B. UN DISPOSITIF NOVATEUR POUR DES OBJECTIFS AMBITIEUX

Tirant les leçons des déceptions liées à la coopération politique, les négociateurs du traité de Maastricht ont cherché à jeter les bases d'une politique étrangère plus efficace. Ainsi, s'ils se sont fixé des objectifs ambitieux, c'est en définissant de nouvelles méthodes de coopération qu'ils se sont montrés les plus audacieux

1. L'ambition fondatrice : faire de l'Union un acteur à part entière sur la scène internationale

a) Des objectifs initiaux très étendus

Le traité fixait des objectifs très larges que les ministres des affaires étrangères des pays membres ont tenté ensuite de préciser.

Les objectifs, que le deuxième pilier assigne à la PESC, apparaissent autant de déclinaisons possibles d'une ambition plus vaste dont l'article B du titre premier, consacré aux dispositions communes, révèle la substance : affirmer l'identité de l'Union européenne sur la scène internationale.

Cette volonté se manifeste sous la forme de cinq objectifs exposés par l'article J1 du titre V.

- la sauvegarde des valeurs communes , des intérêts fondamentaux et de l'indépendance de l'Union ;

- le renforcement de la sécurité de l'Union et de ses Etats membres sous toutes ses formes ;

- le maintien de la paix et le renforcement de la sécurité internationale, conformément aux principes de la charte des Nations Unies, ainsi qu'aux principes de l'acte final d'Helsinki et aux objectifs de la charte de Paris ;

- la promotion de la coopération internationale ;

- le développement et le renforcement de la démocratie et de l'Etat de droit, ainsi que le respect des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Quels sont, au terme de ces dispositions, les principaux ressorts de la PESC ?

Si la sauvegarde de son indépendance touche aux intérêts vitaux directs de l'Union, le souci attaché au maintien de la paix dans le monde mais également à la défense des droits de l'homme confère une dimension réellement internationale à la diplomatie européenne. Cette ambition apparaît l'héritage de traditions diplomatiques jadis soucieuse de l'équilibre des puissances et reconvertie aujourd'hui dans la défense du système des valeurs internationales où le volet humanitaire, en particulier, tient une place éminente.

b) La définition par le Conseil de champs géographiques et sectoriels plus précis

Mais portés à ce degré de généralité, les principes de la PESC présentaient le risque de demeurer sans suite. Les membres de l'Union ont bien senti ce danger. Aussi le Conseil européen de Lisbonne (26-27 juin 1992) a-t-il repris les principales lignes d'un rapport au Conseil « sur l'évolution probable de la PESC visant à cerner les domaines se prêtant à une action commune vis-à-vis de pays ou de groupes de pays particuliers ». Ce rapport fixait deux ordres de priorité :

- dans le domaine de la sécurité : le processus de la Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe, la politique de désarmement et de contrôle des armements en Europe, les questions relatives à la non prolifération nucléaire, les aspects économiques de la sécurité (contrôle du transfert des technologies militaires vers les pays tiers) et contrôle des exportations d'armes ;

- dans le champ géographique : l'Europe centrale et orientale, en particulier la Communauté des Etats indépendants et les Balkans, la Méditerranée notamment le Maghreb, et le Moyen-Orient. Le rapport rappelait également l'importance pour l'Europe des relations avec les Etats-Unis, le Canada et le Japon.

Ainsi précisés, les objectifs de la PESC assignaient encore un large champ à la coopération européenne. Un bilan de cette diplomatie montrera toutefois que ces domaines n'ont pas été tous explorés avec la même densité et le même succès, tandis que, sur les traces de la CPE, et selon l'inclination propre à chaque présidence, l'Amérique latine, l'Afrique ou l'Asie figuraient en bonne place dans l'activité internationale des Quinze.

2. Le dispositif de la PESC : un engagement plus grand requis des Etats-membres

Comment ces objectifs seraient-ils mis en oeuvre ? De quels moyens allait disposer la nouvelle politique extérieure européenne ? Sans doute, le traité reprend-il les principes classiques de concertation. Mais sauf à condamner la PESC à devenir le succédané de la CPE, il ne pouvait en rester là. Aussi le dispositif inclut-il de nouveaux instruments : les positions et les actions communes.

a) Les moyens classiques hérités de la CPE

La coopération classique repose sur l'information mutuelle et la concertation au sein du Conseil sur toutes les questions d'intérêt général (article J 2.1). Les déclarations , bien que non prévues dans le traité, constituent l'ordinaire de l'activité au titre de la PESC et s'inscrivent du reste dans le droit fil de la CPE.

b) Des instruments nouveaux

* Caractères communs

L'Union européenne dispose, au terme du traité de Maastricht, de deux nouveaux instruments au service d'une politique étrangère commune : la position commune et l'action commune.

Positions communes et actions communes présentent pour les Etats-membres une force supérieure à celle des déclarations à un double titre : d'une part, elles revêtent après leur adoption un caractère obligatoire, d'autre part, comme le Conseil a eu l'occasion de le préciser 2 ( * ) , elles ont vocation à fixer un cadre opérationnel pour la mise en oeuvre de la politique extérieure.

. Une force contraignante

S'agissant des positions communes, leur caractère contraignant se manifeste sous deux aspects : l'obligation pour les Etats membres de conformer leurs diplomaties aux positions adoptées, la défense des positions communes au sein des organisations internationales.

Quant aux actions communes, elles s'imposent aux Etats membres avec une force encore supérieure dans la mesure où les moyens d'action sont mis en commun.

. Un cadre opérationnel

Sans doute les déclarations peuvent-elles revêtir dans certains cas une dimension politique importante. Elles fixent parfois des orientations pour des mesures à prendre dans l'avenir. Elles ne tracent pas en revanche le cadre opérationnel de leur mise en oeuvre.

Il revient en principe aux positions ou actions communes de prévoir dans la mesure du possible les conditions d'application des principes convenus en commun : rôles respectifs du Conseil, de la Commission, des Etats membres, de la présidence ou le cas échéant des agents mandatés par l'Union, éventuellement aspects financiers et calendrier.

Selon le document précité du Conseil, les positions ou les actions communes doivent être « formulées avec un degré de précision et de détail suffisant pour les rendre opérationnels. Pour ces actes (...) le mode d'expression et les formules des déclarations politiques ne sont donc pas appropriées, ni l'usage de considérants déclaratoires ».

* Les différences

. Les positions communes : une procédure simple

A l'instar de l'action commune, la position commune est décidée à l'unanimité du Conseil . Cependant, elle se distingue de l'action commune sur deux points : elle ne requiert pas une orientation préalable du Conseil européen. En outre la mise en oeuvre des positions passe par des mesures qui relèvent de l'initiative des Etats membres et de la Commission et non par une gestion commune des moyens d'action.

Aussi bien les positions communes sont-elles privilégiées pour fixer des stratégies à moyen terme sans exclure cependant des objectifs à plus court terme prévoyant des dispositions immédiatement opérationnelles. Dans cette hypothèse, les compétences propres des Etats membres et des institutions européennes sont préservées, en particulier le pouvoir d'initiative de la Commission.

. Les actions communes : un outil complexe

L'action commune constitue un pas supplémentaire dans la mise en place d'une politique étrangère européenne. Pour la première fois, dans ce domaine, la procédure de décision ouvre la possibilité de recourir, sous certaines conditions, au vote à la majorité qualifiée. En outre, l'engagement requis de la part des Etats membres se présente à un degré particulièrement fort.

Le vote à la majorité qualifiée ne s'applique que pour la mise en oeuvre des actions communes. Encore le Conseil doit-il déterminer à l'unanimité les questions qui doivent faire l'objet d'un vote à la majorité qualifiée. Ainsi, la procédure à majorité est commandée en dernier ressort par une décision à l'unanimité.

Par ailleurs, l'engagement des Etats membres présente un plus grand degré de densité que dans le cadre d'une position commune. D'une part, l'impulsion est donnée ici par l'instance politique majeure de l'Union européenne, le Conseil européen qui fixe les « orientations générales ». Par ailleurs, l'action suppose la mise en commun des moyens de l'Union. Plus encore qu'une position commune, l'action commune suppose un grand degré de précision dans la définition des moyens et des modalités de mise en oeuvre. Enfin, les mesures décidées présentent un caractère spécialement contraignant ; si un Etat connaît des difficultés pour l'application d'une action commune, il doit en saisir le Conseil. Il ne saurait se soustraire de son propre chef à une obligation commune. Du reste, la solution concertée est alors destinée à aider l'Etat à surmonter les problèmes rencontrés ; en aucun cas, elle ne saurait contrarier la ligne directrice adoptée dans le cadre de l'action commune. Ainsi, un Etat membre ne pourrait pas, en principe, maintenir avec un Etat des relations diplomatiques que l'Union aurait décidé de rompre.

Précis sur la procédure, le traité ne développe pas réellement les circonstances qui peuvent justifier une action commune. Il se borne (article J 1 paragraphe 3) à mentionner « les domaines où les Etats membres ont des intérêts importants en commun ». Le Conseil européen de Lisbonne ne s'est pas en réalité montré plus prolixe en considérant l'action commune « comme un moyen pour l'Union de définir et de mettre en oeuvre, dans le cadre de la PESC, une politique relative à une question précise ».

La relative indétermination du champ d'application de l'action commune, mais aussi la complexité de la procédure, risquaient de réduire la portée novatrice de l'instrument prévu par le traité de Maastricht, comme allait d'ailleurs le révéler la pratique suivie au cours des dernières années.

* 2 Méthodes de travail du Conseil dans le domaine des relations extérieures de l'Union, document adopté par le Conseil « Affaires générales » le 12 juin 1995.

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