- SYNTHÈSE
- LES 10 RECOMMANDATIONS DU RAPPORT
- AVANT-PROPOS
- I. I. UN OUTIL NOVATEUR CONSACRÉ EN 2020
APRÈS UNE PHASE EXPÉRIMENTALE
- A. LE DÉCRET DU 29 DÉCEMBRE
2017 : UNE MESURE EXPÉRIMENTALE LANCÉE POUR DEUX ANS
- B. LES RECOMMANDATIONS DE LA
DÉLÉGATION VISANT À PÉRENNISER ET ÉTENDRE CE
DISPOSITIF
- C. UNE GÉNÉRALISATION EN 2020 QUI
INTERVIENT À CADRE JURIDIQUE CONSTANT
- D. UN OUTIL AU BÉNÉFICE DES
COLLECTIVITÉS TERRITORIALES MAIS ENCORE PEU UTILISÉ
- E. DES ILLUSTRATIONS CONCRÈTES DE
L'INTÉRÊT DE CET OUTIL POUR LES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES
- F. UNE VOLONTÉ RÉCENTE DE SIMPLIFIER
LE RECOURS À CET OUTIL CONFORMÉMENT AUX SOUHAITS DE NOTRE
DÉLÉGATION
- A. LE DÉCRET DU 29 DÉCEMBRE
2017 : UNE MESURE EXPÉRIMENTALE LANCÉE POUR DEUX ANS
- II. LES RECOMMANDATIONS DE LA MISSION
- A. DONNER UNE ASSISE CONSTITUTIONNELLE AU POUVOIR
DE DÉROGATION AUX NORMES
- B. SUPPRIMER LA LISTE LIMITATIVE DES DOMAINES POUR
LESQUELS LA DÉROGATION EST POSSIBLE
- C. PERMETTRE AU PRÉFET DE DÉROGER
À DES NORMES RELEVANT DE SERVICES OU D'OPÉRATEURS LOCAUX QUI
ÉCHAPPENT AUJOURD'HUI À SA COMPÉTENCE
- D. ÉTENDRE LE DROIT DE DÉROGATION
À DES DISPOSITIONS RÉGLEMENTAIRES DE FOND
- E. ÉVALUER LES RÉGIMES
LÉGISLATIFS DE DÉROGATION ET ENVISAGER, LE CAS
ÉCHÉANT, LEUR EXTENSION
- F. ASSOCIER ÉTROITEMENT LES ÉLUS
LOCAUX À L'EXERCICE DU POUVOIR PRÉFECTORAL DE DÉROGATION
- G. FORMER ET INFORMER LES SERVICES
PRÉFECTORAUX AINSI QUE LES ÉLUS LOCAUX SUR « LES
BONNES PRATIQUES » DE DÉROGATION
- 1. Mieux informer les préfectures sur les
potentialités de ce droit de dérogation
- 2. Une fiche pratique à destination des
préfets
- 3. Mettre en places des modules de formation
à destination des services préfectoraux
- 4. Prévoir la désignation d'un
référent « dérogation » dans chaque
préfecture
- 5. Mieux faire connaître auprès des
élus le droit de dérogation ainsi que ses implications
concrètes
- 1. Mieux informer les préfectures sur les
potentialités de ce droit de dérogation
- H. UN OUTIL POUVANT SERVIR DE SIGNAL D'ALERTE POUR
DÉTECTER CERTAINES NORMES TROP COMPLEXES OU INEFFICACES
- I. ANALYSER LE RISQUE PÉNAL ET, LE CAS
ÉCHÉANT, SÉCURISER L'ACTE DE DÉROGATION
PRÉFECTORALE
- J. PRENDRE EN COMPTE, DANS L'ÉVALUATION DES
PRÉFETS, LEUR CONTRIBUTION AUX DÉMARCHES DE SIMPLIFICATION DES
PROJETS LOCAUX ET DE DIFFÉRENCIATION TERRITORIALE
- A. DONNER UNE ASSISE CONSTITUTIONNELLE AU POUVOIR
DE DÉROGATION AUX NORMES
- I. I. UN OUTIL NOVATEUR CONSACRÉ EN 2020
APRÈS UNE PHASE EXPÉRIMENTALE
- CONCLUSION GÉNÉRALE
- EXAMEN EN DÉLÉGATION
- LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES
- · LISTE DES PERSONNES ENTENDUES LORS DES
DÉPLACEMENTS
- LISTE DES CONTRIBUTIONS ÉCRITES
- ANNEXE 1 : 10 CRITÈRES À
REMPLIR POUR RECOURIR AU DROIT DE DÉROGATION
(EXTRAIT DE LA CIRCULAIRE DU 6 AOÛT 2020)
- ANNEXE 2 : EXEMPLES DE PROCÉDURES
OU DISPOSITIFS AUXQUELS LE PRÉFET PEUT DÉROGER (EXTRAIT DE LA
CIRCULAIRE DU 6 AOÛT 2020)
- ANNEXE 3 : DEUX EXEMPLES
D'ARRÊTÉS DE DÉROGATION FACILITANT LE VERSEMENT DE LA
DETR
- ANNEXE 4 : UN EXEMPLE D'ARRÊTÉ
DANS LE DOMAINE SOCIO-ÉDUCATIF
- ANNEXE 5 : LISTE NON EXHAUSTIVE DE
POSSIBILITÉS DE DÉROGATIONS AUX NORMES LÉGISLATIVES OU
RÉGLEMENTAIRES OUVERTES AUX PRÉFETS PAR DES TEXTES AD HOC
N° 346
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2024-2025
Enregistré à la Présidence du Sénat le 13 février 2025
RAPPORT D'INFORMATION
FAIT
au nom de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation (1) relatif au pouvoir préfectoral de dérogation aux normes,
Par M. Rémy POINTEREAU et Mme Guylène PANTEL,
Sénateur et Sénatrice
(1) Cette délégation est composée de : M. Bernard Delcros, président ; M. Rémy Pointereau, premier vice-président ; M. Fabien Genet, Mme Pascale Gruny, M. Cédric Vial, Mme Corinne Féret, MM. Éric Kerrouche, Didier Rambaud, Pierre Jean Rochette, Gérard Lahellec, Grégory Blanc, Mme Guylène Pantel, vice-présidents ; MM. Laurent Burgoa, Jean Pierre Vogel, Hervé Gillé, Mme Sonia de La Provôté, secrétaires ; M. Jean-Claude Anglars, Mmes Nadine Bellurot, Catherine Belrhiti, MM. François Bonhomme, Max Brisson, Mme Céline Brulin, MM. Bernard Buis, Cédric Chevalier, Thierry Cozic, Mme Catherine Di Folco, MM. Jérôme Durain, Daniel Gueret, Joshua Hochart, Patrice Joly, Mmes Muriel Jourda, Anne-Catherine Loisier, MM. Jean-Jacques Lozach, Pascal Martin, Jean-Marie Mizzon, Franck Montaugé, Mme Sylviane Noël, M. Olivier Paccaud, Mme Anne-Sophie Patru, MM. Hervé Reynaud, Jean-Yves Roux, Mmes Patricia Schillinger, Ghislaine Senée, MM. Laurent Somon, Lucien Stanzione, Jean-Marie Vanlerenberghe.
SYNTHÈSE
Le pouvoir préfectoral de dérogation :
des solutions concrètes pour adapter les
normes
aux territoires
De M. Rémy POINTEREAU, Sénateur du Cher (Groupe Les Républicains) et Mme Guylène PANTEL, Sénatrice de la Lozère (Groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen)
La simplification des normes et leur adaptation aux spécificités territoriales sont des objectifs constants de la délégation aux collectivités territoriales du Sénat. Ils justifient ainsi l'intérêt de la délégation pour le pouvoir préfectoral de dérogation aux normes.
Prévu initialement à titre
expérimental1(*), cet outil a été
généralisé par le Gouvernement en
20202(*).
Toutefois,
ce dernier n'a pas produit les résultats
escomptés. La délégation a donc lancé, en
octobre 2024, une mission flash afin d'étudier les
moyens permettant de développer le recours à ce pouvoir
de dérogation.
Pour nourrir sa réflexion, la délégation a organisé de nombreux échanges avec les services préfectoraux en lançant une consultation auprès des élus locaux. Celle-ci a recueilli plus de 2 600 réponses et a permis de souligner la méconnaissance de ce pouvoir par les élus : 80 % d'entre eux déclarent ne pas connaître le droit de dérogation.
Nombre d'arrêtés de dérogation pris par les départements depuis 2020
Source : Sénat, à partir des données fournies par le ministère de l'Intérieur (novembre 2024)
Depuis sa généralisation en 2020, l'utilisation de cet outil reste limitée et inégale3(*), certains départements n'ayant pris aucun arrêté de dérogation. Plusieurs facteurs expliquent le faible recours à ce droit :
• l'existence d'une liste limitative de 7 matières dans le cadre desquelles le préfet peut déroger ;
• la complexité des 10 critères à remplir pour justifier une dérogation ;
• la frilosité des préfets, souvent réticents à déroger aux normes en raison de leur culture administrative et des risques contentieux ;
• la lourdeur de la procédure, notamment l'obligation de transmission des arrêtés à l'administration centrale pour avis préalable. Cette obligation a toutefois été supprimée par la circulaire du 28 octobre 2024.
Pour remédier à ces différents points de blocage, le rapport propose dix recommandations visant à pérenniser et étendre le dispositif.
1ère recommandation
Le rapport recommande de donner au pouvoir préfectoral de dérogation aux normes un fondement constitutionnel, comme le proposait déjà le groupe de travail du Sénat sur la décentralisation4(*).
Le représentant de l'État dans le
département serait ainsi chargé non seulement du respect des
lois, mais également de leur application, l'article 5
de la proposition de loi constitutionnelle déposée en mars
20245(*)
complétant l'article 72 de la Constitution.
RECOMMANDATION n° 1 Donner une assise constitutionnelle au pouvoir préfectoral de dérogation aux normes. |
2ème recommandation
Actuellement, le droit de dérogation préfectoral est limité à sept matières énumérées par le décret de 2020.
Cette liste limitative céderait le pas à un principe général de possibilité de dérogation du préfet, pour les décisions individuelles relevant de sa compétence.
Matières ouvertes au droit de dérogation préfectoral
- Subventions, concours financiers et dispositifs de soutien en faveur des acteurs économiques, des associations et des collectivités territoriales ;
- Aménagement du territoire et politique de la ville ;
- Environnement, agriculture et forêts ;
- Construction, logement et urbanisme ;
- Emploi et activité économique ;
- Protection et mise en valeur du patrimoine culturel ;
- Activités sportives, socio-éducatives et associatives.
RECOMMANDATION n° 2 Supprimer la liste limitative des sept domaines pour lesquels la dérogation est possible. |
3ème recommandation
L'article 72 de la Constitution fait du préfet le
« patron » des services
déconcentrés.
Toutefois, des pans très
importants de l'action de l'État lui
échappent, tels que la santé6(*), les finances
publiques7(*) ou encore
l'action éducative8(*). Le rôle du préfet est aussi
limité par la multiplication, dans les territoires, des agences
et opérateurs de l'État9(*).
Afin de remédier à cette double limitation, le rapport de notre délégation intitulé « À la recherche de l'État dans les territoires », déposé le 29 septembre 2022, recommandait de :
• consolider l'autorité du Préfet sur l'ensemble des services déconcentrés de l'État ;
• nommer le préfet comme délégué territorial de toutes les agences de l'État, sur le modèle de ce qui a été prévu pour l'ANCT10(*).
Ces propositions restent pertinentes et renforceraient le pouvoir de dérogation aux normes, aujourd'hui limité aux domaines relevant de la seule compétence du préfet.
RECOMMANDATION n° 3 Permettre au préfet de déroger à des normes relevant de services ou d'opérateurs locaux qui échappent aujourd'hui à sa compétence. |
4ème recommandation
Les textes ont limité le droit de dérogation aux seules règles de forme, de délais et de procédure.
Sont ainsi exclues les
dérogations portant sur des questions de fond du droit. Or, distinguer
les règles de « procédure » des
règles de « fond » est souvent
malaisé, notamment en matière
environnementale ou d'urbanisme. Cette limite
explique donc, dans une large mesure, le faible recours au pouvoir
préfectoral de dérogation.
Il convient d'unifier les différents régimes qui existent déjà pour déroger à des normes réglementaires et de remplacer les objectifs actuels par des dispositions plus ambitieuses « ne portant pas une atteinte disproportionnée aux objectifs poursuivis par les dispositions auxquelles il est dérogé », comme le prévoyait déjà le décret de 2020.
RECOMMANDATION n° 4 Étendre le droit de dérogation à des dispositions réglementaires de fond. Envisager la suppression des régimes particuliers existants dans un souci de simplification. |
5ème recommandation
Le contentieux administratif est aujourd'hui quasi-inexistant, malgré un risque inhérent à l'exercice du pouvoir de dérogation. Ainsi, un arrêté préfectoral peut être attaqué devant le juge administratif s'il méconnait les conditions légales du recours à la dérogation.
En tant que dépositaire de l'autorité publique, le préfet peut être pénalement mis en cause : il s'agit alors d'une responsabilité personnelle. Si aucune action pénale n'a été engagée jusqu'à présent, plusieurs préfets rencontrés par la mission ont exprimé un besoin de « sécurisation pénale », dans le cadre de l'exercice de leur droit de dérogation.
Il pourrait ainsi être proposé de cantonner la responsabilité pénale du préfet à la seule hypothèse où il a violé de façon manifestement délibérée les conditions de recours à cette dérogation.
RECOMMANDATION n° 5 Analyser le risque pénal et, le cas échéant, sécuriser l'acte de dérogation préfectorale. |
6ème recommandation
La faible utilisation du droit de dérogation résulte non seulement d'un régime juridique trop corseté mais également d'une certaine frilosité « culturelle » du corps préfectoral et des services d'instruction.
Lors des auditions, nombre d'interlocuteurs ont
rappelé qu'il n'est pas « naturel » pour
un préfet de déroger à des normes alors qu'il est le
garant du respect des lois d'après la Constitution.
Afin de développer l'emploi de cet outil et de récompenser la prise de risques, les rapporteurs proposent de prendre en compte, dans l'évaluation des préfets, leur contribution aux démarches de simplification des projets locaux et de différenciation territoriale.
Cette évolution suppose d'intégrer la simplification parmi les objectifs interministériels fixés par le Premier ministre. Une telle mesure permettrait de placer le droit de dérogation au coeur de la culture et des pratiques des préfectures.
RECOMMANDATION n° 6 Prendre en compte, dans l'évaluation des préfets, leur contribution aux démarches de simplification des projets locaux et de différenciation territoriale. |
7ème recommandation
Il est essentiel que les élus locaux soient étroitement associés à l'exercice du pouvoir de dérogation : 90 % des arrêtés de dérogation concernent les collectivités territoriales et leurs groupements. Le rapport propose donc d'élargir les missions de la commission départementale de conciliation des documents d'urbanisme, afin d'en faire une conférence de dialogue dotée d'un périmètre plus vaste.
Les réunions d'une telle instance seraient l'occasion pour tous les acteurs locaux d'identifier des cas où l'exercice du droit de dérogation pourrait débloquer des projets locaux enlisés. Elle permettrait également de suivre, au sein du département, la mise en oeuvre de ce droit et d'en réaliser régulièrement un bilan. Enfin, une conférence de dialogue présenterait un intérêt majeur : mieux faire connaître le périmètre et les limites du droit de dérogation.
RECOMMANDATION n° 7 Associer étroitement les élus locaux à l'exercice du pouvoir préfectoral de dérogation. |
8ème recommandation
L'exercice du pouvoir de dérogation permet d'identifier certaines normes, législatives ou réglementaires, trop complexes ou inefficaces, entravant l'action publique locale de façon objective, au-delà du cas particulier qui en a suscité l'usage. Il offre l'opportunité au préfet de faire systématiquement remonter à l'administration centrale les difficultés identifiées localement.
La mission estime qu'il serait nécessaire de changer de logiciel d'action, en produisant des textes moins « bavards » et de faire davantage confiance à l'intelligence territoriale, en particulier au couple maire/préfet.
Ainsi, un module d'intelligence artificielle pourrait utilement être déployé sur la plateforme intranet « droit de dérogation » afin de détecter, parmi l'ensemble des arrêtés de dérogations, ceux dont la fréquence pourrait révéler une norme inadaptée.
RECOMMANDATION n° 8 Utiliser le droit de dérogation comme un signal d'alerte permettant de détecter des normes trop complexes, inutiles ou inefficaces. |
9ème recommandation
Le pouvoir de dérogation ouvre au préfet la possibilité de déroger à des normes arrêtées par l'administration de l'État, telles que les décrets du Premier ministre ou les arrêtés ministériels. Ce pouvoir ne permet pas, en revanche, de déroger à des normes de portée législative. Toutefois, le législateur a prévu des régimes spécifiques reconnaissant au représentant de l'État un pouvoir d'adaptation locale.
La mission propose d'évaluer ces régimes législatifs de dérogation et d'envisager leur extension, en particulier dans le domaine de la construction, du logement et de l'urbanisme.
RECOMMANDATION n° 9 Évaluer les régimes législatifs de dérogation et envisager, à titre expérimental, une habilitation législative dans le domaine de la construction, du logement et de l'urbanisme. |
D'après les résultats de la consultation
menée auprès des élus locaux (novembre - décembre
2024), la construction, le logement et l'urbanisme sont les domaines pour
lesquels le pouvoir de dérogation aux normes est jugé
prioritaire.
10ème recommandation
Le pouvoir de dérogation est largement sous-utilisé alors qu'il offre de très nombreuses possibilités de faciliter la réalisation de projets portés par les collectivités territoriales. Ainsi, le rapport salue l'existence d'outils d'information et de communication visant à faire connaître ce droit auprès des services préfectoraux.
Par exemple, le ministère de l'Intérieur a
mis en place, au titre de sa mission d'animation du réseau des
préfectures, un outil collaboratif d'échange de bonnes
pratiques et de partage d'expériences.
Enrichir cette
plateforme, notamment par le développement d'un outil
IA facilitant la navigation, permettrait de renforcer la
connaissance du dispositif par les préfectures.
Le rapport souligne aussi l'utilité d'une fiche pratique à destination des préfets, présentant le droit de dérogation et l'illustrant par des exemples concrets. Cette information pourrait être complétée par la mise en place de modules de formation et la désignation d'un référent « dérogation » dans chaque préfecture.
RECOMMANDATION n° 10 Former et informer les services préfectoraux ainsi que les élus locaux sur les potentialités du droit de dérogation aux normes. |
LES 10 RECOMMANDATIONS DU RAPPORT |
|||||
N° |
Recommandations |
Destinataire(s) de la recommandation |
Acteur(s) concerné(s) |
Calendrier prévisionnel |
Support / action |
1 |
Donner une assise constitutionnelle au pouvoir préfectoral de dérogation aux normes |
Pouvoir constituant |
Gouvernement, Parlement |
1 an |
Texte de loi constitutionnelle |
2 |
Supprimer la liste limitative de domaines pour lesquelles la dérogation est possible. |
Premier ministre |
Gouvernement |
6 mois |
Décret |
3 |
Permettre au préfet de déroger à des normes relevant de services ou d'opérateurs locaux qui échappent aujourd'hui à sa compétence |
Premier ministre |
Gouvernement |
6 mois |
Décret |
4 |
Étendre le droit de dérogation à des dispositions réglementaires de fond. Envisager la suppression des régimes particuliers existants dans un souci de simplification |
Premier ministre |
Gouvernement |
6 mois |
Décret |
5 |
Analyser le risque pénal et, le cas échéant, sécuriser l'acte de dérogation préfectorale |
Gouvernement / Parlement |
Gouvernement / Parlement |
6 mois |
Rapport parlementaire d'information |
6 |
Prendre en compte, dans l'évaluation des préfets, leur contribution aux démarches de simplification des projets locaux et de différenciation territoriale |
Gouvernement / |
DMATES11(*) |
6 mois |
Bonne pratique / objectifs interministériels fixés par le Premier ministre |
7 |
Associer étroitement les élus locaux à l'exercice du pouvoir préfectoral de dérogation |
Gouvernement / Parlement |
Gouvernement / Parlement |
6 mois |
Loi |
8 |
Utiliser le droit de dérogation comme un signal d'alerte permettant de détecter des normes trop complexes, inutiles ou inefficaces |
Gouvernement / Parlement |
Gouvernement / Parlement |
Permanente |
Rapport parlementaire d'information |
9 |
Évaluer les régimes législatifs de dérogation et envisager, le cas échéant, leur extension. Envisager, à titre expérimental, une habilitation législative dans le domaine de la construction, du logement et de l'urbanisme |
Gouvernement / Parlement |
Gouvernement / Parlement |
1 an |
Rapport parlementaire d'information |
10 |
|
Gouvernement / |
DMATES |
6 mois |
Bonne pratique |
AVANT-PROPOS
La simplification des normes et leur adaptation aux spécificités territoriales sont des objectifs constants de la délégation du Sénat aux collectivités territoriales. Cette dernière a ainsi adopté, en mai 2024, un rapport intitulé : « Différenciation : la diversité des territoires dans l'unité de la République »12(*).
Cette même logique d'adaptation aux circonstances locales justifie l'intérêt de la délégation pour le pouvoir préfectoral de dérogation aux normes. Elle a ainsi consacré d'importants travaux à ce dispositif, prévu alors à titre expérimental par le décret du 29 décembre 2017. Son rapport, publié le 11 juin 2019, a donné lieu au dépôt d'une résolution, adoptée par notre assemblée fin 2019.
Tenant compte de cet avis, le Gouvernement a généralisé l'outil en 2020. Toutefois, ce dernier n'a pas produit les résultats escomptés, de sorte que la délégation a souhaité lancer, en octobre 2024, une mission flash pour étudier les voies et moyens propres à le développer.
Cette mission s'inscrit dans un contexte favorable : en effet, dès son installation, le Gouvernement de Michel Barnier a opportunément adopté, le 28 octobre 2024, une circulaire visant à encourager le recours au droit de dérogation, dans le droit-fil des recommandations de notre délégation.
Compte tenu des intentions affichées par le Gouvernement et des fortes attentes des élus locaux, la délégation a souhaité investir à nouveau ce sujet pour que ce droit préfectoral devienne enfin un véritable outil au service du développement des territoires.
Vos rapporteurs ont placé les questions suivantes au coeur de leurs auditions et déplacements :
- en quoi ce pouvoir de dérogation peut-il faciliter l'action publique locale ?
- comment renforcer le dialogue entre les élus et les services de l'État dans l'exercice de ce nouveau pouvoir préfectoral ?
- pourquoi les préfets font-ils un usage encore limité de cet outil ?
- est-il opportun d'assouplir la procédure actuelle ?
- faut-il étendre le champ de ce pouvoir à de nouveaux domaines de compétence du préfet ?
- faut-il prévoir des possibilités de déroger à des normes de nature législative ?
- comment le droit de dérogation peut-il servir de « signal d'alerte » pour conduire les pouvoirs publics à prendre des mesures de simplification de normes législatives ou réglementaires applicables aux collectivités ?
Afin d'écrire son rapport à « l'encre du terrain », la mission a procédé à de nombreuses consultations, à la fois des élus locaux et des services préfectoraux.
S'agissant des élus, la délégation a souhaité, à l'occasion du Congrès des maires en novembre 2024, lancer une consultation afin de recueillir leurs attentes sur les normes, en particulier sur le droit de dérogation dévolu au préfet. Plus de 2 600 élus ont répondu au questionnaire, ce qui confirme, une nouvelle fois, l'intérêt qu'ils portent à ce sujet ainsi que la confiance qu'ils placent dans notre délégation. Cette confiance nous oblige. Par ailleurs, vos rapporteurs ont réalisé des déplacements dans deux départements : Cher et Lozère13(*) afin d'aller à la rencontre des édiles, au travers des associations départementales des maires.
Concernant les services préfectoraux, la mission a nourri sa réflexion de nombreux échanges. Elle a ainsi recueilli, sous forme soit d'auditions au Sénat ou en préfecture, soit de contributions écrites, l'avis de 10 préfets. Cette mission s'inscrit ainsi dans le cadre du « contrôle de proximité » que le Sénat entend développer afin d'apprécier, au plus près du terrain, l'exercice par les préfets de leurs prérogatives au service des territoires.
I. I. UN OUTIL NOVATEUR CONSACRÉ EN 2020 APRÈS UNE PHASE EXPÉRIMENTALE
A. LE DÉCRET DU 29 DÉCEMBRE 2017 : UNE MESURE EXPÉRIMENTALE LANCÉE POUR DEUX ANS
Le
décret du Premier ministre du 29 décembre 2017 relatif
à l'expérimentation territoriale d'un droit de
dérogation reconnu au préfet14(*) ouvre, pour une
durée de deux ans, la possibilité de
déroger à des normes arrêtées par
l'administration de l'État, telles que des
décrets du Premier ministre ou des
arrêtés ministériels. Cette possibilité de dérogation
prend la forme de décisions non
réglementaires15(*) relevant de la
compétence du
préfet. Ce pouvoir ne permet pas de déroger
à des normes
réglementaires ayant pour objet de mettre en
oeuvre une disposition législative. Il ne permet pas
davantage au préfet de prévoir une dérogation
générale et permanente : le cadre
réglementaire de la décision demeure.
Ce décret est pris au visa de l'article 37-1 de la Constitution16(*). Il résulte en effet de cette disposition constitutionnelle que le pouvoir réglementaire peut, dans le respect des normes supérieures, autoriser des expérimentations permettant de déroger à des normes à caractère réglementaire sans méconnaître le principe constitutionnel d'égalité devant la loi dès lors que ces expérimentations présentent un objet et une durée limités et que leurs conditions de mise en oeuvre sont définies de façon suffisamment précise. Le choix est fait, à défaut de préciser d'emblée les normes réglementaires susceptibles de faire l'objet d'une dérogation, d'identifier précisément les matières dans le champ desquelles cette dérogation est possible ainsi que les objectifs auxquels celle-ci doit répondre et les conditions auxquelles elle est soumise.
1. Les matières concernées par l'expérimentation
Le décret énumère les sept matières dans le cadre desquelles le préfet peut faire usage de cette faculté.
Matières ouvertes au droit de dérogation préfectorale
- subventions, concours financiers et dispositifs de soutien en faveur des acteurs économiques, des associations et des collectivités territoriales ;
- aménagement du territoire et politique de la ville ;
- environnement, agriculture et forêts ;
- construction, logement et urbanisme ;
- emploi et activité économique ;
- protection et mise en valeur du patrimoine culturel ;
- activités sportives, socio-éducatives et associatives.
2. Les conditions à remplir
Enfin, le texte fixe quatre conditions cumulatives pour mettre en oeuvre une dérogation. La dérogation doit à ce titre :
- être justifiée par un motif d'intérêt général et par l'existence de circonstances locales ;
- être compatible avec les engagements européens et internationaux de la France ;
- ne pas porter atteinte aux intérêts de la défense ou à la sécurité des personnes et des biens, ni une atteinte disproportionnée aux objectifs poursuivis par les dispositions auxquelles il est dérogé ;
- avoir pour effet d'alléger les démarches administratives, de réduire les délais de procédure ou de favoriser l'accès aux aides publiques.
La décision de dérogation doit par ailleurs prendre la forme d'un arrêté motivé qui doit être publié au recueil des actes administratifs de la préfecture, dérogeant à la règle de non-publication des décisions individuelles.
3. Les départements concernés par l'expérimentation
Le décret de 201717(*) ouvre cette expérimentation à 17 départements et 3 territoires ultramarins. Elle concerne ainsi les préfets des régions et des départements de Pays de la Loire, de Bourgogne-Franche-Comté et de Mayotte, les préfets de département du Lot, du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Creuse ainsi que le représentant de l'État à Saint-Barthélemy et à Saint-Martin et le préfet délégué dans les collectivités de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin.
B. LES RECOMMANDATIONS DE LA DÉLÉGATION VISANT À PÉRENNISER ET ÉTENDRE CE DISPOSITIF
Souhaitant évaluer l'intérêt de ce mécanisme innovant, la délégation du Sénat aux collectivités territoriales a publié un rapport d'information le 11 juin 2019, soit 18 mois après le lancement de l'expérimentation18(*). Il souligne que le pouvoir de dérogation « joue d'ores et déjà un rôle utile dans les territoires où il est expérimenté. Il a pu, en effet, selon les cas, réduire les délais d'obtention de décisions, voire " sauver " des projets complexes ou souffrant de défauts bénins ».
Compte tenu de son intérêt, la délégation a souhaité alors qu'il soit pérennisé et étendu à l'ensemble du territoire national. Le 24 octobre 2019, notre assemblée a adopté une proposition de résolution reprenant les préconisations du rapport de la délégation19(*).
C. UNE GÉNÉRALISATION EN 2020 QUI INTERVIENT À CADRE JURIDIQUE CONSTANT
Suivant la position du Sénat, le Gouvernement a publié, le 8 avril 2020, le décret n° 2020-412 pérennisant le droit de dérogation reconnu au préfet20(*). Cette généralisation est intervenue à cadre juridique constant, à savoir selon les règles et conditions identiques à celles qui ont été expérimentées (cf supra).
La circulaire du Premier ministre du 6 août 202021(*) expose les raisons qui conduisent à cette pérennisation : « Au regard de l'évaluation positive réalisée à son terme, le Gouvernement a décidé de généraliser ce droit de dérogation à des normes réglementaires par le décret n° 2020-412 du 8 avril 2020 afin de renforcer vos marges de manoeuvre locales dans la mise en oeuvre des réglementations nationales. Ce texte répond aussi à une forte attente des élus et acteurs locaux et renforce le principe de déconcentration ».
Elle précise également : « L'évaluation de l'expérimentation territoriale établie à partir des rapports des préfets, unanimement favorables, confortée par les travaux de la Délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation du Sénat a conduit le Gouvernement à décider de sa généralisation ».
La circulaire insiste de manière très pédagogique sur le périmètre de cette procédure novatrice, rappelant qu'elle ne permet pas au préfet de prévoir une dérogation générale et permanente. Le cadre réglementaire de la décision demeure : « La mise en oeuvre du droit de dérogation ne se traduit pas par l'édiction d'une nouvelle norme générale en lieu et place de la norme à laquelle vous décidez de déroger. Il ne s'agit pas d'une délégation du pouvoir réglementaire vous permettant d'adapter ou de simplifier localement des normes réglementaires nationales. En effet, le droit de dérogation s'exerce à l'occasion de l'instruction d'une demande individuelle et se traduit par la prise d'une décision au cas par cas. Il n'a pas pour objectif d'exonérer de manière durable de règles procédurales, ni de généraliser des mesures de simplification de normes ou d'accorder de manière générale et non individualisée des dérogations. En revanche, il vous permet de décider de ne pas appliquer une disposition réglementaire à un cas d'espèce, ce qui la plupart du temps devrait conduire à exonérer un particulier, une entreprise ou une collectivité territoriale d'une obligation administrative ».
Cette instruction de Matignon prévoit enfin une double obligation d'information à la charge du préfet de département :
- information systématique du préfet de région de l'intention de prendre un arrêté de dérogation ;
- information systématique des secrétaires généraux des ministères intéressés en amont de la prise d'un arrêté préfectoral de dérogation par le biais de la communication à la DMATES du projet d'arrêté et de l'analyse justifiant son adoption.
Saisi d'un recours contre ce décret de généralisation, le Conseil d'État l'a jugé régulier ( CE, 21 mars 2022, n° 440871) considérant, en particulier, que les dispositions du décret attaqué n'ont ni pour objet, ni pour effet de porter atteinte au principe d'indivisibilité de la République. Le décret ne permet pas aux préfets de déroger à des normes réglementaires visant à garantir le respect de principes consacrés par la loi. Dans ces conditions, sont écartés les moyens tirés de la méconnaissance du principe de séparation des pouvoirs et du principe de non-régression consacré par l'article L. 110-1 du code de l'environnement22(*).
D. UN OUTIL AU BÉNÉFICE DES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES MAIS ENCORE PEU UTILISÉ
D'après la DMATES, interrogée par vos rapporteurs, les collectivités territoriales et leurs groupements sont les principaux bénéficiaires des dérogations, avec 90 % du total, au 1er décembre 202423(*). Les entreprises24(*) et les particuliers sont donc très peu concernés par ce pouvoir de dérogation.
Par ailleurs, l'outil est encore très peu utilisé. A la même date, la DMATES recense, depuis la création de ce pouvoir en 2020 :
- 628 arrêtés pris par les préfets de départements, soit en moyenne 1,5 arrêté par département et par an. Cette moyenne dissimule de fortes disparités : en effet, 12 départements n'ont pris aucun arrêté de dérogation, 12 départements n'ont pris qu'un seul arrêté et 6 départements en ont pris 20 ou plus ;
- 152 arrêtés pris par les préfets de région, soit en moyenne 3 arrêtés par région et par an.
Nombre
d'arrêtés de dérogation pris par les préfets
depuis le décret d'avril 2020
Source : Sénat, à partir des données fournies par la DMATES (nov. 2024)
Certes, selon la DMATES, les chiffres réels devraient probablement représenter le double des arrêtés mentionnés ci-dessus : en effet, certains préfets n'appliquent pas la procédure prévue de transmission des arrêtés à l'administration centrale25(*), notamment lorsque les arrêtés ne présentent pas de difficultés ou lorsqu'ils ont le même objet que de précédents textes, déjà validés par l'administration centrale.
Il n'en demeure pas moins que les chiffres, même sous-évalués, démontrent que les préfets ne se sont guère emparés de la faculté offerte par le décret du 8 avril 2020 généralisant le droit de dérogation. Vos rapporteurs constatent, au regard de leurs auditions et déplacements, que la situation n'a malheureusement pas évolué depuis le constat dressé par la mission de la délégation sur l'État territorial en 202226(*). Le questionnaire lancé par cette mission avait alors souligné que seuls 23 % des préfets étaient favorables au droit de dérogation. Cette « frilosité » est multifactorielle : elle sera exposée plus loin, au travers des recommandations qui proposent des solutions pour y répondre.
Si le bilan quantitatif du dispositif demeure modeste, il permet toutefois de dégager des tendances intéressantes.
En premier lieu, les deux tiers des arrêtés départementaux portent sur des questions de subventions. Ce pourcentage est de 97 % pour les arrêtés régionaux.
Arrêtés de dérogation pris par les
préfets de départements
depuis le
décret de 2020
Subventions |
Environnement |
Économie |
Construction |
Autres domaines |
Total nombre d'arrêtés pris |
423 |
163 |
15 |
23 |
4 |
628 |
Arrêtés de dérogation pris par les
préfets de région depuis le décret de
2020
Subventions |
Environnement |
Économie |
Construction |
Autres domaines |
Total nombre d'arrêtés pris |
147 |
3 |
1 |
1 |
0 |
152 |
Source : DMATES, décembre 2024
La prévalence des arrêtés de dérogation concernant les questions de subventions s'explique par le fait que c'est l'un des domaines où le pouvoir réglementaire est le moins encadré par le pouvoir législatif. Il est donc plus aisé de déroger aux normes réglementaires.
Symétriquement, la faiblesse du recours au pouvoir de dérogation dans le domaine de l'environnement résulte du caractère législatif des dispositions auxquelles il est souhaité déroger in fine, les dispositions réglementaires n'étant, après analyse, qu'une déclinaison de principes fixés par la loi. Cette dernière fait donc obstacle à l'usage du pouvoir de dérogation, étant rappelé que le préfet ne peut pas, en vertu du décret précité de 2020, déroger à des normes de nature législative. Or, si un arrêté préfectoral dérogeait à des normes réglementaires qui ont pour objet de garantir le respect de principes consacrés par la loi, il dérogerait alors nécessairement à des dispositions législatives, ce qui serait irrégulier.
Enfin, si les sept matières précitées, relativement étendues, pourraient laisser penser que le préfet peut aisément déroger aux normes réglementaires, le décret impose le respect de dix critères, rappelés dans la circulaire précitée de 2020 et présentées en annexe du présent rapport. Peu de situations remplissent intégralement ces critères, de sorte que le recours à cette dérogation est peu fréquent. Lors des auditions, certains intervenants ont évoqué un « parcours d'obstacles ».
De cette faible utilisation résulte - logiquement - un faible contentieux. Il semble qu'une seule décision soit intervenue et elle a concerné non pas la contestation d'un arrêté de dérogation mais, à l'inverse, le refus du préfet de faire usage de son pouvoir. Le tribunal administratif puis la Cour administrative d'appel ont jugé toutefois que le requérant (un hôtel) ne justifiait pas de l'existence d'un motif d'intérêt général et de circonstances locales27(*).
E. DES ILLUSTRATIONS CONCRÈTES DE L'INTÉRÊT DE CET OUTIL POUR LES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES
Ce sont 90 % des dérogations qui bénéficient aux collectivités territoriales et à leurs groupements. Elles concernent, dans leur très grande majorité, des demandes de subvention.
La circulaire précitée de 2020 fournit quelques « exemples de procédure ou dispositifs auxquels le préfet pourrait déroger ponctuellement ». Ces exemples sont reproduits en annexe 2. Dans le domaine des subventions, la circulaire ne cite que deux exemples :
- déroger au taux de 30 % régissant le versement des avances de subventions de la dotation d'équipements des territoires ruraux (DETR)28(*) ;
- déroger à l'obligation de
complétude d'un dossier de demande de
subvention.
Toutefois, la mission n'a pas identifié d'arrêtés de dérogation préfectoral pris dans ces domaines. En revanche, elle fournit, en annexe 3, deux illustrations concrètes de l'utilisation de ce droit de dérogation appliqué aux modalités de versement de la dotation d'équipements des territoires ruraux (DETR).
Le premier arrêté, pris le 23 octobre 2020 par le préfet de la région Centre-Val de Loire, déroge à l'article R. 2334-30 du code général des collectivités territoriales (CGCT) qui prévoit qu'en matière de DETR le taux de subvention figurant dans l'arrêté attributif initial ne peut pas être modifié ultérieurement par le préfet. En dérogeant à cette disposition, le préfet a augmenté le taux initial de subvention, dans le but de de renforcer l'aide financière de l'État dans le cadre de la politique de revitalisation des quartiers autour de la gare de Blois.
Le second arrêté, pris 2 novembre 2022 par le préfet du département du Loir-et-Cher, déroge, quant à lui, à l' article R. 2334-28 du CGCT qui prévoit que si, à l'expiration d'un délai de deux ans à compter de la notification de la DETR, l'opération au titre de laquelle elle a été accordée n'a reçu aucun commencement d'exécution, le préfet constate la caducité de sa décision d'attribution de la subvention. Ce même article dispose que le préfet peut, au vu des justifications apportées, proroger la validité de l'arrêté attributif pour une période qui ne peut excéder un an. Dans cet exemple, le pouvoir de dérogation est utilisé pour accorder à une communauté de communes une deuxième prolongation du délai, le CGCT ne prévoyant qu'une seule prolongation.
En dehors du champ des subventions, les utilisations du droit de dérogation sont plus rares. Une illustration intéressante est fournie en annexe 4 : elle concerne une dérogation à l'article R. 227-12 du code de l'action sociale et des familles. Cet article prévoit que dans une structure de loisirs, le nombre d'animateurs non qualifiés ne doit pas être supérieur à 20 % des effectifs. Par arrêté du 7 mai 2024, la préfète du département du Lot a dérogé à ce plafond, à la demande d'un maire qui souhaitait relever ce quota. L'arrêté est ainsi motivé : « considérant que la demande ne porte pas atteinte à la sécurité des mineurs, ni une atteinte disproportionnée aux objectifs poursuivis par les dispositions de l'article R. 227-12 du code de l'action sociale et des familles, dans la mesure où la collectivité dispose d'une solide expérience en matière d'organisation d'accueils de mineurs, d'une équipe d'encadrement en nombre suffisant et qu'elle s'engage à former un certain nombre d'animateurs dans le courant de l'année 2024 de manière à satisfaire à toutes les dispositions réglementaires aussi rapidement que possible ».
Les trois arrêtés préfectoraux mentionnés ci-dessus illustrent concrètement comment le pouvoir de dérogation, s'il est utilisé à bon escient, peut favoriser la réalisation des projets locaux et le développement des territoires.
F. UNE VOLONTÉ RÉCENTE DE SIMPLIFIER LE RECOURS À CET OUTIL CONFORMÉMENT AUX SOUHAITS DE NOTRE DÉLÉGATION
Lors de sa déclaration de politique générale devant le Parlement, le 1er octobre 2024, Michel Barnier, alors Premier ministre, s'était engagé à « signer rapidement une instruction pour permettre [aux préfets] de déroger davantage au cadre national, à chaque fois que cela est utile ».
Dans le cadre d'une audition à l'Assemblée nationale, le 2 octobre 2024, Bruno Retailleau, ministre de l'intérieur, avait, quant à lui, souligné les vertus de ce droit de dérogation, largement issu des travaux du Sénat : « Comme facteur de simplification, je crois profondément au pouvoir de dérogation, que j'avais encouragé au Sénat dans le cadre d'une expérimentation (...). Avec un vrai pouvoir de dérogation - lequel a certes été élargi, mais reste très peu utilisé -, les préfets pourraient adapter les normes au terrain. Tout en étant attaché, par tradition politique, à l'unicité de notre nation, je pense que nous avons besoin actuellement d'un peu de souplesse ».29(*)
La circulaire Barnier du 28 octobre 202430(*) a simplifié la procédure de mise en oeuvre du pouvoir de dérogation en supprimant une double obligation : l'information préalable des préfets de région et la saisine préalable de l'administration centrale.
Le second point mérite que l'on s'y arrête : en effet, en application de la précédente circulaire de 2020, chaque arrêté préfectoral de dérogation devait faire l'objet d'une analyse de l'administration centrale : les préfets devaient ainsi saisir la direction de la modernisation et de l'administration territoriale (DMATES) du ministère de l'Intérieur de leur projet d'arrêté afin que celle-ci saisisse la direction d'administration centrale concernée.
Or, dans environ 40 % des cas, l'avis des administrations centrales est défavorable, ce qui conduit presque toujours le préfet, dans cette situation, à écarter le recours au droit de dérogation, quand bien même le préfet n'est pourtant pas lié par l'avis négatif que pourraient délivrer des services centraux. Cette proportion élevée d'avis défavorables résulte de freins culturels que M. Jean-Gabriel Delacroy, alors sous-directeur de l'administration territoriale à la DMATES, avait expliqué à notre délégation le 21 juillet 2022 : « Nous avons observé pendant longtemps une frilosité des ministères sur le sujet. Ils ont eu un sentiment de déprise et de perte de contrôle. Ils considéraient que l'administration centrale constitue la source unique de la norme réglementaire et que les préfets doivent être réduits à un rôle d'exécution ».31(*)
Soucieux de faire davantage confiance à l'État territorial, vos rapporteurs se réjouissent que la circulaire de 2024 ait supprimé l'obligation de saisine préalable de l'administration centrale par le préfet. Ils relèvent d'ailleurs qu'un tel régime ne prévalait pas au moment de l'expérimentation : en effet, la saisine préalable (comme l'information du préfet de région) relevait d'une simple faculté, et non d'une obligation. Le caractère obligatoire ne datait donc que de la circulaire de 2020.
La circulaire du 28 octobre 2024 s'inscrit dans une double logique de déconcentration et de différenciation, principes auxquels notre assemblée est attachée, dans le respect de l'unité de la République.
Au-delà de la simplification procédurale qu'elle opère, elle porte, plus généralement, une ambition et une méthode que notre délégation ne peut que saluer dans leur principe.
L'ambition concerne la simplification de l'action publique et l'accompagnement des projets locaux, trop souvent entravés par les normes.
La méthode consiste, elle, à faire remonter du terrain des projets locaux enlisés afin d'identifier les points de blocage. Ces projets (3 à 5 par département) doivent ensuite être instruits par la Direction interministérielle de la transformation publique (DITP), chargée de proposer des solutions. Ces dernières peuvent consister à utiliser les possibilités prévues par le droit commun telles que, précisément, le droit de dérogation, ou à modifier des dispositions réglementaires ou proposer la modification de dispositions législatives, si cette modification s'avère pertinente au-delà du cas d'espèce.
Il en ressort que le précédent Gouvernement a initié une démarche globale que notre délégation approuve mais qui mérite d'être renforcée.
Tel est l'objet des recommandations qui suivent.
II. LES RECOMMANDATIONS DE LA MISSION
En premier lieu, vos rapporteurs ont examiné l'opportunité de supprimer le critère des « circonstances locales », étant rappelé que le décret dispose que la dérogation doit être justifiée par l'existence de telles circonstances. Dans son rapport publié en 2019, notre délégation s'était interrogée sur la pertinence de ce critère32(*).
Force est de constater que la notion de « circonstances locales » est imprécise et qu'elle a parfois donné lieu à des contentieux devant le juge administratif. À titre d'exemple, la jurisprudence reconnaît au maire, responsable du maintien de l'ordre dans sa commune, la possibilité d'interdire sur le territoire de celle-ci la représentation d'un film auquel le visa ministériel d'exploitation a été accordé, à condition que les « circonstances locales le justifient » (voir par exemple CE, sect., 18 déc. 1959, et CE, 19 avr. 1963). Le juge administratif n'a toutefois pas tracé les contours précis de cette notion qui s'apprécie in concreto.
Pour autant, vos rapporteurs, à l'issue des auditions auxquelles ils ont procédé, relèvent que la suppression de ce critère fragiliserait les arrêtés de dérogation. En effet, le Conseil d'État a jugé en 2022 que cette condition garantit le respect du principe constitutionnel d'égalité : en effet, les dérogations « ne peuvent être accordées que si et dans la mesure où des circonstances locales justifient qu'il soit dérogé aux normes applicables, sans permettre aux préfets, dans le ressort territorial de leur action, de traiter différemment des situations locales analogues. Dans ces conditions, (...) la possibilité reconnue aux préfets, à raison de circonstances locales, de déroger à des normes établies par l'administration, laquelle ne devrait pas conduire à des différences de traitement injustifiées, n'est pas contraire au principe d'égalité » (Conseil d'État, 21 mars 2022, n° 440871).
Il appartient donc aux préfets de veiller à ce qu'une spécificité objective justifie localement le recours à un arrêté de dérogation.
Vos rapporteurs ne recommandent donc pas la suppression du critère des « circonstances locales ».
A. DONNER UNE ASSISE CONSTITUTIONNELLE AU POUVOIR DE DÉROGATION AUX NORMES
Le 6 juillet 2023, le groupe de travail du Sénat sur la décentralisation, présidé par Gérard Larcher, Président du Sénat, a présenté 15 propositions pour rendre aux élus locaux leur « pouvoir d'agir »33(*). L'une d'entre elles vise à « renforcer et utiliser les outils de l'agilité territoriale ». Elle propose ainsi de « favoriser le pouvoir de dérogation des préfets de département » afin d'adapter les actions des élus aux réalités de leur territoire.
Afin de traduire cette recommandation, l'article 5 de la proposition de loi constitutionnelle déposée le 22 mars 202434(*) vise à « favoriser le pouvoir de dérogation des préfets de département, échelon administratif territorial le plus proche des territoires ». Le texte complète ainsi l'article 72 de la Constitution en prévoyant que le représentant de l'État dans le département serait non seulement chargé du respect des lois, mais également de leur application.
Bien que conscient de la difficulté de modifier notre loi fondamentale, vos rapporteurs ne peuvent que recommander l'adoption de cette proposition de loi constitutionnelle, lorsque les conditions politiques seront réunies.
Recommandation n° 1 : Donner une assise constitutionnelle au pouvoir préfectoral de dérogation aux normes
Dans cette attente, de nombreuses actions doivent être entreprises pour renforcer le recours à cet outil, à droit constitutionnel constant.
B. SUPPRIMER LA LISTE LIMITATIVE DES DOMAINES POUR LESQUELS LA DÉROGATION EST POSSIBLE
Comme indiqué plus haut, le préfet peut faire usage de son droit de dérogation dans sept matières limitativement énumérées par le décret de 2020.
Lors des auditions et dans le cadre de la consultation en ligne, il a été proposé d'étendre la mise en oeuvre du droit de dérogation à de nouveaux domaines. Ont ainsi été cités : la transition écologique, la gestion publique, l'organisation des administrations ou encore le domaine des transports. Sur ce dernier point, notons que l'arrêté du 16 avril 2021 relatif à l'interdiction de circulation des véhicules de transport de marchandises à certaines périodes35(*) est très restrictif pour les poids-lourds de plus de 7,5 tonnes. Il prévoit des possibilités de dérogations préfectorales exceptionnelles à titre temporaire, pour faire face à des situations de crise ou d'urgence. En revanche, le cas d'une usine, qui fonctionne à flux tendu, n'est pas pris en compte par cet arrêté. Le préfet n'a donc d'autre choix que d'accorder des dérogations sur une base fragile, voire inexistante, ou de bloquer le fonctionnement de l'usine. Dans le premier cas, la responsabilité de l'État pourrait être engagée en cas d'accident impliquant un poids-lourd bénéficiant d'une dérogation illégale et, dans le second, l'entreprise subirait de lourdes conséquences économiques. Ajouter la matière « transports » au décret de 2020 permettrait donc au préfet de déroger à l'arrêté précité de 2021 en accordant les dérogations temporaires actuellement non prévues.
Au-delà de l'extension ponctuelle du champ d'application de ce droit de dérogation, vos rapporteurs se sont interrogés sur la pertinence du maintien d'une liste limitative de sept domaines pour lesquels la dérogation est possible. Pourquoi ne pas plutôt fixer un principe général de possibilité de dérogation du préfet pour les décisions individuelles relevant de sa compétence ?
En effet, conformément à la rédaction de l'article 37-1 de la Constitution, qui impose que des dispositions expérimentales aient un objet « limité », le décret de 2017, mettant en place l'expérimentation, devait nécessairement comporter une liste de matières concernées par le droit de dérogation. Dans sa décision précitée du 17 juin 2019, le Conseil d'État avait d'ailleurs rappelé qu'il appartenait au pouvoir réglementaire d'« identifier précisément les matières dans le champ desquelles cette dérogation est possible ».
En revanche, une fois l'expérimentation close, le décret de 2020, généralisant ce droit de dérogation, aurait pu ne pas comporter cette liste.
Vos rapporteurs proposent donc la suppression de la liste limitative de domaines pour lesquels la dérogation est possible.
Recommandation n° 2 : Supprimer la liste limitative de domaines pour lesquelles la dérogation est possible.
C. PERMETTRE AU PRÉFET DE DÉROGER À DES NORMES RELEVANT DE SERVICES OU D'OPÉRATEURS LOCAUX QUI ÉCHAPPENT AUJOURD'HUI À SA COMPÉTENCE
L'article 72 de la Constitution dispose que « dans les collectivités territoriales de la République, le représentant de l'État, représentant de chacun des membres du Gouvernement, a la charge des intérêts nationaux, du contrôle administratif et du respect des lois ».
Cette disposition fait du préfet le « patron » des services déconcentrés. Toutefois, des pans très importants de l'action de l'État lui échappent36(*), tels que la santé (dévolue aux agences régionales de santé), les finances publiques (gérées par des directions régionales ou départementales qui relèvent du ministère des finances) ou encore l'action éducatrice (confiée au rectorat d'académie).
Mais le rôle du
préfet est aussi limité par la multiplication, dans les
territoires, des agences et opérateurs, comme l'a relevé
le rapport précité de nos collègues Agnès Canayer
et Éric. Ce phénomène est souvent
désigné sous le terme de « démembrement de
l'État », d'« agencification » ou
encore
d'« agencisation ». Les champs d'intervention
de ces agences recoupent d'importants secteurs de compétence des
collectivités territoriales. Ainsi, à titre d'exemple, les
agences régionales de santé (ARS) occupent une
place prééminente dans l'organisation des soins sur le
territoire. Dans le domaine de l'écologie et du développement
durable, on retrouve les agences de l'eau,
l'ADEME, l'office national des forêts (ONF)
ou encore l'office français de la biodiversité
(OFB). En matière de sécurité, les choix
stratégiques de l'agence nationale des titres
sécurisés (ANTS) ont eu ces dernières
années des implications fortes sur l'équipement des mairies et
les ressources dédiées par elles à la délivrance
des titres d'identité.
Le préfet n'exerce donc pas d'autorité sur certains services déconcentrés ainsi que sur les agences précitées. Afin de remédier à cette double limitation et de garantir l'unicité de la parole de l'État territorial37(*), le rapport précité de notre délégation recommande de :
- consolider l'autorité du préfet sur l'ensemble des services déconcentrés de l'État ;
- nommer le préfet comme délégué territorial de toutes les agences de l'État, sur le modèle de ce qui a été prévu pour l'ANCT.
Vos rapporteurs entendent réaffirmer la pertinence de ces propositions qui doivent conduire, selon eux, à renforcer le pouvoir de dérogation aux normes, aujourd'hui limité aux domaines relevant de la seule compétence du préfet. En l'état de l'organisation territoriale de l'État, le préfet ne peut pas prendre d'arrêtés dérogeant à des normes relevant des missions de l'ARS, des agences de l'eau, de l'OFB, de l'ONF... Il ne peut pas davantage déroger à des normes relevant des missions de l'ANCT dont il est pourtant le délégué territorial.
Il est également important que les préfets fassent un usage plus actif du pouvoir de dérogation dans le domaine de la protection et de mise en valeur du patrimoine culturel, qui figure parmi les sept domaines actuels de dérogation. Aujourd'hui, ce pouvoir n'est quasiment pas utilisé, pas plus que le pouvoir d'arbitrage du préfet de région sur les avis de l'Architecte des Bâtiments de France (ABF). Il est ici utile de rappeler que ce dernier est indépendant car non soumis à l'autorité hiérarchique du directeur régional des affaires culturelles. En 2016, le législateur a décidé que l'avis défavorable de l'ABF serait désormais susceptible de recours administratif devant le préfet de région38(*). Ce pouvoir du « dernier mot » a été pensé comme une manière pour ce dernier de mettre en balance les différentes politiques publiques qu'il a la charge de mener sur le territoire. Ainsi la défense du patrimoine paysager peut-elle devoir céder, dans certains cas précis, devant un objectif économique ou environnemental.
Vos rapporteurs approuvent pleinement ce rôle du préfet de région dans le domaine de la protection du patrimoine. En effet, le préfet doit disposer d'un pouvoir d'arbitrage au niveau de son territoire, les différentes administrations déconcentrées ayant tendance à défendre des objectifs qui leur sont propres sans rechercher une cohérence globale. Vos rapporteurs adhèrent ainsi à la philosophie du rapport sénatorial publié le 25 septembre 2024 sur le rôle des ABF 39(*) : « Dans le cadre de ses déplacements, la mission a cependant pu constater que l'outil du recours, parce qu'il peut être perçu comme un désaveu du choix de l'ABF et donc participer d'une remise en cause de son autorité, est parfois sous-utilisé. Tel ne devrait pas être le cas, la faculté pour le préfet de région de substituer son avis à celui de l'ABF, au terme d'une procédure spécifique, étant la simple manifestation de sa faculté d'arbitrer entre différents objectifs sur un cas d'espèce ».
D'une manière générale, vos rapporteurs constatent que le préfet a rempli, lors des dernières crises, notamment sanitaires et environnementales, un rôle d'ensemblier indispensable.
Lors de son discours de clôture du Congrès des maires, le 21 novembre 2024, Michel Barnier, alors Premier ministre, a annoncé la publication, dans les premiers mois de 2025, d'un décret renforçant très considérablement le pouvoir des préfets de département, avec deux avancées majeures :
- le préfet serait désormais chargé d'évaluer tous les chefs de service et directeurs d'agence dans son département, ce qui inclut par exemple le directeur général de l'ARS et le directeur académique des services de l'Éducation nationale (DASEN) ;
- le préfet serait désormais obligatoirement consulté sur toutes les décisions, prises par les chefs de service et directeurs d'agence dans son département, ayant une incidence sur la répartition territoriale de certains services publics.
Toutefois, rien ne sera possible sans un renforcement des moyens des préfectures et sous-préfectures. Or, depuis 2005, le plan « Préfecture nouvelle génération » et la Révision générale des politiques publiques (RGPP) ont eu pour conséquence de réduire les effectifs de l'État territorial40(*).
Recommandation n° 3 : Permettre au préfet de déroger à des normes relevant de services ou d'opérateurs locaux qui échappent aujourd'hui à sa compétence.
D. ÉTENDRE LE DROIT DE DÉROGATION À DES DISPOSITIONS RÉGLEMENTAIRES DE FOND
Les effets recherchés du droit de dérogation sont explicitement prévus par l'article 2 du décret du 8 avril 2020 : alléger les démarches administratives, réduire les délais de procédure ou favoriser l'accès aux aides publiques.
Comment comprendre la portée de ces trois objectifs ?
La décision du Conseil d'État de 2019 ainsi que la circulaire précitée de 2020 considèrent que le décret de 2020 limite le droit de dérogation aux seules règles de forme, de délais et de procédure, excluant ainsi des dérogations au fond du droit41(*). Cette restriction constitue, en quelque sorte, un « plafond de verre » qui explique, dans une large mesure, le faible recours à ce pouvoir de dérogation.
Or, comme le souligne justement un rapport de l'Inspection générale de l'administration (IGA) publié en juin 202242(*), distinguer les règles de « procédure » des règles de « fond » est souvent malaisé, lorsque la procédure n'est que la conséquence mécanique de la norme de fond.
Lors de son audition devant notre délégation, en juillet 2022, M. Jean-Gabriel Delacroy, alors sous-directeur de l'administration territoriale à la DMATES, avait lui-aussi appelé à « réfléchir à la pertinence de séparer les sujets de procédure et de forme et les sujets de fond. (...). Il est vrai que la préfecture et ses services peuvent éprouver des difficultés à interpréter certaines normes, notamment dans des domaines où la frontière entre règle de forme et règle de fond est parfois ténue. Les préfectures s'interrogent souvent sur des sujets de régime d'autorisation ou de régime de déclaration dans le domaine environnemental » 43(*).
En effet, environ un tiers des arrêtés de dérogation pris dans le domaine de l'environnement déroge aux seuils réglementaires pour soumettre à simple déclaration des projets d'installations ou d'ouvrage relevant, selon ces textes, du régime de l'autorisation préalable. Basculer d'un régime d'autorisation à celui de simple déclaration consiste, stricto sensu, à déroger à une règle de procédure, dans le but d'« alléger les démarches administratives » et de « réduire les délais de procédure ». Les préfets peuvent donc légitimement considérer que leurs arrêtés de dérogation répondent au critère du décret de 2020.
Toutefois, en matière environnementale comme dans d'autres domaines de l'action publique locale, les procédures ne font que traduire un niveau de protection des populations. Ainsi, un régime d'autorisation préalable concerne souvent des installations susceptibles de présenter des dangers pour la santé et la sécurité publiques (art L. 512-1 du code de l'environnement), tandis que les installations moins dangereuses sont soumises à simple déclaration (art L. 512-8 du même code).
Dès lors, peut-on considérer qu'un arrêté dispensant, à titre dérogatoire, un projet d'installation d'une autorisation ne fait qu'écarter une simple règle de procédure en matière environnementale ?
Il est difficile de répondre par l'affirmative à cette question. C'est pourquoi vos rapporteurs partagent, sur ce point, les préventions de l'IGA dans son rapport précité : « c'est donc bien une dérogation à des règles de fond (l'évaluation des risques) qui est faite lorsque le préfet substitue une procédure déclarative à une procédure d'autorisation ». La porosité entre fond et procédure paraît ainsi évidente en matière environnementale comme elle l'est dans le champ du droit de l'urbanisme.
Pour l'ensemble de ces raisons, vos rapporteurs recommandent de prévoir explicitement la possibilité pour les préfets de déroger à des règles de fond. Les objectifs actuels, trop limités à des questions de forme, pourraient être utilement remplacés par des dispositions plus ambitieuses, en fonction des bénéficiaires du droit de dérogation :
Objectifs actuels assignés |
Objectifs souhaités par la mission |
- alléger les démarches administratives ; - réduire les délais de procédure ; - ou favoriser l'accès aux aides publiques |
- pour les collectivités territoriales : contribuer au développement des territoires et à alléger le poids des normes sur les finances locales ; - pour les particuliers et entreprises : alléger et accélérer les démarches administratives |
Interrogée sur cette évolution par vos rapporteurs, la DMATES a exprimé certaines réserves : « En permettant de déroger à des règles de fond, il nous semble que l'on n'assigne pas de limites aux effets recherchés et que l'on perd la maîtrise de l'objectif poursuivi. »
Vos rapporteurs ne partagent pas cette conception et soulignent que les préfets devront être guidés par un principe essentiel, qui figure déjà dans le décret de 2020 : « ne pas porter une atteinte disproportionnée aux objectifs poursuivis par les dispositions auxquelles il est dérogé ». Il appartiendra ainsi au représentant de l'État d'effectuer un bilan coûts/avantages du recours au droit de dérogation, en mettant en balance l'intérêt de la dérogation du point de vue de ses bénéficiaires et le respect des objectifs poursuivi par les normes réglementaires auxquelles l'arrêté déroge. Cette appréciation préfectorale sera naturellement exercée sous le contrôle du juge administratif.
Une telle rédaction permettrait peut-être d'unifier les différents régimes qui existent déjà pour déroger à des normes réglementaires, de fond ou de forme. En effet, il est admis, de longue date, que le préfet peut déroger à des règles de forme et de fond dans le cadre de régimes particuliers définis par le pouvoir réglementaire. La liste ci-dessous, non-exhaustive, illustre le fait que les règlements peuvent doter des représentants de l'État de la capacité de prendre des dispositions dérogatoires sur le fond (cf annexe) :
- article R. 2334-24 du CGCT : dans le cadre de la DETR44(*), le préfet peut notifier à la collectivité que le commencement d'exécution de l'opération avant la date de réception de la demande de subvention n'entraîne pas un rejet d'office de la demande de subvention, afin de faciliter la réalisation du projet ;
- article R. 2334-28 du CGCT : dans le cadre de la DETR, le préfet peut déroger, pour les opérations pouvant être réalisées à brève échéance, en fixant un délai inférieur, au délai de deux ans de commencement d'exécution de l'opération ayant reçu une subvention ;
- article R. 2334-29 du CGCT : dans le cadre de la DETR, le préfet peut, par décision motivée, prolonger le délai d'exécution d'une opération ayant bénéficié d'une subvention, de maximum deux ans, après avoir vérifié que le projet initial n'est pas dénaturé et que l'inachèvement de l'opération n'est pas imputable au bénéficiaire ;
- article R. 2334-30 du CGCT : dans le cadre de la DETR, le préfet peut de façon dérogatoire appliquer le taux de subvention au montant hors taxe de la dépense réelle non plafonné lorsque des sujétions imprévisibles par le bénéficiaire et tenant à la nature du sol ou résultant de calamités conduisent à une profonde remise en cause du devis ; ce complément de subvention fait l'objet d'un nouvel arrêté.
Recommandation n° 4 : Étendre le droit de dérogation à des dispositions réglementaires de fond. Envisager la suppression des régimes particuliers existants dans un souci de simplification.
E. ÉVALUER LES RÉGIMES LÉGISLATIFS DE DÉROGATION ET ENVISAGER, LE CAS ÉCHÉANT, LEUR EXTENSION
Comme indiqué supra, le décret précité de 2020 ouvre au préfet la possibilité de déroger à des normes arrêtées par l'administration de l'État, telles que des décrets du Premier ministre ou des arrêtés ministériels. Au regard de la hiérarchie des normes, ce pouvoir ne permet pas, en revanche, de déroger à des normes de portée législative.
1. Les régimes spécifiques de dérogation aux normes législatives
Le législateur a prévu certains régimes spécifiques reconnaissant au représentant de l'État un pouvoir d'adaptation locale. La mission a identifié en annexe, sans objectif d'exhaustivité, certains de ces dispositifs législatifs. Quatre d'entre eux, choisis au regard de l'importance des enjeux pour les collectivités territoriales, sont présentés ci-dessous.
En premier lieu, en application de l' article L. 302-5 du code de la construction et de l'habitation (CCH), le préfet peut accorder une dérogation pour certaines communes à l'obligation de construction d'au moins 25 % de logements locatifs sociaux pour toute opération de construction d'immeubles collectifs de plus de douze logements ou de plus de 800 m² de surface de plancher. Cette dérogation, qui permet de « tenir compte de la typologie des logements situés à proximité de l'opération », est accordée sur demande motivée d'une commune et répond à la nécessité d'adapter les normes de construction aux caractéristiques des territoires. Cette disposition est issue de la loi relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale, dite « 3DS », du 21 février 2022.
En deuxième lieu, l' article L. 1111-10 du CGCT dispose que toute collectivité territoriale ou tout groupement de collectivités territoriales, maître d'ouvrage d'une opération d'investissement, assure une participation minimale de 20 % au financement de ce projet. En 2010, le législateur a ouvert au préfet, pour certains projets tels que la rénovation de monuments, la possibilité de réduire la participation du maître d'ouvrage à moins de 20 %, notamment en cas d'urgence ou lorsque cette contribution est « disproportionnée par rapport à la capacité financière du maître d'ouvrage »45(*).
En troisième lieu, sur le fondement des articles L. 2224-15 et R. 2224-29 du CGCT, le préfet peut accorder des dérogations aux obligations de collecte des déchets, par arrêté motivé pris après avis de l'organe délibérant des communes ou des groupements de collectivités territoriales pour la collecte des déchets des ménages. À titre d'exemple, dans les communes où sont aménagés des terrains de camping, la collecte des ordures sur ces terrains est assurée au moins une fois par semaine pendant leur période d'ouverture. Toutefois, le préfet peut à titre dérogatoire et en fonction des caractéristiques démographiques et géographiques des communes concernées, décider d'alléger cette obligation (en prévoyant, par exemple, une obligation de collecte toutes les deux semaines, au lieu d'une fois par semaine). Cette possibilité offre une plus grande souplesse dans la mise en oeuvre du service public de gestion des déchets et une meilleure adaptation aux territoires. Cette dérogation remonte à 199646(*).
Enfin, au visa de l'article L. 3132-20 du code du travail, le préfet peut déroger aux règles de repos dominical lorsqu'il est établi que le repos simultané, le dimanche, de tous les salariés d'un établissement serait préjudiciable au public ou compromettrait le fonctionnement normal de cet établissement. L'autorisation est accordée par le préfet au vu d'un accord collectif. La dérogation est accordée après avis, notamment, du conseil municipal et, le cas échéant, de l'organe délibérant de l'EPCI. Toutefois, en cas d'urgence dûment justifiée et pour une autorisation pour moins de trois dimanches, ces avis préalables ne sont pas requis. Cette dérogation préfectorale est inscrite dans le code du travail depuis l'ordonnance n° 2007-329 du 12 mars 2007.
2. La procédure de délégalisation comme préalable au pouvoir de dérogation
Dans certains cas, et au regard de la possibilité de déroger uniquement à des normes réglementaires, cette démarche va de pair avec le renforcement de la délégalisation. En effet, il est fréquent que la loi comporte des dispositions de détail qui ne relèvent pas des principes fondamentaux de la libre administration, qui fondent la compétence du législateur en application de l'article 34 de la Constitution. Or l'office de la loi, déclarait Portalis dans son Discours préliminaire au projet de Code civil, est « de fixer par de grandes vues les maximes générales du droit ; d'établir des principes féconds en conséquence et non de descendre dans le détail des questions qui peuvent naître sur chaque matière ». Lorsqu'une disposition de forme législative n'a pas elle-même prévu une possibilité de dérogation préfectorale alors qu'elle a un caractère réglementaire, il peut être aujourd'hui nécessaire, dans un souci de rapidité, de procéder à un déclassement (article 37, 2ème alinéa de la Constitution). À titre d'exemple, le Conseil constitutionnel a déclassé une disposition législative relative au fonds d'aide pour le relogement d'urgence (déclassement n° 2024-307 L du 30 avril 2024). Cette délégalisation a permis l'adoption du décret du 14 octobre 202447(*) qui assouplit la règle selon laquelle l'hébergement d'urgence ou le relogement temporaire, par exemple dans le cas d'une inondation, est pris en charge pour une durée maximale de six mois. Désormais, le préfet peut, à titre dérogatoire, prolonger ce délai.
Cet exemple de délégalisation s'inscrit dans le cadre de la politique menée par le Gouvernement depuis quelques années, comme l'avait confirmé Gabriel Attal, alors Premier ministre, lors des états généraux de la simplification organisés au Sénat le 4 avril 202448(*) : « Je souhaite que soit mis en place un vaste chantier de simplification et de délégalisation, qui consiste à sortir certains sujets réglementaires du domaine de la loi. Il s'agit d'un travail titanesque, qui n'entre pas en contradiction avec les prérogatives du Parlement (...) Depuis 2017, le Secrétariat général du gouvernement a saisi le Conseil constitutionnel de 40 demandes de délégalisation ».
Lors de cette même manifestation, Gilles Carrez, président du Conseil national d'évaluation des normes est allé dans le même sens : « Le Premier ministre a évoqué une procédure qui me paraît très intéressante, à savoir la procédure de délégalisation de textes législatifs (...). Je pense qu'il a tout à fait raison d'évoquer cette piste, parce qu'elle permet véritablement de s'attaquer au stock de normes existantes. »
Vos rapporteurs approuvent cette démarche, dans la mesure où elle est soumise au contrôle préalable du Conseil constitutionnel et où elle facilite la conduite des projets locaux, notamment par l'approfondissement de la déconcentration. Lors de son audition, le Secrétariat général du Gouvernement a indiqué qu'un point sur cette procédure serait présenté au Sénat dans le cadre des prochaines assises de la simplification en avril 2025.
3. Les recommandations de la mission
Afin de poursuivre l'objectif d'adaptation de la norme aux spécificités territoriales, la mission recommande :
- au ministère de l'Intérieur :
o de mieux faire connaître les possibilités législatives de dérogation, par exemple en intégrant un module pédagogique sur l'outil Intranet précité ;
o de conduire une évaluation auprès des préfets ;
- aux préfets de faire un usage actif des possibilités existantes de dérogation à des normes législatives, toujours en étroite concertation avec les collectivités concernées ;
- au Parlement d'évaluer systématiquement l'intérêt, dans les textes législatifs fixant des normes applicables aux collectivités territoriales, d'introduire une possibilité de dérogation du représentant de l'État.
Pourrait-on aller jusqu'à une habilitation législative générale fondée sur des domaines et des critères, sur le modèle du décret de 2020 ? En clôture du Congrès des maires, le 21 novembre 2024, Michel Barnier, alors Premier ministre, avait fait part de son souhait de « créer un régime juridique de la dérogation législative qui permettra dans un cadre précis d'adapter les règles applicables à des projets quand c'est justifié par l'intérêt du territoire et sans avoir à repasser systématiquement par une modification de la loi ».
Vos rapporteurs ont acquis la conviction, au cours des auditions, de l'intérêt de cette proposition novatrice, auquel « ne s'opposerait pas le principe de séparation des pouvoirs », comme l'a souligné le professeur Laetitia Janicot dans sa contribution écrite.
Afin de ne pas méconnaitre le principe constitutionnel d'égalité, il conviendrait toutefois d'encadrer cette habilitation législative en fixant les conditions qu'un tel pouvoir préfectoral devrait respecter :
- être justifiée par un motif d'intérêt général et par l'existence de circonstances locales ;
- être compatible avec les engagements européens et internationaux de la France ;
- ne pas porter atteinte aux intérêts de la défense ou à la sécurité des personnes et des biens, ni une atteinte disproportionnée aux objectifs poursuivis par les dispositions législatives auxquelles il est dérogé ;
- avoir pour effet de faciliter la réalisation des projets des collectivités territoriales.
Cette habilitation pourrait, à titre expérimental et sur le fondement de l'article 37-1 de la Constitution, avoir un objet limité, au sein du champ de la construction, du logement et de l'urbanisme. En effet, la consultation menée par notre délégation a souligné les fortes attentes des élus dans ce domaine : à la question « Le pouvoir de dérogation aux normes peut actuellement concerner 7 domaines. Quel est celui qui vous paraît prioritaire ? », le domaine « construction, logement et l'urbanisme » arrive en tête, avec un tiers des réponses.
Résultats de la consultation menée
auprès des élus locaux (nov - déc 2024)
Or, ce domaine ne concerne actuellement qu'environ 3 % des arrêtés de dérogation.
Recommandation n° 5 : Évaluer les régimes législatifs de dérogation et envisager, le cas échéant, leur extension. Envisager, à titre expérimental, une habilitation législative dans le domaine de la construction, du logement et de l'urbanisme.
4. Le nécessaire renforcement, en parallèle, du pouvoir réglementaire local
Par ailleurs, parallèlement au développement du pouvoir préfectoral de dérogation, il est impératif de renforcer le pouvoir réglementaire local, aujourd'hui trop peu développé en dépit de la révision constitutionnelle de 200349(*). Sur ce point, rappelons que notre assemblée a adopté, le 20 octobre 2020, une proposition de loi constitutionnelle visant à « sanctuariser » le pouvoir réglementaire local face aux nombreuses interventions du pouvoir règlementaire national dans le domaine de compétence des collectivités locales. Le Sénat avait ainsi retenu le dispositif constitutionnel suivant : « Dans les conditions prévues par la loi, les collectivités territoriales disposent d'un pouvoir réglementaire pour l'exercice de leurs compétences. Dans les matières relevant de leurs compétences, par dérogation aux articles 21 et 37, le Premier ministre ne peut être chargé de l'application des lois que s'il y a été expressément habilité par la loi. »50(*). Cette révision constitutionnelle aurait un double intérêt : encadrer le pouvoir réglementaire national et, par voie de conséquence, limiter l'immixtion de la loi dans le domaine réglementaire. En effet, la tentation actuelle à laquelle succombent parfois des parlementaires d'alourdir les lois de précisions de nature réglementaire est souvent liée à la crainte d'une dénaturation ultérieure par le pouvoir réglementaire, comme l'a illustré le précédent du Zéro artificialisation nette (ZAN).
Dans l'attente de la révision constitutionnelle proposée par le Sénat, vos rapporteurs invitent le gouvernement et l'Assemblée nationale à être plus ambitieux. En effet, le pouvoir réglementaire local constitue à la fois une garantie fondamentale du principe de libre administration des collectivités territoriales et un gage de l'efficacité de l'action publique locale. Or, si le Sénat avait, en séance, étendu le pouvoir réglementaire local, dans le cadre de l'examen du projet de loi « 3DS », l'Assemblée nationale s'y est très largement opposée « notamment pour veiller à la cohérence et à l'harmonisation des politiques publiques et à la préservation du principe d'égalité sur l'ensemble du territoire national »51(*).
F. ASSOCIER ÉTROITEMENT LES ÉLUS LOCAUX À L'EXERCICE DU POUVOIR PRÉFECTORAL DE DÉROGATION
Dans la mesure où 90 % des arrêtés de dérogation concernent les collectivités territoriales et leurs groupements, il est légitime que les élus locaux soient étroitement associés à l'exercice du pouvoir préfectoral de dérogation. Comme le souligne régulièrement la délégation aux collectivités territoriales, les élus locaux sont des « inventeurs de solutions ». À cet effet, il est impératif de libérer les énergies locales et de leur redonner agilité et capacité d'agir.
Dans ce cadre, vos rapporteurs proposent d'élargir les missions de la commission départementale de conciliation des documents d'urbanisme, prévue à l'article L. 132-14 du code de l'urbanisme. Cette commission serait remplacée par une conférence de dialogue dotée d'un périmètre plus large. Cette évolution a été votée par le Sénat à l'article 4 quater de la loi 3DS à l'initiative de Rémy Pointereau : « Il est institué auprès du représentant de l'État, dans chaque département, une conférence de dialogue compétente, en particulier, pour donner un avis sur des cas complexes d'interprétation des normes, de mise en oeuvre de dispositions législatives ou règlementaires, pour identifier les difficultés locales en la matière, pour porter ses difficultés à la connaissance de l'administration centrale et pour faire des propositions de simplification. Elle est saisie par le représentant de l'État dans le département, l'un de ses membres, tout maire ou tout président d'établissement public de coopération intercommunale ». Sans véritablement étayer sa position52(*), l'Assemblée nationale a toutefois supprimé cette disposition. Et la commission mixte paritaire a confirmé cette suppression.
Vos rapporteurs le regrettent53(*) et affirment qu'une telle instance, qui pourrait se réunir une à deux fois par an, permettrait en particulier à tous les acteurs locaux, élus et préfets, d'identifier des cas où l'exercice du droit de dérogation permettrait de débloquer des projets locaux enlisés. Elle permettrait également de suivre, au sein du département, la mise en oeuvre de ce droit de dérogation et d'en réaliser régulièrement un bilan. Enfin, une conférence de dialogue présenterait un intérêt majeur : mieux faire connaître le périmètre et les limites du droit de dérogation. La consultation menée par notre délégation souligne les très fortes attentes des élus locaux dans le domaine « logement, construction et urbanisme » et leur large méconnaissance de l'étendue du pouvoir de dérogation. En effet, le préfet ne peut déroger qu'à des normes relevant de sa compétence : il ne peut donc écarter l'application de dispositions relatives aux missions des collectivités territoriales, telles que l'urbanisme.
La mission observe que cette « conférence de dialogue » pourrait être mise en place sans vecteur législatif, par une simple circulaire du ministre de l'Intérieur auprès de quelques préfets volontaires, ce qui permettrait à ces derniers d'en éprouver l'efficacité, et le cas échéant, de l'abandonner si cette instance ne produisait pas les effets escomptés.
Recommandation n° 6 : Associer étroitement les élus locaux à l'exercice du pouvoir préfectoral de dérogation
G. FORMER ET INFORMER LES SERVICES PRÉFECTORAUX AINSI QUE LES ÉLUS LOCAUX SUR « LES BONNES PRATIQUES » DE DÉROGATION
On l'a dit, le droit de dérogation est largement sous-utilisé alors qu'il offre, même sous sa forme actuelle, de très nombreuses possibilités pour faciliter la réalisation de projets portés par les collectivités territoriaux.
1. Mieux informer les préfectures sur les potentialités de ce droit de dérogation
Vos rapporteurs saluent l'existence d'outils d'information et de communication à destination des services préfectoraux.
En premier lieu, conformément à ce que prévoyait la circulaire de 2020, la DMATES a mis en place, au titre de sa mission d'animation du réseau des préfectures, un outil collaboratif permettant un échange de bonnes pratiques et un partage d'expériences54(*). Cette plateforme, qui a été présentée à vos rapporteurs à l'occasion de leur déplacement à la préfecture du Cher, comprend les textes de référence, la liste des dérogations mises en oeuvre ainsi qu'une foire aux questions (FAQ) reprenant les analyses produites par les administrations centrales.
Interrogée par vos rapporteurs sur les conditions d'accès à cet outil, la DMATES a répondu qu'il « est ouvert à nos interlocuteurs des directions métiers d'administration centrale concernés par les demandes d'avis préalables des préfets et aux agents des préfectures et services déconcentrés (DDT majoritairement). On compte actuellement un peu moins de 400 participants ».
Si vos rapporteurs se félicitent de l'existence de cette plateforme, ils regrettent qu'elle ne soit pas suffisamment concrète et opérationnelle. Ainsi, elle ne contient pas de moteur de recherche multicritères permettant de retrouver facilement des arrêtés sur un sujet donné. L'ajout d'un module d'intelligence artificielle (IA) pourrait aider à la décision et d'aide à la génération d'un projet d'arrêté. Concrètement, les directions départementales des territoires (DDT) pourraient interroger ce module (via des « prompts ») chaque fois qu'un projet local semble bloqué par l'application d'une norme réglementaire. L'IA pourrait alors analyser la situation et trouver, dans la base, des cas similaires permettant de faire application du droit de dérogation. Un résumé des arrêtés concernés pourrait être proposé par l'outil.
Ce travail nécessite bien sûr de disposer de données à jour : la base doit donc comprendre le plus possible d'arrêtés de dérogation. En effet, pour optimiser la performance d'un outil IA et opérer le rapprochement le plus pertinent parmi ceux envisageables, le volume de data passées en revue a intérêt à être le plus important possible.
Dans un deuxième temps, la plateforme précitée pourrait comprendre les dispositifs ad hoc de dérogation aux normes législatives et réglementaires (cf II D et E).
Pour l'ensemble de ces raisons, vos rapporteurs estiment qu'enrichir cette plateforme permettrait de renforcer la connaissance du dispositif par les préfectures et de développer des synergies entre ces dernières.
2. Une fiche pratique à destination des préfets
En second lieu, parallèlement à la plateforme, il paraît nécessaire de disposer d'une fiche pratique, à caractère général, présentant le droit de dérogation. Ainsi, en juillet 2021, en marge du comité interministériel de la transformation publique de Vesoul, un guide a été établi sous l'égide de la Direction interministérielle de la transformation publique (DITP). Le titre du guide est « En action : le guide du préfet et des services déconcentrés ». Une fiche pratique y a été introduite sur le recours au droit de dérogation. Il s'agit d'une fiche claire et pédagogique mais très sommaire et sans exemples concrets, ce qui conforte la recommandation évoquée plus haut tendant à enrichir l'outil collaboratif de l'État.
Extrait de la fiche pratique sur le droit de dérogation
3. Mettre en places des modules de formation à destination des services préfectoraux
L'information ne suffit pas. Elle doit être complétée par la mise en place de modules de formation, à destination des services préfectoraux, permettant de mieux faire comprendre les enjeux de ce droit, notamment sous l'angle du pouvoir d'agir des collectivités territoriales.
4. Prévoir la désignation d'un référent « dérogation » dans chaque préfecture
Il apparaît également nécessaire de prévoir, dans chaque préfecture, la désignation d'un référent « dérogation », disposant d'un bon niveau hiérarchique, (chef de bureau, directeur départemental, secrétaire général...).
5. Mieux faire connaître auprès des élus le droit de dérogation ainsi que ses implications concrètes
La consultation menée par notre délégation à l'automne 2024 souligne la grande méconnaissance des élus locaux du droit de dérogation : ainsi, 80 % d'entre eux déclarent ne « pas connaître cette procédure ». Et parmi ceux qui la connaissent, 84 % ne l'ont jamais utilisée. En revanche, 75 % des élus qui l'ont utilisée la jugent efficace.
Résultats de la consultation menée
auprès des élus locaux (nov - déc 2024)
Source : Ipsos / Sénat : simplification des normes (consultation de décembre 2024)
Les résultats de cette consultation démontrent ainsi clairement la nécessité de mieux faire connaître le droit de dérogation et ses utilisations concrètes.
Les élus pourront ainsi être force de proposition, notamment dans le cadre des conférences de dialogue que vos rapporteurs appellent de leurs voeux (cf supra). Vos rapporteurs insistent toutefois sur la nécessité de faire oeuvre de pédagogie auprès des élus locaux. En effet, de nombreuses personnes entendues par la mission ont mis en avant le risque, par exemple, qu'au nom du principe d'égalité, une commune A « réclame » une dérogation accordée à la commune B, alors même qu'elle ne se trouverait pas dans la même situation objective que la commune B. Or, une dérogation est toujours accordée in concreto au regard des circonstances locales. Elle n'est donc pas toujours transposable.
Recommandation n° 7 : former et informer les services préfectoraux ainsi que les élus locaux sur les potentialités du droit de dérogation aux normes, en particulier sous l'angle du développement des territoires.
H. UN OUTIL POUVANT SERVIR DE SIGNAL D'ALERTE POUR DÉTECTER CERTAINES NORMES TROP COMPLEXES OU INEFFICACES
Le droit de dérogation, qu'il soit issu du décret général de 2020 ou de textes ad hoc, peut faciliter la réalisation de projets locaux. Il mérite donc d'être encouragé et renforcé.
En revanche, ce droit ne doit pas être perçu comme une solution « miracle » permettant, en lui-même, d'alléger le poids des normes imposées aux collectivités territoriales. Il présente pourtant un intérêt majeur : réinterroger le droit et réfléchir, le cas échéant, à l'adapter.
En effet, à l'occasion de l'exercice de ce droit - ou d'une simple demande en ce sens - les élus et l'État territorial peuvent identifier certaines normes, législatives ou réglementaires, trop complexes ou inefficaces, entravant l'action publique locale de façon objective, au-delà du cas particulier qui a suscité l'usage du droit de dérogation. Tel est notamment le cas des blocages normatifs en matière d'urbanisme et de construction. Autrement dit, si ce droit de dérogation vise d'abord, en permettant la réalisation d'un projet local, à corriger, sans inflation normative, les effets de bords négatifs et marginaux d'une réglementation donnée, laquelle demeure, par ailleurs, pertinente tant dans ses objectifs que dans sa rédaction, il peut aussi servir de révélateur au caractère inadapté de cette réglementation et inciter ainsi à son évolution (simplification voire suppression). Comme l'a souligné le Professeur Géraldine Chavrier lors de son audition : « le pouvoir de dérogation, c'est le symptôme de l'incapacité à produire des normes concises ».
La circulaire précitée de 2020 invite d'ailleurs clairement les préfets à agir dans ce sens : « la redondance avec laquelle l'usage de ce droit de dérogation, appliqué à tout ou partie d'une réglementation donnée, pourra survenir, devra vous amener à questionner la pertinence de celle-ci ou sa rédaction même et pourra vous conduire à saisir l'administration concernée (avec copie à la direction de la modernisation et de l'administration territoriale du ministère de l'Intérieur) de ce questionnement et de Ia possibilité de faire évoluer cette réglementation ».
Le droit de dérogation offre donc l'opportunité à tous les acteurs locaux, élus ou services déconcentrés, d'oeuvrer ensemble à améliorer les normes applicables aux collectivités territoriales, en fournissant au préfet l'occasion de faire systématiquement remonter à l'administration centrale les difficultés identifiées localement.
Tel est le sens de la procédure prévue par la circulaire précitée de 2024. Lors de son audition par la DCT le 30 janvier 2025, Thierry Lambert, délégué interministériel à la transformation publique, a indiqué que « France simplification » avait reçu 426 sollicitations des préfets et que 85 projets avaient, d'ores et déjà, été débloqués.
Certains exemples fournis dans le cadre du présent rapport55(*) concernent les modalités et conditions de versement de la DETR. Ils doivent nous conduire à une interrogation fondamentale : si les préfets ont dû déroger à certaines des dispositions applicables (cf articles R2334-28 et R2334-30 du CGCT), n'est-ce pas que leur pouvoir est trop encadré par le pouvoir réglementaire et que les textes sont excessivement précis ? Pourquoi les décrets sont-ils descendus à un tel niveau de détail alors que la loi ne les y contraignait pas ? Pourquoi avoir prévu que le taux de subvention figurant dans l'arrêté attributif initial ne pourrait pas être modifié ultérieurement par le préfet ? Pourquoi avoir précisé que le préfet ne pourrait prolonger qu'une seule fois la durée de validité de la dotation ?
Vos rapporteurs estiment qu'il convient de changer de logiciel d'action, ce qui suppose de produire des textes moins « bavards » et de faire ainsi davantage confiance à l'intelligence territoriale et, en particulier au couple maire/préfet.
Là encore, un module IA pourrait utilement être déployé sur la plateforme intranet « droit de dérogation » afin de détecter, parmi l'ensemble des arrêtés de dérogations, ceux dont la fréquence révèle une norme inadaptée.
Recommandation n° 8 : Utiliser le droit de dérogation comme un signal d'alerte permettant de détecter des normes trop complexes, inutiles ou inefficaces.
I. ANALYSER LE RISQUE PÉNAL ET, LE CAS ÉCHÉANT, SÉCURISER L'ACTE DE DÉROGATION PRÉFECTORALE
De nombreuses personnes entendues par vos rapporteurs ont pointé le risque contentieux inhérent à l'exercice du pouvoir de dérogation. Ainsi, un arrêté préfectoral pourrait être attaqué devant le juge administratif s'il méconnait les conditions légales du recours à la dérogation. À l'inverse, le refus du préfet, exprès ou implicite, de prendre un arrêté de dérogation pourrait être contesté sur le fondement de la rupture d'égalité, dans l'hypothèse, par exemple, où le requérant demande à se voir appliquer la même dérogation que celle qui a été retenue, dans un cas similaire, par un précédent arrêté. Toutefois, comme indiqué plus haut, le contentieux est aujourd'hui quasi-inexistant. Le risque évoqué paraît donc relativement marginal.
Plus délicate est la question du risque pénal : en tant que dépositaire de l'autorité publique, le préfet, s'il ne peut engager la responsabilité pénale de l'État56(*), peut en revanche être pénalement mis en cause : il s'agit alors d'une responsabilité personnelle. La mise en oeuvre du droit de dérogation peut-elle conduire à mettre en jeu la responsabilité pénale des préfets ? Vos rapporteurs constatent qu'aucune action pénale n'a été engagée alors que plus de 800 arrêtés de dérogation ont été pris depuis 2020. Toutefois, plusieurs préfets rencontrés par la mission ont exprimé un besoin de « sécurisation pénale », dans le cadre de l'exercice de leur droit de dérogation. C'est pourquoi la mission a souhaité recueillir l'avis de nombreux experts sur ce sujet.
Les propositions les plus avancées sur ce sujet émanent de l'Inspection générale de l'administration ainsi que de Christian Vigouroux. Ce dernier a été chargé par le Président de la République, en mars 2024, d'une mission relative au régime de responsabilité pénale des décideurs publics.
Le préfet serait exposé à un risque pénal dans deux hypothèses.
1ère hypothèse : un arrêté préfectoral de dérogation écarte une norme réglementaire dont le non-respect est pénalement sanctionné, par exemple dans le domaine de l'urbanisme ou de l'environnement. Toutefois, cette inquiétude peut être dissipée par les dispositions du 1er alinéa de l'article 122-4 du code pénal, en vertu desquelles « n'est pas pénalement responsable la personne qui accomplit un acte prescrit ou autorisé par des dispositions législatives ou réglementaires ». Le droit de dérogation étant autorisé par le décret de 2020, les préfets qui en font usage ne sont-ils pas protégés par ce dispositif ?
2ème hypothèse : un arrêté de dérogation aboutit à la construction d'un équipement sportif qui blesse ou tue un habitant d'une commune. Dans ce cas, le préfet ne serait-il pas protégé par le principe selon lequel « il n'y a point de crime ou de délit sans intention de le commettre » (article 121-3 du code pénal) ? Ainsi, en l'état du droit, le préfet ne peut être tenu responsable pénalement que s'il a eu l'intention, en dérogeant à une norme, de commettre un délit déterminé, par exemple de mettre en danger un usager.
En l'absence de jurisprudence pénale, il est toutefois difficile d'avoir des certitudes sur ces sujets complexes et lourds d'enjeux57(*).
Par ailleurs, cette exonération pénale ne vaut que si l'arrêté de dérogation est lui-même légal, c'est-à-dire conforme en tous points aux nombreuses conditions du décret de 2020. Or, comme cela a été dit plus haut, la distinction entre le « fond » et la « forme » n'apparaît pas de manière évidente. Le juge pénal, s'il était saisi, pourrait considérer qu'un arrêté constitue une dérogation à des normes de fond, par exemple dans le domaine environnemental. Le risque pénal ne semble donc pas totalement théorique, en raison de ces marges d'interprétation. Si aucun exemple concret n'a été donné lors des auditions, la mission souligne, à titre d'illustration, qu'est puni de deux ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende le fait de réaliser un ouvrage qui a « porté gravement atteinte à la santé ou la sécurité des personnes ou provoqué une dégradation substantielle de la faune et de la flore ou de la qualité de l'air, du sol ou de l'eau » (article L. 173-3 du code de l'environnement). Si un arrête déroge, directement ou non, à une règle qui porte sur ces dispositions, le préfet peut-il voir sa responsabilité pénale engagée ?
À la suite de l'audition de l'IGA, il pourrait être proposé de cantonner la responsabilité pénale du préfet, en cas de mise en oeuvre du droit de dérogation, à la seule hypothèse où il a violé de façon manifestement délibérée les conditions du recours à cette dérogation. L'expression « manifestement délibérée » reprendrait le dispositif applicable aux élus locaux : en cas de délit non-intentionnel, ces derniers ne sont pénalement responsables que lorsqu'ils ont « violé de façon manifestement délibérée une obligation particulière de prudence ou de sécurité ».
Lors de son audition, M. Vigouroux a évoqué une autre forme de sécurisation pénale. En effet, l'article 122-4 du code pénal prévoit, en son deuxième alinéa, que « n'est pas pénalement responsable la personne qui accomplit un acte commandé par l'autorité légitime, sauf si cet acte est manifestement illégal ». Dans le cas où le préfet a pris un arrêté qui a été expressément autorisé préalablement par l'administration centrale, le terme « commandé » ne paraît pas le couvrir pénalement, puisque c'est le préfet qui a pris l'initiative d'une telle dérogation. Il pourrait ainsi être envisagé de compléter la disposition précitée en prévoyant cette irresponsabilité pénale non seulement lorsque l'acte a été commandé mais aussi lorsqu'il a été expressément autorisé par l'autorité légitime.
Recommandation n° 9 : Analyser le risque pénal et, le cas échéant, sécuriser l'acte de dérogation préfectorale
J. PRENDRE EN COMPTE, DANS L'ÉVALUATION DES PRÉFETS, LEUR CONTRIBUTION AUX DÉMARCHES DE SIMPLIFICATION DES PROJETS LOCAUX ET DE DIFFÉRENCIATION TERRITORIALE
La faible utilisation du droit de dérogation résulte à la fois d'un régime juridique trop corseté et d'une certaine frilosité « culturelle » du corps préfectoral et des services d'instruction. Lors des auditions, il a été rappelé qu'il n'est pas naturel pour un préfet de déroger à des normes alors qu'il est le garant du respect des lois, aux termes de l'article 72 de la Constitution.
Face à cette résistance compréhensible, les gouvernements successifs appellent les représentants de l'État à une évolution de leurs pratiques professionnelles. Ainsi, en mai 2023, Elisabeth Borne, alors Première ministre, avait invité les préfets « à se saisir de toutes [leurs] capacités de dérogation et d'adaptation », leur reconnaissant un « droit à l'erreur, à l'expérimentation et au tâtonnement »58(*).
Certes, comme l'ont indiqué les préfets rencontrés par vos rapporteurs, un arrêté préfectoral peut s'avérer plus fragile juridiquement qu'un arrêté « classique », en donnant l'impression d'un État « arbitraire » prenant des décisions différentes en fonction des collectivités territoriales concernées. Il est tout aussi exact que si un arrêté de dérogation fait l'objet d'un recours devant le juge administratif, le contentieux sera susceptible de ralentir voire de bloquer un projet local alors que l'arrêté visait, précisément, à le faciliter ou l'accélérer. Toutefois, cette inquiétude doit être fortement relativisée puisque, comme indiqué supra, le contentieux est, à ce stade, quasi inexistant.
Afin de développer l'emploi du pouvoir de dérogation et de récompenser la prise de risques, vos rapporteurs proposent de prendre en compte, dans l'évaluation des préfets, leur contribution aux démarches de simplification des projets locaux et de différenciation territoriale. Naturellement, il ne s'agit pas de faire de la « politique du chiffre », mais de résoudre des problèmes concrets que rencontrent les élus locaux.
Cette évolution suppose elle-même d'intégrer la simplification parmi les objectifs interministériels fixés par le Premier ministre. C'est en effet le respect de ces objectifs qui détermine une part de la rémunération des préfets, au travers du complément indemnitaire annuel (CIA)59(*).
Vos rapporteurs sont donc favorables à l'évolution de la rémunération au mérite des préfets afin de prendre en compte leur contribution aux objectifs, au coeur des travaux de la délégation, de simplification et d'adaptation aux enjeux locaux. Une telle mesure permettra de placer le droit de dérogation mais également d'intégrer davantage cet outil au coeur de la culture et des pratiques des préfectures.
Recommandation n° 10 : Prendre en compte, dans l'évaluation des préfets, leur contribution aux démarches de simplification des projets locaux et de différenciation territoriale
CONCLUSION GÉNÉRALE
Empreint au plus profond de lui-même du double principe d'égalité et de légalité, notre pays peine à développer des mécanismes d'adaptation de la norme, aux premiers rangs desquels se trouvent :
- la capacité d'expérimentation, qui permet d'essayer des dispositions nouvelles, sur un territoire et dans un temps limités, avant d'envisager une éventuelle généralisation ;
- le principe de différenciation, qui ouvre la possibilité de traiter différemment des situations diverses ;
- le pouvoir de dérogation du préfet, objet du présent rapport.
Tous ces dispositifs sont encore largement sous-utilisés, alors qu'il est essentiel de renforcer les outils de l'agilité territoriale à la main des services de l'État. Il en va de l'indispensable adaptation de l'action publique aux réalités des territoires.
L'État territorial doit jouer un rôle de facilitateur et d'accompagnateur dans la conduite des projets locaux, avec un objectif, ô combien essentiel : passer de l'addiction aux normes à l'obsession de l'efficacité.
EXAMEN EN DÉLÉGATION
En cours d'exécution.
LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES
AUDITIONS RAPPORTEURS
Mardi 14 janvier 2025
- M. Martin GUITTON, délégué interministériel en charge de la gestion de l'eau en agriculture.
Mercredi 15 janvier 2025
- Mme Géraldine CHAVRIER, professeur des universités ;
- M. David COCHU, sous-directeur de l'administration territoriale de l'État ;
- M. Astrid JEFFRAULT, cheffe du bureau de l'organisation et des missions de l'ATE / ministère de l'Intérieur.
Mardi 21 janvier 2025
Association du corps préfectoral :
- M. Christophe Mirmand, préfet, directeur du cabinet du ministre des Outre-mer, président de l'Association du Corps préfectoral et des Hauts fonctionnaires du ministère de l'Intérieur ;
- Mme Bernadette Malgorn, ancienne préfète, conseillère municipale de Brest, vice-présidente de l'Association ;
- M. Éric Freysselinard, ancien préfet, conseiller aux affaires intérieures à l'ambassade de France en Espagne, directeur de l'Institut des hautes études du ministère de l'Intérieur, vice-président délégué de l'Association ;
- M. Emmanuel Aubry, préfet, vice-président de l'Association.
*
- Mme Aurélie Bretonneau, adjointe à la secrétaire générale du Gouvernement ;
- Mme Sophie Andujar, cheffe du département de l'activité normative du secrétariat général du Gouvernement ;
- M. Christian Vigouroux, président de section honoraire au Conseil d'État, chargé d'une mission en matière de régime de responsabilité pénale des décideurs publics ;
- M. Florian Roussel, maître des requêtes au Conseil d'État et rapporteur général.
Mercredi 22 janvier 2025
- M. Philippe Castanet, ancien préfet de la Lozère, directeur général des services de la Métropole du Grand Paris ;
Inspection générale de l'administration :
- M. Pascal Girault, inspecteur général de l'administration ;
- M. Renaud Fournales, inspecteur général de l'administration ;
- M. Raphaël Cardet, inspecteur de l'administration.
Mercredi 5 février 2025
- Mme Sophie Brocas, préfète du Loiret ;
- M. Jean SALOMON, préfet des Hautes-Pyrénées ;
- Mme Vanina NICOLI, Préfète secrétaire générale de la préfecture du Rhône, préfète déléguée pour l'égalité des chances ;
- M. Pascal BOLOT, préfet du Morbihan ;
- M. Augustin CELLARD, secrétaire général de la préfecture du Haut-Rhin.
RÉUNIONS PLÉNIÈRES
JEUDI 30 JANVIER 2025
- M. Thierry LAMBERT, délégué interministériel à la transformation publique.
· LISTE DES PERSONNES ENTENDUES LORS DES DÉPLACEMENTS
Lundi 13 janvier 2025 - Département du Cher
- M. Philippe Moisson, président de l'AM18 et Maire de Saint-Loup-des-Chaumes ;
- M. Olivier Hurabielle, maire de Cuffy ;
- M. Bruno Maréchal, maire de Levet ;
- M. Baptiste Tallan, 1er adjoint à la mairie de Levet ;
- M. Bernard Baucher, maire de Brinay ;
- M. Gilles Pointereau, maire de Vesdun ;
- M. Pierre Grosjean, maire de Baugy ;
- Mme Sophie Gogué, présidente de la CDC de la Septaine ;
- M. Maurice Barate, préfet du Cher
- Mme Camille de Witasse Thezy, secrétaire générale de la préfecture du Cher ;
- M. Yannick Pastoureau, directeur par intérim de la Direction Départementale des Territoires (DDT) ;
- Mme Marie-Christine Nicolich, directrice des collectivités locales et de la coordination interministérielle.
Vendredi 7 février 2025 - Département de la Lozère
- M. Gilles Quénéhervé, préfet du département, accompagné par Mme Agnès Delsol, directrice départementale des territoires ;
- Mme Régine Bourgade, maire de Mende ;
- M. Laurent Suau, président du Conseil départemental de la Lozère ;
- M. Alain Astruc, président de l'AMF du département de la Lozère ;
- M. Patrice Gintrand, architecte des bâtiments de France (ABF) chef de service de l'unité départementale de l'architecture et du patrimoine de l'Aveyron (UDAP).
LISTE DES CONTRIBUTIONS ÉCRITES
- Préfecture des Hautes-Pyrénées ;
- Assemblée des départements de France ;
- Géraldine Chavrier ;
- Laeticia Janicot ;
- Préfecture du Centre-Val de Loire ;
- Préfecture du Haut-Rhin ;
- Association du Corps Préfectoral et des Hauts Fonctionnaires du Ministère de l'Intérieur (ACPHFMI) ;
- Inspection générale de l'administration ;
- Préfecture de Haute-Garonne.
ANNEXE 1 : 10 CRITÈRES À REMPLIR POUR
RECOURIR AU DROIT DE DÉROGATION
(EXTRAIT DE LA CIRCULAIRE DU 6
AOÛT 2020)
ANNEXE 2 : EXEMPLES DE PROCÉDURES OU DISPOSITIFS AUXQUELS
LE PRÉFET PEUT DÉROGER (EXTRAIT DE LA CIRCULAIRE DU 6 AOÛT
2020)
ANNEXE 3 : DEUX EXEMPLES D'ARRÊTÉS DE DÉROGATION FACILITANT LE VERSEMENT DE LA DETR
Arrêté du 23 octobre 2020 du
préfet de la région Centre-Val de Loire
Arrêté du 2 novembre 2022 du préfet du département de Loir-et-Cher
ANNEXE 4 : UN EXEMPLE D'ARRÊTÉ DANS LE DOMAINE SOCIO-ÉDUCATIF
Arrêté du 7 mai 2024 de la préfète du département du Lot
ANNEXE 5 : LISTE NON EXHAUSTIVE DE POSSIBILITÉS DE DÉROGATIONS AUX NORMES LÉGISLATIVES OU RÉGLEMENTAIRES OUVERTES AUX PRÉFETS PAR DES TEXTES AD HOC
Norme |
Objet |
|
Autorisation dérogation de l'exécution anticipée de certains travaux de construction avant la délivrance de l'autorisation environnementale |
||
Art. L. 411-2 et R. 411-6 et suivants du code de l'environnement |
Dérogation à certaines interdictions de destruction d'espèces protégées |
|
Dérogation à l'obligation de construction d'au moins 25% de logements locatifs sociaux parmi les logements familiaux |
||
Dérogation à la limitation de la durée maximale du contrat de mixité sociale |
||
Dérogation à certaines obligations générales de qualité sanitaire ou de sécurité des bâtiments |
||
Dérogation aux montants plafonds pour l'octroi de subventions de l'État pour la construction, l'acquisition et l'amélioration de logements locatifs aidés |
||
Dérogation aux règles de repos dominical |
Avis du conseil municipal ou de l'organe délibérant de l'EPCI, sauf urgence ou autorisation pour moins de trois dimanches |
|
Dérogations aux obligations de participation minimale du maître d'ouvrage au financement de certains projets d'investissement |
Non |
* 1 Décret n° 2017-1845 du 29 décembre 2017 relatif à l'expérimentation territoriale d'un droit de dérogation reconnu au préfet.
* 2 Décret n° 2020-412 du 8 avril 2020 relatif au droit de dérogation reconnu au préfet.
* 3 628 arrêtés de dérogation ont été pris par les préfets de département et 152 par les préfets de région.
* 4 Rapport de François-Noël Buffet, rapporteur général, Mathieu Darnaud, Françoise Gatel et Jean-François Husson, co-rapporteurs, « Quinze propositions pour rendre aux élus locaux leur " pouvoir d'agir " », 6 juillet 2023.
* 5 Texte n° 463 (2023-2024) de MM. François-Noël Buffet, Mathieu Darnaud, Mme Françoise Gatel et M. Jean-François Husson, déposé au Sénat le 22 mars 2024. https://www.senat.fr/dossier-legislatif/ppl23-463.html
* 6 Dévolue aux Agences régionales de santé.
* 7 Gérées par des directions régionales ou départementales qui relèvent du ministère des finances.
* 8 Confiée au Rectorat d'académie.
* 9 Un
phénomène souligné dans le rapport :
«
À la
recherche de l'État dans les
territoires » : rapport d'information n°
909 (2021-2022) de Mme Agnès Canayer et Éric Kerrouche, fait au
nom
de la délégation aux collectivités territoriales,
déposé le
29 septembre 2022.
* 10 Agence nationale de la cohésion des territoires.
* 11 Direction du management de l'administration territoriale et de l'encadrement supérieur. Il s'agit d'une direction du ministère de l'Intérieur.
* 12 « Différenciation : la diversité des territoires dans l'unité de la République ». Rapport d'information n° 629 (2023-2024), déposé le 23 mai 2024 et signé par Françoise Gatel et Max Brisson. https://www.senat.fr/notice-rapport/2023/r23-629-notice.html
* 13 Le déplacement en Lozère s'est inscrit dans le cadre d'une réunion plénière « hors les murs » de la délégation.
* 14 Décret n° 2017-1845 du 29 décembre 2017 relatif à l'expérimentation territoriale d'un droit de dérogation reconnu au préfet.
* 15 Un acte réglementaire fixe une règle générale et impersonnelle, qui s'impose à tous, tandis qu'un acte non réglementaire (qualifié parfois d'« individuel ») s'applique exclusivement à un ou plusieurs destinataires de manière nominative).
* 16 L'article 37-1 de la Constitution dispose que « la loi et le règlement peuvent comporter, pour un objet et une durée limités, des dispositions à caractère expérimental ».
* 17 Saisi d'un recours contre ce décret, le Conseil d'État a jugé ce dernier régulier (CE, 17 juin 2019, n° 421871).
* 18 Rapport d'information n° 560 de MM. Jean-Marie BOCKEL et Mathieu DARNAUD, publié le 11 juin 2019.
* 19 Proposition de résolution en application de l'article 34-1 de la Constitution, relative à la consolidation du pouvoir de dérogation aux normes attribué aux préfets ; Texte n° 664 (2018-2019) de MM. Jean-Marie BOCKEL et Mathieu DARNAUD, déposé au Sénat le 11 juillet 2019.
* 20 Décret n° 2020-412 du 8 avril 2020 relatif au droit de dérogation reconnu au préfet.
* 21 Circulaire du 6 août 2020 relative à la dévolution au préfet d'un droit de dérogation aux normes réglementaires.
* 22 Le Conseil d'État juge en effet que les dispositions du décret attaqué n'ont pas d'incidence directe sur l'environnement.
* 23 Ce pourcentage était de 75 % en juillet 2022. Sont pris en compte tous les arrêtés depuis le décret du 8 avril 2020 qui a généralisé le droit de dérogation.
* 24 Ce point est cependant à nuancer dans la mesure où une aide à l'investissement d'une collectivité pourra bénéficier in fine à un acteur économique.
* 25 À noter que cette procédure n'est plus obligatoire depuis la circulaire « Barnier » du 28 octobre 2024 (cf infra).
* 26 « À la recherche de l'État dans les territoires » : rapport d'information n° 909 (2021-2022) de Mme Agnès Canayer et Éric Kerrouche, fait au nom de la délégation aux collectivités territoriales, déposé le 29 septembre 2022.
* 27 Un hôtel demandait au tribunal administratif de Mayotte d'annuler la décision du 22 mai 2018 par laquelle le préfet de Mayotte avait refusé de lui attribuer une subvention d'un montant de 700 000 euros au titre du Fonds européen de développement régional (FEDER). Il soutenait notamment que le préfet aurait dû mettre en oeuvre le pouvoir de dérogation, alors reconnu au préfet de Mayotte à titre expérimental. Le tribunal administratif de Mayotte puis la Cour administrative d'appel de Bordeaux rejettent ce moyen : « En se bornant à se prévaloir du développement économique et touristique sur le territoire de Mayotte et à produire une étude de marché du 1er octobre 2016 élaborée par ses propres soins, la société Tsingoni Hôtel ne justifie pas de l'existence d'un motif d'intérêt général et de circonstances locales auxquels répondrait son projet de complexe hôtelier (...). Dès lors, eu égard aux motifs de refus qui ont été opposés à la société, le préfet de Mayotte n'a pas entaché sa décision d'erreur manifeste d'appréciation en s'abstenant de faire usage de son pouvoir de dérogation. » ( CAA Bordeaux, 4e ch., 10 mai 2022, n° 20BX00332).
* 28 En application de l'article R2334-30 du CGCT, « une avance représentant 30 % du montant prévisionnel de la subvention peut être versée au vu du document informant le préfet du commencement d'exécution de l'opération ou, dans le cas d'une autorisation de commencement anticipé, lors de la notification de l'arrêté attributif ».
* 29 https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/comptes-rendus/cion_lois/l17cion_lois2425002_compte-rendu#
* 30 Circulaire du Premier ministre du 28 octobre 2024 relative à la simplification de l'action publique et l'accompagnement des projets locaux.
* 31 https://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20220718/dct_bulletin_2022-07-18.html
* 32 https://www.senat.fr/rap/r18-560/r18-560_mono.html#toc111
* 33 Rapport de François-Noël Buffet, rapporteur général, Mathieu Darnaud, Françoise Gatel et Jean-François Husson, co-rapporteurs, Quinze propositions pour rendre aux élus locaux leur « pouvoir d'agir », 6 juillet 2023.
* 34 Texte n° 463 (2023-2024) de MM. François-Noël Buffet, Mathieu Darnaud, Mme Françoise Gatel et M. Jean-François Husson, déposé au Sénat le 22 mars 2024. https://www.senat.fr/dossier-legislatif/ppl23-463.html
* 35 Arrêté du 16 avril 2021 relatif à l'interdiction de circulation des véhicules de transport de marchandises à certaines périodes.
* 36 En dehors des périodes de crise durant lesquelles des réquisitions peuvent intervenir.
* 37 Dans son rapport de juillet 2023 relatif à La capacité d'action des préfets, la Cour des comptes relevait que : « Le rôle de coordination du préfet doit intégrer l'intervention des opérateurs de l'État, dont les actions sectorielles et pilotées par leurs directions nationales ne s'articulent pas spontanément avec la mission confiée aux préfets d'assurer la cohérence globale de l'action de l'État sur un territoire donné ».
* 38 Article L. 632-2 du code du patrimoine dans sa rédaction issue de la loi n° 2016-925 7 juillet 2016 relative à la liberté de la création, à l'architecture et au patrimoine (dite « LCAP »).
* 39 « Les architectes des bâtiments de France face aux contraintes économiques et aux défis de la transition énergétique et environnementale de notre patrimoine : des pratiques à adapter, une profession à réhabiliter, un cadre de vie à préserver » de Pierre-Jean Verzelen, au nom de la mission d'information sur les ABF, rapport adopté le 25 septembre 2024. https://www.senat.fr/notice-rapport/2023/r23-780-1-notice.html
* 40 Dans son rapport de juillet 2023 consacré à La capacité d'action des préfets, la Cour des comptes relevait que : « Certaines missions confiées aux préfets sont aujourd'hui sous tension, en raison de moyens devenus insuffisants [...] Parallèlement, l'exercice des contrôles de légalité et budgétaire confiés aux préfets est fragilisé par l'érosion des moyens humaines. Il est de la responsabilité du ministère de l'Intérieur de s'assurer que la répartition des moyens permet à ses services déconcentrés de remplir leurs missions ».
* 41 À l'exception notable du champ des aides publiques. Toutefois, en pratique, les dérogations dans ce domaine portent très souvent aussi sur des règles de délais (de la présentation de la demande de subvention, de commencement ou d'achèvement des travaux).
* 42 Rapport sur l'évaluation de la mise en oeuvre du décret n°2020-412 du 8 avril 2020 relatif au droit de dérogation reconnu au préfet.
* 43 https://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20220718/dct_bulletin_2022-07-18.html
* 44 Dotation d'équipement des territoires ruraux.
* 45 Article 76 de la loi n° 2010-1563 du 16 décembre 2010 de réforme des collectivités territoriales.
* 46 Loi n° 96-142 du 21 février 1996 relative à la partie législative du CGCT.
* 47 Décret n° 2024-943 du 14 octobre 2024 relatif aux conditions de prise en charge du fonds d'aide pour le relogement d'urgence.
* 48 https://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20240401/dct_04_04_24.html
* 49 Le pouvoir réglementaire local a été consacré par la loi constitutionnelle n° 2003-273 du 28 mars 2003 relative à l'organisation décentralisée de la République. Le 3ème alinéa de l'article 72 de la Constitution dispose ainsi que « dans les conditions prévues par la loi, ces collectivités s'administrent librement par des conseils élus et disposent d'un pouvoir règlementaire pour l'exercice de leurs compétences ». Mme Géraldine Chavrier, Professeur de Droit public à l'Université Panthéon Sorbonne, a souligné lors de son audition, l'avancée de cette réforme et a regretté que le législateur ne se soit pas saisi des possibilités offertes par cette réforme de notre loi fondamentale.
* 50 https://www.senat.fr/dossier-legislatif/ppl19-682.html
* 51 Rapport du 25 novembre 2021. https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/rapports/cion_lois/l15b4721-ti_rapport-fond#
* 52 La commission s'est bornée à indiquer dans son rapport, de manière laconique, que « l'utilité de cette nouvelle conférence ne lui est pas parue manifeste ».
* 53 Dans le cadre d'une consultation en lignée lancée par notre délégation début 2021, les élus locaux ont été interrogés sur la proposition d'instaurer auprès du préfet une telle instance de concertation, composée de représentants des services de l'État et des collectivités locales. Cette idée avait recueilli 91 % de réponses positives.
* 54 La circulaire de 2020 précitée relevait que : « Dans le cadre d'un échange de bonnes pratiques et de partage d'expériences, la DMAT mettra à disposition l'outil collaboratif (...) " Droit de dérogation ", plateforme d'information et de circularisation de documents entre l'administration centrale et l'échelon déconcentré ». Lors de la phase expérimentale, ce portail numérique fut réservé aux seuls agents de préfecture, son accès a ensuite été élargi à l'ensemble des services déconcentrés de l'État ainsi qu'aux correspondants d'administration centrale désignés par les ministères intéressés.
* 55 Voir la partie I, E.
* 56 L'article 121-2 du code pénal dispose que l'État n'est pas pénalement responsable des infractions commises par ses représentants.
* 57 La question de l'intentionnalité ne concerne pas que les préfets : la délégation s'est ainsi interrogée, fin 2023, sur le recentrage de la responsabilité pénale du maire sur les situations d'infraction intentionnelle ; voir le rapport d'information « Faciliter l'exercice du mandat local », n° 215 (2023-2024), déposé le 14 décembre 2023.
* 58 Discours d'Elisabeth Borne, le 17 mai 2023.
* 59 Le CIA est lié à l'engagement professionnel et à la manière de servir. Celui des préfets comprend, depuis un arrêté du 23 novembre 2022, deux parts. Le montant de la première part est déterminé par le ministre de l'intérieur, tandis que le montant de la deuxième part, défini par le Premier ministre, est lié à l'évaluation des objectifs interministériels fixés aux préfets.