F. LA DÉTENTION ET LA CONDAMNATION DE JULIAN ASSANGE ET LEURS EFFETS DISSUASIFS SUR LES DROITS HUMAINS

1. L'intervention de M. Didier Marie

Merci, Madame la Présidente.

Je veux à mon tour féliciter notre collègue Mme Thórhildur Sunna ÆVARSDÓTTIR pour la qualité de son rapport et remercier M. Julian ASSANGE pour s'être exprimé pour la première fois depuis sa sortie de prison devant la commission des questions juridiques de notre Assemblée.

Son cas a constamment préoccupé notre Assemblée, qui avait adopté dès 2011 une résolution sur les recours abusifs au secret d'État et à la sécurité nationale en tant qu'obstacle au contrôle parlementaire et judiciaire des violations des droits de l'homme.

Le cas de Julian ASSANGE n'est pas uniquement une affaire individuelle, même si on peut imaginer l'impact de ces 14 dernières années sur sa propre personne. Son cas met en lumière la tension entre secret d'État et démocratie, entre secret d'État et respect des droits de l'homme, entre protection des intérêts des États et protection des lanceurs d'alerte.

La résolution que nous propose notre rapporteure me paraît équilibrée, dans la mesure où elle reconnaît bien la légitimité des mesures destinées à protéger de façon adéquate les secrets qui relèvent de la sécurité nationale. Mais la proposition de résolution réaffirme avec force que les informations relatives à la responsabilité des agents de l'État ayant commis des crimes de guerre ou de graves violations des droits humains ne constituent pas des secrets qui doivent être protégés.

Alors que certains considèrent parfois que le respect de l'État de droit et des droits de l'homme est quelque chose de contingent et d'ajustable, il me paraît essentiel, dans cette enceinte, de réaffirmer avec force les principes de la Convention européenne des droits de l'homme dans leur totalité. Cette convention n'est pas un menu dans lequel on pourrait piocher à sa convenance. Les droits de l'homme ne doivent pas être amoindris ou niés en fonction des circonstances.

Hier, devant la commission des questions juridiques et des droits de l'homme, Julian ASSANGE a déclaré qu'il n'était pas libre aujourd'hui parce que le système avait fonctionné mais parce qu'après des années d'incarcération, il avait plaidé coupable d'avoir fait du journalisme, d'avoir recherché des informations auprès d'une source et d'avoir informé le public de la nature de ces informations.

Notre rapporteure souligne l'enjeu de la proportionnalité des accusations portées contre lui aux États-Unis et craint que sa condamnation au titre de la loi sur l'espionnage et les mesures adoptées créent un effet dissuasif et un climat d'autocensure pour tous les journalistes, les directeurs de publication et, plus généralement, les lanceurs d'alerte.

C'est un débat de fond, exigeant et complexe sur le plan juridique, que nous permet ce rapport.

Je veux pour ma part relever que le cas de Julian ASSANGE, aux côtés d'autres affaires, a conduit à des adaptations législatives dans nombre de nos États. En France, sous la présidence de François HOLLANDE, le Parlement a adopté en 2016 une première loi sur la protection des lanceurs d'alerte, qui a fait l'objet d'une évaluation circonstanciée puis d'un ajustement en 2022, transposant notamment une directive européenne à l'initiative d'un ancien membre de cette Assemblée, Sylvain WASERMAN.

J'espère que notre débat et la résolution proposée seront entendus au-delà du seul périmètre du Conseil de l'Europe et permettront de mieux protéger la liberté d'expression et les lanceurs d'alerte.

Je vous remercie.

2. L'intervention de M. Emmanuel Fernandes

Merci, Madame la Présidente.

Chers collègues,

Madame et Monsieur ASSANGE,

Je commencerai par remercier la rapporteure pour son précieux travail, avec lequel je suis en plein accord. La raison de notre présence aujourd'hui n'est pas seulement Julian ASSANGE : nous sommes ici aussi pour Sabri AL QURASHI, un artiste qui a peint plus de 3 000 tableaux aujourd'hui et dont l'art rayonne dans le monde entier.

Sabri a été torturé pendant quinze ans à Guantánamo et libéré sans procès ni inculpation. Il a perdu plus d'un tiers de sa vie. Nous le savons grâce aux rapports d'évaluation des détenus de Guantánamo Bay de WikiLeaks, qui ont révélé l'extradition illégale et la torture de 780 hommes et garçons musulmans, dont beaucoup étaient innocents et vendus contre des primes.

Nous sommes là pour Khaled EL-MASRI, un citoyen allemand qui a été enlevé, extradé, sodomisé et torturé par huit agents de la CIA alors qu'il était en vacances en Macédoine. Nous savons également qu'il s'agissait d'un cas d'erreur d'identité pour lequel les États-Unis ont ensuite fait pression sur le Gouvernement allemand pour qu'il ne poursuive pas ses agents. Et M. EL-MASRI a utilisé les communiqués de WikiLeaks pour le démontrer à la Cour européenne des droits de l'homme, qui a statué en sa faveur.

Oui, Julian ASSANGE a oeuvré pour les droits humains en révélant l'implication d'États pourtant dits démocratiques dans des crimes inqualifiables. Il a aussi fait oeuvre d'intérêt public, et notamment pour mon pays, la France, en révélant que l'Agence nationale de sécurité américaine, la NSA, a mis sur écoute trois Présidents français entre 2006 et 2013.

En France, en septembre 2023, la journaliste d'investigation du site Disclose, Ariane LAVRILLEUX, a été placée en garde à vue pendant 39 heures et son domicile perquisitionné. Les données de son téléphone et de son ordinateur ont été collectées. Deux ans plus tôt, elle avait révélé que la France se serait rendue coupable, complice de l'exécution extrajudiciaire de centaines de personnes en Égypte.

En votant aujourd'hui en faveur du texte qui nous est soumis, nous contribuerons, avec l'écho permis par cette institution, à ce que la persécution de Julian ASSANGE ne soit pas renouvelée.

Oui, pour toutes ses révélations, pour avoir exercé son métier de journaliste de la manière la plus exigeante et la plus éclatante, Julian ASSANGE a été incarcéré en tant que prisonnier politique. En effet, la Résolution 1900 de 2012 établit clairement les critères de la détention politique. Une personne privée de sa liberté individuelle doit être considérée comme prisonnier politique si la détention a été imposée en violation de l'une des garanties fondamentales énoncées dans la Convention européenne des droits de l'homme et ses protocoles, et notamment la liberté d'expression.

Chers collègues,

Nous avons une grande responsabilité pour garantir la justice pour ceux qui ont été tués, mutilés et brutalisés dans les guerres qui ont précédé, mais également, tragiquement, pour celles en cours et qui auront lieu.

Nous devons aujourd'hui apporter notre contribution pour garantir que les journalistes ne soient pas réduits au silence ou tués en toute impunité, pour garantir que les civils puissent vivre en paix et pour favoriser une culture démocratique dans nos sociétés.

Je vous remercie.

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