projets existent et sont déjà
utilisés...
M. Claude HURIET, rapporteur - On reste là dans la procédure
d'instruction administrative. Pour le médicament, il existe, en termes
de conditions de fabrication, des possibilités d'inspection, des normes
pour les laboratoires, dont une autorité s'assure qu'elles sont bien
respectées. Par la suite, toute une démarche d'inspection se met
en place.
Le rôle de l'instance communautaire s'arrête-t-il à la
définition des normes imposées aux organismes notifiés, du
fait de la subsidiarité, ou existe-t-il une évaluation et un
contrôle et, si oui, dans quelles conditions ? Est-ce du pouvoir des
Etats ?
M. Norbert ANSELMANN - Notre rôle n'est pas comparable à celui de
l'Agence du médicament. Nous ne faisons pas d'évaluation
nous-mêmes. Nous organisons une simple mise en oeuvre, en faisant en
sorte qu'elle soit la plus uniforme et la plus correcte possible.
Toutefois, il existe deux phases, avant et après la mise sur le
marché. Il existe différentes façons d'obtenir le marquage
CE. Pour les valves cardiaques, par exemple, on pratique une
vérification scientifique de la construction et de la fabrication du
produit, qu'il soit fabriqué aux Etats-Unis ou en Europe, y compris en
termes de bilan bénéfice/risque...
M. Charles DESCOURS, président - Qui pratique cette vérification ?
M. Norbert ANSELMANN - Ce sont les organismes notifiés.
Pour les produits présentant un risque élevé, les deux
éléments principaux sont la vérification de la
construction du design, ainsi que des procédés de fabrication
-les principes de l'assurance-qualité.
Dans la seconde phase, celle de la vigilance, interviennent les
autorités compétentes. On relève donc une dichotomie :
d'un côté, l'organisme notifié prend une décision
pour la Communauté tout entière ; de l'autre, les
autorités compétentes, en tant que gestionnaires de la
procédure, exercent leur contrôle. Cette procédure est la
même que celle qui existe dans le domaine des médicaments.
Chaque Etat membre doit posséder une unité centralisée
organisée de façon à pouvoir recevoir des notifications du
fabricant, afin de prendre le cas échéant les mesures qui
s'imposent.
Plusieurs groupements assurent donc le suivi des directives. D'autre part, nous
sommes aussi dotés d'un groupe de vigilance. Un "guide-lines"
précise la procédure à suivre en cas d'incident.
Nous avons déjà eu plusieurs réunions où les
unités centrales des différents Etats membres ont abordé
des cas précis de vigilance. Nous avons recensé plusieurs
centaines de cas de vigilance selon la nouvelle procédure.
Selon moi, cette dichotomie assure un certain équilibre, et le
rôle des autorités compétentes est pratiquement un
rôle de police. Elles s'assurent en effet que les produits comportent
bien le marquage CE, si ceci est justifié et, en cas de
problèmes, interviennent pour les résoudre.
Nous avons ainsi constaté que certains produits mis sur le marché
n'avaient pas respecté toutes les procédures. Dans ce cas, les
autorités sont intervenues pour demander au fabricant de suivre la
procédure et de fournir les informations, sous peine de retrait du
marché.
M. Bernard SEILLIER - Quels sont les critères imposés pour
pouvoir bénéficier du label d'organisme notifié ?
M. Norbert ANSELMANN - L'organisme notifié doit être
compétent du point de vue de la technologie concernée et des
fonctions médicales attendues des produits. Il doit être
également capable d'apprécier l'évidence clinique pour les
implants en termes de bénéfice/risque. Dans ce domaine, il doit
être capable de juger un dossier clinique. Il doit aussi avoir la
capacité d'analyse et la capacité administrative
d'apprécier les exigences de la directive, même en l'absence de
normes.
Ces éléments sont -de façon relativement abstraite-
indiqués dans la directive. Il appartient à chaque Etat membre de
vérifier la présence de ces critères et de prendre la
décision de notification, ce à quoi aucun Etat membre n'est tenu.
Enfin, un dernier groupe est en charge de la désignation et de la
surveillance des organismes notifiés. Du fait de la différence de
toutes ces structures, il existe toutefois certaines divergences dans les
procédures, et nous devons donc parvenir à un véritable
système de structures européen.
M. Claude HURIET, rapporteur - Au terme de cette audition, vous
considérez donc que toutes les mesures mises en place pour les
dispositifs dans le cadre de l'Union européenne sont susceptibles
d'apporter des garanties en termes de qualité de fabrication et de
sécurité, dans la mesure où les organismes notifiés
l'ont été sur des critères très exigeants, et qu'il
leur appartient de procéder aux contrôles et aux inspections, y
compris à travers des essais cliniques préalables à la
mise sur le marché ?
M. Norbert ANSELMANN - En effet. Je crois qu'on devrait accorder quelque
crédit à notre système, en ce sens qu'on est parti de
zéro. Or, il reste beaucoup de cartes à jouer dans ce secteur. On
a développé progressivement les termes de
référence, mais les instruments sont là. Il revient aussi
aux Etats membres de mettre en place les infrastructures -et là, il y a
encore des choses à améliorer...
M. Claude HURIET, rapporteur - Peut-on faire mieux, et à quelles
conditions ? Quand la réflexion sur la mise en place de la
procédure de marquage CE a-t-elle débuté ?
M. Norbert ANSELMANN - La première proposition sur les dispositifs
implantables actifs a été introduite en 1989.
La conception du système est bonne. Notre priorité porte sur le
contrôle des produits. Je suis en effet confronté à des
procédures de clauses de sauvegarde ainsi qu'à une certaine
méfiance vis-à-vis du travail de vérification. Cela nuit
un peu au système.
D'autre part, il existe des défauts de communication et d'organisation.
Ceci est encore à mettre en place. Les inerties sont également
dues au problème linguistique. Enfin, les ressources ne sont pas partout
disponibles et la disponibilité et la capacité à
communiquer constituent aussi parfois un problème.