VI. LES CONDITIONS DE LA SÉCURITÉ SANITAIRE DES PRODUITS ALIMENTAIRES NE SONT PAS RÉUNIES
La crise de l'ESB a révélé le
caractère imparfait des procédures tendant à garantir la
sécurité sanitaire des produits alimentaires, tant en France
qu'au niveau communautaire.
Le présent rapport n'a pas pour ambition de se substituer aux
excellents rapports rédigés sur le sujet
, notamment celui qui
vient d'être présenté par notre collègue
député Jean-François Mattéi (" De la
" vache folle " à la " vache
émissaire " ") et qui présentent un panorama complet de
la réglementation applicable aux produits alimentaires.
Il vise
seulement, par référence à quelques exigences de la
sécurité sanitaire, à démontrer que les conditions
de la sécurité sanitaire des produits alimentaires ne sont pas
aujourd'hui satisfaites
.
Ainsi, les travaux menés par la mission ont permis de constater que deux
conditions principales de la sécurité sanitaire des produits
alimentaires n'étaient pas réunies : la connaissance des risques
liés à l'alimentation est très insuffisante pour fonder
une réglementation adéquate, et les autorités
chargées du contrôle ne disposent pas d'une indépendance
suffisante par rapport aux intérêts des producteurs ; leur
approche est essentiellement tournée vers la santé animale, ce
qui ne suffit pas à garantir la santé de l'homme...
A. LA CONNAISSANCE DES RISQUES LIÉS À L'ALIMENTATION EST TRÈS IMPARFAITE
Les produits d'origine animale et végétale
peuvent présenter des risques pour la santé humaine. Pour les
produits d'origine animale, ces risques sont microbiologiques, toxiques
(additifs...) ou pharmacologiques (médicaments...). En ce qui concerne
les produits d'origine végétale, les risques sont surtout
toxiques, qu'ils soient liés aux pesticides ou aux additifs ou qu'ils
résultent de toxines propres aux végétaux.
En fait, on connaît très imparfaitement le nombre total de
décès et de maladies ayant pour cause une infection alimentaire :
ce manque de connaissance constitue un obstacle majeur à
l'édiction de mesures propres à les prévenir.
En ce qui concerne les décès, les statistiques sont tenues par
l'INSERM de manière systématique.
On estime ainsi, pour 1994, le nombre de décès correspondant aux
infections d'origine essentiellement alimentaire du chapitre
" maladies
infectieuses et parasitaires " (rubriques 001 à 139 de la
9ème édition de la classification internationale des maladies) :
choléra : 0
typhoïde et paratyphoïde : 2
autres salmonelloses : 63
shigellose : 0
autres toxi-infections alimentaires : 53
infections intestinales dues à d'autres micro-organismes : 19
infections intestinales mal définies : 447
brucellose : 0
autres zoonoses bactériennes : 25
(dont listériose : 20)
Nombre total de décès par infections alimentaires à
souche connue : 160
Nombre total de décès par infections intestinales : 607
Ces chiffres appellent cependant trois observations.
D'une part, ils ne sont connus qu'avec un retard de deux ans, ce qui est trop
long pour pouvoir prendre des mesures immédiates.
D'autre part, ce sont des chiffres " planchers ". Une part
importante
de la mortalité est en effet classée comme
" inexpliquée ", et la déclaration de
décès mentionnera toujours l'affection principale du malade : un
malade du Sida décédé d'une infection alimentaire sera
considéré comme étant mort du Sida.
Enfin, si des maladies peuvent être clairement attribuées à
un produit bien identifié, d'autres ont très probablement une
origine alimentaire sans qu'un aliment particulier en soit à lui seul la
cause. Il en est ainsi notamment de certains cancers qui, bien entendu, ne sont
pas répertoriés comme des maladies d'origine alimentaire alors
qu'ils peuvent résulter directement des cancérogènes
alimentaires. Une comptabilisation de ces cancers conduirait à des
chiffres de mortalité beaucoup plus importants.
En ce qui concerne la morbidité
, la sous-estimation est encore
plus manifeste.
Le nombre de personnes atteintes ne peut être
inférieur à 66.000, et on peut multiplier ce chiffre par un
facteur important si l'on veut approcher de la réalité.
En
effet, les méthodes de surveillance actuelle ne comptabilisent qu'une
fraction seulement des infections alimentaires.
Alors que la mortalité est répertoriée de manière
centralisée et automatique, la morbidité n'est pas connue de
façon complète et périodique, et les informations
correspondantes sont recueillies par différents organismes.
Les sources du Réseau national de santé publique sont ainsi les
suivantes :
1. les déclaration obligatoires des toxi-infections alimentaires
collectives
(mais seuls sont répertoriés les épisodes
épidémiques : les infections alimentaires isolées ne sont
pas répertoriées, alors qu'elles constituent probablement la
majorité des toxi-infections) ;
2. la surveillance - pour une bactérie donnée -
effectuée par le centre national de référence
(le
centre national de référence recense les souches
bactériennes, correspondant chacune à un malade, qui lui sont
envoyées par une fraction seulement des laboratoires d'analyses
médicales (entre 30 % et 80 % des cas selon les CNR). Il faut
donc que le malade ait consulté un médecin pour ses
problèmes digestifs, ce qui n'est pas toujours le cas, loin s'en faut,
et que le médecin lui ait prescrit une analyse, qui n'est prescrite que
dans 5 à 10 % des épisodes diarrhéiques) ;
3. les investigations d'épidémies " communautaires "
(mais ces investigations sont partielles et fortuites) ;
4. divers réseaux de surveillance hospitaliers ou libéraux
(mêmes lacunes que pour le point 2, et risque de recroisement des
données avec d'autres sources).
Enfin, dernière limite à l'exhaustivité des statistiques,
le Réseau national de santé publique ne suit pas toutes les
catégories d'infections alimentaires. Sont seulement
comptabilisées les salmonelloses, les listérioses et les autres
toxi-infections alimentaires bactériennes, notamment le botulisme.