B. LE FINANCEMENT DE LA PESC : UN DISPOSITIF COMPLEXE DONT L'ÉVOLUTION POURRAIT CONDUIRE À UNE REMISE EN CAUSE DE L'ÉQUILIBRE INSTITUTIONNEL PRÉVU DANS LE CADRE DU SECOND PILIER

L'application des décisions prises au titre de la PESC n'emporte pas seulement la mise en oeuvre des politiques communautaires du premier pilier, elles peuvent également requérir la mise en place des moyens de financement adéquats.

Or, les procédures de financement prévues par le traité paraissent singulièrement complexes et inadaptées, en particulier dans des situations d'urgence. En outre, la pratique observée dans la mise en place des actions ou des positions communes traduit une dérive dans le partage des pouvoirs en faveur du Parlement européen, susceptible à terme de remettre en cause l'équilibre institutionnel prévu dans le cadre du second pilier.

1. Un dispositif complexe

Malgré l'aridité du sujet, il n'est sans doute pas inutile d'entrer dans les arcanes du financement de la PESC ; les modes de financement retenus n'apparaissent pas neutres en effet au regard de la répartition des pouvoirs entre les institutions.

La matière est réglée dans le traité par l'article J 11 qui distingue les dépenses administratives des dépenses opérationnelles de la PESC.

a) Les dépenses administratives

Les dépenses administratives relèvent automatiquement du budget général des communautés européennes. Il importait cependant de lever une double incertitude d'une part sur la nature des dépenses administratives, d'autre part sur leur imputation budgétaire.

S'agit-il de la section I (Conseil) ? Le droit de regard du Parlement européen sera dans cette hypothèse réduit puisque au terme d'un accord informel en date du 22 avril 1990, le Parlement européen ne s'immisce pas dans le budget du Conseil. S'agit-il de la section III (Commission) et le Parlement européen retrouve alors un entier pouvoir de contrôle .

Le Conseil s'est accordé, en juin 1994, pour porter à la charge de la section III les traitements et frais de voyage des personnels de la Commission responsable dans le domaine de la PESC. Par ailleurs il a décidé d'imputer sur la section I trois types de dépenses : les frais de gestion courante de la PESC (fonctionnement de l'unité PESC au sein du secrétariat général du Conseil, engagement d'experts à titre temporaire, frais de déplacement de la Présidence et de la troïka), mais aussi, sur décision du Conseil et selon les circonstances , les frais préparatoires à la mise en oeuvre d'une action opérationnelle et les frais d'encadrement et de coordination sur le plan administratif d'une action opérationnelle mettant seulement en oeuvre des moyens en hommes et en matériels.

Cette définition des dépenses administratives a convenu, dès l'origine, au gouvernement français car elle permettait le financement par le Conseil des dépenses lié au Pacte de stabilité (conférence, tables rondes, missions de la troïka ...).

Le Parlement européen avait plaidé pour une autre solution : les dépenses suscitées par une action commune avant son adoption formelle par le Conseil devaient prendre place dans la section I. Une fois la décision prise, les dépenses relevaient du volet administratif de la section Commission.

b) Les dépenses opérationnelles

L'article J 11 du Traité prévoit une double possibilité pour le financement des dépenses opérationnelles. Le Conseil peut en premier lieu décider à l'unanimité de les mettre à la charge du budget des communautés européennes. Il peut en second lieu « constater » que les dépenses opérationnelles doivent peser sur les Etats membres selon une clef de répartition qu'il ne précise pas.

Dans la première hypothèse, la procédure budgétaire normale s'applique. Dans la mesure où il s'agit de dépenses non obligatoires le Parlement européen dispose du dernier mot (art. 203 c). La Commission pour sa part assure l'exécution du budget sous le contrôle de la Cour des comptes européenne.

La seconde hypothèse ne bénéficie pas des garanties de contrôle et surtout de prévisibilité qu'emporte nécessairement le cadre budgétaire communautaire. Par ailleurs, elle implique une répartition des dépenses selon des critères qui peuvent toujours prêter à contestation même si le Conseil s'est accordé, en juin 1994, pour répartir les dépenses selon la clé du produit national brut.

2. Une remise en cause des équilibres institutionnels

Dans la pratique, la prise en charge des dépenses opérationnelles de la PESC est revenue principalement au budget communautaire. Sans doute, le principe d'un financement par les contributions nationales a-t-il connu quelques applications et a pu même se combiner avec un financement communautaire dans une formule mixte retenue, par exemple, pour la prise en charge de l'administration de Mostar par l'Union européenne.

Cependant, la réticence des Etats membres à engager des dépenses supplémentaires, le souci de ne pas ouvrir le débat sur une répartition « équitable » des charges liées à la PESC a conduit le Conseil à privilégier un financement communautaire des dépenses opérationnelles .

La France appuie cette positions dans la mesure où, d'après notre gouvernement, l'action commune doit permettre la mobilisation de l'ensemble des moyens disponibles, tant nationaux que communautaires.

Bien que le mode de financement communautaire ait pu se mettre en place, l'absence d'un réel accord inter-institutionnel fait peser sur la procédure une double hypothèque.

a) Les dépenses liées à la PESC : une définition difficile

La première, d'ordre juridique, a trait à la séparation entre les dépenses liées à la mise en oeuvre de la PESC proprement dite, d'une part, et les dépenses liées aux actions communautaires, d'autre part. La procédure budgétaire s'applique dans les deux hypothèses. Dans le premier cas de figure, il suffit qu'une position ou une action commune aient été décidées par le Conseil, les dépenses afférentes s'imputent alors sur les crédits PESC du budget. Dans le second cas -la mise en oeuvre d'actions communautaires en complément d'une décision prise dans le cadre de la PESC-, la procédure de décision communautaire retrouve tous ses droits : la dépense repose sur un acte communautaire dont l'initiative appartient exclusivement à la Commission qui en assure également l'exécution.

Dans les faits, la distinction entre le financement d'un objectif de politique étrangère commune, par les dépenses opérationnelles de la PESC ou par les crédits liés aux politiques communautaires n'apparaît en rien évident. Un même type d'opération, comme le déminage, pouvant entrer dans le cadre des crédits PESC ou des crédits des politiques communautaires, au titre, dans ce cas précis, des actions de développement.

Le COREPER a recommandé que la source de dépenses soit indiquée au moment même de la définition d'une position commune ou de l'adoption d'une action commune. Le plus souvent, cependant, la mise au point des mécanismes de financement demande de patientes négociations au cours desquelles chaque institution entend préserver ses droits et son autonomie. Inutile de souligner combien cette procédure répond peu aux nécessités de l'urgence.

b) Le rôle accru du Parlement européen

Le financement des dépenses opérationnelles ne soulève pas seulement, à travers cette répartition comptable des crédits, le problème du partage des pouvoirs entre la Commission et le Conseil, il pose aussi la question du rôle du Parlement européen. En effet, on s'en souvient, les dépenses opérationnelles de la PESC ont été considérées comme des dépenses non obligatoires . Le Parlement européen peut dès lors fixer le cadre budgétaire de leur financement ainsi d'ailleurs que les montants à prévoir. On ne s'étonnera pas qu'il ait fait usage de ses facultés. Il a ainsi arrêté à la faveur de la deuxième lecture du budget 1995 une structure complète pour le financement de la PESC 11 ( * ) . Par ailleurs, le Parlement européen n'a pas hésité, de sa propre initiative, à abonder les crédits destinés à l'administration de Mostar . Cette institution s'est octroyée de la sorte la capacité d'influencer la politique étrangère commune bien au-delà des attributions qui devaient lui revenir au terme de l'esprit initial du traité. Cette évolution liée à l'imprécision du texte sur les modalités de financement ne contrarie pas seulement une organisation institutionnelle où le rôle éminent revient en principe au Conseil. Elle pourrait également conduire au paradoxe de conférer au Parlement européen un rôle plus grand dans la politique extérieure que celui dévolu aux parlements nationaux.

Sans doute une diplomatie commune plus réactive que dynamique s'accommode sans trop de difficulté d'une procédure de financement caractérisée par sa complexité et sa lourdeur. A l'inverse, une politique étrangère commune plus active impliquerait une clarification et une simplification des mécanismes actuels.

* 11 Une nouvelle sous-section budgtéaire -la B8 dans le jargon communautaire- comprend ainsi une ligne générale pour les actions en préparation ou les nouvelles actions ; plusieurs lignes spécifiques pour des actions en cours -« Mostar », « pacte de stabilité » ...- ; une réserve globale destinée en principe aux politiques extérieures de la communauté.

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