Compte rendu de la réunion du 23 mai 1996 : échange de vues puis examen du rapport
Au cours d'une première réunion tenue dans la matinée, le groupe de travail a procédé à un échange de vues.
M. Lucien Lanier, président, a tout d'abord indiqué qu'il avait envoyé, ainsi que l'avait souhaité le groupe de travail, un courrier aux différentes formations politiques représentées dans les conseils régionaux pour leur demander si elles avaient déjà rendu publique leur position sur une éventuelle réforme du mode de scrutin régional dans un document écrit qui pourrait être reproduit en annexe du rapport si elles le souhaitaient
Il a précisé que le Parti communiste français avait confié à M. Robert Pagès le soin de communiquer au groupe de travail sa position sur cette question.
M. Robert Pagès a exprimé l'attachement résolu de son parti à la représentation proportionnelle à un tour, constituant selon lui le meilleur moyen d'obtenir une représentation de l'ensemble des sensibilités. Il a également fait observer que la représentation proportionnelle avait l'avantage de faciliter l'élection de femmes au sein des conseils régionaux.
Il a souligné les inconvénients d'un scrutin organisé dans le cadre régional, qui éloignerait l'élu de l'électeur, nécessiterait de trop longues listes et poserait le problème de la représentation des départements.
Il a par ailleurs considéré que l'attribution d'une prime dans le cadre départemental risquait d'entraîner au plan régional un effet d'annulation, sans compter que ce système pourrait apparaître comme une « combine » de la majorité.
Enfin, il s'est déclaré favorable au maintien du seuil actuel de 5 % qui évitait un trop grand éparpillement des suffrages.
Aussi constatant qu'à l'exception du cas très spécifique de la Haute-Normandie, les régions ne se trouvaient pas véritablement en situation de blocage, a-t-il conclu à la nécessité de s'en tenir au statu quo.
M. Lucien Lanier, président, a ensuite fait part au groupe de travail du courrier qu il avait reçu de M. Brice Lalonde, au nom de Génération Écologie.
Il a indiqué que cette formation était favorable au maintien de la représentation proportionnelle, mais avec une répartition des sièges en proportion des voix obtenues au plan régional. Toutefois, il a précisé que selon M. Brice Lalonde, cette formule n'impliquait pas nécessairement l'option pour la circonscription régionale. Enfin, il a évoqué les suggestions de Génération Écologie en faveur d'un pacte de mandature conclu au moment de l'élection du président de la région, ou encore de la transposition au niveau des conseils régionaux d'un mécanisme d'engagement de la responsabilité de l'exécutif régional, inspiré de l'article 49-3 de la Constitution.
M. Lucien Lanier, président, a alors invité les membres du groupe de travail à exposer leur point de vue.
M. Michel Rufin, après avoir souligné les inconvénients de listes trop longues -déjà ressentis avec les listes des grands départements- s'est déclaré favorable à l'institution d'une prime en faveur de la liste arrivée en tête ainsi qu'à un léger relèvement du seuil, afin de remédier aux inconvénients de la présence dans les conseils régionaux d'élus représentant des intérêts catégoriels, les chasseurs ou les pêcheurs, par exemple.
S'exprimant à titre personnel, M. Michel Dreyfus-Schmidt a considéré que pour être pleinement démocratique, un scrutin à la représentation proportionnelle devait autoriser les panachages et le vote préférentiel, se déclarant surpris que personne n'ait formulé ce souhait. Il a par ailleurs précisé qu'à ses yeux, le choix d'une circonscription régionale nécessiterait d'instituer des quotas départementaux.
M. Robert Pagès a fait part de son scepticisme à l'égard de tels quotas, soulignant qu'un mode de scrutin devait être simple à comprendre par les électeurs.
M. Daniel Hoeffel a souligné le caractère insatisfaisant de la situation actuelle. Il a en effet constaté que l'absence de majorité dans les conseils régionaux, ou l'existence d'une majorité à géométrie variable, avait notamment pour conséquence un saupoudrage de l'action régionale dans les différents départements et un enchevêtrement des interventions de la région et des départements.
Toutefois, il a déclaré qu'une éventuelle réforme ne pourrait être abordée qu'avec précaution, estimant à cet égard essentiel que le scrutin régional conserve son caractère proportionnel, à la différence du scrutin départemental de nature majoritaire.
Quoique partisan du choix de la circonscription régionale à terme, il a considéré que la clarification des compétences des différentes collectivités territoriales constituait un préalable indispensable à un tel choix.
Enfin, il a jugé souhaitable l'institution d'une prime en faveur de la liste arrivée en tête, de l'ordre de 25 à 30 % -en tout cas plus faible que celle du mode de scrutin municipal dans les communes de 3 500 habitants et plus- ainsi qu'un certain relèvement du seuil afin de dissuader les listes présentées par des groupes d'intérêts catégoriels, voire individuels.
En réponse à une question de M. Lucien Lanier, président, il a écarté l'idée d'une modulation du mode de scrutin régional suivant la taille des régions.
M. Pierre Fauchon a déclaré qu'il s'agissait d'un « sujet empoisonné » Il a considéré qu'au-delà de la clarification des compétences, il serait inévitable à l'avenir de privilégier, soit le département, soit la région, mais que ce problème dépassait le champ de réflexion du groupe de travail.
M. Lucien Lanier, président, a fait observer que l'on ne disposait que de peu de temps d'ici les prochaines élections régionales.
M.Guy Allouche a exprimé le sentiment qu'aucune réforme du mode de scrutin régional ne pourrait recueillir de consensus.
Il a souligné que la spécificité de chaque région était telle qu'un mode de scrutin bien adapté à une région ne le serait pas nécessairement à une autre.
Il a par ailleurs considéré qu'il ne fallait pas faire de la région un « super conseil général », au risque de menacer l'existence même du département.
Il a qualifié d'« infaisable » l'établissement d'une liste régionale, notamment en raison de la nécessité de tenir compte du poids démographique des différents départements, jugeant à cet égard que la liste départementale constituait un « moindre mal ».
Il s'est déclaré partager sur l'institution d'une prime accordée à la liste arrivée en tête, en l'absence d'études précises sur ses incidences réelles compte tenu d'un possible effet d'annulation. Il a également considéré que l'institution d'une prime imposerait d'accroître l'effectif des conseils régionaux afin de préserver la présentation des différentes formations politiques, aujourd'hui très fragmentées.
Il a fait observer qu'aucun mode de scrutin ne pouvait empêcher l'expression de la volonté populaire et a souligné la nécessité d'éviter qu'une réforme du mode de scrutin puisse apparaître comme une « magouille » au détriment de telle ou telle minorité.
Constatant enfin l'absence de véritables blocages et les avantages du dialogue démocratique au sein des conseils régionaux, il a conclu en faveur du maintien du statu quo.
À l'issue de ce tour de table, M. Lucien Lanier, président, a évoqué la question des financements croisés. Il a indiqué qu'à ses yeux, l'institution de blocs de compétences restait une vue de l'esprit, les grandes réalisations telles que, par exemple, le TGV, ne pouvant être menées à bien que grâce au recours aux financements croisés.
M. Daniel Hoeffel a considéré que les financements croisés ne constituaient au fond que la conséquence logique du passage d'une période de croissance à une période de contraintes financières pesant sur tous les niveaux de collectivités territoriales.
M. Guy Allouche a estimé que les financements croisés avaient permis un équipement rapide du pays que n'auraient pas induit des financements cloisonnés.
M. Robert Pagès a admis la nécessité des financements croisés, compte tenu de l'insuffisance des moyens des différentes collectivités territoriales.
M. Michel Rufin a en revanche déclaré que les financements croisés étaient très mal perçus par la population dans certains domaines où il n'existait pas de répartition de compétences claire, les uns bénéficiant de subventions départementales, les autres de subventions régionales selon des critères qui pouvaient sembler très aléatoires.
Il lui a d'autre part semblé que dans l'avenir, les régions actuelles apparaîtraient trop petites à l'échelon européen.
M. Guy Allouche a ensuite signalé qu'il avait participé à une réflexion sur une éventuelle réforme du mode de scrutin européen menée par le Mouvement européen, qui avait conclu à l'abandon de la liste nationale au profit d'une élection à la représentation proportionnelle dans le cadre régional, dans le souci de rapprocher l'électeur de son représentant.
M. Lucien Lanier, président, a estimé que la décentralisation était trop récente pour que l'on puisse envisager une réforme radicale.
Il a constaté que le maintien de la représentation proportionnelle faisait l'unanimité des membres du groupe de travail, et que dans la plupart des cas, les difficultés liées à l'absence de majorité dans les régions pouvaient être aplanies par l'entente des hommes s'ils faisaient primer l'intérêt général sur les intérêts particuliers.
Il a par ailleurs estimé que le maintien du cadre départemental semblait s'imposer en l'état actuel des choses.
Il a donc conclu en faveur du maintien du statu quo, avec éventuellement l'institution d'une prime modérée au niveau départemental.
M. Paul Girod, rapporteur, a approuvé cette conclusion, considérant que la prudence amenait à n'envisager comme modification éventuelle que l'institution d une prime modeste, ou mieux, à ne rien modifier du tout.
Il a fait observer qu'à l'exception du scrutin municipal les circonscriptions dans le système électoral français étaient toujours situées un degré en dessous de celui de la collectivité intéressée.
Il a constaté qu'à l'heure actuelle, le fonctionnement des régions ne connaissait pas de véritable blocage, mis à part certains conflits de personnes, et que d'ailleurs personne n'avait proposé de revenir sur le principe de la représentation proportionnelle.
S'agissant des financements croisés, il a considéré qu'ils nécessitaient une bonne coopération des exécutifs des différentes collectivités concernées ainsi que l'existence d'une collectivité « chef de file » à qui serait confiée la gestion de l'investissement réalisé.
En conclusion, après avoir souligné les inconvénients de changements trop fréquents des modes de scrutin, il a relevé qu'il n'existait pas à sa connaissance de « recette nouvelle » à laquelle les partis politiques pourraient entièrement souscrire.
Il s'est donc déclaré en faveur du maintien du statu quo ou, à la rigueur, de l'institution d'une prime majoritaire modérée. Il a toutefois noté qu'en dehors même du risque d'effet d'annulation, un mécanisme de prime risquait de nuire à la lisibilité de l'élection régionale sans apporter pour autant la garantie d'un exécutif stable.
En définitive, il a jugé qu'une clarification des compétences était un préalable nécessaire à une réforme du mode de scrutin régional, et non l'inverse.
Au cours d'une seconde réunion tenue dans l'après-midi, le groupe de travail a procédé à l'examen du rapport de M. Paul Girod, rapporteur.
Après avoir entendu les observations de MM. Alex Türk, Robert Pagès, Guy Allouche, Philippe de Bourgoing, Pierre Fauchon, Michel Rufin et Lucien Lanier, président, le groupe de travail a adopté à l'unanimité la motion suivante :
« Le groupe de travail de la commission des Lois du Sénat sur le mode de scrutin régional considère :
« - qu'un changement d'un mode de scrutin ne doit pas être fondé sur des préoccupations électoralistes mais sur des raisons d'intérêt général impérieuses, liées à une meilleure expression du suffrage universel ;
« - qu'à de très rares exceptions près, le fonctionnement des régions, malgré des difficultés, n'a pas connu de situations de blocage absolu depuis 1986 ;
« - que l'abandon du cadre départemental pour l'élection des conseillers régionaux porterait atteinte à la représentation du territoire et poserait le problème de la représentation des régions au Sénat, impératif prévu par l'article 24, alinéa 3 de la Constitution ;
« - que de l'avis même de ceux qui prônent l'élection des conseillers dans le cadre régional, un tel système imposerait la présentation de très longues listes dans les régions dont le conseil comporte un grand nombre de sièges, ce qui éloignerait l'élu de l'électeur ;
« - que la seule modification qui pourrait être retenue consisterait à introduire une prime majoritaire, modérée, dans le scrutin organisé dans le cadre départemental mais ne peut être envisagée qu'avec circonspection et sous réserve de projections probantes.
« Plus généralement, le groupe de travail n'estime pas souhaitable de modifier un mode de scrutin qui n'a encore été mis en oeuvre que deux fois depuis sa création en 1986.
« Il considère enfin qu'une telle réforme supposerait un large consensus, lequel ne paraît pas susceptible d'être réuni d'ici fin 1996, date au-delà de laquelle il ne sera plus envisageable de modifier le régime actuel, compte tenu de l'approche des élections régionales de 1998.
« En conséquence, le groupe de travail de la commission des Lois du Sénat sur le mode de scrutin régional :
« 1. Préconise de ne pas modifier le mode de scrutin régional d'ici les prochaines élections régionales prévues en 1998 ;
« 2. Estime impératif de maintenir le cadre départemental pour l'élection des conseillers régionaux ;
« 3. Recommande de ne pas modifier les autres caractéristiques du scrutin, notamment le seuil de 5 % qui permet d'assurer la représentation des minorités au sein du conseil régional ».