Bilan d'application de la loi d'orientation pour l'aménagement et le développement du territoire
Jean FRANÇOIS-PONCET
commission des Affaires économiques et du Plan - Rapport 475 - 1995 / 1996
Table des matières
- I. AVANT-PROPOS
- II. ALLOCUTIONS D'OUVERTURE
- III. BILAN GÉNÉRAL
- IV. COMPÉTENCES ET FINANCES
- V. AMÉNAGER LES ZONES FRAGILES : ESPACE RURAL ET VILLE
-
VI. ÉQUIPER LE TERRITOIRE : LES SCHÉMAS SECTORIELS
-
A. enseignement suprieur, recherche, culture
- INTERVENTION DE M. FRANÇOIS BAYROU, MINISTRE DE L'ÉDUCATION NATIONALE, DE L'ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR ET DE LA RECHERCHE
- INTERVENTION DE M. PHILIPPE DOUSTE-BLAZY, MINISTRE DE LA CULTURE
-
RÉPONSE DE M. ADRIEN GOUTEYRON,
SÉNATEUR DE LA HAUTE-LOIRE,
PRÉSIDENT DE LA COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES DU SÉNAT
-
B. transports et télécommunications
-
INTERVENTION DE M. FRANÇOIS FILLON,
MINISTRE DÉLÉGUÉ À LA POSTE,
AUX TÉLÉCOMMUNICATIONS ET À L'ESPACE -
INTERVENTION DE M. BERNARD PONS,
MINISTRE DE L'ÉQUIPEMENT, DU LOGEMENT,
DES TRANSPORTS ET DU TOURISME -
INTERVENTION DE M. JEAN-PAUL DELEVOYE, SÉNATEUR DU PAS-DE-CALAIS,
PRÉSIDENT DE L'ASSOCIATION DES MAIRES DE FRANCE
-
INTERVENTION DE M. FRANÇOIS FILLON,
-
A. enseignement suprieur, recherche, culture
- VII. CONCLUSION ET SYNTHÈSE DES TRAVAUX
I. AVANT-PROPOS
Mesdames, Messieurs,
Désertification rurale, banlieues malades, congestion parisienne,
fracture opposant régions en développement et régions en
déclin : tels sont les symptômes alarmants d'une
évolution du territoire que la loi d'orientation sur
l'aménagement et le développement du territoire du
4 février 1995 s'est donné pour but d'inverser.
Ambition démesurée ? Nullement. Mais objectif à long
terme, qui ne s'inscrira dans la réalité que si
l'aménagement du territoire demeure, de gouvernement en gouvernement,
une grande priorité nationale, quels que soient les aléas de
l'actualité.
Il revenait au Sénat, dont les travaux sur l'espace rural, les banlieues
et l'aménagement du territoire ont largement contribué au
lancement et à l'élaboration de la loi d'orientation,
d'être, en étroite concertation avec l'Assemblée nationale,
un des garants de cette nécessaire continuité.
Telle est la raison pour laquelle la Commission des Affaires économiques
a pris l'initiative d'organiser, sous le haut patronage de M. le
Président du Sénat, un colloque au Palais du Luxembourg le 26
mars dernier, pour un premier bilan d'application de la loi d'orientation, un
an après sa promulgation.
L'objectif était double. Il s'est agit, d'une part, de faire le point
avec chaque membre du gouvernement concerné, à commencer par le
ministre de l'Aménagement du Territoire, de la Ville et de
l'Intégration, de la mise en oeuvre de la loi. Texte d'orientation,
celle-ci n'est en effet appelée à ne valoir que ce que vaudront
les 5 lois, les 10 schémas, les dix rapports et les nombreux
décrets d'application nécessaires pour lui donner vie.
Le colloque avait, d'autre part, pour objet d'obtenir du gouvernement des
précisions, concernant l'avenir des dotations budgétaires et des
fonds créés par la loi, ainsi que les perspectives de la
péréquation des charges entre collectivités riches et
collectivités pauvres.
Les actes rassemblés dans le présent rapport permettront de
disposer de l'intégralité des réponses apportées
par M. le Premier ministre et les membres du Gouvernement concernés aux
interrogations des sénateurs et des députés, sur les
premières mesures intervenues et la volonté de poursuivre
l'action entreprise.
Le Colloque a fait ressortir que, si un pas important avait été
franchi, beaucoup restait encore à faire. Par cette journée, le
Sénat a entendu marquer sa détermination et sa vigilance pour que
l'aménagement du territoire ne soit pas un simple thème de
discours dominicaux, mais entre rapidement et réellement dans les faits.
(La séance est ouverte à 9 heures 35 sous la présidence de
M. Monory).
II. ALLOCUTIONS D'OUVERTURE
ALLOCUTION DE M. RENÉ MONORY,
PRÉSIDENT DU
SÉNAT
M. René Monory
.- Monsieur le Ministre,
Monsieur le Président de la Commission des affaires Economiques, Chers
Collègues, Mesdames, Mesdemoiselles, Messieurs, Chers amis,
C'est un grand plaisir pour moi de participer ce matin à votre colloque,
d'abord parce que l'aménagement du territoire est un sujet sur lequel
les Sénateurs ont beaucoup travaillé, ensuite parce que
représentant les communes de France, ils sont très
attachés au développement de leurs provinces ainsi qu'à
l'aménagement de la région parisienne, car l'un ne peut
être dissocié de l'autre.
En ce qui concerne la méthode, je tiens à remercier l'ancien
ministre de l'Aménagement du territoire qui a accepté le
débat et les propositions du Sénat et le nouveau ministre qui,
par sa présence aujourd'hui, prouve qu'il souhaite poursuivre dans la
même direction.
Si la loi sur l'aménagement du territoire a vu le jour, c'est aussi
grâce à Daniel Hoeffel qui en a été l'un des
artisans et qui nous a soutenus dans nos projets de péréquation
financière.
Je me félicite surtout du travail préparatoire qui a
été fait par le Sénat avant le vote de la loi sur
l'aménagement et le développement du territoire.
Des rapports ont été publiés : Rapport sur l'espace rural
(1990) ; Rapport sur la Ville et les Banlieues (1992) ; Rapport sur
l'aménagement du territoire (1994)
Un important travail a été réalisé par la mission
d'information sur l'aménagement et le développement du territoire
qui a suivi tout le déroulement du débat national et fait des
propositions concrètes que le Gouvernement a bien voulu retenir.
Une convention nationale sur l'aménagement du territoire a enfin permis
de débattre avec plus de 1.500 élus locaux et
personnalités qualifiées, sur l'avenir de notre espace.
Aujourd'hui, les Sénateurs souhaitent faire le point sur l'application
d'une loi à laquelle ils tiennent et dont ils espèrent pouvoir
dire, à l'aube du 3ème millénaire, qu'elle a fait avancer
les idées et qu'elle a contribué au développement de notre
territoire et au bien-être de nos concitoyens.
Nous voulons, Monsieur le Ministre, voir où en sont les
réalisations concrètes, car il est dans le rôle du
Parlement de veiller à la bonne application des textes qu'il a
votés. Il s'agit avant tout, comme avec un observatoire, de constater ce
qui va bien et de s'en féliciter ou de réorienter ce qui va mal.
Je souhaite qu'il y ait des réunions régulières sur ce
point et je veux remercier mon ami Jean François-Poncet d'avoir pris
l'initiative de ce colloque.
(Applaudissements).
ALLOCUTION DE M. JEAN FRANÇOIS-PONCET, PRÉSIDENT DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉCONOMIQUES DU SÉNAT
M. Jean François-Poncet
.- Quelques mots
de remerciements et d'explications sur les raisons de ce colloque et les
espérances que nous plaçons en lui.
Evidemment, je remercie le président du Sénat d'être ici
aujourd'hui, de bien vouloir nous accueillir à déjeuner tout
à l'heure. Sur un sujet qu'il connaît mieux que personne, auquel
il a, dans la région qui est la sienne, contribué d'une
façon exemplaire, sa présence allait de soi, mais elle est pour
nous très importante.
Je remercie aussi Jean-Claude Gaudin. Comment aurait-il pu échapper
à notre invitation ? Nous l'entendrons avec tout le plaisir avec
lequel nous écoutons toujours les ministres de l'Aménagement du
territoire. Quand ils sont, en plus, issus du Sénat, c'est avec une
sympathie spéciale.
Par anticipation, je remercie tous les ministres qui vont venir. Vous comprenez
pourquoi. L'aménagement du territoire est un sujet partagé entre
tous les départements ministériels. Il faut rendre chaque
ministre attentif -si c'est nécessaire- à la partie de la loi qui
le concerne, en tout cas faire le point de la mise en oeuvre de ses
dispositions.
Je remercie aussi Charles Pasqua qui viendra cet après-midi -comment
n'aurait-il pas été invité ?- et le Premier ministre
clôturera, par son intervention, nos débats.
Je veux aussi remercier François-Michel Gonnot et Patrick Ollier.
Cette préoccupation ne peut pas être celle du Sénat seul.
Pour l'élaboration de la loi, nous avons travaillé en
étroite concertation avec l'Assemblée nationale, plus qu'à
aucun autre moment pour aucun autre texte.
Je n'aurais pas imaginé une seconde qu'on puisse tenir un colloque de ce
type sans avoir une participation active de l'Assemblée nationale et cet
après-midi, la session sera présidée par mon
collègue président de la Commission de la production et des
échanges.
Je remercie le grand rapporteur du texte à l'Assemblée nationale,
Patrick Ollier.
Deux séries de commentaires : pourquoi ce colloque ? Qu'en
attend le Parlement ?
Pourquoi ce colloque ? Parce que le Sénat ne pouvait pas,
étant donné le rôle qu'il a joué et
l'intérêt que tous les sénateurs portent au sujet de
l'aménagement du territoire, ne pas se préoccuper de la mise en
oeuvre de cet instrument qu'est la loi du 4 février dernier.
Je n'ai pas besoin de rappeler -le président vient de le faire- le
rôle que nous avons joué dans la résurrection de ce sujet
qui, dans les années 80, était passé tout à fait
à la marge des préoccupations nationales.
Les trois rapports que nous avons établis sur l'espace rural, sur les
banlieues, sur l'aménagement du territoire, les deux conventions
nationales que nous avons organisées à Bordeaux et au Futuroscope
à Poitiers ont joué un rôle significatif dans le fait que
le sujet de l'aménagement du territoire est redevenu un grand sujet
national et, bien entendu, avec l'Assemblée nationale, nous avons
beaucoup contribué à l'élaboration du texte quand il est
venu devant le Sénat. C'était donc une première raison
majeure pour qu'il prenne cette initiative.
Ensuite -et c'est la deuxième raison- le caractère et
l'importance de cette loi. C'est une loi-cadre. Par conséquent, elle ne
vaudra que par ce que l'on mettra dans ce cadre. La loi ne sera pleinement
applicable et appliquée que quand les cinq lois d'application
prévues, les dix schémas, les treize décrets en Conseil
d'Etat et les dix rapports d'application auront été
confectionnés et seront parus au Journal Officiel ou auront
été communiqués aux assemblées. Je vais vous rendre
attentifs à cela. Il y a là un travail de vigilance qui
découle de la nature même de cette loi.
Ensuite, c'est une loi qui innove, elle se heurte à des obstacles :
psychologiques, politiques, administratifs.
Laissez-moi vous rappeler les quatres innovations principales.
La loi dit : "Il n'y aura pas d'aménagement du territoire sans un
réseau de grandes infrastructures". Elle prévoit que celles-ci
doivent, dans les dix-huit mois, figurer dans des schémas sectoriels et
dans un schéma national d'aménagement du territoire en cours
d'élaboration.
Deuxième grand principe : pas d'aménagement du territoire
sans péréquation des ressources entre collectivités riches
et collectivités pauvres -c'est plus facile à dire qu'à
faire, nous le savons tous- mais c'est fondamental. Nous avons, dans la loi,
posé un principe nouveau -en France, pas à l'étranger- qui
prévoit entre les grands espaces régionaux une fourchette
au-delà de laquelle des versements de compensations doivent
s'opérer. Ce texte, ô combien difficile à concevoir, est
à mettre en oeuvre. Mais la loi le prévoit.
Troisième principe : pas de développement local sans
privilèges fiscaux dérogatoires. Nous nous posions la question de
savoir si le Conseil constitutionnel entérinerait ce principe. Il l'a
fait et la loi prévoit toute une série de dispositions qui le
mettent en oeuvre.
Quatrième principe : pas de différence ou plutôt une
parité de traitement entre l'espace urbain et l'espace rural. C'est un
principe tout à fait fondamental et nouveau.
Voilà les raisons pour lesquelles le Sénat, à cause de ce
texte, de son caractère, de son importance, se devait de s'interroger
sur sa mise en oeuvre.
Qu'attendons-nous de ce colloque ? Je suis heureux que le ministre et
délégué à l'Aménagement du Territoire nous
rejoigne. Nous en attendons une information. Où en sont les textes
d'application, les crédits ? Ceux de cette année, nous les
connaissons, mais après les vaches maigres, pouvons-nous dire que nous
aurons les vaches grasses et que nous échapperons aux vaches
folles ? Je me permets de poser la question. Où en est le
schéma national d'aménagement du territoire ? Pouvons-nous
espérer que le gouvernement l'envisage avec suffisamment de
précision ? Car un schéma national pourrait se contenter de
pieuses généralités, étant donné qu'il est
soumis au Parlement, renvoyant tout ce qui est concret et précis
à des schémas sectoriels arrêtés par décret.
Il y a là une préoccupation que vous trouverez sûrement sur
les bancs du Sénat.
Deuxièmement, nous en attendons la confirmation que la priorité
de l'aménagement du territoire reste au premier rang des
préoccupations du gouvernement. Nous n'avons pas de doutes, mais nous si
en avions eu, vous les auriez, cher Jean-Claude, depuis longtemps
dissipés, cependant, nous vivons des temps difficiles.
Nous approuvons les efforts que le gouvernement accomplit pour rétablir
la santé de nos finances publiques. Par conséquent, dans ces
périodes de temps difficiles où les urgences s'accumulent, nous
pouvons évidemment être préoccupés et penser qu'une
priorité à long terme comme l'aménagement du territoire
passe après celles à court terme qui sollicitent l'attention
quotidienne du gouvernement.
Enfin, monsieur le ministre de l'Aménagement du Territoire, je mentirais
si je ne vous disais pas que nous avons certaines inquiétudes. Je les
mentionne rapidement. J'ai déjà parlé des crédits,
ceux du budget de 1996, ceux du budget de 1997 que nous ne connaissons pas. Le
gel des crédits est différent. Nous entendons des rumeurs sur un
gel de l'ordre de 25 % du fonds national d'aménagement du
territoire, de la prime d'aménagement du territoire. Il ne suffit pas
d'avoir connaissance des décisions prises au moment de la loi de
finances, il faut aussi connaître la façon dont elles
s'appliquent. Il y a là de très sérieuses interrogations.
Nous sommes à la fois heureux, monsieur le ministre, et un peu
préoccupés de la loi sur les villes que vous avez fait passer.
Elle est excellente, mais il nous semble qu'elle pourrait porter atteinte au
principe de la parité entre l'espace rural et l'espace urbain.
Y aura-t-il, pour l'espace rural, l'équivalent de ces 5 milliards de
crédits annuels prévus pour les villes ? Y aura-t-il des
zones franches dans l'espace rural où elles sont tout aussi utiles et
indispensables que dans l'espace urbain ? C'est une question que j'ai
déjà posée à la réunion du Conseil national
de l'aménagement du territoire, mais nous serons sûrement
amenés à la reposer.
Un mot d'explication. Quand on parle de l'espace rural, on commet souvent un
contresens. On a dans l'esprit les critères de l'INSEE,
c'est-à-dire qu'on voit les communes de moins de 2.000 habitants. En
réalité, dans l'espace national, il y a trois grandes
catégories de territoires : l'agglomération parisienne dans
toute sa largeur, qui regroupe plusieurs régions administratives ;
il y a les métropoles régionales et il y a le reste de la France.
Quand je parle de l'espace rural, je pense à ce dernier,
c'est-à-dire aux villes moyennes, aux petites, aux agglomérations
qui maillent cet espace rural et on ne peut pas imaginer qu'il se
développe sans que son réseau de villes se développe avec
lui. Donc, il y a là une deuxième interrogation.
Une troisième a été suscitée très largement
par le troisième aéroport de la région parisienne, non pas
qu'il ne soit pas utile et je ne me permettrai pas de le critiquer en tant que
tel, mais nous avons dans l'esprit le sentiment qu'une des grandes
priorités nationales est de développer des plates-formes
internationales dans un ou deux grands aéroports de province. Je pense
à Lyon et volontiers à Marseille ou Toulouse. La France est le
seul pays européen où il n'y a qu'une plate-forme. Il y a donc
là une priorité qui nous aurait semblé devoir passer avant
le troisième aéroport.
Nous entendons aussi beaucoup parler de déconcentration et de
réforme de l'Etat. Qui ne les approuverait ? Nous entendons moins
parler de décentralisation. Or, nous pensons qu'elle n'est pas
achevée, qu'elle doit aller de pair avec la déconcentration.
J'avais ces interrogations dans l'esprit, il me revenait, monsieur le ministre,
de vous les poser, car nous voulons être informés et vous faire
part des préoccupations des élus. Ce que j'ai dit n'est
animé par aucun esprit de critique, mais par une certaine dose de
vigilance qu'il est normal de trouver dans notre assemblée.
Monsieur le ministre, vous avez tiré, me semble-t-il, une
conclusion : le Sénat est votre allié. Vous pouvez vous
appuyer sur lui pour la mise en oeuvre de vos objectifs de ministre de
l'Aménagement du Territoire, vous le trouverez à vos
côtés. N'oubliez pas que l'aménagement du territoire est un
combat, très long ; en réalité, il ne s'arrête
jamais.
(Applaudissements).
Monsieur le ministre, vous avez la parole.
III. BILAN GÉNÉRAL
ALLOCUTION DE M. JEAN-CLAUDE GAUDIN,
MINISTRE DE
L'AMÉNAGEMENT DU TERRITOIRE,
DE LA VILLE ET DE
L'INTÉGRATION
M. Jean-Claude Gaudin
.- Monsieur le
Président du Sénat, Messieurs les Présidents, monsieur le
rapporteur général, mesdames, messieurs, mes chers amis, le
Sénat a pris l'heureuse initiative, un peu plus d'un an après le
vote de la loi d'orientation du 4 février, d'organiser ce colloque
destiné à faire le point sur l'application de ce que nous avons
tous fini par appeler la "loi Pasqua".
Je profite de cette occasion pour rendre hommage à Charles Pasqua et
à Daniel Hoeffel, comme le président du Sénat vient de le
faire, ainsi que le président Jean François-Poncet, qui ont
porté ce projet de loi, ensuite enrichi et voté par le Parlement,
à l'issue d'un long débat.
Le rôle qui m'est assigné aujourd'hui consiste à faire un
bilan général. Je me prête bien volontiers à cet
exercice, sans doute aussi nécessaire qu'il risque cependant
d'être un peu fastidieux. Aussi, pour corriger ce que la longue
énumération de décrets intervenus, des fonds
créés et des conseils mis en place pourrait avoir de
rébarbatif, n'ai-je pas hésité, ne respectant
peut-être pas exactement le cadre prévu, à compléter
mon propos par l'exposé de quelques perspectives.
Mon intervention sera donc organisée en deux parties : le bilan un
an après et quelles perspectives pour les années à
venir ?
D'abord, le bilan. Il m'est d'autant plus facile de dire que beaucoup a
été fait depuis le 4 février de l'année
dernière que chacun sait que je ne suis en charge de
l'aménagement du territoire que depuis un peu plus de quatre mois.
La plupart des textes réglementaires nécessaires à la mise
en application directe de la loi ont été publiés. Dix-huit
décrets, dont dix après avis du Conseil d'Etat, ont
été pris. C'est ainsi que les instances créées ou
rénovées par le législateur, notamment pour animer la
réflexion collective et éclairer les choix du gouvernement, sont
en place, qu'il s'agisse du Conseil national de l'aménagement et du
développement du territoire, des conférences régionales,
du Comité interministériel, des Comités de gestion des
fonds d'intervention, de l'Observatoire des finances locales.
Le dernier décret des dix-huit publiés délimite les zones
de revitalisation rurales dans lesquelles s'appliquent désormais
exonérations fiscales et mesures concernant le logement.
Ces fortes incitations au développement de l'emploi et à
l'installation des personnes dans les zones rurales les plus fragiles seront
prochainement complétées par l'exonération des cotisations
de Sécurité Sociale à la charge de l'employeur dans les
zones de redynamisation urbaines et de revitalisation rurales pour les nouveaux
emplois jusqu'au cinquantième salarié de l'entreprise. Il y a
bien entendu équité, équilibre.
Je précède une objection qui ne manquera pas d'être faite
tôt ou tard dans la journée : il est vrai que, du fait de la
contrainte budgétaire, le fonds national de développement des
entreprises, dont l'objet est de favoriser la création et le
développement des entreprises dans les zones prioritaires
d'aménagement du territoire n'a pu, jusqu'à présent,
être mis en place.
En revanche, le fonds national d'aménagement et de développement
du territoire, le fonds de gestion de l'espace rural, le fonds de
péréquation des transports aériens, le fonds
d'investissement des transports terrestres et des voies navigables ont bien,
eux, été créés. Ce dernier, en augmentation de plus
de 50 % par rapport à 1995, est doté de 3 milliards de
francs en 1996. Voilà qui répond à une des
premières préoccupations du président Jean
François-Poncet et, j'imagine, du Sénat et de vous tous.
Au total, ces différents fonds mobilisent plus de 5 milliards de francs
en faveur de l'aménagement du territoire. Alors, certes, il y a des
diminutions ou des gels qui affectent certains d'entre eux. Mais globalement,
les moyens sont là, dans une période où le gouvernement
doit pourtant réduire les déficits budgétaires. Cela
méritait d'être souligné.
Quant à la société chargée d'achever, d'ici
à 2010, le canal à grand gabarit entre la Saône et le Rhin,
elle est désormais constituée, à parité entre
Electricité de France et la Compagnie Nationale du Rhône.
Le Premier ministre a récemment confirmé que les modalités
de réalisation de cette liaison devaient, certes, être
arrêtées dans la plus grande concertation, mais que cela ne
saurait avoir pour effet de retarder le démarrage des premiers travaux.
Deuxième idée concernant la mise en application de la loi :
toutes les procédures et les études prévues dans les
domaines où la loi renvoie à des rapports, à des
propositions ou à des projets de loi ultérieurs, sont
engagées.
L'élaboration, monsieur le président, du schéma national
d'aménagement et de développement du territoire a commencé
dès l'automne dernier par la préparation de synthèses
régionales, le recueil des propositions de chacun des
départements ministériels et la conduite d'études
prospectives sous l'égide du Commissariat général du Plan.
Cinq commissions thématiques, présidées chacune par un
membre du Conseil national de l'aménagement du territoire, ont
engagé leurs travaux sur la base de ces contributions. Leur
synthèse par la DATAR constituera l'avant-projet de schéma
national qui fera ensuite l'objet de nombreuses consultations avant sa mise en
forme définitive.
Pour nombreuses que soient, dans un souci de large concertation, les phases de
la démarche, mon objectif est bien de présenter un projet de loi
approuvant ce schéma avant la fin de cette année.
Parallèlement, les études préalables à
l'établissement des schémas sectoriels de l'enseignement
supérieur et de la recherche, des équipements culturels, des
infrastructures de transport, des télécommunications et de
l'organisation sanitaire, ont été engagées par les
ministres responsables.
Je ne crois pas inutile de préciser que ces schémas seront
définitivement arrêtés dans le respect des orientations
retenues, bien évidemment, par le schéma national.
Avec les directives territoriales d'aménagement, l'Etat dispose par
ailleurs d'un nouvel instrument lui permettant d'afficher clairement ses
objectifs en matière d'aménagement, de développement et de
protection des territoires présentant des enjeux d'intérêt
national.
Le caractère novateur de cette procédure m'a conduit à
proposer au gouvernement, en accord avec mes collègues chargés de
l'urbanisme, des collectivités locales et de l'environnement, de
conduire une expérimentation sur cinq sites : la Côte-d'Azur,
l'estuaire de la Seine, les Alpes du Nord, l'aire métropolitaine de
Marseille et l'estuaire de la Loire.
Chaque projet de directive est préparé par un préfet
coordonnateur, sous la direction d'un Comité de pilotage
interministériel dont le secrétariat est assuré par la
DATAR.
Un plan pour le développement rural, destiné à
compléter le dispositif s'appliquant dans les zones de revitalisation
rurales -dont la préparation fait actuellement l'objet d'une
consultation- sera présenté à l'automne.
Raymond-Max Aubert, délégué à l'aménagement
du territoire et à l'action régionale, vous en parlera cet
après-midi. Là encore, nous y tenons, vous voulons arriver
à cette proposition de loi, de manière qu'il y ait toujours
équilibre entre les efforts que nous faisons pour la France rurale et
ceux en faveur des cités urbaines.
La notion de pays inscrite dans la loi fera l'objet d'une évaluation
à l'issue de la période d'expérimentation qui
s'achèvera en juillet prochain. J'ai déjà répondu
à plusieurs questions sur les pays devant la Haute Assemblée.
La définition de la politique d'organisation du service public sur le
territoire est, elle aussi, engagée. Des discussions sont en cours avec
les grandes entreprises publiques aux fins de formaliser, notamment au travers
des contrats prévus par loi, les objectifs d'aménagement du
territoire qu'elles doivent prendre en compte.
Au plan local, les Commissions départementales sont progressivement
mises en place en vue de l'élaboration des schémas
départementaux de modernisation et d'amélioration des services
publics locaux. Cela rejoint l'idée et la notion de pays que
j'évoquais à l'instant.
Le Premier ministre a adressé des instructions en ce sens aux
préfets et je rappelle ce que j'ai déjà dit devant la
Haute Assemblée : ce ne sont pas les préfets qui font les
pays, ils aident, ils conseillent, ils mettent à disposition ; les
pays sont l'affaire des élus. Si vous avez besoin que je le leur dise
moi-même, je le ferai. C'est effectivement à l'initiative des
élus et des acteurs économiques et sociaux que les pays doivent
se mettre en marche. Comme le Parlement est roi, le Parlement dispose.
(Applaudissements).
Les études nécessaires à l'engagement prochain dans
quelques régions volontaires de l'expérimentation, qui doit
conduire à confier aux régions la compétence de
l'organisation des transports régionaux en matière ferroviaire,
sont terminées. Mon collègue Bernard Pons doit rencontrer
prochainement les présidents de conseils régionaux pour envisager
concrètement le lancement de cette expérimentation, l'affaire est
engagée.
Je parle avec la liberté de langage que j'ai apprise au
Sénat : on ne refera pas aux régions "le même coup"
que pour les lycées. Il y a dix ans, on leur a donné les
lycées, mais dans un état de délabrement et de
vétusté avancé. Il leur aura fallu dix ans pour
rétablir le retard des vingt-cinq années
précédentes. Il va de soi que les régions seront, pour
certaines, favorables à la mise en place et à l'animation des
réseaux de transports ferroviaires, pour autant que la question
financière aura été préalablement
réglée et qu'on ne leur fasse pas supporter des déficits.
L'une des orientations majeures de la loi, qui consiste à
développer fortement la solidarité financière entre les
collectivités locales, a reçu un début d'application. Le
fonds national de péréquation permettant de conforter les
ressources des communes, dont parlait le président Jean
François-Poncet -celles-ci souffrant d'une insuffisance de recette de
taxe professionnelle- a en effet été créé
dès 1995. Il est doté de 615 MF en 1996. La suppression de
la dotation globale de fonctionnement de l'Ile-de-France est engagée
depuis 1995.
Les études nécessaires à l'établissement du rapport
que le gouvernement doit déposer devant le Parlement, concernant la
réduction des écarts de ressources entre les collectivités
territoriales, sont, par ailleurs, en cours.
L'analyse des critères des charges des communes est pratiquement
achevée. De même que celle des liens existant entre la richesse et
la pression fiscale.
Des propositions relatives à la réforme du financement des
collectivités locales seront formulées dès
l'achèvement de ces travaux.
Enfin, le législateur a invité le gouvernement à lui faire
des propositions pour simplifier l'intercommunalité et clarifier les
compétences entre l'Etat et les collectivités territoriales. Un
prérapport relatif à l'intercommunalité sera prochainement
remis aux élus dans la perspective d'une concertation courant avril 1996
et le rapport définitif pouvant servir de fondement à des
modifications législatives sera pris avant l'été.
De tous ces sujets et de la clarification des compétences entre l'Etat
et les collectivités territoriales qui entrent dans les objectifs de la
réforme de l'Etat, Dominique Perben et Alain Lamassoure vous
entretiendront plus longuement dans la journée ; c'est de leur
responsabilité.
Vous le voyez, monsieur le président du Sénat, messieurs les
présidents, mesdames et messieurs, l'effort des différents
départements ministériels concernés est rien moins
qu'intense, même si la phase de mise en application actuelle est moins
spectaculaire que celle des débats qui ont précédé
et accompagné le vote de la loi.
Maintenant, nous en arrivons aux perspectives. Voilà tout le bilan d'une
année, ce n'est déjà pas mal. Il reste encore beaucoup
à faire. La loi d'orientation pour l'aménagement et le
développement du territoire a aussi ouvert des perspectives de
réformes plus ambitieuses, qui ne pouvaient être
sérieusement concrétisées en une seule fois.
En outre, à l'intérieur du cadre et du programme de travail
définis par la loi, des choix politiques restent à opérer.
C'est ce contenu, pour l'avenir, qui m'importe maintenant.
S'agissant d'aménagement, mais aussi, ne l'oublions pas, de
développement du territoire, deux aspects indispensables l'un et l'autre
doivent être, selon moi, distingués : les politiques
curatives à effet immédiat et les politiques d'anticipation
à plus long terme.
Sur le premier plan, celui des politiques curatives immédiates, le
gouvernement a fait ce qu'il fallait ; à la mise en place des
mesures prévues dans les zones de revitalisation rurales ont correspondu
des mesures fortes, prises en faveur des quartiers en difficulté, dont
Eric Raoult vous entretiendra.
Le gouvernement a, par ces mesures, commencé de donner corps aux
exigences d'équité territoriale et d'égalité des
chances posées par l'article 1er de la loi d'orientation.
Il nous faut maintenant aborder une deuxième phase, celle des politiques
à long terme, celle de l'anticipation.
S'agissant du long terme, je crois indispensable de dresser d'abord un constat
des tendances en oeuvre, puis de caractériser les différents
scénarios possibles. Je vous ferai part ensuite de mes propres
convictions.
D'abord, s'agissant du constat de ce qui influera sur l'organisation du
territoire, je voudrais rappeler une évidence, quelques tendances et
tenter de repérer avec vous les prochaines ruptures.
L'évidence : le temps n'est plus où l'Etat faisait ce qu'il
voulait, comme il voulait, quand il voulait. L'aménagement du territoire
est désormais une compétence partagée avec les
collectivités territoriales et notamment les régions. La
politique régionale européenne pèse, quant à elle,
de tout son poids.
Il faut donc s'assurer que ces trois principaux intervenants : l'Etat,
l'Europe et les régions, ont bien une vision si possible commune, au
minimum compatible du devenir du territoire de l'Europe, des États
nations et de chaque région. Cette vision commune n'existe pas en soi,
il faut y travailler, il faut l'élaborer.
Les tendances : le 21ème siècle sera marqué par la
mobilité, celle des hommes, des capitaux, des entreprises, des
marchandises, des informations. La nécessité d'aller plus vite,
plus loin, plus fréquemment rendra perméables les
frontières et fragiles les souverainetés. Localisations et
délocalisations s'accéléreront.
Le 21ème siècle sera marqué aussi, j'en suis sûr
-bien que je n'ignore pas qu'il y ait discussion sur ce point- par
l'amplification du mouvement de métropolisation et de concentration
urbaine.
En 1950, mes chers amis, il n'existait dans le monde que deux métropoles
de plus de 10 millions d'habitants ; en 1990, 17 ; en 2015, selon les
experts, il y en aura une trentaine.
La multiplication des autoroutes, des TGV, des liaisons aériennes
intercontinentales favorise la polarisation des activités dans les lieux
privilégiés d'articulation avec l'économie mondiale.
L'Allemagne envisage l'émergence de sept à huit noeuds
intercontinentaux ; l'Amérique une douzaine. En Allemagne,
plusieurs villes déjà millionnaires en habitants sont
susceptibles d'accueillir ces mutations : Berlin, Munich, Francfort,
Hambourg, Düsseldorf. De même en Italie : Milan, Turin, Naples,
Rome peuvent fixer cette évolution.
En France, pour l'instant, seuls Paris et l'Ile-de-France sont capables
d'absorber cette vague de concentration et d'attirer, mais en les monopolisant,
les flux internationaux. Il nous faut donc créer, sur le territoire,
plusieurs aires de métropolisation attractives, pôles
stratégiques d'articulation avec l'économie mondiale, de
façon à soulager la pression démographique excessive qui
s'exerce sur l'Ile-de-France, afin de capter une part plus importante des flux
de développements économiques internationaux.
Maintenant, les ruptures : l'émergence des nouvelles technologies
de l'information et de la communication constitue une révolution.
L'information est déjà -et sera plus encore demain- la principale
source de valeur ajoutée. Tout processus de production ira puiser de
l'information à distance. Nul ne pourra y échapper, au risque de
décliner. Nous devrons, au moindre coût pour l'usager, dans tous
les territoires, développer les possibilités qu'offre la
télématique et accompagner la révolution culturelle
qu'induira inéluctablement l'apprentissage du télé-travail.
J'observe par ailleurs qu'une relation dialectique unit le mondial et le local.
Plus la sphère de l'économie mondiale se développera, plus
la sphère du local voudra, en réaction, s'organiser. C'est ainsi
qu'il faut interpréter les demandes de décentralisation et
d'identification locales.
Ce mouvement en faveur de l'organisation d'espaces de dimension modeste est
fort. Il nous reviendra d'en tirer le meilleur parti pour structurer le
territoire de façon polycentrique.
Enfin, les systèmes hiérarchiques où les instructions
descendent du sommet vers la base me paraissent condamnés par les
aspirations à plus d'interactivité et de décentralisation.
Les réseaux de pouvoirs, de compétences de toutes sortes
-systèmes complexes en train d'émerger- se multiplieront. Nous
devrons faciliter et accélérer ce passage d'une géographie
trop hiérarchisée à une France davantage en réseaux.
Compte tenu de ces tendances et de ces aspirations, quels sont les
scénarios possibles pour l'évolution de notre territoire ?
C'est bien cela qui nous intéresse.
Trois possibilités pourraient, me semble-t-il, s'affirmer.
La première : le retour à une France fermée sur
elle-même, centralisée et hiérarchisée,
régulée quasi exclusivement par la loi et l'autorité
administrative. Cette tendance existe, elle conduirait à la rupture avec
l'Europe et, en termes d'aménagement du territoire, au retour à
Paris et au désert français, ce qui est bien connu.
Une France centralisée sous l'autorité de Paris, de la
technocratie et de réseaux de savoirs et de pouvoirs qui aboutissent et
partent de la capitale. Une France vieillissante en province, surtout au sud de
la Loire, et dont les forces vives émigrent vers Paris et
l'Ile-de-France pour tenter d'y trouver un emploi.
Nous devons lutter contre ce scénario -tout aussi inacceptable pour la
capitale que pour la province- prendre le contre-pied en préconisant un
renforcement de la décentralisation, de l'intégration à
l'Europe et en mettant en place pour les espaces les plus démunis les
aides nécessaires, comme ce qui a été fait pour les zones
de revitalisation rurales et pour les zones de redynamisation urbaines sur
lesquelles nous reviendrons cet après-midi.
Le deuxième scénario est celui de l'hégémonie de
l'économie et de la dérégulation. Il conduirait à
l'éclatement du tissu social et à la dislocation du territoire
national. Un petit nombre de métropoles, grossissant en tache d'huile
autour de quelques villes les plus importantes, se constitueraient sans
solidarités avec le respect des territoires. Des villes-États
comme le furent Gênes, Venise, Rotterdam apparaîtraient.
Le rêve de certains aménageurs américains n'est-il pas de
constituer chez eux une douzaine de mégalopoles de 20 millions
d'habitants et de laisser tomber le reste du territoire ? Ce
scénario catastrophe est celui du "fil de l'eau" ; ne rien faire
serait le choisir.
Reste le troisième, celui d'une France intégrée et
maillée ; celui de l'ouverture externe et de la cohésion
interne. Une France privilégiant, sur quelques grands espaces qui s'y
prêtent, une organisation urbaine polycentrique, avec des villes
nombreuses à taille humaine, séparées par des espaces de
respiration fortement protégés. Une France possédant des
provinces à forte identité, une France de solidarités
entre territoires riches et pauvres, une France qui concilie impératif
de compétitivité et cohésion nationale.
Pour parvenir à cette France plus polycentrique, que j'appelle de tous
mes voeux, trois actions déterminées sont, à mon avis,
nécessaires.
D'abord, il nous faut en vingt ans, de 1996 à 2015, redresser l'armature
urbaine de notre territoire pour organiser plusieurs aires
métropolitaines susceptibles de capter les flux internationaux.
Les projections démographiques, pour 2015, montrent que la population du
quart sud-est de la France, avec les régions de Rhône-Alpes,
Provence-Alpes-Côte-d'Azur, Languedoc-Roussillon qui pourraient
croître de 3 millions d'habitants, Lyon, Saint-Etienne au Nord, Marseille
au Sud, mais aussi les villes que sont Grenoble, Montpellier, Clermont-Ferrand
et Nice peuvent former une aire de métropolisation polycentrique qui
constituerait un nouvel espace fort pour la France. En vingt ans, c'est
possible.
De même de Toulouse à Bordeaux, dans le Val de Garonne, pourrait
émerger un autre axe fort d'équilibre du territoire.
Dans l'Ouest : Rennes, Nantes, Angers peuvent créer, avec 3
millions d'habitants en 2015, une capitale à plusieurs têtes.
Dans l'Est : Nancy, Metz, Strasbourg peuvent constituer un
quatrième pôle et Lille, Roubaix, Tourcoing, Arras, Calais,
Dunkerque pourraient former un cinquième ensemble.
Cette organisation permettrait de constituer, de consolider un socle dynamique
de PME-PMI qui trouveraient dans ces aires les services de haut niveau dont
elles ont besoin pour être compétitives à l'échelle
européenne, si ce n'est même mondiale.
Elle permettrait aussi d'entraîner les territoires environnants dans une
dynamique de développement et de revitalisation par une meilleure
irrigation des territoires ruraux.
Outre la constitution de quelques grandes aires métropolitaines, il
faudra, dans un même temps, encourager l'émergence d'espaces
pertinents de développement du territoire, c'est-à-dire d'espaces
qui, par leur dimension et leur organisation, seraient susceptibles de ne pas
freiner et même de porter le développement et de créer des
emplois.
La France doit admettre que son organisation, avec 36.000 communes auxquelles
nous sommes très attachés, ne fournit pas le meilleur support au
développement de son territoire. L'organisation efficace pour ce
développement, ce sont désormais les agglomérations dans
les zones de forte densité et les pays dans les zones de plus faible
densité. C'est un fait. Nous devons l'admettre et
accélérer en conséquence l'organisation de ces nouveaux
espaces, sauf à vouloir épuiser nos forces à contrer des
évolutions de toute façon inéluctables.
Cette nouvelle organisation du territoire qui, je le précise, ne remet
en cause dans mon esprit ni les communes, ni les départements, doit nous
permettre de compléter la politique d'aménagement du territoire
reposant trop exclusivement sur des zonages, avec les problèmes de
frontières qu'ils posent, par une politique de promotion de projets de
développement, projets concernant des espaces économiques qui
dépassent le plus souvent nos actuelles frontières
administratives.
Mon souhait le plus cher, c'est donc que les Commissions thématiques
d'élaboration du schéma national d'aménagement et de
développement du territoire, puis le gouvernement et enfin le Parlement,
retiennent l'idée d'organiser en communautés de villes les 100
plus grandes agglomérations.
Le Général de Gaulle avait innové en créant 6
communautés urbaines en 1966. Nous devrions, en 1996, étendre
l'idée aux 100 plus grandes agglomérations, les doter de pouvoirs
et de compétences accrus leur permettant de lutter efficacement contre
l'apparition de ghettos et de créer collectivement des emplois, de
l'unité et de l'organisation.
A côté de ces agglomérations, il faudra créer, au
cours des vingt années, de l'ordre de 4 à 500 pays pour mieux
structurer l'espace rural.
Si, en vingt ans, d'ici à 2015, nous pouvions doter la France de
quelques grandes aires métropolitaines bien organisées, de 100
agglomérations disposant d'un véritable pouvoir et de 500 pays
coordonnés, notre projet "France 2015" constituerait une des grandes
réformes accomplies dans notre pays. L'efficacité
économique au service de l'emploi y gagnerait, la vie quotidienne en
serait améliorée.
Voilà pour ce qui concerne ma vision de l'armature à long terme
nécessaire au pays.
Une deuxième action me paraît vitale à engager, elle
consiste, dans un contexte où les préoccupations concernant le
plein emploi et la maîtrise des finances publiques seront durables,
à concilier la nécessaire égalité des
différentes parties du territoire avec la non moins nécessaire
constitution de pôles de développement internationalement
compétitifs.
La solidarité nationale est constitutive de la nation. Voilà
pourquoi, dans le cadre de la réforme de la fiscalité, il faudra
impérativement organiser une péréquation qui
transfère automatiquement des crédits budgétaires des
régions riches vers les régions pauvres et à
l'intérieur de chacune des régions, des pays et des
agglomérations riches vers les pays et les agglomérations
pauvres. La cohésion territoriale doit contribuer à la
cohésion sociale, même -comme le faisait remarquer Jean
François-Poncet tout à l'heure- si c'est plus facile à
dire qu'à mettre en oeuvre.
La politique d'aménagement est aussi, il ne faut pas l'oublier, une
politique de développement du territoire. Elle doit certes assurer -ceci
passe sans doute par des zonages- une discrimination positive en faveur des
territoires les plus défavorisés, de façon à
assurer à leurs habitants l'égalité territoriale. Mais
elle doit aussi, dans un contexte de compétition économique
internationale exacerbée et de sous-emploi qui ne disparaîtra pas
à court terme, favoriser le développement des atouts
spécifiques des différents territoires qui composent le pays et
qui ne peuvent tous avoir la même vocation. Egalité ne signifie
pas uniformité, encore moins nivellement par le bas.
Enfin, troisième idée qui m'est chère : il nous
faudra aussi entre dix et vingt ans pour arriver à des documents de
planification stratégique établis par pays et par
agglomération et non plus au niveau communal.
Promouvoir le développement durable passe en effet par
l'élaboration, par exemple, de documents d'urbanisme à
l'échelle des espaces pertinents que sont ces pays et ces
agglomérations.
Voilà quelles sont, à grands traits, mes conceptions de
l'organisation du territoire pour le 21ème siècle.
C'est toutefois, mes chers amis, aux cinq Commissions thématiques
d'élaboration du schéma national présidée par des
élus qu'il appartiendra de présenter, lors de ce printemps 1996,
des propositions au gouvernement.
Il reviendra à la DATAR d'en faire la synthèse qui sera soumise
à l'avis du Conseil national d'aménagement et de
développement du territoire et de présenter un projet global,
cohérent et prospectif pour 2015, puis, au cours de l'été
et de l'automne 1996, les régions et les autres collectivités
territoriales exposeront leurs avis et formuleront leurs amendements.
Pour finir, c'est le Parlement qui tranchera au nom de la nation et
définira les options pour 2015, qui trouveront leur application dans les
schémas sectoriels et schémas régionaux.
L'enjeu, allez-vous me dire, est considérable. C'est dire que les
grandes formations politiques de la majorité et de l'opposition devront
s'exprimer très clairement sur ces sujets. L'aménagement du
territoire ne peut, en effet, s'accommoder d'ambiguïtés ou
d'improvisations. L'Union européenne, l'Etat et les collectivités
locales devront tirer dans le même sens, certes à des niveaux
différents, mais forts, et pendant longtemps.
Soyez assurés que, pour sa part, l'Etat fera les choix difficiles, mais
nécessaires, qu'exigent les importantes réformes de
l'organisation de notre territoire que nous devons impérativement
entreprendre.
Je me suis peut-être laissé aller, sans doute, monsieur le
président du Sénat, mes chers amis, parce que nous sommes
là au Sénat, à communiquer mon sentiment un peu personnel
sur cette affaire. Je répète aux membres éminents de la
Haute Assemblée, à Daniel Hoeffel, que j'ai pris un texte tel que
vous l'avez voulu, préparé, façonné. C'était
sous les regards de la France entière par l'intermédiaire des
médias.
Depuis douze mois -et moi depuis quatre mois- nous ne nous sommes pas
croisé les bras. Nous avons fait le maximum pour mettre en place cette
loi du 4 février. Il reste encore beaucoup à faire. Ma
détermination, ma volonté, je les mets au service, en
particulier, de la Haute Assemblée, même si j'ai toujours un
regard amical sur l'Assemblée nationale, mais ici, comme le disait le
président, "on prend son temps, mais on travaille et on ne le fait pas
sous la pression extérieure et quelquefois, il faut savoir s'en
dégager".
Voilà, monsieur le président, même si j'ai
été un peu long -mais c'est la première fois que je
m'exprime dans un colloque sur l'aménagement du territoire- ce que je
voulais vous dire.
(Applaudissements).
M. Jean François-Poncet
.- Monsieur le
ministre, mille mercis. Vous n'avez pas été trop long, bien au
contraire. Vous avez été particulièrement clair et,
m'a-t-il semblé, convaincu. J'ai cru sentir une flamme dans votre
discours. Nous y avons tous été extrêmement sensibles, nous
avons besoin de savoir qu'à la tête de ce dossier difficile, parce
qu'il concerne la plupart des ministres, nous avons un ministre qui y croit et
qui se bat. C'est le double sentiment que vous nous avez donné.
Pour commencer à vous questionner, je me tourne vers le rapporteur de la
loi, M. Ollier, à qui je vais donner la parole.
Je voudrais toutefois vous dire que mon collègue, le président
Gonnot, fera au début de l'après-midi, au nom de
l'Assemblée nationale, une déclaration analogue à la
mienne ce matin pour vous exprimer les interrogations du Sénat. C'est
lui qui présidera la séance.
RÉPONSE DE M. PATRICK OLLIER,
DÉPUTÉ
DES HAUTES-ALPES,
RAPPORTEUR DE LA LOI D'ORIENTATION À
L'ASSEMBLÉE NATIONALE
M. Patrick Ollier
.- Monsieur le
Président, Messieurs les Ministres, chers amis, permettez-moi d'abord de
saluer ici ceux avec qui nous avons effectivement travaillé pendant
près de huit mois pour construire cette loi. Ce fut un travail
d'équipe. Je voudrais tout particulièrement, monsieur le
président du Sénat, rendre hommage au président Jean
François-Poncet et à mes collègues rapporteurs et
co-rapporteurs M. Larcher, M. Belot et M. Girault, avec un
hommage tout particulier à M. Hoeffel qui, en tant que ministre
à l'époque, a subi les attaques "en piqué" de l'ensemble
des rapporteurs et des parlementaires. Je suis heureux qu'il soit là.
Ce que vous avez dit est très positif. J'ai constaté, en tant que
rapporteur, mais toujours très actif dans l'aménagement du
territoire, que depuis que vous êtes en place, vos services n'avaient pas
chômé. M. Perben a également engagé des travaux
correspondant parfaitement à nos souhaits.
Il est vrai que si nous faisons le bilan de l'application de la loi par rapport
aux 88 articles, en nombre de décrets aujourd'hui promulgués, en
nombre de rapports engagés, en nombre de chantiers mis en oeuvre, vous
avez parfaitement rempli le contrat et nous sommes là pour vous en
donner acte et vous en remercier.
Nous avons voulu, lorsque nous avons soutenu cette loi, faire en sorte qu'il y
ait des instruments à la disposition d'une politique. Aujourd'hui,
au-delà des décrets d'application, nous voulons être bien
certains que cette politique est mise en place pour les vingt ans à
venir, que les instruments créés vont évoluer au fur et
à mesure de sa mise en oeuvre.
Vous l'avez dit tout à l'heure, monsieur le ministre, nous ne faisons
que commencer. C'est une loi d'orientation qui regarde vingt ans devant elle et
ce genre de colloque doit avoir à se reproduire très souvent. On
ne peut pas dire que parce qu'une loi est votée, vingt ans de politique
d'aménagement du territoire sont engagés. Elle est
évolutive en fonction des circonstances et on doit être capable de
la faire évoluer.
Monsieur le ministre, vous inscrivez-vous bien dans cette
évolution ? J'ai cru comprendre tout à l'heure que vous le
souhaitiez. Nous avons quelques inquiétudes, il faut les dire.
Tout d'abord, nous avons le sentiment que pour ce qui concerne l'application de
la loi votée, dont les décrets sont sortis, il y a des
réticences sur le terrain et, au niveau des administrations de terrain,
des interrogations et des délais beaucoup trop longs pour mettre en
oeuvre les dispositions prises.
Je voudrais rendre hommage à la DATAR, parce que sa charge n'est pas
facile. Je salue un délégué qui est aussi un homme de
terrain, ce qui rend la situation plus efficace.
Dans les départements, il faudrait que les responsables administratifs
sur place se sentent beaucoup plus motivés pour que la mise en oeuvre
des décrets d'application soit plus rapide.
Nous sommes confrontés à des discussions très dures sur le
terrain, sur la mise en place, par exemple, des schémas
départementaux des services publics qui se télescopent avec la
préparation de l'ensemble des dispositions que nous devons prendre,
notamment dans le monde rural, pour préserver la présence des
services publics et, bien souvent, les solutions ne sont pas faciles à
trouver. Il y a là, peut-être, un peu plus de dynamisme à
mettre en place.
Une autre question concerne les crédits. M. Jean François-Poncet
vous en a parlé. Vous avez ouvert des perspectives parfaitement
suffisantes, nous les approuvons et nous vous soutenons. Mais comment
pouvons-nous nous engager si, au même moment, il n'y a pas une
autorité qui, au niveau de l'Etat, doit être celle du Premier
ministre -et il sera interrogé cet après-midi sur ce point
précis- qui tranche dans les choix d'aménagement du territoire et
peut permettre à cette politique de disposer des moyens financiers dont
elle a besoin ? Car au moment où nous nous engageons dans cette
perspective, nous avons fixé des objectifs, monsieur le ministre, et les
vôtres nous donnent totale satisfaction.
Si, sur le terrain, nous sommes privés des fonds nécessaires pour
la mettre en oeuvre, il est bien évident que parmi les élus
locaux, il y aura dans les prochains mois quelques sentiments de frustration.
Alors, j'appelle l'attention du gouvernement et du Premier ministre qui doit
arbitrer en la matière. Il doit bien faire attention que les
crédits nécessaires au déroulement normal de la politique
que nous avons engagée ensemble puissent être
libérés et surtout ne soient pas gelés. A partir de
là, nous nous heurterons à des contraintes insurmontables sur le
terrain.
Ensuite, vous avez parlé de la responsabilité des élus.
J'estime que cette loi est une loi de responsabilisation des élus et
nous sommes tout à fait d'accord pour l'assumer.
Au fur et à mesure de l'accélération de la
décentralisation, autre question : est-ce que la loi va jusqu'au
bout de ce qu'il aurait fallu faire pour achever la
décentralisation ?
Au moment où on s'engage dans une déconcentration plus forte, il
faut que l'Etat garde son rôle prioritaire au niveau de l'harmonisation,
de l'incitation et de la coordination. L'équité entre les
territoires, c'est le rôle de l'Etat.
Quid de la mécanique nationale mise en place à travers le plan,
la DATAR et la répartition des compétences des
ministères ? Nous souhaiterions que celui de l'Aménagement
du Territoire voie s'élargir le champ de ses compétences, afin
d'avoir les véritables moyens de préserver ses équilibres
indispensables.
Nous parlions à l'instant de l'achèvement de la
décentralisation. Nous avons manqué de courage -j'assume
totalement la responsabilité du côté Assemblée
nationale- j'ai manqué de courage en tant que rapporteur, parce que je
n'ai pas pu ou je n'ai pas su aller plus loin en matière de
clarification des compétences.
Nous n'avons pas su ou pas pu aller plus loin non plus en matière
d'équilibre financier et de justice. Je rends hommage au sénateur
président Jean François-Poncet qui a pu mettre en place le
système de péréquation à travers cette fourchette
80-120.
Je vous pose une question, monsieur le ministre. J'ai, pour ma part,
créé l'indice synthétique qui permet d'évaluer les
richesses et les ressources et l'écart entre les deux.
Dans l'année qui vient, allons-nous véritablement savoir si
toutes les mesures prises, si toutes les lois aux discussions desquelles nous
avons participé très récemment s'inscrivent dans la
fourchette 80-120 et dans quel délai serons-nous en mesure de proposer
aux collectivités territoriales un dispositif qui, véritablement,
permettra de respecter cet objectif fixé ?
C'est très important et la péréquation riches-pauvres ne
peut pas se faire par un coup de baguette magique, mais il faut fixer des
objectifs aux élus locaux et un calendrier de travail. C'est une
question supplémentaire que je vous pose.
Pour terminer -pas parce que je suis élu des zones de montagne, on sait
ici que je les défends et le sénateur Jean François-Poncet
défend avec beaucoup d'autres le monde rural, ce n'est pas un plaidoyer
pro domo- je voudrais qu'on soit bien sûr, monsieur le ministre, que les
objectifs que vous avez fixés s'inscrivent bien dans cette perspective
de rétablissement des équilibres, de compensation des handicaps,
de telle sorte que les deux parties des territoires soient traitées
d'une manière réellement équitable.
Nous approuvons la politique en faveur de l'avenir, nous soutenons les
décisions que vous avez prises. D'ailleurs, je les ai votées en
assemblée avec mes collègues avec enthousiasme. Bravo !
Nous voudrions au même moment, en termes d'affichage mais aussi de
réalisation, être bien certains que tout n'est pas fondé
sur les zonages. Nous sommes parfaitement conscients qu'une politique de
soutien à la revitalisation rurale n'est pas seulement une politique de
zonage, ce n'est qu'un moyen. Nous en avons inventé un autre,
révolutionnaire : la fiscalité dérogatoire. Nous
voudrions que la combinaison de ces moyens -renforcés par d'autres que
vous aller nous aider à inventer pour les consolider- et cette
complémentarité soient préservées.
Une question : n'est-il pas possible de lancer dans les zones rurales de
revitalisation des zones franches ? M. Jean François-Poncet
l'a proposé au Conseil national de l'aménagement du territoire.
600.000 personnes sont prises en charge dans le cadre des zones franches
urbaines. Pourquoi ne pas tenter les mêmes expériences dans le
cadre des zones franches rurales ?
Vous avez terminé sur trois propositions pour l'avenir. J'ai le souvenir
d'une proposition tenace issue du fin fond de l'administration
française. En 1985, l'INSEE proposait de créer de grandes
mégalopoles et des regroupements urbains avec, à
côté, des territoires écologiquement
protégés. C'est une tendance qui existe, elle est réelle.
Nous nous heurtons, dans le rural profond, en permanence à elle.
Le jour où on aura saisi -c'est le principe de la loi, vous l'avez
compris, monsieur le ministre, et je vous en remercie- que ce que nous voulons,
ce n'est pas développer le monde rural pour le plaisir, mais casser le
principe ou le processus des migrations internes et faire en sorte que soient
proposées -dans l'activité qui crée la richesse et qui met
en oeuvre le développement- les mêmes possibilités dans le
monde rural que dans le monde urbain, afin d'aider les maires des grandes
villes à éviter la surabondance de population dans les banlieues,
on aura bien avancé.
Ce que vous avez dit en choisissant la troisième proposition nous
convient : "France intégrée et maillée". D'accord.
"Une solidarité des territoires riches et pauvres". Parfait.
Un espace de respiration : je voudrais que nous soyons bien d'accord pour
que le monde rural dispose des moyens nécessaires à son
développement -nous sommes capables de l'assumer. Nous voulons que les
instruments créés soient renforcés et faire en sorte
qu'à Paris, au gouvernement -nous vous faisons confiance pour cela- les
choix opérés soient toujours parfaitement
équilibrés, afin que la confiance qui, depuis une dizaine
d'années, a disparu au niveau des élus, soit rétablie.
Monsieur le ministre, est-ce bien le troisième schéma ? Le
respect des équilibres que vous avez assuré vouloir
défendre et enfin un calendrier que l'Assemblée et le
Sénat, bien sûr, s'engagent à soutenir pour vous aider
à réussir dans cette nouvelle politique d'aménagement du
territoire.
Je vous remercie du fond du coeur, en quatre mois, avec le gouvernement d'Alain
Juppé, d'avoir réalisé ce travail considérable.
Nous vous soutenons.
Il y a des questions à poser, je ne les ai peut-être pas toutes
évoquées, mais je souhaiterais maintenant pouvoir ouvrir le
débat. Merci.
(Applaudissements).
M. Jean François-Poncet
.- Monsieur le ministre, je vous
propose, avant de répondre aux questions de Patrick Ollier, de voir s'il
y en a d'autres dans la salle.
Un intervenant
.
- Créer d'autres aires de
métropolisation, cela m'amène à vous poser la question
suivante : faut-il laisser des espaces interstitiels qui seront un autre
poumon ? Est-ce que ces aires ne sont pas en contradiction avec
l'équilibre vis-à-vis monde rural ?
M. Jacques Larché
Président de la Commission des
lois du Sénat.- Une remarque sur le principe d'une loi qui, dans son
essence, est évidemment positive. Il restera le problème de sa
mise en oeuvre, bien sûr.
Toute bonne mesure, à un moment quelconque, peut avoir des effets
pervers. Nous sommes en train de vivre un système qui se manifeste dans
bon nombre de parties du territoire ; il est en train de transformer la
mentalité des entreprises. Actuellement, pas une seule ne cherche
à s'installer quelque part sans aller, au préalable, à la
chasse aux primes, avec comme ligne directrice de comparer les avantages
acquis, d'obtenir le maximum d'aide de la puissance publique, sans pour autant
qu'elle soit toujours strictement nécessaire et absolument
justifiée.
C'est un système que nous vivons, dont nous voyons le
développement avec une certaine inquiétude, car l'entreprise qui,
normalement, doit fonder son avenir sur un projet strictement
économique, est en train de se transformer, à certains
égards -je ne veux pas généraliser- en mécanisme
à la recherche d'une assistance. Je ne sais pas si,
économiquement, ceci sera positif à long terme.
(Applaudissements).
M. Pierre Laffitte.
- Comme tout le monde,
monsieur le ministre, j'ai apprécié votre engagement et votre
compétence, en particulier en ce qui concerne l'entrée dans la
société d'information, ce qui est probablement la meilleure des
réponses à la question : "Ne va-t-on pas fabriquer cinq
micro-bananes bleues ? "J'aimerais avoir des précisions sur vos
intentions, notamment en ce qui concerne la politique des sites
numériques pour laquelle la DATAR a pris quelques indications sur
certaines régions, voire même certains départements.
M. Jean François-Poncet
.- Je donne tout de suite la parole
au ministre. Je veux simplement dire à Patrick Ollier que je m'associe
à ses questions, ainsi qu'aux suivantes de nos collègues
sénateurs.
Je voudrais faire une observation sur la métropolisation. C'est une peu
une "tarte à la crème". Je mets en garde, notamment le
délégué à l'aménagement du territoire, parce
qu'à mon avis, cette tendance ne tient pas compte des toutes
dernières indications venant des Etats-Unis. On assiste au contraire
-pour diverses raisons dont quelques-unes n'ont rien d'économique, elles
tiennent à la sécurité, l'immigration, etc.- au
début d'un retour du pendule qui quitte les grandes
agglomérations pour aller vers des zones beaucoup moins habitées.
Ce n'est pas l'espace rural au sens où on l'entendait, il est
hyper-moderne, c'est celui de Pierre Laffitte, mais pas celui de nos
grands-parents. Je sais qu'en disant cela, on heurte les credo fixés.
Quand on met en discussion les arguments contraires, ils sont en
général balayés.
Par conséquent, je ne suis pas sûr que la métropolisation
indéfinie -sauf dans le tiers-monde où elle provoque les
conséquences que nous connaissons- soit aussi évidente que
certains l'affirment.
Je partage quelques-unes des inquiétudes, en vous entendant
décrire cette France métropolisée avec, entre les
métropoles, des espaces de respiration. Il y a là, me
semble-t-il, une interrogation.
Si je peux me permettre une observation à mon collègue
Larché, qui rejoint nos constatations : si on veut attirer dans les
zones fragiles, par opposition aux zones attractives, il faut bien des
discriminations positives ou alors, on abandonne tout esprit de volontarisme.
Par ailleurs, dans le monde entier, ces pratiques existent. Si, dans sa
grandeur, la France traçait une croix sur les siennes, elle ne serait
pas suivie par les autres.
Aujourd'hui, la première question que pose une entreprise japonaise ou
américaine qui veut s'installer en France, c'est : "Ne ferais-je
pas mieux d'aller en Irlande, en raison des privilèges fiscaux ou en
Ecosse, en raison de telle ou telle disposition sociale plus
avantageuse ?".
M. Jean-Claude Gaudin, ministre de l'aménagement du territoire, de
la ville et de l'intégration.
- Monsieur le Président,
toutes ces questions sont très intéressantes. J'ai employé
un terme peut-être provocateur, mais je ne le regrette pas, car cela nous
permet un débat très au fond sur toutes ces questions.
Concernant les crédits, je répondrai à M. Ollier que nous
sommes quand même à 6 milliards d'engagements dans l'année
1996. Bien entendu, on peut toujours demander plus, mais, dans le contexte
budgétaire et économique qui est le nôtre, avec la ligne
directrice fixée par le Président de la République et le
Premier ministre sur la monnaie unique à l'horizon 1999, il est certain
que tous les ministères doivent faire un effort financier. Nous y sommes
prêts aussi !
En échange de la demande qui nous est formulée, nous voudrions
avec la DATAR bien cerner tous les projets. Souvent, par facilité, par
habitude, les gouvernements successifs -personne n'y échappe, et les
collectivités territoriales pas davantage- vont quelquefois vers le
saupoudrage. Je prends l'engagement que nous allons éviter cela ! Sur le
FNADT, nous ne retiendrons que des projets d'importance, des projets
sérieux. Je serai donc amené à répondre
positivement quelquefois. Quand ce sera négatif, c'est le
délégué à la DATAR qui le fera...
Il faut donc savoir à la fois faire une chose et le dire en même
temps. Nous devons faire un effort, et nous allons le faire dans ce domaine.
Six milliards constituent malgré tout une somme importante.
Néanmoins, le président Jean François-Poncet et Patrick
Ollier pourront en toucher un mot à Alain Lamassoure. Cela m'aidera !
J'ai compris que tel était votre état d'esprit. Bien entendu, la
solidarité gouvernementale existe, mais quand les messages sont
répétés, ils finissent par être entendus !
S'agissant des compétences, Dominique Perben vous en parlera tout
à l'heure. Quant à notre texte sur le monde rural, Raymond-Max
Aubert y reviendra bien évidemment.
Patrick Ollier a posé une question très franche et très
loyale : créerez-vous des zones franches dans les zones de
revitalisation rurale, à l'instar des quartiers urbains ? La
réponse est non. La volonté du Gouvernement est de traiter avec
équité les parties les plus fragiles du territoire, qu'elles
soient urbaines ou rurales.
La problématique n'est cependant pas la même dans les deux cas.
Les zones franches urbaines concerneront des espaces géographiques
très restreints et moins de 1 % de la population française.
Néanmoins, nous sommes sensibles à votre argumentation et nous
pensons que le Parlement -aussi bien l'Assemblée nationale que le
Sénat- y reviendra. Notre projet de loi sur le monde rural doit donc
offrir les mêmes garanties, les mêmes possibilités, les
mêmes avantages. Déjà, dans les zones de revitalisation
rurale, il y a exonération des charges fiscales et sociales.
Nous ferons en sorte, si c'est nécessaire, d'établir
complètement la parité. Il n'est pas dans notre intention de
faire des zones franches dans les zones de revitalisation rurale, mais, par
contre, de donner d'une autre manière les mêmes avantages, de
façon à ce qu'il y ait effectivement équité.
(On dit : "C'est insuffisant !").
M. Jean-Claude Gaudin
.- Commençons par là ! Il faut
faire des efforts et nous les ferons ! Six milliards, ce s'est pas si mal !
Vous me l'avez déjà dit au Sénat : je ne partage pas votre
sentiment ! Je vous réponds avec toute la courtoisie qui sied à
un membre de la haute Assemblée ! Attendez de voir comment cela
fonctionne dans les zones de revitalisation rurale, attendez de voir tous les
avantages. S'ils ne sont pas suffisants, vous me le direz, et s'il y a
inégalité de traitement, je prends l'engagement que nous
rétablirons l'égalité !
Je réponds à M. Gerbaud, qui a parlé de "banane bleue",
qu'il faut organiser les aires métropolitaines pour
rééquilibrer les choses par rapport à Paris. Il faut les
créer pour irriguer le monde rural. C'est mieux si nous les
contrôlons que si nous n'arrivons pas à les contrôler ! Or,
organiser les aires métropolitaines ne signifie pas favoriser la
concentration urbaine : c'est composer avec elle pour en tirer le meilleur
parti. Voilà dans quel esprit nous sommes actuellement. Tout cela va
mériter échanges et débats.
Le Président Larché, suivant son habitude, nous met en garde. Il
a raison : aider une entreprise qui veut créer des emplois, supporter la
pression des gens qui vous demandent des créations d'emplois, engager
les ressources des collectivités locales, et arriver où ? A
Gigastorage ! ... Je me permettrai de conseiller aux élus locaux -et
j'en suis un- de faire effectivement très attention à la
façon dont on procède.
Puisque j'ai cité cet exemple, qui est d'actualité, j'y reviens,
avec l'autorisation de Jean François-Poncet. Le 7 novembre dernier, un
conseil interministériel accorde une prime d'aménagement du
territoire de 13,5 millions à l'entreprise Gigastorage. Je m'en
rappelle bien, car c'est le jour où Alain Juppé m'a
demandé d'entrer au Gouvernement !
Le 20 décembre, j'ai signé cette prime d'aménagement du
territoire. Mais, comme vous le savez tous, la prime d'aménagement du
territoire n'est donnée que pour autant qu'il y ait la création
d'emplois. Or, quel n'a pas été mon étonnement lorsque, le
22 décembre, j'apprends que, tout d'un coup, arrivent dans un avion
50 Malais, pour aller travailler dans cette entreprise ! Je
téléphone au ministre de l'intérieur, qui me répond
: "De toute manière, les Malais ne resteront pas ici. Ils descendent de
l'avion prendre l'air, reprennent l'avion et repartent dans leur pays. Parce
que la prime d'aménagement du territoire était plutôt faite
pour les Belfortains que pour les Malais !".
Bien que la DATAR ne soit pas un juge d'instruction, nous nous sommes
renseignés et nous avons appris que ce chef d'entreprise, à
Belfort, avait rencontré pas mal de difficultés et de
problèmes. Etant donné qu'on ne créait pas les emplois et
que nous avions des doutes, nous n'avons pas versé un centime. Pas un
franc de l'Etat n'a été versé dans cette entreprise !
Bien entendu, j'ai rencontré le député-maire de Belfort.
Lui-même insistait beaucoup -et de bonne foi- pour pouvoir créer
des emplois dans cette ville. On me dit que c'est sur la foi de la lettre
annonçant la prime d'aménagement du territoire que j'ai
signée que le conseil général de Belfort a aidé
cette entreprise. Il l'aidait, en fait, depuis 1994 ! C'était son droit
de le faire, mais c'était alors de sa seule responsabilité, et le
Gouvernement n'y est pour rien.
Néanmoins, il faut être extrêmement prudent, car, sous la
pression locale, on peut accepter d'engager des financements de nos
collectivités territoriales, et nous retrouver dans la situation dans
laquelle se trouve le président du conseil général du
territoire de Belfort !
(Applaudissements)
M. Jean François-Poncet, président
.- Je remercie le
ministre qui, a avec une grande liberté et un grand feu, a réagi
à nos différentes interrogations.
Je donne tout de suite la parole à Daniel Hoeffel, qui était
avec, Charles Pasqua, aux commandes au moment de l'élaboration de la
loi. Nous avons beaucoup travaillé avec lui et nul mieux que lui ne
pourra introduire les propos qui font venir maintenant sur la
coopération intercommunale d'une part et sur le problème de la
péréquation et des fonds d'autre part, qu'Alain Lamassoure
traitera devant nous...
IV. COMPÉTENCES ET FINANCES
A. introduction
INTRODUCTION DE M. DANIEL HOEFFEL,
ANCIEN MINISTRE,
SÉNATEUR DU BAS-RHIN
M. Daniel Hoeffel, sénateur du Bas-Rhin
.-
Monsieur le Président, Messieurs les ministres, Mesdames et Messieurs,
deux observations liminaires avant de formuler mes questions sur le volet des
compétences et des finances...
En premier lieu, il convient de rappeler que, dans l'esprit de la loi du
4 février, aménagement du territoire et
décentralisation vont de pair et ne sont pas incompatibles. En effet,
l'aménagement du territoire -et nous l'avons entendu tout à
l'heure- ne saurait être un quelconque prétexte pour une
recentralisation sur le terrain.
L'article premier de la loi dit bien que "la politique d'aménagement du
territoire est conduite par l'Etat, en association avec les
collectivités territoriales, dans le respect de leur libre
administration et des principes de la décentralisation".
L'aménagement du territoire suppose une volonté de l'Etat, mais
aussi, parallèlement, une mobilisation forte de l'ensemble des niveaux
des collectivités territoriales.
Seconde observation liminaire, cela a déjà été
rappelé, mais il faut le répéter : la loi
d'aménagement du territoire suppose une volonté
interministérielle fondée sur la continuité. Elle a
été préparée au Sénat au cours de quatre
années de travail de fond, et je tiens à rendre hommage au
président Jean François-Poncet et à sa commission. Cette
volonté, qui s'est exprimée avant la discussion de la loi, doit
s'exprimer sans discontinuité sur l'application de la loi. Tout
relâchement de cet effort, sous quelque prétexte que ce soit,
mettrait en péril la volonté d'aménagement du territoire !
C'est sous cet aspect que je poserai quatre séries de questions...
La nécessité de la clarification des compétences et des
finances à été une exigence forte qui s'est
exprimée tout au long du grand débat qui a eu lieu dans les
régions en 1993 et 1994. De toutes parts, les observations faites au
cours du grand débat nous ont rendus attentifs à la
nécessité de considérer clarification des
compétences et réforme des finances comme deux préalables
nécessaires à une politique d'aménagement du territoire
efficace.
C'est sous cet angle que je pose les questions au niveau des
compétences...
Nous le savons, les lois de décentralisation sont parties du principe
que des blocs de compétence nettement délimités
étaient une exigence forte.
Les contraintes budgétaires, la crise économique, qui n'ont
épargné aucun niveau d'administration depuis l'Etat jusqu'aux
communes, ont entraîné progressivement des confusions des
compétences et, souvent, les financements croisés
représentent le seul moyen pour réaliser, sur le terrain, un
certain nombre de grands équipements.
Comment revenir vers une clarification des compétences ? C'est une des
questions posées dans la loi, dans son article 65, qui souhaite par
ailleurs que, en le faisant par étape, on commence par la
définition de la notion de collectivité " chef de
file " pour chaque grand projet.
La deuxième série de questions concerne le volet des finances,
lui aussi omniprésent tout au long du grand débat, et
présent -ô combien !- dans les discussions parlementaires,
à l'Assemblée nationale comme au Sénat.
La question qui se pose là est de savoir comment l'on peut concilier
l'ambition forte que représente l'aménagement du territoire sur
le plan financier, avec les contraintes budgétaires que nous connaissons
à tous les niveaux, et que, probablement, nous connaîtrons encore
longtemps !
La loi a dégagé un certain nombre de pistes à ce propos.
La réduction de l'écart des ressources apparaît comme un
objectif fondamental, et il convient de rendre hommage au Sénat, qui en
a fait un des points forts du débat devant la haute Assemblée, en
demandant que soit retenue la notion de péréquation
financière entre les espaces régionaux, une
péréquation qui doit atteindre son objectif entre 1997 et l'an
2010, pour qu'aucune région ne se situe à moins de 80 % d'une
moyenne nationale, ni au-delà de 120 %.
Je me remémore bien ce débat, qui a finalement permis de
dégager une très nette majorité en faveur de la
péréquation, les uns y adhérant avec beaucoup de
conviction -c'était le cas du président et des rapporteurs-
d'autres l'adoptant avec une certaine résignation, d'autres encore
votant parce qu'on ne pouvait faire autrement, avec des sentiments plutôt
dubitatifs !
Mais, au Sénat, les convaincus l'ont largement emporté. Reste
à savoir maintenant comment cet objectif ambitieux peut être
traduit dans les faits. Ce fut un volet novateur, voire révolutionnaire
-le mot était tombé au Sénat, ce qui n'est pas
évident tous les jours ! Où en sommes-nous, Monsieur le Ministre
dans cette volonté d'atteindre cet objectif -sans compter les deux
autres, celui d'une réforme des finances locales, et
particulièrement de la taxe professionnelle, et celui de la mise en
oeuvre des mesures financières et fiscales dérogatoires ?
Enfin, avant dernière série d'observations : il est bien clair
-et cela a été rappelé- que s'il faut une volonté
forte de l'Etat, il faut aussi une mobilisation forte de l'ensemble des
collectivités territoriales, avec un renforcement d'un certain nombre de
principes : la coopération intercommunale, la coopération
interrégionale, la coopération transfrontalière,
l'émergence de la notion de pays.
Combien de débats passionnés, au Sénat en particulier,
pour essayer de définir sans équivoque cette notion de pays. Que
les choses soient bien claires : tout le monde était d'accord pour
affirmer que jamais le pays ne devrait être un niveau de
collectivité territoriale supplémentaire, dans un Etat où,
probablement -j'ose le dire !- nous en avons peut-être plutôt trop
que pas assez !
Où en est la concrétisation de cette notion de pays, sachant que
la loi a voulu que, dans un délai de 18 mois, des propositions soient
faites pour constater l'émergence spontanée des pays sur le
terrain, et non pas des pays imposés par le haut, ce qui serait la
négation même de la conception de l'aménagement du
territoire, qui a été celle du Gouvernement et du
législateur ?
Où en sont ces pays-tests, en particulier pays-tests préludes et
non pas pays-tests sources ou prétextes pour un enlisement ?
Je terminerai par une dernière observation générale, pour
rappeler que la loi d'aménagement du territoire poursuit un double
objectif. Le premier est de réduire les inégalités sur le
territoire national. La loi d'aménagement du territoire y contribue. La
réforme de la DGF y contribue. La politique européenne des fonds
structurels interfère de plus en plus, et lorsque l'on sait que 30 % du
budget européen vont vers les fonds structurels, on se rend compte que
le poids de l'Europe dans la concrétisation d'une politique
d'aménagement du territoire va peser de plus en plus lourdement.
Mais n'oublions pas que la politique d'aménagement du territoire
recherche également un second objectif : celui de préparer
l'insertion de notre territoire national dans l'espace européen
environnant. Cela doit nous amener à constater que la réduction
des inégalités financières en particulier sur notre
territoire -et j'approuve totalement Jean-Claude Gaudin- ne saurait être
interprétée comme une volonté de nivellement.
Si nous voulons tenir notre place dans l'espace européen, les points
forts du territoire doivent pouvoir s'affirmer face aux points forts dans
l'espace européen environnant.
Concilier la volonté de réduire les inégalités au
plan national avec le souci de nous insérer avec nos points forts dans
l'espace européen, telle est la conception que, tout au long du
débat, nous avons voulu préserver. C'est aussi sous cet angle,
Monsieur le Ministre, qu'avec beaucoup d'intérêt, nous attendons
vos réponses à ces questions relatives aux compétences et
aux finances.
(Applaudissements).
M. Jean François-Poncet, président
.- Je remercie
Daniel Hoeffel qui, avec la vigueur exceptionnelle qui lui est propre, a
rappelé un certain nombre des principes que j'évoquais ce matin,
qui sont en effet au coeur de la loi.
Je donne tout de suite la parole à M. Dominique Perben...
B. coopération intercommunale, pays, clarification des compétences
INTERVENTION DE M. DOMINIQUE PERBEN, MINISTRE DE LA FONCTION PUBLIQUE, DE LA RÉFORME DE L'ETAT ET DE LA DÉCENTRALISATION
M. Dominique Perben, ministre de la fonction publique,
de la réforme de l'Etat et de la décentralisation
.- Je
voudrais tout d'abord évoquer l'intercommunalité pour faire le
point de la situation et évoquer les perspectives dans lesquelles se
situe le Gouvernement en cette année 1996.
Les enjeux, sur ce sujet, vont bien au-delà des modalités
techniques d'intervention des collectivités territoriales. La question
qui se pose est de savoir si la poursuite ou non de l'intercommunalité
sous ces formes actuelles va permettre une amélioration de l'action
administrative, et en particulier sa simplification.
En effet, ce qui est en cause, ce n'est pas le bien-fondé de la
coopération intercommunale. Tout le monde est d'accord sur son
intérêt. Il n'est pas une seule commune qui ne soit membre d'au
moins un syndicat de communes, et plus de 13.000 communes, correspondant
à 28 millions d'habitants, ont aujourd'hui choisi de participer à
des groupements à fiscalité propre.
Il faut en même temps reconnaître que le succès de la
formule a contribué à rendre encore plus complexe notre
système d'administration locale. C'est sur ce point que nous devons
porter notre réflexion.
Pourquoi avons-nous un tel foisonnement intercommunal ? C'est bien sûr du
fait de la diversité extrême de nos communes, fruit de l'histoire
de notre pays. De cette diversité est née une prise de conscience
de l'intérêt -voire de la nécessité- de mettre en
commun des moyens pour gérer des services publics ou des
équipements.
Puis, prolongeant cette dimension, la coopération intercommunale est
devenue progressivement un instrument de politique solidaire
d'aménagement, de développement économique et de
répartition de charges et de ressources.
Aussi, l'intercommunalité permet-elle d'assurer une certaine
solidarité entre communes rurales, et, de manière souvent
intéressante, un élément de solidarité entre
communes rurales et urbaines.
Par ailleurs, le développement de ce qu'il est convenu d'appeler
l'intercommunalité intégrée ou de projet est un
élément assez novateur, sur lequel nous aurons
intérêt à réfléchir, à l'occasion du
rapport que j'évoquerai dans quelques instants. Il me semble qu'elle
peut constituer un facteur décisif de maillage du territoire, en
encourageant la contribution des acteurs publics locaux à la
vitalité du tissu administratif, mais aussi social et économique.
Je voudrais, en réponse à Daniel Hoeffel, aborder la question du
pays... Le pays, comme cela a été dit avec force par Daniel
Hoeffel, n'est pas une institution nouvelle : il est une échelle
d'actions autour d'un projet de développement.
La phase d'expérimentation en cours et l'évaluation de ses
potentialités pour le développement local se poursuit sous
l'impulsion de la DATAR. Il nous faudra, le moment venu, en tirer un certain
nombre de conclusions quant au renforcement des capacités de
mobilisation et d'initiatives des services publics. C'est un des enjeux
importants au niveau local, qu'il s'agisse de l'Etat, mais aussi des
collectivités locales.
Selon des expériences concrètes que je connais personnellement,
il semble que cette dynamique de pays soit, là où elle est
tentée, assez enrichissante. En tout état de cause, elle mobilise
les élus, les socio-professionnels, en particulier dans le tissu rural,
et je suis convaincu qu'on pourra en tirer des enseignements
intéressants sur le mode de fonctionnement de nos services publics et la
manière de travailler sur un espace donné, en s'y mettant tous
ensemble d'une façon suffisamment coordonnée.
Je crois qu'il faudra néanmoins, s'agissant de
l'intercommunalité, que les règles en vigueur ne se traduisent
pas par une complexité et par des coûts croissants. C'est la
raison pour laquelle j'envisage de mettre au point le rapport prévu dans
la loi Pasqua, qui doit être remis au Parlement avant l'été
prochain. Nous sommes en train d'en réaliser une première
écriture. Lorsque ce projet sera prêt, je le ferai connaître
aux grandes associations d'élus, et nous pourrons ainsi ensemble
réfléchir à la forme définitive de ce rapport.
Au vu de l'analyse de ce qui s'est passé depuis quatre ans, un effort de
simplification de l'intercommunalité apparaît possible. La
diversité des formes d'organisation, des mécanismes de
fonctionnement, de représentation des communes sont excessives. Nous
devrions définir avec les différentes associations qui
connaissent bien ces sujets, dans ce qui pourrait prendre la forme d'un projet
de loi pour l'automne, des éléments de simplification de ces
structures, voire de réduction du nombre de formules intercommunales.
Je voudrais également évoquer l'environnement financier de
l'intercommunalité. Les mécanismes applicables en matière
de fiscalité doivent permettre un réel renforcement des
solidarités, et la mise en commun véritable des
compétences au sein des groupements. Cette phrase, qui paraît
anodine, encore faut-il que nous la respections dans l'esprit et
concrètement. La fiscalité doit évidemment en même
temps garantir un traitement neutre et homogène des entreprises.
C'est pourquoi, malgré la difficulté de l'exercice, j'accorde une
priorité à l'examen des moyens permettant de développer,
notamment en agglomération, le régime de mise en commun de la
taxe professionnelle. Ces instruments financiers doivent être
considérés comme de vrais outils de la politique
d'aménagement du territoire, et c'est pourquoi il nous faut avancer sur
ce terrain.
Parallèlement, il nous faut approfondir l'évaluation des
critères actuels de mesure de l'intégration des groupements, sur
la base desquels sont calculées les dotations de l'Etat. Mon objectif
est de privilégier toutes les formes d'intercommunalité qui
traduisent une véritable mobilisation des communes
représentées.
Aussi, l'intégration fiscale doit-elle être en adéquation
avec l'intégration des compétences. C'est un sujet sur lequel le
Comité des finances locales a attiré mon attention. Il faudra que
nous l'intégrions également dans le texte législatif que
j'envisage pour l'automne.
Un rapport sera disponible dans les prochaines semaines, dont nous discuterons
avec les grandes associations d'élus concernées, pour mettre au
point sa forme définitive permettant de déboucher sur un texte
ayant deux objectifs. Le premier est un objectif de simplification du
système intercommunal, avec subsidiairement, un objectif
déontologique, afin d'éviter la poursuite de
l'intercommunalité d'aubaine, dont chacun a quelques exemples en
tête.
Le second objectif est celui de la taxe professionnelle dans sa dimension
spatiale. Je laisse Alain Lamassoure évoquer éventuellement des
évolutions de la taxe professionnelle quant à ses
mécanismes de calcul et à sa relation avec le monde
économique.
Pour ce qui me concerne, je crois que nous renforcerons
l'intercommunalité dans la durée si nous donnons aux
différentes formes de coopération intercommunale la
possibilité de mettre en oeuvre une harmonisation progressive des taux
sur un espace économique homogène.
Le second volet de mon intervention concernera les compétences. C'est un
sujet extrêmement difficile dans sa dimension politique.
Toute entreprise de clarification des compétences devrait au moins
respecter deux principes simples : d'une part rechercher pour chaque
catégorie de collectivités des compétences claires et
homogènes, et d'autre part accompagner les transferts de
compétences des ressources et des personnels correspondants.
Nous sommes en effet dans une situation financière globale de
gêne, et tout transfert devient encore plus difficile. Lorsqu'il y a
contrainte financière généralisée, aussi bien pour
un partenaire que pour un autre, toute hypothèse de transfert devient un
problème extrêmement difficile. Il faut que nous en soyons
conscients, car cela peut peser lourdement sur toutes les idées que nous
avons les uns ou les autres.
Rechercher des compétences claires et homogènes implique qu'elles
soient adaptées à la nature, à la taille et aux objectifs
de chaque collectivité. Sur ce dernier point, le Gouvernement ne fera
pas abstraction des souhaits et des préoccupations des
collectivités et des associations qui les représentent.
Il existe trois grandes catégories de compétences. La
première regroupe les compétences qui font intervenir les
collectivités locales en tant que financeurs. Ces compétences se
traduisent par la répartition de crédits et l'instruction de
demandes de financement. C'est le cas des interventions économiques
qu'évoquait Jean-Claude Gaudin, ou des domaines comme l'animation
culturelle ou l'action touristique, qui, souvent, se résument à
instruire des dossiers et à répartir des crédits.
L'effort de rationalisation, dans ce premier cas de figure, devrait être
assez simple à mettre en oeuvre, à condition qu'on le
décide et qu'on le veuille. Sur ce type de compétences, on
pourrait appliquer le concept de collectivité locale " chef de
file ". Une piste pourrait être la délégation à
une seule collectivité, pour instruire le dossier et déclencher
les cofinancements, si on estime qu'on ne peut se passer de ceux-ci. Ce
pourrait être une première étape.
Une convention pourrait par exemple confier l'instruction au service
régional. Les départements apporteraient leur cofinancement sur
déclenchement de l'instruction au niveau régional. Cette piste me
paraît pouvoir éviter certains gaspillages budgétaires et
surtout gagner du temps, qui, comme chacun sait, vaut de l'argent !
Seconde catégorie de compétences où les choses se
compliquent : celles qui correspondent aux domaines où la
collectivité ne se contente pas seulement de financer mais gère
des équipements nécessitant la mise en place de moyens
budgétaires et de personnels. Tel est le cas des compétences que
les conseils généraux assument en matière de routes ou
d'équipements scolaires. C'est sans doute dans ce cas de figure qu'il
nous faut raisonner de façon rigoureuse en termes de bloc de
compétences homogènes.
Enfin, troisième cas de figure -de loin le plus complexe : celui
où l'exercice de la compétence se traduit également dans
le respect de la législation nationale, par la définition de
politiques locales particulières. Il s'agit bien évidemment pour
l'essentiel du domaine de l'action sociale.
Il faut éviter dans ce domaine les dispositifs de cogestion, et je sais
que c'est une de vos préoccupations. Mais il est des domaines, comme
l'action sociale, qui ne peuvent être, pour au moins un certain temps,
financés exclusivement par un seul niveau de collectivité. Je
citerai le RMI, ou un certain nombre de modalités d'attribution
d'allocations, dont les caractéristiques ne peuvent être que
nationales.
L'évolution constatée ces dix dernières années a
montré la limite de la clarification opérée en 1983. Il
faut incontestablement faire l'effort d'avancer sur ces sujets, en tenant
compte des trois types de compétences que j'ai
énumérées.
La seconde exigence est évidemment celle de la compensation
financière. Nous avons atteint un équilibre entre dotations et
ressources fiscales des collectivités territoriales, et il me
paraît bien difficile de continuer d'aller au-delà. Pourra-t-on
parler d'autonomie de gestion des collectivités territoriales si l'on
dépasse la barre des 50 % de dotation ? La compensation
d'éventuels nouveaux transferts pose ce problème, l'autre
hypothèse étant le transfert d'impôts. Or, on sait
aujourd'hui qu'en matière d'impôts localisables, on a atteint la
limite de ce qui est disponible. Nous buterons donc incontestablement sur cette
difficulté en cas de transfert de compétences.
La clarification des compétences est indispensable, en particulier dans
le domaine social, où nous avons à faire aux populations les plus
en difficulté, qui vivent le plus mal la complexité
administrative.
Il nous faudra avancer sur ces sujets, sous peine de voir apparaître -un
peu comme est née depuis quelques années une critique assez
sévère de l'opinion quant à l'efficacité de l'Etat-
un sentiment critique à l'égard de la gestion superposée
des collectivités territoriales.
Le paradoxe serait que cette réforme toute neuve à
l'échelle de l'histoire devienne assez rapidement un motif de critiques
quant à l'efficacité de nos institutions. Un des moyens de
l'éviter consiste à faire au plus vite un effort de clarification
des compétences.
(Applaudissements).
M. Jean François-Poncet, président .- Il me semble que nous n'avons pas abordé le sujet de la poursuite de la décentralisation, mais nous aurons d'autres occasions. La parole est maintenant au sénateur Jean-Marie Girault...
RÉPONSE DE M. JEAN-MARIE GIRAULT,
SÉNATEUR
DU CALVADOS,
CO-RAPPORTEUR DE LA LOI D'ORIENTATION AU SÉNAT
M. Jean-Marie Girault, sénateur du
Calvados
.- Je parlerai tout d'abord de la clarification des
compétences. L'idéal eût été de la faire au
moment des lois de décentralisation. Il y a beaucoup de richesses dans
ces lois, mais il y manquait l'essentiel, et pendant longtemps on a bien vu que
le jacobinisme continuait à faire vivre la France. On l'a
constaté à travers les initiatives que nous prenions et à
la façon dont nous n'étions pas entendus.
Il aurait peut-être été plus facile de déterminer
les compétences à une époque où les moyens
financiers étaient plus importants. Les choses sont devenues ce qu'elles
sont, les tiroirs tendent à se vider, mais on constate qu'à
l'occasion d'un dossier qui peut profiter à une région, à
un département ou à une ville en matière
d'équipements majeurs, c'est la collectivité qui a les plus gros
moyens qui tire les marrons du feu.
On assiste ainsi à des concurrences entre collectivités
territoriales, et celles qui ont le plus de revenus ont la chance de pouvoir
obtenir telle ou telle implantation. J'espère que, de ce
côté, le schéma national voté par le Parlement et
que les services préparent, créera certaines règles et
certaines normes, car l'Etat a le devoir de préparer l'organisation
interne de la Nation.
Cela provoque en effet des concurrences, au-delà des problèmes de
compétences. On a vu comment les choses ont évolué en
matière universitaire : il a bien fallu que les
départements, les régions, les villes, viennent compléter
l'effort de l'Etat.
Je souhaite beaucoup de volonté à M. Perben pour mettre au point
ce projet de loi, et je rappelle que vous avez dépassé le
délai d'un an conféré par la loi de 1995.
(Protestations du ministre).
M. Jean-Marie Girault
.- ... Ce n'est pas grave, car le sujet est
difficile... Je ne veux pas insister, mais il va falloir y mettre beaucoup
d'ordre. Il faut, de la part du Parlement, beaucoup de volonté
politique, car on oublie quelquefois les intérêts
généraux et on se trouve ramené à nos
intérêts territoriaux et particuliers !
Je me suis beaucoup battu au Sénat à propos de la notion de
" pays ". Je comprends bien ce qui peut se passer à la base.
Mettons de côté les interventions intempestives de préfets
pour essayer de gérer ce genre d'affaires. Je crois que la crainte
était la naissance d'une nouvelle institution s'ajoutant à tant
d'autres, notamment à l'intercommunalité. Ce n'est pas l'esprit
du " pays " : il s'agit de rassembler des élus, des
partenaires de toute nature, autour de problèmes qui visent un coin de
France, où une certaine communauté d'intérêt peut
exister sur différents plans -économique, démographique,
historique, géographique, culturel, touristique.
C'est une façon de monter un projet de grande agglomération par
exemple, et le rapprochement des bonnes volontés peut
précéder l'intercommunalité. Il ne s'agit donc pas de
créer une nouvelle institution -et je pense que c'est ainsi que les
choses sont vues au ministère- mais si le résultat pouvait amener
ces pays à institutionnaliser leur collaboration, nous n'y verrions tous
que des avantages ! C'est une façon de prendre le problème et de
répondre à une institution nouvelle...
D'autre part, on a beaucoup parlé de l'évolution des
agglomérations et de la métropolisation. J'ai insisté pour
éventuellement associer la ville-centre et l'espace rural au pays. En
effet, pour beaucoup, lorsqu'on parle de pays, on pense d'abord aux zones
rurales. J'en parle d'ailleurs d'expérience, bien qu'on n'ait pas
engagé une procédure de pays dans la région de Caen.
Néanmoins, l'interférence entre la ville-centre et l'espace rural
doit faire partir des préoccupations majeures en matière
d'aménagement du territoire.
Nous avons évité au Parlement un débat qui aurait pu
créer des antagonismes entre l'espace rural et les villes, chacun ayant
besoin de l'autre. On a là un très bon terrain de
réflexion, et je souhaite que les directives qui pourront être
données par le ministère ou la délégation de la
DATAR tiennent compte de cette réalité.
Dans les années 1960, nous avons assisté au grand exode rural.
Les villes-centres ont construit leurs nouveaux quartiers pour y faire face, et
n'ont rien demandé à personne. Aujourd'hui, elles souffrent
d'être trop denses. Dans certains milieux, on ne fait bien souvent que
constater ces problèmes. Or, nous avons aussi nos coeurs de ville dans
les grandes cités ou les cités moyennes, et ceux-ci sont en
péril. Soixante complexes cinématographiques se préparent
dans différentes agglomérations de France. Va-t-on assister,
après l'exode rural, à un exode vers des
périphéries américanisées ? Il y a un danger
considérable, et je souhaite que le Gouvernement en prenne conscience
à travers telle ou telle disposition, car on peut casser un
" pays " en laissant prendre certaines initiatives. Détruire
les coeurs de ville serait dramatique, et je souhaite que les réflexions
des ministère tiennent compte de cette réalité !
Enfin, quelques mots encore à propos de l'intercommunalité. J'en
suis un militant, et je souhaite beaucoup que la simplification aille à
son maximum. Vous connaissez le code Dalloz qui rend compte de
l'intercommunalité institutionnelle en France : c'est une petite
catastrophe ! Deux cents pages de textes !
On ajoute une intercommunalité à une autre. Il faut aujourd'hui
tenir compte d'une réalité. L'intercommunalité doit
comporter une stratégie qui ne consiste pas uniquement à mettre
des réseaux en commun. Si nous voulons avoir une bonne politique
d'intercommunalité, je crois qu'il faut que nous vivions de pragmatisme
et que nous laissions les élus prendre progressivement conscience des
compétences qu'ils peuvent mettre en commun. Ce qui a souvent
gêné l'intercommunalité, c'est l'obligation d'assumer un
certain nombre de compétences d'entrée de jeu, alors que, selon
les régions de France et les agglomérations, les
préoccupations ne sont pas forcément celles du
législateur. Et, si on n'accepte pas toutes les compétences
imposées par la loi, on ne peut se réunir en communauté de
villes ou de communes, même si je dois reconnaître de ce
côté beaucoup de vertus au district, qui n'a comme
compétence obligatoire que le service incendie. A Caen, nous avons pris
les dossiers que nous voulions traiter ensemble, en modifiant à chaque
fois nos statuts. Cela s'accompagne d'une pédagogie interne à
l'institution, mais les maires des plus petites communes, à
côté des maires des grandes communes, finissent par trouver des
terrains d'entente, au-delà des clivages politiques. Aussi
souhaiterais-je que le rapport que vous êtes en train de rédiger,
qui sera suivi d'un projet de loi, tienne compte de cette réalité.
Enfin, je souhaite que le Gouvernement nous propose une taxe professionnelle
d'agglomération unique, là où l'intercommunalité
existe. C'est essentiel, car il est insupportable que les communes les plus
riches soient celles qui partagent le moins. Cela n'a rien avoir avec la
politique, mais avec les hommes comme ils sont !
Si l'on veut atténuer les coûts de centralité de la ville,
l'une des solutions passe par la mise au point maximum des ressources d'une
agglomération, non seulement pour la solidarité, mais aussi pour
les implantations d'activités, qui se feront alors de façon plus
rationnelle. A l'heure actuelle, on va là où la taxe
professionnelle est la moins chère, mais non là où il faut
aller, dans le cadre de la politique d'aménagement du territoire !
Je vous souhaite bonne chance, Monsieur le Ministre !
(Applaudissements).
M. Jean François-Poncet,
président
.- L'intervention d'Alain Lamassoure est l'une des plus
attendues, ce qui ne veut pas dire que ce soit une des plus faciles ! Le
sujet de la péréquation, qui est au coeur de l'aménagement
du territoire est, chacun le sait, le sujet le plus délicat. C'est un
vrai barbelé, qu'on s'efforce de manipuler sans le faire vraiment
progresser depuis de nombreuses années !
Chacun comprend la nécessité pour le pays de remettre ses
finances d'aplomb. Dans ces conditions, chacun doit accepter des sacrifices. Va
pour 1996, mais qu'est-ce qui nous guette en 1997 ? Les rumeurs qui circulent
sur un gel de crédits de l'ordre de 25 % pour le FNADT et pour la prime
d'aménagement du territoire auraient-elles un quelconque fondement ?
C. péréquation, fonds, aides
INTERVENTION DE M. ALAIN LAMASSOURE,
MINISTRE
DÉLÉGUÉ AU BUDGET
M. Alain Lamassoure, ministre
délégué au budget
.- Monsieur le Président,
c'est avec beaucoup de plaisir et surtout de modestie que j'ai accepté
votre invitation, car je suis un élu local de très fraîche
date, étant adjoint d'une commune et président d'un petit
district urbain...
Je voudrais évoquer comme vous m'y invitez les aspects financiers de la
réforme, et notamment ses trois volets : la mise en place de la
création de nouveaux instruments financiers, tels qu'ils étaient
prévus notamment par la loi du 4 février 1995 ; la mise en place
des aides fiscales prévues pas la même loi et le problème
essentiel et délicat de la péréquation des ressources
entre les collectivités locales...
Le point de départ des réflexions du Quai de Bercy est
évidemment la situation budgétaire de notre pays, qui conditionne
tout le reste.
C'est à la bataille de Marengo que Bonaparte avait failli perdre,
l'artillerie ne s'étant pas déclenchée à temps.
Après la bataille, Bonaparte demande à Drouot pourquoi
l'artillerie n'a pas donné. Drouot répond : "Pour plusieurs
raisons. La première, c'est que nous n'avions pas de boulets !".
Naturellement, cette seule raison dispensait d'en donner d'autres !
Notre premier problème, c'est que nous n'avons pas de boulets ! En 1990,
le déficit des administrations publiques au sens large -Etat,
collectivités locales et Sécurité sociale- était de
95 milliards de francs, soit 1,5% de notre production nationale, et un petit
quart des besoins d'investissements de nos entreprises. C'était donc
supportable.
C'est à cette époque que la délégation
française a proposé qu'un critère de déficit public
soit introduit parmi les instruments de mesure permettant d'évaluer la
capacité des Etats membres de la Communauté européenne
d'entrer, le moment venu, dans l'Union monétaire.
Quatre ans après, nous avions dévalé la pente et nous nous
sommes retrouvés en 1993 à un total de déficit public
-essentiellement Etat et Sécurité sociale- de 450 milliards de
francs, représentant l'équivalent de 90 % des besoins
d'investissements des entreprises.
Dans ces conditions, il ne faut pas s'étonner que les taux
d'intérêt soient élevés. Le phénomène
que les économistes qualifient d'effet d'éviction a joué
à plein : l'Etat, obligé d'emprunter pour financer des frais de
fonctionnement et de personnels, assèche le marché financier, qui
a ainsi moins de disponibilités pour contribuer au financement de nos
entreprises. Bien entendu, nous travaillons sur le marché mondial ;
néanmoins, nous avons connu une période de dégradation
extraordinairement rapide !
Un dernier chiffre : dans le budget 1996, nous sommes obligés de
consacrer près de 230 milliards de francs aux seuls frais financiers de
la dette de l'Etat. C'est un ordre de grandeur comparable à ce que
rapporte aux collectivités locales l'ensemble des quatre recettes
fiscales majeures, et cela représente dix fois le fonds de compensation
de la TVA.
Enfin, en dépit de cette difficulté financière de base,
nous avons, dans le cadre des travaux préparatoires au budget 1996,
proposé aux collectivités locales un pacte de stabilité
qui garantit pour trois ans que l'ensemble des concours de l'Etat aux
collectivités locales évoluera au moins à un rythme
comparable à celui des prix, et, à l'intérieur de cette
enveloppe, que la DGF progressera à un rythme comparable aux
dépenses de l'Etat lui-même.
Ce cadre général exige malheureusement de l'ensemble des
collectivités publiques un effort de rigueur qui n'a pas eu de
précédents, malgré des progrès incontestables dans
les dernières années.
En dépit de cette situation, nous avons tenu, en 1995, dès la loi
de finances, et en 1996, à mettre en place -à une exception
près- les moyens financiers de la loi sur l'aménagement et le
développement du territoire.
Il s'agit du fonds national d'aménagement et développement du
territoire, avec 2 milliards de francs d'autorisations de programmes et
410 millions de crédits de paiement, du fonds de
péréquation des transports aériens, du fonds
d'investissement des transports terrestres et des voies navigables, du fonds de
gestion de l'espace rural et du fonds de péréquation.
Pour tous ces fonds, les textes d'application ont été pris et les
procédures mises en place. Certains ont un statut de compte
d'affectation spécial.
Ainsi, le fonds national d'investissement des transports terrestres et des
voies navigables a vu l'engagement de 1,7 milliards de crédits l'an
dernier, qui permettront d'engager de nombreuses actions, en matière
autoroutière par exemple, dans le Massif central.
En 1996, en dépit des gels inévitables, même sur ces sujets
prioritaires, l'ensemble des crédits routiers et autoroutiers devrait
s'accroître de 22 % par rapport à l'année
précédente.
Sur le même fonds sont financées de grandes opérations
fluviales : éléments de la liaison Rhin-Rhône, jonction de
la Seine avec les canaux du Nord, ou de la Seine avec le canal de la Moselle.
En matière ferroviaire, sont financées sur ce fonds la poursuite
du TGV-Méditerranée, l'opération dite "coulée
verte", liée à l'interconnexion des liaisons TGV en
Ile-de-France, et un certain nombre de liaisons ferroviaires régionales.
S'agissant du fonds de péréquation des transports aériens,
le comité de gestion qui s'est réuni il y a un peu plus d'un mois
a déclaré éligibles 21 lignes. Les critères
adoptés favorisent des liaisons de région à région.
Quant au fonds de gestion de l'espace rural, il a déjà
engagé un certain nombre d'actions correspondant à sa vocation,
notamment l'entretien et la protection des berges des fleuves et des
rivières et des chemins, la restauration des haies, la remise en
état de friche et l'entretien de zones humides.
Au total, l'ensemble de ces fonds disposera en 1996 de 6 milliards de francs,
contre 5,6 milliards en 1995, avec 115 millions pour le fonds de
péréquation des transports aériens, plus de 3 milliards
pour le fonds d'investissement des transports terrestres, 400 millions pour le
fonds de gestion de l'espace rural, un peu moins de 600 millions pour le fonds
national de péréquation.
Ces chiffres, qui correspondent donc à l'addition des fonds
créés par la loi de 1995, n'épuisent pas -loin de
là- l'ensemble des efforts financiers de l'Etat en faveur du
développement régional.
Si l'on ajoute l'action des divers ministères principalement
concernés par le développement régional, on aboutit dans
le budget 1996 à uns enveloppe de 54 milliards de francs. Enfin, la part
des crédits d'Etat consacrée en 1996 à l'exécution
des contrats Etat-régions représente un total de
81 milliards de francs, en augmentation sensible sur la période
quinquennale précédente.
Ces fonds sont donc en activité et ces moyens financiers à la
disposition de la politique d'aménagement et de développement du
territoire.
Je voudrais maintenant évoquer la solidarité financière
entre collectivités locales et la péréquation...
La réforme de la dotation globale de fonctionnement opérée
en 1993 et le fonctionnement du fonds national de péréquation
sont déjà applicables. Le Sénat et l'Assemblée ont
voté récemment la loi sur la solidarité financière
des communes...
On peut d'ores et déjà relever quatre points positifs. Tout
d'abord, la réforme de la DGF a permis un développement
très rapide de l'intercommunalité. En 1993, on comptait 469
établissements publics de coopération intercommunale : en 1996,
on en compte 1.243. Il s'agit presque d'un triplement, pour une population
regroupée de 25 millions d'habitants, alors qu'il y en avait moins de la
moitié il y a quatre ans.
J'ai été très intéressé par ce qui a
été dit dans la discussion précédente à
propos du rôle que doit jouer prioritairement la taxe professionnelle
dans l'encouragement de l'intercommunalité. Je crois en effet, à
la fois en tant que président d'un regroupement intercommunal et
ministre du budget, que la taxe professionnelle doit être cet instrument,
et c'est dans cet esprit que nous travaillons sur ce dossier essentiel.
Second enseignement intéressant : l'effort en faveur des
collectivités rurales s'est amplifié avec la création de
la dotation "solidarité rurale", dont le montant était de 1,3
milliard en 1995, et qui a atteint 1,6 milliard en 1996.
De même, l'effort en direction des collectivités urbaines en
difficulté particulière s'est accru avec la réforme de la
DSU. La DSU moyenne par habitant est passé de 54,93 francs à
61,95 francs. A ceci va s'ajouter l'effet de la réforme que le Parlement
vient de voter, qui va accroître la DSU de 50 %. Le mode de
répartition de cette dotation va être amélioré : les
communes de moins de 10.000 habitants vont pouvoir entrer dans le champ du
mécanisme, dont les moins peuplées étaient de facto
exclues, faute de respecter le critère de 1.100 logements sociaux.
Au total, d'ores et déjà, les mécanismes de
péréquation actuellement en vigueur ont permis de réduire
les inégalités qui existaient entre collectivités. En
incluant les effets du fonds de péréquation de la taxe
professionnelle, on constate, en comparant 1993 et 1995, que les écarts
d'attribution sont passés de 1 à 1,8.
D'autre part, tous les décrets d'application du volet
d'exonération fiscale contenus dans la loi Pasqua ont été
pris ou vont l'être dans les prochains jours. Il s'agit d'un volet
d'envergure considérable, d'un coût budgétaire annuel de 50
milliards de francs en année pleine. C'est un dispositif qui s'attaque
au coeur du problème, sa logique consistant à opposer au cumul de
handicaps dont souffrent un certain nombre de collectivité, de
région ou de pays, un cumul d'avantages fiscaux.
Au dispositif déjà existant prévu pas la loi de 1995 va
s'ajouter prochainement un complément important de la prochaine loi sur
l'intégration urbaine, qui prévoira notamment des
allégements extrêmement sensibles dans trois douzaines de zones
franches.
En revanche, certains points ne sont pas encore réglés, et je
voudrais vous dire quelles sont les difficultés que nous rencontrons. Je
citerai la mise en place du FNDE et l'application de l'article 68 de la loi
Pasqua s'agissant de la péréquation.
La loi avait prévu une demi-douzaine de fonds, dont un fonds national de
développement des entreprises, susceptible être alimenté
par des sources nationales, communautaires, budgétaires ou par
l'emprunt, et destiné à subventionner les investissements dans
certaines zones jugées prioritaires au sens de l'aménagement du
territoire.
Les difficultés budgétaires font que nous avons de très
grandes difficultés pour donner une dotation significative à ce
fond. En outre, le nouveau Gouvernement s'est engagé dans un politique
ambitieuse, d'une part en faveur des petites et moyennes entreprises et,
d'autre part, dans une politique de relance de la ville, dont certaines
dispositions donneront lieu à une loi qui sera soumise prochainement au
Parlement.
La question se pose pour nous de savoir comment nous coordonnons cet instrument
prévu par la loi de 1995, mais qui n'a pas encore été
créé, avec les éléments politiques nouveaux,
souvent très novateurs, qui comportent des dispositions
financières considérables, que représente le plan PME et
le plan de relance de la ville.
Lorsque nous avons fait réaliser le bilan de nos mécanismes
d'aide au développement régional, nous avons constaté
qu'il y avait encore trop de saupoudrage et de crédits
inutilisés, malgré les efforts de tous -administration d'Etat,
notamment préfectorale, DATAR, collectivités locales à
tous les niveaux.
Ainsi, au titre du FNADT, on a consacré l'année dernière 2
millions de francs pour une maternité collective de truies dans les
Hautes-Pyrénées, 2 millions de francs pour une sculpture
monumentale dans une vieille ville historique d'Indre-et-Loire, un million de
francs pour aménager la terrasse d'un hôtel de ville en Auvergne,
2 millions de francs pour un centre de vacances d'un comité d'entreprise
dans une île du littoral atlantique, 1,5 million pour un gîte
d'étape dans les Cévennes...
Chacun de ces investissements est utile, mais avons-nous besoin d'un fonds
national d'aménagement et de développement du territoire -et donc
du concours de l'ensemble des contribuables français- pour financer des
équipements de ce genre à ce niveau-là ? Personnellement,
je réponds non, et je considère que c'est probablement du
gaspillage financier, et plus encore un gaspillage de temps et une complication
de procédure inutile ! Ayons donc le courage de concentrer l'action sur
quelques opérations régionales importantes, plutôt que de
faire du saupoudrage !
Le complément logique du saupoudrage est la sous-consommation des
crédits. En matière de primes d'aménagement du territoire,
l'année dernière, un tiers des crédits à peu
près n'a pas été consommé !
Nous avons donc été amenés à procéder
à des gels, sur ces crédits comme sur les autres. Le chiffre
disponible reste très supérieur au chiffre consommé en
1995. C'est absurde et cela nous fait perdre aussi de l'argent européen,
dans la mesure où le principe d'additionnalité ne peut être
débloqué que si les aides nationales sont à la clé.
Je signale ce point non pour éluder les responsabilités du
Gouvernement ou les miennes. Mais pour essayer de faire en sorte que les moyens
financiers que nous pourrons y consacrer soient utilisés dans des
conditions meilleures que par le passé pour un certain nombre de fonds.
Enfin, s'agissant de la péréquation un calendrier prévoit
de mesurer la situation actuelle et les écarts à corriger, de
définir les instruments de mesure correspondant aux normes de
réduction des écarts par collectivité que nous souhaitons
nous fixer, et d'assurer la réduction de réduire ces
écarts.
L'article 68 prévoit de faire disparaître les écarts de
ressources calculés par habitant, compte tenu des charges, celui-ci ne
devant pas être supérieur ou inférieur à 20 % de la
moyenne régionale.
Cette démarche repose sur la construction d'un ou de plusieurs indices
synthétiques des ressources et des charges pour les collectivités
locales d'une part et pour les groupements d'autre part.
Nous avons engagé des études avec le concours d'universitaires,
et une première série de résultats pour les communes nous
laissent perplexes. Ils démontrent qu'au sein d'une même
région, les écarts de ressources sont contenus dans une
fourchette allant de 1 à 1,5. Ils sont inférieurs par rapport
à la moyenne.
Ces données sont encore incomplètes. Pour ces calculs, nous avons
tenu compte, côté ressources, d'une partie des dotations de l'Etat
et uniquement de la fiscalité directe. Pour des raisons de
comptabilité, nous nous heurtons à des difficultés
méthodologiques, que nous n'avons pas encore surmontées, dans la
prise en compte la totalité des taxes indirectes et des produits
domaniaux.
En outre, alors qu'au départ nous avions pensé que nous pourrions
nous mettre d'accord sur un seul indice synthétique permettant de
mesurer les écarts, il apparaît qu'il va en falloir plusieurs. En
effet, là où les charges ne sont pas les mêmes, il est
très difficile d'avoir un seul instrument de mesure.
En tout état de cause, nous devrions, dans les deux ou trois mois qui
viennent, disposer d'instruments nous permettant de mesurer ces écarts,
de manière à pouvoir en disposer et appliquer pleinement
l'article 68 de la loi, dont l'objectif est de parvenir à une
réduction, afin de faire en sorte qu'à la fracture sociale dont
pâtit hélas notre pays ne s'ajoute pas cette fracture
géographique dont nous avons trop longtemps souffert, et contre laquelle
a été conçue toute la politique d'aménagement et de
développement du territoire.
(Applaudissements).
M. Jean François-Poncet, président .- Je mentirais si je disais à Alain Lamassoure qu'il m'a totalement convaincu sur tous les points, et je ferai une ou deux observations après que Claude Belot aura pris la parole...
INTERVENTION DE M. CLAUDE BELOT,
SÉNATEUR DE
CHARENTE-MARITIME,
CO-RAPPORTEUR DE LA LOI D'ORIENTATION AU SÉNAT
M. Claude Belot, sénateur de
Charente-Maritime
.- Il est intéressant de voir ce qu'est devenue
une intention et, au-delà de l'intention, une volonté politique
forte, qui s'est exprimée il y a un peu plus d'un an dans cette maison
et à l'Assemblée nationale.
Le président François-Poncet nous avait prévenus
d'emblée -et je l'avais confirmé en tant que rapporteur du budget
des charges communes depuis un certain nombre d'années- qu'il n'y aurait
pas de " boulets ", au moins dans les caisses de l'Etat,
pour mener
la bataille du Luxembourg. Il faudra donc faire sans, mais il faudra le faire !
En effet, il nous semble qu'une partie de la solution des problèmes
financiers de la Nation se trouve précisément dans la
résorption du déséquilibre du territoire. Ce n'est pas la
peine de chercher très loin : tout le monde en ce moment porte son
regard sur les déficits de la SNCF, et l'on constate bien que le train
du Massif central n'a pas de voyageurs et coûte cher ! Les voyageurs
seraient plus nombreux si la population était plus importante ; de ce
fait, il y aurait moins de déficit à la SNCF et ainsi le Ministre
du Budget aurait moins à lui donner.
Ce raisonnement, on peut le tenir dans tous les domaines sans exception : une
route, une autoroute, qu'elle transporte 3.000 véhicules par jour ou
30.000, coûte le même prix. Et si le territoire était mieux
équilibré au niveau de ses territoires et de sa population, il
est vraisemblable qu'il y aurait moins à investir dans la région
parisienne ! Nous vous ferions économiser beaucoup de
" boulets " si le territoire était mieux
équilibré. Dans notre esprit, il convenait de conduire le combat
pour une grande cause, également financière. Il n'y avait pas
prioritairement de volonté de redistribution, au nom d'une justice
immanente. Il s'agissait surtout d'un calcul dans l'intérêt de la
Nation, car il ne s'agissait pas seulement de gagner la bataille du Luxembourg,
mais également de remporter une victoire pour la France !
Je vous ai entendu évoquer les munitions : je crois qu'elles seraient
beaucoup plus importantes dans les années suivantes, si le territoire
est mieux équilibré ! Je ne veux pas mener à nouveau le
débat passionné que nous avons eu avec Daniel Hoeffel, qui savait
que nous défendions une bonne cause...
Quant à la péréquation, elle existe partout en France,
mais il y a, du fait de l'inégalité des bases de taxe
professionnelle, des différences de ressources considérables
entre les collectivités. Les plus riches n'ont pas le sentiment d'avoir
trop d'argent ; les plus pauvres essaient de faire comme elles peuvent.
Dans notre esprit toutefois, la péréquation constituait un moyen
de donner aux pays, aux intercommunalités, aux districts, aux
départements, une capacité à entreprendre qui leur manque
cruellement ! Ce ne sont pas les idées qui manquent mais les moyens de
les mettre en oeuvre ! Il s'agissait donc dans notre esprit de donner à
ces espaces organisés une capacité d'entreprendre qu'elles
avaient perdu. Tout le débat sur l'aménagement du territoire sera
vain si les acteurs locaux n'ont pas les moyens de mettre en oeuvre leurs
idées et leurs projets.
Nous savons que la péréquation est une chose difficile, mais nous
l'avons voulue comme une longue marche. Nous savons fort bien que ce n'est pas
en un an ou deux que tout cela va changer, mais, en vingt ans, il faut
impérativement -si l'on veut que ce pays trouve dans tous ses
territoires la force de vivre- que nous arrivions aux objectifs fixés :
c'est impératif !
Si nous commençons dès 1996, dans vingt ans, du chemin aura
été parcouru ! Nous vivons dans une conjoncture qui n'est
pas facile, mais il y a urgence dans certaines banlieues, dans certaines zones,
et c'est la raison pour laquelle il ne faut pas atermoyer trop longtemps pour
la création de ce fonds pour le développement des entreprises.
Ce fonds, nous l'avons conçu et voulu comme une mesure d'urgence. Si les
règles de création ou de développement d'entreprises sont
les règles de droit commun dans telle ou telle zone que nous connaissons
bien, il est inutile d'en parler et de faire un fonds : elles ne se
créeront point ! Il faut prioritairement des zones à
fiscalité dérogatoire, des zones particulières. Il faut
que l'Etat intervienne dans ce domaine, qu'il trouve des solutions avec ses
propres moyens, avec ceux des régions ou des départements, mais
qu'il les trouve !
Je sais qu'il y a beaucoup de réticences à la direction du
Trésor. Dans la France jacobine, uniforme, il est un peu choquant que
des entreprises puissent se créer différemment de ce qui se passe
en région parisienne. Mais si cela ne se fait pas, il ne se passera
rien, et la direction du Trésor -qui siège dans des conseils
d'administration de banques ou d'assurances où l'on a trouvé des
milliards pour les bureaux en région parisienne- devrait
considérer qu'il y a urgence ailleurs !
Deux cents milliards ont été ou seront ainsi provisionnés,
ce qui représente une perte d'impôt sur les sociétés
de 70 milliards ! Lorsqu'on parle d'un chiffre de 7 milliards pour le FNADT, on
est bien au-dessous de la mesure. Il aurait été plus judicieux
que la volonté s'exprime en faveur des territoires en difficulté
! Mais c'est le passé, et vous n'y pouvez rien, Monsieur le Ministre.
Cela s'est passé il y a un certain nombre d'années, et nous en
payons aujourd'hui les conséquences, ce qui prouve que les moyens
existaient et qu'ils existent sans doute encore...
Enfin, je voudrais évoquer l'état d'esprit dans lequel tout cela
est mis en oeuvre. Certes, à Paris, on a le sentiment que beaucoup de
choses ont changé depuis cette loi, dont tout le monde a commencé
par rire. Vous disiez que l'an dernier, les crédits n'avaient pas
été utilisés. En Charente-Maritime, le préfet du
département a consenti -malgré de nombreuses requêtes de ma
part et de celle des autres parlementaires- à réunir la
Commission du Fonds départemental d'aménagement de l'espace rural
le 12 ou le 13 décembre ! Comment voulez-vous qu'il ait
été engagé un centime avant le 31 décembre ? On
gèle donc les crédits et le préfet prétend qu'il ne
peut réunir ce comité avant d'avoir des crédits
notifiés -et il a sans doute raison ! Il faut cesser ce petit jeu !
Je voudrais dire à Dominique Perben que l'absence de débat avec
les préfectures de région constitue une pratique surprenante, et
à coup sûr contraire à l'esprit de la loi et de ceux qui
l'on portée... En effet, la seule préoccupation des SGAR -et eux
seuls- est de trouver les moyens de renforcer la capitale régionale,
allant ainsi à l'encontre de l'esprit de la loi ! Ce n'est pas ce que
nous avions voulu faire ! Il faut donc demander aux préfets de
région et aux SGAR de consulter les présidents de conseils
généraux, les maires et tous ceux qui peuvent parler au nom du
territoire, et qui ne sont pas sans idées !
Nous avons vécu cette loi comme un texte important et un acte de foi
dans l'avenir de notre pays, comme un moyen de changer à coup sûr
des processus cumulatifs qui étaient en train de tuer notre pays !
Faites en sorte, Messieurs les Ministres, que ces textes restent dans l'esprit
dans lequel ils ont été conçus. Il en va de
l'intérêt de la France !
(Applaudissements).
M. Jean François-Poncet,
président
.- Comme vous avez pu le constater, nous n'avions pas
l'intention de nous limiter à des monologues ! Le débat est
déjà largement engagé, dans la plus grande liberté
d'expression, ce dont je me félicite. Ce que Claude Belot a dit,
d'autres, sans doute, auraient pu le dire !
La parole est maintenant à Patrick Ollier, puis au sénateur
Laffitte...
M. Patrick Ollier, député des Hautes-Alpes
.- Je
félicite M. Lamassoure de tous ce qu'il fait pour mettre la loi en
place. J'imagine la complexité de l'indice synthétique, mais il
est important pour nous, afin d'arriver à cheminer dans les arcanes de
la fiscalité locale et des ressources locales.
Ma question portera sur ce qui me semble être un énorme malentendu
entre nous -et j'y vois là une relation de cause à effet facile
à établir. Vous avez dit que le Gouvernement gelait cette
année 375 millions du FNADT parce qu'une partie n'a pas
été consommée.
Je comprends cette démarche, et je me suis moi aussi trouvé par
le passé de l'autre côté de la barrière, et j'ai
pratiqué cette sorte de suggestion, pour aller vers l'économie.
Mais si l'on recourt à cette politique, nous retirons tous les moyens
à la loi ! Nous avons eu trois mois pour mettre en place les projets,
qui ne pouvaient être que des projets de développement. Dans
certains départements, cela n'a pas dépassé le mois et
demi ! Nous n'avons pas pu le faire et les crédits n'ont donc pas
été consommés ! Je voudrais donc que vous regardiez vers
l'administration de l'Etat et vers vos services !
Par ailleurs, vous avez parlé du saupoudrage. Nous avons voulu
l'empêcher, en le qualifiant même de "saupoudrage-copinage", et
nous avons donc gelé les fonds. Le saupoudrage n'est pas le fait de
donner de petites subventions à des projets de développements,
mais d'attribuer des subventions inutiles, qui ne sont pas fondées sur
le développement. Je voudrais donc qu'on revoie le critère
d'attribution.
Pour moi, le seul critère qui vaille, quel que soit le montant de la
subvention, c'est le fait de recréer de la richesse, de l'emploi et du
dynamisme économique ! Nous savons le faire dans nos
départements, mais si on nous explique qu'on ne peut nous aider parce
que notre projet n'est pas assez important, on inverse alors totalement la
procédure qui a été créée pour soutenir ces
créations d'emplois ! Pour nous, il s'agit du fondement même des
réformes que nous avons créées dans la loi !
(Applaudissements).
M. Pierre Laffitte, sénateur des
Alpes-Maritimes
.- Les fonctionnaires parisiens -j'ai moi-même
fait partie d'un des grands corps de l'Etat- ont pour habitude de concevoir des
relations économiques colbertistes. Or, on sait que ce ne sont pas les
grandes entreprises qui créent les emplois, mais les petites entreprises
et les entreprises naissantes.
Pour ma part, je considère qu'un millier de petites entreprises qui
créeraient des unités de télé-services ou de
télé-travail dans un millier de petites localités, voire
dans des quartiers difficiles de grandes villes, constituent une perspective
plus intéressante que le fait de dépenser un demi-milliard pour
une grande infrastructure...
A priori, il faudrait donc privilégier les petits projets par rapport
aux grandes masses. En effet, le FNADT n'est pas fait pour les grandes masses.
Je comprends que les fonctionnaires des finances cherchent à
éviter des dépenses multiples, mais il existe des études
sérieuses de la DATAR...
Il faut certainement privilégier la masse de petits projets
répartis sur l'ensemble du territoire, conformément à
l'esprit même de la loi. Les nouvelles technologies de l'information et
de la communication nous y aident d'ailleurs, et il est important que ceci
puisse être diffusé et mieux expliqué à tous les
élus locaux. C'est la seule véritable source de créations
d'emplois !
On a évalué l'entrée dans la société de
l'information à 3 millions d'emplois directs en Europe avant l'an 2000.
Avec les emplois induits, cela représente 10 millions d'emplois. Il
s'agit pour la France une somme considérable d'emplois potentiels : il y
a donc urgence à ce nous ayons, dans ce domaine, une volonté
très forte !
(Applaudissements).
M. Jean François-Poncet,
président
.- Le saupoudrage pose le problème des
compétences. Est-il vraiment nécessaire que le même projet
puisse être financé par l'Etat aux niveaux national et
régional et, en même temps, par la région et le conseil
général, lorsqu'il s'agit d'un petit projet ?
Je partage tout à fait l'avis selon lequel les petits projets sont
souvent la seule chose que l'on puisse faire dans les zones fragiles. Pour
autant, faut-il être trois ou quatre pour financer 100.000 francs ? ...
Je n'en suis pas totalement persuadé !
Il y a là un problème de compétences. La clarification est
donc essentielle, et le "chef-de-filat" ne doit pas être
décidé au coup par coup par les collectivités. Il y a
là des principes généraux que nous avions cherché
à définir. A trois heures du matin, nous avions capitulé :
ce n'est pas une raison pour ne pas reprendre le sujet !
La non-consommation des crédits suscite quelques ricanements cyniques,
comme vous avez pu le constater. En effet, souvent, on organise cette
non-consommation pour s'en prévaloir ! Lorsqu'il n'y a pas de boulets,
il faut bien trouver les différentes façons de gagner quand
même la guerre ! De ce point de vue, nous sommes derrière vous
dans la bataille !
Un mot sur la péréquation : l'exercice demandé au
ministère est à mes yeux la dernière chance de la
péréquation en France : ne la laissez pas sombrer ! Or, rien
n'est plus facile...
Vous avez dit que l'exercice avait été conduit entre communes et
avait montré que les écarts allaient de 1 à 1,5 dans la
même région. Nous avons inscrit dans la loi une fourchette
extrêmement large. En Allemagne, le même principe s'applique avec
une fourchette qui va de - 5 à + 5. Mais, dans ce pays de grande
inégalité qu'est la France, nous n'avons pas osé aller
aussi loin et, pour rassurer, nous avons fixé + 20 et - 20. Autant dire
que, dans notre esprit, cette fourchette est appelée à
évoluer ! Elle est fixée pour qu'au moins au stade des calculs,
on ne recule pas. Au stade de l'application, le législateur restera
souverain...
Il ne s'agit pas d'établir des inégalités entre
catégories de communes, mais entre les espaces les uns par rapport aux
autres. C'est ce qui se passe en Allemagne. Personne n'a jamais cherché
une péréquation entre communes d'une part et régions de
l'autre, ou entre départements.
Par conséquent, je vous demande d'imposer à vos services un
examen attentif de la loi et de conserver à l'esprit qu'avec le temps,
nous espérons bien que les fourchettes se rétréciront !
Monsieur le Ministre, vous avez la parole...
M. Alain Lamassoure
.- Très souvent, en zone rurale, ce
sont les petits investissements qui sont créateurs de richesses et
d'emplois. Toutefois, s'il s'agit d'un investissement en Lozère, il est
absurde que la décision soit prise à Paris ! Politiquement, il
faut se poser la question de savoir si c'est au contribuable national de
financer un investissement de 100.000 francs en Lozère... C'est un
débat politique qui débouche sur la péréquation.
Mais, à partir du moment où c'est un contribuable national ou
européen, il est très difficile d'éviter que la
décision ne remonte Paris ou à Bruxelles.
Nous avons en ce domaine un effort très important à faire pour
clarifier nos propres idées et réaliser nos propres choix
politiques.
Je suis d'accord pour dire qu'on ne peut pas vous opposer des règles
qu'on s'applique à soi-même. Nous veillerons donc à ce que
l'on ne vous impose pas un gel fondé sur des non-consommations de
crédits organisées par le ministère du budget !
Cela dit, beaucoup de dossiers de demandes d'aides du FNADT sont mauvais !
Ainsi, le trésorier payeur général de la façade
atlantique indique que plus de la moitié des projets qui lui sont soumis
s'écartent des principes directeurs fixés par le Premier
ministre. Un autre, plus au nord de la France, indique qu'en raison de la
médiocre qualité des opérations subventionnées et
de leur caractère non-prioritaire, les crédits
délégués à son département pourraient
à son avis être réduits. Un troisième, dans un
département les plus importants de France -que je connais
personnellement et qui ne peut être suspecté d'avoir une vue trop
étroitement comptable des problèmes- explique que le contenu des
dossiers est insuffisant, qu'ils sont consommés à hauteur du
tiers des crédits délégués jusqu'à
présent.
Je suis prêt à faire mon mea-culpa, mais j'ai le sentiment qu'il y
a des progrès à faire également dans les dossiers qui sont
déposés. Je constate que les vrais créateurs d'emplois
sont ceux qui ne demandent pas d'aides ! Bien entendu, nous sommes des
élus, nous aimons beaucoup distribuer des aides; Cela nous donne bonne
conscience et nous avons le sentiment qu'ainsi, nous aidons au
développement de notre région... C'est souvent vrai, mais
j'observe que les patrons de PME vraiment imaginatifs et créatifs sont
des gens qu'on ne voit jamais, mais qui créent les emplois et exportent !
Le précédent ministre de l'économie et des finances avait
recensé 1.453 systèmes d'aides à la création
d'entreprises. Je ne suis pas persuadé qu'on en a supprimé depuis
beaucoup...
Enfin, je tiens à vous rassurer quant à l'esprit dans lequel nous
avons engagé les travaux sur la péréquation, et à
prendre l'engagement devant vous de vous tenir informés à
intervalles réguliers de ce que nous faisons. Vous avez eu raison de
rappeler l'esprit de la loi, qui ne consiste pas à harmoniser au niveau
des communes et des départements, mais simplement à
réduire les écarts entre grandes régions.
Nous avons fait un certain nombre de progrès, mais nous nous heurtons
à certaines difficultés méthodologiques. Nous allons
naturellement les surmonter, et je puis vous assurer que tous mes services,
ainsi que les autres ministères compétents, feront tout pour que
le Sénat et l'Assemblée nationale disposent des
éléments dont ils ont absolument besoin pour mettre en oeuvre l'
article 68 de la loi de 1995 !
(Applaudissements).
M. Jean François-Poncet, président
.- Merci.
La séance est suspendue à 13 heures 05.
La séance est reprise à 14 h 45.
V. AMÉNAGER LES ZONES FRAGILES : ESPACE RURAL ET VILLE
A. la préparation du projet de loi sur l'aménagement rural
INTERVENTION DE M. FRANÇOIS-MICHEL GONNOT, PRÉSIDENT DE LA COMMISSION DE LA PRODUCTION ET DES ÉCHANGES DE L'ASSEMBLÉE NATIONALE
M. François-Michel Gonnot,
président
.- Mesdames, Messieurs, je voudrais en tant que
Président de la commission de la production et des échanges de
l'Assemblée Nationale vous remercier d'avoir à travers le
rapporteur Patrick Ollier ce matin, et à travers votre invitation, voulu
associer l'Assemblée Nationale à votre réflexion
d'aujourd'hui.
Notre réflexion est importante. Nous allons le voir plus en
détail cet après-midi, à travers un balayage des
différents secteurs et en essayant à chaque fois de faire le
bilan d'application ou de non-application de la loi d'orientation de 1995. Il
est vrai que cette loi, nous l'avons faite à deux. Le Parlement, c'est
l'Assemblée et le Sénat. Le rôle de la haute
assemblée a été particulièrement important. D'abord
vous avez procédé sous votre initiative à une mission et
un rapport d'information qui ont posé les grands termes de la future
loi. L'apport des sénateurs au débat a été
déterminant et vous avez eu, à travers l'initiative de ce
colloque, la bonne idée de regarder plus précisément
où nous en étions un an après. Alors je tenais monsieur le
Président François-Poncet à vous remercier au nom de
l'Assemblée Nationale.
Le rôle qui est le mien cet après-midi n'est néanmoins pas
un rôle très facile. Nous avons beaucoup de choses à
balayer ensemble. Nous avons aussi l'honneur de recevoir des
personnalités éminentes et notamment plusieurs membres du
gouvernement, et nous avons la chance d'avoir nos travaux ce soir conclus par
le Premier Ministre, dont bien sûr l'emploi du temps et l'agenda
nécessitent beaucoup de discipline. Je vais essayer de ne pas me rendre
impopulaire dans la haute assemblée, mais vous ne m'en voudrez pas
d'être l'observateur très attentif du chronomètre et de
rappeler tout le monde à la nécessité d'essayer de
respecter les horaires afin que nous puissions ce soir entendre dans les
conditions qui étaient prévues le Premier Ministre pour la
clôture de nos travaux.
Nous pouvons passer à la première partie de cet après-midi
et regarder le problème des zones fragiles dans l'espace rural et le
grand problème de la ville. Nous attendons le
délégué à l'aménagement du territoire et
à l'action régionale qui doit nous rejoindre. Il aura pour
discutant, c'est-à-dire pour contradicteur, interrogateur, le
sénateur du Maine et Loire, M. Huchon, à qui je cède
tout de suite la parole en attendant de retrouver M. Aubert qui va nous
rejoindre dans quelques minutes.
INTERVENTION DE M. JEAN HUCHON, SÉNATEUR DU MAINE-ET-LOIRE
M. Jean Huchon
.- Merci. Je suis un peu
gêné parce que mon rôle était de rebondir sur les
propos du délégué à l'aménagement du
territoire. J'espère néanmoins vous tenir quelques propos
cohérents sur ce problème de l'aménagement du territoire
qui nous tient à coeur et qui, depuis quelques années, à
la commission des affaires économiques, nous a beaucoup occupés.
Je ne rappellerai que pour mémoire le dépôt du premier
rapport sur l'avenir de l'espace rural, et les congrès ou les
conventions de Bordeaux et du Futuroscope où 1 500 à
1 800 maires ont écouté et ont clamé à la fois
leur détresse et leur espoir. Je ne rappellerai que pour mémoire
la campagne menée à travers villes et champs par M. Balladur
et M. Pasqua sur ces problèmes d'aménagement du territoire. Ils
ont passionné les maires ruraux et l'ensemble du territoire. Nous avons
élaboré cette loi d'aménagement du territoire en 1995 et
nous fondons nos plus grands espoirs sur le déroulement normal de
l'application de cette loi qui est compliquée, qui a des aspects et des
facettes diverses, mais qui je crois permet de traiter en profondeur ce
problème très important de l'aménagement du territoire.
Le sujet qui m'était imparti et que va sans doute traiter M. Aubert tout
à l'heure, c'est sur le plan de l'aménagement de la future loi
sur l'espace rural. Cela me pose quelques questions que je pourrais reposer,
parce que la préparation de ce projet de loi, qui découle des
dispositions de la loi d'orientation, fait que nous nous interrogeons sur la
vraie politique de l'aménagement rural. L'équilibre des mesures
en faveur de l'espace rural et celles de l'espace urbain est une idée
force de la loi d'orientation. Or, la création de zones franches et la
modification récente de la dotation globale de fonctionnement amorcent
une rupture d'équilibre entre le monde rural et le monde urbain. Le
renforcement des incitations fiscales en faveur des zones franches urbaines
(nouvelle exonération de taxe professionnelle) est sans
équivalent pour les zones rurales.
En outre, des mesures résultent également du plan de relance et
du pacte de relance pour la ville : majoration de l'aide de l'Etat aux
chômeurs créateurs d'entreprise, implantations de services de
proximité. De telles mesures fiscales seraient tout autant utiles dans
les zones rurales les plus défavorisées.
J'en viens aux modifications des mécanismes de répartition de la
dotation globale de fonctionnement qui résultent de la loi relative au
mécanisme de la solidarité financière entre
collectivités locales. L'accroissement de la dotation de
solidarité urbaine est beaucoup plus favorable que celui de la dotation
de solidarité rurale, et je ne manquerai pas de poser ces questions
à M. Aubert.
Alors là encore je me permets de dire que j'étais un maire d'une
commune rurale de mille habitants et je ne peux m'empêcher devant vous,
qui êtes un auditoire raffiné, de répéter ce que je
dis chaque semaine face aux auditeurs que j'ai dans mon pauvre pays. Je
gère ma commune de mille habitants avec 2 500 francs par
habitant. Mon chef-lieu de canton, qui a une belle taxe professionnelle, a 4
000 francs par habitant. Ma sous-préfecture a 8 000 francs par
habitant pour son budget de fonctionnement, et ma préfecture a 11 000
francs par habitant. Et je ne me risquerais à citer des chiffres de la
région parisienne.
Comment voulez-vous qu'il y ait un aménagement du territoire quand de
tels chiffres marquent une disparité de moyens qui fait que nous ne
jouons pas dans la même cour ? A partir de là, pour
l'aménagement du territoire, la première chose à faire est
de mettre en route un système qui régule des injustices aussi
patentes et flagrantes.
Alors voilà ce que j'aurais voulu dire à M. Aubert. Et je pense
qu'évidemment il y a des problèmes financiers, les
problèmes des services publics, de la création d'entreprises, de
la taxe professionnelle. On a longuement parlé ce matin de toutes ces
choses.
M. François-Michel Gonnot
.- M. Aubert nous fait
l'amitié de nous rejoindre. Il n'a pas entendu les questions de M.
Huchon, mais si vous voulez les répéter, monsieur le
délégué pourra y répondre dans la foulée.
M. Jean Huchon
.- J'ai évoqué le problème des
nouvelles mesures qui sont prises de dotation de solidarité. Nous, les
ruraux, nous trouvons difficiles à supporter que la dotation de
solidarité urbaine soit conséquente, que la dotation de la
solidarité rurale soit relativement mineure.
M. François-Michel Gonnot
.- En clair, le sénateur
se faisait le reflet d'un sentiment qu'on continuait à faire davantage
pour la ville que pour les campagnes, et à quoi rimait une politique
d'aménagement du territoire dans la mesure où les campagnes n'ont
pas les moyens d'influer sur leur environnement et qu'il n'y avait pas encore
des systèmes de régulation pour réparer cette
inégalité et ces injustices entre les villes et les campagnes.
M. Raymond-Max Aubert
.- Est-ce que vous me permettez de
poursuivre sur l'ensemble des dispositions que nous envisageons en faveur du
monde rural ou est-ce que M. Huchon souhaiterait lui-même
développer ce sujet ?
M. François-Michel Gonnot
.- Nous sommes partis sur le
monde rural, donc vous avez officiellement la parole.
RÉPONSE DE M. RAYMOND-MAX AUBERT,
ANCIEN
MINISTRE, DÉLÉGUÉ À L'AMÉNAGEMENT DU
TERRITOIRE ET À L'ACTION RÉGIONALE
M. Raymond-Max Aubert
.- Je vous présente
toutes mes excuses pour ce retard.
D'abord je relève qu'il y a eu peut-être des interrogations sur la
volonté de mettre en vigueur les dispositions relatives au monde rural.
Au fond, les interrogations qui se sont fait jour sur la priorité
accordée à l'aménagement du territoire résultent
essentiellement du fait que nous avons mis très longtemps à
publier le décret sur les zones de revitalisation rurale, qui
était quand même le dispositif central prévu par la loi
d'orientation pour donner une impulsion au développement
économique et social des zones rurales.
Si vous le permettez, de ce point de vue je rappelle que, et je suis tout
à fait sincère en le disant, ce n'est pas le fait du
gouvernement. Ces dispositions concernant les zones de revitalisation rurale
nécessitaient une concertation des autorités de Bruxelles et de
la commission de Bruxelles, et cette concertation a été beaucoup
plus complexe que nous ne l'imaginions au départ. Il a fallu que dans un
premier temps M. Pons, qui était en charge de l'aménagement du
territoire, puis M. Gaudin, se rendent à Bruxelles pour obtenir un
accord technique et un accord politique au-delà même des
dispositions techniques, pour faire admettre la nécessité de
cette délimitation rapide des zones de revitalisation rurale.
Aujourd'hui le décret est paru et il est très difficile d'en
mesurer les effets.
Je voudrais faire deux observations : d'abord le gouvernement a eu très
peu de latitude d'action pour définir ces zones de revitalisation
rurale. Il s'est contenté d'appliquer les critères très
précisément définis par le législateur, et donc la
carte des zones de revitalisation rurale résulte de manière
presque automatique des dispositions de la loi d'orientation. Naturellement,
dès qu'on met en place un zonage, il peut y avoir des problèmes
de frontière. Je crois que malheureusement il faudra s'y faire et
peut-être trouver des dispositions qui permettront une meilleure
continuité des actions incitatives lorsqu'on passera d'une zone de
revitalisation rurale à des cantons proches qui ne
bénéficieraient pas des mêmes mesures. Il me paraît
hors de question aujourd'hui de retourner devant les autorités de la
commission de Bruxelles pour renégocier une cartographie qui a
été très difficilement acquise.
La deuxième observation est qu'on ne sait pas quels seront les effets de
ces mesures incitatives qui sont très larges. Il s'agit
d'exonérations fiscales, d'allégements des charges sociales, de
différentes mesures facilitant notamment la vie des entreprises dans les
zones de revitalisation rurale, mais quand j'ai entendu ce matin un haut
responsable des finances de la France évoquer, le cas
échéant, un coût de 50 milliards pour ces mesures, je
dirais que ce serait aller au-delà de nos espoirs. Si ces mesures
coûtent véritablement 50 milliards, c'est qu'elles auront
été extraordinairement efficaces. Le système mis en place
a cet avantage de ne rien coûter s'il ne marche pas, mais de coûter
de l'argent s'il est très incitatif et s'il provoque une revitalisation
des zones rurales.
Voilà la première observation que je souhaitais faire.
Parallèlement, je rappelle que, malgré tout, le gouvernement
avait mis en place certaines dispositions de la loi qui ont joué en
faveur du monde rural. On les a évoquées ce matin. Il s'agissait
de la définition des pays et en particulier de l'opération de
préfiguration retenant 42 pays pilote. J'y reviendrai tout à
l'heure.
Il y a aussi cette action très importante pour le maintien des services
publics dans en milieu rural. Un moratoire a été
arrêté début 1993 interdisant toute suppression de service
public en zone rurale. On ne sortira de ce moratoire que quand les
schémas départementaux d'organisation et d'amélioration
des services publics auront été définis. Et c'est
évidemment un élément essentiel pour le maintien de la vie
en zone rurale.
La loi elle-même avait prévu une loi complémentaire pour le
développement rural dans son article 61. Si le législateur de
l'époque et les parlementaires avaient annoncé cette loi, c'est
que probablement ils considéraient que malgré l'aspect
très impressionnant de cette loi sur l'aménagement et le
développement du territoire, les mesures spécifiques en faveur
des zones les plus fragiles n'avaient pas été suffisantes.
Naturellement il n'était pas nécessaire qu'une loi annonce une
autre loi pour que nous nous lancions dans une réflexion sur le
développement rural. Quoi qu'il en soit la loi était
annoncée et le gouvernement, le Premier Ministre et M. Gaudin ont
confirmé la volonté de l'élaborer et de la soumettre au
Parlement dans les meilleurs délais, probablement au tout début
de la rentrée parlementaire de septembre.
Pour ce qui concerne la mise en oeuvre de ces dispositions, elles ne seront pas
toutes de nature législative. C'est un véritable plan pour le
monde rural que nous sommes en train d'étudier, sous la coordination du
Ministre Jean Claude Gaudin, et ce plan part d'un constat de la situation que
je voudrais rappeler rapidement.
Le monde rural a connu de profondes mutations depuis 50 ans,
inséparables des transformations de notre société :
l'exode rural, l'urbanisation, la croissance de la productivité,
l'émergence d'une société de services. Tous ces
éléments ont transformé la composition du monde rural et
son mode de vie. Les agriculteurs ne représentent aujourd'hui que
20 % des actifs dans des communes de moins de 2 000 habitants.
Cette transformation se caractérise par quatre évolutions
majeures que je voudrais rappeler rapidement :
· D'une part la convergence des aspirations entre le monde rural et le
monde urbain. Ces deux mondes se sont rapprochés par l'action
conjuguée de l'urbanisation, l'équipement des ménages,
l'accroissement de leur mobilité et peut-être aussi de la
présence toujours plus insistante de la télévision dans la
vie sociale et culturelle. Les aspirations des populations rurales et urbaines
sont devenues plus homogènes, même si les modes de vie -et je
crois que le président François-Poncet le souligne volontiers-
sont restés distincts, et c'est plutôt un atout du monde rural
pour l'avenir.
· Le deuxième constat qu'on peut faire, c'est que le monde rural
s'est différencié. L'évolution des différents
territoires consacre aujourd'hui un véritable éclatement du monde
rural ; il n'existe pas un espace rural, mais des territoires ruraux, les
uns en crise profonde, d'autres en phase de mutation difficile et d'autres
aussi en forte croissance, cela existe.
Si on devait affiner ces distinctions, on pourrait évoquer les communes
rurales péri-urbaines qui restent sous l'influence des villes dont elles
sont proches. Des besoins spécifiques s'y manifestent, des besoins en
services de qualité, de vie culturelle et de coordination avec la ville.
Les activités économiques traditionnelles y sont souvent
fragiles, insuffisamment diversifiées, et parfois même en crise
profonde. Les villes moyennes ont perdu 50 % de leurs emplois industriels
sur les dix dernières années et malheureusement ces pertes
d'emploi n'ont pas été toujours compensées par des
créations d'emplois, notamment dans le secteur des services.
La solidarité entre ville et campagne n'est pas toujours satisfaisante.
Le déséquilibre des ressources et des charges n'est pas
compensé par une péréquation intercommunale suffisante. Au
total, ces communes péri-urbaines sont étroitement
dépendantes du centre ville. Il existe de vrais problèmes
d'urbanisme et d'organisation de l'espace en liaison avec le
développement urbain.
Autre type de territoires ruraux, les territoires ruraux en mutation ou en
développement. Ils sont nombreux, ils disposent souvent d'une
activité portant l'économie ou la vie locale, qu'il s'agisse de
l'agriculture, du tourisme, de PME ou de services, je pense aux services
à l'intention des personnes âgées par exemple. Nombre
souffrent de la monoproduction et tout accident ou incident (chute des cours
agricoles, absence de neige, fermeture d'entreprise) révèle la
fragilité de leur base économique. Parmi eux d'ailleurs les
territoires touristiques, qui sont urbains trois mois de l'année et
ruraux les neuf mois restants, et qui surdimensionnent souvent leurs
investissements et leurs services, posent des problèmes
spécifiques.
Les territoires en déclin démographique ou à faible
densité qui correspondent aux zones de revitalisation rurale que nous
évoquions à l'instant. Ils cumulent handicap
démographique, retrait des services publics, difficultés pour
entretenir les infrastructures, le patrimoine et l'espace. Ces territoires
connaissent des problèmes liés à l'arrivée de
nouvelles populations : il s'agit aussi bien des résidences secondaires
que des étrangers attirés par le faible prix du foncier.
Cette brève analyse des différents types de territoires montre
que les problèmes à résoudre ne sont pas les mêmes
selon les logiques et les développements constatés dans les
différentes parties de notre territoire national.
· Troisième constat : la diversification des activités
dans le monde rural. Certaines évolutions majeures qui s'expriment
dès à présent permettent de penser que le rôle des
territoires ruraux ira en s'accroissant dans les prochaines décennies.
L'accroissement de la difficulté de la vie dans les villes doit y
contribuer. La diminution du temps de travail et de la durée de la vie
active qui entraîne un certain nomadisme des Français, nomadisme
dans la semaine, nomadisme dans l'année avec le phénomène
de l'élargissement des périodes de vacances, et puis un nomadisme
dans le cadre de la vie avec les retraites de plus en plus longues prises par
nos concitoyens.
D'une manière générale, l'accroissement de la
mobilité et des moyens de communication renforcent ces
différentes tendances. Cette mobilité peut contribuer à
vider les territoires les plus fragiles en favorisant la polarisation des
activités le long des axes de communication, comme elle peut constituer
aussi pour eux une nouvelle chance.
Au regard des évolutions constatées, il est légitime de
penser qu'à échéance brève les territoires ruraux
seront porteurs d'activités diversifiées, qu'il s'agisse
d'activités éducatives, de santé ou de service quittant
les centres villes, ou d'activités nouvelles créées dans
un environnement plus favorable.
Enfin les territoires ruraux seront de plus en plus des lieux de vie où
les citoyens passeront une partie de leur vie, de leur année, ou de leur
semaine, mais ils ne le feront que s'ils trouvent des services
appropriés.
· Dans ce contexte, le dernier constat concerne la multiplication des
initiatives locales. La décentralisation a fait émerger de
nouveaux acteurs institutionnels, les communes, les groupements de commune, les
départements, les régions, l'ensemble des collectivités
territoriales ; l'Europe elle-même s'est dotée d'une
politique régionale. Dans le même temps, les entreprises et le
mouvement associatif se sont révélés des partenaires
actifs du développement rural, tout comme les organisations
socioprofessionnelles. L'Etat n'est plus considéré comme le
détenteur de l'ensemble des solutions.
Au cours des trois dernières années, les structures
intercommunales se sont multipliées, elles regroupent aujourd'hui plus
de vingt millions d'habitants. Cet essor de l'intercommunalité montre
que les maires ruraux ont compris la nécessité de s'unir pour
vivre et survivre. Beaucoup de ces initiatives se groupent autour d'un projet
de développement. A travers ces initiatives, les acteurs locaux ont su
trouver une solution au problème de l'emploi (la solidarité, la
vie commune) et cela conduit au développement actif de nombreux
territoires.
Le plan pour le monde rural que j'évoquais, et qui a été
confirmé par le Premier Ministre, pourrait s'articuler autour de quatre
objectifs :
- Renforcer l'organisation des territoires afin de valoriser les initiatives et
les potentialités locales.
- Répondre aux besoins des différents types de territoire par des
politiques adaptées afin d'assurer aux habitants des espaces ruraux des
chances égales.
- Préserver et valoriser l'espace et le patrimoine du monde rural.
- Permettre aux territoires ruraux de devenir des lieux de vie attractifs et
offrir ainsi des alternatives crédibles à la concentration
urbaine.
Des dizaines de mesures sont envisagées et je les évoquerai par
objectif.
L'objectif concernant le renforcement de l'organisation et structuration des
territoires pourra prendre appui sur deux démarches conjointes : les
pays, tout d'abord. On a évoqué les pays, on s'est
interrogé sur leur devenir. Le Ministre de l'Aménagement du
Territoire a fixé pour objectif la création de 500 pays. C'est un
objectif qui est tout à fait possible sur la base d'ailleurs
d'initiatives locales et du volontariat. C'est un objectif qui ne doit pas
être imposé. Pour l'atteindre plus facilement, nous
réfléchissons à des formes de partenariat, à une
idée de charte de pays qui pourrait porter ces projets de
développement économique et social initiés dans de
nouveaux espaces cohérents.
L'autre démarche concerne l'appui aux projets locaux, et de ce point de
vue, il faut remarquer que ces projets locaux sont essentiels pour l'animation
du monde rural. Je dirais, pour rejoindre l'interrogation qui s'est
développée ce matin sur l'opportunité de l'affectation des
crédits du Fonds national d'aménagement et de
développement du territoire, qu'il serait peut-être trop facile de
railler les initiatives locales à travers deux ou trois exemples
malheureux. De ce point de vue souvent les élus locaux sont porteurs de
projets de développement, de projets de création
d'activités et d'emplois beaucoup plus pertinents que ne peuvent
peut-être l'imaginer certains administrateurs du quai de Bercy. Je le dis
tout à fait gentiment.
M. François-Michel Gonnot
.- Ou certains ministres.
M. Raymond-Max Aubert
. - Le deuxième objectif, la
diversification des activités, suppose l'émergence d'une
économie équilibrée en milieu rural. Trois mesures
à mon avis principales pourraient consister en le renforcement de la
pluriactivité, sur la base du rapport Gaymard qui était
très bien conçu de ce point de vue. L'encouragement aux services
de proximité, l'appui à l'artisanat et au commerce. Il faudra
d'ailleurs approfondir peut-être la question de l'adaptation des normes
et des règlements souvent conçus pour la vie urbaine et
malheureusement inadaptés parfois aux réalités du monde
rural. Il y a là un important chantier à ouvrir, qui d'ailleurs
prolonge la réflexion sur la pluri-activité.
Troisième objectif : la valorisation de notre espace. La gestion de
l'espace est un problème qui se pose très différemment
selon les territoires. Les priorités ne sont pas partout les
mêmes. La stabilisation des plans d'occupation des sols et la
préservation des espaces non artificialisés deviennent pour les
territoires soumis à une concurrence forte dans l'usage des sols des
priorités fortes.
Enfin, dernier objectif, faire des territoires ruraux des lieux de vie
attractive. Quatre actions sont envisagées. Concernant l'habitat, la
réhabilitation des logements anciens et la mobilisation des logements
vacants pour favoriser le développement d'un habitat locatif, y compris
social et touristique. L'égal accès au service public. C'est une
notion centrale de la loi d'orientation. Les textes sont parus. Je crois que la
réflexion qui doit avoir lieu au sein des commissions
départementales et qui doit aboutir à des schémas
départementaux pourrait s'inspirer d'abord des travaux qui ont
été menés dans le cadre des pays expérimentaux, et
en tout cas pourrait faire avancer des idées qui paraissent porteuses
pour l'avenir, même si elles sont souvent difficiles à mettre en
oeuvre, comme la polyvalence des services publics, la mobilité des
services publics ou encore le partenariat pour assurer ces prestations sur
l'ensemble du territoire.
Enfin les services culturels de proximité qui correspondent à une
demande forte.
La lutte contre l'exclusion parce que, contrairement aux idées
reçues, la fracture sociale comprend une dimension rurale souvent
occultée d'ailleurs par les difficultés urbaines. De nombreux
jeunes sont contraints de rester aides familiaux ou chômeurs à la
maison. Certains territoires constatent l'arrivée de chômeurs ou
RMistes et les territoires périurbains connaissent des problèmes
liés à l'endettement des ménages, au chômage et
à l'exclusion.
Les pistes sont nombreuses ; elles relèvent souvent d'une logique
interministérielle et leur discussion nécessitera donc une
concertation interministérielle poussée. Je crois qu'au fond
l'objectif, pour aller à l'essentiel, consiste à gommer
progressivement l'aspect un peu passéiste et nostalgique qui reste
attaché à l'image du monde rural. Aujourd'hui au contraire il
faut faire valoir, et tout nous y encourage, les moyens sont à notre
disposition, il faut encourager l'émergence d'une idée de
modernité du monde rural qui offre une alternative à la
concentration urbaine.
Nous faisons en sorte avec le Ministre Jean-Claude Gaudin que le projet de loi
que nous envisageons ainsi que les mesures d'accompagnement, contribuent
à l'émergence de cette modernité du monde rural. En tout
cas, si d'aventure le projet de loi que nous vous soumettrons aussi bien
à l'Assemblée Nationale qu'au Sénat, devait se
révéler insuffisant, nous savons que les parlementaires ont
beaucoup d'imagination, et le précédent de la loi d'orientation
prouve que le cas échéant les mesures proposées par le
gouvernement seront très opportunément enrichies par le
débat parlementaire.
M. François-Michel Gonnot
.- Est-ce que ces quatre
objectifs sont de nature à rassurer un sénateur que nous avons
senti résigné ?
M. Jean Huchon
.- Non, mais si je ne peux que partager toutes les
pistes proposées par M. le Ministre, je souhaite surtout qu'on s'y
engage tous ensemble, les élus et le gouvernement, et que les moyens
soient rassemblés pour mener à bien la tâche.
J'ai déjà pris une partie de mon temps, mais je voudrais vous
faire quelques remarques et poser quelques questions. Pour un homme qui a
pratiqué l'aménagement du territoire depuis vingt ans en tant
qu'élu, qui est président de pays depuis vingt ans, qui a
été un peu hérissé ce matin par l'emploi de termes
"métropolisation", "éviter le saupoudrage", "pratiquer
la
politique des pôles" et une "politique ciblée". En termes
technocratiques, cela veut dire faire de l'assèchement du territoire et
renforcer ceux qui sont forts au détriment de ceux qui sont faibles.
Alors, je vous le dis tout de suite, cela ne me convient pas. Je pense que
l'aménagement du territoire, c'est la répartition des flux
financiers et des moyens sur l'ensemble du territoire. Un habitant de petit
bourg de campagne doit disposer de la même somme de crédit public
qu'un habitant du centre de Paris.
La politique de pays ? Je préside un pays de cent mille habitants et de
six cantons et de soixante cinq communes depuis une vingtaine d'années.
Nous en sommes à la cinquième génération de contrat
de pays, c'est positif et très bien, mais j'ai mon ami Maurice Ligot,
maire de Cholet, qui est là, et je frémis quand je fais le total
de tous les budgets de 65 communes, je n'arrive qu'à la moitié de
la somme du budget de Cholet avec ses 57 000 habitants. C'est cela le
problème de la justice et de l'équité.
Je ne suis pas figé sur des positions sectaires. Il y a probablement des
aménagements à faire et des choses à adapter, notamment la
polyvalence des services. Je dois dire que quand on parle polyvalence
vis-à-vis des services, ce sont les services qui sont les plus
réticents. Il n'est pas facile de faire cohabiter les services de l'Etat
et on a des problèmes pour faire collaborer des gens qui devraient
pourtant être faits pour s'entendre.
Les zones de revitalisation, d'accord, mais pourquoi ne pas avoir mis à
l'égal des villes des zones franches. Là, il y a une
disparité de traitement qui nous choque. L'intercommunalité, nous
la pratiquons. Cela peut faire des choses, mais cela ne fera pas tout. L'appui
aux projets locaux, nous le connaissons bien. Le FNAT, on en a parlé
longuement ce matin et il y a eu un échange entre mon collègue
Belot et monsieur le Ministre du budget. Nous avons été
obligés l'année dernière de monter rapidement des projets
pour les présenter parce qu'on nous a donné les
possibilités trop tard et les délais étaient trop courts
pour constituer valablement les dossiers. Il faut éviter ces
dysfonctionnements.
L'égalité devant les services publics, polyvalence des services
publics culturels. Il faut qu'on sorte du dilemme actuel au terme duquel les
deux tiers des crédits du ministère de la culture se
dépensent à l'intérieur du périphérique. En
dehors du périphérique, il y a la France, et même au plus
profond. Il faut qu'on sorte de ce phénomène de l'urbanisme et de
l'agglutination. C'est un cercle qu'il faut briser.
(Applaudissements).
M. François-Michel Gonnot
.- Monsieur le
délégué à l'aménagement du territoire, je
crois que vous avez encore un peu à faire pour convaincre notre ami
sénateur.
M. Raymond-Max Aubert
.- D'abord, je voudrais souligner que les
préoccupations exprimées par le sénateur Huchon sont nos
préoccupations. Il a évoqué les difficultés de
l'exercice, et nous en sommes tout à fait conscients. Nous souhaiterions
aller dans le sens de ces suggestions.
Concernant la métropolisation, je comprends ce que ce néologisme
peut provoquer comme réticence de la part d'élus de
départements ruraux. Il faut admettre quand même que notre
exercice d'aménagement du territoire s'inscrit dans une économie
ouverte sur le monde et on ne peut pas non plus négliger l'atout que
représente pour la France l'émergence de métropoles
à l'échelle européenne et même mondiale. Pour
nuancer cette affirmation, nous parlons volontiers à la DATAR de
métropolisation atténuée. Je ne sais pas si cela vous
rassurera totalement, mais nous mesurons les limites et les risques de
l'exercice.
Concernant le saupoudrage, nous sommes d'accord avec vous. Le saupoudrage est
une présentation inutilement caricaturale de ce qui est fait. La vie
dans le monde rural est préservée grâce à
l'initiative des acteurs locaux, et encore une fois je reste persuadé
que les élus qui sont au contact des réalités du
territoire sont porteurs de projets souvent beaucoup plus intéressants
et beaucoup plus ouverts au développement et à la création
d'emplois que ce qui pourrait être imaginé à un niveau
national.
Pour les contrats de pays, et pour les pays, c'est une notion qui n'est pas
nouvelle. Elle a été un peu entérinée par la loi,
légalisée, ce qui est bien naturel, par le texte d'orientation.
C'est une notion ancienne qui montre bien qu'elle reflète une
réalité locale. Ces espaces de réflexion cohérents
sont souvent très pertinents pour porter un projet de
développement. Quand nous disons que nous nous orienterons
peut-être vers des chartes de pays pour marquer un aspect un peu novateur
par rapport à ce qui a pu exister dans le passé, cela supposera
en particulier que des moyens spécifiques leur soient attribués,
et nous sommes en train d'explorer la possibilité d'introduire des
lignes spécifiques en faveur des pays dans les contrats de plan
Etat/région pour les négociations vis-à-vis du
douzième plan.
Il me semble que les mesures incitatives au sein des zones de revitalisation
rurale sont fortes. Il y a là un éventail très complet de
mesures. Quoi qu'il en soit et puisqu'on a évoqué la
parité nécessaire de l'effort entre zones urbaines et zones
rurales, je vous indique simplement que les zones de revitalisation couvrent
une population de l'ordre de 4,5 millions de Français, et c'est une
mesure comparable à celle qui concerne les zones les plus
défavorisées dans les milieux urbains.
Voilà quelques éléments de réponse que je pouvais
donner rapidement.
Une intervenante
.- Monsieur le Ministre, si vous le permettez je
voulais intervenir et donner mon sentiment. D'abord pour vous remercier pour
les propositions que vous venez de faire en ce qui concerne l'espace rural,
mais je voudrais exprimer un sentiment d'inquiétude. Depuis ce matin
nous entendons des propos et jamais n'a été évoquée
la reconquête du territoire. Les zones rurales, il ne suffit pas de les
maintenir, mais il s'agit de les développer. Et pour les
développer, il faudra des moyens et des moyens financiers. Alors si j'ai
bien entendu ce matin ce qu'on nous a dit, ne serait-ce que sur le fonds
national d'aménagement du territoire, je crois qu'il faudra que nous
trouvions chez nous, dans nos espaces, les moyens de nous développer.
C'est tout à fait contraire à l'aménagement du territoire.
C'était une loi ambitieuse. C'était une loi qui a fait lever
beaucoup d'espoir dans ces zones rurales, et quelquefois nous avons
l'impression que nous sommes nous, espaces ruraux, un peu à
côté de cette loi. On a parlé ce matin du TGV et c'est tout
à fait normal, mais l'espace rural est un milieu vivant ; il ne
faut pas le voir non plus comme un milieu négatif. Il y a beaucoup de
ressources dans le milieu rural à condition qu'on nous en donne les
moyens.
Ce qui m'a un peu choquée ce matin de la part de M. Lamassoure, c'est
quand il dit que quand il faut 100 000 francs, il faut les trouver dans le
département ou la région, mais ce n'est pas chez le contribuable
au plan national. Ce n'est pas tout à fait cela. Les départements
et les régions font déjà beaucoup d'efforts. C'est
peut-être aussi une autre façon d'avoir un autre regard qu'il faut
porter sur ces régions qui sont dites défavorisées, qui
ont quand même des richesses : la sécurité, le
paysage, etc. Nous ne voulons pas, je le dis en ce qui concerne la
Lozère, être seulement un espace de respiration, nous voulons
être tout à fait autre chose.
M. Raymond-Max Aubert
.- Madame le sénateur, je suis tout
à fait d'accord avec vous. Votre question me fait penser à ce qui
a été dit ce matin sur la décentralisation. Plus personne
ne conteste la décentralisation, elle est entrée dans nos moeurs,
mais on peut reconnaître que la décentralisation a eu des effets
peut-être moins positifs dans certains secteurs que dans d'autres. En
particulier la décentralisation peut entraîner l'amplification des
procédures d'appauvrissement de certaines régions, alors qu'au
contraire elle va dans le sens de l'enrichissement des régions riches
d'une manière générale.
Ce contexte de la décentralisation rend à mes yeux encore plus
nécessaire une politique d'aménagement du territoire. Et de ce
point de vue, je vois l'aménagement du territoire comme une politique
d'accompagnement qui exprime une solidarité nationale en faveur des
espaces les plus fragiles. On ne peut pas imaginer que les seuls moyens locaux
suffiront pour cette reconquête de l'espace qui sera
bénéfique pour tous. Pour réussir une politique
d'aménagement du territoire, il faut mobiliser un minimum de moyens, y
compris au plan national.
M. François-Michel Gonnot
.- Nous allons maintenant quitter
un peu l'espace rural pour retrouver les villes et nous pencher sur la
politique de la ville.
Monsieur Raoult, ministre délégué à la ville et
à l'intégration, avant de nous présenter les efforts que
le gouvernement va engager pour la ville, peut-être pouvez-vous nous
donner votre sentiment sur ce que vous venez d'entendre. N'avez-vous pas le
sentiment qu'il y a quand même un message très fort qu'il faut que
le gouvernement lance vis-à-vis des problèmes spécifiques
que rencontrent nos villes et certains de leurs quartiers, mais il y a aussi
quand même tout un discours qu'il faut continuer du monde rural
où, semble-t-il, on vit en termes de concurrence la politique de la
ville par rapport à la politique en faveur du milieu rural.
B. la politique de la ville
INTERVENTION DE M. ÉRIC RAOULT,
MINISTRE
DÉLÉGUÉ À LA VILLE
M. Eric Raoult
.- Je crois, d'une part, que si
on
proposait aujourd'hui de mettre les villes à la campagne, toutes les
campagnes ne seraient peut-être pas tout à fait d'accord.
D'autre part, pour un certain nombre de collectivités, elles ont
déjà compris qu'on ne pouvait pas opposer les villes et les zones
rurales, et je vais vous citer une anecdote : j'ai dans mon ancienne
circonscription une commune proche de Monfermeil appelée
Clichy-sous-bois. C'est un très beau nom, mais il n'y a plus de bois.
Aujourd'hui se tient une rencontre entre les jeunes de plusieurs groupes
scolaires de la commune de Clichy-sous-bois (Seine-Saint-Denis) avec les jeunes
de la commune de Grécy (Seine-et-Marne). Nous avons pensé qu'un
jumelage entre les jeunes de 63 nationalités différentes de
Clichy-sous-Bois et ceux de Grécy, qui n'étaient venus à
Clichy-sous-Bois que rarement, peut-être par l'autoroute ou par la
bretelle B3, pouvait être un rapprochement entre les mômes des
campagnes et les mômes des villes. Au début, on a cru que ce
serait explosif. Ceux de Clichy étaient très contents d'aller
à Grécy ; pour ceux de Grécy, dire aux parents que
leurs enfants allaient venir à Clichy-sous-Bois rencontrer les
63 nationalités dont j'ai parlé, n'était pas tout
à fait évident. Et je crois que le couple s'est plutôt bien
passé et en l'occurrence les rencontres entre ces deux communes ont
montré qu'à quelques kilomètres on pouvait à la
fois mener une politique de la ville et aérer ces jeunes en leur
montrant qu'à Grécy on plante des arbres qu'ils n'ont plus dans
leur commune, et à Grécy on leur a montré que, quand ils
réclament des choses au maire, ceux de Clichy-sous-Bois ont
peut-être encore moins de possibilités d'animation. La
solidarité s'est faite.
L'intérêt de la loi sur l'aménagement du territoire a
été de rapprocher dans la démarche qu'avait
proposée M. Pasqua, ceux des villes, qui réclament beaucoup, et
ceux des campagnes qui réclament aussi et qui, bien souvent, ne
s'étaient pas aperçu que les difficultés qu'ils pouvaient
connaître en matière d'exclusion -parce qu'il y a aussi bien des
ZEP dans des zones rurales que dans des zones urbaines-, que l'effort de
solidarité pouvait être mieux compris.
Ce n'est pas toujours facile à organiser. Quand on envoie des jeunes des
villes à la campagne en été, il faut bien leur faire
comprendre qu'ils doivent représenter les villes et qu'ils doivent bien
les représenter. Je crois que l'effort de solidarité a
été de montrer qu'entre la revitalisation rurale et la
revitalisation urbaine, il y avait des démarches semblables et que tout
reposait sur les relations privilégiées entre les
collectivités locales.
Je ne dis pas que je suis prêt à échanger Monfermeil contre
Cholet, mais il y a là, je crois, une piste pour voir que nous avons un
certain nombre de difficultés communes et c'est quand les maires des
villes très urbanisées comprennent que dans les campagnes il y a
des ronces, qu'eux ils ont plutôt des tags sur leur mur, mais que ce sont
les mêmes difficultés, que des efforts de solidarité
peuvent être menés.
Pendant des années nous avions eu plutôt une démarche de
perfusion sociale ou une démarche qui mettait beaucoup plus d'argent
dans les villes. La loi sur l'aménagement du territoire a ramené
la ville et la campagne à niveau, sur une même réflexion,
sur une démarche de solidarité et sur une démarche d'aides
spécifiques, non pas simplement sur des politiques qui s'accumulaient
les unes sur les autres, au fur et à mesure des remaniements
ministériels, mais sur des territoires à définir, sur des
cohérences à établir, et sur des publics à
privilégier : des actions en direction des jeunes, de l'activité
économique, de l'entreprise, du commerce.
C'est pour cela qu'un an après la loi sur l'aménagement du
territoire, la politique de la ville, telle que le nouveau gouvernement
souhaite la définir, tient compte de l'esprit Pasqua, elle tient compte
des lois Pasqua, et quand on est ministre de la Ville et de
l'Intégration, et comme on n'est pas en ce moment très nombreux
à le dire, on a envie de dire : vivent les lois Pasqua !
(Applaudissements).
M. François-Michel Gonnot
.- Monsieur le Ministre Pasqua,
nous sommes très heureux de vous accueillir à cette tribune et
que vous puissiez un an après sentir les échos et questions qui
restent posées autour de la loi dont tout le monde est d'accord qu'elle
mérite bien de porter votre nom.
Monsieur Raoult, vous êtes ministre de la Ville et de
l'Intégration, avez-vous le sentiment à travers le pacte de
relance pour la ville, de faire une action qui vise non seulement à une
meilleure intégration, non seulement à éviter un certain
nombre d'explosions, mais aussi de contribuer à ce qu'on peut appeler
l'aménagement du territoire ?
M. Eric Raoult
.- Je crois que d'abord la politique de la ville
que M. Gaudin et M. Juppé ont présentée à
Marseille le 18 janvier dernier, a tenu compte de trois priorités.
· La première : ne pas refaire ce que parfois on avait
déconseillé aux autres de faire. La particularité de
l'action publique, c'est qu'elle a une mémoire et elle a eu aussi une
précision. La mémoire, c'est toute l'action que depuis quasiment
5 ans les différents ministères avaient menée.
C'était une action politique très ciblée. On faisait
beaucoup pour le logement, on faisait beaucoup pour l'animation. On avait
repris un peu l'esprit des fondateurs, de M. Bonnemaison, de M. Schwartz et de
M. Dubedou, et pendant une dizaine d'années on a quasiment exclusivement
ciblé les actions sur ces domaines-là.
Nous avons essayé avec M. Gaudin d'établir un constat, un
état des lieux grâce au remarquable rapport de F. Idrac et JP.
Duport, qui nous a permis de voir le bilan des actions passées et les
nécessités de renforcement sur un certain nombre de domaines.
Quand nous sommes critiqués de créer des zones urbaines
sensibles, je répète que ces zones urbaines étaient
incluses dans la loi d'orientation sur la ville que, comme député
d'opposition, je n'avais pas votée. Aujourd'hui, nous avons
essayé de mettre de la revitalisation économique là
où on s'était contenté de faire du social. Nous avons
essayé d'allier l'urbain et l'humain et de tenir compte des capitaux
d'expérience et de compétence qui avaient pu être
tracés dans un certain nombre de domaines, notamment pour le commerce et
l'emploi social.
Nous avons essayé de reprendre, avec l'acquis des années
passées et avec l'effort de simplification que Mme Veil avait
mené à la tête de son ministère en
redéfinissant les contrats de ville, les critiques apportées par
le passé : ne pas stigmatiser les quartiers, faire un contrat de
confiance avec les élus, essayer de globaliser dans le cadre du
onzième plan une nouvelle politique urbaine. Donc, tenir compte de ce
qui s'était passé auparavant.
· Deuxième priorité : ne pas simplement intervenir quand
cela brûle, faire du curatif lourd, mais tenir compte de toutes les
possibilités d'intervention dans les villes moyennes. C'est ainsi que
les zones urbaines sensibles et les zones de redynamisation urbaine
prévues dans la loi sur l'aménagement du territoire essaient de
diffuser au maximum les lieux d'intervention urbaine et les territoires sur
lesquels nous souhaitons apporter une réponse.
Et là où le débat n'avait pas permis d'aller aussi loin,
le président de la République a souhaité qu'on
développe la logique de l'expérimentation, et c'est l'idée
des zones franches urbaines dont le mot n'est peut-être pas
approprié. Ne faudrait-il pas parler de quartiers de
développement ? Nous voulons avoir une logique sur la base de
quartiers d'habitat social, une logique d'intervention dans des lieux où
l'urbanisation a entraîné une polarisation de l'exclusion.
· Et puis troisième priorité de ce texte : nous avons
voulu un pacte, nous avons voulu une relance, nous avons voulu une ville. Le
pacte, c'est que pour la première fois une très large
concertation, reprenant un peu l'idée de la loi du 4 février, a
permis d'élaborer un texte qui ne soit pas simplement la cogitation d'un
certain nombre d'experts. Grâce à la base du travail du rapport de
F. Idrac et JP. Duport, nous avons pu négocier et rencontrer un grand
nombre de présidents d'associations et d'élus. C'est une centaine
de personnalités que nous avons interrogées sur ce pacte.
D'autre part, ce pacte est une base de négociations sur lesquelles nous
pourrons apporter un certain nombre de compléments. La relance, c'est la
remarque simple que nous n'avons pas voulu déchirer la page que nos
prédécesseurs avaient écrite en matière de
politique de la ville. Chacun a apporté quelque chose. Depuis une
période relativement récente, cinq ans, les
événements qui avaient conduit à la création du
ministère de la ville et au discours de Bron du président
Mitterrand, avaient au total élaboré un certain nombre
d'orientations, mais il s'agit d'une relance à partir d'un acquis non
négligeable.
Et puis aussi la ville, puisqu'en grande partie les interrogations, qui ont
été celles durant des années des chercheurs et
sociologues, ont conduit à un capital de réflexions qui
méritait d'être mis en oeuvre rapidement et dont la
finalité devait être essentiellement de réamarrer les
quartiers dans les villes, et les villes dans le cadre d'agglomérations
dans lesquelles elles peuvent continuer à vivre.
A travers ce pacte de relance pour la ville que M. Gaudin et
M. Juppé ont présenté à Marseille le 18
janvier, nous avons souhaité aussi tenir compte également de ce
qui s'était passé il y a quelques années. Eviter la
lenteur : un pacte annoncé le 18 janvier a vu sa première
formulation législative sous la forme d'un amendement créant les
emplois de ville sur la loi sur l'apprentissage, et l'adoption le 14
février d'un projet de loi portant réforme d'un certain nombre de
dispositions de l'ordonnance de 45 sur la justice des mineurs.
Et puis nous souhaitons cheminer le plus rapidement. Il y a souvent une
différence entre la durée des gens des quartiers qui y vivent et
la durée des responsables qui décident des politiques à
leur endroit, mérite une accélération ; et dans ce
domaine il est important d'apporter une plus grande attention sur l'annonce et
sur la concrétisation de l'annonce.
Pour conclure, Monsieur le Président, je crois que la politique de la
ville a d'abord largement tenu compte des précisions, et parfois des
critiques, que l'ancienne opposition avait pu formuler à la
majorité d'alors, parce qu'il est vrai que dans le domaine urbain ce
sont tous les problèmes de la société qui sont
rencontrés et qui s'accumulent.
C'est la raison pour laquelle d'ailleurs le rapport Larcher en 1992 avait
été un peu un pacte de relance pour la ville embryonnaire et nous
avons tenu compte des réflexions qui dans ce rapport étaient
orientées vers l'éducation, vers le bâti, vers la
délinquance, et ce n'était pas seulement une réponse
urbaine en matière de logements, mais M. Larcher dans son rapport avait
balayé l'ensemble des sujets.
Nous avons essayé aussi de privilégier les priorités qui
sont souvent celles de la politique de la ville réclamée, et non
pas de la politique de la ville annoncée, c'est-à-dire l'effort
de sécurité. C'est plutôt souvent le nom de M. Pasqua
qui est applaudi dans les quartiers plutôt que celui de Harlem
Désir. C'est une constatation qu'il m'a été donné
de faire. Et nous avons largement oublié que, malheureusement,
l'insécurité des quartiers est une insécurité
intérieure endogène, qui finit bien souvent par s'attaquer
à la voiture du voisin plutôt qu'au pavillon du bourgeois de la
ville d'à-côté.
Il y a aussi une très forte demande d'activités. Vous avez comme
moi parcouru un certain nombre de quartiers et le soir, quand on finit sa
visite et qu'on a rencontré pendant la journée une ribambelle de
jeunes, on se demande ce qu'on va pouvoir trouver comme travail demain à
tous ces mômes. Et, ayant parcouru avec M. Gonnot dans sa circonscription
un certain nombre de cités, j'ai pu faire la même
appréciation. La priorité donnée aux activités a
été introduite dans le pacte, non pas d'une façon
idéologique, il ne s'agissait pas d'être tout libéral et
tout social, on a essayé de faire du Cardo et du Madelin,
c'est-à-dire faire en sorte qu'il y ait un effort important en
matière d'emplois de ville, mais aussi en matière de
revitalisation des quartiers au travers des dispositions que, de 1986 à
1987, Alain Madelin avait mises en oeuvre dans trois zones d'intervention, dans
ce qui était à l'époque plutôt des zones franches
que des quartiers de développement.
Enfin, il y a un effort important afin de positiver l'identité des
quartiers. Parce que, aussi bizarre que cela puisse paraître, on est
très heureux d'y habiter, on est très content lorsqu'on parle des
associations qui l'animent, et je vous conseille de regarder une
émission qui doit passer ce soir à la télévision,
qui montre qu'on peut faire du positif dans ces quartiers, que les couleurs,
qui y sont très diverses, sont souvent des couleurs de
générosité et de diversité. La
sécurité, l'activité et l'identité, ce n'est pas du
tout "réac", cela ressemble bien souvent aux idées
républicaines de liberté-égalité-fraternité.
C'est la raison pour laquelle la politique de la ville que le nouveau
gouvernement a présentée avec son pacte de relance pour la ville
n'est pas un énième plan, n'est pas un retour en arrière,
mais un ensemble de propositions qui sont encore à débattre et
qui s'inscriront dans un texte que nous présenterons au Parlement au
mois de juin. Sur le terrain, l'Etat et l'ensemble de ses instruments, du
préfet au sous-préfet à la ville, qui bien souvent devront
reprendre en mains, avec peut-être plus d'autorité les
différents intervenants et acteurs.
Il y a, bien entendu, les maires et les élus locaux. Vous étiez
peut-être à l'Hôtel de Ville samedi dernier avec un
très grande nombre d'élus pour parler d'intégration et
applaudir à tout rompre un jeune élu qui s'appelle Taheb Doizi,
qui est maire adjoint de Dreux ; cela montre que le débat sur les
problèmes d'intégration et de ville a beaucoup changé.
Et enfin, aujourd'hui, la priorité de ce débat sur la politique
de la ville tourne en grande partie autour d'une idée simple. Il faudra
un jour que la politique de la ville soit biodégradable, qu'il y ait un
retour sur investissement, et quand François Mitterrand annonçait
en 1991 qu'il devait y avoir un politique de la ville concentrée sur 350
quartiers, quand nous quitterons le ministère de la ville, qu'il n'y ait
pas 1 700 quartiers, mais qu'on puisse dire à nos successeurs : on
vous en laisse simplement 800, à vous de faire.
(Applaudissements).
M. François-Michel Gonnot .- Pour vous interpeller, vous avez quelqu'un à qui vous venez de rendre hommage il y a quelques instants, M. Larcher, sénateur des Yvelines, et qui a joué un rôle important dans l'adoption et la procédure législative sur la loi d'orientation de 1995 puisqu'il a été rapporteur de la loi d'orientation au Sénat.
RÉPONSE DE M. GÉRARD
LARCHER,
SÉNATEUR DES YVELINES,
RAPPORTEUR DE LA LOI D'ORIENTATION
AU SÉNAT
M. Gérard Larcher
.- Depuis ce matin, j'ai
l'impression que la campagne envie la ville et que depuis ce matin l'ensemble
des mesures additionnelles annoncées en régime
" light " semblent plutôt être destinées à
l'espace rural tandis que la ville se serait taillée depuis quelques
mois une part importante des moyens budgétaires limités mis
à la disposition de la politique d'aménagement du territoire.
Je voudrais rappeler dans quel état d'esprit nous avons abordé ce
texte dans le cadre de la mission que le président Francois-Poncet a
engagée au niveau du Sénat. Tout d'abord ne pas faire de
l'opposition Ile-de-France/province le basic de nos réflexions.
Deuxièmement, ne pas faire de l'opposition ville/campagne
l'exégèse de notre pensée. Et à partir de cela,
nous avons essayé de conduire, à partir d'une observation.
J'étais jeudi dernier dans le département des Hautes Alpes. Et
que vois-je à la mairie de Saint-Chaffret ? Enquête Le Point : "Le
département où on vit le mieux en France, ce sont les Hautes
Alpes". C'est une enquête réalisée et c'est écrit.
Et je n'ai pas vu que la Seine-Saint-Denis soit parmi ces premiers
départements.
Il faut se rendre compte d'une chose : nous avons souhaité conduire
parallèlement la réflexion sur les zones fragiles, mais en
même temps prendre en compte un certain retard qui a été
pris dans le domaine de la politique de la ville. Ce
rééquilibrage-là doit être conduit en direction de
l'espace rural dans les temps qui viennent, d'où l'importance du texte
qui va être préparé, conduit et déposé et
discuté par le Parlement.
Ce parallélisme-là nous a conduits, avec le gouvernement,
à proposer un certain nombre de mesures qui ont un parallélisme
des formes dans leur réalité. Ce sont des mesures d'abord
à caractère fiscal et à caractère de coût
social du travail. Ce sont des mesures en direction de l'implantation
d'entreprises. Des mesures en direction du service public. Des mesures en
direction de l'éducation, qui s'appellent ZEP ici, ou une idée
qui a du mal à faire son chemin qui s'appelle : l'implantation
d'université thématique de troisième cycle sur le
territoire. Voilà ce que nous avons proposé.
Bien sûr, il y a des différences entre ces territoires dans le
domaine de la sécurité où, quand nous aborderons le texte
de lutte contre l'exclusion, le problème d'urbanisme, des logements
vacants dans le territoire rural, des logements squattés dans la ville.
Les problèmes de désenclavement existent dans les deux
territoires : désenclavement dans l'espace rural, mais enclavement de
certains quartiers qui ne sont desservis que par des rocades de nationales ou
de départementales qu'on a greffées par hasard, sans plan urbain
global et sans schéma de cheminement qui conduit au coeur de la ville.
C'est vrai, avec 5 milliards supplémentaires, il y a l'engagement d'une
politique de la ville. La ville est nécessaire parce qu'elle est une
tête de réseau des services publics mais la ville a une
responsabilité vis-à-vis de son arrière-pays, et ce matin
on a parlé de métropole et un ange est passé puisque
finalement nous n'avons qu'une seule métropole de niveau international,
qui est Paris et sa petite couronne. Et quand M. Gaudin évoquait la
possibilité de cinq petites bananes bleues, la formule n'est pas de lui
mais de Gerbeau, j'ai pensé que c'étaient des bananes figues
à la dimension de l'Europe, et qu'il ne fallait pas nous faire des
frayeurs de cette nature parce qu'il y avait la nécessité de
pôles de développement qui prennent leur responsabilité
beaucoup plus qu'elles ne l'ont prise au cours des vingt dernières
années.
Enfin, et ce sera sans doute une des réflexions de la commission que
j'ai l'honneur de présider : la ville, c'est autre chose que la
politique de la ville et il est temps de recoudre la ville ensemble, pour que
derrière le mot ville on ne voie que le mot difficulté. La ville
dans notre histoire, mais aussi aujourd'hui, est une chance pour l'ensemble du
territoire.
Je disais tête de réseau du service public, mais aussi centre de
rencontres, de développement culturel et intellectuel. Centre de
responsabilités vis-à-vis de l'armature des bourgs ou des petites
villes qui l'entourent.
Aujourd'hui la politique de la ville me conduit monsieur le Ministre à
vous poser trois questions par rapport au pacte de relance :
- Tout d'abord, on a senti à un moment dans une partie des
réflexions qui conduisaient au rapport du délégué,
qu'une partie des problèmes de la ville en difficulté devait
être traitée par autre chose que les élus,
c'est-à-dire qu'il fallait une dimension législative d'exception
et qu'elle devait ressembler quelque part à la politique qui avait
été conduite dans le cadre des villes nouvelles. Peut-on imaginer
une politique de la ville qui clairement soit d'abord une politique
assumée pleinement avec les élus locaux et territoriaux ?
- Dans le pacte de relance, et c'est très intéressant pour
l'espace rural, qu'entendez-vous par les plates-formes de service public ? Dans
les quartiers en difficulté, le service public a des maillons
indispensables, il est parfois en régression, parfois en
difficulté.
- Enfin, vous avez annoncé sur quatre années cent mille emplois
de ville. Vous offrez deux options, mais je vais prendre la plus simple.
45 % du financement de ces emplois sont assurés par la
collectivité locale. Or la plupart du temps, pour les
collectivités locales qui ont ces quartiers en difficulté, toutes
n'auront pas les moyens de financer ces 45 % d'emplois de ville. Et
là encore on appelle au financement des collectivités qui
elles-mêmes sont en difficulté.
Voilà les trois questions que j'avais envie de vous poser à la
suite de votre intervention, mais en même temps les réflexions qui
sont les miennes, parce qu'il ne faudrait pas aujourd'hui, dans le cadre de la
mise en place progressive, parce que la loi d'orientation sur
l'aménagement et le développement du territoire n'est qu'une loi
d'orientation, il ne faudrait pas que soient traités à des
vitesses par trop différentes l'espace de la ville et l'espace rural. Si
tel était le cas, je crois que nous aurions raté ce que nous
avons réussi entre l'Assemblée Nationale et le Sénat en
décembre 94, c'est-à-dire éviter qu'on revienne sur des
schémas dépassés, l'opposition Paris/province ou
l'opposition ville/espace rural.
Voilà trois questions et quelques-unes des préoccupations que
nous avons dans le domaine de la ville, même si je sens que le domaine
est envié au moins à titre transitoire depuis ce matin, dans la
dimension financière en tout cas du traitement.
M. Eric Raoult
.- Première question. Un rapport de
préfets, MM. Idrac et Duport, deux experts tout au fait
remarquables ; l'un est délégué
interministériel à la ville, il connaît aussi bien que le
Ministre les problèmes des quartiers. Un préfet de la Seine
Saint-Denis, ancien délégué à l'aménagement
du territoire. Ils sont libres tous les deux pendant les vacances, ils
travaillent, ils font un rapport tout à fait remarqué dont un
certain nombre de bonnes pages retirées de leur contexte sont
publiées par un grand quotidien du soir et dès lors on hurle
à la recentralisation.
Le pacte de relance pour la ville, tel que présenté par le
Premier Ministre, a montré que pour nous le couple qui est au coeur de
toute intervention en matière de ville c'est l'Etat et le maire. Que
parfois le président d'association puisse être utile comme poil
à gratter et comme possibilité de contre-pouvoir, mais il est
clair que les lignes qui ont été définies à
l'intérieur de ce pacte de relance pour la ville ne prévoient en
aucun cas une recentralisation parce que le maire connaît mieux que le
préfet ou que le délégué interministériel
à la ville le nombre de jeunes qui posent des difficultés en bas
des cages d'escalier de la cité des Meurisiers à Trappes ou du
Val-Fourré à Mantes-la-Jolie.
Les plates-formes de services publics : dans beaucoup de quartiers il y a une
très forte demande de services publics par une population
précarisée qui ne connaît pas toujours l'ensemble des
adresses pour trouver les allocations familiales, l'ANPE, la Poste et France
Télécom, et bien souvent mettre dans un même lieu
l'ensemble de ces services publics, sous la forme d'une plate-forme, d'un
pôle ou d'un centre, peut être une réponse appropriée
au désenclavement social d'un bon nombre de ces publics.
Enfin, nous avons tenu compte avec Jean Claude Gaudin de toutes les demandes
qui nous étaient faites par les maires et les présidents
d'association. Nous avons une cible que nous ne savons pas traiter, ce sont les
18/25 ans, trop jeunes pour percevoir le RMI et trop vieux pour rester dans le
système scolaire. Notre proposition, ce sont des emplois de ville qui
doivent être des pieds à l'étrier, des mises en
activité. L'Etat prendra en charge 55 %, et les 45 % peuvent être
divisés entre la municipalité et d'autres collectivités
territoriales (nous avons été contactés par plusieurs
départements et plusieurs régions) et peuvent être aussi
partagés avec des délégataires de service public et des
présidents d'association. C'est ainsi que même une grande
entreprise comme EDF GDF est tout à fait prête à
étudier dans un certain nombre de sites une coparticipation au
financement de ces emplois de ville.
Gérard connaît les réussites des emplois consolidés
dans un certain nombre de villes, et des deux dispositifs que Pierre Cardot a
montés avec le Conseil général des Yvelines, et dans un
autre site que Jean-Louis Borloo a monté.
M. François-Michel Gonnot
.- Merci de ce témoignage,
de cette conviction et de cette foi dans une politique de la ville qui,
à l'évidence, reste nécessaire si nous voulons
équilibrer le territoire et lui permettre de se développer. Il
est évident que, outre les zones fragiles, nous avons parlé des
zones rurales et de la ville, ce qui contribue à l'aménagement du
territoire et ce qui est indispensable à son développement, ce
sont les grands équipements, les équipements publics. Là,
je crois qu'il faut remercier François Bayrou, ministre de l'Education
Nationale, de l'Enseignement supérieur et de la Recherche, et
M. Douste-Blazy, ministre de la Culture, d'être venus nous dire
très précisément de quelle façon, un an
après, ils apprécient, dans le domaine de compétence qui
est le leur, la meilleure façon d'équilibrer le territoire et lui
permettre, grâce à loi d'orientation mais aussi dans la gestion
quotidienne, de se développer.
Monsieur Bayrou, merci d'être là et, pouvez-vous peut-être
de nous dire comment le ministre responsable de l'enseignement, de
l'enseignement supérieur et de la recherche, c'est-à-dire celui
qui peut utilement à travers l'implantation des universités, leur
décentralisation, peut-être avec de nouveaux schémas de
responsabilisation au sein des universités en province, à travers
les pôles de recherche qui sont autour, comment peut-il contribuer,
à travers cet aménagement du territoire qui est attendu, et qui
doit contribuer à un meilleur équilibre entre Paris qui a
monopolisé dans le passé un peu trop le savoir, et cette province
qui aspire légitimement à voir se rééquilibrer ce
pouvoir, cette recherche et ce savoir que représente l'université
?
VI. ÉQUIPER LE TERRITOIRE : LES SCHÉMAS SECTORIELS
A. enseignement suprieur, recherche, culture
INTERVENTION DE M. FRANÇOIS BAYROU, MINISTRE DE L'ÉDUCATION NATIONALE, DE L'ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR ET DE LA RECHERCHE
M. François Bayrou
.- Après vous
avoir salués tous, mesdames et messieurs, et singulièrement
monsieur le préfet des Pyrénées-Atlantiques que
j'aperçois au sixième rang, et vous dire le plaisir qui est le
mien à me retrouver à cette tribune à côté de
M. Pasqua, M. François-Poncet, M. Douste-Blazy et M. Gouteyron, je
vais m'efforcer de poser en termes non diplomatiques les problèmes qui
sont évoqués à propos de l'aménagement du
territoire et de l'éducation (Education nationale primaire, secondaire,
enseignement supérieur) et vous dire comment je vois la
résolution de ces problèmes posés.
Tout le monde désormais a compris, c'est même l'objet de la loi,
que l'éducation, comme la culture d'une autre manière,
était une composante essentielle du développement et qu'il n'y
avait pas de développement sans offre d'éducation, sans
réseau suffisant d'éducation, et sans capacité à
offrir une éducation qui aille jusqu'à l'enseignement
supérieur. Tout le monde a compris, c'est un lieu commun des campagnes
électorales, que lorsque l'on veut attirer des entreprises, il faut
naturellement que celles-ci découvrent à proximité de quoi
rencontrer la culture, la scolarisation, l'offre universitaire, qui leur
permettent d'avoir le sentiment qu'eux-mêmes et leur famille
rencontreront toutes les chances d'épanouissement possible.
D'un autre côté, chacun voit bien que par exemple la
présence d'organismes de recherche, de laboratoires, est absolument
capitale pour ce développement. Tout le monde a compris cela. Reste
ensuite à le mettre en place.
Je vais vous dire quelles sont les principales difficultés que nous
rencontrons. La première est la gestion de la carte scolaire. Cela
touche au primaire et au secondaire et cela vaut au pauvre ministre
chargé de l'Education nationale des cataractes d'interpellations devant
le Parlement. Sur le thème : Monsieur le Ministre, vous avez
décidé de sacrifier nos enfants, nos cours moyens, nos cours
élémentaires, les boulangeries ferment, le dernier bar est parti,
l'église est menacée. Je cite une question quasiment in verbis
qui a été posée lors d'une de vos dernières
sessions. Mais c'est le thème de ces interrogations.
Généralement d'ailleurs le parlementaire saisit l'occasion
à la sortie de vous dire : c'est une question un peu démago,
mais j'ai été obligé de la poser pour mon pays. Ce que
tout le monde comprend. Mais cela représente une vision juste de ce
qu'est le traumatisme de l'utilisation des décisions, des moyens de
l'Education nationale dans les zones rurales, dans les zones d'éducation
prioritaire. M. Raoult aurait pu vous le dire à l'instant, il me parle
à chaque conseil des ministres des moyens de l'Education nationale.
Je n'aurais pas la démagogie de vous dire qu'un temps pourrait venir
où ces questions ne se poseraient plus. Ce serait mentir. Les
mêmes parlementaires, au moment de la discussion budgétaire,
montent à la tribune avec des trémolos dans la voix et le geste
ample pour dire : mais comment se fait-il que l'Education nationale soit
à ce point dévoreuse de deniers publics et soit incapable, alors
que le nombre des élèves baisse, de faire baisser le nombre des
enseignants à proportion ?
Je vais vous mettre en face des chiffres : si la baisse des
élèves, de la démographie scolaire, était
identiquement répartie sur l'ensemble du territoire, nous n'aurions
aucun problème. Mais, manque de chance, 80 départements
français baissent beaucoup, on a perdu cette année cinquante
mille élèves dans l'enseignement primaire, mais 20
départements français augmentent beaucoup. Et si l'on veut
maintenir les moyens, cela signifie qu'il faut ouvrir chaque année pour
ces vingt départements français deux mille classes de plus.
Et donc si vous êtes en stagnation du nombre des enseignants, il faut
fermer deux mille classes ailleurs et cela vous donne la dimension des
problèmes que nous avons à gérer. C'est la croissance d'un
certain nombre de départements français qui oblige à
ouvrir deux mille classes de plus et donc à fermer deux mille classes
ailleurs. Ce phénomène ne disparaîtra pas. Moi-même,
mon successeur, et toute la suite de mes successeurs auront à
gérer des problèmes de moyens à l'Education nationale.
Une question maintenant : peut-on les gérer mieux ? Ma certitude est que
oui. Mais il y faut du temps, cela ne se fait pas d'un claquement de doigts,
mais on peut les gérer mieux de deux manières différentes
et le Sénat a été à l'origine d'une
amélioration majeure. On peut les gérer mieux en termes
d'utilisation de moyens. Par exemple le pourcentage du nombre des
remplaçants dans l'enseignement primaire est important. Ce n'est pas du
tout les mises à disposition des associations. Il y en a quelques-unes,
mais ce n'est pas à la dimension du problème. En revanche il y a
beaucoup de remplaçants, ce qu'on appelle des "îliens". Et je
crois qu'on peut améliorer cette gestion-là de manière
notable. J'y travaille, mais cela prend trois ou quatre ans.
Deuxièmement, je pense que l'on peut gérer de manière
différente la carte scolaire. Les méthodes arrêtées
dans les inspections académiques peuvent être largement
améliorées. Je prends un exemple qui est familier à tous
les élus locaux : que font une grande partie des inspecteurs
d'académie ? Ils ferment en février plus de classes primaires
qu'ils ne devront en rendre définitivement et ils les réouvrent
en septembre pour faire taire les contestations les plus bruyantes. Je suis
certain qu'on peut faire autrement et qu'il faut associer les élus
locaux à la carte scolaire. Il faut rendre les élus locaux
co-responsables de la carte scolaire, conseils généraux,
association de maires. Vous ne pouvez pas vouloir à la fois la
responsabiliser et vouloir le contraire.
Vous le demandez, je crois que vous avez raison ; moi, cela m'arrangera
parce que cela ouvrira le regard de la représentation nationale sur la
réalité des problèmes qui se posent. Le Sénat a
suggéré, et j'ai aussitôt décidé de mettre en
place un observatoire des flux qui pourra permettre de prendre en amont les
décisions qui s'imposent au mieux des intérêts du terrain,
qui ne sont pas toujours respectés et beaucoup d'entre vous me l'ont
dit.
Donc, amélioration de la gestion des cartes scolaires. C'est vrai pour
les zones rurales et pour les zones d'éducation prioritaire qui devront
évoluer.
J'aborde maintenant le deuxième chapitre principal qui est celui de
l'enseignement supérieur. J'aurais pu parler de l'enseignement
secondaire, je le ferai en répondant à des questions. Pour
l'enseignement supérieur, la loi du 4 février 1995 nous fait
trois obligations, et j'en parle devant ses auteurs, en termes de
principes :
· l'égalité des chances,
· l'égal accès à la formation
· et l'utilisation de l'enseignement supérieur en termes
d'aménagement du territoire, avec une obligation, celle de créer
deux universités thématiques.
Je respecterai la loi. Vous l'avez votée et je considère
indiscutable de respecter cette loi.
Je voudrais en venir au fond pour traiter d'une question qui agite beaucoup
l'université et qui vous agite beaucoup, et je la pose dans le contexte
des états généraux de l'université. Je viendrai
naturellement devant les commissions et devant le Sénat pour en parler.
Tout le monde constate qu'il n'y a de développement que s'il y a une
offre d'enseignement supérieure présente, accessible, qui mette
à égalité avec d'autres zones du territoire. Mais la
question est celle-ci : peut-on disséminer l'université ? Et
comme l'université n'est pas seulement de l'enseignement mais de la
recherche, ce n'est pas seulement de la distribution de savoir, mais aussi de
la création de savoir. Est-ce qu'on ne se heurte pas à un
problème de taille critique, de seuil critique au-dessous duquel
l'université n'existe pas ?
J'invite à poser ce problème en termes de recherche autant qu'en
termes d'enseignement. Je le dis d'autant plus que, si mon information est
exacte, les unités délocalisées qui s'occupent uniquement
d'enseignement obtiennent de bons résultats. Mais à terme, la
mise en question ou l'absence de recherche est naturellement quelque chose qui
atteint au principe même d'une université, de son fonctionnement,
de son équilibre, de son rayonnement dans le futur.
Alors il y a deux réponses possibles et je vous livre les deux.
1) La première est celle que vous avez avancée dans la loi, qui
est celle de créer des unités suffisamment circonscrites,
focalisées sur un problème suffisamment étroit pour qu'on
puisse crédiblement avoir une recherche de haut niveau dans ces
universités. Cela ne peut être évidemment qu'un
problème extrêmement circonscrit pour qu'une ville moyenne ait la
capacité de montrer qu'elle peut développer une recherche
crédible sur le plan national et international sur le domaine
considéré. D'où beaucoup de discernement dans le choix du
sujet retenu. Il faut que le sujet soit assez clos pour être
crédible quand on a une petite unité.
2) Je suis frappé de voir qu'on n'a pas suffisamment creusé en
France ou en tout cas pas suffisamment théorisé le principe des
universités en réseaux, des campus de réseaux appartenant
à la même université. Je voudrais vous rappeler, en ayant
conscience que l'échelle n'est pas la même, que
l'université de Californie est organisée en huit campus
différents. Alors sans vouloir prétendre d'emblée au
rayonnement de cette immense université, il y a là
peut-être une idée à creuser. Non plus des antennes
délocalisées, ce qui a toujours un air péjoratif et qui
tend à secondariser une unité par rapport à une autre,
mais des réseaux reconnus comme à part entière et ayant
vocation à exister au même titre dans une université.
J'inaugurais l'autre jour le pôle universitaire de Quimper et il n'y a
aucune raison que Quimper soit très secondarisé par rapport
à Brest ou inversement. On peut très bien imaginer d'avoir des
unités appartenant à la même université, qui
simplement organise en réseau des implantations universitaires
différentes, ce qui assurera la pluridisciplinarité et le contact
entre chercheurs.
C'est d'autant plus important que je suis persuadé que
l'université française est en situation d'infirme. Elle a
considérablement développé le côté
intellectuel et général. Elle a fait de brillante
université générale, elle n'a absolument pas
développé comme il devrait l'être le pôle
technologique qui aurait dû être une composante essentielle du
développement de la France. Nous avons de ce point de vue-là un
manque majeur. Si je réussis à convaincre la communauté
universitaire au terme des états généraux, il y aura des
dispositions prises pour construire en France une grande université
technologique, ce qui ne signifie pas nécessairement des
universités technologiques distinctes des universités
générales, mais qui peuvent, nous en discuterons, être des
unités technologiques, des filières technologiques dans des
établissements technologiques à l'intérieur de
l'établissement général.
De ce point de vue, je suis persuadé que l'aménagement du
territoire peut trouver matière à un maillage différent du
territoire national et ainsi les objectifs de la loi seront remplis. En tout
état de cause nous ne devons pas, y compris dans l'aménagement du
territoire, considérer les universités uniquement comme des lieux
d'enseignement. Il n'existe dans le monde de grandes universités ou
d'universités moyennes que celles qui sont capables de rayonner par leur
recherche autant qu'elles rayonnent par leur enseignement, et cela doit
être une dimension majeure du sujet que vous allez traiter ensemble
à l'occasion de la discussion de la loi dans ce colloque et que nous
traiterons dans les schémas régionaux, le schéma national
et les échéances devant nous pour appliquer la loi votée
en février 1995.
(Applaudissements).
M. François-Michel Gonnot
.
- Merci
monsieur le Ministre. Vous l'avez dit dans votre propos introductif, pour
retenir et attirer les entreprises dans nos cantons, nos départements,
partout, il faut des universités, des écoles, des lycées,
des routes, des infrastructures de transport, des réseaux de
télécommunication, mais aussi une politique culturelle.
Monsieur Douste-Blazy, nous avons entendu ce matin ce que vous entendez souvent
: il y a toujours dans la politique culturelle et les moyens que l'Etat y
consacre, un déséquilibre entre les crédits
consommés par la capitale et l'Ile de France et les crédits en
régions. Pourriez-vous nous apporter quelques mises au point sur cette
question ?
INTERVENTION DE M. PHILIPPE DOUSTE-BLAZY, MINISTRE DE LA CULTURE
M. Philippe Douste-Blazy
.- Je voudrais d'abord
remercier, à mon tour, le président Jean François-Poncet
de nous avoir invités à parler d'un sujet aussi important que
celui-là. Je vais m'efforcer de dire en quelques mots les
problèmes qui existent aujourd'hui dans la politique culturelle en
région. Je dois faire face à plusieurs problèmes. Quand je
vais à Bercy, j'ai l'impression de tomber parfois sur des personnes qui
ne voient pas très bien pourquoi la politique culturelle de l'Etat est
importante.
M. François Bayrou
.- Tu n'es pas le seul.
M. Philippe Douste-Blazy
.
- Quand je vois les élus locaux
et que je vais en province, je me rends compte qu'il y a une très
importante vie culturelle, un épanouissement culturel des régions
et de nos provinces, qui a été décuplée durant les
vingt dernières années.
Après l'action de fondation d'André Malraux, après les
efforts de déconcentration de Jacques Duhamel, après les efforts
de décentralisation de Jack Lang et Jacques Toubon, il y a aujourd'hui
probablement une nouvelle réflexion à avoir sur le
ministère de la Culture. Nous sommes pratiquement le seul pays au monde
à avoir organisé depuis 35 ans un ministère de la
Culture ; je crois que nous devons, aujourd'hui, y
réfléchir.
Il y a deux sortes de personnes qui rentrent dans le bureau du ministre de la
Culture : des hommes et des femmes de culture, qui ont des projets
très techniques sur le plan culturel ; ils vous demandent une subvention
; ou bien elle est importante et vous l'accordez, et vous êtes un grand
ministre ; ou la subvention que vous accordez est inférieure à ce
que qu'ils veulent et vous êtes un mauvais ministre. Pour les élus
locaux, c'est souvent la même chose. Il faut que nous sortions de cette
dérive, qui est une dérive de subvention, qui est d'ailleurs
beaucoup trop souvent une dérive redondante. On s'aperçoit que la
région, le département, la commune et l'Etat finissent aussi
souvent par payer les mêmes choses.
Vous qui êtes des parlementaires, des élus locaux, des membres du
Conseil économique et social ; en premier lieu, vous êtes les
acteurs de la vie culturelle de ce pays. Cela remonte au 19ème
siècle. Aujourd'hui, on peut dire que depuis trente ans, l'Etat fait un
effort très important dans la politique d'investissement culturel.
Je vous donne deux chiffres : les collectivités territoriales
consacreront cette année pour l'action culturelle 38 milliards de
francs. Les seules communes donneront 30 milliards de francs. Le
ministère de la culture disposera de 15 milliards. En 1981, les communes
donnaient 15 milliards. Nous ne sommes pas arrivés, pendant ce
même temps, à organiser une réflexion commune entre les
communes, les départements, les régions et l'Etat. Et cela
manque.
Nous devons, aujourd'hui, bâtir une nouvelle politique culturelle qui
prend en compte le fait que ce sont les collectivités territoriales qui
font le plus gros effort et qui, ensuite, permettent de mieux coordonner
l'effort de l'Etat. Il faut donc un schéma national des
équipements culturels pour lutter, à la fois, contre l'exclusion
sociale et l'exclusion géographique.
Pour répondre directement à la question, je crois qu'il faut
raisonner sur le plan des équipements. Il y a aujourd'hui beaucoup plus
d'équipements à Paris qu'en province. Le ministère de la
culture est resté beaucoup trop longtemps un ministère parisien,
en oubliant l'épanouissement culturel de nos provinces depuis quatorze
ans. Il y a beaucoup plus d'équipements culturels au centre ville que
dans les périphéries, beaucoup plus dans les villes que dans les
campagnes. Je crois qu'aujourd'hui nous devons faire porter la réflexion
sur une une carte d'équipements culturels qui couvre tout le territoire.
C'est la raison pour laquelle, pour la première fois, le
ministère de la culture s'est lancé dans une politique
très offensive dans les banlieues et les quartiers
périphériques de nos villes. Il y a 19 projets de quartier, plus
une cinquantaine qui vont être développés, qui visent
à considérer les habitants de ces quartiers plus comme des
acteurs que comme des spectateurs. Ce n'est pas la peine d'arriver à 22
heures avec un magnifique spectacle, si c'est pour repartir à deux
heures du matin ; on n'aura réglé aucun problème de
fond et ce n'est pas ainsi qu'il faut dépenser l'argent de l'Etat en
termes culturels.
De même, nous avons des projets quant à la lecture, la lutte
contre l'illettrisme, nous avons des projets sur l'expression corporelle, le
théâtre et la musique qui, au bout d'un an ou deux, transforment
véritablement les habitants de ces quartiers. En termes d'offre
culturelle, nous pensons qu'elle doit être une offre de proximité
et c'est la raison pour laquelle nous souhaitons mettre en place un
véritable réseau culturel, avec les scènes nationales,
avec de la musique avec la mise en place de cafés-musique dans les
départements, avec les centres dramatiques nationaux.
Je souhaite tout simplement que l'on défende le service public culturel.
Je souhaite qu'avec vous, avec les élus locaux, nous puissions signer
des conventions entre l'Etat et les communes, l'Etat et les
départements, l'Etat et les régions.
J'ai commencé il y a cinq mois avec les orchestres nationaux, avec les
scènes nationales, avec les centres dramatiques nationaux. De quoi
s'agit-il ? Il s'agit, par exemple, d'un orchestre national, que l'Etat
subventionne. C'est l'orchestre national de Toulouse ; mais il doit aussi
irriguer les villes de moins de 50 000 habitants de la Région
Midi-Pyrénées. Toulouse, Lyon, Marseille et Lille ne peuvent pas
se considérer comme Paris l'a fait pendant longtemps vis-à-vis de
la province. Je souhaite qu'il existe un grand orchestre national de Toulouse,
mais je voudrais qu'on le voie à Cahors ou Mazamet ; c'est comme cela
qu'on défendra, véritablement, un réseau culturel et un
aménagement culturel du territoire.
Il ne faut pas refaire au niveau régional les erreurs faites au niveau
national. On met en place des cahiers des charges. Le véritable
rendez-vous, c'est le jour ou ce cahier ces charges ne sera pas
respecté. Ce jour-là, il faudra diminuer les subventions de
l'institution culturelle en question.
Un mot sur l'enseignement artistique : on ne pourra pas développer
l'aménagement culturel du territoire si on ne développe pas
l'enseignement artistique. Là aussi, il faut une politique de
convention. Tout le monde dira que l'Etat diminue ses prestations ou son
financement des écoles de danse, des conservatoires et des écoles
de musique. Je ne demande pas mieux que de consacrer plus d'argent aux
conservatoires, aux écoles de musique et aux écoles de danse dans
la mesure où, en contrepartie, je suis sûr que tous les enfants de
la commune ou du département puissent être initiés à
un instrument.
Nous devons apprendre à travailler ensemble. Vous donnez encore plus que
l'Etat, vous, les collectivités locales, et c'est maintenant à
nous d'organiser une politique de contrats et de conventions.
Un mot sur les grands projets en région. Cette année le budget du
ministère de la Culture montre que 2/3 des investissements iront en
province. C'est la première fois depuis longtemps. Nous avons
profité du fait de l'extinction des grands projets parisiens, et nous
avons gardé la même somme pour investir en province. C'est ainsi
que cette année il y aura un grand auditorium à Dijon, le centre
de Reims des archives de la cinquième République et aussi le
musée d'art contemporain de Toulouse.
M. Charles Pasqua
.- Bravo.
M. Philippe Douste-Blazy
.- Je voudrais ajouter un dernier mot
puisque j'ai la chance de vous avoir devant moi.
Demain, au Sénat, je vais présenter un projet de loi qui me
paraît très important pour l'aménagement culturel du
territoire. En France, il existe 40 000 monuments historiques qui sont
rénovés et entretenus par l'Etat. A côté, il existe
400 000 monuments ou sites non protégés, non inscrits, non
classés, qui sont aujourd'hui une richesse considérable
patrimoniale pour notre pays. Il n'y a pas un seul village dans ce pays qui
n'ait pas une église, une chapelle, un rempart, un lavoir qui doit
être entretenu ou rénové. Aujourd'hui, le budget des
petites communes ne permet pas la rénovation et l'entretien de ces
monuments. Nous fondons, dès demain au Sénat, la Fondation du
Patrimoine. C'est une véritable révolution culturelle dans ce
pays, car c'est une fondation privée, comme les Anglais l'ont fait avec
le National Trust, où toutes les grandes entreprises publiques,
privées, et tous nos concitoyens pourront participer avec des avantages
fiscaux identiques à ceux que l'on a pour la Fondation de France.
Nous allons proposer des conventions, département par
département, en faisant d'un côté la liste de tous les
monuments et sites non protégés du département, en face la
liste des entreprises de travaux publics spécialisées dans ce
type de métier, et nous allons demander aux entreprises, en
contrepartie, de l'augmentation du volume de travaux, l'embauche de
chômeurs qui pourront être formés à des emplois de
rénovation après six mois de formation.
Nous avons là une réponse à la question : un
aménagement culturel du territoire, en pensant à tous les
villages de ce pays, en faisant un programme national d'entretien et de
restauration du patrimoine, et en montrant que la culture et l'emploi sont deux
notions qui ne sont pas contradictoires, mais au contraire
complémentaires.
M. François-Michel Gonnot
.- Pour vous interpeller, M.
Gouteyron, Sénateur de la Haute Loire et Président de
l'importante commission des Affaires culturelles du Sénat.
RÉPONSE DE M. ADRIEN GOUTEYRON,
SÉNATEUR
DE LA HAUTE-LOIRE,
PRÉSIDENT DE LA COMMISSION DES AFFAIRES
CULTURELLES DU SÉNAT
M. Adrien Gouteyron, sénateur de la
Haute-Loire
.- Je veux tout d'abord donner acte au ministre de la
culture de l'action importante de rééquilibrage qu'il a
engagée entre Paris et la province. Les chiffres des crédits
affectés à son ministère et leur répartition le
montrent facilement. L'objectif, certes, n'est pas encore atteint, mais on peut
penser qu'il le sera au terme des dix ans prévus par la loi. L'objectif
est que deux-tiers des crédits de l'Etat soient affectés aux
régions autres que l'Ile-de-France.
Monsieur le Ministre, ne pensez-vous pas qu'il est nécessaire de bien
définir les principes selon lesquels s'opérera le
rééquilibrage entre Paris et la province, faute de quoi celui-ci
risque de cacher un déséquilibre profond à
l'intérieur de la province ?
Je ne veux pas reprendre ici les termes de métropolisation ou de
mégapolisation, mais, la province connaît effectivement aussi
certaines mégalopoles ! Il faut donc que ce rééquilibrage
s'accompagne d'une définition de la culture -et je reprends votre
expression- qui soit une culture de proximité, une culture modeste. Cela
ne signifie pas une culture au rabais : cela peut même être
exactement le contraire !
Quels sont donc les principes selon lesquels ce rééquilibrage
s'accompagnera d'un équilibre à l'intérieur de la province
?
M. Philippe Douste-Blazy, ministre de la culture
.- Bien
évidemment, il n'existe pas de culture au rabais ! Il y a deux
réponses à votre question. Tout d'abord, il faut éviter de
faire les mêmes erreurs en province que celles qu'on a commises à
Paris pendant trente ans. Il est hors de question de penser que les grandes
villes de France vont absorber l'ensemble des crédits, sans penser aux
villes ou aux campagnes autour d'elles.
Pour cela, il y aura une politique de conventionnement. Il existe un cahier des
charges très strict, que ce soit au niveau de la musique ou le
théâtre. Fin 1996, le cahier des charges que nous aurons
définis avec l'ensemble des collectivités devra être tenu,
sinon, pour la première fois dans ce pays, les subventions ne seront pas
reconduites.
En effet, le drame de ce ministère est que, dès l'instant
où quelqu'un a eu une subvention, il estime qu'il a droit à la
même subvention, majorée de 10 % ! Nous avons commencé
à le faire il y a plus de six mois...
Ma seconde réponse est la seule qui vaille en matière de
politique culturelle : on ne peut faire croire qu'on va saupoudrer, en
permanence, les différents festivals et associations culturelles. On
arrivera à appauvrir notre tissu culturel. Oui, il faut soutenir les
festivals d'Aix et d'Avignon, mais cela veut dire donner moins à des
festivals qui n'apportent pas de véritable réponse aux attentes
culturelles de nos concitoyens. Cette politique a été ouverte
lors du budget 1995 ; elle sera poursuivie dans le budget 1996.
M. Adrien Gouteyron
.- Par ailleurs, nous avons tous en tête
les débats qui ont eu lieu et l'effort de définition qui a
été fait autour la notion d'université thématique.
Or, j'ai eu un peu le sentiment, en entendant le ministre de l'éducation
nationale, qu'il respecterait certes la loi, mais sans conviction. La fin de
votre propos a corrigé cette impression, car la définition que
vous avez donnée des universités -dont le champ doit être
restreint et qui doivent être couplées avec des programmes de
recherche de haut niveau- correspond très exactement à celle que
le Sénat s'est efforcé de donner.
La loi précise qu'il faudra profiter de la croissance des effectifs
à accueillir dans nos universités pour créer d'autres
universités de ce type dans les années qui viennent. Quelle est
votre intention pour que cela se réalise dans les cinq ou six
années qui viennent ? Ce point est fondamental pour nous !
M. François Bayrou, ministre de l'éducation nationale, de
l'enseignement supérieur et de la recherche
.- Je crois que nous
essayons de dire les mêmes choses, chacun à notre manière...
Il n'y a pas d'université sans recherches. Deux de choses l'une : ou
bien l'on circonscrit le sujet de ces universités pour qu'elles puissent
entretenir une recherche de haut niveau, ou l'on installe ces pôles dans
une université où existe une recherche de haut niveau pour que le
développement puisse en profiter.
J'ai dit que je respecterai la loi : je la respecterai parce que je la crois
juste, vraie, parce que c'est la loi. Mais je ne la respecterai pas pour la
raison que tu as dite ! Je crois fort heureusement que nous sommes en limite de
croissance du nombre d'étudiants dans les universités. Ce n'est
pas une croissance exponentielle : on peut en prévoir les
éléments. Aujourd'hui, selon nos prévisions nous
atteignons un plateau. Heureusement !
En revanche, nous savons qu'un très grand nombre d'étudiants se
trouvent dans certaines filières par erreur d'orientation, et ce pour
deux raisons, soit parce qu'ils n'ont pas eu les informations suffisantes, soit
parce que les filières vers lesquelles ils auraient pu s'orienter
n'existaient pas.
D'où mon insistance sur le point de la création d'un autre visage
de l'université française, qui est le visage technologique,
d'où l'importance des réseaux, d'où l'obligation dans
laquelle nous sommes de penser de manière complètement
différente le développement des universités, notamment
à l'égard de la professionnalisation -car nous vivons dans une
espèce d'ambiguïté que nous entretenons, en faisant croire
aux étudiants, après avoir constaté que le chômage
grandissait, que notre seule obligation était de leur fournir un
diplôme, comme si diplôme valait emploi, alors que nous savons que
ce n'est plus le cas !
Nous sommes donc obligés de poser la question de l'élargissement
du champ universitaire vers des activités qui, pour l'instant n'y sont
pas prises en compte. Sans doute une des raisons de l'effondrement d'une partie
de notre tissu industriel est venue du peu de dignité que les
disciplines fondamentales qui auraient dû l'animer possédaient
dans le champ universitaire.
Nous continuons à vivre dans un système de castes dans lequel
c'est la tête qui commande et la main qui obéit. La France ne
s'occupe pas de la main, comme si c'était déroger que de
s'occuper de cette partie pourtant essentielle ! C'est la grande grandes
différence avec l'Allemagne...
Nous avons donc le devoir d'appliquer la loi, non parce qu'il s'agit d'une
obligation, mais parce que notre aspiration à voir l'université
française changer dans son organisation et dans sa quête
d'égalité des chances est la principale raison qui nous y oblige.
M. François-Michel Gonnot, président
.-
François Bayrou nous a dit avec conviction combien une école, un
lycée, une université, un pôle de recherche pouvaient
contribuer à la structuration du territoire ; Philippe Douste-Blazy nous
a également convaincus de la nécessité d'une politique
culturelle pour attirer et retenir des entreprises, notamment en matière
économique. L'un et l'autre ont témoigné des
possibilités que permettra la loi d'orientation et des actions
déjà engagées.
Mais que dire, Bernard Pons, en matière de structuration du territoire,
lorsqu'il s'agit d'une route, d'une voie ferrée ou d'un aéroport
? ... Si nous sommes, nous, élus, toujours très friands de ces
infrastructures, peut-être François Fillon pourrait-il nous
affirmer qu'un réseau de fibres optiques est tout aussi structurant.
Nous entrons là dans une dimension du futur, que certains élus
n'ont peut-être pas toujours apprécié dans toute leur
importance.
La France se prépare à la déréglementation en
matière de télécommunications. Comment votre
ministère, François Fillon, peut-il contribuer à cette
nouvelle politique d'aménagement du territoire que tracent les lois
Pasqua ?
B. transports et télécommunications
INTERVENTION DE M. FRANÇOIS FILLON,
MINISTRE
DÉLÉGUÉ À LA POSTE,
AUX
TÉLÉCOMMUNICATIONS ET À L'ESPACE
M. François Fillon, ministre
délégué à la poste, aux
télécommunications et à l'espace
.- La loi du 4
février a prévu que le Gouvernement rendrait en 1996 un
schéma des télécommunications.
Je crois que le législateur et son inspirateur ont été
visionnaires -mais est-il nécessaire de rappeler que l'inspirateur de la
loi est visionnaire ?- s'agissant des télécommunications. Ils ont
en effet compris que, si le XX ème siècle avait
été celui la société industrielle, le XXI
ème serait celui de la société de l'information.
Les nouvelles technologies, grâce au numérique et aux
progrès de l'informatique, vont en effet être des instruments
déterminants pour l'éducation, pour le développement
économique, ainsi que pour l'intégration culturelle et sociale.
Cette prévision que plusieurs font depuis quelques années est
aujourd'hui confirmée par de très nombreux indicateurs, que ce
soient les créations d'emplois dans l'industrie et les services en
matière de télécommunications, que ce soit l'attention que
portent désormais les marchés financiers aux
sociétés qui maîtrisent ces nouvelles technologies, que ce
soient les batailles de titans auxquelles se livrent les géants de la
communication pour maîtriser les marchés de demain en
matière de services en ligne ou encore les efforts des grands pays
industrialisés -et en particulier de leurs leaders politiques- pour
gagner cette nouvelle bataille. Je pense à l'élection
présidentielle américaine où ce sujet avait
été au coeur du débat, ou encore à la nouvelle
structure gouvernementale allemande...
Les études préliminaires de ce schéma sont très
avancées, mais je me réjouis qu'elles ne soient pas
complètement achevées, puisqu'elles vont devoir intégrer
deux éléments nouveaux, l'ouverture à la concurrence et la
politique que conduit le Gouvernement dans le domaine des inforoutes.
L'ouverture à la concurrence va être l'élément
déterminant du calibrage de cette politique de l'Etat en matière
de télécommunications. Cette ouverture est programmée pour
le 1er janvier 1998, dans le cadre de l'Union européenne. C'est
l'aboutissement d'un processus de décisions qui a commencé en
1984, et qui a reçu depuis l'adhésion -souvent enthousiaste- de
tous les gouvernements français successifs les uns après les
autres.
Comment le Gouvernement prépare-t-il cette ouverture à la
concurrence ? Tout d'abord, il proposera au Parlement dans quelques semaines
une nouvelle loi en matière de réglementation des
télécommunications. Il favorisera également la
modernisation et l'évolution de France Télécom.
La nouvelle loi va être l'élément déterminant du
paysage des télécommunications pour les quinze ou vingt
années à venir. La France a choisi dans ce domaine une voie
originale. Elle est d'ailleurs la seule à l'avoir choisie. Il s'agit
d'une voie médiane entre une ouverture à la concurrence totale et
une volonté de défendre le service public.
Le projet de loi de réglementation, qui sera présenté au
Conseil des ministres dans une semaine, prévoit en effet un service
public garanti par l'Etat, dont la définition est donnée pour la
première fois dans un texte législatif. Le service universel de
la téléphonie vocale tel que vous le connaissez fonctionnera
selon les principes du service public "à la française"
-c'est-à-dire l'universalité, l'égalité,
l'adaptabilité et la continuité. La péréquation
tarifaire reprendra le principe actuel de la péréquation
géographique : le coût des télécommunications sera
le même où que l'on soit sur le territoire. La définition
du service public intégrera dans le service universel de la
téléphonie vocale les obligations qui y sont liées, comme
les appels d'urgence, les cabines téléphoniques, les annuaires,
etc.
Enfin, l'ensemble sera confié à l'opérateur historique
France Télécom, car il est dit clair que ce service universel
doit être offert sur l'ensemble du territoire national et qu'aujourd'hui
-et pour longtemps encore- seule France Télécom est capable
d'offrir ce service sur l'ensemble du territoire.
Ce service public sera financé par une redevance d'interconnexion et par
un fonds de service universel. Redevance et fonds seront acquittés par
tous les opérateurs qui rentreront sur le marché et qui auront
besoin de s'interconnecter au réseau de l'opérateur historique.
Ce service universel est défini de manière évolutive : il
est prévu que tous les cinq ans, on puisse y rajouter des
éléments que permettront les progrès de la technologie.
Le service public ne comprend pas seulement le service universel de la
téléphonie vocale. Ce sont aussi souvent des obligations de
service public qui s'ajoutent au service universel : liaisons louées,
services avancés de téléphonie vocale ou encore liaisons
numériques, qui sont des obligations que France Télécom
devra respecter, en particulier celle de mettre à la disposition de tous
les Français, sur l'ensemble du territoire, ces services qui viennent
compléter la définition du service public.
Les préoccupations d'aménagement du territoire sont
présentes dans le projet de lois qui vous sera soumis, d'abord à
travers la péréquation géographique, qui est une notion
que la France est un des seuls pays européens à avoir
conservée, et à travers le cahier des charges de nouveau
opérateurs. En effet, ceux-ci devront obtenir une licence qui sera
délivrée par l'Etat. Les cahiers des charges comporteront un
certain nombre d'éléments en matière d'aménagement
du territoire, des obligations en termes de zones de couverture des services,
en termes de calendrier de déploiement, ou encore dans le domaine du
respect des règles d'urbanisme. Enfin, une redevance de passage, qui
n'existe pas aujourd'hui pour France Télécom, mais qui existe
pour les autres opérateurs de réseaux, sera introduite dans la
loi.
Ma conviction est que, plus que la loi, c'est la concurrence qui
connaîtra les effets bénéfiques les plus importants, tant
pour le consommateur que pour l'aménagement du territoire.
Partout, la libéralisation s'est traduite par une augmentation de
l'offre de services, par des tarifs plus bas, y compris pour les services de
base, et en particulier pour la téléphonie vocale locale. Elle
s'est traduite également par une meilleure réponse aux besoins
des entreprises et globalement par des créations d'emplois dans le
secteur télécommunications.
Il suffit de prendre l'exemple du téléphone mobile en France :
tant que la concurrence n'existait pas dans ce secteur, le service était
inexistant ; il est apparu à partir du jour où la concurrence a
été introduite.
Si nous voulons demain développer le télé-travail sur
l'ensemble du territoire, les services en lignes -Internet ou ceux de demain-
la condition sine qua non est que le coût des communications soit
beaucoup plus bas qu'aujourd'hui. Sans baisse du coût des communications,
il n'y aura jamais de développement de ces services, qui sont des
instruments d'aménagement du territoire.
Dans ce contexte, le Gouvernement n'oublie pas de d'accompagner
l'évolution de l'opérateur historique France
téléphone. Cette évolution devra se faire progressivement,
dans le sens d'une modification de la structure juridique de l'entreprise vers
une structure de société. Il n'y a pas un autre opérateur
de téléphone en Europe qui n'ait pas aujourd'hui une structure de
société ou qui ne soit pas en train de s'en doter !
Par ailleurs, l'article 20 de la loi sur l'aménagement du territoire
prévoit qu'en 2015, la France devra être couverte en
réseaux à haut débit. Grâce à l'ouverture la
concurrence, nous allons aller plus vite. Nous avons donc décidé,
pour hâter le mouvement, d'engager une grande campagne
d'expérimentation, pour tester les technologies et les services.
250 expérimentations ont été labelisées par
l'Etat. 270 millions de francs y ont été affectés en 1996
contre 50 millions en 1995.
Nous avons par ailleurs, depuis le 15 mars, accès sur tout le territoire
français au service d'Internet pour le prix d'une communication locale.
Dans quelques instants, je rejoindrai l'Assemblée nationale pour la
seconde lecture -et j'espère la dernière- de la loi permettant
les expérimentations en matière d'autoroutes de l'information,
notamment dans le domaine des télécommunications sur les
réseaux câblés, qui nécessitent une modification
législative.
Nous venons de mettre en place un fonds d'aide à l'édition des
services en lignes, notamment destinés à aider les
éditeurs de logiciel et de CD Rom. Enfin, j'annoncerai au Conseil des
ministres de demain un certain nombre de mesures supplémentaires dans le
domaine de l'éducation, de la stimulation du marché des
ordinateurs et dans le domaine du commerce électronique, avec
l'allégement radical de la législation française en
matière de cryptage, qui était jusqu'à aujourd'hui un vrai
handicap pour le développement de ce secteur.
Enfin, la France a décidé de prendre une grande initiative qui
sera proposé à nos partenaires européens dans quelques
jours, à l'occasion d'une réunion informelle à Bologne,
afin que l'Europe prenne les devants pour organiser une conférence
internationale dans le domaine du droit de la communication, pour tenter de
résoudre de manière internationale les problèmes de
contrôle des contenus sur les réseaux en lignes et de droit
à la propriété intellectuelle.
On ne doit pas avoir peur de ces nouvelles technologies, mais au contraire
saisir les opportunités et tout faire pour mettre ces nouvelles
technologies au service de nos valeurs. L'égalité entre tous les
Français est une de nos valeurs : c'est même une valeur fondatrice
de la République !
(Applaudissements).
M. François-Michel Gonnot, président
.- Merci de
nous avoir mieux permis de mesurer les formidables enjeux industriels et en
termes d'aménagement que représente la
déréglementation en matière de
télécommunications. Un seul regret : vous n'avez pas parlé
de la Poste...
M. François Fillon
.- ... Un mot sur la Poste : le
Gouvernement tient les engagements pris par son prédécesseur
s'agissant du gel de toutes les restructurations internes et des suppressions
de bureaux ou de diminution d'effectifs dans les petits bureaux. Nous
maintiendrons cette politique aussi longtemps que l'Union européenne
nous le permettra, et c'est pourquoi le Gouvernement français se bat
à Bruxelles, afin que la libéralisation du secteur postal ne soit
pas inscrite à l'ordre du jour. Autant, dans le domaine des
télécommunications, cette libéralisation est synonyme
d'améliorations de services pour le consommateur, autant, compte tenu de
notre densité de population, elle n'est pas synonyme
d'amélioration de services pour la Poste.
Dans le prochain contrat de plan, nous prévoyons de maintenir
l'obligation pour la Poste de conserver l'ensemble de son réseau tel
qu'il existe aujourd'hui. En 1997 ou 1998, il faudra toutefois se poser la
question du financement du maintien de ce réseau. Ma conviction est que
nous n'échapperons pas à une intervention publique si nous
voulons que la Poste puisse continuer à développer des services
modernes et n'accuse pas des déficits excessifs.
M. François-Michel Gonnot, président
.- Je me tourne
maintenant vers Bernard Pons. Monsieur le Ministre, vous êtes sans doute
celui à qui la loi d'orientation a donné le plus d'obligations,
notamment en matière de réflexions et de programmations à
long terme...
INTERVENTION DE M. BERNARD PONS,
MINISTRE DE
L'ÉQUIPEMENT, DU LOGEMENT,
DES TRANSPORTS ET DU TOURISME
M. Bernard Pons, ministre de l'équipement, du
logement, des transports et du tourisme
.- Effectivement, si, pour
François Fillon, la loi un schéma, pour moi, elle en
prévoit cinq : un schéma directeur routier national, un
schéma directeur des voies navigables, un schéma ferroviaire, un
schéma des ports maritimes et enfin un schéma des infrastructures
aéroportuaires.
Le ministère dont j'ai la responsabilité bénéficie
déjà d'une certaine expérience en la matière,
puisqu'il a élaboré trois schémas au cours des
dernières années et, à la lumière de cette
pratique, on peut voir l'intérêt, mais aussi la limite de ces
instruments.
Tel qu'il est défini par la loi, l'objectif des schémas
directeurs est d'assurer la cohérence à long terme des
réseaux définis par les différents modes de transport. Cet
objectif ne peut que rencontrer l'adhésion de tout le monde.
Mais ces documents, pour être opérationnels, doivent
obligatoirement demeurer sélectifs, tout en restant transparents dans
les choix publics. L'exemple du schéma directeur national du
réseau ferroviaire à grande vitesse illustre les risques d'une
planification trop optimiste, dans un contexte très évolutif.
C'est pourquoi j'ai demandé une mission de réflexion sur la mise
en oeuvre de ce schéma. Ses conclusions seront disponibles avant
l'été et nous éclaireront très utilement dans
l'élaboration du futur schéma directeur...
S'agissant de transparence, j'ai demandé à la direction des
routes de lancer des études sur l'intérêt économique
et social d'éventuelles nouvelles liaisons pour compléter
l'ensemble de notre armature autoroutière à l'horizon de 2015.
Des débats publics seront engagés sur la base de ces
études, au deuxième semestre de l'année 1996.
Ces débats, qui porteront sur les enjeux et fonctions, et non sur le
détail des tracés, seront, en amont des décisions, un des
éléments fondamentaux d'éclairage des choix du
Gouvernement.
De manière générale, je veillerai à ce que les
prochains schémas directeurs recherchent un juste équilibre entre
un volontarisme utile -à condition de ne pas devenir incantatoire- et un
réalisme indispensable, sans pour autant vouloir engager ce qu'on
pourrait appeler une programmation prématurée.
J'en viens à ce qui constitue à mes yeux l'apport le plus
novateur sur ce point de la loi : il s'agit de la nécessité
d'inscrire chaque schéma dans une approche intermodale. Pour moi,
l'intermodalité est à la fois l'expression d'une volonté
politique, d'un choix économique et d'une exigence financière.
La volonté politique consiste à répondre aux attentes de
l'usager, car ce qui compte pour l'usager, c'est en effet la chaîne de
transport complète, porte à porte : la prise en charge,
l'information, la correspondance, doivent désormais être
conçues et organisées dès l'origine dans une
véritable optique intermodale.
Le choix économique, c'est de raisonner en termes de service. On
n'aménage pas les transports pour le plaisir, ni pour le plaisir de
créer des infrastructures, mais pour améliorer
l'efficacité économique et sociale du pays dans son ensemble. Il
faut donc rechercher le meilleur service au meilleur coût. Pour cela, il
convient de comparer les solutions alternatives, par exemple une ligne
ferroviaire à grande vitesse et une ligne aérienne à forte
fréquence, l'autoroute et la voie fluviale, l'autocar ou le service
régional ferroviaire.
Je veillerai à ce que cette démarche, par niveau de services,
soit respectée dans l'élaboration des cinq schémas
directeurs.
Enfin, l'exigence financière naît de la rareté des
financements. Pour ma part, je ne connais que deux sources de financement :
l'usager et le contribuable. On a longtemps laissé croire que l'emprunt
constituait une troisième source de financement, mais chacun sait que
l'emprunt doit être remboursé, et lorsque les trafics ou les
tarifs sont inférieurs aux prévisions, ce n'est plus l'usager qui
rembourse, mais le contribuable !
La contrainte budgétaire de l'Etat et de l'ensemble des
collectivités territoriales sera durable, compte tenu de la dette
accumulée, de la limitation des prélèvements obligatoires
et, surtout, du poids croissant des dépenses publiques
d'éducation et de santé.
De leur côté, les ressources commerciales des grands
opérateurs de transport ne permettent plus de répondre aux
besoins de financements des investissements nouveaux, dont une part important
est aujourd'hui financée par surendettement. Les schémas
directeurs devront donc être très sélectifs, ce qui
renforce encore l'intérêt d'une approche intermodale.
Priorité à l'usager, approche en termes de services,
sélectivité des choix liés à la contrainte globale
des financements publics, tels sont les trois piliers de l'approche intermodale
des schémas directeurs que j'entends promouvoir.
Ces schémas devront également s'inscrire dans le cadre d'un enjeu
national et européen et conforter la position de la France dans la
concurrence européenne, en renforçant par des liaisons de bonne
qualité les potentialités de nos territoires et la
compétitivité de nos régions. Il ne s'agit pas pour la
France d'être un pays de transit, mais plutôt de favoriser, par le
biais de la qualité de nos infrastructures, l'implantation
d'activités économiques sur notre propre territoire.
L'enjeu régional et interrégional devrait par ailleurs permettre
le développement de liaisons interurbaines pour assurer le
désenclavement des bassins d'activités, favoriser un
développement économique et social plus équilibré
et permettre l'accès de tous aux services de niveau supérieur.
Enfin, l'enjeu de préservation de l'environnement et de
développement durable implique des infrastructures plus respectueuses de
l'environnement, une tarification des transports prenant en compte les
coûts de pollution, d'insécurité et de congestion et le
développement des modes de transports alternatifs à la route,
comme le transport combiné- là où ils peuvent apporter une
réponse économique en termes de qualité de service,
d'efficacité et de respect de l'environnement.
C'est dans cet esprit que j'ai demandé à mes services de
préparer la mise en place de ces schémas... Les premiers projets
pourront je pense être soumis à l'automne aux procédures de
concertation avec le Conseil national d'aménagement et de
développement du territoire et avec les régions. Je m'emploierai
à organiser un débat ouvert, sans préjugés ni
tabous, mais aussi lucide et responsable que possible, dès lors que la
situation financière de notre pays, comme les enjeux de
l'aménagement du territoire et de développement durable, nous
contraignent à des choix difficiles.
(Applaudissements).
M. François-Michel Gonnot, président
.- La parole
est à Jean-Paul Delevoye, sénateur du Pas-de-Calais et
également président de l'Association des maires de France...
INTERVENTION DE M. JEAN-PAUL DELEVOYE, SÉNATEUR DU
PAS-DE-CALAIS,
PRÉSIDENT DE L'ASSOCIATION DES MAIRES DE FRANCE
M. Jean-Paul Delevoye, sénateur du
Pas-de-Calais
.- Il ne faudrait jamais oublier me semble-t-il qu'un des
aspects fondamentaux de la loi Pasqua a été de lancer dans ce
pays un formidable débat. Socrate disait que la démocratie
était le meilleur système politique, à condition
d'éduquer le peuple. Lorsqu'on associe le peuple aux enjeux, je crois
qu'on réalise une grande avancée dans le maintien de nos
structures républicaines.
Monsieur le Ministre, vous avez lancé un certain nombre de
débats, et on aurait pu ouvrir avec vous un débat sur le
calendrier, les objectifs, les moyens, les outils. On aurait peut-être pu
aussi s'engager sur de faux débats, comme le mythe du tout-TGV, du
tout-autouroute, le fait de laisser croire qu'il convient
d'homogénéiser la totalité du territoire, la notion
d'égalitarisme...
Chacun comprend bien aujourd'hui -nul ne peut le contester- que les arbitrages
seront difficiles. La réflexion et la volonté du Gouvernement en
matière d'aménagement du territoire ne seront-elles pas soumises
à un débat terrible entre l'urgence et le moyen terme ? La DATAR
ne va-t-elle pas essayer d'atténuer les problèmes posés
par la loi militaire, ou la déstructuration de pans industriels textiles
? Cela ne va-t-il pas compromettre l'objectif que vous êtes
assigné pour 2015 ?
Déjà, les contrats de plan connaissent un certain ralentissement
et les gels de crédits nous font entrer dans le débat que vous
évoquiez entre le contribuable et l'usager...
Je voudrais vous rendre hommage, Monsieur le Ministre, d'avoir su modifier un
décret qui faisait en sorte que les parlementaires étaient
plutôt considérés comme une caisse d'enregistrement que
comme une instance de coordination et de concertation !
Cependant, nul n'ignore que si ce fonds est augmenté de deux à
trois milliards, c'est pour permettre la débudgétisation de
certains autres. Comment avez-vous l'intention de garder un arbitrage entre les
trois modes -route, fer et eau- qui sont alimentés par ce fonds ?
Par ailleurs, nous sommes d'accord avec votre approche sur l'analyse
qualitative. Comment allez-vous mettre en place les instances
d'évaluations objectives qui permettent de choisir en fonction du
meilleur rapport qualité-prix ? Comment allez-vous intégrer la
notion de sélectivité ? Allez-vous faire en sorte que l'Etat soit
un formidable péréquateur ou, au contraire, cette notion de
sélectivité incitera-t-elle l'Etat à demander aux
régions défavorisées des contributions supérieures ?
Enfin, la concurrence aérienne modifiant considérablement le
temps de retour des investissements, notamment ceux du TGV, ferez-vous en
sorte, lors de la CIG, que les incidences américaines ne viennent pas
perturber la sélectivité que vous souhaitez proposer ?
(Applaudissements).
M. Bernard Pons
.- Les contraintes qui apparaissent ne vont-elles
pas nous obliger à des révisions ? Je répondrai avec
franchise que la nécessité fera loi ! Il y aura donc
effectivement des conséquences, c'est évident...
Quant au fonds d'investissement des transports terrestres et des voies
navigables, j'ai effectivement demandé une modification du décret
pris avant mon arrivée au Gouvernement.
Je me réjouis de la participation des parlementaires. Il est vrai que la
répartition entre les trois modes, au début, a été
très orientée vers la route, et on a pu penser à une
certaine débudgétisation. Pour avoir présidé la
seconde réunion du fonds -à laquelle vous participiez, Monsieur
le Président- je me suis rendu compte de la vigilance des
parlementaires. Je suis persuadé que dès que la vitesse de
croisière sera prise, la présence des parlementaires sera une
garantie suffisante pour que ce fonds ne soit pas un élément de
débudgétisation. Bien entendu, il faudra y veiller, car c'est une
tendance normale, et c'est effectivement préoccupant.
S'agissant des problèmes relatifs aux régions, ma conception est
effectivement celle d'un Etat péréquateur, et je crois que c'est
dans l'esprit de la loi.
Enfin, concernant l'Europe et la concurrence aérienne, vous avez vu que,
ces derniers jours, les Américains ont voulu montrer leur puissance.
Cela ne nous a pas beaucoup troublés. Cet après-midi, le
secrétaire d'Etat aux transports rencontre son homologue
américain, non pour négocier, mais pour l'écouter et lui
demander quelles sont les orientations suivies. Nous avons des moyens de
défense loin d'être négligeables...
Cette concurrence aérienne est importante, mais je pense que l'on va
insister sur ce point, dans le cadre des prochaines réunions
européennes.
M. François-Michel Gonnot, président
.- Le temps est
venu de rendre la parole à celui qui m'a fait l'honneur de me confier la
présidence de ces travaux, M. Jean François-Poncet...
(Applaudissements).
VII. CONCLUSION ET SYNTHÈSE DES TRAVAUX
M. Jean François-Poncet,
président
.- J'ai, à l'issue de cette journée, un
regret et un sujet de satisfaction...
Je regrette en effet de n'avoir pu faire en sorte que chacun prenne la parole,
et je sais qu'un certain nombre partiront déçus. Je voulais m'en
excuser. Lors de nos prochaines réunions, nous ferons ce qu'il faut pour
qu'il en soit autrement !
Par ailleurs, j'ai un sujet de grande satisfaction, qui d'ailleurs, constitue
un peu l'excuse que je peux invoquer au fait qu'il n'y ait pas eu de
débat. En effet, l'objectif que le Sénat poursuivait à
été atteint. Quel était-il ? Il consistait à
s'assurer qu'un an après la loi Pasqua, celle-ci ne reste pas dans les
cartons !
S'agissant de l'aménagement du territoire, c'est un danger
omniprésent. Il n'y a pas de sujet pour lequel l'aménagement du
territoire se prête davantage aux discours du dimanche, et peu de sujets
rentrent plus difficilement dans la réalité !
Nous tenions donc à ce que tous les membres du Gouvernement que ce sujet
concerne puissent venir s'expliquer devant nous et nous dire ce qu'ils avaient
fait ou ce qu'ils avaient l'intention de faire.
Laissez-moi vous dire que cet exercice ne sera pas le dernier. Le Sénat
organisera tous les ans une réunion comme celle-ci au Palais du
Luxembourg, soit une grande convention nationale quelque part en France,
à laquelle tous les maires seront invités, comme nous l'avons
fait à Bordeaux d'abord, à Poitiers ensuite, de façon
à ce que ce sujet ne meure pas. Le Sénat ne cessera pas de faire,
à intervalles réguliers, des piqûres de rappel aux
gouvernements successifs !
Voilà quel était l'objectif, et si nous l'avons atteint, c'est
parce que le Gouvernement s'y est prêté -et je voudrais l'en
remercier- mais aussi parce que vous étiez présents. Je voudrais
vous en remercier et vous demander de prendre rendez-vous d'ores et
déjà pour l'année prochaine, sous une forme ou sous une
autre.
Merci d'avoir été là !
(Applaudissements).
M. François-Michel Gonnot, président
.- Avant de
passer la parole à Charles Pasqua, et en attendant l'arrivée du
Premier ministre, la parole est à Gérard Larcher...
M. Gérard Larcher, sénateur des Yvelines
.- A la fin
de cette journée, on s'aperçoit que beaucoup reste à
faire, et nous voyons que le Parlement doit être vigilant.
La première des exigences nous a été
présentée ce matin par Daniel Hoeffel, qui a parlé de la
nécessité d'approfondir encore la décentralisation. Dans
quelques semaines, le Sénat prendra une initiative qui m'apparaît
importante.
Pourquoi faut-il attendre des catastrophes du type Air France ou Crédit
lyonnais pour mobiliser des fonds importants et définir une politique ?
En matière d'aménagement du territoire, il faut que ces fonds
soient dégagés avant même que la catastrophe n'arrive ! La
politique d'aménagement du territoire ne pourra pas uniquement se
satisfaire de discipline budgétaire. Il s'agit aujourd'hui d'une
impérieuse et urgente nécessité !
Par ailleurs, il ne faut pas opposer Paris et l'Ile-de-France à la
province, ni avoir peur de mots comme "métropolisation" !
Enfin, quoi que vous en ayez dit, si la zone franche donne quelques
résultats, pourquoi ne pas l'appliquer à l'espace rural ? C'est
un rat des villes qui le propose au rat des champs !
(Applaudissements).
M. François-Michel Gonnot, président
.- Y a-t-il une
question ?
Un intervenant
.- Nous allons discuter demain d'une loi sur le
patrimoine qui concerne les 400.000 objets patrimoniaux
non-protégés. Je voudrais insister sur la nécessité
de prendre en compte la capacité contributive des communes qui comptent
sur leurs territoires des monuments très importants et qui ne disposent
que de petits moyens.
Lorsque je passe sur le boulevard Saint-Michel et que je vois l'abbaye de
Cluny, je me dis que si les thermes d'Arles étaient à Paris, ils
seraient mieux entretenus ! Cette capacité contributive devrait
peut-être être prise en compte par un système de
péréquation, comme pour les villes touristiques...
M. François-Michel Gonnot, président
.- La question
étant très spécialisée, on pourra la transmettre
à Philippe Douste-Blazy...
M. Paul Blanc, sénateur des
Pyrénées-Orientales
.- Monsieur le Ministre, à
quand la sortie des derniers décrets concernant les zones de
revitalisation rurale ?
M. Jean-Claude Gaudin
.- Le décret a été
signé, et, je le répète, pour une fois, le Gouvernement
pouvait être à l'aise, puisque ce décret est issu
directement du vote des amendements du Sénat, repris par
l'Assemblée nationale ! Cependant, nous y sommes très attentifs.
C'est le couperet de la démographie qui a motivé le Parlement, et
nous pouvons, par le FNADT et d'autres moyens, essayer d'appuyer telle ou telle
initiative...
M. Paul Blanc, sénateur des
Pyrénées-Orientales
.- Ce n'est pas la question ! Il
manque un décret concernant l'exonération des charges...
M. Jean-Claude Gaudin
.- Il est en cours de préparation. Il
sera signé rapidement, et s'appliquera en outre du premier au
cinquantième employé...
La seule chose qu'on n'arrive pas à faire bouger, c'est le FNDE. Nous
voudrions -même symboliquement- obtenir de Bercy que la ligne
budgétaire soit abondée, quitte à faire des efforts de
sélectivité ailleurs.
M. Jean François-Poncet, président
.- Monsieur le
Premier ministre, le Sénat est heureux de pouvoir vous accueillir
à propos d'un sujet qui, de tous ceux dont il a à
débattre, est probablement celui qui concerne le plus grand nombre
d'entre nous. Tous les sujets qui nous sont soumis nous concernent, mais
celui-ci, à travers l'écho qu'il a dans nos provinces, est un
sujet auquel le Sénat s'est historiquement toujours très
intéressé.
S'il y a une loi sur l'aménagement du territoire, le Sénat y est
pour quelque chose, car il a beaucoup contribué à son
élaboration, et votre présence le comble. J'ajoute qu'elle est en
elle-même une réponse à une question que nous nous posons...
Celle-ci porte sur le degré de priorité que le Gouvernement
accorde à ce grand sujet. Ce n'est pas une question mal
intentionnée, car dans la conjoncture actuelle, compte tenu des
différents problèmes qui assiègent tout gouvernement -le
nôtre, mais aussi ceux des pays voisins- il est normal que
l'actualité immédiate l'emporte sur les préoccupations
à long terme, et l'aménagement du territoire est une
préoccupation à long terme.
Nous souhaitions donc connaître la façon dont vous envisagez la
situation dans les années qui viennent...
On ne pouvait mieux introduire votre intervention qu'en demandant à
Charles Pasqua de ne nous dire comment il voit les choses, quel est l'esprit
dans lequel la loi a été rédigée et surtout quelles
étaient les ambitions qu'y plaçait le ministre chargé de
son élaboration et qui l'a fait voter par le Parlement.
Monsieur le ministre d'Etat, vous avez la parole...
LA LOI D'ORIENTATION, ESPOIRS ET
RÉALITÉS.
INTERVENTION DE M. CHARLES
PASQUA,
SÉNATEUR DES HAUTS-DE-SEINE,
ANCIEN MINISTRE DE
L'AMÉNAGEMENT DU TERRITOIRE
M. Charles Pasqua, sénateur des
Hauts-de-Seine
.- Monsieur le Premier ministre, Monsieur le
Président, Mesdames et Messieurs, chers collègues et amis, je
voudrais d'abord remercier Jean François-Poncet, président de la
commission des affaires économiques et du plan du Sénat d'avoir
eu l'idée d'organiser cette réunion, afin de faire le point sur
l'application de la loi d'orientation pour l'aménagement et le
développement du territoire, un an environ après son adoption par
le Parlement, le 4 février 1995.
Un an, c'est le terme qu'avait fixé la loi elle-même pour
l'élaboration de certaines de ses principales dispositions, celles qui
devaient donner à la réforme toute son ampleur et tout son sens,
dessiner la France de 2015 telle que nous la voulons, et non plus telle que le
modèlent sans ménagement les évolutions brutales qu'impose
l'économie moderne.
Fallait-il en effet laisser le marché décider seul du visage de
la France et de son organisation géographique, humaine et sociale ?
Fallait-il se résigner à voir notre pays devenir un espace
non-identifié, un vague territoire sur lequel cohabiteraient tant bien
que mal des collectivités et des communautés aux destins
séparés, et bientôt antagonistes ? Fallait-il se
résoudre à voir 90 % de notre population s'agglutiner sur 10 % de
notre territoire, délaisser l'espace rural, accélérer la
concentration urbaine ? Fallait-il moins de services publics, moins de
solidarité et davantage de chacun pour soi ?
C'est à l'ensemble de ces questions que la loi d'orientation,
après plus d'un an de débats dans l'ensemble du pays, a entendu
répondre. En présentant cette loi le 7 juillet 1994 à
l'Assemblée nationale, je la qualifiais de loi de développement
économique et social, en ajoutant : "Il s'agit en effet de renouer avec
l'un des principes fondamentaux du pacte social -je préfère dire
du pacte républicain". L'expression, par la suite, a fait du chemin !
Le principe républicain rejoint là à mon sens
l'impératif économique. Certes, il se suffirait à
lui-même. L'égalité des chances entre les citoyens,
l'égal accès au savoir, à l'emploi, à la culture,
à la sécurité, à la santé, à
l'information, sont bien des objectifs en eux-mêmes, mais qui ne comprend
qu'ils sont aussi des atouts maîtres dans la compétition mondiale,
tant nous pressentons bien que les activités les plus créatrices
de richesses et de valeur ajoutée se situeront dans les pays à
forte cohésion sociale et à forte attractivité
territoriale !
Il s'agit ainsi -Jean François-Poncet le sait mieux que quiconque- de
replacer la France tout entière au centre du développement
européen, afin d'éviter qu'elle ne se retrouve au pire à
l'écart, au mieux en déséquilibre, inconfortablement
adossée à l'axe lotharingien, laissant peu à peu les
deux-tiers de son territoire se marginaliser.
Restaurer le pacte républicain, relever le double défi de la
mondialisation et de la construction européenne : la politique de
développement- du territoire est une réponse de notre temps
à des enjeux de notre temps !
La loi qui a été votée l'an dernier a voulu ouvrir toutes
les pistes. Elle porte en germe un véritable projet de
société, celui d'une France déconcentrée, une
France qui se décontracte au lieu de se contracter, une France au sein
de laquelle l'habitat, l'enseignement, la production, les services,
l'administration, la culture, seront plus harmonieusement répartis,
où chacun pourra disposer d'un cadre de vie meilleur, tout en ayant
accès à l'information, à la connaissance et à
l'emploi, sur un marché désormais étendu aux dimensions du
monde.
C'est à ce projet que loi a voulu donner toutes ses chances en ouvrant
un champ plus large aux ambitions des Français et à celles de
leurs collectivités territoriales. C'est ainsi une loi de
développement, car l'objectif est bien de créer de la richesse
partout où il en manque, d'enclencher le développement local
partout où c'est nécessaire, et pas seulement de redistribuer,
c'est-à-dire de prendre aux uns pour donner aux autres, dans un absurde
jeu à somme nulle, qui n'aurait d'autre effet que de répartir la
pénurie. Le cadre existe désormais.
Si j'ai tenu à revenir assez précisément sur la
genèse et l'esprit de la loi d'orientation pour souligner son
caractère global et volontariste, c'est qu'il me semble qu'il nous
était imposé par la gravité de la situation de notre pays,
qui a dicté l'ampleur de nos ambitions. Cette situation n'a pas
changé depuis. C'est pourquoi tout recul ou toute hésitation
suscite évidemment mes regrets.
Or, Monsieur le Premier ministre, les moyens aujourd'hui mis en oeuvre ne sont
pas encore à la hauteur de ces ambitions et ne correspondent pas encore
aux exigences de l'élan majoritaire qui a redressé le pays
à partir de 1993. Je connais les impératifs de rigueur qui
s'imposent au Gouvernement, mais la rigueur budgétaire ne doit pas
être antagoniste en matière d'investissements productifs.
La question qui se pose est donc de savoir si notre Gouvernement fait toujours
sienne cette politique, qu'avaient délaissée tous les
gouvernements depuis vingt ans, jusqu'à ce que nous lui rendions toute
sa dimension, de 1993 à 1995, avec l'approbation -remarquée
à l'époque- de celui qui est aujourd'hui Président de la
République.
Si tel est le cas -et je n'ai pas de raisons d'en douter, connaissant par
ailleurs l'ardeur et les compétences de mes amis Jean-Claude Gaudin et
Eric Raoult, que vous avez chargés de ces dossiers- et si l'application
de la loi ne souffre que d'un retard contingent dû aux difficultés
de l'heure, permettez-moi de plaider pour que le premier levier que vous aurez
à actionner soit celui du fonds national pour la création et le
développement des entreprises.
Les fonds d'intervention, de péréquation, de gestion
prévus par la loi sont en effet autant d'instruments grâce auquel
l'Etat pourra influencer la gestion de l'espace et la répartition des
activités. Mais ces instruments ne prendront toute leur signification
que si, par ailleurs, est engagée une politique vigoureuse en faveur de
la création d'activités nouvelles, à laquelle il faut
donner la priorité sur la délocalisation des entreprises
existantes. Il faut parier sur les entrepreneurs pour mener à bien la
reconquête du territoire. Il faut que tous nos départements
renouent avec l'esprit d'entreprise, pour que la France renoue avec la
croissance.
Dans mon esprit -est-il besoin de le souligner ?- le fonds national de
développement des entreprises n'avait rien d'un dispositif
complémentaire aux autres. Il a une importance stratégique. Ce
qui manque à la France, et vous le savez, ce sont des entreprises
nouvelles, qui créent dès richesses nouvelles, ce qui manque aux
entreprises qui se créent, ce sont des fonds propres pour se
développer. Nous avons deux fois moins d'entrepreneurs qu'en Italie,
deux fois moins de PME qu'en Allemagne : voilà où le bât
blesse et où se trouve le déficit d'emplois !
Que l'on consacre ne serait-ce que 10 % des aides à l'emploi
à l'aide à la création d'entreprises, cela ferait trente
milliards, qui représentent plus de 100.000 entreprises nouvelles chaque
année, et deux ou trois fois plus d'emplois nouveaux. L'adaptation et
l'amélioration des mesures existantes au profit des PME-PMI ne suffisent
pas aux nécessités du développement local. Aujourd'hui
plus encore qu'hier, une des tâches essentielles de l'Etat est de
mobiliser du capital-risque pour permettre aux 3 millions de Français
-si j'en juge par les renseignements des instituts de sondages- qui souhaitent
créer leur entreprise d'engager ainsi notre pays sur la voie d'une
croissance, inattendue celle-là !
Puisque les incertitudes écartent les épargnants de la
création d'entreprises, il faudrait que l'Etat abaisse le risque et
organise la liquidité. Pour un franc de capital privé, l'Etat
apporterait un franc de fonds publics, tandis que la plus-value
réalisée et tous les dividendes versés serviraient
à rémunérer les investisseurs privés. L'Etat
récupérerait sa mise grâce à l'élargissent de
l'assiette des impôts et des cotisations qu'entraîneraient la
création et le développement d'entreprises nouvelles.
Tel fut le débat qui se déroula au Parlement, et notamment au
Sénat, et telles étaient les idées que nous
présentions.
Cette mise en oeuvre d'une véritable politique de capital risque doit
être financée grâce à l'emprunt. Pour renouer avec la
croissance, il faut susciter la confiance. Elle naît quand sont
proposés de grands projets, qui savent mobiliser une richesse qui existe
dans ce pays, mais qui reste encore mal employée. Le chantier est
immense. Si nous voulons que notre pays soit un des leaders du
XXI ème siècle et que tous les Français
bénéficient du progrès général de la Nation.
C'est très précisément par là que passe la
restauration du pacte républicain souhaité par le chef de l'Etat
et par l'immense majorité des Français.
Mais nous ne devons pas pour autant tout attendre de l'Etat. La mobilisation de
l'épargne des Français pourrait se traduire concrètement
par de grands emprunts régionaux, que la loi permet désormais et
qui susciteraient d'autant plus d'adhésion du public que celui-ci aurait
la certitude de voir son épargne investie au plus près des
besoins qu'il ressent, qu'il s'agisse d'infrastructures de transports et de
communication, d'équipements solaires, universitaires ou de formation
professionnelle, ou de l'aide en capitaux propres à tous ceux qui ont
des projets, mais que notre système bancaire néglige -le
Président de la République le rappelait récemment avec
force.
On me dira que je propose un pari. C'est vrai, oui : celui de la confiance en
la créativité et l'esprit d'entreprise des Français,
à condition de leur en donner les moyens. Cette confiance repose sur des
siècles d'histoire, et sur la force de notre Nation. Je ne crois pas
qu'il s'agisse de réalités hasardeuses. Les impératifs de
la mondialisation et de l'exportation ne sont en rien contradictoires avec
cette réalité. Le coeur de l'économie est à
l'intérieur même du pays, et l'essentiel se joue sur cette
nouvelle frontière.
Créer un surplus de croissance, un surcroît de
développement, tel est, tel était et tel demeure le ressort
profond de la loi d'orientation du territoire. Elle vise ainsi à
recréer les conditions d'une réelle égalité des
chances entre les citoyens et les collectivités territoriales, et
d'abord -parce que c'était l'urgence- à traiter vigoureusement
notre territoire à ces deux extrêmes : la désertification
rurale et la ghettoïsation urbaine.
La loi a ainsi consacré le principe de la fiscalité
dérogatoire en permettant création de véritables zones
franches, les zones de revitalisation rurale et les zones de rénovation
urbaine. Votre Gouvernement, Monsieur le Premier Ministre, a encore
élargi la dérogation proposée, et je m'en réjouis.
Il est de bon ton, ici ou là, de se moquer de ce zonage. Reconnaissons
que le terme n'est peut-être pas le mieux choisi, mais qu'importe !
En reconnaissant la constitutionnalité de cette discrimination positive,
le Conseil constitutionnel en a consacré le principe républicain,
qui est d'exempter de certaines charges, en vertu de l'intérêt
général, les catégories de population les plus
défavorisées. Tel est bien le cas de nombreux territoires, ceux
que délaissent les hommes et les activités, comme ceux où
s'agglomèrent les populations, mais pas les emplois.
C'est là la condition d'une nouvelle mobilité des
activités des hommes, qu'il faudra bien songer à étendre
un jour à la fiscalité des personnes physiques, ce qui
constituerait un levier d'une tout autre puissance.
Il est clair que l'association des deux leviers dont je viens de parler, la
création d'activités nouvelle par la mobilisation de
l'épargne, la mobilité par la fiscalité
dérogatoire, aurait pour effet de remettre la France en mouvement par
elle-même, et notre pays se mettrait ainsi en position de
bénéficier davantage des grands courants internationaux.
Surtout, elle permettrait que ces courants irriguent l'ensemble du territoire,
et profitent à tous les Français.
Il existe enfin un troisième levier dans la loi d'orientation, et rien
ne s'oppose à mon sens à que nous l'actionnions sans
délai. Il s'agit de passer à une nouvelle étape de la
décentralisation, qui verrait l'Etat confier aux collectivités
territoriales de nouvelles compétences, lui-même adaptant enfin
son organisation politique et administrative aux réalités de
cette France décentralisée et déconcentrée.
Je pense pour ma part qu'en sus des compétences dont la loi
prévoit expressément le transfert, comme celui des transports
régionaux, l'environnement, l'emploi, la formation professionnelle et
l'enseignement supérieur, pourraient être progressivement
dévolus aux collectivités territoriales après une nouvelle
répartition des compétences entre les régions, les
départements et les communes.
Cet approfondissement de la décentralisation doit en effet être
conçu de façon à favoriser les grands objectifs de la
politique d'aménagement du territoire, le développement
économique et l'égalité des chances. Je rappelle que lors
du débat sur la loi, le Gouvernement s'était engagé
à présenter dans un délai d'un an une loi concernant une
nouvelle dévolution des compétences.
La perspective de cette France décentralisée, où l'Etat se
serait volontairement dessaisi de la mise en oeuvre de politiques qui
était jusqu'alors son apanage devrait nous inciter aussitôt
à établir une claire distinction entre les grandes fonctions
exécutives à la tête d'une collectivité
territoriale, et celle de membre du Gouvernement. Que mon ami Gaudin m'excuse :
il n'est pas particulièrement visé, mais je parle
d'expérience, et je crois que les fonctions exécutives de
président de région et celles de président de conseil
général ne devraient pas pouvoir être détenues
pendant que l'on est au Gouvernement. A charge pour le président de
faire assurer l'exécutif par un de ses vice-présidents. Je ne
demande pas la mort du pêcheur -d'autant que j'en ai été un
moi-même- mais, ainsi, les choses seraient plus claires !
Cette interdiction du cumul des fonctions me semble de plus fort effet que
celle du cumul des mandats, qui verrait le Parlement et notamment le
Sénat coupé des collectivités locales. Il me semble
qu'elle garantirait davantage l'impartialité de l'Etat et l'on verrait
par conséquent grandir son rôle d'arbitre, au fur et à
mesure que diminuerait sa fonction sur le terrain, dans les domaines qu'il
aurait confiés aux collectivités.
Aussi, la loi d'orientation pour l'aménagement et le
développement du territoire forme-t-elle un tout, au sein duquel chaque
disposition étaye la suivante. Il en va ainsi des fonds de
péréquation et d'investissement pour les transports
aériens, pour les transports terrestres, pour les voies navigables, dont
les premiers bénéfices se font sentir sur l'équipement de
notre pays. Il en va tout autant du maintien des services publics, dont
l'abandon est stoppé depuis le moratoire et dont la notion même
retrouve aujourd'hui jusque et y compris à Bruxelles une nouvelle
jeunesse.
Il en va enfin de la péréquation et de la réforme des
finances locales. Il en va surtout du schéma national, pièce
maîtresse du projet, puisqu'il permettra de territorialiser les
politiques dans les domaines de l'éducation, de la santé, de la
recherche, de la culture, de la communication, pour ne citer que
ceux-là. Je ne doute pas que ce schéma soit soumis au Parlement
au cours de la session qui s'ouvrira à l'automne de cette année.
Ce schéma doit en effet exprimer la synthèse des aspirations de
l'ensemble des régions françaises, telles que l'Etat entend les
favoriser. A ce titre, c'est là le canevas indispensable à tout
l'ouvrage.
Telles sont, Monsieur le Premier ministre, Messieurs les ministres, Monsieur le
Président, Mesdames et Messieurs, les réflexions que m'inspire un
an après l'état d'avancement de ce que j'avais qualifié de
"grande affaire". La renaissance d'une politique d'aménagement du
territoire avait suscité dans le pays un espoir véritable, dont
le Parlement s'était largement fait l'écho.
Je voudrais une fois encore remercier les rapporteurs de la loi -Patrick Ollier
à l'Assemblée nationale et Jean François-Poncet- qui ont
apporté une contribution décisive au débat et à
l'élaboration de la loi.
Cette politique que nous avons voulu ensemble et que vous connaissez bien,
Monsieur le Premier ministre, puisque nous l'avons défini au sein du
Gouvernement auquel vous apparteniez, est toujours à même de
mobiliser les énergies de notre pays, car elles offrent des
repères familiers à l'initiative, à l'effort, à
l'investissement de chacun des Français, auxquels semble de plus en plus
en plus échapper la maîtrise de leur avenir.
Notre majorité -votre majorité aujourd'hui- attend de notre
Gouvernement qu'il s'approprie cette grande réforme, cette "grande
affaire", afin que nous puissions en tirer ensemble tout le
bénéfice quand nous présenterons -bientôt, il ne
faut pas l'oublier- notre bilan aux Français.
(Applaudissements).
M. Jean François-Poncet, président
.- Monsieur le
Premier ministre, vous avez la parole...
ALLOCUTION DE CLÔTURE DE M. ALAIN JUPPÉ, PREMIER MINISTRE
M. Alain Juppé, premier ministre
.-
Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les sénateurs,
Mesdames et Messieurs, c'est avec un grand et réel plaisir que je
participe à la conclusion de votre colloque consacré à la
loi sur l'aménagement et le développement du territoire.
Je voudrais tout d'abord remercier le Président du Sénat de son
hospitalité et adresser à Jean François-Poncet mes
félicitations pour avoir eu l'idée de cette journée et
avoir assumé la lourde tâche de son organisation.
Conclure une journée de débats intenses -je le sais- me donne
l'occasion d'intervenir sur un sujet qui va droit au coeur des
sénateurs, compte tenu notamment de leur rôle auprès de nos
élus locaux.
En installant le Conseil national pour l'aménagement et le
développement du territoire, le 5 février 1996, aux
côtés d'Olivier Guichard, un an jour pour jour après la
promulgation de la loi pour l'aménagement et le développement du
territoire, j'avais eu l'occasion de rappeler la filiation entre cette loi et
la politique mise en place il y a trente ans par le général de
Gaulle. S'il ne devait y avoir pour mon Gouvernement qu'une seule raison de
s'intéresser à ce sujet, ce serait déjà celle
là, et elle serait à soit seule suffisante. Mais le bilan qui
vous a été présenté au cours de cette
journée vous a montré que nous nous y étions
engagés avec beaucoup d'ardeur, au point que votre question, tout
à l'heure, Monsieur le Président, m'a paru un peu oratoire. C'est
la règle du jeu...
Nous avons pu vous montrer tout au long de la journée l'importance du
travail mené depuis un an par Bernard Pons, puis par Jean-Claude Gaudin,
pour mettre en oeuvre les différents outils d'aménagement du
territoire prévus par la loi, qu'il s'agisse des mesures fiscales
dérogatoires en faveur des zones de redynamisation urbaines et des zones
de revitalisation rurale, ou des fonds de péréquation, notamment
dans le domaine des transports.
Je ne vais pas reprendre ici en détail le bilan. Je voudrais
malgré tout souligner que la tâche accomplie a déjà
été importante et souvent difficile.
Dès la prise de fonctions du Gouvernement, je me suis personnellement
soucié de négocier avec la Commission européenne, pour
qu'elle autorise les dispositifs fiscaux dérogatoires, ce qui
était une condition sine qua non de la mise en application de la loi que
vous aviez votée.
Bernard Pons est allé personnellement à Bruxelles plaider notre
cause auprès du commissaire européen chargé de la
concurrence, pour le convaincre d'accepter une dérogation aux
règles habituelles d'analyse de ces services. Dieu sait si cela n'a pas
été facile ! Il a fallu de longs mois de négociation, et
c'est finalement le 27 décembre 1995, six mois après, que le
Gouvernement a obtenu une décision favorable, ce qui lui a permis de
publier, le 15 février, le décret relatif aux zones de
revitalisation rurale.
Ainsi, les mesures fiscales destinées à aider la création
et le développement d'entreprises sont en place dans les zones rurales
et elles précèdent de quelques mois les mesures en faveur des
quartiers en difficultés, prévues dans le cadre du pacte de
relance pour la ville.
Le 4 août 1995, deux mois à peine après la constitution du
Gouvernement, nous avons engagé l'opération de
préfiguration relative aux pays. Fin août, j'ai lancé
personnellement la démarche d'élaboration du schéma
national pour l'aménagement et le développement du territoire,
à laquelle j'ai souhaité associer très largement les
parlementaires.
Le 23 octobre, Bernard Pons a réuni pour la première fois le
comité de gestion du fonds d'investissement des transports terrestres et
des voies navigables, après avoir modifié le décret
correspondant, afin de mieux associer les parlementaires à la gestion de
ce fonds.
J'ai donné là quelques exemples de notre volonté de mettre
la loi en oeuvre. Cette volonté a rythmé toute l'action
gouvernementale depuis un an, d'abord sous l'impulsion d'Edouard Balladur, puis
sous la mienne.
Quant à l'évolution du fonds national pour l'aménagement
et le développement du territoire, elle fera l'objet d'un suivi attentif
tout au long de cette année, dans un contexte budgétaire que vous
connaissez, et dont je ne peux vous dissimuler la difficulté, même
si j'en mesure les conséquences pour certains projets de
collectivités locales...
De nombreux chantiers restent ouverts devant nous, car la loi est fort
ambitieuse, et prévoyait de nombreux autres dispositifs. Ces chantiers,
nous allons les attaquer ensemble, Gouvernement et Parlement, et je sais
pouvoir compter sur votre soutien face à des réformes difficiles
et complexes, et surtout sur votre capacité de propositions.
Le dossier que je souhaite traiter par priorité avec vous est celui de
la situation des collectivités locales. Je l'ai rappelé hier
à Bordeaux. Je souhaite mettre en oeuvre au 1er janvier 1998 la
révision des valeurs locatives qui servent de base aux taxes directes
locales.
De même, il est indispensable de procéder à une
réforme de la taxe professionnelle, que nous appelons tous de nos voeux.
Elle est inscrite dans l'article 74 de la loi. Le ministère des finances
a reçu commande de propositions en ce sens.
Dans cette réflexion sur les finances locales, je compte m'appuyer sur
la commission consultative d'évaluation des charges, qui n'a pas
été réunie depuis longtemps et qui sera très
prochainement saisie par Dominique Perben d'un rapport sur l'évolution
des charges transférées -en avance sur le calendrier fixé
par la loi- combiné avec la prévisibilité des dotations de
l'Etat aux collectivités, assurée par le pacte de
stabilité. Voilà qui permettra de procéder, thème
par thème, à une clarification des compétences pour
améliorer l'efficacité de l'Etat et des collectivités
locales, dans le but d'améliorer la vie quotidienne de nos concitoyens.
C'est dans ce même état d'esprit que j'ai souhaité que
l'ensemble des parlementaires soient associés à toutes les
étapes de l'élaboration du schéma national
d'aménagement et de développement du territoire, à travers
les commissions régionales et nationale thématiques.
Ce schéma constitue en effet la clef de voûte de notre ambition
d'une meilleure cohésion républicaine. C'est lui qui doit
permettre, par une approche décloisonnée, de fixer à tous
les acteurs de l'aménagement du territoire un cap pour les années
à venir ; c'est lui qui doit permettre de concrétiser
l'impression si juste de Charles Pasqua : il ne peut y avoir
d'aménagement du territoire sans développement des territoires.
C'est lui qui montrera que l'on ne peut opposer des investissements culturels
réalisés à Paris et qui contribuent à renforcer
l'image internationale de notre pays à des projets culturels
réalisés à travers tout le territoire, et qui visent
à donner à tous l'accès à la culture, sans oublier
les habitants de bourgs ruraux, ni les jeunes de quartiers en difficulté.
C'est également lui qui permettra de faire prévaloir une approche
intermodale des transports, qui s'appuiera sur une analyse objective des
besoins de déplacement des Français, sans a priori sur le choix
entre tel ou tel mode de transport, sans dupliquer mécaniquement des
solutions adaptées à une région et non à une autre.
A travers l'élaboration du schéma national et de l'ensemble des
schémas sectoriels prévus par la loi, c'est tout le Gouvernement
qui veillera à inscrire son action dans cette ambition d'un pays plus
solidaire et plus compétitif.
Jean-Claude Gaudin, dans son intervention de ce matin, a lancé le
débat sur ces mesures. Je souhaite qu'il soit intense et vivant. Je
souhaite y associer particulièrement les présidents des grandes
associations d'élus, l'association des maires de France, celle des
présidents de conseils généraux, celle des
présidents de conseils régionaux, car les communes, les
départements, les régions ont un rôle irremplaçable
à jouer dans la définition des grandes orientations de notre
politique d'aménagement du territoire, qui doit être par
excellence une politique concertée.
Cette ambition nous permettra d'aller au-delà de ce qui a
déjà été prévu par la loi, comme le
Gouvernement a déjà commencé à le faire, et je
voudrais en donner deux ou trois exemples...
Tout d'abord, s'agissant de la nécessité de soutenir la
création d'entreprises, nous sommes allés beaucoup plus loin que
bien des points évoqués par Charles Pasqua. Ainsi, le plan pour
les PME, que j'ai rendu public le 27 novembre, complète et amplifie
considérablement une véritable politique des PME-PMI. Qu'il
s'agisse de leurs financements, de leur fiscalité ou des conditions de
concurrence qu'elles subissent vis-à-vis de la grande distribution en
particulier, nous avons encore amélioré les dispositifs.
On a parlé de renforcement des fonds propres. La disposition fiscale
votée dans le dernier DDOEF, qui, pour la première fois dans
notre système fiscal, introduit la notion d'un impôt progressif
sur les sociétés, en taxant à 19 % la part des
bénéfices des PME-PMI mise en réserve pour
améliorer les fonds propres, cette disposition est tout à fait
originale. Elle est votée et entrera en application au 1er janvier 1997.
C'est une réponse à cette recherche de fonds propres et à
l'amélioration du capital-risque.
Il en va de même des dispositions que nous avons prises dans le cadre de
ce plan destiné à renforcer les interventions de la SOFARIS, ou
de la réforme du crédit d'équipement aux PME, dont j'ai
souhaité faire une véritable banque des PME-PMI. Cette nouvelle
initiative du Gouvernement est donc venue compléter fort
opportunément ce qui était déjà inscrit dans la loi
au titre de la création d'entreprise.
Charles Pasqua évoquait l'intérêt de s'endetter par les
temps qui courent pour financer de grands projets de développement. J'ai
interprété cela comme un hommage rendu à la politique du
Gouvernement, qui a permis une détente historique des taux
d'intérêt. Quelle n'a pas été ma
stupéfaction, à Bordeaux, alors que je présidais le
Conseil de communauté, d'entendre un membre communiste de mon opposition
me dire qu'il fallait s'endetter, l'argent n'ayant jamais été
aussi bon marché ! C'est vrai, et c'est une bonne chose pour le
développement de nos collectivités et de nos entreprises...
Je ne citerai pas le pacte de réforme pour la ville, dont j'imagine que
Jean-Claude Gaudin a abondamment parlé tout à l'heure.
Troisième exemple, encore en gestation : la réforme de l'Etat,
qui comportera des simplifications dans les relations entre l'usager et
l'administration, mais aussi un pas décisif sur la voie de la
déconcentration. Notre ambition est de faire ce qui a été
fait pour la décentralisation dans les années 1980, et ce sera,
j'en suis sûr, en termes d'aménagement du territoire, une nouvelle
avancée extrêmement significative.
C'est d'une certaine manière être fidèle à l'esprit
de la loi d'orientation que de chercher au-delà de la lettre de la loi,
à adapter nos réponses aux enjeux de l'aménagement du
territoire. Des défis nouveaux se présentent d'ores et
déjà à nous -je pense à la réforme de notre
défense et à la modification du format de nos armées, qui,
en termes d'aménagement du territoire, vont avoir des implications
extrêmement importantes.
Le Président de la République m'a demandé de faire de
cette réforme une opération exemplaire au regard de
l'aménagement du territoire. C'est dans cet esprit que, dès
demain, je proposerai au Conseil des ministres la création d'un
comité interministériel pour les restructurations de
défense et la nomination d'un délégué
interministériel qui en sera le rapporteur et l'animateur.
Dans le même temps, les fonds d'accompagnement prévus pour la
reconversion de notre dispositif seront très sensiblement
majorés. Il s'agit là aussi pour notre pays d'une très
grande affaire d'aménagement du territoire, bien perçue par les
jeunes et par leurs parents, qui suscite souvent l'inquiétude des
élus, notamment dans les villes moyennes. Je mesure cette
inquiétude. Le Gouvernement fera tout pour que les décisions
prises en ce domaine n'aboutissent pas à remettre en cause les objectifs
de la politique d'aménagement du territoire, mais les confortent !
Voilà un nouveau défi, qui était -et pour cause-
ignoré par la loi du 4 février 1995, et qu'il nous faut
aussi relever.
C'est en adaptant nos réponses aux évolutions économiques
et institutionnelles que nous pourrons réussir dans notre ambitieux
projet d'une France plus juste et plus solidaire, ensemble, car, je le
répète, le Gouvernement fait toujours de cette politique une de
ses priorités.
Parce que les élus que vous êtes y sont passionnément
attachés, parce qu'elle peut être une parfaite expression du voeu
du Président de la République de construire la France pour tous,
nous aurons à coeur de donner à la politique d'aménagement
du territoire et à la loi du 4 février 1995 -à laquelle
s'attache désormais pour l'éternité le nom de Charles
Pasqua- la dimension d'une réalité forte, perçue en tant
que telle par nos concitoyens !
(Applaudissements).
M. Jean François-Poncet, président
.- Avec le
discours du Premier ministre se termine notre colloque. A toutes et à
tous, je donne rendez-vous au printemps de l'année prochaine. Où
et comment ? Nous le verrons d'ici là !
La séance est levée à 18 heures 20.