VII. CONCLUSION ET SYNTHÈSE DES TRAVAUX
M. Jean François-Poncet,
président
.- J'ai, à l'issue de cette journée, un
regret et un sujet de satisfaction...
Je regrette en effet de n'avoir pu faire en sorte que chacun prenne la parole,
et je sais qu'un certain nombre partiront déçus. Je voulais m'en
excuser. Lors de nos prochaines réunions, nous ferons ce qu'il faut pour
qu'il en soit autrement !
Par ailleurs, j'ai un sujet de grande satisfaction, qui d'ailleurs, constitue
un peu l'excuse que je peux invoquer au fait qu'il n'y ait pas eu de
débat. En effet, l'objectif que le Sénat poursuivait à
été atteint. Quel était-il ? Il consistait à
s'assurer qu'un an après la loi Pasqua, celle-ci ne reste pas dans les
cartons !
S'agissant de l'aménagement du territoire, c'est un danger
omniprésent. Il n'y a pas de sujet pour lequel l'aménagement du
territoire se prête davantage aux discours du dimanche, et peu de sujets
rentrent plus difficilement dans la réalité !
Nous tenions donc à ce que tous les membres du Gouvernement que ce sujet
concerne puissent venir s'expliquer devant nous et nous dire ce qu'ils avaient
fait ou ce qu'ils avaient l'intention de faire.
Laissez-moi vous dire que cet exercice ne sera pas le dernier. Le Sénat
organisera tous les ans une réunion comme celle-ci au Palais du
Luxembourg, soit une grande convention nationale quelque part en France,
à laquelle tous les maires seront invités, comme nous l'avons
fait à Bordeaux d'abord, à Poitiers ensuite, de façon
à ce que ce sujet ne meure pas. Le Sénat ne cessera pas de faire,
à intervalles réguliers, des piqûres de rappel aux
gouvernements successifs !
Voilà quel était l'objectif, et si nous l'avons atteint, c'est
parce que le Gouvernement s'y est prêté -et je voudrais l'en
remercier- mais aussi parce que vous étiez présents. Je voudrais
vous en remercier et vous demander de prendre rendez-vous d'ores et
déjà pour l'année prochaine, sous une forme ou sous une
autre.
Merci d'avoir été là !
(Applaudissements).
M. François-Michel Gonnot, président
.- Avant de
passer la parole à Charles Pasqua, et en attendant l'arrivée du
Premier ministre, la parole est à Gérard Larcher...
M. Gérard Larcher, sénateur des Yvelines
.- A la fin
de cette journée, on s'aperçoit que beaucoup reste à
faire, et nous voyons que le Parlement doit être vigilant.
La première des exigences nous a été
présentée ce matin par Daniel Hoeffel, qui a parlé de la
nécessité d'approfondir encore la décentralisation. Dans
quelques semaines, le Sénat prendra une initiative qui m'apparaît
importante.
Pourquoi faut-il attendre des catastrophes du type Air France ou Crédit
lyonnais pour mobiliser des fonds importants et définir une politique ?
En matière d'aménagement du territoire, il faut que ces fonds
soient dégagés avant même que la catastrophe n'arrive ! La
politique d'aménagement du territoire ne pourra pas uniquement se
satisfaire de discipline budgétaire. Il s'agit aujourd'hui d'une
impérieuse et urgente nécessité !
Par ailleurs, il ne faut pas opposer Paris et l'Ile-de-France à la
province, ni avoir peur de mots comme "métropolisation" !
Enfin, quoi que vous en ayez dit, si la zone franche donne quelques
résultats, pourquoi ne pas l'appliquer à l'espace rural ? C'est
un rat des villes qui le propose au rat des champs !
(Applaudissements).
M. François-Michel Gonnot, président
.- Y a-t-il une
question ?
Un intervenant
.- Nous allons discuter demain d'une loi sur le
patrimoine qui concerne les 400.000 objets patrimoniaux
non-protégés. Je voudrais insister sur la nécessité
de prendre en compte la capacité contributive des communes qui comptent
sur leurs territoires des monuments très importants et qui ne disposent
que de petits moyens.
Lorsque je passe sur le boulevard Saint-Michel et que je vois l'abbaye de
Cluny, je me dis que si les thermes d'Arles étaient à Paris, ils
seraient mieux entretenus ! Cette capacité contributive devrait
peut-être être prise en compte par un système de
péréquation, comme pour les villes touristiques...
M. François-Michel Gonnot, président
.- La question
étant très spécialisée, on pourra la transmettre
à Philippe Douste-Blazy...
M. Paul Blanc, sénateur des
Pyrénées-Orientales
.- Monsieur le Ministre, à
quand la sortie des derniers décrets concernant les zones de
revitalisation rurale ?
M. Jean-Claude Gaudin
.- Le décret a été
signé, et, je le répète, pour une fois, le Gouvernement
pouvait être à l'aise, puisque ce décret est issu
directement du vote des amendements du Sénat, repris par
l'Assemblée nationale ! Cependant, nous y sommes très attentifs.
C'est le couperet de la démographie qui a motivé le Parlement, et
nous pouvons, par le FNADT et d'autres moyens, essayer d'appuyer telle ou telle
initiative...
M. Paul Blanc, sénateur des
Pyrénées-Orientales
.- Ce n'est pas la question ! Il
manque un décret concernant l'exonération des charges...
M. Jean-Claude Gaudin
.- Il est en cours de préparation. Il
sera signé rapidement, et s'appliquera en outre du premier au
cinquantième employé...
La seule chose qu'on n'arrive pas à faire bouger, c'est le FNDE. Nous
voudrions -même symboliquement- obtenir de Bercy que la ligne
budgétaire soit abondée, quitte à faire des efforts de
sélectivité ailleurs.
M. Jean François-Poncet, président
.- Monsieur le
Premier ministre, le Sénat est heureux de pouvoir vous accueillir
à propos d'un sujet qui, de tous ceux dont il a à
débattre, est probablement celui qui concerne le plus grand nombre
d'entre nous. Tous les sujets qui nous sont soumis nous concernent, mais
celui-ci, à travers l'écho qu'il a dans nos provinces, est un
sujet auquel le Sénat s'est historiquement toujours très
intéressé.
S'il y a une loi sur l'aménagement du territoire, le Sénat y est
pour quelque chose, car il a beaucoup contribué à son
élaboration, et votre présence le comble. J'ajoute qu'elle est en
elle-même une réponse à une question que nous nous posons...
Celle-ci porte sur le degré de priorité que le Gouvernement
accorde à ce grand sujet. Ce n'est pas une question mal
intentionnée, car dans la conjoncture actuelle, compte tenu des
différents problèmes qui assiègent tout gouvernement -le
nôtre, mais aussi ceux des pays voisins- il est normal que
l'actualité immédiate l'emporte sur les préoccupations
à long terme, et l'aménagement du territoire est une
préoccupation à long terme.
Nous souhaitions donc connaître la façon dont vous envisagez la
situation dans les années qui viennent...
On ne pouvait mieux introduire votre intervention qu'en demandant à
Charles Pasqua de ne nous dire comment il voit les choses, quel est l'esprit
dans lequel la loi a été rédigée et surtout quelles
étaient les ambitions qu'y plaçait le ministre chargé de
son élaboration et qui l'a fait voter par le Parlement.
Monsieur le ministre d'Etat, vous avez la parole...
LA LOI D'ORIENTATION, ESPOIRS ET
RÉALITÉS.
INTERVENTION DE M. CHARLES
PASQUA,
SÉNATEUR DES HAUTS-DE-SEINE,
ANCIEN MINISTRE DE
L'AMÉNAGEMENT DU TERRITOIRE
M. Charles Pasqua, sénateur des
Hauts-de-Seine
.- Monsieur le Premier ministre, Monsieur le
Président, Mesdames et Messieurs, chers collègues et amis, je
voudrais d'abord remercier Jean François-Poncet, président de la
commission des affaires économiques et du plan du Sénat d'avoir
eu l'idée d'organiser cette réunion, afin de faire le point sur
l'application de la loi d'orientation pour l'aménagement et le
développement du territoire, un an environ après son adoption par
le Parlement, le 4 février 1995.
Un an, c'est le terme qu'avait fixé la loi elle-même pour
l'élaboration de certaines de ses principales dispositions, celles qui
devaient donner à la réforme toute son ampleur et tout son sens,
dessiner la France de 2015 telle que nous la voulons, et non plus telle que le
modèlent sans ménagement les évolutions brutales qu'impose
l'économie moderne.
Fallait-il en effet laisser le marché décider seul du visage de
la France et de son organisation géographique, humaine et sociale ?
Fallait-il se résigner à voir notre pays devenir un espace
non-identifié, un vague territoire sur lequel cohabiteraient tant bien
que mal des collectivités et des communautés aux destins
séparés, et bientôt antagonistes ? Fallait-il se
résoudre à voir 90 % de notre population s'agglutiner sur 10 % de
notre territoire, délaisser l'espace rural, accélérer la
concentration urbaine ? Fallait-il moins de services publics, moins de
solidarité et davantage de chacun pour soi ?
C'est à l'ensemble de ces questions que la loi d'orientation,
après plus d'un an de débats dans l'ensemble du pays, a entendu
répondre. En présentant cette loi le 7 juillet 1994 à
l'Assemblée nationale, je la qualifiais de loi de développement
économique et social, en ajoutant : "Il s'agit en effet de renouer avec
l'un des principes fondamentaux du pacte social -je préfère dire
du pacte républicain". L'expression, par la suite, a fait du chemin !
Le principe républicain rejoint là à mon sens
l'impératif économique. Certes, il se suffirait à
lui-même. L'égalité des chances entre les citoyens,
l'égal accès au savoir, à l'emploi, à la culture,
à la sécurité, à la santé, à
l'information, sont bien des objectifs en eux-mêmes, mais qui ne comprend
qu'ils sont aussi des atouts maîtres dans la compétition mondiale,
tant nous pressentons bien que les activités les plus créatrices
de richesses et de valeur ajoutée se situeront dans les pays à
forte cohésion sociale et à forte attractivité
territoriale !
Il s'agit ainsi -Jean François-Poncet le sait mieux que quiconque- de
replacer la France tout entière au centre du développement
européen, afin d'éviter qu'elle ne se retrouve au pire à
l'écart, au mieux en déséquilibre, inconfortablement
adossée à l'axe lotharingien, laissant peu à peu les
deux-tiers de son territoire se marginaliser.
Restaurer le pacte républicain, relever le double défi de la
mondialisation et de la construction européenne : la politique de
développement- du territoire est une réponse de notre temps
à des enjeux de notre temps !
La loi qui a été votée l'an dernier a voulu ouvrir toutes
les pistes. Elle porte en germe un véritable projet de
société, celui d'une France déconcentrée, une
France qui se décontracte au lieu de se contracter, une France au sein
de laquelle l'habitat, l'enseignement, la production, les services,
l'administration, la culture, seront plus harmonieusement répartis,
où chacun pourra disposer d'un cadre de vie meilleur, tout en ayant
accès à l'information, à la connaissance et à
l'emploi, sur un marché désormais étendu aux dimensions du
monde.
C'est à ce projet que loi a voulu donner toutes ses chances en ouvrant
un champ plus large aux ambitions des Français et à celles de
leurs collectivités territoriales. C'est ainsi une loi de
développement, car l'objectif est bien de créer de la richesse
partout où il en manque, d'enclencher le développement local
partout où c'est nécessaire, et pas seulement de redistribuer,
c'est-à-dire de prendre aux uns pour donner aux autres, dans un absurde
jeu à somme nulle, qui n'aurait d'autre effet que de répartir la
pénurie. Le cadre existe désormais.
Si j'ai tenu à revenir assez précisément sur la
genèse et l'esprit de la loi d'orientation pour souligner son
caractère global et volontariste, c'est qu'il me semble qu'il nous
était imposé par la gravité de la situation de notre pays,
qui a dicté l'ampleur de nos ambitions. Cette situation n'a pas
changé depuis. C'est pourquoi tout recul ou toute hésitation
suscite évidemment mes regrets.
Or, Monsieur le Premier ministre, les moyens aujourd'hui mis en oeuvre ne sont
pas encore à la hauteur de ces ambitions et ne correspondent pas encore
aux exigences de l'élan majoritaire qui a redressé le pays
à partir de 1993. Je connais les impératifs de rigueur qui
s'imposent au Gouvernement, mais la rigueur budgétaire ne doit pas
être antagoniste en matière d'investissements productifs.
La question qui se pose est donc de savoir si notre Gouvernement fait toujours
sienne cette politique, qu'avaient délaissée tous les
gouvernements depuis vingt ans, jusqu'à ce que nous lui rendions toute
sa dimension, de 1993 à 1995, avec l'approbation -remarquée
à l'époque- de celui qui est aujourd'hui Président de la
République.
Si tel est le cas -et je n'ai pas de raisons d'en douter, connaissant par
ailleurs l'ardeur et les compétences de mes amis Jean-Claude Gaudin et
Eric Raoult, que vous avez chargés de ces dossiers- et si l'application
de la loi ne souffre que d'un retard contingent dû aux difficultés
de l'heure, permettez-moi de plaider pour que le premier levier que vous aurez
à actionner soit celui du fonds national pour la création et le
développement des entreprises.
Les fonds d'intervention, de péréquation, de gestion
prévus par la loi sont en effet autant d'instruments grâce auquel
l'Etat pourra influencer la gestion de l'espace et la répartition des
activités. Mais ces instruments ne prendront toute leur signification
que si, par ailleurs, est engagée une politique vigoureuse en faveur de
la création d'activités nouvelles, à laquelle il faut
donner la priorité sur la délocalisation des entreprises
existantes. Il faut parier sur les entrepreneurs pour mener à bien la
reconquête du territoire. Il faut que tous nos départements
renouent avec l'esprit d'entreprise, pour que la France renoue avec la
croissance.
Dans mon esprit -est-il besoin de le souligner ?- le fonds national de
développement des entreprises n'avait rien d'un dispositif
complémentaire aux autres. Il a une importance stratégique. Ce
qui manque à la France, et vous le savez, ce sont des entreprises
nouvelles, qui créent dès richesses nouvelles, ce qui manque aux
entreprises qui se créent, ce sont des fonds propres pour se
développer. Nous avons deux fois moins d'entrepreneurs qu'en Italie,
deux fois moins de PME qu'en Allemagne : voilà où le bât
blesse et où se trouve le déficit d'emplois !
Que l'on consacre ne serait-ce que 10 % des aides à l'emploi
à l'aide à la création d'entreprises, cela ferait trente
milliards, qui représentent plus de 100.000 entreprises nouvelles chaque
année, et deux ou trois fois plus d'emplois nouveaux. L'adaptation et
l'amélioration des mesures existantes au profit des PME-PMI ne suffisent
pas aux nécessités du développement local. Aujourd'hui
plus encore qu'hier, une des tâches essentielles de l'Etat est de
mobiliser du capital-risque pour permettre aux 3 millions de Français
-si j'en juge par les renseignements des instituts de sondages- qui souhaitent
créer leur entreprise d'engager ainsi notre pays sur la voie d'une
croissance, inattendue celle-là !
Puisque les incertitudes écartent les épargnants de la
création d'entreprises, il faudrait que l'Etat abaisse le risque et
organise la liquidité. Pour un franc de capital privé, l'Etat
apporterait un franc de fonds publics, tandis que la plus-value
réalisée et tous les dividendes versés serviraient
à rémunérer les investisseurs privés. L'Etat
récupérerait sa mise grâce à l'élargissent de
l'assiette des impôts et des cotisations qu'entraîneraient la
création et le développement d'entreprises nouvelles.
Tel fut le débat qui se déroula au Parlement, et notamment au
Sénat, et telles étaient les idées que nous
présentions.
Cette mise en oeuvre d'une véritable politique de capital risque doit
être financée grâce à l'emprunt. Pour renouer avec la
croissance, il faut susciter la confiance. Elle naît quand sont
proposés de grands projets, qui savent mobiliser une richesse qui existe
dans ce pays, mais qui reste encore mal employée. Le chantier est
immense. Si nous voulons que notre pays soit un des leaders du
XXI ème siècle et que tous les Français
bénéficient du progrès général de la Nation.
C'est très précisément par là que passe la
restauration du pacte républicain souhaité par le chef de l'Etat
et par l'immense majorité des Français.
Mais nous ne devons pas pour autant tout attendre de l'Etat. La mobilisation de
l'épargne des Français pourrait se traduire concrètement
par de grands emprunts régionaux, que la loi permet désormais et
qui susciteraient d'autant plus d'adhésion du public que celui-ci aurait
la certitude de voir son épargne investie au plus près des
besoins qu'il ressent, qu'il s'agisse d'infrastructures de transports et de
communication, d'équipements solaires, universitaires ou de formation
professionnelle, ou de l'aide en capitaux propres à tous ceux qui ont
des projets, mais que notre système bancaire néglige -le
Président de la République le rappelait récemment avec
force.
On me dira que je propose un pari. C'est vrai, oui : celui de la confiance en
la créativité et l'esprit d'entreprise des Français,
à condition de leur en donner les moyens. Cette confiance repose sur des
siècles d'histoire, et sur la force de notre Nation. Je ne crois pas
qu'il s'agisse de réalités hasardeuses. Les impératifs de
la mondialisation et de l'exportation ne sont en rien contradictoires avec
cette réalité. Le coeur de l'économie est à
l'intérieur même du pays, et l'essentiel se joue sur cette
nouvelle frontière.
Créer un surplus de croissance, un surcroît de
développement, tel est, tel était et tel demeure le ressort
profond de la loi d'orientation du territoire. Elle vise ainsi à
recréer les conditions d'une réelle égalité des
chances entre les citoyens et les collectivités territoriales, et
d'abord -parce que c'était l'urgence- à traiter vigoureusement
notre territoire à ces deux extrêmes : la désertification
rurale et la ghettoïsation urbaine.
La loi a ainsi consacré le principe de la fiscalité
dérogatoire en permettant création de véritables zones
franches, les zones de revitalisation rurale et les zones de rénovation
urbaine. Votre Gouvernement, Monsieur le Premier Ministre, a encore
élargi la dérogation proposée, et je m'en réjouis.
Il est de bon ton, ici ou là, de se moquer de ce zonage. Reconnaissons
que le terme n'est peut-être pas le mieux choisi, mais qu'importe !
En reconnaissant la constitutionnalité de cette discrimination positive,
le Conseil constitutionnel en a consacré le principe républicain,
qui est d'exempter de certaines charges, en vertu de l'intérêt
général, les catégories de population les plus
défavorisées. Tel est bien le cas de nombreux territoires, ceux
que délaissent les hommes et les activités, comme ceux où
s'agglomèrent les populations, mais pas les emplois.
C'est là la condition d'une nouvelle mobilité des
activités des hommes, qu'il faudra bien songer à étendre
un jour à la fiscalité des personnes physiques, ce qui
constituerait un levier d'une tout autre puissance.
Il est clair que l'association des deux leviers dont je viens de parler, la
création d'activités nouvelle par la mobilisation de
l'épargne, la mobilité par la fiscalité
dérogatoire, aurait pour effet de remettre la France en mouvement par
elle-même, et notre pays se mettrait ainsi en position de
bénéficier davantage des grands courants internationaux.
Surtout, elle permettrait que ces courants irriguent l'ensemble du territoire,
et profitent à tous les Français.
Il existe enfin un troisième levier dans la loi d'orientation, et rien
ne s'oppose à mon sens à que nous l'actionnions sans
délai. Il s'agit de passer à une nouvelle étape de la
décentralisation, qui verrait l'Etat confier aux collectivités
territoriales de nouvelles compétences, lui-même adaptant enfin
son organisation politique et administrative aux réalités de
cette France décentralisée et déconcentrée.
Je pense pour ma part qu'en sus des compétences dont la loi
prévoit expressément le transfert, comme celui des transports
régionaux, l'environnement, l'emploi, la formation professionnelle et
l'enseignement supérieur, pourraient être progressivement
dévolus aux collectivités territoriales après une nouvelle
répartition des compétences entre les régions, les
départements et les communes.
Cet approfondissement de la décentralisation doit en effet être
conçu de façon à favoriser les grands objectifs de la
politique d'aménagement du territoire, le développement
économique et l'égalité des chances. Je rappelle que lors
du débat sur la loi, le Gouvernement s'était engagé
à présenter dans un délai d'un an une loi concernant une
nouvelle dévolution des compétences.
La perspective de cette France décentralisée, où l'Etat se
serait volontairement dessaisi de la mise en oeuvre de politiques qui
était jusqu'alors son apanage devrait nous inciter aussitôt
à établir une claire distinction entre les grandes fonctions
exécutives à la tête d'une collectivité
territoriale, et celle de membre du Gouvernement. Que mon ami Gaudin m'excuse :
il n'est pas particulièrement visé, mais je parle
d'expérience, et je crois que les fonctions exécutives de
président de région et celles de président de conseil
général ne devraient pas pouvoir être détenues
pendant que l'on est au Gouvernement. A charge pour le président de
faire assurer l'exécutif par un de ses vice-présidents. Je ne
demande pas la mort du pêcheur -d'autant que j'en ai été un
moi-même- mais, ainsi, les choses seraient plus claires !
Cette interdiction du cumul des fonctions me semble de plus fort effet que
celle du cumul des mandats, qui verrait le Parlement et notamment le
Sénat coupé des collectivités locales. Il me semble
qu'elle garantirait davantage l'impartialité de l'Etat et l'on verrait
par conséquent grandir son rôle d'arbitre, au fur et à
mesure que diminuerait sa fonction sur le terrain, dans les domaines qu'il
aurait confiés aux collectivités.
Aussi, la loi d'orientation pour l'aménagement et le
développement du territoire forme-t-elle un tout, au sein duquel chaque
disposition étaye la suivante. Il en va ainsi des fonds de
péréquation et d'investissement pour les transports
aériens, pour les transports terrestres, pour les voies navigables, dont
les premiers bénéfices se font sentir sur l'équipement de
notre pays. Il en va tout autant du maintien des services publics, dont
l'abandon est stoppé depuis le moratoire et dont la notion même
retrouve aujourd'hui jusque et y compris à Bruxelles une nouvelle
jeunesse.
Il en va enfin de la péréquation et de la réforme des
finances locales. Il en va surtout du schéma national, pièce
maîtresse du projet, puisqu'il permettra de territorialiser les
politiques dans les domaines de l'éducation, de la santé, de la
recherche, de la culture, de la communication, pour ne citer que
ceux-là. Je ne doute pas que ce schéma soit soumis au Parlement
au cours de la session qui s'ouvrira à l'automne de cette année.
Ce schéma doit en effet exprimer la synthèse des aspirations de
l'ensemble des régions françaises, telles que l'Etat entend les
favoriser. A ce titre, c'est là le canevas indispensable à tout
l'ouvrage.
Telles sont, Monsieur le Premier ministre, Messieurs les ministres, Monsieur le
Président, Mesdames et Messieurs, les réflexions que m'inspire un
an après l'état d'avancement de ce que j'avais qualifié de
"grande affaire". La renaissance d'une politique d'aménagement du
territoire avait suscité dans le pays un espoir véritable, dont
le Parlement s'était largement fait l'écho.
Je voudrais une fois encore remercier les rapporteurs de la loi -Patrick Ollier
à l'Assemblée nationale et Jean François-Poncet- qui ont
apporté une contribution décisive au débat et à
l'élaboration de la loi.
Cette politique que nous avons voulu ensemble et que vous connaissez bien,
Monsieur le Premier ministre, puisque nous l'avons défini au sein du
Gouvernement auquel vous apparteniez, est toujours à même de
mobiliser les énergies de notre pays, car elles offrent des
repères familiers à l'initiative, à l'effort, à
l'investissement de chacun des Français, auxquels semble de plus en plus
en plus échapper la maîtrise de leur avenir.
Notre majorité -votre majorité aujourd'hui- attend de notre
Gouvernement qu'il s'approprie cette grande réforme, cette "grande
affaire", afin que nous puissions en tirer ensemble tout le
bénéfice quand nous présenterons -bientôt, il ne
faut pas l'oublier- notre bilan aux Français.
(Applaudissements).
M. Jean François-Poncet, président
.- Monsieur le
Premier ministre, vous avez la parole...