EXAMEN EN COMMISSION
Réunie le mercredi 17 avril 1996 sous la présidence de M. Christian PONCELET, Président, la commission des finances a procédé à l'examen du rapport d'information de M. Jean CLUZEL relatif à l'audiovisuel en Europe centrale et orientale.
M. Jean Cluzel, rapporteur spécial, a rappelé qu'il s'était rendu en Pologne, en République Tchèque, en Hongrie et en Autriche et qu'il avait eu des contacts avec nos attachés culturels en Roumanie et en Bulgarie.
Il a ensuite souligné qu'adversaires hier, et partenaires demain, les pays d'Europe centrale et orientale avaient emprunté la voie difficile de 1a démocratisation et de l'économie de marché et que la perspective d'une adhésion des pays associés d'Europe centrale et orientale avait été tracée par le Conseil européen de Copenhague de juin 1993.
Il a toutefois considéré que l'Union européenne ne pouvait pas se contenter de proposer à ces pays l'ouverture de son marché, mais qu'elle devait également les inviter à partager, à nouveau, ses valeurs et sa culture.
Il a précisé que sa mission avait pour double objectif, d'une part, d'analyser les perspectives de développement de la coopération avec ces pays dans le domaine audiovisuel, et, d'autre part, d'évaluer l'action de nos opérateurs nationaux chargés de l'audiovisuel extérieur, et notamment TV5, Canal France International (CFI) et Radio France International (RFI).
Il a ensuite souligné que le paysage audiovisuel en Europe centrale et orientale présentait des visages contrastés. En moins de 5 ans, on est passé d'une télévision d'État, diffusant peu, et des programmes austères, privilégiant « l'éducation des masses », généralement sans publicité, à un paysage audiovisuel se rapprochant de celui de l'Europe de l'ouest : fin des monopoles et privatisations, diversification des programmes axés sur le divertissement, introduction de la publicité et de la concurrence.
M. Jean Cluzel, rapporteur spécial, a souligné que l'audiovisuel jouissait d'un nouveau cadre juridique, qui poursuivait un triple objectif : affirmer l'indépendance de l'audiovisuel public et de la presse écrite à l'égard de l'État, instituer une autorité régulatrice indépendante et assurer le pluralisme.
Le rapporteur spécial a jugé que l'autonomie de l'audiovisuel par rapport au pouvoir était inégalement assurée. En général, le lien entre l'autorité de régulation de l'audiovisuel et le Parlement est beaucoup plus fort dans les pays d'Europe centrale et orientale qu'en France. La nomination des présidents de chaînes publiques est en général effectuée par l'autorité de régulation, mais dans certains pays elle demeure l'apanage de l'exécutif. L'autorité de régulation gère les fréquences et les autorisations d'émission ; elle possède des pouvoirs de sanction étendus.
Il a précisé que les relations avec les pouvoirs publics étaient parfois difficiles. En Pologne, le chef de l'État avait révoqué quatre présidents. En République Tchèque, c'est le Parlement qui, en 1994, avait rejeté le rapport d'activité de l'instance compétente, conduisant à la démission de l'ensemble du collège. En Roumanie, l'autorité de régulation éprouvait de sérieuses difficultés pour s'imposer.
M. Jean Cluzel, rapporteur spécial, a ensuite indiqué que les diffuseurs essayaient de satisfaire une demande croissante de programmes axés essentiellement sur le divertissement.
Puis le rapporteur spécial a rappelé quelques données techniques caractéristiques du marché audiovisuel de cette région. La durée de diffusion est relativement élevée, sauf en Bulgarie. On compte davantage de « foyers TV » qu'en France : environ 27,7 millions contre 22 millions en France, la Pologne représentant à elle seule plus de 40 % des foyers de télévision des pays étudiés. Le taux de pénétration des récepteurs de télévision était supérieur à 90 %, excepté en Roumanie.
Il a estimé que les diffuseurs de ces pays s'étaient engagés dans la voie du pluralisme de l'offre audiovisuelle. La transition entre une télévision concourant à l'instruction du peuple, diffusant une culture nationale - ou internationaliste - et une télévision de divertissement, ouvrant une fenêtre sur l'Occident et ses valeurs marchandes, s'était effectuée très brutalement. Une concurrence entre système public et système privé avait été instaurée au sein des réseaux hertziens.
Il a souligné que, paradoxalement, l'Autriche demeurait le seul pays membre de l'Union européenne à maintenir un monopole au profit de l'audiovisuel public, même si des projets de libéralisation et de privatisation étaient à l'étude sous la pression des autorités européennes. En Pologne, deux chaînes publiques nationales affrontaient la concurrence d'une chaîne privée. Le succès de la chaîne privée tchèque NOVA TV avait mis les deux chaînes publiques restantes - sur trois à l'origine - dans une situation financière difficile. En Hongrie, un moratoire sur la privatisation réduisait la seule chaîne privée existante à n'émettre que deux heures par jour, le matin, sur la fréquence de l'une des deux chaînes publiques. La privatisation de la deuxième chaîne du secteur public devrait instaurer la concurrence avec le secteur privé. En Roumanie et en Bulgarie, il n'existait pas encore de télévision privée nationale pouvant concurrencer les deux chaînes publiques.
Le rapporteur spécial a par ailleurs estimé que des opportunités d'investissement existaient, certains pays envisageant de privatiser une chaîne publique et/ou créer une chaîne privée. Il a toutefois souligné que la relative incertitude du cadre juridique, la concurrence importante du câble et du satellite, l'étroitesse des marchés nationaux et la faiblesse du pouvoir d'achat des téléspectateurs n'encourageaient pas les groupes de communication de l'Europe de l'Ouest à investir massivement. Parmi les groupes les plus dynamiques, il a cependant cité Rupert Murdoch en Hongrie (NAP TV), Berlusconi en Pologne (Polonia 1) et C'anal+ en Pologne également (Canal Polska).
M. Jean Cluzel, rapporteur spécial, a cependant considéré comme précaire la domination de la télévision hertzienne, compte tenu de la diversification de l'offre télévisuelle mondiale grâce au satellite et au câble. La réception par satellite restait mal connue, mais le nombre croissant de paraboles vendues reflétait la rapide progression de ce mode de diffusion. Le câble se développait de manière anarchique. En 1993, là où le taux de raccordement était connu, il atteignait un taux deux fois supérieur à celui de la France.
Le rapporteur spécial a précisé que, pour financer ces nouvelles chaînes, l'économie de l'audiovisuel était encore faible mais qu'elle était dynamique. La redevance était généralement très faible, lorsqu'elle existait, ce qui n'était pas le cas en Bulgarie. En Autriche, en revanche, elle était plus du double qu'en France. Cette situation s'expliquait par la médiocrité du pouvoir d'achat des ménages. Elle avait pour conséquence d'assurer un niveau relativement bas de ressources pour les chaînes publiques ; celles-ci voyaient donc dans le développement de la publicité une « manne » qui pourrait permettre d'assurer leur croissance. L'origine du financement des organismes de télévision du secteur public était diverse. Si la redevance dominait nettement en Hongrie et en Roumanie, si elle occupait une place importante en Autriche et en République Tchèque, la télévision publique bulgare se finançait quasi-exclusivement par la publicité et la télévision publique polonaise par des ressources diverses.
La publicité télévisée, pratiquement inexistante dans les pays de l'Europe de l'Est avant 1989, sauf en Hongrie, occupait désormais une part importante des investissements publicitaires totaux. Ceux-ci connaissaient dans ces pays une croissance à deux chiffres, un tel niveau de progression ayant disparu d'Europe occidentale depuis 1992. Compte tenu de la faiblesse des ressources escomptées de la redevance, les chaînes publiques devront donc disputer aux nouvelles chaînes privées une partie des ressources publicitaires.
M. Jean Cluzel, rapporteur spécial, a jugé que ces pays avaient soif d'images nouvelles. Il a considéré que la France était trop discrète à l'Est de l'Europe, sur le plan économique comme sur le plan culturel et politique et qu'une telle discrétion élargissait la brèche dans laquelle s'engouffrait l'influence prépondérante d'autres États, comme l'Allemagne et les États-Unis.
Il a estimé qu'une politique active pouvait être menée par la France, en Europe centrale et orientale, dans le domaine culturel, grâce à la forte tradition francophile de ces pays, l'audiovisuel pouvant constituer le vecteur et le support de l'influence française à l'Est, la coopération culturelle représentant le supplément d'âme dont la construction européenne avait besoin.
M. Jean Cluzel, rapporteur spécial, a jugé que nos opérateurs nationaux n'étaient pas assez présents dans cette région.
Il a rappelé que, partie intégrante de l'Europe, tous ces pays rejoindraient, à terme, à des échéances plus ou moins lointaines, les pays qui avaient créé l'Union européenne.
Il a donc jugé cette zone propice aux investissements d'autant plus qu'elle était encore accessible aux capacités de financement de l'audiovisuel français, ce qui ne serait plus forcément le cas dans une dizaine d'années.
Il a rappelé que dès 1990, la France avait su être très présente dans cette région grâce aux programmes de TV5. CFI. ARTE. MCM. France 2. Europe 2, Nostalgie. Fun, Skyrock. RFI, mis à disposition gratuitement, mais qu'en revanche, le passage depuis 1991/1992 de la politique d'aide à la mise en place d'investissements capitalistiques s'avérait pour elle beaucoup plus difficile.
Il a par ailleurs regretté l'absence des opérateurs privés français, excepté Canal +, qui se traduisait par de trop rares prises de participation et des parts de marché à l'exportation en matière de programmes audiovisuels trop étriquées, caractéristiques, selon lui, du manque d'audace et, sans doute, de lucidité des opérateurs audiovisuels français. Il a toutefois considéré qu'il n ' était pas trop tard pour procéder à des investissements dans des marchés audiovisuels encore accessibles et en pleine expansion.
M. Jean Cluzel, rapporteur spécial, a noté que l'industrie américaine de la télévision l'avait bien compris et était très présente, de la production à la diffusion, de la distribution à la commercialisation. Les « majors » américains raisonnaient déjà de façon continentale : ils incluaient l'Europe centrale et orientale dans le volet européen de leur stratégie mondiale. Il a estimé que les opérateurs français - publics ou privés - étaient encore loin d'un tel raisonnement.
Il s'est ensuite interrogé sur la stratégie à mener : soutenir les chaînes publiques des pays d'Europe centrale et orientale, avec lesquelles les opérateurs publics français ont pris l'habitude de travailler et qui partagent les mêmes conceptions ou soutenir des projets concurrents d'opérateurs privés, en participant, le cas échéant, à la privatisation de diffuseurs publics.
Il a considère que, sur ce point, l'action audiovisuelle extérieure souffrait d'un triple handicap :
- les opérateurs disposent de moyens financiers inférieurs à ceux de nos concurrents, allemand, anglais et, bien sûr, américain ;
- de surcroît, l'action audiovisuelle extérieure est constamment soumise à la régulation budgétaire et ne dispose pas, en conséquence, de crédits stables pour promouvoir une action de longue durée. À cet égard, M. Jean Cluzel a alors déclaré partager les conclusions du rapport de M. Francis Balle préconisant une loi de programmation, une ligne budgétaire unique, et un document budgétaire spécifique :
- enfin, les chaînes publiques, du fait de leur manque de fonds propres, ne disposent pas des moyens de participer durablement et efficacement au développement des chaînes publiques des pays d'Europe centrale et orientale, d'autant qu'elles devront investir dans les projets de « bouquets » satellitaires numériques.
M. Jean Cluzel, rapporteur spécial, a estimé prioritaire de ne pas décevoir la francophilie avérée de ces pays dans lesquels existait une véritable et profonde attente.
Il a estimé que les chaînes publiques pourraient développer les partenariats avec les chaînes publiques ou privées de ces pays, trouver de nouveaux marchés et vendre leurs programmes, en dépit de ce que l'exportation n'était toujours pas considérée, en France, comme une composante de la politique audiovisuelle extérieure, à l'inverse des États-Unis.
M. Jean Cluzel, rapporteur spécial, a estimé que, pour faire fructifier les atouts dont notre pays disposait en Europe centrale et orientale, une véritable refondation des objectifs de la politique audiovisuelle extérieur, une augmentation de ses moyens budgétaires par des redéploiements internes au budget de la direction générale des relations scientifiques, culturelles et techniques du ministère des affaires étrangères, une remise en ordre de bataille des opérateurs, préconisée par le rapport Balle, avec, notamment, la création d'une chaîne de télévision française spécialement conçue pour l'international, étaient nécessaires.
Rappelant une analyse d'un rapport de 1992 du Conseil économique et social consacré aux relations culturelles entre la France et l'Europe centrale et orientale selon laquelle la France avait souvent la réputation d'être un pays charmeur mais léger et inconstant, il a considéré que l'Europe centrale et orientale n'avait pas besoin de donneurs de leçons mais qu'elle pouvait être considérée comme une zone sous-développée sur le plan culturel.
Il a estimé souhaitable qu'il soit mis fin à l'attitude parfois légère de ceux qui prétendaient s'intéresser à ces pays mais qui en réalité ne faisaient que s'adonner à une « foucade » passagère, ou au mieux, à une mode, considérant que l'audiovisuel dans les pays d'Europe centrale et orientale méritait davantage.
Après avoir remercié et félicité l'orateur pour la qualité de son rapport, M. Christian Poncelet, président, a déclaré partager son analyse sur l'impatience des pays d'Europe centrale et orientale de voir la France davantage présente sur les plans économique et culturel. Rappelant la francophilie de ces pays, en partie fondée sur d'anciennes relations historiques, il a, prenant l'exemple de la Pologne, craint que ces pays ne se lassent si la France tardait à répondre à leurs attentes.
M. René Ballayer a souhaité connaître l'appréciation, par le rapporteur, de l'impact pour l'influence française dans cette région de l'alliance conclue par Canal + au niveau européen dans la télévision numérique.
M. Joël Bourdin s'est demandé si la constitution de bouquets satellitaires numériques n'allait pas accroître l'influence française dans cette région.
M. Michel Sergent a relevé l'influence grandissante des États-Unis en Hongrie et a confirmé que la Pologne regrettait la faiblesse de la présence française. Il a par ailleurs souhaité savoir pour quelles raisons les appels répétés du rapporteur à un renforcement de l'action audiovisuelle extérieure n'avaient pas été entendus par les pouvoirs publics.
M. Christian Poncelet, président, a confirmé la présence insuffisante de la France en Hongrie, notamment dans le domaine de la défense.