III. BILAN GÉNÉRAL
ALLOCUTION DE M. JEAN-CLAUDE GAUDIN,
MINISTRE DE
L'AMÉNAGEMENT DU TERRITOIRE,
DE LA VILLE ET DE
L'INTÉGRATION
M. Jean-Claude Gaudin
.- Monsieur le
Président du Sénat, Messieurs les Présidents, monsieur le
rapporteur général, mesdames, messieurs, mes chers amis, le
Sénat a pris l'heureuse initiative, un peu plus d'un an après le
vote de la loi d'orientation du 4 février, d'organiser ce colloque
destiné à faire le point sur l'application de ce que nous avons
tous fini par appeler la "loi Pasqua".
Je profite de cette occasion pour rendre hommage à Charles Pasqua et
à Daniel Hoeffel, comme le président du Sénat vient de le
faire, ainsi que le président Jean François-Poncet, qui ont
porté ce projet de loi, ensuite enrichi et voté par le Parlement,
à l'issue d'un long débat.
Le rôle qui m'est assigné aujourd'hui consiste à faire un
bilan général. Je me prête bien volontiers à cet
exercice, sans doute aussi nécessaire qu'il risque cependant
d'être un peu fastidieux. Aussi, pour corriger ce que la longue
énumération de décrets intervenus, des fonds
créés et des conseils mis en place pourrait avoir de
rébarbatif, n'ai-je pas hésité, ne respectant
peut-être pas exactement le cadre prévu, à compléter
mon propos par l'exposé de quelques perspectives.
Mon intervention sera donc organisée en deux parties : le bilan un
an après et quelles perspectives pour les années à
venir ?
D'abord, le bilan. Il m'est d'autant plus facile de dire que beaucoup a
été fait depuis le 4 février de l'année
dernière que chacun sait que je ne suis en charge de
l'aménagement du territoire que depuis un peu plus de quatre mois.
La plupart des textes réglementaires nécessaires à la mise
en application directe de la loi ont été publiés. Dix-huit
décrets, dont dix après avis du Conseil d'Etat, ont
été pris. C'est ainsi que les instances créées ou
rénovées par le législateur, notamment pour animer la
réflexion collective et éclairer les choix du gouvernement, sont
en place, qu'il s'agisse du Conseil national de l'aménagement et du
développement du territoire, des conférences régionales,
du Comité interministériel, des Comités de gestion des
fonds d'intervention, de l'Observatoire des finances locales.
Le dernier décret des dix-huit publiés délimite les zones
de revitalisation rurales dans lesquelles s'appliquent désormais
exonérations fiscales et mesures concernant le logement.
Ces fortes incitations au développement de l'emploi et à
l'installation des personnes dans les zones rurales les plus fragiles seront
prochainement complétées par l'exonération des cotisations
de Sécurité Sociale à la charge de l'employeur dans les
zones de redynamisation urbaines et de revitalisation rurales pour les nouveaux
emplois jusqu'au cinquantième salarié de l'entreprise. Il y a
bien entendu équité, équilibre.
Je précède une objection qui ne manquera pas d'être faite
tôt ou tard dans la journée : il est vrai que, du fait de la
contrainte budgétaire, le fonds national de développement des
entreprises, dont l'objet est de favoriser la création et le
développement des entreprises dans les zones prioritaires
d'aménagement du territoire n'a pu, jusqu'à présent,
être mis en place.
En revanche, le fonds national d'aménagement et de développement
du territoire, le fonds de gestion de l'espace rural, le fonds de
péréquation des transports aériens, le fonds
d'investissement des transports terrestres et des voies navigables ont bien,
eux, été créés. Ce dernier, en augmentation de plus
de 50 % par rapport à 1995, est doté de 3 milliards de
francs en 1996. Voilà qui répond à une des
premières préoccupations du président Jean
François-Poncet et, j'imagine, du Sénat et de vous tous.
Au total, ces différents fonds mobilisent plus de 5 milliards de francs
en faveur de l'aménagement du territoire. Alors, certes, il y a des
diminutions ou des gels qui affectent certains d'entre eux. Mais globalement,
les moyens sont là, dans une période où le gouvernement
doit pourtant réduire les déficits budgétaires. Cela
méritait d'être souligné.
Quant à la société chargée d'achever, d'ici
à 2010, le canal à grand gabarit entre la Saône et le Rhin,
elle est désormais constituée, à parité entre
Electricité de France et la Compagnie Nationale du Rhône.
Le Premier ministre a récemment confirmé que les modalités
de réalisation de cette liaison devaient, certes, être
arrêtées dans la plus grande concertation, mais que cela ne
saurait avoir pour effet de retarder le démarrage des premiers travaux.
Deuxième idée concernant la mise en application de la loi :
toutes les procédures et les études prévues dans les
domaines où la loi renvoie à des rapports, à des
propositions ou à des projets de loi ultérieurs, sont
engagées.
L'élaboration, monsieur le président, du schéma national
d'aménagement et de développement du territoire a commencé
dès l'automne dernier par la préparation de synthèses
régionales, le recueil des propositions de chacun des
départements ministériels et la conduite d'études
prospectives sous l'égide du Commissariat général du Plan.
Cinq commissions thématiques, présidées chacune par un
membre du Conseil national de l'aménagement du territoire, ont
engagé leurs travaux sur la base de ces contributions. Leur
synthèse par la DATAR constituera l'avant-projet de schéma
national qui fera ensuite l'objet de nombreuses consultations avant sa mise en
forme définitive.
Pour nombreuses que soient, dans un souci de large concertation, les phases de
la démarche, mon objectif est bien de présenter un projet de loi
approuvant ce schéma avant la fin de cette année.
Parallèlement, les études préalables à
l'établissement des schémas sectoriels de l'enseignement
supérieur et de la recherche, des équipements culturels, des
infrastructures de transport, des télécommunications et de
l'organisation sanitaire, ont été engagées par les
ministres responsables.
Je ne crois pas inutile de préciser que ces schémas seront
définitivement arrêtés dans le respect des orientations
retenues, bien évidemment, par le schéma national.
Avec les directives territoriales d'aménagement, l'Etat dispose par
ailleurs d'un nouvel instrument lui permettant d'afficher clairement ses
objectifs en matière d'aménagement, de développement et de
protection des territoires présentant des enjeux d'intérêt
national.
Le caractère novateur de cette procédure m'a conduit à
proposer au gouvernement, en accord avec mes collègues chargés de
l'urbanisme, des collectivités locales et de l'environnement, de
conduire une expérimentation sur cinq sites : la Côte-d'Azur,
l'estuaire de la Seine, les Alpes du Nord, l'aire métropolitaine de
Marseille et l'estuaire de la Loire.
Chaque projet de directive est préparé par un préfet
coordonnateur, sous la direction d'un Comité de pilotage
interministériel dont le secrétariat est assuré par la
DATAR.
Un plan pour le développement rural, destiné à
compléter le dispositif s'appliquant dans les zones de revitalisation
rurales -dont la préparation fait actuellement l'objet d'une
consultation- sera présenté à l'automne.
Raymond-Max Aubert, délégué à l'aménagement
du territoire et à l'action régionale, vous en parlera cet
après-midi. Là encore, nous y tenons, vous voulons arriver
à cette proposition de loi, de manière qu'il y ait toujours
équilibre entre les efforts que nous faisons pour la France rurale et
ceux en faveur des cités urbaines.
La notion de pays inscrite dans la loi fera l'objet d'une évaluation
à l'issue de la période d'expérimentation qui
s'achèvera en juillet prochain. J'ai déjà répondu
à plusieurs questions sur les pays devant la Haute Assemblée.
La définition de la politique d'organisation du service public sur le
territoire est, elle aussi, engagée. Des discussions sont en cours avec
les grandes entreprises publiques aux fins de formaliser, notamment au travers
des contrats prévus par loi, les objectifs d'aménagement du
territoire qu'elles doivent prendre en compte.
Au plan local, les Commissions départementales sont progressivement
mises en place en vue de l'élaboration des schémas
départementaux de modernisation et d'amélioration des services
publics locaux. Cela rejoint l'idée et la notion de pays que
j'évoquais à l'instant.
Le Premier ministre a adressé des instructions en ce sens aux
préfets et je rappelle ce que j'ai déjà dit devant la
Haute Assemblée : ce ne sont pas les préfets qui font les
pays, ils aident, ils conseillent, ils mettent à disposition ; les
pays sont l'affaire des élus. Si vous avez besoin que je le leur dise
moi-même, je le ferai. C'est effectivement à l'initiative des
élus et des acteurs économiques et sociaux que les pays doivent
se mettre en marche. Comme le Parlement est roi, le Parlement dispose.
(Applaudissements).
Les études nécessaires à l'engagement prochain dans
quelques régions volontaires de l'expérimentation, qui doit
conduire à confier aux régions la compétence de
l'organisation des transports régionaux en matière ferroviaire,
sont terminées. Mon collègue Bernard Pons doit rencontrer
prochainement les présidents de conseils régionaux pour envisager
concrètement le lancement de cette expérimentation, l'affaire est
engagée.
Je parle avec la liberté de langage que j'ai apprise au
Sénat : on ne refera pas aux régions "le même coup"
que pour les lycées. Il y a dix ans, on leur a donné les
lycées, mais dans un état de délabrement et de
vétusté avancé. Il leur aura fallu dix ans pour
rétablir le retard des vingt-cinq années
précédentes. Il va de soi que les régions seront, pour
certaines, favorables à la mise en place et à l'animation des
réseaux de transports ferroviaires, pour autant que la question
financière aura été préalablement
réglée et qu'on ne leur fasse pas supporter des déficits.
L'une des orientations majeures de la loi, qui consiste à
développer fortement la solidarité financière entre les
collectivités locales, a reçu un début d'application. Le
fonds national de péréquation permettant de conforter les
ressources des communes, dont parlait le président Jean
François-Poncet -celles-ci souffrant d'une insuffisance de recette de
taxe professionnelle- a en effet été créé
dès 1995. Il est doté de 615 MF en 1996. La suppression de
la dotation globale de fonctionnement de l'Ile-de-France est engagée
depuis 1995.
Les études nécessaires à l'établissement du rapport
que le gouvernement doit déposer devant le Parlement, concernant la
réduction des écarts de ressources entre les collectivités
territoriales, sont, par ailleurs, en cours.
L'analyse des critères des charges des communes est pratiquement
achevée. De même que celle des liens existant entre la richesse et
la pression fiscale.
Des propositions relatives à la réforme du financement des
collectivités locales seront formulées dès
l'achèvement de ces travaux.
Enfin, le législateur a invité le gouvernement à lui faire
des propositions pour simplifier l'intercommunalité et clarifier les
compétences entre l'Etat et les collectivités territoriales. Un
prérapport relatif à l'intercommunalité sera prochainement
remis aux élus dans la perspective d'une concertation courant avril 1996
et le rapport définitif pouvant servir de fondement à des
modifications législatives sera pris avant l'été.
De tous ces sujets et de la clarification des compétences entre l'Etat
et les collectivités territoriales qui entrent dans les objectifs de la
réforme de l'Etat, Dominique Perben et Alain Lamassoure vous
entretiendront plus longuement dans la journée ; c'est de leur
responsabilité.
Vous le voyez, monsieur le président du Sénat, messieurs les
présidents, mesdames et messieurs, l'effort des différents
départements ministériels concernés est rien moins
qu'intense, même si la phase de mise en application actuelle est moins
spectaculaire que celle des débats qui ont précédé
et accompagné le vote de la loi.
Maintenant, nous en arrivons aux perspectives. Voilà tout le bilan d'une
année, ce n'est déjà pas mal. Il reste encore beaucoup
à faire. La loi d'orientation pour l'aménagement et le
développement du territoire a aussi ouvert des perspectives de
réformes plus ambitieuses, qui ne pouvaient être
sérieusement concrétisées en une seule fois.
En outre, à l'intérieur du cadre et du programme de travail
définis par la loi, des choix politiques restent à opérer.
C'est ce contenu, pour l'avenir, qui m'importe maintenant.
S'agissant d'aménagement, mais aussi, ne l'oublions pas, de
développement du territoire, deux aspects indispensables l'un et l'autre
doivent être, selon moi, distingués : les politiques
curatives à effet immédiat et les politiques d'anticipation
à plus long terme.
Sur le premier plan, celui des politiques curatives immédiates, le
gouvernement a fait ce qu'il fallait ; à la mise en place des
mesures prévues dans les zones de revitalisation rurales ont correspondu
des mesures fortes, prises en faveur des quartiers en difficulté, dont
Eric Raoult vous entretiendra.
Le gouvernement a, par ces mesures, commencé de donner corps aux
exigences d'équité territoriale et d'égalité des
chances posées par l'article 1er de la loi d'orientation.
Il nous faut maintenant aborder une deuxième phase, celle des politiques
à long terme, celle de l'anticipation.
S'agissant du long terme, je crois indispensable de dresser d'abord un constat
des tendances en oeuvre, puis de caractériser les différents
scénarios possibles. Je vous ferai part ensuite de mes propres
convictions.
D'abord, s'agissant du constat de ce qui influera sur l'organisation du
territoire, je voudrais rappeler une évidence, quelques tendances et
tenter de repérer avec vous les prochaines ruptures.
L'évidence : le temps n'est plus où l'Etat faisait ce qu'il
voulait, comme il voulait, quand il voulait. L'aménagement du territoire
est désormais une compétence partagée avec les
collectivités territoriales et notamment les régions. La
politique régionale européenne pèse, quant à elle,
de tout son poids.
Il faut donc s'assurer que ces trois principaux intervenants : l'Etat,
l'Europe et les régions, ont bien une vision si possible commune, au
minimum compatible du devenir du territoire de l'Europe, des États
nations et de chaque région. Cette vision commune n'existe pas en soi,
il faut y travailler, il faut l'élaborer.
Les tendances : le 21ème siècle sera marqué par la
mobilité, celle des hommes, des capitaux, des entreprises, des
marchandises, des informations. La nécessité d'aller plus vite,
plus loin, plus fréquemment rendra perméables les
frontières et fragiles les souverainetés. Localisations et
délocalisations s'accéléreront.
Le 21ème siècle sera marqué aussi, j'en suis sûr
-bien que je n'ignore pas qu'il y ait discussion sur ce point- par
l'amplification du mouvement de métropolisation et de concentration
urbaine.
En 1950, mes chers amis, il n'existait dans le monde que deux métropoles
de plus de 10 millions d'habitants ; en 1990, 17 ; en 2015, selon les
experts, il y en aura une trentaine.
La multiplication des autoroutes, des TGV, des liaisons aériennes
intercontinentales favorise la polarisation des activités dans les lieux
privilégiés d'articulation avec l'économie mondiale.
L'Allemagne envisage l'émergence de sept à huit noeuds
intercontinentaux ; l'Amérique une douzaine. En Allemagne,
plusieurs villes déjà millionnaires en habitants sont
susceptibles d'accueillir ces mutations : Berlin, Munich, Francfort,
Hambourg, Düsseldorf. De même en Italie : Milan, Turin, Naples,
Rome peuvent fixer cette évolution.
En France, pour l'instant, seuls Paris et l'Ile-de-France sont capables
d'absorber cette vague de concentration et d'attirer, mais en les monopolisant,
les flux internationaux. Il nous faut donc créer, sur le territoire,
plusieurs aires de métropolisation attractives, pôles
stratégiques d'articulation avec l'économie mondiale, de
façon à soulager la pression démographique excessive qui
s'exerce sur l'Ile-de-France, afin de capter une part plus importante des flux
de développements économiques internationaux.
Maintenant, les ruptures : l'émergence des nouvelles technologies
de l'information et de la communication constitue une révolution.
L'information est déjà -et sera plus encore demain- la principale
source de valeur ajoutée. Tout processus de production ira puiser de
l'information à distance. Nul ne pourra y échapper, au risque de
décliner. Nous devrons, au moindre coût pour l'usager, dans tous
les territoires, développer les possibilités qu'offre la
télématique et accompagner la révolution culturelle
qu'induira inéluctablement l'apprentissage du télé-travail.
J'observe par ailleurs qu'une relation dialectique unit le mondial et le local.
Plus la sphère de l'économie mondiale se développera, plus
la sphère du local voudra, en réaction, s'organiser. C'est ainsi
qu'il faut interpréter les demandes de décentralisation et
d'identification locales.
Ce mouvement en faveur de l'organisation d'espaces de dimension modeste est
fort. Il nous reviendra d'en tirer le meilleur parti pour structurer le
territoire de façon polycentrique.
Enfin, les systèmes hiérarchiques où les instructions
descendent du sommet vers la base me paraissent condamnés par les
aspirations à plus d'interactivité et de décentralisation.
Les réseaux de pouvoirs, de compétences de toutes sortes
-systèmes complexes en train d'émerger- se multiplieront. Nous
devrons faciliter et accélérer ce passage d'une géographie
trop hiérarchisée à une France davantage en réseaux.
Compte tenu de ces tendances et de ces aspirations, quels sont les
scénarios possibles pour l'évolution de notre territoire ?
C'est bien cela qui nous intéresse.
Trois possibilités pourraient, me semble-t-il, s'affirmer.
La première : le retour à une France fermée sur
elle-même, centralisée et hiérarchisée,
régulée quasi exclusivement par la loi et l'autorité
administrative. Cette tendance existe, elle conduirait à la rupture avec
l'Europe et, en termes d'aménagement du territoire, au retour à
Paris et au désert français, ce qui est bien connu.
Une France centralisée sous l'autorité de Paris, de la
technocratie et de réseaux de savoirs et de pouvoirs qui aboutissent et
partent de la capitale. Une France vieillissante en province, surtout au sud de
la Loire, et dont les forces vives émigrent vers Paris et
l'Ile-de-France pour tenter d'y trouver un emploi.
Nous devons lutter contre ce scénario -tout aussi inacceptable pour la
capitale que pour la province- prendre le contre-pied en préconisant un
renforcement de la décentralisation, de l'intégration à
l'Europe et en mettant en place pour les espaces les plus démunis les
aides nécessaires, comme ce qui a été fait pour les zones
de revitalisation rurales et pour les zones de redynamisation urbaines sur
lesquelles nous reviendrons cet après-midi.
Le deuxième scénario est celui de l'hégémonie de
l'économie et de la dérégulation. Il conduirait à
l'éclatement du tissu social et à la dislocation du territoire
national. Un petit nombre de métropoles, grossissant en tache d'huile
autour de quelques villes les plus importantes, se constitueraient sans
solidarités avec le respect des territoires. Des villes-États
comme le furent Gênes, Venise, Rotterdam apparaîtraient.
Le rêve de certains aménageurs américains n'est-il pas de
constituer chez eux une douzaine de mégalopoles de 20 millions
d'habitants et de laisser tomber le reste du territoire ? Ce
scénario catastrophe est celui du "fil de l'eau" ; ne rien faire
serait le choisir.
Reste le troisième, celui d'une France intégrée et
maillée ; celui de l'ouverture externe et de la cohésion
interne. Une France privilégiant, sur quelques grands espaces qui s'y
prêtent, une organisation urbaine polycentrique, avec des villes
nombreuses à taille humaine, séparées par des espaces de
respiration fortement protégés. Une France possédant des
provinces à forte identité, une France de solidarités
entre territoires riches et pauvres, une France qui concilie impératif
de compétitivité et cohésion nationale.
Pour parvenir à cette France plus polycentrique, que j'appelle de tous
mes voeux, trois actions déterminées sont, à mon avis,
nécessaires.
D'abord, il nous faut en vingt ans, de 1996 à 2015, redresser l'armature
urbaine de notre territoire pour organiser plusieurs aires
métropolitaines susceptibles de capter les flux internationaux.
Les projections démographiques, pour 2015, montrent que la population du
quart sud-est de la France, avec les régions de Rhône-Alpes,
Provence-Alpes-Côte-d'Azur, Languedoc-Roussillon qui pourraient
croître de 3 millions d'habitants, Lyon, Saint-Etienne au Nord, Marseille
au Sud, mais aussi les villes que sont Grenoble, Montpellier, Clermont-Ferrand
et Nice peuvent former une aire de métropolisation polycentrique qui
constituerait un nouvel espace fort pour la France. En vingt ans, c'est
possible.
De même de Toulouse à Bordeaux, dans le Val de Garonne, pourrait
émerger un autre axe fort d'équilibre du territoire.
Dans l'Ouest : Rennes, Nantes, Angers peuvent créer, avec 3
millions d'habitants en 2015, une capitale à plusieurs têtes.
Dans l'Est : Nancy, Metz, Strasbourg peuvent constituer un
quatrième pôle et Lille, Roubaix, Tourcoing, Arras, Calais,
Dunkerque pourraient former un cinquième ensemble.
Cette organisation permettrait de constituer, de consolider un socle dynamique
de PME-PMI qui trouveraient dans ces aires les services de haut niveau dont
elles ont besoin pour être compétitives à l'échelle
européenne, si ce n'est même mondiale.
Elle permettrait aussi d'entraîner les territoires environnants dans une
dynamique de développement et de revitalisation par une meilleure
irrigation des territoires ruraux.
Outre la constitution de quelques grandes aires métropolitaines, il
faudra, dans un même temps, encourager l'émergence d'espaces
pertinents de développement du territoire, c'est-à-dire d'espaces
qui, par leur dimension et leur organisation, seraient susceptibles de ne pas
freiner et même de porter le développement et de créer des
emplois.
La France doit admettre que son organisation, avec 36.000 communes auxquelles
nous sommes très attachés, ne fournit pas le meilleur support au
développement de son territoire. L'organisation efficace pour ce
développement, ce sont désormais les agglomérations dans
les zones de forte densité et les pays dans les zones de plus faible
densité. C'est un fait. Nous devons l'admettre et
accélérer en conséquence l'organisation de ces nouveaux
espaces, sauf à vouloir épuiser nos forces à contrer des
évolutions de toute façon inéluctables.
Cette nouvelle organisation du territoire qui, je le précise, ne remet
en cause dans mon esprit ni les communes, ni les départements, doit nous
permettre de compléter la politique d'aménagement du territoire
reposant trop exclusivement sur des zonages, avec les problèmes de
frontières qu'ils posent, par une politique de promotion de projets de
développement, projets concernant des espaces économiques qui
dépassent le plus souvent nos actuelles frontières
administratives.
Mon souhait le plus cher, c'est donc que les Commissions thématiques
d'élaboration du schéma national d'aménagement et de
développement du territoire, puis le gouvernement et enfin le Parlement,
retiennent l'idée d'organiser en communautés de villes les 100
plus grandes agglomérations.
Le Général de Gaulle avait innové en créant 6
communautés urbaines en 1966. Nous devrions, en 1996, étendre
l'idée aux 100 plus grandes agglomérations, les doter de pouvoirs
et de compétences accrus leur permettant de lutter efficacement contre
l'apparition de ghettos et de créer collectivement des emplois, de
l'unité et de l'organisation.
A côté de ces agglomérations, il faudra créer, au
cours des vingt années, de l'ordre de 4 à 500 pays pour mieux
structurer l'espace rural.
Si, en vingt ans, d'ici à 2015, nous pouvions doter la France de
quelques grandes aires métropolitaines bien organisées, de 100
agglomérations disposant d'un véritable pouvoir et de 500 pays
coordonnés, notre projet "France 2015" constituerait une des grandes
réformes accomplies dans notre pays. L'efficacité
économique au service de l'emploi y gagnerait, la vie quotidienne en
serait améliorée.
Voilà pour ce qui concerne ma vision de l'armature à long terme
nécessaire au pays.
Une deuxième action me paraît vitale à engager, elle
consiste, dans un contexte où les préoccupations concernant le
plein emploi et la maîtrise des finances publiques seront durables,
à concilier la nécessaire égalité des
différentes parties du territoire avec la non moins nécessaire
constitution de pôles de développement internationalement
compétitifs.
La solidarité nationale est constitutive de la nation. Voilà
pourquoi, dans le cadre de la réforme de la fiscalité, il faudra
impérativement organiser une péréquation qui
transfère automatiquement des crédits budgétaires des
régions riches vers les régions pauvres et à
l'intérieur de chacune des régions, des pays et des
agglomérations riches vers les pays et les agglomérations
pauvres. La cohésion territoriale doit contribuer à la
cohésion sociale, même -comme le faisait remarquer Jean
François-Poncet tout à l'heure- si c'est plus facile à
dire qu'à mettre en oeuvre.
La politique d'aménagement est aussi, il ne faut pas l'oublier, une
politique de développement du territoire. Elle doit certes assurer -ceci
passe sans doute par des zonages- une discrimination positive en faveur des
territoires les plus défavorisés, de façon à
assurer à leurs habitants l'égalité territoriale. Mais
elle doit aussi, dans un contexte de compétition économique
internationale exacerbée et de sous-emploi qui ne disparaîtra pas
à court terme, favoriser le développement des atouts
spécifiques des différents territoires qui composent le pays et
qui ne peuvent tous avoir la même vocation. Egalité ne signifie
pas uniformité, encore moins nivellement par le bas.
Enfin, troisième idée qui m'est chère : il nous
faudra aussi entre dix et vingt ans pour arriver à des documents de
planification stratégique établis par pays et par
agglomération et non plus au niveau communal.
Promouvoir le développement durable passe en effet par
l'élaboration, par exemple, de documents d'urbanisme à
l'échelle des espaces pertinents que sont ces pays et ces
agglomérations.
Voilà quelles sont, à grands traits, mes conceptions de
l'organisation du territoire pour le 21ème siècle.
C'est toutefois, mes chers amis, aux cinq Commissions thématiques
d'élaboration du schéma national présidée par des
élus qu'il appartiendra de présenter, lors de ce printemps 1996,
des propositions au gouvernement.
Il reviendra à la DATAR d'en faire la synthèse qui sera soumise
à l'avis du Conseil national d'aménagement et de
développement du territoire et de présenter un projet global,
cohérent et prospectif pour 2015, puis, au cours de l'été
et de l'automne 1996, les régions et les autres collectivités
territoriales exposeront leurs avis et formuleront leurs amendements.
Pour finir, c'est le Parlement qui tranchera au nom de la nation et
définira les options pour 2015, qui trouveront leur application dans les
schémas sectoriels et schémas régionaux.
L'enjeu, allez-vous me dire, est considérable. C'est dire que les
grandes formations politiques de la majorité et de l'opposition devront
s'exprimer très clairement sur ces sujets. L'aménagement du
territoire ne peut, en effet, s'accommoder d'ambiguïtés ou
d'improvisations. L'Union européenne, l'Etat et les collectivités
locales devront tirer dans le même sens, certes à des niveaux
différents, mais forts, et pendant longtemps.
Soyez assurés que, pour sa part, l'Etat fera les choix difficiles, mais
nécessaires, qu'exigent les importantes réformes de
l'organisation de notre territoire que nous devons impérativement
entreprendre.
Je me suis peut-être laissé aller, sans doute, monsieur le
président du Sénat, mes chers amis, parce que nous sommes
là au Sénat, à communiquer mon sentiment un peu personnel
sur cette affaire. Je répète aux membres éminents de la
Haute Assemblée, à Daniel Hoeffel, que j'ai pris un texte tel que
vous l'avez voulu, préparé, façonné. C'était
sous les regards de la France entière par l'intermédiaire des
médias.
Depuis douze mois -et moi depuis quatre mois- nous ne nous sommes pas
croisé les bras. Nous avons fait le maximum pour mettre en place cette
loi du 4 février. Il reste encore beaucoup à faire. Ma
détermination, ma volonté, je les mets au service, en
particulier, de la Haute Assemblée, même si j'ai toujours un
regard amical sur l'Assemblée nationale, mais ici, comme le disait le
président, "on prend son temps, mais on travaille et on ne le fait pas
sous la pression extérieure et quelquefois, il faut savoir s'en
dégager".
Voilà, monsieur le président, même si j'ai
été un peu long -mais c'est la première fois que je
m'exprime dans un colloque sur l'aménagement du territoire- ce que je
voulais vous dire.
(Applaudissements).
M. Jean François-Poncet
.- Monsieur le
ministre, mille mercis. Vous n'avez pas été trop long, bien au
contraire. Vous avez été particulièrement clair et,
m'a-t-il semblé, convaincu. J'ai cru sentir une flamme dans votre
discours. Nous y avons tous été extrêmement sensibles, nous
avons besoin de savoir qu'à la tête de ce dossier difficile, parce
qu'il concerne la plupart des ministres, nous avons un ministre qui y croit et
qui se bat. C'est le double sentiment que vous nous avez donné.
Pour commencer à vous questionner, je me tourne vers le rapporteur de la
loi, M. Ollier, à qui je vais donner la parole.
Je voudrais toutefois vous dire que mon collègue, le président
Gonnot, fera au début de l'après-midi, au nom de
l'Assemblée nationale, une déclaration analogue à la
mienne ce matin pour vous exprimer les interrogations du Sénat. C'est
lui qui présidera la séance.
RÉPONSE DE M. PATRICK OLLIER,
DÉPUTÉ
DES HAUTES-ALPES,
RAPPORTEUR DE LA LOI D'ORIENTATION À
L'ASSEMBLÉE NATIONALE
M. Patrick Ollier
.- Monsieur le
Président, Messieurs les Ministres, chers amis, permettez-moi d'abord de
saluer ici ceux avec qui nous avons effectivement travaillé pendant
près de huit mois pour construire cette loi. Ce fut un travail
d'équipe. Je voudrais tout particulièrement, monsieur le
président du Sénat, rendre hommage au président Jean
François-Poncet et à mes collègues rapporteurs et
co-rapporteurs M. Larcher, M. Belot et M. Girault, avec un
hommage tout particulier à M. Hoeffel qui, en tant que ministre
à l'époque, a subi les attaques "en piqué" de l'ensemble
des rapporteurs et des parlementaires. Je suis heureux qu'il soit là.
Ce que vous avez dit est très positif. J'ai constaté, en tant que
rapporteur, mais toujours très actif dans l'aménagement du
territoire, que depuis que vous êtes en place, vos services n'avaient pas
chômé. M. Perben a également engagé des travaux
correspondant parfaitement à nos souhaits.
Il est vrai que si nous faisons le bilan de l'application de la loi par rapport
aux 88 articles, en nombre de décrets aujourd'hui promulgués, en
nombre de rapports engagés, en nombre de chantiers mis en oeuvre, vous
avez parfaitement rempli le contrat et nous sommes là pour vous en
donner acte et vous en remercier.
Nous avons voulu, lorsque nous avons soutenu cette loi, faire en sorte qu'il y
ait des instruments à la disposition d'une politique. Aujourd'hui,
au-delà des décrets d'application, nous voulons être bien
certains que cette politique est mise en place pour les vingt ans à
venir, que les instruments créés vont évoluer au fur et
à mesure de sa mise en oeuvre.
Vous l'avez dit tout à l'heure, monsieur le ministre, nous ne faisons
que commencer. C'est une loi d'orientation qui regarde vingt ans devant elle et
ce genre de colloque doit avoir à se reproduire très souvent. On
ne peut pas dire que parce qu'une loi est votée, vingt ans de politique
d'aménagement du territoire sont engagés. Elle est
évolutive en fonction des circonstances et on doit être capable de
la faire évoluer.
Monsieur le ministre, vous inscrivez-vous bien dans cette
évolution ? J'ai cru comprendre tout à l'heure que vous le
souhaitiez. Nous avons quelques inquiétudes, il faut les dire.
Tout d'abord, nous avons le sentiment que pour ce qui concerne l'application de
la loi votée, dont les décrets sont sortis, il y a des
réticences sur le terrain et, au niveau des administrations de terrain,
des interrogations et des délais beaucoup trop longs pour mettre en
oeuvre les dispositions prises.
Je voudrais rendre hommage à la DATAR, parce que sa charge n'est pas
facile. Je salue un délégué qui est aussi un homme de
terrain, ce qui rend la situation plus efficace.
Dans les départements, il faudrait que les responsables administratifs
sur place se sentent beaucoup plus motivés pour que la mise en oeuvre
des décrets d'application soit plus rapide.
Nous sommes confrontés à des discussions très dures sur le
terrain, sur la mise en place, par exemple, des schémas
départementaux des services publics qui se télescopent avec la
préparation de l'ensemble des dispositions que nous devons prendre,
notamment dans le monde rural, pour préserver la présence des
services publics et, bien souvent, les solutions ne sont pas faciles à
trouver. Il y a là, peut-être, un peu plus de dynamisme à
mettre en place.
Une autre question concerne les crédits. M. Jean François-Poncet
vous en a parlé. Vous avez ouvert des perspectives parfaitement
suffisantes, nous les approuvons et nous vous soutenons. Mais comment
pouvons-nous nous engager si, au même moment, il n'y a pas une
autorité qui, au niveau de l'Etat, doit être celle du Premier
ministre -et il sera interrogé cet après-midi sur ce point
précis- qui tranche dans les choix d'aménagement du territoire et
peut permettre à cette politique de disposer des moyens financiers dont
elle a besoin ? Car au moment où nous nous engageons dans cette
perspective, nous avons fixé des objectifs, monsieur le ministre, et les
vôtres nous donnent totale satisfaction.
Si, sur le terrain, nous sommes privés des fonds nécessaires pour
la mettre en oeuvre, il est bien évident que parmi les élus
locaux, il y aura dans les prochains mois quelques sentiments de frustration.
Alors, j'appelle l'attention du gouvernement et du Premier ministre qui doit
arbitrer en la matière. Il doit bien faire attention que les
crédits nécessaires au déroulement normal de la politique
que nous avons engagée ensemble puissent être
libérés et surtout ne soient pas gelés. A partir de
là, nous nous heurterons à des contraintes insurmontables sur le
terrain.
Ensuite, vous avez parlé de la responsabilité des élus.
J'estime que cette loi est une loi de responsabilisation des élus et
nous sommes tout à fait d'accord pour l'assumer.
Au fur et à mesure de l'accélération de la
décentralisation, autre question : est-ce que la loi va jusqu'au
bout de ce qu'il aurait fallu faire pour achever la
décentralisation ?
Au moment où on s'engage dans une déconcentration plus forte, il
faut que l'Etat garde son rôle prioritaire au niveau de l'harmonisation,
de l'incitation et de la coordination. L'équité entre les
territoires, c'est le rôle de l'Etat.
Quid de la mécanique nationale mise en place à travers le plan,
la DATAR et la répartition des compétences des
ministères ? Nous souhaiterions que celui de l'Aménagement
du Territoire voie s'élargir le champ de ses compétences, afin
d'avoir les véritables moyens de préserver ses équilibres
indispensables.
Nous parlions à l'instant de l'achèvement de la
décentralisation. Nous avons manqué de courage -j'assume
totalement la responsabilité du côté Assemblée
nationale- j'ai manqué de courage en tant que rapporteur, parce que je
n'ai pas pu ou je n'ai pas su aller plus loin en matière de
clarification des compétences.
Nous n'avons pas su ou pas pu aller plus loin non plus en matière
d'équilibre financier et de justice. Je rends hommage au sénateur
président Jean François-Poncet qui a pu mettre en place le
système de péréquation à travers cette fourchette
80-120.
Je vous pose une question, monsieur le ministre. J'ai, pour ma part,
créé l'indice synthétique qui permet d'évaluer les
richesses et les ressources et l'écart entre les deux.
Dans l'année qui vient, allons-nous véritablement savoir si
toutes les mesures prises, si toutes les lois aux discussions desquelles nous
avons participé très récemment s'inscrivent dans la
fourchette 80-120 et dans quel délai serons-nous en mesure de proposer
aux collectivités territoriales un dispositif qui, véritablement,
permettra de respecter cet objectif fixé ?
C'est très important et la péréquation riches-pauvres ne
peut pas se faire par un coup de baguette magique, mais il faut fixer des
objectifs aux élus locaux et un calendrier de travail. C'est une
question supplémentaire que je vous pose.
Pour terminer -pas parce que je suis élu des zones de montagne, on sait
ici que je les défends et le sénateur Jean François-Poncet
défend avec beaucoup d'autres le monde rural, ce n'est pas un plaidoyer
pro domo- je voudrais qu'on soit bien sûr, monsieur le ministre, que les
objectifs que vous avez fixés s'inscrivent bien dans cette perspective
de rétablissement des équilibres, de compensation des handicaps,
de telle sorte que les deux parties des territoires soient traitées
d'une manière réellement équitable.
Nous approuvons la politique en faveur de l'avenir, nous soutenons les
décisions que vous avez prises. D'ailleurs, je les ai votées en
assemblée avec mes collègues avec enthousiasme. Bravo !
Nous voudrions au même moment, en termes d'affichage mais aussi de
réalisation, être bien certains que tout n'est pas fondé
sur les zonages. Nous sommes parfaitement conscients qu'une politique de
soutien à la revitalisation rurale n'est pas seulement une politique de
zonage, ce n'est qu'un moyen. Nous en avons inventé un autre,
révolutionnaire : la fiscalité dérogatoire. Nous
voudrions que la combinaison de ces moyens -renforcés par d'autres que
vous aller nous aider à inventer pour les consolider- et cette
complémentarité soient préservées.
Une question : n'est-il pas possible de lancer dans les zones rurales de
revitalisation des zones franches ? M. Jean François-Poncet
l'a proposé au Conseil national de l'aménagement du territoire.
600.000 personnes sont prises en charge dans le cadre des zones franches
urbaines. Pourquoi ne pas tenter les mêmes expériences dans le
cadre des zones franches rurales ?
Vous avez terminé sur trois propositions pour l'avenir. J'ai le souvenir
d'une proposition tenace issue du fin fond de l'administration
française. En 1985, l'INSEE proposait de créer de grandes
mégalopoles et des regroupements urbains avec, à
côté, des territoires écologiquement
protégés. C'est une tendance qui existe, elle est réelle.
Nous nous heurtons, dans le rural profond, en permanence à elle.
Le jour où on aura saisi -c'est le principe de la loi, vous l'avez
compris, monsieur le ministre, et je vous en remercie- que ce que nous voulons,
ce n'est pas développer le monde rural pour le plaisir, mais casser le
principe ou le processus des migrations internes et faire en sorte que soient
proposées -dans l'activité qui crée la richesse et qui met
en oeuvre le développement- les mêmes possibilités dans le
monde rural que dans le monde urbain, afin d'aider les maires des grandes
villes à éviter la surabondance de population dans les banlieues,
on aura bien avancé.
Ce que vous avez dit en choisissant la troisième proposition nous
convient : "France intégrée et maillée". D'accord.
"Une solidarité des territoires riches et pauvres". Parfait.
Un espace de respiration : je voudrais que nous soyons bien d'accord pour
que le monde rural dispose des moyens nécessaires à son
développement -nous sommes capables de l'assumer. Nous voulons que les
instruments créés soient renforcés et faire en sorte
qu'à Paris, au gouvernement -nous vous faisons confiance pour cela- les
choix opérés soient toujours parfaitement
équilibrés, afin que la confiance qui, depuis une dizaine
d'années, a disparu au niveau des élus, soit rétablie.
Monsieur le ministre, est-ce bien le troisième schéma ? Le
respect des équilibres que vous avez assuré vouloir
défendre et enfin un calendrier que l'Assemblée et le
Sénat, bien sûr, s'engagent à soutenir pour vous aider
à réussir dans cette nouvelle politique d'aménagement du
territoire.
Je vous remercie du fond du coeur, en quatre mois, avec le gouvernement d'Alain
Juppé, d'avoir réalisé ce travail considérable.
Nous vous soutenons.
Il y a des questions à poser, je ne les ai peut-être pas toutes
évoquées, mais je souhaiterais maintenant pouvoir ouvrir le
débat. Merci.
(Applaudissements).
M. Jean François-Poncet
.- Monsieur le ministre, je vous
propose, avant de répondre aux questions de Patrick Ollier, de voir s'il
y en a d'autres dans la salle.
Un intervenant
.
- Créer d'autres aires de
métropolisation, cela m'amène à vous poser la question
suivante : faut-il laisser des espaces interstitiels qui seront un autre
poumon ? Est-ce que ces aires ne sont pas en contradiction avec
l'équilibre vis-à-vis monde rural ?
M. Jacques Larché
Président de la Commission des
lois du Sénat.- Une remarque sur le principe d'une loi qui, dans son
essence, est évidemment positive. Il restera le problème de sa
mise en oeuvre, bien sûr.
Toute bonne mesure, à un moment quelconque, peut avoir des effets
pervers. Nous sommes en train de vivre un système qui se manifeste dans
bon nombre de parties du territoire ; il est en train de transformer la
mentalité des entreprises. Actuellement, pas une seule ne cherche
à s'installer quelque part sans aller, au préalable, à la
chasse aux primes, avec comme ligne directrice de comparer les avantages
acquis, d'obtenir le maximum d'aide de la puissance publique, sans pour autant
qu'elle soit toujours strictement nécessaire et absolument
justifiée.
C'est un système que nous vivons, dont nous voyons le
développement avec une certaine inquiétude, car l'entreprise qui,
normalement, doit fonder son avenir sur un projet strictement
économique, est en train de se transformer, à certains
égards -je ne veux pas généraliser- en mécanisme
à la recherche d'une assistance. Je ne sais pas si,
économiquement, ceci sera positif à long terme.
(Applaudissements).
M. Pierre Laffitte.
- Comme tout le monde,
monsieur le ministre, j'ai apprécié votre engagement et votre
compétence, en particulier en ce qui concerne l'entrée dans la
société d'information, ce qui est probablement la meilleure des
réponses à la question : "Ne va-t-on pas fabriquer cinq
micro-bananes bleues ? "J'aimerais avoir des précisions sur vos
intentions, notamment en ce qui concerne la politique des sites
numériques pour laquelle la DATAR a pris quelques indications sur
certaines régions, voire même certains départements.
M. Jean François-Poncet
.- Je donne tout de suite la parole
au ministre. Je veux simplement dire à Patrick Ollier que je m'associe
à ses questions, ainsi qu'aux suivantes de nos collègues
sénateurs.
Je voudrais faire une observation sur la métropolisation. C'est une peu
une "tarte à la crème". Je mets en garde, notamment le
délégué à l'aménagement du territoire, parce
qu'à mon avis, cette tendance ne tient pas compte des toutes
dernières indications venant des Etats-Unis. On assiste au contraire
-pour diverses raisons dont quelques-unes n'ont rien d'économique, elles
tiennent à la sécurité, l'immigration, etc.- au
début d'un retour du pendule qui quitte les grandes
agglomérations pour aller vers des zones beaucoup moins habitées.
Ce n'est pas l'espace rural au sens où on l'entendait, il est
hyper-moderne, c'est celui de Pierre Laffitte, mais pas celui de nos
grands-parents. Je sais qu'en disant cela, on heurte les credo fixés.
Quand on met en discussion les arguments contraires, ils sont en
général balayés.
Par conséquent, je ne suis pas sûr que la métropolisation
indéfinie -sauf dans le tiers-monde où elle provoque les
conséquences que nous connaissons- soit aussi évidente que
certains l'affirment.
Je partage quelques-unes des inquiétudes, en vous entendant
décrire cette France métropolisée avec, entre les
métropoles, des espaces de respiration. Il y a là, me
semble-t-il, une interrogation.
Si je peux me permettre une observation à mon collègue
Larché, qui rejoint nos constatations : si on veut attirer dans les
zones fragiles, par opposition aux zones attractives, il faut bien des
discriminations positives ou alors, on abandonne tout esprit de volontarisme.
Par ailleurs, dans le monde entier, ces pratiques existent. Si, dans sa
grandeur, la France traçait une croix sur les siennes, elle ne serait
pas suivie par les autres.
Aujourd'hui, la première question que pose une entreprise japonaise ou
américaine qui veut s'installer en France, c'est : "Ne ferais-je
pas mieux d'aller en Irlande, en raison des privilèges fiscaux ou en
Ecosse, en raison de telle ou telle disposition sociale plus
avantageuse ?".
M. Jean-Claude Gaudin, ministre de l'aménagement du territoire, de
la ville et de l'intégration.
- Monsieur le Président,
toutes ces questions sont très intéressantes. J'ai employé
un terme peut-être provocateur, mais je ne le regrette pas, car cela nous
permet un débat très au fond sur toutes ces questions.
Concernant les crédits, je répondrai à M. Ollier que nous
sommes quand même à 6 milliards d'engagements dans l'année
1996. Bien entendu, on peut toujours demander plus, mais, dans le contexte
budgétaire et économique qui est le nôtre, avec la ligne
directrice fixée par le Président de la République et le
Premier ministre sur la monnaie unique à l'horizon 1999, il est certain
que tous les ministères doivent faire un effort financier. Nous y sommes
prêts aussi !
En échange de la demande qui nous est formulée, nous voudrions
avec la DATAR bien cerner tous les projets. Souvent, par facilité, par
habitude, les gouvernements successifs -personne n'y échappe, et les
collectivités territoriales pas davantage- vont quelquefois vers le
saupoudrage. Je prends l'engagement que nous allons éviter cela ! Sur le
FNADT, nous ne retiendrons que des projets d'importance, des projets
sérieux. Je serai donc amené à répondre
positivement quelquefois. Quand ce sera négatif, c'est le
délégué à la DATAR qui le fera...
Il faut donc savoir à la fois faire une chose et le dire en même
temps. Nous devons faire un effort, et nous allons le faire dans ce domaine.
Six milliards constituent malgré tout une somme importante.
Néanmoins, le président Jean François-Poncet et Patrick
Ollier pourront en toucher un mot à Alain Lamassoure. Cela m'aidera !
J'ai compris que tel était votre état d'esprit. Bien entendu, la
solidarité gouvernementale existe, mais quand les messages sont
répétés, ils finissent par être entendus !
S'agissant des compétences, Dominique Perben vous en parlera tout
à l'heure. Quant à notre texte sur le monde rural, Raymond-Max
Aubert y reviendra bien évidemment.
Patrick Ollier a posé une question très franche et très
loyale : créerez-vous des zones franches dans les zones de
revitalisation rurale, à l'instar des quartiers urbains ? La
réponse est non. La volonté du Gouvernement est de traiter avec
équité les parties les plus fragiles du territoire, qu'elles
soient urbaines ou rurales.
La problématique n'est cependant pas la même dans les deux cas.
Les zones franches urbaines concerneront des espaces géographiques
très restreints et moins de 1 % de la population française.
Néanmoins, nous sommes sensibles à votre argumentation et nous
pensons que le Parlement -aussi bien l'Assemblée nationale que le
Sénat- y reviendra. Notre projet de loi sur le monde rural doit donc
offrir les mêmes garanties, les mêmes possibilités, les
mêmes avantages. Déjà, dans les zones de revitalisation
rurale, il y a exonération des charges fiscales et sociales.
Nous ferons en sorte, si c'est nécessaire, d'établir
complètement la parité. Il n'est pas dans notre intention de
faire des zones franches dans les zones de revitalisation rurale, mais, par
contre, de donner d'une autre manière les mêmes avantages, de
façon à ce qu'il y ait effectivement équité.
(On dit : "C'est insuffisant !").
M. Jean-Claude Gaudin
.- Commençons par là ! Il faut
faire des efforts et nous les ferons ! Six milliards, ce s'est pas si mal !
Vous me l'avez déjà dit au Sénat : je ne partage pas votre
sentiment ! Je vous réponds avec toute la courtoisie qui sied à
un membre de la haute Assemblée ! Attendez de voir comment cela
fonctionne dans les zones de revitalisation rurale, attendez de voir tous les
avantages. S'ils ne sont pas suffisants, vous me le direz, et s'il y a
inégalité de traitement, je prends l'engagement que nous
rétablirons l'égalité !
Je réponds à M. Gerbaud, qui a parlé de "banane bleue",
qu'il faut organiser les aires métropolitaines pour
rééquilibrer les choses par rapport à Paris. Il faut les
créer pour irriguer le monde rural. C'est mieux si nous les
contrôlons que si nous n'arrivons pas à les contrôler ! Or,
organiser les aires métropolitaines ne signifie pas favoriser la
concentration urbaine : c'est composer avec elle pour en tirer le meilleur
parti. Voilà dans quel esprit nous sommes actuellement. Tout cela va
mériter échanges et débats.
Le Président Larché, suivant son habitude, nous met en garde. Il
a raison : aider une entreprise qui veut créer des emplois, supporter la
pression des gens qui vous demandent des créations d'emplois, engager
les ressources des collectivités locales, et arriver où ? A
Gigastorage ! ... Je me permettrai de conseiller aux élus locaux -et
j'en suis un- de faire effectivement très attention à la
façon dont on procède.
Puisque j'ai cité cet exemple, qui est d'actualité, j'y reviens,
avec l'autorisation de Jean François-Poncet. Le 7 novembre dernier, un
conseil interministériel accorde une prime d'aménagement du
territoire de 13,5 millions à l'entreprise Gigastorage. Je m'en
rappelle bien, car c'est le jour où Alain Juppé m'a
demandé d'entrer au Gouvernement !
Le 20 décembre, j'ai signé cette prime d'aménagement du
territoire. Mais, comme vous le savez tous, la prime d'aménagement du
territoire n'est donnée que pour autant qu'il y ait la création
d'emplois. Or, quel n'a pas été mon étonnement lorsque, le
22 décembre, j'apprends que, tout d'un coup, arrivent dans un avion
50 Malais, pour aller travailler dans cette entreprise ! Je
téléphone au ministre de l'intérieur, qui me répond
: "De toute manière, les Malais ne resteront pas ici. Ils descendent de
l'avion prendre l'air, reprennent l'avion et repartent dans leur pays. Parce
que la prime d'aménagement du territoire était plutôt faite
pour les Belfortains que pour les Malais !".
Bien que la DATAR ne soit pas un juge d'instruction, nous nous sommes
renseignés et nous avons appris que ce chef d'entreprise, à
Belfort, avait rencontré pas mal de difficultés et de
problèmes. Etant donné qu'on ne créait pas les emplois et
que nous avions des doutes, nous n'avons pas versé un centime. Pas un
franc de l'Etat n'a été versé dans cette entreprise !
Bien entendu, j'ai rencontré le député-maire de Belfort.
Lui-même insistait beaucoup -et de bonne foi- pour pouvoir créer
des emplois dans cette ville. On me dit que c'est sur la foi de la lettre
annonçant la prime d'aménagement du territoire que j'ai
signée que le conseil général de Belfort a aidé
cette entreprise. Il l'aidait, en fait, depuis 1994 ! C'était son droit
de le faire, mais c'était alors de sa seule responsabilité, et le
Gouvernement n'y est pour rien.
Néanmoins, il faut être extrêmement prudent, car, sous la
pression locale, on peut accepter d'engager des financements de nos
collectivités territoriales, et nous retrouver dans la situation dans
laquelle se trouve le président du conseil général du
territoire de Belfort !
(Applaudissements)
M. Jean François-Poncet, président
.- Je remercie le
ministre qui, a avec une grande liberté et un grand feu, a réagi
à nos différentes interrogations.
Je donne tout de suite la parole à Daniel Hoeffel, qui était
avec, Charles Pasqua, aux commandes au moment de l'élaboration de la
loi. Nous avons beaucoup travaillé avec lui et nul mieux que lui ne
pourra introduire les propos qui font venir maintenant sur la
coopération intercommunale d'une part et sur le problème de la
péréquation et des fonds d'autre part, qu'Alain Lamassoure
traitera devant nous...