B. UN MODE DE DÉCISION INADÉQUAT
1. La confusion des modalités de vote
a) Le consensus, mode d'adoption privilégié des décisions
Malgré la faculté prévue dans le traité de recourir au vote à la majorité qualifiée, le Conseil n'a jamais utilisé cette possibilité.
Rigidité excessive de la règle (la possibilité de recourir au vote à la majorité qualifiée était conditionnée par un vote à l'unanimité) ? Manque de volonté politique ? Votre rapporteur pencherait plutôt pour cette dernière hypothèse. Il convient cependant d'observer que la procédure à l'unanimité n'a pas été beaucoup plus utilisée que le vote à la majorité, signe d'une réelle réticence à procéder dans le domaine de la politique étrangère à une délibération conclue par un vote . Le risque d'obliger un Etat à s'opposer clairement à une attitude commune et donc à assumer la responsabilité d'un échec de l'Union a paru trop grand. Comment conjurer cette menace ? Le Conseil a trouvé la solution en faisant prévaloir, ou plutôt en maintenant, la règle du consensus qui ne nécessite pas de vote.
Qu'aucun Etat ne souhaite prendre la responsabilité de reconnaître clairement son opposition par un vote, c'est là sans aucun doute une tendance fâcheuse qui condamne la politique étrangère à cette dérive déclaratoire que l'on connaît aujourd'hui.
b) L'utilisation indécise des instruments
Au sein même des nouveaux instruments de la PESC, la confusion s'est introduite. Les positions communes l'emportent de beaucoup sur l'adoption d'actions communes : une procédure plus simple, exempte en particulier de l'intervention, nécessaire pour les actions, du Conseil européen, explique sans doute cette évolution.
En outre certains des Etats membres, et plus particulièrement le Royaume-Uni, se sont régulièrement montrés hostiles à l'emploi des actions communes. En effet, bien que strictement encadrée et, en définitive, jamais utilisée, la faculté d'un recours à un vote à la majorité a servi de repoussoir aux tenants du maintien d'une coopération sur une base exclusivement intergouvernementale.
Dès lors, les positions peuvent servir de base à des actions. Les actions elles-mêmes n'ont parfois été mises en oeuvre que pour entreprendre de simples mesures administratives.
Cette confusion apparaît la principale raison de la perte de substance des instruments nouveaux et, singulièrement, des actions communes. Ces dernières, investies en théorie de la charge politique la plus forte, se voient doublement limitées. D'une part, leur contenu politique n'apparaît pas toujours à la mesure d'une réelle ambition géostratégique. L'observation des élections en Afrique du Sud ou en Russie ne saurait en effet épuiser le champ d'une politique étrangère commune ambitieuse dans ces régions. En outre, la portée des actions communes s'est trouvée, parfois, singulièrement réduite entre les mandats fixés par le Conseil et les opérations réellement mises en oeuvre.
Le consensus favorise la diplomatie déclaratoire ; procédure simple et substance faible. Voilà, en effet, deux traits propres aux déclarations ou autres démarches qui s'accordent bien à l'engagement amoindri qu'impliquent les décisions prises par consensus.
La PESC a ainsi poursuivi sur la voie de la coopération politique européenne. Bien que l'usage ait établi le consensus pour l'adoption des positions ou des actions communes, les scrupules à l'égard de la lettre du traité qui prévoit explicitement l'unanimité, ou peut-être simplement le poids des habitudes, ont conduit à privilégier les manifestations classiques de la diplomatie européenne.
Les pratiques antérieures liées à la coopération politique européenne se sont pérennisées au mépris de la hiérarchie qui, dans l'esprit des négociateurs du traité de Maastricht, devait régler l'utilisation des différents instruments.
2. La représentation de l'Union européenne sur la scène internationale : un manque évident de visibilité
a) La rotation des présidences
Il appartient au pays assurant la présidence du Conseil de représenter l'Union pour toutes les questions relevant de la PESC (article J 5, paragraphe 1). De même, la responsabilité de la mise en oeuvre des actions communes lui incombe à titre principal. On le sait, la présidence tournante tous les six mois ne favorise guère la continuité, pourtant nécessaire à l'expression d'une politique étrangère. Un acteur qui change ainsi régulièrement de visage a de quoi déconcerter ses partenaires. Sur la scène internationale, la pièce peut se prolonger bien au-delà de 6 mois : que l'on songe par exemple au processus de paix au Proche-Orient ou dans l'ancienne Yougoslavie. On connaît le mot fameux de Kissinger : « je veux bien parler à l'Europe, mais donnez-moi un numéro de téléphone ».
b) Une formule imparfaite : la troïka
C'est pourquoi le traité permet d'associer à la présidence le pays ayant exercé la présidence précédente et celui destiné à l'exercer ensuite. Cette « troïka » est devenue l'usage pour représenter l'Union dans le cadre des démarches qu'elle est appelée à entreprendre à l'égard des pays tiers. Toutefois si cette solution procure une plus grande continuité, elle présente l'inconvénient de constituer une représentation à trois têtes. l'Union perd ici en visibilité ce qu'elle gagne en pérennité.