N° 101

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2024-2025

Enregistré à la Présidence du Sénat le 30 octobre 2024

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la délégation sénatoriale à la prospective (1) sur « IA et éducation »,

Par MM. Christian BRUYEN et Bernard FIALAIRE,

Sénateurs

(1) Cette délégation est composée de : Mme Christine Lavarde, présidente ; MM. Daniel Guéret, Jean-Raymond Hugonet, Mme Anne Ventalon, MM. Christian Redon-Sarrazy, Jean-Jacques Michau, Guislain Cambier, Mmes Annick Jacquemet, Nadège Havet, Cécile Cukierman, Vanina Paoli-Gagin, MM. Yannick Jadot, Bernard Fialaire, vice-présidents ; MM. Bruno Belin, Stéphane Sautarel, Rémi Cardon, secrétaires ; MM. Pierre Barros, Jean-Baptiste Blanc, François Bonneau, Christian Bruyen, Christophe Chaillou, Raphaël Daubet, Vincent Delahaye, Mmes Patricia Demas, Amel Gacquerre, MM.  Roger Karoutchi, Khalifé Khalifé, Vincent Louault, Louis-Jean de Nicolaÿ, Alexandre Ouizille, Didier Rambaud, Mme Marie-Pierre Richer, MM. Pierre-Alain Roiron, Jean Sol, Mmes Sylvie Vermeillet, Mélanie Vogel.

AVANT-PROPOS

Christine Lavarde, présidente de la délégation à la prospective

À l'instar des révolutions technologiques générales que furent la machine à vapeur, l'électricité ou encore Internet, l'intelligence artificielle (IA) pourrait profondément changer la façon dont nous vivons et travaillons, et ceci dans tous les domaines. Pourtant, dans le secteur public, les expérimentations restent à ce jour limitées, les annonces modestes, et la parole très prudente.

Pour l'État, les collectivités territoriales et les autres acteurs publics, le potentiel de l'IA générative est immense. Bien utilisée, elle pourrait devenir un formidable outil de transformation de l'action publique, rendant celle-ci non seulement plus efficace - qu'il s'agisse de contrôle fiscal ou de diagnostic médical - mais aussi plus proche des citoyens, plus accessible, plus équitable, plus individualisée et finalement plus humaine - avec une capacité inédite à s'adapter aux spécificités de chaque élève, de chaque demandeur d'emploi, de chaque patient ou de chaque justiciable.

Pour autant, le secteur public n'est pas un secteur comme les autres. Si l'IA n'est qu'un outil, avec ses avantages, ses risques et ses limites, son utilisation au service de l'intérêt général ne pourra se faire qu'à condition que les agents, les usagers et les citoyens aient pleinement confiance.

La confiance, cela passe d'abord par la connaissance : par son approche sectorielle, la délégation espère contribuer à démystifier une technologie qui suscite encore beaucoup de fantasmes, et à en montrer concrètement les possibilités comme les limites.

La confiance, c'est aussi et surtout l'exigence : une IA au service de l'intérêt général, c'est une IA au service des humains (agents et usagers), et contrôlée par des humains (citoyens). C'est aussi une IA qui s'adapte à notre organisation administrative et à notre tradition juridique, et qui garantit le respect des droits et libertés de chacun. C'est, enfin, une IA qui n'implique ni dépendance technologique, ni renoncement démocratique.

QUELQUES DÉFINITIONS D'INTÉRÊT GÉNÉRAL

· Intelligence artificielle (IA) : terme apparu en 1956 qui, dans son sens actuel, désigne un programme informatique (algorithme) fondé sur l'apprentissage automatique, ou apprentissage machine (machine learning). Cette technique permet à la machine d'apprendre par elle-même à effectuer certaines tâches à partir d'un ensemble de données d'entraînement. Elle repose sur une approche statistique (IA connexionniste), par opposition à l'informatique « classique » (IA symbolique), qui consiste à suivre une suite de règles logiques préétablies (de type « SI... ET... ALORS... »).

· Apprentissage profond (deep learning) : perfectionnement de l'apprentissage automatique grâce à une organisation en réseaux de neurones artificiels, où chaque « neurone » est une fonction mathématique qui ajuste ses paramètres au fur et à mesure de l'entraînement.

Les progrès sont spectaculaires à partir des années 2010 du fait de 3 facteurs : la sophistication des modèles, la disponibilité des données, et surtout l'explosion de la puissance de calcul.

L'IA est désormais présente dans de très nombreuses applications de notre quotidien.

· IA générative : modèles d'IA comme ChatGPT spécialisés dans la création de contenus originaux et réalistes, en réponse à une instruction formulée en langage naturel (le prompt). Le contenu peut être du texte, mais aussi du code informatique, un fichier Excel, une image (Dall-E, Midjourney), un fichier audio ou vidéo (Sora), etc.

· Grands modèles de langage ou LLM (large language models) : modèles d'IA spécialisés dans le traitement du langage naturel, dans toutes les langues.

Entraînés sur d'immenses quantités de textes, ils établissent des relations mathématiques entre les mots et les notions sous-jacentes, à partir de calculs de probabilités.

Les IA génératives sont construites sur des LLM (ex. modèle GPT-4 pour ChatGPT).

Le lancement de ChatGPT, fin 2022, par la société OpenAI a provoqué dans le monde entier une prise de conscience du potentiel de l'IA générative.

Ce robot conversationnel (chatbot) permet à chacun d'accéder à un modèle à la fois :

généraliste : il peut traiter tout type de demande, là où la plupart des modèles sont spécialisés dans une tâche précise ;

multimodal : il peut générer différents contenus (texte, image, graphique, etc.), faire une recherche en ligne ou exécuter un programme informatique ;

ergonomique : les échanges se font simplement (dans un chat), en langage naturel, et ne demandent aucune compétence technique particulière ;

peu coûteux : 22 euros par mois pour le modèle le plus puissant du marché (GPT-4), gratuit pour GPT-3.5.

Quelques grands modèles de langage (LLM) concurrents de ChatGPT/GPT-44

L'ESSENTIEL

· Si le numérique a depuis longtemps fait son entrée à l'école et dans les apprentissages, le rôle croissant joué par l'intelligence artificielle (IA) vient bouleverser les approches de l'éducation en ouvrant considérablement le champ des possibles, notamment depuis le lancement de ChatGPT par OpenAI en 2022 et le développement fulgurant des systèmes d'IA générative.

· La question n'est en effet plus de décider s'il faut faire une place à l'IA dans l'éducation - elle y a déjà fait irruption - mais de savoir comment accompagner les développements en cours et répondre aux enjeux de l'éducation par et à l'IA.

· Enseignement adaptatif, suivi des apprentissages en temps réel, aide à l'évaluation, ingénierie pédagogique : nombreux sont les cas d'usage dans lesquels l'IA pourrait apporter une contribution majeure aux pratiques d'enseignement, avec des perspectives pleines de promesses pour une école plus inclusive.

· Cependant, malgré les efforts réalisés pour intégrer l'IA dans l'éducation, l'appropriation des outils par les acteurs du système éducatif - enseignants, élèves, établissements -, loin d'être systématique, apparaît encore très inégale. Utilisée massivement par les plus jeunes générations, l'IA générative reste encore peu employée dans le reste de la communauté éducative. Les inquiétudes exprimées mettent en évidence la nécessité d'accompagner les enseignants par la définition de lignes directrices claires et stratégiques et de bâtir un cadre de confiance fondé sur une approche équilibrée.

· Pour l'avenir, trois axes principaux se dégagent : mieux accompagner les acteurs de l'enseignement par la définition d'un cadre d'usage et un accès facilité aux outils disponibles ; former plus massivement et favoriser l'émergence d'une culture citoyenne de l'IA, à l'école et en dehors de celle-ci ; évaluer les outils, approfondir la recherche et expérimenter.

· Il s'agit d'assurer les enseignants de leur place toujours centrale dans le processus éducatif, de démythifier l'IA, mais aussi de faire la démonstration scientifique de la capacité de l'IA, en particulier l'IA générative, à favoriser la montée en compétences des apprenants et de transformer efficacement les façons d'enseigner.

· PREMIÈRE PARTIE
L'IA DANS L'ÉDUCATION : UN POTENTIEL D'INNOVATION CONSIDÉRABLE POUR L'ACCÈS AU SAVOIR ET LES APPRENTISSAGES

Qu'il s'agisse de personnaliser l'enseignement en l'adaptant à l'élève ou d'épauler les enseignants dans la conception des cours et l'évaluation des apprentissages, les cas d'usage de l'IA dans l'éducation sont nombreux. Cependant, faute de cadre structuré, l'appropriation de ces outils par les acteurs du système éducatif - enseignants, élèves, établissements -, loin d'être systématique, apparaît encore très inégale.

I. DES APPLICATIONS NOMBREUSES AU SOUTIEN DES ÉLÈVES, DES ENSEIGNANTS ET DU SYSTÈME ÉDUCATIF

La littérature scientifique et les institutions proposent plusieurs typologies possibles des usages de l'IA dans l'éducation1(*). De façon schématique, trois principaux domaines d'application peuvent être retenus selon que la technologie vient au soutien de l'enseignant, de l'apprenant ou du système éducatif. Ces catégories peuvent naturellement se chevaucher dès lors que les utilisations sont parfois partagées entre plusieurs acteurs.

A. L'IA COMME NOUVEL ASSISTANT PÉDAGOGIQUE DE L'ENSEIGNANT

1. L'enseignement différencié, le suivi des apprentissages en temps réel et l'aide à l'évaluation

Le laboratoire d'apprentissage de l'Inria fournit une grande variété d'activités possibles avec l'aide de technologies d'IA : « l'apprentissage personnalisé étape par étape, le regroupement dynamique des apprenants pour un travail en classe plus efficace, l'analyse des écrits des élèves et l'évaluation automatique, les chatbots d'assistance aux élèves, la génération automatique de tests, le suivi des résultats d'apprentissage des élèves, la gestion de tâches administratives telles que l'organisation des cours ou la réponse aux questions courantes »2(*).

Parmi les usages possibles de l'IA par l'enseignant, les technologies permettant de personnaliser l'enseignement en l'adaptant au profil de l'apprenant font partie des plus prometteuses. Dans le cadre de cet apprentissage « adaptatif », le système peut, à partir de l'analyse de données d'apprentissage, par exemple des résultats de réponses à des questionnaires, modifier son fonctionnement pour s'ajuster à l'utilisateur et sélectionner des contenus et un niveau de difficulté appropriés.

Avec cette approche individualisée ou différenciée, les connaissances de l'élève, ses appétences, ses capacités, mais également, s'agissant notamment de l'apprentissage des langues, son contexte socioculturel, peuvent être mieux pris en compte. L'enseignant peut rendre le processus d'apprentissage plus ludique en s'appuyant, pour chaque élève, sur le juste équilibre entre un exercice trop facile, facteur de démotivation, et un exercice trop difficile, source de découragement. Il s'agit de viser la zone proximale de développement (ZPD)3(*), c'est-à-dire l'espace cognitif situé entre la zone d'autonomie et la zone de rupture, dans lequel l'élève reste mobilisé, car il se sent capable de réussir une tâche avec une aide appropriée.

« Quand on peut, on veut ! »*
La zone proximale de développement

* Richard Prawat, ancien directeur du département de psychologie de l'éducation de l'Université du Michigan (1989)

Dans le cadre de ces nouveaux outils, un tableau de bord permet aux enseignants d'organiser et de suivre les apprentissages en classe et à la maison en gardant une vue d'ensemble des travaux effectués par les élèves et de leur progression. L'objectif poursuivi est l'amélioration du processus de remédiation.

L'exemple de « MIA Seconde » :
un outil d'apprentissage adaptatif pour un enseignement différencié

Outil de remédiation en français et en mathématiques, MIA Seconde, développé par la start-up française « Evidence B », devrait être généralisé à tous les lycéens de seconde à la terminale, selon les annonces du ministère de l'éducation nationale et de la jeunesse.

Ce service propose diverses modalités de travail permettant aux élèves de s'entraîner individuellement ou en groupe, en classe ou à la maison. Les professeurs peuvent sélectionner des exercices pour créer des parcours personnalisés, former des binômes pour encourager la collaboration, proposer des modules choisis par l'IA selon les résultats des tests de positionnement, et consulter une banque de ressources pour des activités pédagogiques supplémentaires.

L'IA fournit des indications sur les exercices pour lesquels l'élève a hésité ou rencontré des difficultés, ses forces et ses axes d'amélioration, et peut ainsi aider l'enseignant dans ses choix pédagogiques. Le tableau de bord facilite le suivi individualisé des élèves, montrant leur progression et le temps passé sur chaque activité.

Les modules couvrent des thématiques fondamentales, avec des exercices spécifiques pour les élèves en grande difficulté, comme « Réapprentissage du sens des nombres » ou encore « Fluence de décodage de la lecture » en français.

Dans le même ordre d'idées s'agissant de l'apprentissage des langues, les outils de suivi conversationnel permettent aux enseignants d'identifier des textes appropriés pour une langue particulière afin de générer des phrases, paragraphes ou exemples de conversations favorables à une interaction avec les apprenants et ainsi de mettre en place un tutorat personnalisé en compétences linguistiques.

Ces techniques d'analyse fondées sur l'IA, aujourd'hui nombreuses (par exemple, ClassPad Learning), peuvent rendre les enseignants plus réactifs en les aidant à faire passer les élèves d'une tâche à l'autre lorsqu'ils travaillent seuls ou en groupe, toujours dans le sens d'une personnalisation des apprentissages et du maintien de l'engagement des élèves.

En fournissant un retour d'information continu pendant l'apprentissage, les IA contribuent au processus d'évaluation formative en aidant les enseignants à faire le point sur les acquis de chaque élève et les compétences précises à cibler. Dans la salle de classe, l'enseignant a alors la possibilité de suivre les apprentissages en temps réel et de « traiter une classe de 25 comme une classe de 12 », selon l'expression d'Arthur Mensch4(*).

2. L'ingénierie pédagogique

Le rôle d'ingénierie pédagogique joué par l'IA générative revêt une importance croissante.

Les possibilités offertes par la multimodalité ou la génération augmentée par récupération (RAG) permettent la mise en place d'interactions riches et variées à partir de corpus choisis par l'enseignant :

· les systèmes multimodaux permettent d'enrichir les propositions interactives faites aux utilisateurs en intégrant différentes formes de données (combinaison de textes, d'images, de sons ou de vidéos) ;

· la RAG (pour « Retrieval-Augmented Generation ») permet quant à elle d'améliorer la génération de contenu en intégrant des informations externes. Cette approche combine la génération de texte et la récupération d'informations. Des sources pertinentes sont extraites d'une base de données par un système de recherche, puis un contenu est généré de manière fluide.

Le recours aux technologies d'IA générative peut ainsi servir à concevoir ou co-concevoir un programme d'enseignement, un plan de cours, une séquence pédagogique, à faciliter l'élaboration de matériel éducatif (quiz, grilles d'évaluation, tests, activités interactives) et à venir au soutien de la créativité (exemple de ClassPoint AI).

Quiz sur la Révolution française conçu avec ChatGPT

Il s'agit en quelque sorte, pour l'enseignant, d'« augmenter » sa pédagogie en l'enrichissant d'idées nouvelles, de contenus ou de choix d'illustrations, en étant assisté dans la scénarisation du cours.

Certains outils, tels que « Nolej IA » ou encore « Redmenta », permettent de transformer un support de cours statique en présentation interactive, plus mobilisante pour les apprenants.

L'exemple de « Nolej IA », outil de transformation des supports de cours

« Nolej IA » est une application qui permet de transformer des supports de cours statiques en contenus interactifs, qu'il s'agisse de vidéos, flashcards ou encore de quiz formatifs. Cet outil permet aux formateurs de générer rapidement des ressources favorisant les interactions et de stimuler l'attention des élèves en classe plus longtemps. « Nous voulons redonner le pouvoir aux professeurs, qu'ils puissent s'adapter à leurs classes, aux groupes et varier les activités sur un même sujet », explique Nejma Belkhdim, cofondatrice de Nolej IA5(*).

Cet outil est disponible dans l'environnement numérique de travail (ENT) de certaines académies où des expérimentations sont en cours.

En automatisant certaines activités, par une assistance aux tâches rédactionnelles ou la réalisation de certaines évaluations, l'IA pourrait permettre de libérer du temps pour les enseignants qui le souhaitent. Ces derniers pourraient se concentrer davantage sur la pédagogie et les élèves qui connaissent le plus de difficultés.

Plus généralement, dans un contexte où les tâches administratives se multiplient, cette technologie apporte de la souplesse dans les choix pédagogiques et permet aux enseignants de décider dans quel champ ils souhaitent le plus s'investir.

B. UN TUTEUR PARTICULIER DISPONIBLE À TOUT MOMENT POUR L'ÉLÈVE ?

1. Le soutien à l'apprentissage et l'aide aux devoirs

Si les EdTech ont progressé dans la personnalisation de l'apprentissage, avec les systèmes de tutorat individuel qui identifient les connaissances des élèves et leurs lacunes afin de leur proposer des exercices pour progresser, le plus souvent en lien avec l'enseignant, les élèves ont également de plus en plus facilement accès à des chatbots génératifs. Il s'agit de tuteurs virtuels permettant de répondre à leurs questions en temps réel, ou de programmes informatiques simulant une conversation écrite ou orale. Tout se passe comme si l'élève était assisté par un coach particulier pour l'acquisition de connaissances ou le développement de compétences, à son rythme.

En facilitant l'accès à des informations utiles extraites d'une vaste quantité de données, de nombreuses applications d'IA générative sont utilisées comme aide aux devoirs ou pour les activités d'écriture (Course Hero, Brainstory, Quillbot, Plume). Il peut s'agir d'obtenir des résumés d'ouvrages, d'identifier des ressources pertinentes ou de trouver une source d'inspiration pour amorcer une tâche rédactionnelle.

Si ces technologies ont été développées avec une visée éducative, il n'en va pas de même de ChatGPT, qui est pourtant l'IA générative la plus utilisée par les apprenants malgré son caractère généraliste.

ChatGPT 4.0 ou le nouveau « coach » numérique préféré des élèves

L'entreprise américaine OpenAI a récemment annoncé l'arrivée de ChatGPT-4o (o pour omni), une avancée majeure dans le domaine de l'IA conversationnelle. Cette nouvelle itération promet de redéfinir la manière dont les machines interagissent avec les humains, offrant des capacités inédites. Selon OpenAI, ChatGPT-4o est un « nouveau modèle phare qui peut raisonner à travers l'audio, la vision et le texte en temps réel »6(*). Ce modèle étant théoriquement accessible à tous en raison de sa gratuité, il éveille une grande curiosité parmi les utilisateurs.

L'une des caractéristiques les plus impressionnantes de ChatGPT-4o est sa capacité à s'adapter à différents styles de conversation et à comprendre le langage naturel dans ses différentes nuances. Grâce à des algorithmes de deep learning, la nouvelle version offre un potentiel immense pour fluidifier et personnaliser les « conversations » entre les humains et les machines. En effet, il est désormais possible d'interagir avec ChatGPT-4o de vive voix, « comme on le ferait avec un ami », et d'exploiter ses nombreuses nouvelles fonctionnalités : assistant vocal, traducteur, résolution de problèmes et d'équations, compréhension visuelle et auditive avancée, code, génération d'images, personnalisation du modèle...

Ces caractéristiques en font une technologie très attractive pour les élèves et les étudiants, qui peuvent y trouver un soutien scolaire personnalisé disponible en permanence, et plus largement, un outil pour l'apprentissage tout au long de la vie et la formation continue.

2. Les perspectives pleines de promesses de l'IA pour l'apprentissage inclusif

Dans le cadre de l'éducation inclusive et de la prise en compte des situations de handicap, l'IA peut contribuer à rendre les environnements d'apprentissage plus accessibles en venant au soutien des apprenants ayant des besoins spécifiques.

Des technologies utilisant l'IA peuvent par exemple être mobilisées pour aider les individus souffrant de déficiences auditives ou visuelles. Peuvent notamment être employés des outils d'assistance adaptés, comme l'activation de sous-titres ou les traducteurs automatiques en langue des signes, pour les apprenants sourds et malentendants, ou encore les lecteurs d'écran, la description audio-générée et la conversion de texte en paroles, pour les apprenants malvoyants. Ces outils pourraient leur permettre de poser des questions et de communiquer comme les autres apprenants.

Le recours à l'IA pour la détection précoce et l'accompagnement des élèves souffrant de troubles ou de difficultés d'apprentissage est également prometteur. En effet, l'analyse de certaines données comme des vidéos de réalisation d'activités d'apprentissage ou des données neurophysiologiques (rythme cardiaque, dilatation pupillaire) peut aider à identifier des apprenants souffrant de divers troubles et permettre une individualisation de leur parcours d'apprentissage.

Dans le domaine particulier de la prise en charge des troubles du développement, des applications ont été développées afin d'aider les enfants atteints de troubles du spectre autistique (TSA) à communiquer plus aisément et à favoriser leur concentration. Ces technologies peuvent traduire la parole en texte et fournir des images ou des pictogrammes visant à faciliter l'expression des émotions et l'intégration sociale.

S'agissant plus directement de l'apprentissage, des systèmes de formation intelligents ont permis à des enfants souffrant de TSA avec ou sans déficience cognitive d'améliorer leurs compétences de calcul dans les échanges monétaires, selon des résultats similaires à ceux observés chez des enfants dits « neurotypiques »7(*). Ces résultats montrent que pour ces élèves qui requièrent un accompagnement éducatif personnalisé, certaines IA éducatives seraient un soutien utile pour les enseignants spécialisés dans les unités localisées pour l'inclusion scolaire (ULIS) par exemple.

L'avenir de l'IA et des robots dans l'accompagnement des enfants souffrant de TSA

Des technologies d'IA ont été mises au point pour faciliter les interactions avec des enfants souffrant de certains troubles du spectre autistique (TSA). En réduisant l'appréhension et la peur du jugement que ressent souvent l'enfant autiste à l'idée de parler avec un adulte, des applications d'IA peuvent en effet aider les enfants autistes à communiquer plus aisément. C'est le cas du robot « Kaspar », développé par l'Université du Hertfordshire au Royaume-Uni, dont l'objectif est d'interagir avec des enfants autistes pour les accompagner dans le développement de compétences sociales fondamentales comme l'imitation ou l'acquisition de gestes du quotidien à travers le jeu, ou du robot « QTrobot », développé par l'entreprise Luxai.

Ces technologies semblent prometteuses pour le maintien en milieu scolaire ordinaire où la nécessité d'adapter les rythmes d'apprentissage et le temps passé avec l'enseignant apparaît fondamentale. Capables de percevoir des signaux invisibles à l'oeil humain et d'analyser le comportement des enfants autistes en classe, elles pourraient un jour aider les enseignants dans l'adaptation de leur approche pédagogique, comme cela a déjà été envisagé avec les outils numériques de façon plus générale8(*). Les enfants autistes bénéficieraient à la fois d'un apprentissage sur mesure et d'une relation en tête-à-tête plus approfondie avec l'enseignant. Cette perspective pleine d'espoir apparaît cependant encore lointaine, les technologies concernées étant pour l'heure cantonnées à la relation thérapeutique9(*) ou à la sphère privée et leur coût étant particulièrement prohibitif. Le niveau de preuve d'efficacité reste par ailleurs à renforcer.

C. L'IA POUR LA GESTION ET LE PILOTAGE DU SYSTÈME ÉDUCATIF

L'analyse des nombreuses données éducatives par l'IA peut enfin venir faciliter la gestion des structures éducatives, qu'il s'agisse de l'orientation des élèves ou de l'adaptation des programmes scolaires par la prise en compte des parcours et du cursus des apprenants. L'IA est ici utilisée comme outil de diagnostic, de planification et d'allocation des ressources.

1. L'orientation

Des outils d'aide à l'orientation basés sur l'IA peuvent servir à la construction de parcours personnalisés et venir en appui du pilotage des politiques éducatives. La plateforme nationale de préinscription en première année de l'enseignement supérieur, Parcoursup, permet ainsi depuis 2018 aux candidats de formuler des voeux d'admission dans des formations et de proposer aux décisionnaires, sur le fondement d'un algorithme national, d'algorithmes locaux et d'algorithmes d'apprentissage, des classements pédagogiques lorsque les capacités d'accueil d'une formation ne permettent pas de satisfaire les souhaits de l'ensemble des candidats.

Cependant, comme l'ont montré les débats sur Parcoursup, en raison de leur approche déterministe et des risques de biais et d'erreurs inhérents aux technologies d'IA, ce type de systèmes, qui entrent dans la catégorie des IA à haut risque en vertu de la réglementation européenne, exige des efforts d'explicitation et de transparence accrus10(*).

2. Le repérage des élèves en difficulté

L'OCDE fait par ailleurs état de systèmes d'alerte précoce utilisant des données administratives pour identifier les élèves à risque de décrochage et indique que « bien qu'il soit difficile d'identifier un ensemble pertinent d'indicateurs précoces, certains systèmes montrent une grande précision et une réflexion approfondie sur les raisons du décrochage »11(*).

Des méthodes de traitements massifs de données, des modèles d'arbres de décision ou de réseaux bayésiens peuvent en effet être utilisés pour identifier les apprenants en difficulté ou ceux qui ont une probabilité élevée de l'être et, en conséquence, être plus réactif dans leur accompagnement par un travail sur les leviers de motivation ou d'autres facteurs de risque susceptibles de faire basculer dans l'absentéisme ou le décrochage.

Dans le même esprit, selon les usages en développement répertoriés par l'Unesco, certains systèmes d'IA générative pourraient effectuer des diagnostics à partir de conversations avec les utilisateurs, en identifiant des problèmes psychologiques ou socio-émotionnels, mais aussi des difficultés d'apprentissage.

3. Le suivi de la participation des élèves

D'un usage beaucoup plus controversé, des innovations technologiques se concentrent sur l'évaluation de la participation et de la motivation des élèves12(*), en classe ou à distance, par l'analyse des mouvements oculaires ou d'autres caractéristiques du visage, allant jusqu'à l'utilisation de capteurs physiques et physiologiques comme cela est expérimenté en Chine. En cas de détection d'une baisse d'engagement, l'enseignement serait adapté. Ce cas d'usage pose naturellement des questions éthiques.

L'élève « augmenté » ou l'avancée de trop : vers les limites éthiques de l'IA dans l'éducation

La question de l'apport des neurotechnologies à l'éducation fait l'objet d'une attention croissante. Ces neurotechnologies comprennent des outils et techniques qui interagissent directement avec le système nerveux humain pour modifier ou améliorer ses fonctions. Dans le contexte éducatif, cela pourrait inclure des interfaces cerveau-ordinateur (« brain-computer interfaces »), la stimulation cérébrale et le neurofeedback. Ces technologies visent à optimiser la concentration, la mémoire et les capacités d'apprentissage. L'intégration de ces technologies avancées dans l'éducation ne peut que susciter des réserves, surtout lorsqu'il s'agit d'enfants.

L'IA pourra-t-elle, en synergie avec ces neurotechnologies, analyser les données neurophysiologiques pour adapter les contenus éducatifs en temps réel ? Ajuster les tâches en fonction de l'état de distraction ou de fatigue pour maintenir la concentration et la motivation ? Fournir des feedbacks précis sur les performances cognitives ? Il va de soi que l'idée d'implanter des dispositifs dans le cerveau des enfants ou d'utiliser des techniques de stimulation cérébrale, qui convoque la vision de l'élève augmenté, inspirée du concept de l'homme augmenté, soulève de nombreuses questions inquiétantes.

Aussi, la collecte de données neurophysiologiques comporte des enjeux cruciaux de confidentialité et de sécurité tandis que la surveillance constante et l'intervention directe dans le fonctionnement du cerveau ne peuvent rester sans effet sur le développement mental et émotionnel des enfants. Les possibilités offertes par la combinaison des neurotechnologies et de l'IA dans l'éducation doivent être abordées avec la plus grande prudence.

Le tableau ci-après fournit une vue d'ensemble des différents cas d'usage possibles de l'IA dans le milieu éducatif. Les systèmes répertoriés se caractérisent par des degrés de disponibilité et de déploiement très variables et, pour certains d'entre eux, par des objectifs et des usages nettement controversés au regard de l'éthique si bien que leur adoption n'apparaît clairement pas souhaitable.

Typologie des systèmes d'IA pour l'éducation selon Holmes & al.13(*)

IA au service des élèves

Systèmes de tutorat intelligents

L'élève suit un programme (séquence d'activités, de tests) qui s'adapte à sa progression et son niveau en analysant les réponses données. L'enseignant dispose parfois d'un tableau de bord pour suivre l'avancée.

Applications assistées par l'IA (par exemple, mathématiques, synthèse vocale, apprentissage des langues)

Le système résout automatiquement un problème (mathématique ou traduction linguistique).

Simulations assistées par l'IA (par exemple apprentissage par le jeu, réalité virtuelle, réalité augmentée)

Il s'agit de modèles d'apprentissage par le jeu, de réalité virtuelle ou de réalité augmentée, qui peuvent être utilisés à des fins éducatives.

IA pour aider les apprenants ayant des troubles d'apprentissage

Ces technologies s'adressent aux élèves souffrant de troubles d'apprentissage ou de situations de handicap. Certaines contribuent au diagnostic (trouble déficitaire de l'attention avec ou sans hyperactivité (TDAH), dyslexie, dysgraphie). Robots utilisés pour accompagner des enfants souffrant de troubles autistiques.

Rédaction automatique d'essais

Génération de textes en réponse à un prompt grâce aux LLM (large language models)

Agents conversationnels (chatbots)

L'élève interagit avec un programme informatique qui simule et traite une conversation humaine orale ou écrite. Des assistants digitaux évoluent pour personnaliser leurs réponses à mesure qu'ils collectent et analysent des informations.

Évaluation formative automatique

Applications qui utilisent le traitement en langage naturel (TLN), la sémantique et d'autres technologies d'IA pour fournir des commentaires critiques sur les devoirs des élèves

Orchestrateurs de réseaux d'apprentissage

Systèmes qui permettent à des apprenants d'être mis en relation avec des tuteurs humains, évalués par d'autres apprenants engagés dans le même programme d'apprentissage, en fonction des questions posées, dans une démarche d'entraide soutenue par l'IA

Systèmes de tutorats basés sur le dialogue

IA qui simule le dialogue entre l'apprenant et son tuteur, selon une méthode de questionnement socratique appuyant l'apprenant dans son cheminement

Environnements d'apprentissage exploratoire

Les apprenants sont encouragés à construire leurs propres connaissances en explorant les ressources mises à leur disposition dans leur environnement d'apprentissage.

Assistant d'apprentissage tout au long de la vie assisté par l'IA

Technologie qui suivrait l'apprenant tout au long de sa vie dans un objectif d'apprentissage continu

IA au service de l'enseignant

Détection de plagiat

Technologie permettant de mettre en évidence des textes ayant un style d'écriture similaire à celui d'un texte existant ou d'une intelligence artificielle générative de textes

Curation intelligente du matériel d'apprentissage

Technologie permettant d'effectuer une veille sur un domaine d'activité donné puis de sélectionner l'information considérée comme pertinente avant de la proposer de façon claire et organisée à une audience cible

Surveillance de la classe

Technologies qui permettent de surveiller les comportements des élèves en classe, par exemple les mouvements oculaires afin de s'assurer de leur attention

Évaluation sommative automatique

Évaluation et notation des travaux des élèves par l'intelligence artificielle, comprenant éventuellement des conseils aux élèves pour corriger leurs erreurs

IA d'assistance de l'enseignement (y compris assistant d'évaluation)

Aide dans l'évaluation des travaux, par exemple par la reprise de remarques déjà formulées précédemment, pour un gain de temps

Orchestration de la salle de classe

Aide pour organiser les activités en tenant compte des contraintes de temps et d'espace notamment

IA au service des institutions

Admissions (par exemple, sélection des élèves)

Technologie qui faciliterait les processus de sélection par la prise en compte de plusieurs paramètres liés au profil du candidat

Planification des cours

Aide à l'organisation des emplois du temps

Identification précoce des décrocheurs

Aide à l'identification des apprenants en risque d'absentéisme ou de décrochage

e-Proctoring

Surveillance des examens à distance (caméras et microphones assistés par l'IA pour surveiller les visages et les mouvements de clavier et souris)

II. UN RECOURS ENCORE TRÈS INÉGAL ET EN ORDRE DISPERSÉ

A. UN RECOURS IMPORTANT CHEZ LES JEUNES, DES PRATIQUES TRÈS HÉTÉROGÈNES CHEZ LES ENSEIGNANTS

Si les applications potentielles de l'IA dans l'éducation sont nombreuses, le recours à ces outils innovants reste très inégal. Il est largement engagé chez les jeunes, mais globalement faible chez les enseignants, dont l'acculturation se fait encore en ordre dispersé.

Les informations dont disposent les services ministériels ne permettent pas de disposer d'un recensement exhaustif des usages de l'IA par les enseignants et les élèves. Cependant, les témoignages recueillis et les renseignements collectés dans diverses enquêtes convergent : marqué par un certain fossé générationnel, l'usage de l'IA est déjà massif chez les plus jeunes et il n'en est qu'à ses balbutiements dans les pratiques enseignantes.

Sans surprise en effet, la prévalence de l'IA générative dans les habitudes des jeunes générations enregistre un niveau élevé : un sondage réalisé auprès de lycéens scolarisés en région Nouvelle-Aquitaine révèle ainsi que plus de 90 % des élèves de seconde l'avaient déjà utilisé pour s'aider à faire leurs devoirs14(*).

L'enquête effectuée par l'agence Heaven en juin 202415(*) indique également que 85 % des jeunes âgés de 18 à 21 ans avaient utilisé l'IA générative au cours des six mois précédant l'enquête, l'usage étant qualifié d'également « bien avancé » chez les 13-14 ans.

Utilisation des outils d'IA générative chez les jeunes de 18 à 21 ans

Source : Heaven, 499 répondants de 18 à 21 ans, juin 2024

83 % des jeunes interrogés ont recours aux outils d'IA générative dans le cadre de leur scolarité ou de leurs études. Près de la moitié des utilisateurs y auraient recours pour la révision de leurs cours16(*).

Parmi les outils d'IA générative, ChatGPT s'impose comme le modèle dominant, affichant une prévalence d'utilisation de 75 % des sondés, en particulier pour réaliser des synthèses, des traductions, voire la création de textes.

L'utilisation de l'IA générative est encore très corrélée à la tranche d'âge : une enquête Ifop/Talan indique que près de 70 % des 18-24 ans l'utilisent personnellement contre 47 % des 25-34 ans et seulement 22 % des 35 ans et plus17(*). Cependant, les pratiques évoluent très vite : en un an, le nombre d'utilisateurs aurait crû de 60 %.

Lorsqu'ils sont interrogés sur leur perception des outils d'IA générative, les élèves sont enclins à relever la patience infinie de ces systèmes, leur bienveillance, et le fait qu'ils se mettent à leur portée, sans jugement de valeur.

Dans l'enseignement supérieur, selon les résultats d'un sondage de novembre 2023 de l'Institut Sphinx pour le logiciel Compilatio18(*), plus de la moitié des étudiants (55 %) déclaraient utiliser un outil d'IA générative au moins occasionnellement. S'agissant des objectifs poursuivis, 43 % déclaraient avoir recours à l'IA comme d'un assistant à la rédaction, seuls 28 % d'entre eux reformulant néanmoins le texte produit avant de livrer leur travail.

À l'inverse, 56 % des enseignants de l'enseignement supérieur disaient connaître les outils d'IA sans jamais les utiliser et 9 % ne les connaissaient pas, 8 % en utilisaient régulièrement et 27 % occasionnellement. Au total, 65 % des enseignants n'utilisaient pas d'IA générative.

Au sein de l'Éducation nationale, en l'absence de démarche structurée et de cadre d'usage partagé, le recours des enseignants à l'IA résulte largement d'initiatives individuelles ou d'expérimentations à petite échelle malgré la mise à disposition d'outils par le ministère au titre de la stratégie pour l'IA déployée depuis 2018. En effet, selon les informations collectées, les outils institutionnels demeurent globalement méconnus et les usages avancés sont rares. L'intégration des outils d'IA dans la pédagogie reste largement fonction de l'appétence de chacun.

Les technologies d'IA qui ne respectent pas les exigences de la réglementation sur la protection des données (RGPD) n'étant pas accessibles dans l'enceinte des établissements scolaires, elles ne peuvent être utilisées pour préparer les enseignements que dans la sphère privée. Dans ce contexte, une fracture significative persiste entre adultes et adolescents.

Dans l'enseignement supérieur, où prévaut le principe d'autonomie des établissements et où les pratiques et avancées apparaissent très hétérogènes, plusieurs grandes écoles s'organisent pour prendre en compte les usages de l'IA et réfléchir aux moyens d'enseigner l'IA et d'enrichir les enseignements par l'IA.

Certaines d'entre elles, en particulier les écoles de management comme « Neoma Business School » ont mis en place des outils d'apprentissage adaptatif et des stratégies de formation à l'IA de l'ensemble des étudiants et des enseignants. Cependant, ces développements restent encore l'apanage de quelques établissements précurseurs disposant des moyens adéquats et la diffusion d'une culture de l'IA reste globalement balbutiante.

B. LA FRANCE AU NIVEAU INTERNATIONAL : UNE POSITION INTERMÉDIAIRE

Malgré les études réalisées par l'Unesco et l'OCDE sur le déploiement de l'IA dans les différentes parties du monde, les éléments permettant de situer la France dans une perspective internationale ou au sein de l'Union européenne restent relativement peu fournis.

S'agissant de la formation des enseignants à l'IA, selon les données de l'enquête réalisée par l'Unesco en 2023 sur l'utilisation de l'IA pour l'éducation par les gouvernements19(*), seuls sept pays (Chine, Espagne, Finlande, Géorgie, Qatar, Thaïlande, Turquie) avaient déclaré avoir élaboré ou être en train d'élaborer des cadres ou des programmes de formation sur l'IA à l'intention des enseignants : « Cela montre clairement que dans la plupart des pays, les enseignants n'ont pas accès à une formation bien structurée sur l'utilisation de l'IA dans l'éducation. »

Seuls quatre pays (Chine, Jordanie, Malaisie, Qatar) avaient par ailleurs indiqué que leurs autorités avaient validé et recommandé des outils assistés par l'IA pour soutenir l'accès inclusif des apprenants handicapés.

En ce qui concerne plus spécifiquement l'IA générative, une enquête internationale du Capgemini Research Institute révèle que, dans l'enseignement secondaire, la majorité des enseignants ont expérimenté ChatGPT à titre professionnel, les proportions allant de 52 % pour Singapour et les Pays-Bas à 70 % pour les États-Unis. Plus d'un tiers des utilisateurs y ont eu recours pour gagner du temps dans leur travail.

En ce qui concerne l'accès à ChatGPT, les pratiques divergent fortement : 48 % des enseignants sondés indiquent que leur école a limité, voire bloqué, son utilisation, par exemple en la proscrivant pour les devoirs ou en bloquant l'accès sur les réseaux et appareils scolaires.

De manière générale, on observe néanmoins une prise de conscience de l'importance de l'IA générative en tant que compétence clef sur le futur marché du travail et de ses effets considérables sur les méthodes d'apprentissage et d'évaluation.

L'enquête conclut en effet que 58 % des enseignants du secondaire estiment que la capacité à interagir avec les systèmes d'IA constituera une compétence requise pour les emplois de demain, la proportion d'enseignants partageant ce point de vue étant un peu plus élevée au lycée (62 %) qu'au collège (46 %).

Cette vision prédomine aux États-Unis (74 %) et au Royaume-Uni (70 %), relativement loin devant la France (49 %). Ces chiffres semblent refléter une culture de l'IA comparativement plus ancrée dans le domaine éducatif des pays anglo-saxons, en particulier les États-Unis et le Royaume-Uni.

L'intelligence artificielle dans l'éducation au Royaume-Uni et aux États-Unis

Le Royaume-Uni se distingue par une adoption proactive de l'IA dans l'éducation. Le Gouvernement a notamment développé des stratégies nationales pour l'IA, en incluant l'éducation comme un secteur clé. Les « UK AI Strategy »20(*) et « UK Digital Strategy »21(*) mettent en avant l'importance de l'IA pour améliorer le fonctionnement des systèmes éducatifs. Ces stratégies visent à garantir que les technologies de pointe soient utilisées pour personnaliser l'apprentissage, améliorer les résultats scolaires et préparer les étudiants aux défis futurs dans un monde de plus en plus numérique. Divers projets pilotes ont été lancés avec des entreprises pour tester l'efficacité de l'IA dans les salles de classe. Par exemple, l'entreprise Century Tech crée des plateformes d'apprentissage qui aident les enseignants à identifier les lacunes des élèves et à adapter leurs méthodes d'enseignement.

En outre, le gouvernement britannique soutient activement la formation des enseignants pour qu'ils soient en capacité d'utiliser efficacement les technologies basées sur l'IA. Des programmes de développement professionnel continu (DPC) sont mis en place pour aider les éducateurs à se familiariser avec ces nouvelles technologies et à les intégrer dans leurs pratiques pédagogiques.

Le Royaume-Uni met également l'accent sur la recherche, notamment au sein de ses universités, telles que celles d'Oxford et de Cambridge. Par exemple, l'Oxford Internet Institute explore l'utilisation de l'IA pour analyser les données d'apprentissage et prédire les résultats scolaires. À l'Université de Cambridge, le Centre for Data-Driven Discovery (C2D3) utilise l'IA pour personnaliser l'apprentissage et optimiser les interventions éducatives. L'université ouverte du Royaume-Uni a développé le système « OU Analyse » qui permet d'identifier des étudiants risquant d'échouer à un examen afin de les orienter précocement vers un système de tutorat.

Dans un rapport publié en janvier 2024, le Parlement britannique appelle à la poursuite de ces efforts de recherche et de formation tout en insistant sur les enjeux de protection des données et de réduction des inégalités numériques22(*).

Aux États-Unis, l'intégration de l'IA générative dans le système scolaire en est encore à ses débuts, mais des initiatives et des utilisations croissantes de cette technologie sont visibles dans divers contextes éducatifs. L'accent est mis sur la capacité à rechercher des informations, développer un esprit critique et collaborer en groupe, des compétences essentielles pour l'adoption de technologies avancées comme l'IA générative. Des start-up éducatives comme Socratic by Google utilisent l'IA pour fournir des explications détaillées et générer des réponses aux questions des élèves en temps réel. Ces outils permettent une interaction immédiate et personnalisée dans l'objectif de contribuer à un apprentissage autonome des étudiants.

L'intégration de l'IA générative dans les universités américaines est également en pleine expansion. Plusieurs se sont investies dans la recherche sur l'IA dans l'éducation. Stanford a exploré l'utilisation de modèles de langage génératifs pour aider les étudiants en rédaction, particulièrement dans les cours de composition. Ces outils assistent les étudiants dans la génération d'idées, la structuration de leurs essais et l'amélioration de leur style d'écriture.

De son côté, Harvard23(*) utilise l'IA générative pour aider les chercheurs et les étudiants dans la recherche académique. Des outils comme Semantic Scholar, qui utilisent des modèles d'IA pour résumer et analyser des articles de recherche, facilitent l'exploration de grandes bases de données de littérature scientifique.

Le système éducatif américain étant en outre plus enclin à utiliser les IA facilitant la correction de copies, la recherche porte également sur le renforcement qualitatif de ces systèmes, à l'instar de Writing Pal développé par l'Arizona State University qui fournit des commentaires individualisés pour améliorer les qualités rédactionnelles des étudiants. Enfin, l'University of Central Florida a développé TechLivE, qui permet aux enseignants de tester leurs pratiques pédagogiques dans le cadre d'une simulation avec des avatars d'élèves.

Dans le cadre de « France 2030 », des efforts substantiels sont désormais réalisés afin d'accroître la diversité et les capacités d'accueil des formations d'excellence à l'IA dans l'enseignement supérieur.

Afin d'encourager l'émergence de pôles de formation de rang mondial dans le domaine de l'IA, les neuf universités et grandes écoles sélectionnées en mai 2024 dans le cadre de l'appel à manifestation d'intérêt « IA-clusters » piloté par l'Agence nationale de recherche (ANR) proposent, outre un écosystème de recherche sur une grande variété de sujets, des formations complètes spécialisées en IA. Le projet « PRAIRIE » de l'Université Paris Sciences et Lettres (PSL) vise en particulier à fédérer des acteurs académiques et industriels autour de la recherche en IA tout en proposant des formations innovantes (masters, doctorats) pour répondre aux enjeux futurs de l'IA.

Parallèlement, le dispositif « Compétences et Métiers d'Avenir » (CMA) doit permettre d'accélérer l'adaptation des formations aux besoins des filières économiques concernées et de développer significativement les places de formation, en particulier dans les écoles d'ingénieurs et de management.

DEUXIÈME PARTIE
POUR UNE INTÉGRATION EFFICACE ET RESPONSABLE DE L'IA DANS L'ÉDUCATION : ACCOMPAGNER, FORMER, ÉVALUER

Dans un contexte où le marché de l'IA dans l'éducation connaît une expansion importante, soulevant des questions sociétales et éthiques majeures, des principes directeurs consensuels ont été fixés au niveau international pour orienter les politiques publiques. Il faut reconnaître à la France le mérite d'avoir pris la mesure de l'importance des développements en cours et d'avoir entrepris des actions pour intégrer l'IA dans le service public de l'éducation.

Cependant, il manque des lignes directrices claires et un cadre de confiance qui permettraient de tirer tout le parti des potentialités permises par l'IA et d'entrevoir une « hybridation » réussie des pratiques d'enseignement. Pour l'avenir, une attention accrue devra être portée à l'accompagnement et la formation des acteurs, l'émergence d'une culture citoyenne de l'IA et la poursuite de l'évaluation des outils disponibles et de la recherche.

I. UNE VISION STRATÉGIQUE D'ENSEMBLE ET UN CADRE D'USAGE QUI RESTENT À PRÉCISER, UN CLIMAT DE CONFIANCE À BÂTIR

A. DES PRINCIPES DIRECTEURS CONSENSUELS FIXÉS AU NIVEAU INTERNATIONAL

De grandes orientations ont été définies par les institutions internationales pour encadrer l'utilisation de l'intelligence artificielle dans l'éducation. En vertu du consensus de Beijing24(*) adopté par l'Unesco, les parties prenantes sont notamment invitées à :

· planifier l'IA dans les politiques de l'éducation, en gardant notamment à l'esprit le caractère pluridisciplinaire de l'IA et de ses effets ;

· mettre l'IA au service de l'autonomisation des enseignants et de leur enseignement, l'éducation devant continuer de reposer essentiellement sur l'interaction et la collaboration humaines ;

· soutenir le développement de nouveaux modèles et envisager l'application de solutions d'IA novatrices lorsque les avantages l'emportent clairement sur les risques ;

· développer les valeurs et compétences nécessaires dans la vie et au travail à l'ère de l'IA ;

· exploiter le potentiel de l'IA pour offrir à tous des possibilités d'apprentissage personnalisé tout au long de la vie ;

· promouvoir une utilisation équitable et inclusive de l'IA dans l'éducation ;

· veiller à une utilisation éthique, transparente et vérifiable des données éducatives et des algorithmes ;

· garder à l'esprit l'absence d'études systématiques sur les effets des applications de l'IA dans l'éducation et adopter une approche interdisciplinaire de la recherche sur l'utilisation de l'IA dans l'éducation.

Il convient d'apporter des « réponses politiques appropriées visant à intégrer systématiquement l'intelligence artificielle (IA) dans l'éducation [...] et à utiliser l'IA comme un levier afin d'accélérer la mise en place de systèmes éducatifs ouverts et flexibles, offrant à tous des possibilités d'apprentissage tout au long de la vie équitables, pertinentes et de qualité ».

Unesco, 2021

Ces principes directeurs ont été approfondis dans les travaux ultérieurs de l'Unesco, qui a notamment mis au point un « guide pour les décideurs publics »25(*). Leur esprit est partagé par les institutions européennes (Conseil de l'Europe et Union européenne) qui ont également élaboré un cadre éthique sur l'utilisation de l'IA.

Au sein de l'Union européenne, le règlement européen sur l'IA (« AI Act ») dont l'entrée en vigueur échelonnée est fixée au 1er août 2024, constitue la première législation générale au monde en la matière. Elle privilégie une approche fondée sur les risques en classant les systèmes d'IA en quatre niveaux (risque inacceptable, haut risque, risque spécifique en matière de transparence et risque minimal).

S'agissant de l'éducation, les systèmes d'IA qui contribuent à déterminer l'accès ou l'affectation aux établissements d'enseignement ou à évaluer les étudiants sont classés parmi les utilisations à haut risque. Parmi les applications interdites figurent notamment les systèmes de reconnaissance des émotions dans les établissements d'enseignement ou encore les systèmes de notation basés sur le comportement social ou les caractéristiques personnelles.

B. DES EFFORTS CERTAINS POUR INTÉGRER L'IA DANS L'ÉDUCATION EN FRANCE

En France, l'Éducation nationale s'est emparée du sujet de l'IA dès 2018 dans le cadre de la stratégie du numérique pour l'éducation et de la stratégie nationale pour l'intelligence artificielle (SNIA), rattachée au volet « maîtrise de technologies numériques souveraines et sûres » du plan France 2030. Des moyens non négligeables ont été consacrés à la définition de services numériques s'appuyant sur l'IA et à l'élaboration de ressources permettant aux enseignants de se former à l'IA.

1. Le succès mitigé des outils mis à la disposition des enseignants dans le cadre des P2IA

Plusieurs outils numériques intégrant des techniques d'IA, élaborés dans le cadre de partenariats d'innovation (P2IA), ont été mis à la disposition des professeurs des écoles pour accompagner l'apprentissage personnalisé du français et des mathématiques. Les dépenses associées à la première vague de P2IA s'élèvent à 17,76 millions d'euros à ce jour, incluant l'acquisition des licences d'utilisation.

Les premiers partenariats d'innovation en intelligence artificielle (P2IA)

Un premier marché public portant sur un partenariat d'innovation pour cinq services numériques pédagogiques basés sur l'IA a été lancé en 2018. Co-conçus par des entreprises de la filière EdTech, des laboratoires de recherche et des équipes pédagogiques (Dane, IEN, ERUN) dans le cadre d'adaptations continues à partir de retours d'expérience, ces services permettent de proposer une différenciation des exercices et d'évaluer régulièrement les compétences des élèves de CP, CE1 et CE2 en français et mathématiques. Le nombre d'utilisateurs potentiels est estimé à 53 000 professeurs et 1,3 million d'élèves.

Trois nouvelles séries de P2IA sont en cours de construction ou en projet avec :

· le lancement en 2024 d'un partenariat pour le cycle 3 (classes de CM1, CM2 et de 6e) en français, mathématiques et en langues vivantes (anglais, espagnol, italien et allemand), avec un budget dédié de 16 millions d'euros ;

· la publication imminente d'un partenariat pour les apprentissages fondamentaux des élèves du cycle 4 du collège et du lycée et pour les enseignants (assistance dans le suivi et analyses, évaluations et corrections, productions d'activités d'enseignement), avec un budget de 20 millions d'euros ;

· un projet de partenariat destiné aux enseignants du secondaire et éventuellement du supérieur (jusqu'à BAC+3), portant sur les « gestes enseignants » et visant à acculturer et outiller les enseignants pour les accompagner dans leurs pratiques professionnelles. Les services proposés incluraient les évaluations, en particulier les corrections de productions écrites ou orales réalisées par des élèves individuellement ou en groupe. Cette assistance permettrait d'accompagner les élèves dans les épreuves du brevet, du baccalauréat et, le cas échéant, du premier cycle du supérieur. Le service proposé s'appuierait sur un « mix » de technologies d'IA, dont de l'IA générative. Le budget prévisionnel est estimé à 14 millions d'euros.

De réels efforts sont ainsi réalisés pour la mise en place d'outils définis selon une logique participative, au plus près du terrain. Cependant, le nombre d'utilisateurs reste très variable si l'on se réfère au nombre de licences utilisées. Les services disponibles n'ont pas tous à ce jour connu une pleine montée en puissance.

Services numériques P2IA cycle 2

Nombre de licences utilisées au printemps-été 2024

Lalilo

25 428

Navi

5 044

Adaptiv'Math

5 822

Mathia

6 431

Smart Enseigno

2 978

D'autres ressources acquises dans le cadre de la commande publique sont par ailleurs proposées aux enseignants, telles que « Captain Kelly », assistant vocal pour l'apprentissage de l'anglais à l'école élémentaire (du CP au CM2) permettant notamment de développer la compréhension orale et la prononciation26(*).

En dehors de ces outils, le ministère de l'éducation nationale identifie près d'une vingtaine de services d'IA utilisés de façon éparse dans le cadre d'initiatives individuelles pour les mathématiques, les lettres, les sciences ou encore les langues vivantes.

2. Les limites des grands modèles de langage dans le cadre scolaire

Pour l'ensemble des ressources existantes, les services ministériels se montrent particulièrement vigilants sur la question du traitement des données à caractère personnel.

Au-delà des services numériques qu'il fait développer ou qu'il soutient, le ministère souligne en effet ne pas être en mesure d'identifier des IA qui soient conformes aux exigences juridiques et éthiques dans les usages scolaires des élèves. Il s'agit notamment des enjeux liés à la mise à jour des données, aux biais, aux possibles erreurs factuelles, au droit d'auteur ou encore à l'absence d'informations sur les sources utilisées. Le ministère a d'ores et déjà indiqué, s'agissant de l'IA générative, que ChatGPT « n'est pas utilisable dans un cadre scolaire, seules sont possibles des utilisations à titre individuel, sous le régime du contrat privé »27(*).

Ignorant si d'autres applications complémentaires ou concurrentes comme Bing Chat (moteur de recherche de Microsoft qui intègre GPT-4) ou Perplexity respectent les règles du RGPD, il invite les enseignants à ne pas les faire utiliser directement par les élèves, d'autant plus que les conditions d'utilisation de ces services peuvent évoluer rapidement.

Les LLM : une performance élevée qui ne doit pas cacher leurs limites pour un usage scolaire

Les grands modèles de langage (LLM) sont des réseaux de neurones entraînés sur de grandes quantités de données. Il s'agit de modèles probabilistes, capables de prédire la suite d'une série de mots.

La pertinence des LLM est liée à leur sensibilité au contexte. Capables de fournir des réponses structurées dans n'importe quel langage et dans tous les formats, ils fluidifient les liens entre l'humain et la machine.

Ces modèles sont souples, le fine-tuning permettant de les modifier par une deuxième phase d'entraînement pour les adapter à nos besoins. Cependant, même après un entraînement qui permet de les améliorer afin d'en faire des outils efficaces dans une large variété de tâches, les LLM présentent toujours des limites :

- ils n'ont pas de mémoire à court terme, c'est-à-dire des conversations passées ;

- du fait de leur caractère probabiliste, ils peuvent répondre différemment à un même prompt ;

- les données dont ils dépendent sont souvent périmées, car liées aux données utilisées lors du premier entraînement ;

- leur grande envergure peut avoir pour corollaire un coût élevé et une lenteur dans la génération de réponses ;

- en raison de leur caractère généraliste, ils nécessitent des données spécifiques pour bien répondre dans un contexte particulier comme la salle de classe ;

- enfin, les LLM peuvent halluciner, notamment parce qu'ils ont tendance à répondre à un prompt même quand ils ne savent pas.

3. Se servir en classe d'une IA maîtrisée et conforme aux principes éthiques

Dans ce contexte, le développement d'un service d'IA générative souverain dédié à l'éducation est en cours avec le projet OpenLLM France. Celui-ci s'inscrit dans l'ambition plus vaste d'élaborer des « communs numériques » via un appel à projets financé par les crédits d'investissement de France 2030.

L'objectif poursuivi est de se fonder sur des corpus de données d'apprentissage publics et ouverts, des algorithmes documentés pour en assurer l'explicabilité et de proposer une licence d'utilisation libre. Les premiers usages en classe sont attendus courant 2024 dans les académies volontaires pour une utilisation plus généralisée à la rentrée 2025.

L'enjeu de la sensibilité et de la qualité des données est ainsi pris en compte, avec la nécessité d'accéder à des modèles d'IA formés sur des données validées au niveau institutionnel ou par les enseignants eux-mêmes.

Sans attendre l'élaboration de ce modèle, une initiative intéressante a vu le jour au sein de l'académie d'Aix-Marseille avec la mise au point expérimentale d'un petit langage de modèle (SML) mobilisable directement en classe, « IA AnSu ».

Il s'agit de « reprendre le pouvoir » face aux Gafam en gardant la maîtrise du système. Cette expérimentation bénéficie de l'intérêt fort pour l'IA de la direction régionale académique du numérique éducatif (Drane) de l'académie d'Aix-Marseille et de la mobilisation de la communauté de réflexion en éducation autour de l'intelligence artificielle (Creia).

« IA AnSu » : une expérimentation dans l'académie d'Aix-Marseille

Comment faire pour que l'IA devienne un agent utile en classe ? C'est la question posée par le projet « IA AnSu » engagé fin 2023 par la direction régionale académique du numérique éducatif (Drane) de l'académie d'Aix-Marseille.

Ce projet consiste à utiliser les propriétés du LLM, en l'occurrence celui de Mistral, pour l'adapter à des besoins éducatifs et en faire un assistant éducatif en classe au collège.

À l'issue d'un travail d'éducation du modèle, comportant à la fois une optimisation du contexte (enrichissement des informations) et celle de son comportement, les auteurs du projet ont mis au point un modèle de langage plus petit, plus rapide et plus économe en ressources.

Source : Alexandre Castanet et Jean-Baptiste Civet (Drane Paca)

https://www.pedagogie.ac-aix-marseille.fr/jcms/c_11193342/fr/ansu-une-ia-slm-en-classe

Une refonte en profondeur du modèle doit aboutir à une interface didactique grâce à une bonne ergonomie facilitant le prompt, dotée d'un indice de performance appelé « Score DNB » fondé sur des tests corrigés par un humain, nourrie de cours pour assurer une pertinence et dotée d'une posture pédagogique qui lui permet de se spécialiser (fine-tuning). Chacun de ces aspects doit faire l'objet de tests en classe. L'interface pourra être personnalisée en fonction des besoins spécifiques des enseignants et des élèves.

L'objectif est de pouvoir se servir d'une IA maîtrisée de bout en bout, experte, conforme au RGPD et frugale. Pour l'utilisateur, les avantages d'AnSu sont qu'elle utilise le langage naturel, adopte une forme dialectique avec des questions/réponses et peut jouer différents rôles (assistant pédagogique, correcteur, répétiteur, exerciseur, manuels scolaires...). L'outil doit s'adapter à tous les niveaux jusqu'au lycée et à toutes les disciplines. Il peut répondre à une diversité de profils et de besoins.

Question piège permettant d'évaluer la sensibilité au contexte : c'est quoi un polo crocodile ?

Réponse de AnSu : Un polo crocodile est en réalité une référence à la marque de vêtements « Lacoste ». Cette marque a été créée par le célèbre joueur de tennis français René Lacoste dans les années 1930. Le crocodile est le symbole et le logo de la marque, il est brodé sur les polos qu'elle produit.

Source : Alexandre Castanet et Jean-Baptiste Civet (Drane Paca)

La construction du projet doit se poursuivre grâce aux retours d'expérience de « testeurs ».

4. Les efforts pour développer des ressources sur l'IA en éducation pour les enseignants

Au-delà des outils, des initiatives visant à valoriser l'IA auprès des enseignants et aider la communauté éducative à acquérir une compréhension générale sur l'IA ont vu le jour dans le cadre de coopérations transfrontalières, à l'instar du projet européen « Intelligence artificielle pour et par les enseignants » (AI4T).

Il s'agit d'un projet Erasmus+ de trois ans, développé par la France, l'Irlande, l'Italie, le Luxembourg et la Slovénie, pour étudier et encourager l'utilisation de l'IA par les enseignants du cycle secondaire en mathématiques, en sciences et en anglais. Ce projet a débouché sur la mise à disposition d'un MOOC accessible en cinq langues et fournissant un ensemble cohérent de ressources sur l'IA en éducation. De façon complémentaire, un manuel ouvert, élaboré par la Chaire Unesco RELIA a été publié en octobre 2022 puis actualisé en janvier 2024 pour tenir compte de l'arrivée des IA génératives28(*).

Le réseau Canopé, opérateur du ministère chargé de la formation continue des enseignants depuis 2020, s'est quant à lui engagé dès décembre 2022 de manière proactive dans des actions de formation à l'intelligence artificielle en proposant des ressources pédagogiques ainsi que des études relatives aux IAG29(*).

Enfin, le ministère indique qu'un guide des usages numériques actuellement en préparation devrait être disponible durant l'année scolaire 2024-2025 avec des exemples d'usages pédagogiques et didactiques intégrant l'IA.

Du côté de l'enseignement supérieur public, les services d'ingénierie pédagogique des universités privilégient les démarches de remontée et de valorisation des initiatives individuelles ainsi que les échanges de bonnes pratiques. Certaines grandes écoles ont adopté des stratégies de formation plus vastes de leurs personnels aux enjeux de l'IA.

C. MAIS UN CLIMAT DE CONFIANCE QUI MANQUE À L'APPEL

Malgré cela, la déstabilisation et les incertitudes engendrées par le développement rapide des systèmes d'IA générative, couplées au retard pris dans la définition d'une doctrine d'usage partagée, sont de nature à renforcer les inquiétudes exprimées par certains acteurs de la communauté éducative, dont plusieurs n'hésitent pas à souligner l'impréparation des écoles, et plus largement de la France.

Les craintes qui s'expriment plus ou moins fortement chez une partie des enseignants sont multiples. Elles portent à la fois sur l'avenir du métier d'enseignant et la question de la souveraineté du système éducatif français au regard des technologies utilisées ainsi que sur les conséquences de celles-ci sur les compétences les plus fondamentales que chaque élève est censé acquérir durant sa scolarité.

· Est notamment pointée l'absence de démarche claire et structurée pour définir l'équilibre à privilégier entre la préservation de la liberté pédagogique et la réflexion d'ensemble sur les usages de l'IA, les bonnes pratiques, l'intérêt pédagogique des applications ou encore les supports utilisés. De nombreux enseignants s'interrogent sur la posture à adopter et leur légitimité face à des élèves qui ont pris l'habitude de manier les outils d'IA. Dans certains cas, ils vivent comme une injonction contradictoire l'encouragement à intégrer l'IA dans les pratiques professionnelles, l'exercice de la liberté pédagogique et le fait de ne pas pouvoir convier en classe les outils d'IA générative.

· Les inquiétudes sont également vives sur la transformation à l'oeuvre du métier d'enseignant, certains redoutant une forme de « dépossession » de leur métier s'il était, à terme, relégué à un rôle de « simple technicien informatique » dans la mesure où l'IA s'introduit dans les missions relevant du coeur même du métier, par exemple l'évaluation.

· Si une partie des enseignants reconnaissent que les technologies d'IA peuvent faire gagner du temps dans la réalisation de certaines tâches, d'autres estiment au contraire que le temps nécessaire à l'appropriation des outils et à la mise à jour des connaissances ainsi que le temps passé à vérifier l'existence d'erreurs ou de biais sont plutôt de nature à alourdir leur charge de travail.

· De grandes inquiétudes sont par ailleurs exprimées sur la capacité de l'IA générative à produire des résultats originaux impossibles à distinguer de la production humaine. En facilitant la triche, voire le plagiat, l'arrivée tonitruante de ChatGPT a pu provoquer une forme de sidération dans les établissements d'enseignement. La facilité d'utilisation de l'IA générative grâce au traitement du langage naturel complexe et contextuel est vécue comme un facteur de fragilisation.

· Nombre d'acteurs soulignent le manque de preuves scientifiques sur les apports pédagogiques de l'IA et l'efficacité des outils disponibles pour faire progresser les élèves et les accompagner vers la réussite.

· Dans ce contexte et à une époque où les résultats obtenus par le système éducatif français dans les évaluations internationales ne sont pas bons, est plus particulièrement pointé le risque de voir s'éroder encore davantage les compétences fondamentales (lecture et écriture, pensée critique, faculté d'autoévaluation), les capacités d'attention et de mémorisation, mais également le développement du lien social, tous indispensables pour forger l'intelligence de l'élève.

· Le développement d'une dépendance à quelques grandes entreprises dominant le marché mondial et non soumises à la réglementation européenne constitue une critique récurrente.

· Enfin, au-delà du débat sur le manque de moyens dont souffre le service public de l'éducation, de nombreuses voix considèrent qu'il faut également prendre en compte les usages de l'IA dans les discussions sur l'exposition des jeunes aux écrans et ses enjeux en termes d'éducation et de santé publique.

Qu'en pensent les syndicats d'enseignants ?

Une minorité d'entre eux ont arrêté une position officielle sur le sujet de l'IA dans l'éducation compte tenu de la rapidité des évolutions. Leur réflexion est néanmoins marquée par une extrême prudence, la crainte d'une « dépossession » du métier d'enseignant étant très prégnante. Tous rappellent que l'IA ne saurait être la priorité de l'école française en raison des nombreuses crises traversées par l'Éducation nationale.

Cela étant, les syndicats estiment qu'il faut s'emparer du sujet dans la mesure où les circonstances l'imposent.

L'Unsa Éducation et le SE-Unsa s'interdisent tout avis péremptoire et définitif sur le sujet dès lors que les technologies et les outils utilisant l'IA dans l'éducation sont jugés « immatures ». Ils reconnaissent toutefois les nombreuses opportunités offertes par les IA pour adapter, personnaliser, prendre en compte la diversité des élèves, créer des séries d'exercices, servir de support pour la prise de recul, et libérer du temps pour des tâches d'élaboration et d'accompagnement. Cependant, ces syndicats estiment que l'intégration de l'IA dans les pratiques d'enseignement en est encore à ses balbutiements dès lors que les IA génératives sont à ce stade incapables de détecter les erreurs de raisonnement ou de les expliquer et qu'en l'état actuel des choses, l'apprentissage adaptatif demeure selon eux utopique, voire dystopique.

Le point de vue général du Snalc sur l'enseignement à l'aide de l'IA est également empreint d'une grande inquiétude face à ce qui est identifié comme un « risque d'ingérence des entreprises privées » et de remise en cause de l'essence même du métier d'enseignant. Le syndicat insiste en particulier sur l'absence de preuves scientifiques quant à l'efficacité des outils d'IA dans l'éducation par rapport aux méthodes plus traditionnelles.

Le FSU-SNUipp semble partager ces préoccupations, en insistant sur le décalage entre la rapidité avec laquelle l'IA fait irruption dans le système scolaire et l'insuffisance de l'information des personnels.

L'ensemble des syndicats insistent sur les besoins de formation très importants des enseignants et la relative impréparation des établissements scolaires. Le respect de la liberté pédagogique, impliquant la possibilité de choisir en toute connaissance de cause les outils d'IA les plus adaptés, reste pour tous un point cardinal.

De façon schématique, la communauté éducative apparaît scindée entre une minorité d'« early adopters », qui constitue néanmoins une force motrice, les personnalités curieuses mais prudentes, dont les questionnements peuvent constituer un frein à l'appropriation des outils, et ceux qui sont très critiques et réfractaires. Ces derniers se sentent mis en danger et considèrent que l'IA complexifie la relation entre élèves et enseignants.

Toutes légitimes, les inquiétudes exprimées mettent en évidence la nécessité de bâtir un cadre de confiance fondé sur une approche équilibrée ni « technopessimiste » ni « technosolutionniste ». Cela implique tout d'abord d'assurer les enseignants de leur place centrale dans le système éducatif, de démythifier l'IA, mais aussi de faire la démonstration scientifique de la capacité de l'IA à favoriser la montée en compétences des apprenants et d'accompagner la transformation des façons d'enseigner.

II. ÉTHIQUE, ACCOMPAGNEMENT, FORMATION ET RECHERCHE : RÉUNIR LES CONDITIONS D'UNE IA SOURCE D'INNOVATION DANS L'ÉDUCATION

A. QUELS SCÉNARIOS DE DÉPLOIEMENT DE L'IA DANS L'ÉDUCATION ?

Plusieurs scénarios de déploiement de l'IA dans l'éducation sont envisageables pour les prochaines années. L'analyse montre qu'ils dépendent essentiellement de deux variables : d'une part, du degré de mise à disposition par les pouvoirs publics d'outils ayant fait la preuve de leur efficacité, d'autre part, du degré d'acculturation des utilisateurs. À partir de ces variables, le schéma ci-dessous propose quatre grands scénarios.

Dans le scénario « pessimiste », caractérisé par la mise à disposition de peu d'outils d'IA et une faible acculturation à ces outils, on observe que peu de technologies d'IA seraient disponibles à l'école, en raison d'une grande prudence sur les risques supposés de l'IA qui pourrait aller jusqu'à un moratoire sur les expériences d'IA générative les plus avancées, ou bien en raison d'un dégonflement de la bulle financière. Les acteurs de l'éducation se seraient peu emparés des outils. Dans ces conditions, le système éducatif ne connaîtrait que peu d'évolutions et pourrait s'éloigner des tendances à l'oeuvre dans d'autres pays du monde.

À l'autre extrémité, dans le scénario « optimiste », le potentiel des IA est bien exploité, avec des outils et des usages ciblés, et les acteurs de l'éducation s'y sont acculturés grâce à un accompagnement et une formation adaptés. Dans ce scénario, les enseignants exploitent pleinement le potentiel d'individualisation et de différenciation de l'IA et l'éducation enregistre des améliorations tangibles.

Deux scénarios intermédiaires font apparaître de forts contrastes entre des usages encore modestes et inégaux mais encadrés par des règles éthiques bien définies, et des usages en ordre dispersé hors de toute régulation.

Scénarios de déploiement de l'IA dans l'éducation en fonction des degrés de mise à disposition d'outils éprouvés et d'acculturation des acteurs

B. POUR UNE INTÉGRATION EFFICACE DE L'IA DANS L'ÉDUCATION : MIEUX ACCOMPAGNER, FORMER, ÉVALUER

Les enjeux éthiques de l'IA revêtent une sensibilité toute particulière dans l'éducation, où les données exploitées sont le plus souvent celles d'adultes en construction et où la masse des informations et connaissances disponibles rend critique la capacité de discernement des utilisateurs.

On ne peut donc que réaffirmer avec vigueur les principes qui doivent guider toute réflexion dans ce domaine : humanisme, transparence et explicabilité, sécurité et protection des données sensibles.

S'agissant en particulier de la sécurité des données, pour laquelle l'Éducation nationale s'appuie sur un comité d'éthique pour les données de l'éducation, mis en place en 2019, il s'agit notamment d'éviter le profilage des élèves et de garantir le recours à des algorithmes transparents et vérifiables.

L'utilisation équitable et inclusive de l'IA constitue un autre enjeu majeur : si l'usage efficace des technologies disponibles demeure l'apanage des élèves les mieux lotis et formés, l'aggravation des inégalités en éducation sera inéluctable.

Il faut enfin préserver un équilibre entre technologie et pédagogie et être au clair sur les capacités réelles de l'IA, qui ne doit pas menacer l'interaction humaine. L'apprentissage doit rester un acte social.

Une fois ce cadre éthique posé, il convient d'identifier dans quelle mesure et à quelles conditions l'IA, en accompagnant enseignants et élèves vers la réussite, pourra être utilisée comme une réelle source d'innovation dans l'éducation.

Pour aller vers une utilisation optimale de l'IA dans l'éducation, trois axes principaux se dégagent : mieux accompagner les acteurs de l'enseignement par l'explicitation d'un cadre d'usage ; former et favoriser l'émergence d'une culture citoyenne de l'IA, à l'école et en dehors de celle-ci ; évaluer les outils et approfondir la recherche.

AXE N° 1 : MIEUX ACCOMPAGNER LES ACTEURS DE L'ENSEIGNEMENT
a) Partager une doctrine et un cadre d'usage conciliant liberté pédagogique et innovation

La vague massive de l'IA générative et les nombreuses interrogations qui en découlent constituent un défi de taille pour le service public de l'éducation, déjà confronté à de multiples difficultés. Dans ce contexte, l'instauration d'un climat de confiance nécessite la définition d'une doctrine et d'un cadre d'usage qui, tout en préservant la liberté pédagogique, permettent l'innovation. Les enseignants doivent disposer de lignes directrices claires et structurantes.

Dans quels buts utiliser l'IA ? Avec quels outils ? Les élèves doivent-ils pouvoir utiliser l'IA pour leurs devoirs, voire lors des examens, comme c'est déjà parfois le cas avec les calculatrices et les logiciels de traitement de texte ? Quelle place pour l'IA dans l'évaluation des travaux ? Chaque enseignant doit être éclairé sur les outils disponibles et les possibilités offertes ainsi que sur les précautions d'usage et savoir quelle posture adopter pour tenir compte de l'accès des apprenants à l'IA générative.

b) Réfléchir avec les enseignants à la transformation des manières d'enseigner et d'évaluer

Parallèlement, les enseignants doivent être associés à la réflexion sur la façon dont l'IA transforme les pratiques éducatives. Il faut nécessairement réenvisager ce qui doit être appris, comment et à quelles fins ainsi que la manière dont les apprentissages doivent être évalués.

Du point de vue des sciences cognitives et de l'éducation, l'utilisation sans discernement de l'IA générative pour les devoirs à la maison fait courir le risque d'un « court-circuitage » de l'effort cognitif nécessaire à un apprentissage efficace30(*). Le ton apparemment très assuré des IA génératives et l'image associée d'une « super-intelligence » « peut amener de nombreux élèves à surestimer à la fois les compétences IAGen et leurs propres compétences, limitant le développement et l'expression de leur curiosité, de leur esprit critique et de leur métacognition qui sont pourtant essentiels à des apprentissages efficaces et motivants. Ces effets sont amplifiés par l'absence de posture pédagogique dans le comportement des IA génératives. »31(*)

L'Unesco appelle à « empêcher l'utilisation de la GenAI lorsqu'elle priverait les apprenants de la possibilité de développer leurs capacités cognitives et leurs compétences sociales par l'observation du monde réel, par des pratiques empiriques pouvant être des expériences, des discussions avec d'autres humains, ou par un raisonnement logique indépendant ».

Unesco, 2023

Les modes d'évaluation habituels doivent donc être repensés, en particulier la conception des devoirs écrits pour éviter que les outils d'IA ne servent à les accomplir sans effort. Dans cet esprit, le développement des IA génératives doit conduire le système éducatif à s'intéresser davantage au processus d'écriture, de création et d'apprentissage que simplement au « produit final ». Cela renvoie à la pensée computationnelle, c'est-à-dire à la capacité de structurer et d'organiser une tâche complexe en sous-tâches pour résoudre un problème.

c) Apprendre à apprendre et maintenir une motivation intrinsèque à apprendre

Pour prévenir le risque de perte de compétences et être capable de se passer d'IA, l'enjeu est également d'apprendre à apprendre : dans une démarche d'autonomisation, les élèves doivent acquérir des compétences métacognitives pour être capables d'adopter une stratégie d'utilisation et d'évaluation des systèmes et apprendre à être résistants à l'erreur.

Enfin, du point de vue des neurosciences et de la psychologie, l'engouement pour l'IA et la « gamification », qui encourage l'apprenant à réaliser un exercice par un mécanisme de récompense, invite à une certaine prudence. Pour un apprentissage durable et de qualité, l'enjeu est de préserver la capacité d'attention et une motivation intrinsèque à apprendre.

d) Mieux accompagner les enseignants dans le déploiement des solutions d'IA mises à leur disposition en leur permettant de les expérimenter en conditions réelles

Comprendre l'IA et connaître les outils ne suffit pas à s'en saisir. Afin d'éviter de produire et de mettre à la disposition des écoles des outils éprouvés qui restent inutilisés, la question de l'acceptation des technologies d'IA par les enseignants, dont il faut prendre en compte les points de vue et les besoins, reste primordiale. Elle renvoie à l'accompagnement et à la conduite du changement.

S'agissant des outils d'IA à visée éducative déployés par le ministère de l'éducation nationale dans le cadre des P2IA, de l'avis général, ils demeurent relativement peu utilisés. Indépendamment de la question des moyens et des infrastructures, deux obstacles principaux paraissent freiner leur adoption : d'une part, le manque de temps disponible pour s'acculturer à ces outils dans un contexte où les enseignants font face à de multiples sollicitations, d'autre part, un préjugé souvent négatif sur le numérique à l'école en général et sur l'IA en particulier.

Pourtant, selon les chercheurs, il s'agit de systèmes « modestes mais utiles », développés en tenant compte des apports des sciences cognitives. L'attention portée aux conditions de déploiement des nouvelles ressources est importante pour permettre leur appropriation et éviter un effet de surcharge cognitive chez les utilisateurs qui évoluent dans un environnement où les informations et le matériel pédagogique ne manquent pas.

Ceci plaide pour un accompagnement des enseignants dans l'expérimentation des outils en conditions réelles et pour l'intégration des technologies d'IA dans les scénarios pédagogiques accessibles par exemple dans l'« Edubase » validée par les inspections. Il s'agit de confronter les enseignants directement aux outils afin qu'ils puissent en évaluer par eux-mêmes les capacités et les limites. Une majorité du corps enseignant n'a pas encore expérimenté tout le potentiel de ces technologies dont il s'est construit une représentation trop imprécise.

e) Faire des choix techniques permettant à chaque enseignant d'accéder facilement aux outils d'IA éducatifs qu'il souhaite parmi un ensemble de solutions référencées

La recherche d'un meilleur accompagnement des enseignants ne peut faire l'économie d'une réflexion sur les infrastructures et les choix techniques. Il s'agit de faciliter l'accès des enseignants aux IA éducatives de leur choix.

Une enveloppe de crédits dédiée permettrait d'en simplifier l'achat via un « compte ressources », tel que le projet en avait été imaginé par le ministère avant d'être abandonné faute de financement32(*), ou la généralisation d'un « cartable numérique » qui serait une avancée majeure. Dans cette attente, des progrès doivent être réalisés dans l'interopérabilité des systèmes utilisés par les collectivités territoriales et l'interfaçage des espaces numériques de travail (ENT) avec le gestionnaire d'accès au réseau (GAR), ce qui suppose l'adoption de normes communes.

AXE N° 2 : FORMER À L'IA ET FAVORISER L'ÉMERGENCE D'UNE CULTURE CITOYENNE DE L'IA
a) Inclure l'IA dans la formation initiale et continue des enseignants et des autres professionnels de l'éducation

Les efforts de formation à l'IA déployés en direction des acteurs de l'éducation doivent viser non seulement les enseignants au cours de leur formation initiale et continue mais également l'ensemble des cadres du premier et du second degré de l'enseignement, en particulier le corps des inspecteurs, lesquels doivent être en capacité d'accompagner et de conseiller efficacement les enseignants dans leurs choix et les parcours pédagogiques.

Pour créer un climat de confiance et dépasser le sentiment de déclassement parfois ressenti, le rôle central des enseignants dans l'accès à la connaissance doit être valorisé. Des formations adaptées doivent être proposées pour que ces acteurs voient dans l'IA un outil au service de leur pédagogie et non une menace.

Compte tenu de la vitesse d'évolution des technologies basées sur l'IA, notamment générative, la formation doit cibler avant tout les compétences nécessaires à la compréhension et à l'utilisation des outils, leurs implications pour l'humanité, et non pas seulement les outils eux-mêmes, et contribuer ainsi à leur « démystification ».

b) Doter les élèves et les citoyens d'une culture générale de l'IA
(1) Intégrer dans la formation scolaire et universitaire une approche interdisciplinaire obligatoire sur l'IA, permettant d'en saisir les enjeux technologiques mais aussi sociaux et éthiques

· Mettre en place un parcours pédagogique cohérent à l'école

S'agissant de la formation des élèves à l'IA, la question de savoir s'il faut concentrer l'enseignement de l'IA dans une seule matière ou, compte tenu de son caractère pluridisciplinaire, distiller des notions d'IA dans plusieurs d'entre elles reste ouverte. En tout état de cause, il convient d'écarter toute approche qui conduirait à n'aborder que les aspects techniques ou, au contraire, uniquement les dimensions sociales, historiques et éthiques. Le socle de connaissances minimal à acquérir doit bien porter sur le fonctionnement social et technique des IA et des grands modèles de langage.

En l'état actuel des programmes, l'éducation aux médias et à l'information (EMI) des deuxième et troisième cycles ainsi que l'enseignement moral et civique auraient vocation à sensibiliser les élèves au potentiel et aux limites de l'IA. Le cours de technologie obligatoire en 6e, qui permettait d'acquérir des notions pour la maîtrise de l'informatique et des outils numériques, aurait constitué le lieu idéal pour aborder le fonctionnement des technologies d'IA, comme c'est le cas avec l'enseignement de tronc commun des « sciences numériques et technologie » (SNT) au lycée (classes de seconde) ; on ne peut que regretter sa suppression en 2023.

Afin de prendre en compte la nature transversale de l'IA, il est désormais nécessaire qu'une réflexion soit menée par le conseil des programmes sur une intégration de l'IA dans les différents champs disciplinaires et qu'un parcours pédagogique cohérent soit mis en place.

· Généraliser la prise en compte de l'IA dans le supérieur

Dans l'enseignement supérieur, au-delà des efforts réalisés pour mettre en place des parcours de formation d'excellence dans le domaine de l'IA, l'intégration de l'IA dans les formations universitaires doit également s'inscrire dans une approche interdisciplinaire et faire son entrée partout en France et dans d'autres disciplines que celles actuellement concernées, en particulier en médecine ou dans les sciences humaines.

Il pourrait être envisagé d'inclure dans les cursus de premier cycle (niveau licence) un module obligatoire sur l'IA, à l'image de la mise en place à l'horizon 2025 d'un socle minimal de connaissances et de compétences relatif à la transition écologique pour un développement soutenable (TEDS) dans la formation de tous les étudiants de premier cycle de l'enseignement supérieur et de la recherche33(*).

De plus, les efforts de formation de formateurs doivent être renforcés, la demande de professionnels qualifiés en IA dépassant l'offre disponible et les besoins éducatifs allant croissant.

Parallèlement, des programmes de formation continue doivent être développés et surtout labellisés pour permettre aux professionnels de mettre à jour leurs compétences et tenir compte de la rapidité des évolutions. Les formations faisant aujourd'hui référence concernent un public restreint compte tenu notamment de leur coût34(*).

Enfin, favoriser un usage pertinent de l'IA dans l'enseignement supérieur ne peut aller sans faire des choix technologiques ambitieux en fournissant aux établissements les ressources matérielles nécessaires (serveurs, plateformes cloud sécurisées permettant de partager des modèles d'IA spécifiques et souverains) et les faisant accéder à des modèles d'IA optimisés (fine-tuning) ainsi que des plateformes de RAG dédiés aux différentes disciplines enseignées.

(2) Faire de l'IA le 6e domaine du certificat de compétence numérique PIX

Enfin, il conviendrait d'intégrer un module d'IA au programme d'acquisition de la certification PIX, dont l'obtention est obligatoire pour les collégiens de 3e, les élèves en classe de terminale et ceux en dernière année d'études post-bac suivies en lycée, et qui est également accessible à tout autre public (étudiants de l'enseignement supérieur, agents publics, etc.).

(3) Rappeler l'importance fondamentale des compétences langagières et mathématiques et des compétences dites « du 21e siècle » dans la formation des élèves

L'utilisation efficace et la compréhension des IA génératives, comme les modèles de langage avancés, requièrent une maîtrise des apprentissages fondamentaux en langues, mathématiques et sciences. Faute de cela, les élèves courent un risque accru d'exclusion.

En outre, aider les élèves à vivre collectivement dans un environnement numérique et médiatique caractérisé par l'omniprésence de l'IA implique de renforcer leur autonomie et les compétences humaines (ou « compétences du 21e siècle ») : pensée critique, communication, collaboration, créativité.

Source : Franck Bodin, chef de projets communs numériques et mixité, réseau Canopé

Il s'agit d'éclairer les élèves sur ce qui ne peut relever que de l'humain, comme donner du sens à une information, de leur apprendre à déceler un point de vue, à vérifier une source ou la pertinence des réponses fournies, à faire la différence entre moteur de recherche et agent conversationnel, ou encore de les sensibiliser aux biais algorithmiques.

Source : Ministère de l'éducation nationale et de la jeunesse, Intelligence artificielle et éducation - Apports de la recherche et enjeux pour les politiques publiques, janvier 2024

De ce point de vue, pour faire prendre conscience de la nature faillible de l'IA et des biais cognitifs propres aux êtres humains, les outils d'IA générative pourraient opportunément constituer une brique de l'environnement de travail de la classe. La capacité des élèves à formuler des questions circonstanciées ou contextualisées et précises et à remettre en question l'exactitude des réponses obtenues doit faire l'objet d'une attention particulière. Il s'agit d'ailleurs d'une demande de certains parents d'élèves qui souhaitent que l'acquisition de compétences comme la rédaction d'une requête pertinente et l'analyse du résultat obtenu puisse s'effectuer de manière progressive tout au long de la scolarité35(*).

À cet égard, se pose plus particulièrement la question de l'âge à partir duquel il convient de faire accéder les apprenants aux outils d'IA générative, l'Unesco recommandant de fixer celui-ci à 13 ans, soit un âge auquel la capacité de compréhension et d'analyse des résultats est suffisamment avancée36(*).

(4) Inciter les établissements scolaires et d'enseignement supérieur à diffuser une culture de l'IA, permettant d'en acquérir une connaissance objective, selon diverses modalités comme les « cafés IA » associant tous les acteurs intéressés y compris les parents d'élèves

Parce que la compréhension de ce qu'est une IA, de son fonctionnement et de ses implications dans la vie quotidienne concerne chaque citoyen, la Commission de l'intelligence artificielle a souhaité que soient réunies « les conditions d'une appropriation collective de l'IA et de ses enjeux afin de définir collectivement les conditions dans lesquelles elle s'insère dans notre société et nos vies quotidiennes »37(*).

Elle appelle de ses voeux la création de nombreux espaces d'échange dans les lieux publics, appelés « cafés IA ». Le principe de ces ateliers ou « cafés IA » pourrait être adopté à l'échelle de chaque établissement scolaire ou de l'enseignement supérieur, ce qui permettrait d'informer, de sensibiliser et de soutenir des publics variés, au premier rang desquels les parents d'élèves. Cela donnerait par ailleurs l'occasion de faire davantage connaître les ressources disponibles pour se former et acquérir une première approche de l'IA38(*). L'enjeu est bien de doter chaque citoyen des connaissances nécessaires pour lui permettre un usage responsable de l'IA générative et de participer de façon éclairée aux choix sociétaux.

AXE N° 3 : ÉVALUER LES OUTILS ET POURSUIVRE LA RECHERCHE
a) Garantir une évaluation indépendante des technologies d'IA mises à la disposition des enseignants et des élèves dans le cadre scolaire

Le dispositif des P2IA constitue en France un avantage indéniable par rapport à d'autres pays. Porté par une administration centralisée, il permet en effet à un consortium de partenaires publics et privés de construire ensemble des outils choisis selon des critères pédagogiques, techniques et juridiques dans un temps court, de l'ordre de 18 à 24 mois, du prototype expérimental et de la pré-industrialisation au passage à l'échelle et à l'exploitation. Les besoins réels des enseignants et des élèves sont ainsi pris en compte dans le cadre d'une phase d'expérimentation et d'adaptation.

Cependant, ce délai ne permet pas de réaliser une évaluation scientifique approfondie des outils dans le temps long. Or, la démarche d'évaluation est indispensable pour garantir leur pertinence et éviter les désillusions. La valeur ajoutée de l'IA doit être étudiée et démontrée dans le cadre d'études avec essai randomisé contrôlé (force de la preuve).

De manière générale, il manque aujourd'hui une évaluation indépendante des outils d'IA mis à la disposition du corps enseignant par l'institution, les analyses d'impact étant la plupart du temps réalisées par les fournisseurs de services eux-mêmes et l'efficacité des outils n'étant souvent analysée qu'à l'aune des notes obtenues par les utilisateurs39(*).

Pourtant l'enjeu va bien au-delà de la notation : il est de déterminer si les IA contribuent à développer chez les apprenants des compétences transférables, qui leur soient utiles au-delà du contrôle continu et du bachotage, dans la perspective d'une « éducation durable ».

b) Approfondir la recherche sur les effets de l'IA générative et poursuivre les expérimentations
(1) Créer un observatoire de l'IA à l'école

Historiquement, l'IA a longtemps relevé du champ des sciences cognitives pour modéliser et mieux comprendre l'intelligence humaine. Ce rapport s'est en quelque sorte inversé : l'IA générative généraliste a été développée sans réflexion particulière sur les usages, sans tenir compte de l'apport des neurosciences, a fortiori dans l'éducation, et avec l'objectif principal de fournir des réponses le plus rapidement possible. Dans son rapport de 2023 relatif aux « orientations pour l'intelligence artificielle dans l'éducation et la recherche », l'Unesco indiquait ainsi que « les efforts déployés pour affiner les modèles de base en vue d'une utilisation plus ciblée des GPT dans l'éducation ne sont qu'à leurs débuts ».

Ainsi, les experts en sciences cognitives et sciences de l'éducation soulignent que les preuves manquent quant à la capacité de l'IA, en particulier générative, à améliorer les résultats d'apprentissage et la compréhension du processus d'apprentissage lui-même. Parce qu'elles exigent une inscription dans le temps long et des moyens, les études sont rares.

Une terra incognita

« La vitesse de ce développement est telle que les études scientifiques permettant de mieux comprendre les usages et leurs impacts sont encore très rares car elles nécessitent un temps incompressible de mise en place et de vérification. On peut dire que globalement, d'un point de vue scientifique, c'est une terra incognita : on sait peu et nombreuses sont les questions ouvertes. »

Pierre-Yves Oudeyer, Centre Inria de l'Université de Bordeaux, septembre 2024

D'où la nécessité d'approfondir la recherche en sciences cognitives et sciences de l'éducation sur l'impact de l'IA générative sur les apprenants et les enseignants, les façons de travailler, l'émergence de nouvelles formes d'apprentissage (tâches réalisées, modes d'utilisation, attitude des utilisateurs entre contentement et pensée critique) ou encore de ses effets sur la capacité de concentration et de travail en équipe, le développement cognitif, émotif et relationnel et l'inventivité.

La mise en place d'un observatoire public de l'IA à l'école ou des usages des IA éducatives permettant la réalisation d'études de cohorte sur le long terme et à grande échelle constituerait un atout indéniable pour répondre à cet enjeu.

La recherche doit reposer sur une approche pluridisciplinaire, translationnelle et participative, réunissant autour de la table non seulement l'administration et les entreprises mais aussi les chercheurs en informatique, les experts en pédagogie et en sciences cognitives, les enseignants et les parents d'élèves.

Pour en faciliter l'acceptabilité et l'adoption à long terme, il est en effet essentiel que les écoles et les enseignants puissent être pleinement parties prenantes à l'élaboration des solutions technologiques dans le cadre d'un « design participatif » où les scientifiques jouent un rôle de médiateur pour légitimer les initiatives.

(2) Encourager les expérimentations

Compte tenu du rythme de développement des IA, il conviendrait d'encourager dans les écoles des expérimentations pilotes sur l'utilisation de l'IA, en tirant les leçons des succès et en reproduisant à plus grande échelle les pratiques qui ont fait leurs preuves.

c) Réfléchir à un renforcement du recours à l'IA pour le pilotage de la politique éducative

De nombreuses données relatives à la « performance » du système éducatif sont collectées, notamment celles issues des évaluations nationales. Or il apparaît que ces données sont aujourd'hui sous-exploitées alors qu'elles pourraient être réinvesties pour améliorer les parcours d'apprentissage et mieux cibler les appuis technologiques disponibles, comme ont commencé à le faire d'autres pays comme le Canada.

C'est pourquoi il est souhaitable de faire aboutir une réflexion sur un meilleur pilotage des approches pédagogiques par la donnée, dans le respect des cadres juridiques en vigueur (RGPD, AI Act).

LISTE DES RECOMMANDATIONS :
3 AXES POUR UNE INTÉGRATION RESPONSABLE ET EFFICACE DE L'IA DANS LE SYSTÈME ÉDUCATIF

I. MIEUX ACCOMPAGNER LES ENSEIGNANTS

Recommandation n° 1 : Définir des orientations stratégiques et un cadre d'usage afin que les enseignants disposent de lignes directrices claires et structurantes sur l'usage de l'IA à l'école

Recommandation n° 2 : Mieux accompagner les enseignants dans le déploiement des solutions d'IA mises à leur disposition en leur permettant de les expérimenter en conditions réelles

Recommandation n° 3 : Faire des choix techniques permettant à chaque enseignant d'accéder facilement aux outils d'IA éducatifs qu'il souhaite parmi un ensemble de solutions référencées

II. FORMER À L'IA ET FAVORISER L'ÉMERGENCE D'UNE CULTURE CITOYENNE DE L'IA

Recommandation n° 4 : Inclure l'IA dans la formation initiale et continue des enseignants et des autres professionnels de l'éducation (personnels de direction et d'établissement, inspecteurs)

Recommandation n° 5 : Rappeler l'importance fondamentale des compétences langagières et mathématiques et des compétences dites « du 21e siècle » dans la formation des élèves

Recommandation n° 6 : Intégrer dans la formation scolaire et universitaire une approche interdisciplinaire obligatoire sur l'IA, permettant d'en saisir les enjeux technologiques mais aussi sociaux et éthiques

Recommandation n° 7 : Faire de l'IA le 6e domaine du certificat de compétence numérique PIX

Recommandation n° 8 : Inciter les établissements scolaires et d'enseignement supérieur à diffuser une culture de l'IA, permettant d'en acquérir une connaissance objective, selon diverses modalités comme les « cafés IA » associant tous les acteurs intéressés y compris les parents d'élèves

III. ÉVALUER LES OUTILS ET POURSUIVRE LA RECHERCHE

Recommandation n° 9 : Garantir une évaluation indépendante des technologies d'IA mises à la disposition des enseignants et des élèves dans le cadre scolaire

Recommandation n° 10 : Créer un observatoire de l'IA à l'école permettant notamment la réalisation d'études de cohorte et de mieux en comprendre les usages

Recommandation n° 11 : Dans le cadre du pilotage des politiques éducatives, mener une réflexion sur l'analyse, à l'aide de technologies d'IA, des données recueillies à l'occasion des évaluations nationales pour offrir, si cela s'avère pertinent, la possibilité de mieux les exploiter

EXAMEN EN DÉLÉGATION

Réunie le mercredi 30 octobre 2024, la délégation à la prospective a examiné le rapport de MM. Christian Bruyen et Bernard Fialaire sur « IA et éducation ».

Mme Christine Lavarde, présidente. - Je remercie tous ceux qui ont pu se rendre disponibles pour cette réunion consacrée à l'examen du rapport « intelligence artificielle et éducation ». Sur ce sujet qui offre des opportunités mais suscite également des craintes, je cède la parole à nos rapporteurs, Christian Bruyen et Bernard Fialaire.

M. Bernard Fialaire, rapporteur. - Avec mon collègue Christian Bruyen, nous avons le plaisir de vous présenter aujourd'hui le troisième rapport thématique sur l'intelligence artificielle (IA) dans les services publics. Après les administrations fiscales et sociales, d'une part, et la santé, d'autre part, ce volet concerne le domaine de l'éducation.

Pour disposer d'un état des lieux objectif, nous avons entendu, entre le 18 juin et le 17 septembre, 23 personnes dans le cadre d'une dizaine d'auditions et de tables rondes. Nous avons par ailleurs reçu quelques contributions écrites complémentaires.

Nous avons souhaité nous concentrer sur l'enseignement scolaire, qui nous est cher, sans pour autant ignorer totalement les développements en cours dans le monde universitaire.

Nos échanges ont confirmé l'intérêt porté à l'IA par les différents acteurs de l'éducation. Qu'ils soient enseignants, élèves, services ministériels, entreprises de la filière EdTech, opérateurs de formation ou encore chercheurs, tous s'intéressent à l'IA, mais néanmoins à des degrés divers, parfois de manière volontariste, parfois de manière plus contrainte.

Nos entretiens ont également mis en évidence la très grande sensibilité du sujet : l'arrivée de l'IA générative à l'école est vécue comme un facteur majeur de déstabilisation pour les enseignants.

Elle bouleverse les pratiques d'enseignement traditionnelles et les relations de l'enseignant avec les apprenants.

Cette sensibilité est exacerbée par les enjeux éthiques de l'IA dans l'éducation. D'un côté les données exploitées sont celles d'enfants, adultes encore en construction, de l'autre, la masse des informations et connaissances disponibles rend essentielle la capacité de discernement des utilisateurs.

Peut-être plus qu'ailleurs, la confiance sera-t-elle un élément décisif pour une intégration efficace et responsable de l'IA dans l'enseignement.

Dans ce contexte, notre rapport vise simplement à dresser un panorama général des usages possibles de l'IA à l'école et à émettre quelques recommandations pour que notre système éducatif ne passe pas à côté d'une évolution qui pourrait lui être profitable.

M. Christian Bruyen, rapporteur. - Deux constats sont nécessaires pour commencer.

Tout d'abord, il faut le dire, l'IA générative a déjà largement fait irruption au sein de notre système éducatif. La question n'est plus de décider s'il faut lui faire une place, mais de savoir comment accompagner les évolutions qui s'imposent ainsi à nous.

Récemment, un sondage réalisé auprès de lycéens scolarisés en région Nouvelle-Aquitaine révélait en effet que plus de 90 % des élèves de seconde avaient déjà utilisé l'IA générative comme aide aux devoirs.

En ce qui concerne l'enseignement supérieur, selon un autre sondage, de novembre 2023, plus de la moitié des étudiants déclaraient utiliser un outil d'IA générative, au moins occasionnellement. Ce chiffre évolue très vite puisqu'une enquête récente de l'Ifop révèle qu'en un an, le nombre d'utilisateurs de l'IA générative a crû de 60 %.

Lorsqu'ils sont interrogés sur leur perception de ces outils, les jeunes qui font usage de l'IA relèvent d'emblée la patience infinie de ces systèmes, leur « bienveillance », et le fait qu'ils se mettent à leur portée, sans jugement de valeur.

On le voit donc, l'usage de l'IA dans le cadre de la scolarité ou des études est déjà massif et apprécié par la jeunesse. Néanmoins, cet usage reste très corrélé à l'âge. En revanche, et c'est un aspect essentiel du sujet, il n'en est qu'à ses débuts dans les pratiques enseignantes.

C'est le second constat : comme Bernard Fialaire l'a déjà évoqué, la confiance de la communauté éducative manque nettement à l'appel. Nos discussions avec les syndicats d'enseignants et l'opérateur public de formation Canopé nous ont permis de prendre la mesure de l'absence de repères du corps enseignant vis-à-vis de l'IA. Et puis, sur le fond, l'encouragement à intégrer l'IA dans les pratiques professionnelles est vécu, par certains, comme une sorte d'injonction contradictoire avec l'exercice de la liberté pédagogique.

Des inquiétudes sont également exprimées sur la capacité de l'IA générative à produire des résultats originaux impossibles à distinguer de la production humaine, et donc, par exemple, sur la nécessité de repenser les devoirs à la maison.

Le développement d'une dépendance à quelques grandes entreprises dominant le marché mondial et non véritablement soumises à la réglementation européenne constitue aussi une critique récurrente. De ce point de vue, il faut le dire, c'est un risque qui, sans être avéré, nécessite tout de même aujourd'hui une vigilance particulière.

Enfin, certains enseignants vont jusqu'à redouter une forme de « dépossession » de leur métier dans la mesure où l'IA s'introduit dans des aspects relevant du coeur même de leurs missions, par exemple pour la notion d'évaluation.

Toutes plus ou moins légitimes, ces réactions mettent en évidence la nécessité de bâtir un cadre de confiance fondé sur un accompagnement efficace et une approche objective et équilibrée. Il ne faut ni diaboliser l'IA pour son caractère supposément aliénant, ni l'idéaliser en exagérant sa capacité à répondre aux difficultés traversées par le système éducatif.

Cela implique tout d'abord d'assurer les enseignants de leur place toujours centrale dans l'accès au savoir et comme figures d'autorité. Mais aussi de faire la démonstration scientifique de la capacité de l'IA à favoriser la montée en compétences des apprenants. Nous y reviendrons.

Il nous paraît aller de soi que l'IA n'a pas vocation à remplacer le professeur, ni l'infrastructure de l'école, qu'elle ne doit être qu'un outil au service d'objectifs éducatifs définis par l'humain. Mais encore faut-il que l'on sache en convaincre le monde enseignant.

Oui, c'est bien de cela dont il s'agit : mettre en confiance et que l'IA soit bien perçue comme un système automatisé qui, pour un ensemble d'objectifs définis par l'humain, est en mesure d'établir des prévisions, de formuler des recommandations ou de proposer des décisions influant sur des environnements éducatifs en interagissant avec les usagers, portant vers une décision finale devant bien, quant à elle, rester le fruit d'une intelligence humaine.

Passé ce double constat, j'en viens au formidable potentiel d'innovation offert par l'IA dans le secteur de l'éducation.

Trois principaux types d'application peuvent être retenus selon que la technologie vient au soutien de l'enseignant, de l'apprenant ou du système éducatif. Les initiatives étant foisonnantes et le marché des EdTech dynamique, notre rapport ne prétend pas à un inventaire exhaustif, mais fournit quelques illustrations des possibilités existantes.

Tout d'abord, pour l'enseignant, les technologies permettant de personnaliser l'enseignement en l'adaptant au profil de l'apprenant font partie des plus intéressantes. Dans le cadre de cet apprentissage « adaptatif », le système peut, à partir de l'analyse de données d'apprentissage - par exemple des réponses à des questionnaires -, s'ajuster à l'utilisateur et sélectionner des contenus et un niveau de difficulté appropriés.

Conformément au concept de la « zone proximale de développement » bien connu des pédagogues, chaque élève bénéficie ainsi du juste équilibre entre un exercice trop facile, facteur de démotivation, et une activité trop difficile, source de découragement.

Un tableau de bord permet aux enseignants d'organiser et de suivre les apprentissages en classe et à la maison en gardant une vue d'ensemble des travaux effectués par les élèves et de leur progression. L'enseignant a donc la possibilité de suivre les apprentissages en temps réel et de « traiter une classe de 25 comme une classe de 12 », selon l'expression d'Arthur Mensch, cofondateur de Mistral.

Les IA contribuent ainsi au processus d'évaluation formative en aidant les enseignants à faire le point sur les acquis de chaque élève et les compétences précises à cibler.

Le rôle d'assistance à l'ingénierie pédagogique joué par l'IA générative revêt également une importance croissante. Dans ce domaine, les techniques reposent sur les possibilités offertes par la multimodalité ou la génération augmentée par récupération (RAG). Celles-ci permettent la mise en place d'interactions variées à partir de corpus de données choisis par l'enseignant.

Les objectifs sont multiples : concevoir une séquence pédagogique ou faciliter l'élaboration de matériel éducatif comme des QCM, tests, grilles d'évaluation et autres activités interactives. Il s'agit en quelque sorte, pour l'enseignant, d'« augmenter » sa pédagogie en l'enrichissant d'idées nouvelles, de contenus ou de choix d'illustrations, en étant assisté dans la scénarisation du cours.

Cette assistance aux tâches rédactionnelles ou à la réalisation de certaines évaluations pourrait libérer du temps pour les enseignants. Ces derniers pourraient alors, par exemple, se concentrer davantage sur les élèves qui connaissent le plus de difficultés. D'une manière plus globale, déchargés de certaines tâches, bénéficiant d'une forme de souplesse apportée par l'IA, les enseignants pourraient s'investir plus intensément sur d'autres aspects de leur pédagogie.

Venons-en maintenant aux apprenants.

Ils ont, d'évidence, de plus en plus facilement accès à des chatbots génératifs. Il s'agit de tuteurs virtuels permettant de répondre à leurs questions en temps réel, ou de programmes informatiques simulant une conversation écrite ou orale. Tout se passe comme si l'élève était assisté par un coach particulier pour l'acquisition de connaissances ou le développement de compétences, à son rythme.

De nombreuses applications d'IA générative sont par ailleurs utilisées comme aide aux devoirs ou pour les activités d'écriture (Course Hero, Brainstory, Quillbot, Plume). Elles facilitent l'accès à des informations utiles, extraites d'une vaste quantité de données : l'élève peut obtenir des résumés d'ouvrages, identifier des ressources pertinentes ou trouver une source d'inspiration pour amorcer une tâche rédactionnelle.

On peut tout de même se poser la question de l'acquisition réelle de ces compétences, puisque d'une certaine façon, elles ne sont sans doute plus autant travaillées, entraînées, développées qu'elles ne l'étaient avec une approche plus traditionnelle.

Quoi qu'il en soit, dans ce domaine, malgré l'existence d'IA génératives spécialisées, développées à des fins éducatives, c'est ChatGPT qui reste la plus plébiscitée pour ses performances et sa facilité d'utilisation, et ce malgré son caractère généraliste. Nous y reviendrons.

Quelques mots avant cela des perspectives prometteuses offertes par l'IA pour le soutien des apprenants ayant des besoins spécifiques. Il nous paraît important d'évoquer les technologies mises au point pour faciliter les interactions avec les enfants souffrant de troubles du spectre autistique (TSA). En réduisant l'appréhension et la peur du jugement que ressent souvent l'enfant autiste à l'idée de parler avec un adulte, des technologies comme des robots intégrant de l'IA peuvent l'aider à communiquer plus aisément.

Ces systèmes sont porteurs d'espoirs pour le maintien en milieu scolaire ordinaire où l'adaptation des rythmes d'apprentissage et du temps passé avec l'enseignant apparaît fondamentale. Capables de percevoir des signaux invisibles à l'oeil humain et d'analyser le comportement des enfants autistes en classe, ils pourraient un jour aider les enseignants dans l'adaptation de leur approche pédagogique, comme cela a déjà été envisagé avec les outils numériques de façon plus générale. Les enfants autistes bénéficieraient à la fois d'un apprentissage sur mesure et d'une relation en tête-à-tête plus approfondie avec l'enseignant.

Il faut cependant savoir raison garder : cette perspective apparaît encore relativement lointaine. Les technologies concernées restent pour l'heure cantonnées à la relation thérapeutique ou à la sphère privée et leur coût est particulièrement prohibitif. Le niveau de preuve d'efficacité dans le domaine éducatif reste par ailleurs à renforcer.

Enfin, au-delà de l'enseignant et de l'apprenant, l'IA peut venir faciliter la gestion des structures éducatives par l'analyse des nombreuses données disponibles. Qu'il s'agisse de l'orientation des élèves ou de l'adaptation des programmes scolaires, l'IA peut être utilisée comme outil de diagnostic, de planification et d'allocation des ressources.

Attention tout de même, car, comme l'ont montré les débats sur « Parcoursup », les enjeux de transparence des algorithmes et d'« explicabilité » sont majeurs. L'AI Act classe d'ailleurs parmi les utilisations à haut risque les systèmes d'IA qui contribuent à déterminer l'accès ou l'affectation aux établissements d'enseignement ou à évaluer les étudiants.

Et puis, sans aller jusqu'à considérer l'Éducation nationale strictement comme un appareil idéologique de l'État, on mesure bien le risque qu'il peut y avoir à utiliser l'IA pour « adapter » les programmes scolaires. Là aussi, la prudence s'impose.

Allons encore plus loin et évoquons un usage beaucoup plus controversé, celui des innovations technologiques qui ont pour objet l'évaluation de la participation et de l'attention des élèves, en classe ou à distance, par l'analyse des mouvements oculaires ou d'autres caractéristiques du visage. Cela va jusqu'à l'utilisation de capteurs physiques et physiologiques comme cela est expérimenté en Chine.

Ce cas d'usage soulève naturellement des questions éthiques. La réglementation européenne interdit fort heureusement les systèmes de reconnaissance des émotions dans les établissements d'enseignement et les systèmes de notation basés sur le comportement social ou les caractéristiques personnelles. Les possibilités offertes par la combinaison des neurotechnologies et de l'IA dans l'éducation nous incitent à la plus grande prudence, et c'est aussi un point de vigilance que les politiques, le législateur, doivent conserver à l'esprit.

On le voit, les applications potentielles de l'IA dans l'éducation sont nombreuses. Pourtant, redisons-le, le recours aux outils innovants reste très inégal et l'acculturation des enseignants se fait en ordre dispersé.

En l'absence pour le moment, d'une démarche suffisamment structurée portée par l'Éducation nationale, l'usage de l'IA repose encore largement sur des initiatives individuelles, de quelques pionniers pour des expérimentations à petite échelle. Néanmoins, si la situation ne porte pas à un optimisme sans faille, il y a tout de même des points positifs.

M. Bernard Fialaire, rapporteur. - En France, l'Éducation nationale s'est emparée du sujet de l'IA dès 2018 dans le cadre de la stratégie du numérique pour l'éducation et du plan « France 2030 ».

Des partenariats d'innovation en intelligence artificielle (P2IA) ont permis de mettre à la disposition des professeurs des écoles des services numériques s'appuyant sur l'IA pour personnaliser les apprentissages. Il s'agit d'un dispositif très intéressant que d'autres pays nous envient. Il permet une co-conception d'outils par des entreprises de la filière EdTech, des laboratoires de recherche et des équipes pédagogiques, au plus près des besoins et dans le cadre d'adaptations continues à partir de retours d'expérience.

Les outils disponibles permettent aujourd'hui de proposer une différenciation des exercices et d'évaluer régulièrement les compétences des élèves de CP, CE1 et CE2 en français et mathématiques. Le nombre d'utilisateurs potentiels est estimé à 53 000 professeurs et 1,3 million d'élèves.

Il faut dans ce contexte reconnaître l'implication de la direction du numérique pour l'éducation et le rôle proactif joué par l'opérateur de formation « Réseau Canopé » pour l'élaboration de ressources permettant aux enseignants de se former.

Trois nouvelles séries de P2IA sont en cours de construction, ou en projet, pour un budget total estimé à 68 millions d'euros. Mais, faute d'un accompagnement suffisant, les services disponibles n'ont pas connu la montée en puissance attendue. Les syndicats d'enseignants nous ont indiqué qu'ils sont largement méconnus. Ils restent en outre fondés sur de l'IA classique et aucun outil d'IA générative institutionnel et souverain n'est pour le moment proposé.

En dehors des P2IA, le ministère de l'éducation nationale identifie près d'une vingtaine de services d'IA utilisés de façon éparse dans le cadre d'initiatives individuelles pour les mathématiques, les lettres, les sciences ou encore les langues vivantes. Au-delà, il souligne ne pas être en mesure d'identifier des IA conformes aux exigences juridiques et éthiques pour les usages scolaires.

Le ministère se montre particulièrement vigilant sur la question du traitement des données à caractère personnel. De ce fait, les outils d'IA générative développés par les Gafam ne sont pas utilisables dans un cadre scolaire, seules étant autorisées les utilisations à titre individuel, sous le régime du contrat privé.

L'IA générative nous paraît pourtant devoir être un outil d'apprentissage mobilisable en classe. Il s'agit d'ailleurs d'une demande de certains parents d'élèves. Ceux-ci souhaitent que l'acquisition de compétences comme la rédaction d'une requête pertinente et l'analyse du résultat obtenu puisse s'effectuer de manière progressive tout au long de la scolarité.

Dans ce contexte, le développement d'un service d'IA générative souverain dédié à l'éducation, tel que le projet en cours « OpenLLM France », apparaît bienvenu.

Il devrait s'appuyer sur des corpus de données d'apprentissage publics et ouverts et sur des algorithmes documentés pour en assurer l'explicabilité, le tout dans le cadre d'une licence d'utilisation libre. Les premiers usages en classe sont attendus courant 2024 dans les académies volontaires pour une utilisation plus généralisée à la rentrée 2025.

Sans attendre l'élaboration de ce modèle, une initiative intéressante a vu le jour au sein de l'académie d'Aix-Marseille avec la mise au point expérimentale d'un petit langage de modèle (SML) mobilisable directement en classe : « IA AnSu ». L'objectif est de disposer d'une IA maîtrisée de bout en bout, experte, conforme au RGPD et frugale.

Ce projet consiste à utiliser les propriétés d'un grand modèle de langage, en l'occurrence celui de Mistral, pour l'adapter à des besoins éducatifs et en faire un assistant éducatif en classe au collège. À l'issue d'un travail d'éducation du modèle, comportant à la fois une optimisation du contexte (enrichissement des informations) et celle de son comportement, les auteurs du projet ont mis au point un modèle de langage plus petit, plus rapide et plus économe en ressources.

L'interface pourra être personnalisée en fonction des besoins spécifiques des enseignants et des élèves. Engagée fin 2023, la construction du projet doit se poursuivre grâce aux retours d'expérience de « testeurs ». Cette initiative doit beaucoup au volontarisme et au fort intérêt pour l'IA de l'équipe de l'académie.

Ces évolutions sont lentes comparativement aux développements technologiques rapides dont sont capables les Gafam mais l'enjeu de la sensibilité et de la qualité des données est pris en compte, les modèles d'IA étant formés sur des données validées par le ministère ou par les enseignants eux-mêmes.

S'agissant de l'enseignement supérieur, où prévaut le principe d'autonomie des établissements, les avancées et les pratiques apparaissent très hétérogènes. Plusieurs grandes écoles s'organisent pour prendre en compte les usages de l'IA et réfléchir aux moyens d'enseigner l'IA et d'enrichir les enseignements par l'IA.

Certaines d'entre elles, en particulier les écoles de management, comme « Neoma Business School », ont mis en place des outils d'apprentissage adaptatif et des stratégies de formation à l'IA de l'ensemble des étudiants et des enseignants. Cependant, ces développements restent encore l'apanage de quelques établissements précurseurs disposant de moyens importants et la diffusion d'une culture de l'IA reste globalement balbutiante.

À partir de ces constats, plusieurs scénarios de déploiement de l'IA peuvent être envisagés dans l'éducation ces prochaines années.

Les évolutions dépendent essentiellement de deux variables : d'une part, le degré de mise à disposition par les pouvoirs publics d'outils ayant fait la preuve de leur efficacité, d'autre part, le degré d'acculturation des utilisateurs, qui nous ont permis de distinguer quatre scénarios.

Dans le scénario « pessimiste », peu de technologies d'IA seraient disponibles à l'école en raison d'une grande prudence liée aux risques supposés de l'IA, qui pourrait aller jusqu'à un moratoire sur les expériences d'IA générative les plus avancées, ou bien en raison d'un fort ralentissement du marché. Les acteurs de l'éducation se seraient peu emparés des outils. Dans ces conditions, le système éducatif ne connaîtrait que peu d'évolutions et pourrait s'éloigner des tendances à l'oeuvre dans d'autres pays du monde.

À l'autre extrémité, dans le scénario « optimiste », le potentiel des IA est bien exploité, avec des outils et des usages ciblés, et les acteurs de l'éducation s'y sont acculturés grâce à un accompagnement et une formation adaptés. Dans ce scénario, les enseignants exploitent pleinement le potentiel d'individualisation et de différenciation de l'IA et l'éducation enregistre des améliorations tangibles.

Deux scénarios intermédiaires font apparaître de forts contrastes entre des usages encore modestes et inégaux mais encadrés par des règles éthiques bien définies, et des usages en ordre dispersé hors de toute régulation.

Quoique schématique, cette présentation a le mérite de mettre en lumière plusieurs conditions nécessaires à une intégration efficace et responsable de l'IA dans l'éducation.

Pour l'avenir, trois orientations nous paraissent devoir être retenues :

- mieux accompagner les acteurs de l'enseignement par la définition d'un cadre d'usage et un accès facilité aux outils disponibles ;

- former plus massivement et favoriser l'émergence d'une culture citoyenne de l'IA, à l'école et en dehors de celle-ci ;

- évaluer les outils et approfondir la recherche.

Première orientation : il faut mieux accompagner les acteurs de l'éducation.

L'instauration d'un climat de confiance nécessite tout d'abord la définition d'une doctrine et d'un cadre d'usage. Les enseignants doivent disposer de lignes directrices claires et structurantes.

Le développement de l'IA conduit nécessairement à requestionner ce qui doit être appris, comment, et à quelles fins. Dans quels buts utiliser l'IA ? Avec quels outils ? Les élèves doivent-ils pouvoir utiliser l'IA générative pour leurs devoirs, voire en classe, comme c'est parfois déjà le cas avec les calculatrices et les logiciels de traitement de texte ? Quelle place pour l'IA dans l'évaluation ?

S'agissant des devoirs à la maison, les chercheurs en sciences cognitives et de l'éducation que nous avons auditionnés mettent en garde contre l'utilisation sans discernement de l'IA générative, qui fait courir le risque d'un « court-circuitage » de l'effort cognitif nécessaire à un apprentissage efficace.

De nombreux élèves peuvent surestimer à la fois les compétences des IA génératives et leurs propres compétences en raison du ton apparemment très assuré de ces systèmes et de l'image qui leur est associée d'une « super-intelligence ». Cela peut limiter le développement de leur curiosité et de leur esprit critique, facteurs pourtant essentiels à un apprentissage actif.

Par conséquent, les chercheurs insistent sur deux points :

- d'une part, le système éducatif doit s'intéresser davantage au processus d'écriture, de création et d'apprentissage que simplement au « produit final » à évaluer ;

- d'autre part, pour prévenir le risque de perte de compétences et être capable de se passer d'IA, l'enjeu est également d'apprendre à apprendre : il faut renforcer les compétences métacognitives des élèves, leur permettant de mettre en oeuvre une stratégie d'utilisation et d'évaluation des systèmes et d'être « résistants à l'erreur ».

M. Christian Bruyen, rapporteur. - Deuxième recommandation : il faut accompagner les enseignants dans le déploiement des outils d'IA mis à leur disposition. Comprendre l'IA et connaître les outils ne suffit pas pour s'en saisir.

S'agissant des outils issus des P2IA, selon l'avis des personnes que nous avons entendues, deux obstacles principaux paraissent freiner leur adoption, indépendamment de la question des moyens et des infrastructures :

- d'une part, les enseignants évoquent un certain manque de temps pour s'acculturer à ces outils dans un contexte où ils font face à de multiples sollicitations et puis, en parallèle, ne manquent déjà pas de ressources pédagogiques ;

- d'autre part, et c'est plus profond, il subsiste un préjugé assez souvent négatif sur le numérique à l'école dans sa globalité et sur l'IA en particulier.

Pourtant, il s'agit, comme le souligne le responsable de la Chaire Unesco sur l'IA, de systèmes « modestes mais utiles », développés en tenant compte des apports des sciences cognitives.

Ceci plaide donc pour un accompagnement plus soutenu des enseignants dans l'expérimentation des outils en conditions réelles et pour l'intégration des technologies d'IA dans les scénarios pédagogiques validés par les inspections. Il s'agit de confronter directement les enseignants aux outils afin qu'ils puissent en évaluer par eux-mêmes les apports et les limites.

Troisième recommandation : il faut enfin mener une réflexion sur les infrastructures et les choix techniques, afin de faciliter l'accès des enseignants aux IA éducatives de leur choix.

Une enveloppe de crédits dédiée qui permettrait d'en simplifier l'achat via un « compte ressources » serait une avancée majeure. Le projet en avait d'ailleurs été imaginé par le ministère avant d'être abandonné faute de financement.

Ensuite, il faut former et favoriser l'émergence d'une culture citoyenne de l'IA.

Pour cela, il faut d'abord intégrer l'IA dans la formation initiale des enseignants et des cadres de l'Éducation nationale et la valoriser dans la formation continue.

Les efforts de formation à l'IA doivent viser non seulement les enseignants au cours de leur formation initiale et continue mais également l'ensemble des cadres du premier et du second degré de l'enseignement, en particulier le corps des inspecteurs et les conseillers pédagogiques. Ces derniers doivent être en capacité d'accompagner et de conseiller efficacement les enseignants dans leurs choix et les parcours pédagogiques.

Compte tenu de la vitesse d'évolution des technologies, la formation doit cibler les compétences nécessaires à la compréhension et à l'utilisation des outils, leurs implications en termes d'éducation et d'éthique, et non pas simplement la connaissance des outils.

De plus, doter les élèves et les citoyens d'une culture générale de l'IA apparaît également indispensable. Il faut intégrer dans la formation scolaire et universitaire une approche interdisciplinaire obligatoire sur l'IA, permettant d'en saisir aussi bien les aspects technologiques que les enjeux sociétaux et éthiques.

Dans l'éducation nationale, une réflexion doit être menée par le conseil des programmes sur une intégration de l'IA dans les différents champs disciplinaires avec la mise en place d'un parcours pédagogique cohérent.

Il conviendrait en outre d'intégrer un module d'IA au programme de la certification des compétences numériques « PIX », dont l'obtention est obligatoire pour un certain nombre d'élèves.

Dans l'enseignement supérieur, il pourrait être envisagé d'inclure dans les premières années de formation un module obligatoire sur l'IA, à l'image de la mise en place dans la formation de tous les étudiants de premier cycle, à l'horizon 2025, d'un socle minimal de connaissances sur la transition écologique.

Enfin, la Commission de l'intelligence artificielle, qui a été auditionnée par notre délégation, appelle de ses voeux la création de nombreux espaces d'échange dans les lieux publics, appelés « cafés IA ». Le principe de ces ateliers pourrait donc aussi être adopté à l'échelle de chaque établissement scolaire ou de l'enseignement supérieur, ce qui permettrait de sensibiliser des publics variés, en particulier les parents d'élèves.

M. Bernard Fialaire, rapporteur. - Troisième et dernier axe : évaluer et poursuivre la recherche et les expérimentations.

Il faut d'abord se donner les moyens d'évaluer la pertinence des outils fournis au corps enseignant.

Il manque aujourd'hui une évaluation indépendante des outils d'IA mis à la disposition du corps enseignant. Les analyses d'impact sont la plupart du temps réalisées par les fournisseurs de services eux-mêmes. L'efficacité des outils n'est analysée qu'à l'aune des notes obtenues par les utilisateurs.

Pourtant l'enjeu va bien au-delà de la notation : il est de déterminer si les IA contribuent à développer chez les apprenants des compétences transférables, qui leur soient utiles au-delà du contrôle continu et du bachotage, dans la perspective d'une « éducation durable ». Apprendre ne se résume pas à emmagasiner des connaissances !

Ensuite, il faut approfondir la recherche sur les effets de l'IA générative et poursuivre les expérimentations. Historiquement, l'IA a longtemps servi à modéliser et mieux comprendre l'intelligence humaine dans le champ des sciences cognitives. Ce rapport s'est en quelque sorte inversé : l'IA générative généraliste a été développée sans réflexion particulière sur les usages, sans tenir compte de l'apport des neurosciences, a fortiori dans l'éducation, et avec l'objectif principal de fournir des réponses le plus rapidement possible.

Les preuves manquent ainsi quant à la capacité de l'IA générative à améliorer les résultats d'apprentissage et la compréhension du processus d'apprentissage lui-même. Les études sont rares car elles exigent une inscription dans le temps long et des moyens. Pour reprendre l'expression de Pierre-Yves Oudeyer, directeur de recherche à l'Inria, il s'agit d'une véritable « terra incognita ».

D'où la nécessité d'approfondir la recherche sur l'impact de l'IA générative sur les apprenants et les enseignants. La mise en place d'un observatoire public de l'IA à l'école pourrait contribuer à cet objectif. Son rôle serait de suivre et d'évaluer les usages éducatifs de l'IA à travers la réalisation d'études de cohorte sur le long terme et à grande échelle. Seraient ainsi étudiées l'influence de l'IA sur les façons de travailler et ses conséquences sur les capacités de concentration, de travail en équipe et la créativité ou encore sur le développement cognitif, émotif et relationnel.

Compte tenu du rythme de développement des IA, il conviendrait en outre d'encourager dans les écoles des expérimentations pilotes sur l'utilisation de l'IA, en tirant les leçons des succès et en reproduisant à plus grande échelle les pratiques qui ont fait leurs preuves sur un territoire académique.

Dernière évolution qui nous paraît indispensable : réfléchir à un renforcement du recours à l'IA pour le pilotage de la politique éducative.

De nombreuses données relatives à la « performance » du système éducatif sont collectées, notamment celles issues des évaluations nationales. Or il apparaît que ces données sont aujourd'hui sous-exploitées alors qu'elles pourraient être réinvesties pour améliorer les parcours d'apprentissage et mieux cibler les efforts, ainsi que commencent à le faire d'autres pays comme le Canada.

Il nous paraît donc souhaitable de faire aboutir une réflexion sur l'apport de l'IA à un pilotage plus fin par la donnée, dans le respect bien sûr des cadres juridiques en vigueur.

Telles sont, Madame la Présidente, mes chers collègues, les conclusions que nous souhaitions porter à votre connaissance. Nous vous remercions de votre attention.

Mme Christine Lavarde, présidente. - Merci de la qualité de votre travail. En tant que mère de famille, je peux personnellement témoigner de l'intérêt et du plaisir à apprendre que peuvent susciter certaines applications d'intelligence artificielle particulièrement encourageantes dans les apprentissages, par exemple de l'anglais comme langue étrangère. Mais dans la sphère privée, le recours à l'intelligence artificielle pour accompagner l'éducation des enfants dépend beaucoup de l'engagement des familles en raison du coût des solutions payantes. De ce point de vue, il faut être vigilant à ne pas recréer un fossé entre ceux qui ont les moyens et ceux qui en sont dépourvus.

Mme Anne Ventalon. - Je salue la richesse de vos travaux et votre analyse de l'impact positif que pourrait avoir l'intelligence artificielle dans l'éducation mais aussi des inquiétudes des parties prenantes. Nous avions fait le même constat dans le domaine de la santé.

En tant qu'ancien professeur d'anglais, j'ai conscience du fait que l'arrivée de l'intelligence artificielle remet en question nos pratiques. Cela étant, les outils de l'intelligence artificielle doivent être pris en compte et il faut progressivement s'adapter. Où en est-on de l'évaluation des pratiques des enseignants à cet égard ? Nous avons besoin d'une formation transdisciplinaire et d'une culture de l'intelligence artificielle. Quelle est l'offre de formation disponible aujourd'hui ?

Mme Sylvie Vermeillet. - Je salue sans réserve la qualité de vos travaux que je trouve passionnants. Je souhaiterais revenir à la « terra incognita » à laquelle vous faites référence. De la même façon que nous avons besoin d'une autorisation de mise sur le marché pour des médicaments, pourquoi accepterions-nous l'arrivée de solutions d'intelligence artificielle pour lesquelles nous ne savons pas si nos enfants sont suffisamment protégés ? Faut-il légiférer pour autoriser ou interdire l'accès à ces outils ? On connaît les avantages mais aussi les risques, voire les conséquences dramatiques.

M. Christian Redon-Sarrazy. - Si nous souhaitons garantir l'égalité d'accès aux outils d'intelligence artificielle, on ne peut pas faire dépendre cet accès des seuls moyens financiers des parents. Comment faire pour généraliser l'accès aux outils disponibles dans le cadre scolaire ? La question du coût se pose.

M. Khalifé Khalifé. - Je me réjouis d'avoir rejoint votre délégation il y a quelques semaines et vous félicite pour votre travail. Le questionnement sur la place de l'intelligence artificielle dans l'éducation ne peut faire abstraction du problème des écrans auxquels sont beaucoup exposés nos enfants aujourd'hui.

Je fais par ailleurs partie d'un groupe de travail sur les apports du cahier numérique à l'école. Ce cahier numérique est de plus en plus diffusé. L'intelligence artificielle doit être prise en compte non de façon isolée mais dans ce contexte général du numérique à l'école.

M. Stéphane Sautarel. - Je souhaite revenir sur un point qui me paraît essentiel. Au-delà des moyens et des outils, l'identification des compétences à développer pour se servir de l'intelligence artificielle est centrale. Il s'agit d'apprendre à apprendre. À cet égard, votre rapport inclut un schéma des cinq catégories de compétences qui est particulièrement intéressant : maîtrise de la langue, pensée computationnelle, créativité, compétences relationnelles, pensée critique et esprit encyclopédique.

M. Christian Bruyen, rapporteur. - En effet, ce travail sur les compétences est essentiel. C'est d'ailleurs pourquoi l'enseignant doit rester au centre du dispositif.

M. Bernard Fialaire, rapporteur. - S'agissant de la nécessité de protéger les enfants, des règles s'appliquent, en particulier au niveau européen. On ne peut pas faire comme si tous les enfants n'avaient pas facilement accès aux outils de l'intelligence artificielle générative. Il faut construire des outils en collaboration avec l'Éducation nationale et avec les enseignants pour s'assurer de leur visée pédagogique. Parallèlement, l'enseignement à l'usage de l'intelligence artificielle est fondamental. On s'aperçoit tout de même que grâce à l'éducation aux médias et à l'information (EMI), les jeunes savent aujourd'hui qu'il faut se méfier des réseaux sociaux, ce qui ne les empêche pas de s'en servir, et pas toujours de façon exemplaire. Ils ont conscience que l'information peut être orientée. Il faut continuer de les former à utiliser les outils.

Nous nous sommes aussi rendu compte que l'éducation nationale et l'enseignement supérieur n'utilisaient pas forcément les mêmes outils. Si la performance de la filière française des EdTech est reconnue, l'enseignement supérieur utilise encore beaucoup les outils conçus par les Gafam. Nous avons en France des mathématiciens de rang mondial, mais tout l'enjeu est de les garder en France pour le développement de nos propres outils.

S'agissant des évaluations nationales, nous disposons théoriquement d'une masse de données dont il faut s'interroger sur l'utilité dans une perspective d'amélioration du pilotage. La possibilité pour les acteurs privés de s'en saisir peut se poser.

M. Christian Bruyen, rapporteur. - Comme nous l'avons indiqué, la volonté du corps éducatif, pris dans son ensemble, de s'approprier l'intelligence artificielle reste limitée. C'est pourquoi la formation est nécessaire. En ce qui concerne les usages de l'intelligence artificielle par les enseignants, les services ministériels ne disposent pas d'un recensement exhaustif mais les grandes tendances sont connues. Beaucoup d'expérimentations sont réalisées au niveau individuel.

Il faudra également être attentifs à former des formateurs. C'est là l'une des ambitions des « IA clusters » dans le cadre de France 2030. Cependant, chaque université ne pourra disposer d'un nombre suffisant d'experts en intelligence artificielle pour former des milliers d'étudiants. Des mutualisations seront donc nécessaires.

S'agissant des licences, en ce qui concerne les outils disponibles dans le cadre des P2IA, leur volumétrie est fixée par le ministère.

Face aux solutions développées par les Gafam et utilisées en dehors de l'enceinte de l'école, l'enjeu est de développer des outils souverains, qui s'appuient sur des données contrôlées.

Mme Christine Lavarde, présidente. - Merci pour vos réponses. Je soumets à présent au vote l'adoption du rapport.

La délégation adopte, à l'unanimité, le rapport et en autorise la publication.

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES
ET DES CONTRIBUTIONS ÉCRITES

· Ministère de l'éducation nationale et de la jeunesse

Yann Bruyère, adjoint à la sous-directrice de l'innovation, de la formation et des ressources, à la direction générale de l'enseignement scolaire (DGESCO)

Stéphane Guérault, chargé de mission Cybersécurité/Intelligence artificielle/esport à la DGESCO

Florence Biot, sous-directrice de la transformation numérique à la direction du numérique pour l'éducation (DNE)

Axel Jean, chef du bureau du soutien à l'innovation numérique et recherche appliquée à la DNE

· SNALC

Eugénie de Zutter, présidente académique Champagne-Ardenne, responsable nationale pour les professeurs certifiés

· UNSA Éducation

Willie Charbonnier, conseiller national de la fédération en charge des politiques éducatives

Adrien Misson, conseiller national

· Colin de la Higuera et Jostna Iyer, titulaires de la Chaire Unesco RELIA (Ressources éducatives libres et intelligence artificielle - Nantes Université) et auteurs de l'IA pour les enseignants : un manuel ouvert

· Anne Boyer, professeure en informatique et chercheuse au laboratoire lorrain de recherche en informatique et ses applications (Loria) - Université de Lorraine, co-auteur du FUN MOOC « Intelligence artificielle pour et par les enseignants »

· Nicolas Bannier, professeur de lettres classiques au lycée Marc-Bloch de Bischheim et formateur académique

· Franck Bodin, directeur de l'Atelier Canopé 93

· Damien Steffan, directeur de cabinet à la direction générale de Réseau Canopé

· Hélène Sauzéon, professeure de psychologie et de sciences cognitives à l'Université de Bordeaux

· Pierre-Yves Oudeyer, directeur de recherche à l'Inria Bordeaux

· EdTech France

Orianne Ledroit, directrice générale

Aude Blanckaert-Guéneau, vice-présidente, présidente-fondatrice de Plume

· France Universités

Gilles Roussel, président de l'Université Gustave Eiffel et référent numérique de France Universités

Adam Apazov, chargé de mission Numérique

Antoine Guéry, chargé des relations parlementaires et institutionnelles

· Centrale Supélec

Renaud Monnet, directeur du Digital Lab

· Isabelle Ryl, directrice du Prairie (PaRis Artificial Intelligence Research InstitutE) et vice-présidente « intelligence artificielle » de l'Université PSL (Paris Sciences et Lettres)

· Neoma Business School

Alain Goudey, directeur adjoint au numérique

CONTRIBUTION ÉCRITE

· FSU-SNUipp


* 1 Voir notamment la revue de littérature réalisée par la direction du numérique pour l'éducation (DNE) du ministère de l'éducation nationale et de la jeunesse : Intelligence artificielle et éducation. Apports de la recherche et enjeux pour les politiques publiques, janvier 2024 : https://edunumrech.hypotheses.org/files/2024/04/MEN_DNE_brochure_IA_2024_web_fr.pdf.

* 2 Institut national de recherche en sciences et technologies du numérique. Inria Learning Lab, FUN MOOC, Intelligence artificielle pour et par les enseignants. Explorer et soutenir l'utilisation éclairée de l'IA dans l'éducation : https://www.fun-mooc.fr/fr/cours/intelligence-artificielle-pour-et-par-les-enseignants-ai4t/.

* 3 Telle que conceptualisée par Lev Vygotski.

* 4 Audition de M. Arthur Mensch, cofondateur de l'entreprise Mistral AI, lors de son audition du 22 mai 2024 par la commission des affaires économiques du Sénat : https://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20240520/affeco.html.

* 5 NOLEJ. (s. d.). NOLEJ. https://nolej.io/.

* 6 « Hello ChatGPT-4o = », OpenAI, 13 mai 2024 ( https://openai.com/index/hello-gpt-4o/).

* 7 Mazon, C., Sauzéon, H., « Utilisation des technologies mobiles auprès des enfants avec TSA », Autisme et usages du numérique en éducation, 2022

* 8 Dascalu, C.-M., & Garnier, P., « Le défi des outils numériques dans la scolarisation des élèves avec autisme : entre les besoins cognitifs des élèves et les approches pédagogiques des enseignants », Handicap et apprentissages scolaires : conditions et contextes. Recherches en éducation, 2015 : https://journals.openedition.org/ree/6748.

* 9 Gouzien-Desbiens, A. & Leroy-Depiere, C., « Enquête sur la scolarisation des élèves avec TSA de la maternelle au collège : identifier des points de vulnérabilité récurrents pour mieux accompagner leur scolarité », La nouvelle revue - Éducation et société inclusives, 89-90, 2, 89-109, 2021 : https://doi.org/10.3917/nresi.090.0089.

* 10 Voir notamment le rapport du Conseil d'État Intelligence artificielle et action publique : construire la confiance, servir la performance, août 2022.

* 11 OCDE, Perspectives de l'OCDE sur l'éducation numérique 2021, chapitre 9 : https://www.oecd-ilibrary.org/docserver/d5fe6bd0-fr.pdf?expires=1721054588&id=id&accname=guest&checksum=81BE18397AC3E2BA2CA4E4D5FE3DFEB9.

* 12 Ibid., chapitre 10.

* 13 Holmes, W., Tuomi, I., « State of the art and practice in AI in education », European Journal of Education, 2022. Traduction par Bocquet, 2023. Repris et adapté de Intelligence artificielle et éducation, apports de la recherche et enjeux pour les politiques publiques, direction du numérique pour l'éducation (DNE) du ministère de l'éducation nationale et de la jeunesse, janvier 2024.

* 14 Équipe Flowers de l'Inria, juin 2024. Pierre-Yves Oudeyer, « IA générative, société et éducation : En quoi l'IA générative représente-t-elle un enjeu dans la formation des citoyens ? », septembre 2024.

* 15 Agence Heaven, Premiers usages de l'IA chez les jeunes. Baromètre « Born AI », juin 2024.

* 16 Gamma (préparation d'exposés ou de présentation PPT), Quizlet (création de fiches de révision) ou Photomath (résolution d'exercices de maths à partir de la photo du problème).

* 17 Ifop pour Talan, Baromètre 2024 Les Français et les IA génératives, avril 2024.

* 18 Le Sphinx, en partenariat avec Compilatio, spécialisé dans la prévention de la fraude académique, Enquête nationale au sujet de l'IA dans l'enseignement. Enseignants et étudiants confrontent leurs regards sur l'IA, enquête réalisée en France auprès de 1 242 enseignants et 4 443 étudiants du 21 juin au 15 août 2023.

* 19 Unesco, Survey for the governmental use of AI as a public good for education, 2023.

* 20 Department for science, innovation and technology, National AI Strategy, 2022 : https://www.gov.uk/government/publications/national-ai-strategy.

* 21 Department for Digital, Culture, Media & Sport, UK Digital Strategy, 2022 : https://www.gov.uk/government/publications/uks-digital-strategy/uk-digital-strategy.

* 22 Felix j., Webb L., « Use of artificial intelligence in education delivery and assessment », UK Parliament POST, 2024 : https://post.parliament.uk/research-briefings/post-pn-0712/.

* 23  https://www.harvard.edu/ai/teaching-resources/

* 24 Unesco, Consensus de Beijing sur l'intelligence artificielle et l'éducation, « Planifier l'éducation à l'ère de l'IA : un bond en avant », 16-18 mai 2019.

* 25 Unesco, IA et Éducation, Guide pour les décideurs publics, 2021. Unesco, Enseigner l'intelligence artificielle au primaire et au secondaire. Une cartographie des programmes validés par les gouvernements, 2023. Unesco, Orientations pour l'intelligence artificielle générative dans l'éducation et la recherche, 2024.

* 26 Il s'agit d'une application mobile qui utilise plusieurs solutions d'IA : elle peut analyser la voix humaine à travers un microphone pour la comparer à un modèle linguistique calibré pour les enfants francophones, puis catégorise la production selon qu'elle est acceptable, perfectible, ou incorrecte, afin de répondre de manière adaptée. Elle est également capable de reconnaître une image qu'on lui montre parmi les centaines de flashcards fournies avec la solution.

* 27 Ministère de l'éducation nationale et de la jeunesse, direction du numérique pour l'éducation, bureau du soutien à l'innovation numérique et à la recherche appliquée, Intelligence artificielle et éducation. Apports de la recherche et enjeux pour les politiques publiques, janvier 2024.

* 28 Colin de La Higuera et Jotsna Iyer, IA pour les enseignants : un manuel ouvert. L'intelligence artificielle par et pour les enseignants, janvier 2024.

* 29 Lignes directrices du Réseau Canopé pour la formation aux intelligences artificielles génératives, mars 2024.

* 30 Kasneci et al., 2023 ; Abdelghani et al., 2023. Cités par Pierre-Yves Oudeyer, « IA générative, société et éducation : en quoi l'IA générative représente-t-elle un enjeu dans la formation des citoyens ? », septembre 2024.

* 31 Ibid.

* 32 La nécessité de donner aux enseignants et chefs d'établissement un accès facilité à des ressources numériques éducatives a été soulignée lors des États généraux du numérique pour l'éducation (2021) puis lors d'ateliers de concertation en 2022. Pour répondre aux attentes, la création d'un « compte ressources » devait permettre de simplifier le choix de ressources dans un catalogue lisible et conforme aux prescriptions ministérielles dans le cadre d'une enveloppe dédiée. À l'issue de la phase de prototypage, faute d'arbitrage budgétaire favorable pour envisager de créditer les comptes ressources de chaque enseignant de manière pérenne, il a finalement été décidé de ne pas développer ce service.

* 33 Le ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche a diffusé en 2023 un cahier des charges du socle de connaissances et de compétences faisant office de cadre pour former les étudiants à la transition écologique. Il fixe des connaissances prioritaires. Chaque établissement devra ensuite construire ses compétences en fonction d'un propre référentiel.

* 34 Voir par exemple l'Executive Master Intelligence artificielle & science des données de l'Université Paris Dauphine-PSL.

* 35 Voir notamment la contribution de la FCPE, « 20 mesures pour l'école de demain », La Revue des parents, février 2024.

* 36 « L'émergence de divers chatbots GenAI exige que les pays examinent attentivement - et délibèrent publiquement - le seuil d'âge approprié pour les conversations indépendantes avec les plateformes GenAI. Le seuil minimum devrait être fixé à 13 ans. Les États devront également décider si l'autodéclaration de l'âge reste un moyen de vérification approprié. Ils devront définir, enfin, les responsabilités des fournisseurs d'IA générative en ce qui concerne le contrôle de l'âge et les responsabilités des parents ou des tuteurs en ce qui concerne la surveillance des conversations menées en autonomie par les mineurs. », Unesco, Orientations pour l'intelligence artificielle générative dans l'éducation et la recherche, 2023.

* 37 Commission de l'intelligence artificielle, Notre ambition pour la France, mai 2024 : https://www.info.gouv.fr/upload/media/content/0001/09/4d3cc456dd2f5b9d79ee75feea63b47f10d75158.pdf.

* 38 Voir notamment le Class'Code IAI L'intelligence artificielle... avec intelligence !, MOOC proposé par l'Inria sur la plateforme FUN-MOOC : https://www.fun-mooc.fr/fr/cours/lintelligence-artificielle-avec-intelligence/ ou encore la plateforme « Vittascience IA » : https://fr.vittascience.com/ia/

Voir également les ressources mises à la disposition par l'Inria pour développer une approche éclairée et critique de l'IA générative : https://developmentalsystems.org/chatgpt_5_minutes/fr/ ; https://github.com/flowersteam/clia.

* 39 Cf. par exemple l'analyse réalisée au sujet de l'outil Mathia : https://mathia.education/wp-content/uploads/2023/08/Mathia-Rapport-dimpact-2023.pdf.

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