B. DES RÉSULTATS ENCORE DÉCEVANTS
Compte tenu du caractère encore relativement embryonnaire de l'évaluation, on ne peut guère s'attendre à ce que les études déjà menées aient un rôle majeur dans le processus de décision publique.
1. Une indifférence relative des pouvoirs publics aux travaux réalisés
Le Gouvernement tient encore assez peu compte des travaux réalisés en matière d'évaluation dans sa prise de décision. Des progrès sont néanmoins perceptibles.
On peut prendre deux exemples ponctuels de cette relative indifférence.
• Le premier est celui de la réduction
d'impôt pour dépenses de grosses réparations. Arrivant
à échéance fin 1995, ce système a été
prorogé d'un an par la loi de finances initiale pour 1996, malgré
les critiques de la commission Ducamin, qui a jugé ce dispositif
très coûteux en général (2,2 milliards de francs en
1995) et peu intéressant en particulier (environ 1.500 francs de
réduction d'impôt par bénéficiaire).
• Le second est celui du système de
l'amortissement Périssol. Ainsi que le groupe de travail a pu le mettre
en évidence,
ce système accroît de façon
considérable la différence de traitement fiscal entre le
logement
"neuf et le logement ancien 38 ( * ) . Or la commission Ducamin avait dénoncé cette situation (page 92) :
"Si la fiscalité ne semble pas déterminante dans la répartition de l'épargne des ménages entre différents placements mobiliers, elle introduit des distorsions beaucoup plus importantes dans l'arbitrage de l'investisseur entre placements mobiliers et immobiliers et, au sein de cette dernière catégorie, entre l'investissement dans le neuf ou dans l'ancien. "
Cependant, il est possible de déceler un certain changement d'attitude de la part des pouvoirs publics, changement soutenu par la prise de conscience générale des nécessités de l'évaluation.
Ainsi, il est incontestable qu'à la suite du douzième rapport du Conseil des impôts, du rapport du Conseil économique et social, ou d'études plus confidentielles telles que celles de Philippe Monard à la direction de la prévision 39 ( * ) , la fiscalité immobilière des ménages s'est globalement améliorée.
De même, la création du "prêt à taux zéro" s'est accompagnée d'une certaine rationalisation de l'effort de l'État en faveur de l'accession sociale à la propriété, puisque les coûts associés à quatre dépenses fiscales et au PAP ont été reconvertis en une aide à la pierre unique 40 ( * ) . Les réductions d'impôt accompagnant les opérations d'accession, et fort critiquées par la commission Ducamin, ont été supprimées pour les titulaires de prêts à taux zéro 41 ( * ) .
2. Des obstacles cognitifs encore très importants
S'il n'est pas suffisamment tenu compte des études d'évaluation, c'est peut-être qu'elles ne sont pas encore tout à fait probantes.
Si l'on pouvait démontrer de façon irréfutable que telle dépense fiscale, dont le coût serait établi avec certitude, pourrait générer un volume défini de valeur ajoutée, avec une contrepartie également définie en recettes fiscales, il serait alors aisé de choisir avec pertinence les mesures à prendre.
Mais tel n'est malheureusement pas le cas.
L'étude de l'INSEE sur les effets d'aubaine démontre l'extrême difficulté qu'on connaît aujourd'hui pour les mesurer. L'Observatoire foncier et immobilier a exposé au groupe de travail qu'on savait encore peu de choses sur l'impact comportemental des mesures fiscales (voir infra chapitre deux -1-C).
Le précédent ministre du logement, Hervé de Charette, avait mis en place un comité de suivi du plan de relance de 1993, qui a réuni régulièrement experts, professionnels et administration. Le comité de suivi n'a pas pu établir ce qui, dans l'évolution de l'économie du logement de 1993 à 1995, pouvait être dû aux abondantes mesures fiscales décidées au cours de la période. En particulier, la rechute de la construction, des prix et des transactions en 1995, après l'embellie de 1994, a créé un certain désarroi, démontrant que les manettes fiscales et budgétaires, telles qu'elles sont conçues aujourd'hui, ne parviennent pas à permettre un pilotage de l'économie du logement.
Faut-il pour autant se résigner ? Certainement pas. D'une manière générale, la théorie macro-économique enseigne que les impulsions fiscales (ou budgétaires) ont un effet sur l'économie. Il y a donc probablement un moyen de connaître ce type d'effets à un niveau plus fin comme celui du logement.
À ce stade de son étude, le groupe de travail de votre commission des Finances est parvenu à trois conclusions.
La première est que l'absence d'évaluation objective des dispositifs favorise l'inefficacité de la loi fiscale. Celle-ci, faute d'être simulée est expérimentée dans le droit positif. Elle doit donc être ajustée, ce qui contribue à son instabilité. Cette instabilité empêche les effets propres des mesures prises de se produire dans les meilleures conditions.
L'instabilité, les ajustements, entraînent la complexité. Celle-ci favorise de la part des contribuables, une grande incompréhension, qui se double, à cause d'une publicité confidentielle, d'une grande ignorance des dispositifs qu'ils pourraient utiliser.
Avant même de pouvoir observer si les dispositifs votés sont intrinsèquement efficaces, il faudrait au moins que leurs conditions d'existence ne nuisent pas d'emblée à cette efficacité. Par son existence même, l'évaluation peut donc renforcer l'efficacité des dispositifs.
La seconde conclusion est que l'évaluation est nécessaire pour donner du poids aux propositions parlementaires, asseoir leur crédibilité, et ainsi leur donner des possibilités, lorsqu'elles le justifient, d'être adoptées.
Enfin, la troisième conclusion est que l'espoir est permis. Même s'il reste des obstacles scientifiques et techniques importants, un consensus est apparu sur la nécessité d'évaluer les mesures fiscales. Grâce à ce consensus, on peut espérer que les recherches nécessaires seront mises en oeuvre.
* 38 Sur l'évaluation de ce régime, voir infra chapitre deux - Il - A. 5
* 39 Document de travail n° 93-5 "L'impact de la fiscalité sur la rentabilité de l'investissement locatif dans le logement" - avril 1993
* 40 Ce qui est une sorte de réhabilitation de l'aide à la pierre, pourtant fustigée par les services du ministère des Finances depuis longtemps.
* 41 Le groupe de travail la Martinière ne parait pas tenir compte de ce progrès (page 22).